Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon la condamnation de la chambre départementale d'agriculture de l'Ardèche, d'une part, à lui verser la somme de 144 480,16 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa révocation illégale du 11 mars 2016, d'autre part, à la reconstitution de ses droits à pension de retraite générale et complémentaire et à l'indemnisation de la différence de pension et, enfin, au versement de la cotisation correspondante au titre du plan d'épargne retraite, et à l'indemnisation de la perte subie en cas d'absence de versement de cette cotisation.
Par un jugement n° 2107426 du 13 octobre 2023, le tribunal a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de M. A... tendant à la reconstitution de ses droits sociaux et rejeté le surplus de ses conclusions.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, non communiqué, enregistrés les 13 décembre 2023 et 12 juin 2024, M. A..., représenté par Me Vergnon, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement ci-dessus et de condamner la chambre départementale d'agriculture de l'Ardèche à lui verser la somme de 144 480,16 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa révocation illégale, à l'indemniser de la différence de pension qui résultera de l'absence de versement des 10 000 euros au titre de ses droits à retraite, à lui payer la cotisation correspondante au titre du plan épargne retraite, et à l'indemniser de la perte subie en cas d'absence de versement de cette cotisation ;
2°) de mettre à la charge de la chambre départementale d'agriculture de l'Ardèche une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il a refusé de prendre le poste proposé dans le cadre de la réorganisation de la chambre, qui n'était pas en cohérence avec ses fonctions et responsabilités antérieures ;
- le quantum de 10 000 euros ôté des droits sociaux n'est jamais explicité ;
- aucune faute n'est constituée ; il n'a pas manqué à son devoir d'obéissance hiérarchique, son refus étant lié à une rétrogradation dans la suite d'une situation de harcèlement moral ; il n'y a pas eu d'atteinte à son devoir de réserve et au principe de loyauté, mais seulement l'usage de son libre droit d'expression ;
- la décision de révocation est erronée ; le poste proposé ne correspond pas aux postes figurant en annexe à l'accord local portant application de l'accord national sur la modernisation des ressources humaines dans la chambre d'agriculture de l'Ardèche et ne comprend pas les missions d'un chef de service mais correspond à celui de conseiller ; il a continué à exercer les missions qui étaient les siennes avant la réorganisation des services ; il ne s'est exprimé en interne qu'à une seule reprise lors de la réunion du personnel du 23 octobre 2015 et son discours, loin d'être diffamant, avait pour objet d'alerter sur la disparition de son service et ses conséquences ; le report de " plusieurs projets de développement " et le renoncement aux " financements correspondants " également reprochés ne sont pas explicités ;
- la sanction est disproportionnée ;
- le détournement de pouvoir est caractérisé ; il s'est agi de le " placarder " à un poste sans rapport avec ses expériences et ses compétences managériales ;
- la condamnation de la chambre s'impose ; il a subi des troubles dans les conditions de son existence, avec pertes de salaire, de revenus de la retraite et de rémunération liée au plan épargne retraite ; il a subi un préjudice d'image et un préjudice moral et dû engager des frais au titre des conseils.
Par un mémoire enregistré le 6 mai 2024, la chambre départementale d'agriculture de l'Ardèche, représentée par Me Renouard, conclut au rejet de la requête de M. A... et, subsidiairement, ce que sa demande indemnitaire soit ramenée à de plus justes proportions, et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il a refusé à cinq reprises le poste proposé, avec maintien du statut et de la rémunération ; comme la cour l'a jugé dans son arrêt n°20LY01168 la nature des fonctions de chargé de mission était de même niveau que celles de direction qu'il occupait auparavant ; les missions confiées existaient ; le refus d'obéissance est injustifié et caractérisé ;
- il a dénigré la chambre et failli à son devoir de loyauté ; il a associé et mobilisé les salariés de la chambre et les élus ; compte tenu de sa position de cadre, il a outrepassé ses droits ;
- la sanction n'est pas disproportionnée au regard du caractère répété de ses refus et de l'ampleur en interne prise par ce dossier ;
- le détournement de pouvoir n'est pas caractérisé ; il n'y avait aucune rétrogradation puisque l'intéressé conservait son statut et, notamment, sa rémunération ;
- faute d'avoir repris ses fonctions, il n'y a pas de lien de causalité entre le préjudice allégué et une éventuelle faute ; à tout le moins son comportement fautif doit être pris en compte à hauteur de 50 % ;
- aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Par une ordonnance du 7 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- l'arrêté du 20 mars 1972 homologuant le statut du personnel administratif des chambres d'agriculture ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Picard, président de chambre ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Jounier, pour M. A..., ainsi que celles de Me Michel, substituant Me Renouard, pour la chambre d'agriculture de l'Ardèche ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., agent titulaire de la chambre d'agriculture de l'Ardèche depuis 1990, exerçait, au sein de cette institution, les fonctions de chef de service de la mission territoriale depuis 1995. A l'occasion de la réorganisation des services de la chambre d'agriculture au cours de l'année 2015, le service de la mission territoriale a été supprimé et M. A... a été affecté au poste de conseiller spécial rattaché à la direction. Par deux courriers en date des 15 décembre 2015 et 10 janvier 2016, M. A... a refusé de rejoindre ses nouvelles fonctions. Par une décision du 11 mars 2016, le président de la chambre d'agriculture de l'Ardèche a prononcé la révocation de l'intéressé à compter de cette même date. Par un arrêt du 2 juillet 2020, qui a confirmé un jugement du 4 juillet 2018 du tribunal administratif de Lyon annulant cette décision et ordonnant la réintégration juridique de M. A..., la cour a retenu que la chambre d'agriculture avait commis une irrégularité en se dispensant de consulter la commission paritaire régionale sur le projet de sanction. M. A... relève appel du jugement du 13 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à la reconstitution de ses droits sociaux et rejeté le surplus de ses demandes indemnitaires fondées sur l'illégalité de la décision de révocation du 11 mars 2016.
Sur la régularité du jugement :
2. Par un arrêt n° 22LY03168 du 6 avril 2023 devenu définitif, la cour administrative d'appel de Lyon a constaté que la chambre d'agriculture d'Ardèche avait valablement exécuté son arrêt n° 21LY02944 rendu le 17 mars 2022 en procédant au virement en faveur des organismes sociaux de la somme totale de 26 548,89 euros correspondant aux cotisations de retraite obligatoire et complémentaire dont la chambre aurait dû s'acquitter si M. A... avait continué à exercer ses fonctions entre le 11 mars 2016, date de sa révocation, et le 4 juillet 2018, date du jugement constatant l'illégalité de la décision de révocation, après déduction du montant de 10 000 euros, non alors utilement contesté par l'intéressé, des droits à pension dont il a bénéficié à raison de son activité de substitution. Par suite, c'est à bon droit, et sans commettre d'omission à statuer, que le tribunal a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de M. A... tendant à la reconstitution de ses droits sociaux.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour apprécier à ce titre l'existence d'un lien de causalité entre les préjudices subis par l'agent et l'illégalité commise par l'administration, le juge peut rechercher si, compte tenu des fautes commises par l'agent et de la nature de l'illégalité entachant la sanction, la même sanction, ou une sanction emportant les mêmes effets, aurait pu être légalement prise par l'administration. Le juge n'est, en revanche, jamais tenu, pour apprécier l'existence ou l'étendue des préjudices qui présentent un lien direct de causalité avec l'illégalité de la sanction, de rechercher la sanction qui aurait pu être légalement prise par l'administration.
4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. A... occupait initialement le poste de chef de service de la mission territoriale de la chambre d'agriculture de l'Ardèche, dans le cadre duquel il pilotait des projets d'aménagement et de développement rural, en lien avec les collectivités territoriales. Le poste auquel M. A... a été affecté à la suite de la réorganisation des services de la chambre d'agriculture, créé par délibération de l'organe délibérant de la chambre en date du 24 novembre 2015, consistait en un poste de conseiller spécial rattaché à la direction, en charge notamment de l'accompagnement du projet " forêt Ardèche " en lien avec le plan pluriannuel régional de développement forestier, et du projet " Chauvet pour les entreprises ", ce poste ayant le rang d'un poste de chef de service dont les conditions d'emploi, la durée, le lieu d'accomplissement des fonctions et le niveau de rémunération restaient inchangés. Ce changement d'affectation, qui n'entrainait pour M. A... aucun changement de grade par rapport à celui occupé antérieurement, ne pouvait être regardé comme manifestement illégal et compromettant gravement un intérêt public. Si le poste proposé ne correspondait pas aux postes figurant en annexe à l'accord local portant application de l'accord national sur la modernisation des ressources humaines dans la chambre d'agriculture de l'Ardèche et ne comprenait pas les missions d'un chef de service mais correspondait à celui de conseiller, de telles circonstances sont ici sans portée utile. Le refus de M. A... de rejoindre sa nouvelle affectation s'analyse ainsi comme un manquement à son devoir d'obéissance hiérarchique.
5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que M. A... a formulé des critiques virulentes à l'égard de la réorganisation des services de la chambre d'agriculture de l'Ardèche à l'occasion de la réunion du 23 octobre 2015 à laquelle participait l'ensemble des agents, en mettant en cause tant les objectifs que la manière dont cette réorganisation a été conduite, et la qualifiant de " mortifère ". Au cours de cette période de restructuration de la chambre, M. A... a adopté une attitude d'opposition et de blocage, en refusant notamment tout dialogue avec la direction en vue de la définition concrète des fonctions associées au poste auquel il avait été nouvellement affecté. Compte tenu des fonctions d'encadrement qu'exerçait M. A... au sein de la chambre d'agriculture de l'Ardèche, un tel comportement, par lequel il a outrepassé son droit d'expression et méconnu ses devoirs de réserve et de loyauté, était de nature à porter atteinte à l'intérêt du service.
6. En troisième lieu, selon l'article 24 du statut du personnel administratif des chambres d'agriculture, les mesures disciplinaires applicables aux agents titulaires peuvent être : " a/ l'avertissement par écrit, b/ le blâme avec inscription au dossier, c/ la révocation ". Au vu de l'attitude d'opposition de M. A... à l'égard de l'organisation de la chambre d'agriculture et de ses refus répétés de rejoindre ses nouvelles fonctions, telles qu'elles ont été rappelées plus haut, la mesure de révocation n'apparaît pas, en l'espèce, disproportionnée.
7. En quatrième lieu, il n'apparaît pas que la mesure de révocation prise à l'encontre de M. A... poursuivrait un autre but que celui de sanctionner les agissements rappelés ci-dessus et en particulier qu'elle procéderait notamment d'un harcèlement moral et s'inscrirait dans une volonté de la chambre d'agriculture de l'Ardèche de mettre à l'écart l'intéressé. Aucun détournement de pouvoir ne saurait ainsi être caractérisé.
8. En dernier lieu, eu égard aux fautes commises par M. A... et à l'échelle précitée des sanctions applicable, il apparaît, dans ces circonstances, que la même sanction aurait pu être légalement prise par l'administration dans le cadre d'une procédure régulière, aucun lien de causalité direct entre cette illégalité procédurale et les préjudices invoqués par M. A... ne pouvant ainsi être retenu.
9. Dès lors M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal a rejeté sa demande indemnitaire. Sa requête doit ainsi, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.
10. Il y a lieu, en l'espèce, de mettre à la charge de M. A... le paiement à la chambre départementale d'agriculture de l'Ardèche d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : M. A... versera la somme de 2 000 euros à la chambre d'agriculture de l'Ardèche au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la chambre d'agriculture de l'Ardèche.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.
Le président, rapporteur,
V.-M. Picard
La présidente assesseure,
A. Duguit-Larcher
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 23LY03823
al