Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Grenoble à lui verser la somme de 60 509 euros outre intérêts de droit à compter du 12 mai 2016, capitalisés, en indemnisation des préjudices qu'elle soutient avoir subis en raison de l'absence de cotisation de l'établissement public, pris en sa qualité d'employeur, à la tranche T2 du régime de retraite complémentaire de l'ARRCO.
Par jugement n° 1605020 lu le 20 décembre 2018, le tribunal n'a fait droit à sa demande qu'à hauteur de 13 000 euros, tous intérêts compris.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 20 février 2019 et le 25 novembre 2019 (non communiqué), Mme A..., représentée par Me C..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement en ce qu'il limite à 13 000 euros, tous intérêts compris, la condamnation de la CCI de Grenoble ;
2°) de porter la condamnation de la CCI de Grenoble à la somme de 59 594 euros, dont 49 594 euros assortis des intérêts au taux légal à compter 12 mai 2016, capitalisés au 12 septembre 2017 puis à chaque échéance annuelle, subsidiairement, d'enjoindre sous astreinte journalière de 100 euros au président de la CCI de Grenoble de régulariser sa situation individuelle par le versement des parts patronales et salariales des cotisations de retraite complémentaire de la tranche T2 auprès de l'AGIRC-ARRCO ;
3°) de mettre à la charge de la CCI de Grenoble une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- sa requête, qui contient une critique du jugement attaqué, est recevable ;
- en s'estimant exemptée de cotiser à la tranche T2, alors qu'il s'agit d'une obligation découlant de l'article 52 du statut général et en différant illégalement la titularisation des contractuels occupant un emploi permanent, ce qui aurait eu pour effet de leur ouvrir droit à ce régime de retraite complémentaire, la CCI de Grenoble a commis des fautes intentionnelles et discriminatoires de nature à justifier une indemnisation ;
- ne saurait lui être opposée la prescription quadriennale aux droits nés antérieurement à la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015, régularisée rétroactivement, le décompte des délais ne devant être effectué, non pas à l'échéance de chaque cotisation, mais à la date où le dommage apparaît dans toute son étendue, c'est-à-dire à la date de liquidation des droits à pension de retraite, ou bien à compter de la connaissance de l'existence de la créance soit, en juin 2015 ;
- la créance doit être liquidée depuis son embauche, le 1er octobre 1991, ou a minima depuis le 31 décembre 1997, date à laquelle elle aurait dû être titularisée en vertu des articles 1er et 2 du statut et le nouveau régime de rémunération des agents non titulaires aurait dû être fixé en application de l'article 50 ter de l'arrêté du 25 juillet 1997 ;
- ces préjudices, caractérisés par la perte de constitution des droits à pension et la perte de chance de bénéficier d'une retraite plus élevée, présentent un caractère certain ;
- le préjudice financier afférent à la période du 1er octobre 1991 au 31 décembre 2010 est calculé d'après le nombre de points perdus, au prorata du temps partiel, soit 1 922, multipliés par la valeur du point, soit 1,2588 euros ; la minoration de la pension de retraite ainsi obtenue est multipliée par 20,5 correspondant au nombre d'années d'espérance de vie à soixante-sept ans, âge d'éligibilité à une retraite à taux plein, soit 49 594 euros ;
- ce préjudice doit être liquidé selon une quotité de travail égale à un temps plein, en application de l'article 26 A du statut ;
- subsidiairement, ces préjudices peuvent être réparés par le rachat des cotisations auprès du gestionnaire du régime de retraite dont ne saurait être déduite la part salariale qui a donné lieu à paiement d'impôt sur le revenu ;
- le mauvais vouloir du défendeur lui a causé un préjudice moral de 10 000 euros.
Par mémoire enregistré le 8 août 2019, la CCI de Grenoble, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement n° 1605020 lu le 20 décembre 2018 en ce qu'il la condamne à verser à Mme A... la somme de 13 000 euros et de rejeter la demande indemnitaire présentée au tribunal par celle-ci, subsidiairement de limiter sa condamnation à la somme de 19 890 euros ;
2°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête, dépourvue de critique du jugement, n'est pas motivée ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé et est entaché d'omission à statuer sur les arguments appuyant l'exception de forclusion ;
- le caractère délibéré de la faute est sans incidence sur l'engagement de la responsabilité ;
- la créance litigieuse, née antérieurement au 1er janvier 2011, est prescrite en application des articles 1er et 3 de la loi du 31 décembre 1968, l'appelante ne pouvant être regardée comme l'ayant ignoré légitimement en raison de la publication du statut général dont l'article 52 met à la charge des CCI le paiement des cotisations de retraite complémentaire, lesquelles ne figuraient pas sur les bulletins de paie ce qui permettait de relever l'anomalie de la situation ;
- subsidiairement, Mme A... n'ayant été titularisée qu'au 1er mars 2006, elle ne répondait pas à la condition posée par l'article 2 du règlement de prévoyance sociale pour bénéficier d'une affiliation avant cette date ;
- aucune disposition ne fait obligation à l'employeur de calculer les cotisations sur la base d'un temps plein, notamment pas l'article 26 A du statut qui ne concerne que le calcul des annuités et la liquidation de la pension ;
- le préjudice tiré de la minoration des droits à pension présente un caractère éventuel ;
- rien n'établit que l'intéressée puisse prétendre à une retraite à taux plein ; la part salariale doit être déduite ;
- le préjudice moral n'est établi ni dans son principe ni dans son montant.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du commerce ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010, notamment le III de l'article 40 ;
- le statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie ;
- le règlement intérieur de l'assemblée des chambres françaises de commerce et de l'industrie, des chambres de commerce et de l'industrie de région, des chambres de commerce et de l'industrie territoriales et des groupements inter-consulaires, approuvé le 5 mars 1997 et modifié, en dernier lieu, par délibération de la commission paritaire nationale adoptée le 5 mars 1997, approuvé par arrêté du 25 juillet 1997 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
- le règlement de prévoyance sociale et de retraite du personnel administratif des chambres de commerce homologué par arrêté ministériel du 25 mai 1956, modifié, en dernier lieu, le 17 décembre 2001 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Arbarétaz, président ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me C... pour Mme A..., ainsi que celles de Me D... pour la CCI de Grenoble ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., recrutée sous contrat, le 1er octobre 1991, par la CCI de Grenoble pour exercer des fonctions d'enseignante à temps partiel, a été titularisée au 1er juin 2000 et continue d'exercer les mêmes fonctions, à temps plein depuis le 1er septembre 2007. Alertée par la voie syndicale de ce que son employeur ne s'était pas acquitté de la part patronale (2/3 de la cotisation) et n'avait pas non plus collecté la part salariale (1/3 de la cotisation) afférente à la tranche T2 (ou tranche B) du régime de retraite complémentaire à laquelle étaient affiliés jusqu'en 2015 les personnels d'encadrement et d'enseignement statutaires des chambres de commerce, Mme A... a présenté, en mai 2016, une demande d'indemnisation de la perte des points de retraite complémentaire et de la minoration de sa future pension de retraite complémentaire. Le 7 juillet 2016, le président a rejeté sa demande au motif que l'établissement avait rétroactivement acquitté auprès de l'ARRCO, gestionnaire du régime, les cotisations afférentes à la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015 en prenant à sa charge la part salariale et a opposé la prescription quadriennale à la créance née antérieurement à 2011. Mme A... relève appel du jugement du 20 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a limité à 13 000 euros tous intérêts compris la condamnation de la CCI de Grenoble à l'indemniser de la perte de chance de percevoir une pension de retraite complémentaire plus élevée du fait de l'absence de rachat des droits afférents à la période du 1er octobre 1991 au 31 décembre 2010. La CCI de Grenoble relève appel incident du jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser ladite somme.
Sur l'appel de Mme A... et l'appel incident de la CCI de Grenoble :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la CCI de Grenoble :
En ce qui concerne la régularité du jugement, en ce qu'il condamne la CCI de Grenoble :
2. Alors qu'il indemnise le préjudice financier constitué par la perte de chance de percevoir la différence entre une pension qui aurait pu être liquidée sur la totalité de la période cotisée et la pension future qui sera liquidée sur les droits reconstitués à compter de janvier 2011, le tribunal n'expose ni le chiffrage des deux termes de l'opération qui lui ont permis, par imputation du second sur le premier, de dégager une minoration de pension ni l'ampleur de la réfaction liée à la perte de chance, de telle sorte qu'il n'est pas possible d'appréhender ce qui l'a conduit à prononcer une condamnation de 13 000 euros. Il suit de là que la CCI de Grenoble est fondée à soutenir que le jugement attaqué, qui ne répond pas aux exigences de l'article L. 9 du code de justice administrative, n'est pas motivé et doit être annulé en tant qu'il la condamne à verser à Mme A... la somme de 13 000 euros.
3. Il y a lieu, pour la cour, d'évoquer la demande de condamnation présentée par Mme A... à hauteur de 13 000 euros et d'examiner le surplus de la demande par la voie de l'effet dévolutif de l'appel.
En ce qui concerne le fond du litige :
S'agissant de la faute de la CCI de Grenoble :
4. La CCI de Grenoble ne conteste pas avoir méconnu les dispositions de l'article 52 du statut général susvisé et du règlement de prévoyance sociale susvisés qui lui faisaient obligation de collecter les cotisations de la tranche T2 liquidée sur la part de traitement excédant le plafond du régime général, pour les reverser à l'ARRCO (devenue l'AGIRC-ARRCO) afin d'assurer la retraite complémentaire des personnels statutaires d'encadrement et d'enseignement, catégorie dont relève Mme A... depuis le 1er juin 2000, date de sa titularisation faute de mise au stage antérieure. Elle doit donc répondre des conséquences dommageables de cette faute.
5. Toutefois et d'une part, en admettant que Mme A... ait eu vocation, à raison de la permanence de ses fonctions, à être titularisée avant le 1er juin 2000, elle ne l'a été qu'à cette date si bien qu'au regard des articles 2 et 52 du statut, la CCI n'a pu commettre de faute en ne l'affiliant pas à un régime dont elle ne relevait pas antérieurement. Il suit de là que la CCI ne doit répondre des conséquences de la faute analysée au point 4 qu'à compter du 1er juin 2000 et que la demande de Mme A... tendant à l'indemnisation de l'absence de constitution de droits à retraite complémentaire pour la période du 1er octobre 1991 au 31 mai 2000, qu'elle chiffre à 17 880 euros, doit d'ores et déjà être rejetée.
6. D'autre part, l'engagement de la responsabilité pour faute - qui vise à indemniser la victime du dommage, non à en sanctionner l'auteur - est conditionné par le caractère réel, direct et certain des chefs de préjudice découlant de cette faute, sans égard à l'intention de l'employeur public. Le mauvais vouloir que Mme A... impute à la CCI de Grenoble est, dès lors, sans incidence sur le montant de la condamnation susceptible d'être prononcée au titre de la période postérieure au 1er juin 2010 demeurant en litige.
S'agissant des préjudices financiers afférents à la période du 1er juin 2000 au 31 décembre 2010 :
7. Le régime d'assurance vieillesse reposant sur l'aléa d'un départ à la retraite et Mme A... n'ayant pas encore été admise à faire valoir ses droits à la retraite, le préjudice de 31 715 euros (réduit au prorata de la quotité de service) dont elle demande l'indemnisation et qui résulterait de la minoration de la pension complémentaire qui lui serait servie, estimé sur la base du nombre de points perdus en raison du défaut de cotisation à la tranche T2, de la valeur unitaire du point et de son espérance de vie à l'entrée en jouissance d'une pension à taux plein, présente un caractère éventuel et ne saurait donc donner lieu à réparation. La demande qu'elle a présentée de ce chef doit, dès lors, être rejetée.
8. Mme A... demande, il est vrai, que la CCI de Grenoble soit condamnée à racheter les droits afférents à la période non cotisée, considérée comme prescrite par l'employeur. Ce préjudice qu'elle subit en sa qualité d'affiliée au régime de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO et qui se traduit par un déficit de cotisation sur la période litigieuse découle directement de la faute de son employeur et présente un caractère certain, dès lors que le capital de points constitué est inférieur à ce qu'il devrait être.
9. Toutefois et d'une part, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait à la CCI de Grenoble de cotiser à la retraite complémentaire de Mme A..., alors employée à temps partiel, sur la base d'un temps plein. Il suit de là qu'elle ne peut être regardée comme créancière que de l'arriéré de cotisations liquidée au prorata des quotités de service auxquelles elle a été successivement soumise. Ne saurait être utilement invoqué l'article 26 A du statut général des personnels titulaires de chambres consulaires qui traite des modalités de liquidation de la pension des agents employés à temps partiel admis à faire valoir leur droit à la retraite, non de leurs cotisations au régime d'assurance vieillesse.
10. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 susvisée : " Sont prescrites, au profit de l'État (...), et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ", et aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir (...) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance (...) ".
11. Dès lors qu'avaient été publiés les textes règlementaires susvisés permettant à Mme A... d'obtenir de son employeur, ainsi qu'elle l'a fait pour la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015, le rachat de ses droits d'affilié au régime complémentaire AGIRC-ARRCO, il lui appartenait, si elle s'y croyait fondée, d'en demander le bénéfice au titre des services d'enseignant titulaire qu'il avait accomplis du 1er juin 2000 au 31 décembre 2010. Il suit de là que, quelle que soit la complexité de ce régime, elle ne peut être regardée comme ayant légitimement ignoré l'existence de sa créance, au sens de l'article 3 précité de la loi du 31 décembre 1968. Par ce motif, la CCI de Grenoble est fondée à soutenir que la créance que Mme A... détient sur elle, correspondant au prix de rachat des deux-tiers des cotisations mensuelles, était entièrement prescrite en 2016, année au cours de laquelle l'intéressée lui en a demandé le paiement, tandis que le troisième tiers, correspondant à la part de l'agent, aurait dû être prélevé sur son traitement et n'est pas constitutif d'un préjudice, alors même que l'impôt sur le revenu a été acquitté sur ladite somme.
S'agissant du préjudice moral :
12. Les démarches accomplies auprès de l'employeur pour qu'il répare les conséquences de ses erreurs de gestion sont constitutives de désagréments, non de lésions à la santé, à la dignité ou à l'honneur. Il suit de là que Mme A... n'établit pas la réalité du préjudice moral qu'elle allègue avoir subi et qu'elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande d'indemnisation qu'elle chiffre à 10 000 euros.
13. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que Mme A... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté la demande de condamnation de la CCI de Grenoble à lui verser une indemnité supplémentaire de 46 594 euros, outre intérêts capitalisés, d'autre part, que la CCI de Grenoble est fondée à demander, outre l'annulation partielle du jugement attaqué, le rejet de la demande de condamnation à hauteur de 13 000 euros et qu'en conséquence, la demande de condamnation ou d'injonction présentée au tribunal par Mme A... doit être rejetée en totalité.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les conclusions présentées par Mme A..., partie perdante, doivent être rejetées, tandis qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la CCI de Grenoble.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1605020 du tribunal administratif de Grenoble lu le 20 décembre 2018, en ce qu'il condamne la CCI de Grenoble à verser à Mme A... la somme de 13 000 euros, est annulé.
Article 2 : La demande indemnitaire présentée par Mme A... contre la CCI de Grenoble à hauteur de 13 000 euros et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la CCI de Grenoble est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la chambre de commerce et d'industrie de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 25 février 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mars 2021.
N° 19LY00680 2