Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Grenoble à lui verser la somme de 60 509 euros outre intérêts de droit à compter du 12 mai 2016, capitalisés, en indemnisation des préjudices qu'elle soutient avoir subis en raison de l'absence de cotisation de l'établissement public, pris en sa qualité d'employeur, à la tranche T2 du régime de retraite complémentaire de l'ARRCO.
Par un jugement n° 1605020 du 20 décembre 2018, le tribunal n'a fait droit à sa demande qu'à hauteur de 13 000 euros, tous intérêts compris.
Procédure initiale devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 février 2019 et 25 novembre 2019 (non communiqué), Mme A..., représentée par Me Benichou, a demandé à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement en ce qu'il limite à 13 000 euros, tous intérêts compris, la condamnation de la CCI de Grenoble ;
2°) de porter la condamnation de la CCI de Grenoble à la somme de 59 594 euros, dont 49 594 euros assortis des intérêts au taux légal à compter 12 mai 2016, capitalisés au 12 septembre 2017 puis à chaque échéance annuelle, subsidiairement, d'enjoindre sous astreinte journalière de 100 euros au président de la CCI de Grenoble de régulariser sa situation individuelle par le versement des parts patronales et salariales des cotisations de retraite complémentaire de la tranche T2 auprès de l'AGIRC-ARRCO ;
3°) de mettre à la charge de la CCI de Grenoble une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutenait, dans le dernier état de ses écritures, que :
- sa requête, qui contient une critique du jugement attaqué, est recevable ;
- en s'estimant exemptée de cotiser à la tranche T2, alors qu'il s'agit d'une obligation découlant de l'article 52 du statut général et en différant illégalement la titularisation des contractuels occupant un emploi permanent, ce qui aurait eu pour effet de leur ouvrir droit à ce régime de retraite complémentaire, la CCI de Grenoble a commis des fautes intentionnelles et discriminatoires de nature à justifier une indemnisation ;
- ne saurait lui être opposée la prescription quadriennale aux droits nés antérieurement à la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015, régularisée rétroactivement, le décompte des délais ne devant être effectué, non pas à l'échéance de chaque cotisation, mais à la date où le dommage apparaît dans toute son étendue, c'est-à-dire à la date de liquidation des droits à pension de retraite, ou bien à compter de la connaissance de l'existence de la créance soit, en juin 2015 ;
- la créance doit être liquidée depuis son embauche, le 1er octobre 1991, ou a minima depuis le 31 décembre 1997, date à laquelle elle aurait dû être titularisée en vertu des articles 1er et 2 du statut et le nouveau régime de rémunération des agents non titulaires aurait dû être fixé en application de l'article 50 ter de l'arrêté du 25 juillet 1997 ;
- ces préjudices, caractérisés par la perte de constitution des droits à pension et la perte de chance de bénéficier d'une retraite plus élevée, présentent un caractère certain ;
- le préjudice financier afférent à la période du 1er octobre 1991 au 31 décembre 2010 est calculé d'après le nombre de points perdus, au prorata du temps partiel, soit 1 922, multipliés par la valeur du point, soit 1,2588 euro ; la minoration de la pension de retraite ainsi obtenue est multipliée par 20,5 correspondant au nombre d'années d'espérance de vie à soixante-sept ans, âge d'éligibilité à une retraite à taux plein, soit 49 594 euros ;
- ce préjudice doit être liquidé selon une quotité de travail égale à un temps plein, en application de l'article 26 A du statut ;
- subsidiairement, ces préjudices peuvent être réparés par le rachat des cotisations auprès du gestionnaire du régime de retraite dont ne saurait être déduite la part salariale qui a donné lieu à paiement d'impôt sur le revenu ;
- le mauvais vouloir du défendeur lui a causé un préjudice moral de 10 000 euros.
Par un mémoire, enregistré le 8 août 2019, la CCI de Grenoble, représentée par Me Bousquet, a conclu au rejet de la requête et a demandé à la cour :
1°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement n° 1605020 lu le 20 décembre 2018 en ce qu'il la condamne à verser à Mme A... la somme de 13 000 euros et de rejeter la demande indemnitaire présentée au tribunal par celle-ci, subsidiairement de limiter sa condamnation à la somme de 19 890 euros ;
2°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutenait que :
- la requête, dépourvue de critique du jugement, n'est pas motivée ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé et est entaché d'omission à statuer sur les arguments appuyant l'exception de forclusion ;
- le caractère délibéré de la faute est sans incidence sur l'engagement de la responsabilité ;
- la créance litigieuse, née antérieurement au 1er janvier 2011, est prescrite en application des articles 1er et 3 de la loi du 31 décembre 1968, l'appelante ne pouvant être regardée comme l'ayant ignoré légitimement en raison de la publication du statut général dont l'article 52 met à la charge des CCI le paiement des cotisations de retraite complémentaire, lesquelles ne figuraient pas sur les bulletins de paie ce qui permettait de relever l'anomalie de la situation ;
- subsidiairement, Mme A... n'ayant été titularisée qu'au 1er mars 2006, elle ne répondait pas à la condition posée par l'article 2 du règlement de prévoyance sociale pour bénéficier d'une affiliation avant cette date ;
- aucune disposition ne fait obligation à l'employeur de calculer les cotisations sur la base d'un temps plein, notamment pas l'article 26 A du statut qui ne concerne que le calcul des annuités et la liquidation de la pension ;
- le préjudice tiré de la minoration des droits à pension présente un caractère éventuel ;
- rien n'établit que l'intéressée puisse prétendre à une retraite à taux plein ; la part salariale doit être déduite ;
- le préjudice moral n'est établi ni dans son principe ni dans son montant.
Par un arrêt n° 19LY00680 du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a, dans un article 1er, annulé le jugement n° 1605020 du tribunal administratif de Grenoble du 20 décembre 2018, en ce qu'il condamne la CCI de Grenoble à verser à Mme A... la somme de 13 000 euros, dans un article 2, rejeté la demande indemnitaire présentée par Mme A... contre la CCI de Grenoble à hauteur de 13 000 euros et le surplus des conclusions de sa requête et, dans un article 3, rejeté le surplus des conclusions de la CCI de Grenoble.
Procédure devant le Conseil d'État
Par une ordonnance n° 452742 du 21 juin 2022, le Conseil d'État statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par Mme A..., a annulé l'article 2 de l'arrêt du 18 mars 2021 de la cour administrative d'appel de Lyon en tant qu'il statue sur l'indemnisation des préjudices autres que le préjudice moral et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la même cour.
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'État
Par deux mémoires, enregistrés les 15 septembre 2022 et 2 décembre 2022, Mme A..., représentée par Me Vergnon, demande à la cour :
1°) à titre principal, de condamner la CCI de Grenoble à lui verser la somme de 49 594 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016, capitalisés au 12 septembre 2017 puis à chaque échéance annuelle ;
2°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à la CCI de Grenoble de régulariser sa situation individuelle par le versement des parts salariale et patronale des cotisations de retraite complémentaire dite T2 auprès de l'AGIRC-ARRCO nécessaires à la reconstitution de ses droits à pension de retraite et ce dans un délai de six mois à compter de la notification de l'arrêt sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de condamner la CCI de Grenoble à lui verser la somme de 10 000 euros correspondant à l'indemnisation de ses troubles dans les conditions d'existence et son préjudice moral ;
4°) de mettre à la charge de la CCI de Grenoble la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la créance dont elle se prévaut n'est pas prescrite ; elle a légitimement ignoré l'existence de cette créance dès lors qu'elle ne pouvait comparer ses bulletins de paie avec ceux des autres agents ni le constater au regard des relevés de points édités par les caisses ARCCO ;
- l'existence d'une faute de la CCI de Grenoble constituée par l'absence de paiement des cotisations T2 ARRCO n'est pas contestée ;
- la créance doit être liquidée depuis la date à laquelle elle a occupé un emploi permanent avec une quotité de travail supérieure à 50%, soit le 1er octobre 1993, et non depuis la date de sa titularisation, et la période d'indemnisation de son préjudice court donc de cette date, ou au plus tard au 31 décembre 1997, date à laquelle les modalités du nouveau statut auraient dû être fixées, au 31 décembre 2010 ;
- pour les périodes de travail à temps partiel, le montant de la pension doit être calculé en vertu de l'article 26 A du statut applicable jusqu'en 2014 sur la base d'un traitement à temps complet ;
- elle subit un préjudice lié à la perte des points retraite correspondant aux années en litige ;
- le préjudice de retraite est certain ;
- il est constitué par l'écart entre la pension qu'elle a vocation à percevoir et celle à laquelle elle aurait pu prétendre en l'absence de faute de la CCI de Grenoble ; il doit être évalué en tenant compte du nombre de points perdus, de la valeur de ce point de la valeur de ce point à la date de l'arrêt à intervenir et du nombre d'années d'espérance de vie à la date de départ à la retraite à taux plein soit en l'espèce une somme de 49 594 euros ;
- elle est fondée à se prévaloir d'un préjudice moral évalué à la somme de 10 000 euros.
Par trois mémoires, enregistrés les 13 juillet 2022, 3 novembre 2022 et 24 décembre 2022 (non communiqué), la CCI de Grenoble, représentée par Me Bousquet, demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête de Mme A... ;
2°) à titre subsidiaire, de limiter la somme allouée à Mme A... à 20 737 euros ;
3°) de mettre à la charge de la requérante la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les conclusions à fin d'injonction présentées par la requérante sont irrecevables ;
- la créance dont s'estime titulaire la requérante est prescrite au regard de l'article 710-1 du code de commerce et de la loi du 31 décembre 1968 dès lors que si elle peut se prévaloir d'une ignorance juridique de sa créance, elle ne peut se prévaloir d'une ignorance matérielle ; à ce titre, elle ne pouvait ignorer l'absence de cotisation de la CCI à la tranche B du régime ARRCO à la lecture de ses bulletins de paie et de ceux d'autres agents ;
- le préjudice dont se prévaut la requérante n'est pas certain dès lors que cette dernière n'a pas encore été admise à faire valoir ses droits à la retraite ;
- la requérante ne se prévaut pas de circonstances particulières permettant de regarder son préjudice de retraite comme certain ; en raison de son âge et des aléas pouvant impacter sa date de départ à la retraite, ce préjudice est éventuel ;
- à supposer que la cour retienne un préjudice certain lié à la perte de points correspondant aux années en litige et ouvrant droit à des parts de pensions de retraite complémentaire, ce préjudice n'est pas chiffrable dès lors que la valeur du point ne sera connue que l'année de la liquidation de ses droits à la retraite ;
- l'ordonnance du Conseil d'État n'a pas remis en cause le principe de la faute commise par la CCI pour ne pas avoir cotisé à la tranche B du régime ARRCO ni les conditions d'affiliation de la requérante au règlement de prévoyance sociale et de retraite applicable ni la prise en compte du temps partiel exercé par l'intéressée ni le rejet du préjudice moral revendiqué par l'intéressée ;
- l'indemnisation accordée à la requérante ne saurait, en toute hypothèse, être supérieure à la somme de 20 737 euros.
Une ordonnance du 19 décembre 2022 a fixé la clôture de l'instruction au 3 janvier 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du commerce ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010, notamment le III de l'article 40 ;
- la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 ;
- le statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie ;
- le règlement intérieur de l'assemblée des chambres françaises de commerce et de l'industrie, des chambres de commerce et de l'industrie de région, des chambres de commerce et de l'industrie territoriales et des groupements inter-consulaires, approuvé le 5 mars 1997 et modifié, en dernier lieu, par délibération de la commission paritaire nationale adoptée le 5 mars 1997, approuvé par arrêté du 25 juillet 1997 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
- le règlement de prévoyance sociale et de retraite du personnel administratif des chambres de commerce homologué par arrêté ministériel du 25 mai 1956, modifié, en dernier lieu, le 17 décembre 2001 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère ;
- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Laurent pour Mme A... ainsi que celles de Me Bousquet pour la CCI de Grenoble ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., recrutée sous contrat, le 1er octobre 1991, par la CCI de Grenoble pour exercer des fonctions d'enseignante à temps partiel, a été titularisée au 1er juin 2000 et continue d'exercer les mêmes fonctions, à temps plein depuis le 1er septembre 2007. Elle a présenté, en mai 2016, une demande d'indemnisation auprès de son employeur de la perte des points de retraite complémentaire et de la minoration de sa future pension de retraite complémentaire subies en raison du fait que la CCI de Grenoble ne s'était pas acquittée de la part patronale et n'avait pas non plus collecté la part salariale afférente à la tranche T2 (ou tranche B) du régime de retraite complémentaire auquel étaient affiliés les personnels d'encadrement et d'enseignement statutaires des chambres de commerce. Le 7 juillet 2016, le président a rejeté sa demande au motif que l'établissement avait rétroactivement acquitté auprès de l'ARRCO, gestionnaire du régime, les cotisations afférentes à la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015 en prenant à sa charge la part salariale et a opposé la prescription quadriennale à la créance née antérieurement à 2011.
2. Par un jugement du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la CCI de Grenoble à verser à l'intéressée la somme de 13 000 euros tous intérêts compris correspondant à la perte de chance de percevoir une pension de retraite complémentaire plus élevée du fait de l'absence de rachat des droits afférents à la période du 1er juin 2000 au 31 décembre 2010. Par un arrêt du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement (article 1er) et a rejeté la demande présentée par Mme A... devant le tribunal (article 2). Par une ordonnance n° 452742 du 21 juin 2022, le Conseil d'État, saisi d'un pourvoi présenté par Mme A..., a annulé l'article 2 de l'arrêt du 18 mars 2021 de la cour administrative d'appel de Lyon en tant qu'il statue sur l'indemnisation des préjudices autres que le préjudice moral et a renvoyé l'affaire, désormais enregistrée sous le n° 22LY01944, dans cette mesure, devant la même cour.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
3. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".
4. Il résulte de l'instruction que la requête d'appel de Mme A..., qui n'est pas la reproduction intégrale et exclusive de ses écritures de première instance, comporte une critique du jugement attaqué. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir invoquée par la CCI de Grenoble tirée du défaut de motivation de la requête d'appel doit être écartée.
Sur la recevabilité des conclusions présentées en appel :
5. D'une part, si Mme A... présente pour la première fois en appel des conclusions à fin d'enjoindre à la CCI de Grenoble de régulariser sa situation individuelle par le versement des parts salariale et patronale des cotisations de retraite complémentaire dite T2 auprès de l'AGIRC-ARRCO nécessaires à la reconstitution de ses droits à pension de retraite sur la période retenue par la cour, de telles conclusions ne sauraient constituer des conclusions accessoires se rattachant à la demande indemnitaire présentée par l'intéressée et tendant à obtenir de la CCI de Grenoble une indemnité équivalente aux droits à retraite complémentaire qu'il aurait pu obtenir en l'absence de faute de la CCI de Grenoble constituée par l'absence de versement de la part patronale et de collecte de la part salariale afférente à la tranche T2 (ou tranche B) du régime de retraite complémentaire auquel était affiliée Mme A.... Par suite, de telles conclusions, qui n'avaient pas en outre été présentées devant le tribunal et constituent à ce titre des conclusions nouvelles en appel, sont irrecevables et doivent être rejetées.
6. D'autre part, Mme A... présente dans ses dernières écritures après cassation des conclusions à fin d'indemnisation de ses troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice moral. Toutefois, il ressort de l'ordonnance rendue le 21 juin 2022 par le Conseil d'État que la cour n'est pas saisie à nouveau de telles conclusions dans le cadre du renvoi opéré. Par suite, ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires restant en litige :
7. En premier lieu, si, pour être indemnisable, le préjudice résultant d'un montant de pension de retraite future minorée du fait de l'absence fautive de versement par l'employeur de cotisations patronales et salariales du régime de retraite complémentaire ne peut être pris en compte qu'à la condition, en principe, que cet agent ait présenté, dans le respect de la réglementation et des délais qu'elle impose, une demande tendant à être admis à faire valoir ses droits à la retraite et précisant la date d'effet de celle-ci, il peut en aller autrement dans le cas où, même s'il n'a pas encore présenté sa demande, l'agent fait état de circonstances particulières permettant de regarder le préjudice dont il se prévaut comme suffisamment certain.
8. L'âge de l'agent et la proximité de sa date de départ à la retraite sont susceptibles de constituer à ce titre des circonstances particulières.
9. Il résulte des éléments produits à ce titre que Mme A..., née le 11 mai 1960, et âgée de soixante-deux ans à la date du présent arrêt, sera éligible, en vertu des textes législatifs et réglementaires applicables à cette date, à une retraite à taux plein à l'âge de soixante-sept ans soit à compter du 1er juin 2027. Compte tenu de son âge et de la proximité de sa date de départ à la retraite, il y a lieu de regarder le préjudice de retraite dont elle se prévaut comme certain et susceptible d'ouvrir droit à indemnisation.
10. En deuxième lieu, le premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics dispose que : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court [ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni] contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".
11. Il ressort des pièces du dossier que malgré la publication des textes règlementaires obligeant la CCI de Grenoble à racheter les droits d'affiliés au régime complémentaire AGIRC-ARRCO de ses employés, ainsi qu'elle l'a fait pour la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015, Mme A..., contrairement à ce que fait valoir la CCI de Grenoble, n'a pas pu au regard des documents en sa possession, notamment ses propres bulletins de paie, s'apercevoir de la méconnaissance par la CCI de ses obligations en la matière. Il ressort en effet des bulletins produits au dossier que le libellé de la ligne correspondant aux cotisations de la tranche B du régime AGIRC-ARRCO et se bornait à indiquer " 7022 Novalis Ret TB Cad " et qu'il n'était pas loisible à Mme A... de comparer ses bulletins de paie avec ceux des autres agents pour se rendre compte de la méconnaissance de son obligation par la CCI. Par suite, elle doit être regardée comme ayant légitimement ignoré l'existence de sa créance, au sens de l'article 3 précité de la loi du 31 décembre 1968. L'exception de prescription quadriennale opposée en défense doit ainsi être écartée.
12. En troisième lieu, Mme A... a été titularisée à compter du 1er juin 2000, date à laquelle en vertu des articles 2 et 52 du statut, elle aurait dû être affiliée au régime de retraite complémentaire en litige. Par suite, et quand bien même elle occupait avant cette date un emploi permanent avec une quotité de travail supérieure à 50 %, la faute de la CCI de Grenoble constituée par l'absence de versement de la part patronale et de collecte de la part salariale afférente à la tranche T2 (ou tranche B) du régime de retraite complémentaire auquel Mme A... était affiliée ne peut ouvrir droit à une indemnisation qu'à compter de cette date. L'intéressée n'est pas fondée à se prévaloir d'une faute distincte constituée par un retard de titularisation imputable à la CCI de Grenoble dans le cadre du présent litige. Il s'ensuit que la demande de Mme A... tendant à l'indemnisation de l'absence de constitution de droits à retraite complémentaire pour la période du 1er octobre 1993 au 31 mai 2000 doit être rejetée.
13. En outre, aux termes de l'article 26 A du statut, dans sa rédaction applicable antérieurement au 22 septembre 2014 : " En ce qui concerne la retraite, le calcul d'annuités est fait en fonction de la durée effective de travail et le montant de la pension est calculée sur la base de la rémunération à temps complet. "
14. Il résulte de ces dispositions que l'assuré ayant travaillé à temps partiel doit se voir reconnaître, à l'ouverture de ses droits à pension, une durée d'assurance déterminée au prorata de ses obligations successives de service. La durée totale de période cotisée ainsi obtenue, exprimée en nombre d'annuités, est nécessairement inférieure à ce qu'elle aurait été si l'intéressée avait travaillé à temps plein - ou si elle n'avait travaillé qu'à temps plein - au cours de son affiliation. Sa pension, quoique liquidée sur la base d'un traitement à temps plein mais appliquée au nombre d'annuités déterminé selon un temps de travail incomplet, ne peut donc qu'être inférieure à celle qui lui aurait été servie s'il avait travaillé à temps plein. En revanche, les mêmes dispositions, qui régissent la liquidation des droits, non les modalités de leur acquisition, n'instaurent pas d'obligation de maintenir l'agent autorisé à travailler à temps partiel à un niveau de cotisation égal à celui du temps complet, les cotisations étant de plein droit réduites à proportion du temps travaillé. Par suite, la requérante n'est pas fondée à invoquer ces dispositions pour soutenir que la CCI aurait eu l'obligation de cotiser à la retraite complémentaire des agents employés à temps partiel, sur la base d'un temps plein.
15. En dernier lieu, s'agissant du montant du préjudice indemnisable, la CCI a produit une reconstitution, non sérieusement contestée, fondée sur les rémunérations effectivement versées durant la période litigieuse, soit du 1er juin 2000 au 31 décembre 2010, dont il résulte que Mme A... aurait dû bénéficier de la constitution de 1 012,66 points, ce qui, à la valeur du point à la date de la présente décision soit 1,2841 euro, aurait dû lui permettre de bénéficier de droits additionnels à retraite complémentaire à hauteur d'un montant annuel de 1 300,36 euros.
16. A la date du présent arrêt, Mme A... est âgée de soixante-deux ans. Eu égard au taux de capitalisation de 24,347 déterminé, pour une personne de sexe féminin âgée de soixante-deux ans, par la table de capitalisation établie par l'ONIAM pour les besoins de l'édition du 1er avril 2022 de son référentiel d'indemnisation, Mme A... peut ainsi prétendre à la somme totale de 31 659,78 euros correspondant à la capitalisation de la perte de droits à retraite complémentaire qu'elle a subie.
17. Toutefois, il résulte de l'instruction que les cotisations omises comprenaient, pour 2/3 la part patronale et pour 1/3 la part salariale. Si cette dernière n'a pas été versée à l'ARRCO pour constituer des droits à retraite complémentaire, elle n'a pas non plus été prélevée sur les salaires versés à Mme A..., constituant ainsi à son bénéfice une majoration de salaire net, qu'invoque la CCI et qui est de nature à venir en compensation du préjudice subi. Il résulte de la reconstitution financière précitée produite par la CCI en appel et non sérieusement contestée, que la part salariale des cotisations omises, pour la période litigieuse, s'élevait au montant total de 5 501 euros. Ce montant, qui a bénéficié à Mme A..., doit ainsi être déduit du préjudice indemnisable, qui s'élève dès lors à 26 158,78 euros.
18. Enfin, la somme précitée due à Mme A... doit être assortie d'intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016, date de réception de sa demande indemnitaire préalable. La capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois dans le mémoire enregistré en première instance le 26 juin 2018. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. La capitalisation doit donc intervenir au 26 juin 2018 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme A... qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la CCI de Grenoble la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CCI de Grenoble le versement à Mme A... d'une somme de 3 000 euros en application de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La chambre de commerce et de l'industrie de Grenoble versera à Mme A... la somme de 26 158,78 euros.
Article 2 : La condamnation prononcée à l'article 1er portera intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016, les intérêts étant eux-mêmes capitalisés au 26 juin 2018 puis à chaque échéance anniversaire.
Article 3 : La chambre de commerce et de l'industrie de Grenoble versera à Mme A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... et à la chambre de commerce et d'industrie de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 6 avril 2023 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre ;
Mme Dèche, présidente assesseure ;
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 avril 2023.
La rapporteure,
V. Rémy-Néris
Le président,
F. Bourrachot
La greffière,
A-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY01944
ap