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03/07/2025 | FRANCE | N°24LY01203

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 03 juillet 2025, 24LY01203


Vu la procédure suivante :







Par un arrêt n° 24LY01203 du 21 novembre 2024, la cour a demandé à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, sur le fondement de l'article L. 2312-4 du code de la défense, de déclassifier et de communiquer, dans un délai de quatre mois à compter de sa notification, la note du 12 mai 2017, après saisine de la Commission du secret de la défense nationale et, dans l'hypothèse où la ministre estimerait que la classification de cette note et le refus de communicat

ion de tout ou partie de celle-ci seraient justifiés par le secret de la défense nation...

Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 24LY01203 du 21 novembre 2024, la cour a demandé à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, sur le fondement de l'article L. 2312-4 du code de la défense, de déclassifier et de communiquer, dans un délai de quatre mois à compter de sa notification, la note du 12 mai 2017, après saisine de la Commission du secret de la défense nationale et, dans l'hypothèse où la ministre estimerait que la classification de cette note et le refus de communication de tout ou partie de celle-ci seraient justifiés par le secret de la défense nationale, de verser au dossier de l'instruction écrite contradictoire, dans le même délai, tous les éléments relatifs à la nature des informations écartées et aux raisons pour lesquelles elles sont classifiées, tout en réservant les droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'était pas expressément statué par cet arrêt.

Par un mémoire enregistré le 11 mars 2025, la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques persiste à conclure comme précédemment.

Elle soutient que :

- par un avis du 29 janvier 2025, la commission consultative du secret de la défense nationale a décidé de maintenir la classification du document concerné ;

- la note contient des informations précises sur la proximité de M. B... A... avec des personnes dont les noms ne sont pas communicables ; elle développe l'analyse des menaces que font peser ces personnes, proches de la mouvance islamiste radicale opposée aux intérêts économiques et industriels de la France, sur la sécurité d'une installation nucléaire et des personnels travaillant dans cette installation ainsi que sur la sécurité des populations avoisinantes.

Par une ordonnance du 12 mars 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 avril 2025.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la défense ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Picard, président ;

- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Pour l'exécution de l'arrêt avant dire droit visé plus haut du 21 novembre 2024, les services du ministère de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques ont saisi le 11 décembre 2024 la Commission du secret de la défense nationale qui a rendu un avis défavorable à la déclassification de la note n° 66-17 du 12 mai 2017 classifiée " confidentiel défense ". Et le 10 février 2025, la ministre a décidé de maintenir la classification de ce document.

2. En application des articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense, les centres nucléaires de production d'électricité constituent des installations d'importance vitale, c'est-à-dire des établissements dont l'indisponibilité risquerait de diminuer d'une façon importante le potentiel de guerre ou économique, la sécurité ou la capacité de survie de la nation. Les articles L. 1332-2-1 et R. 1332-22-1 du même code prévoient que l'opérateur d'un de ces établissements doit expressément en autoriser l'accès aux personnes physiques ou morales appelées à y intervenir, après avis du préfet compétent faisant suite à une enquête administrative destinée à vérifier, notamment par la consultation de traitements automatisés de données personnelles que les caractéristiques de ces personnes ne sont pas incompatibles avec un tel accès.

3. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser l'accès de M. A... à la centrale nucléaire de Saint-Alban, l'administration, après avoir relevé que sa moralité et la qualité de son travail n'étaient pas en cause, a indiqué que M. A..., compte tenu de certaines relations qu'il avait nouées et de la grande sensibilité de son emploi, " aurait pu être facilement influencé, à court ou moyen terme, par une organisation liée au terrorisme désirant acquérir des informations en vue de nuire gravement à la sécurité d'une centrale nucléaire " et que la situation de vulnérabilité à laquelle il se trouvait ainsi exposé n'était " pas compatible avec l'accès à un point d'importance vitale au sens de l'article R. 1332-22-1 du code de la défense. ", comportant des risques de graves désordres pour l'installation nucléaire voire pour la vie des populations avoisinantes. D'après l'administration, qui s'est fondée sur une note du service départemental du renseignement territorial de l'Ain (SDRT01), l'intéressé aurait en 2015 séjourné plusieurs mois dans le logement d'une personne inscrite au fichier de " Traitement des antécédents judiciaires " (TAJ) pour recels (septembre 2004) et usage de stupéfiants (juin 2004), au fichier de " Prévention des atteintes à la sécurité publique " (PASP) pour dérives sectaires dans le département du Val d'Oise (2006) ainsi qu'au " Fichier des personnes recherchées " (FPR) pour appartenance à la mouvance islamiste chiite radicale (14 janvier 2013), et également signalée par les services de Gendarmerie au SDRT01 à raison de signes de radicalisation religieuse (2015), et aussi été en relation avec une autre personne à l'origine de faits de violences volontaires et violation de domicile en avril 2004 ainsi que de cambriolage en septembre 2004 et qui a séjourné dans la région afhgano-pakistanaise entre 2011 et 2012, " même si ses velléités djihadistes n'ont pas pu être confirmées par des éléments concrets. ".

4. Si M. A... justifie qu'il a occupé avec son épouse un appartement à Asnières sur Seine du 1er juin 2015 au 31 juillet 2017, les pièces produites ne permettent en revanche pas de tenir pour acquis le fait que, sur l'ensemble de la période du 28 septembre 2012 au 30 avril 2015, il aurait résidé avec son frère dans un logement que louaient précédemment leurs parents. L'attestation de l'OPAC 38 sur laquelle il se fonde à cet égard, dont il résulte qu'il ne réside plus dans ce logement depuis le 1er mai 2015, est datée du 15 avril 2014, aucune explication n'étant fournie sur cette incohérence de dates et l'impossibilité d'un séjour de plusieurs mois avec une personne radicalisée. Même si la note du SDRT01, qui porte la mention " diffusion restreinte ", n'est pas elle-même produite ni datée, et l'identité des personnes dont la fréquentation est reprochée à l'intéressé n'est pas révélée, et si ce dernier, intégré, assidu et sérieux, dispose d'un casier judiciaire vierge, ne fréquente que ponctuellement un lieu de culte et paraît avoir une pratique de la religion pacifique et respectueuse du cadre républicain, il n'apparaît pas, dans un contexte marqué par les attentats terroristes commis en 2015 et en 2016 sur le sol français, que les éléments sur lesquels s'est fondé l'administration pour refuser l'autorisation d'accès sollicitée, et spécialement la situation de vulnérabilité dans laquelle il se trouvait, dont la réalité n'est pas sérieusement contestée, n'auraient pas suffi à caractériser l'incompatibilité des fréquentations de M. A... avec l'exercice d'une activité au sein d'un site nucléaire sensible et que donc la décision contestée procéderait d'une appréciation erronée. C'est par suite à tort que, pour censurer cette décision, le tribunal a retenu qu'elle était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif et la cour.

6. En premier lieu, et d'une part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, sous le chapitre Ier du titre Ier de son livre II : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". Aux termes de l'article L. 211-6 de ce code, sous ce même chapitre : " (...) Les dispositions du présent chapitre ne dérogent pas aux textes législatifs interdisant la divulgation ou la publication de faits couverts par le secret. ". Et aux termes de l'article L. 311-5 du même code : " Ne sont pas communicables : (...) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (...) b) Au secret de la défense nationale ; (...) d) A la sûreté de l'État, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d'information des administrations ; (...) ".

7. D'autre part, aux termes de l'article L. 2311-1 du code de la défense, sous le chapitre " Protection du secret de la défense nationale " : " Les règles relatives à la définition des informations concernées par les dispositions du présent chapitre sont définies par l'article 413-9 du code pénal. ". Aux termes de cette dernière disposition : " Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès. Peuvent faire l'objet de telles mesures les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers dont la divulgation ou auxquels l'accès est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d'un secret de la défense nationale. Les niveaux de classification des procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers présentant un caractère de secret de la défense nationale et les autorités chargées de définir les modalités selon lesquelles est organisée leur protection sont déterminés par décret en Conseil d'État. ".

8. Il résulte de ces dispositions que la décision par laquelle, à la suite d'un recours administratif préalable obligatoire, l'administration confirme un refus d'autoriser l'accès à un centre nucléaire de production d'électricité, constitue un refus d'autorisation au sens du 7° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration qui doit normalement être motivé, sauf à ce que la communication de ses motifs soit de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale protégé par les dispositions du 2° de l'article L. 311-5 du même code.

9. L'intéressé indique que, malgré une demande en ce sens, le ministre n'a pas communiqué les motifs de son refus implicite du 16 mai 2017, s'étant borné à lui répondre le 16 juin 2017 que les dispositions des articles L. 211-2 et L. 311-5 du code de la défense, dès lors que ce refus était motivé par des informations classifiées au titre du secret de la défense nationale, y faisaient obstacle. Compte tenu de la nature de ces informations et de la classification dont elles ont fait l'objet, et en dépit des éléments issus de la note du SDRT01 dont l'administration s'est prévalue en cours d'instance, leur divulgation aurait été de nature à porter atteinte à un secret protégé par la loi. La décision attaquée n'avait donc pas à être motivée. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté comme inopérant.

10. En second lieu, aux termes de l'article L. 1332-2-1 du code de la défense : " L'accès à tout ou partie des établissements, installations et ouvrages désignés en application du présent chapitre est autorisé par l'opérateur qui peut demander l'avis de l'autorité administrative compétente dans les conditions et selon les modalités définies par décret en Conseil d'État. L'avis est rendu à la suite d'une enquête administrative qui peut donner lieu à la consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et de traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, à l'exception des fichiers d'identification. La personne concernée est informée de l'enquête administrative dont elle fait l'objet. ". Aux termes de l'article R. 1332-22-3 du même code : " L'opérateur d'importance vitale informe par écrit la personne concernée de la demande d'avis formulée auprès de l'autorité administrative et lui indique que, dans ce cadre, elle fait l'objet d'une enquête administrative conformément aux dispositions de l'article L. 1332-2-1 du présent code. ".

11. L'intéressé fait valoir qu'il n'a été destinataire d'aucune information écrite portant sur une enquête administrative en cours. Cependant, les dispositions ci-dessus, qui se bornent à prévoir une simple information, n'ont ni pour objet, ni pour effet de donner un caractère contradictoire à l'enquête qu'elles prévoient. Il en résulte que l'absence d'information dont se plaint le requérant n'a pu, dans ces circonstances, exercer la moindre influence sur le sens de la décision de refus prise à son encontre au vu de l'avis et des résultats de l'enquête, ni le priver d'une garantie.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal a annulé la décision implicite par laquelle le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer a rejeté le recours hiérarchique présenté le 10 mars 2017 par M. A... à l'encontre de la décision du 20 février 2017 lui interdisant l'accès au centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Saint-Alban Saint-Maurice-L'exil.

13. La demande M. A... devant le tribunal et ses conclusions devant la cour sont rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 18 décembre 2020 est annulé.

Article 2 : La demande de M. A... devant le tribunal et ses conclusions devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 19 juin 2025 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

M. Chassagne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2025.

Le président, rapporteur,

V-M. Picard

La présidente assesseure,

A. Duguit-Larcher

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY01203

al


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY01203
Date de la décision : 03/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-05 Police. - Polices spéciales.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: M. Vincent-Marie PICARD
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : SENEGAS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-03;24ly01203 ?
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