Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. et Mme B... et A... C... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 5 mai 2021 par lesquelles le préfet de la Drôme a refusé de délivrer un titre de séjour à M. C..., lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2103342 du 10 août 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 15 septembre 2021, M. et Mme C..., représentés par Me Sabatier (SELARL BS2A Bescou et Sabatier avocats associés), avocat, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 août 2021 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler les décisions du préfet de la Drôme du 5 mai 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de délivrer à M. C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou une autorisation provisoire de séjour ou, subsidiairement, de procéder à un nouvel examen de sa situation, dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité, à défaut de statuer sur le moyen tiré du défaut de consultation préalable de la commission du titre de séjour ;
- l'arrêté litigieux a été adopté au terme d'une procédure irrégulière, à défaut d'avoir été précédé de la consultation de la commission du titre de séjour en méconnaissance de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'obligation de quitter le territoire français litigieuse méconnaît l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lequel ne comporte pas de réserve tenant à l'existence d'une menace pour l'ordre public ;
- l'arrêté litigieux porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- le préfet a commis une erreur d'appréciation en estimant que sa présence sur le territoire français constituait une menace pour l'ordre public.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 juin 2022, la préfète de la Drôme conclut au rejet de la requête.
Elle expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 24 juin 2022, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 12 juillet 2022.
Par courrier du 18 octobre 2022, les parties ont été informées en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever d'office l'illégalité des décisions fixant le pays de destination, refusant d'accorder un délai de départ volontaire à M. C... et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français, par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Sophie Corvellec, première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C... relèvent appel du jugement du 10 août 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à l'annulation des décisions du préfet de la Drôme du 5 mai 2021 refusant de délivrer un titre de séjour à M. C..., en qualité de conjoint d'une ressortissante française, lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, désignant le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Contrairement à ce que prétendent M. et Mme C..., les premiers juges ont, au paragraphe 6 du jugement attaqué, répondu au moyen tiré du défaut de consultation préalable de la commission du titre de séjour. Ce jugement ne souffre d'aucune omission à statuer.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant français, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an lorsque les conditions suivantes sont réunies : 1° La communauté de vie n'a pas cessé depuis le mariage ; 2° Le conjoint a conservé la nationalité française ; 3° Lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, il a été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ". L'article L. 423-2 du même code prévoit par ailleurs que : " L'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, entré régulièrement et marié en France avec un ressortissant français avec lequel il justifie d'une vie commune et effective de six mois en France, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ". Enfin, l'article L. 412-1 de ce code dispose que : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1 ".
4. Aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-13, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21, L. 423-22, L. 423-23, L. 425-9 ou L. 426-5 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance ; 2° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer la carte de résident prévue aux articles L. 423-11, L. 423-12, L. 424-1, L. 424-3, L. 424-13, L. 424-21, L. 425-3, L. 426-1, L. 426-2, L. 426-3, L. 426-6, L. 426-7 ou L. 426-10 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance (...) ". L'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 n'a pas entendu écarter l'application des dispositions de procédure qui s'appliquent à tous les étrangers en ce qui concerne la délivrance, le renouvellement ou le refus de titres de séjour. Au nombre de ces dispositions figurent notamment les dispositions de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, le préfet n'est tenu de saisir la commission du titre de séjour, lorsqu'il envisage de refuser un titre de séjour mentionné à l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou prévu par les stipulations équivalentes de l'accord franco-tunisien, que du cas des étrangers qui remplissent effectivement l'ensemble des conditions de procédure et de fond auxquelles est subordonnée la délivrance d'un tel titre, et non de tous ceux qui se prévalent de ces dispositions.
5. D'une part, la production d'un visa de long séjour est au nombre des conditions auxquelles est subordonnée la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 423-1 du même code. Il en est de même de la condition tirée de la régularité du séjour prévue par l'article 10 1° a) de l'accord franco-tunisien. Dès lors, le préfet de la Drôme a pu refuser de délivrer un titre de séjour à M. C... sur le fondement de ces dispositions et stipulations en retenant la méconnaissance de ces conditions, sans avoir à saisir au préalable la commission du titre de séjour. D'autre part, l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'exige nullement que le préfet saisisse la commission du titre de séjour lorsqu'il envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré d'un vice de procédure tenant au défaut de consultation préalable de la commission du titre de séjour doit être écarté.
6. En deuxième lieu, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation commise par le préfet de la Drôme quant à l'existence d'une menace pour l'ordre public tenant à la présence de M. C... en France doit être écarté par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Grenoble.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (...) ".
8. M. C..., ressortissant tunisien né le 9 mars 1959, prétend résider en France de façon continue depuis 1988. Toutefois, il ne conteste pas avoir été éloigné d'office en 1994, sans justifier la date de son retour sur le territoire français. En tout état de cause, il s'y est depuis maintenu irrégulièrement en dépit de quatre mesures d'éloignement prises à son encontre en 2012, 2016, 2017 et 2018 et a fait l'objet de cinq condamnations pénales entre février 2003 et juin 2017, notamment à quatre peines d'emprisonnement allant jusqu'à un an d'emprisonnement, pour violence sur conjoint, aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier d'un étranger ayant pour effet de le soumettre à des conditions incompatibles avec la dignité humaine, conduite d'un véhicule sans permis et refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter et rébellion. Ainsi, nonobstant l'activité professionnelle dont il justifie, il ne peut se prévaloir d'aucune intégration sur le territoire français, où sa présence constitue une menace pour l'ordre public. Par ailleurs, s'il était marié depuis quatre ans avec une ressortissante française, aucun enfant n'est né de leur union et il ne démontre nullement la nécessité de sa présence, tout comme de celle de son épouse, auprès de la fille de celle-ci, née d'un précédent mariage et désormais majeure. A l'exception d'un frère, d'un fils majeur et de l'enfant de ce dernier, avec lesquels il ne démontre pas avoir noué des relations particulières, il ne fait état d'aucune autre attache privée ou familiale en France, alors qu'il ne conteste pas ne pas en être dépourvu dans son pays d'origine où il a vécu, à tout le moins jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans et où demeurent certains de ses enfants issus d'un précédent mariage et trois membres de sa fratrie. Dans ces circonstances, en refusant de délivrer un titre de séjour à M. C..., le préfet de la Drôme n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour (...) ". L'article L. 611-3 du même code dispose toutefois : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 6° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française (...) ". L'article L. 612-2 prévoit par ailleurs que : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants :1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public (...) ".
10. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est marié à une ressortissante française depuis le 19 décembre 2016, sans que le préfet de la Drôme ne prétende que la communauté de vie aurait cessé. Par suite, M. C... est fondé à soutenir qu'il ne pouvait, en application des dispositions rappelées ci-dessus de l'article L. 611-3, faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, alors même que son comportement constituerait une menace pour l'ordre public.
11. L'illégalité de cette décision entraîne par voie de conséquence l'illégalité des décisions refusant d'accorder un délai de départ volontaire à M. C..., fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français en application de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C... sont uniquement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination de cette mesure d'éloignement et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.
Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :
13. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance (...) et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".
14. Le présent arrêt, qui annule l'obligation de quitter le territoire français du préfet de la Drôme du 5 mai 2021 et les décisions subséquentes, implique que la préfète de la Drôme procède au réexamen de la situation de M. C... et lui délivre, durant cet examen, une autorisation provisoire de séjour. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète de la Drôme de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de sept jours à compter de la notification du présent arrêt et de statuer à nouveau sur sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Les décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, pays de destination de cette mesure d'éloignement et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans du préfet de la Drôme du 5 mai 2021 sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Drôme de délivrer à M. C... une autorisation provisoire de séjour dans le délai de sept jours à compter de la notification du présent arrêt et de statuer à nouveau sur sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement n° 2103342 du tribunal administratif de Grenoble du 10 août 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros à M. et Mme C..., en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Gilles Fédi, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2022.
La rapporteure,
Sophie CorvellecLe président,
Gilles Fédi
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY03069