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27/02/2020 | FRANCE | N°19LY02569

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 27 février 2020, 19LY02569


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'État à lui verser les sommes de 500 000 euros au titre de ses préjudices professionnel et financier, 40 000 euros au titre de son préjudice moral et 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par jugement n° 1402086 du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Par arrêt n° 16LY00624 du 5 octobre 2017, la cour a annulé ce jugement e

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'État à lui verser les sommes de 500 000 euros au titre de ses préjudices professionnel et financier, 40 000 euros au titre de son préjudice moral et 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par jugement n° 1402086 du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Par arrêt n° 16LY00624 du 5 octobre 2017, la cour a annulé ce jugement et a condamné l'État à verser à Mme B... une somme de 15 000 euros en réparation des préjudices subis.

Par décision no 416268 du 1er juillet 2019, le Conseil d'État a annulé cet arrêt en tant qu'il écartait l'existence d'une faute de l'administration à raison de la communication qui avait été faite à Mme B... par cette dernière d'informations erronées, en tant qu'il omettait de statuer sur l'existence d'une faute à raison de la discrimination invoquée par Mme B... et en tant qu'il fixait à 15 000 euros le montant du préjudice subi par Mme B..., et a renvoyé à la cour, dans cette mesure, le jugement de l'affaire, désormais enregistrée sous le n° 19LY02569.

Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'État

Par mémoire enregistré le 3 octobre 2019, présenté pour Mme B..., elle maintient les conclusions de sa requête, par les mêmes moyens, tout en chiffrant à 504 856 euros les indemnités réclamées en réparation des préjudices subis et à 5 000 euros la somme réclamée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle est fondée à réclamer une somme de 25 040 euros en réparation de la faute liée à la perte de chance d'effectuer son stage, la somme de 369 816 euros en réparation de la faute liée à la perte de chance de n'avoir pu effectuer sa carrière, la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice lié à la communication d'informations erronées et tardives, et la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice moral lié à la discrimination en raison de sa maladie et au trouble dans ses conditions d'existence.

Par mémoire enregistré le 25 octobre 2019, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun moyen soulevé par la requérante n'est fondé.

Par mémoire enregistré le 4 novembre 2019, Mme B... maintient les conclusions de sa requête par les mêmes moyens, tout en chiffrant à 549 142,17 euros l'indemnité réclamée, à titre principal, au titre du préjudice économique tiré de la perte de chance d'être titularisée, à 319 110,82 euros, l'indemnité réclamée à titre subsidiaire au titre de l'incidence professionnelle et à 50 000 euros l'indemnité réclamée en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le code de l'éducation ;

- le décret n° 95-979 du 25 août 1995 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Seillet, président assesseur ;

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;

- les observations de Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a été recrutée par contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2009, en qualité de maître délégué de l'enseignement privé sous contrat par le recteur de l'académie de Clermont-Ferrand. Ayant été placée en congé de maladie à compter du 22 février 2011 et reconnue travailleur handicapée, le 14 avril 2011, par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de l'Allier, Mme B... a sollicité le bénéfice des dispositions de l'article 27 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État. Par un contrat d'un an daté du 14 décembre 2011 avec effet au 1er septembre 2011, Mme B... a été recrutée, sur le fondement de l'article R. 914-33 du code de l'éducation, en qualité de maître de l'enseignement privé sous contrat. Par un arrêté du 1er septembre 2012, le recteur de l'académie de Clermont-Ferrand a renouvelé la période de stage de Mme B... pour une durée d'un an, alors que celle-ci était toujours en situation de congé longue maladie. Le recteur n'ayant pas renouvelé cette relation contractuelle à l'échéance du 31 août 2013, Mme B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'État à lui verser les sommes de 500 000 euros en réparation des préjudices professionnel et financier qu'elle aurait subis et de 40 000 euros en raison de son préjudice moral. Par un jugement du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Par un arrêt du 5 octobre 2017, la cour a annulé ce jugement et a condamné l'État à verser à Mme B... une somme de 15 000 euros en réparation des préjudices subis. Par la décision susmentionnée du 1er juillet 2019, le Conseil d'État, à la demande de Mme B... et du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, a annulé l'arrêt de la cour du 5 octobre 2017 en tant qu'il écartait l'existence d'une faute de l'administration à raison de la communication qui avait été faite à Mme B... par cette dernière d'informations erronées, en tant qu'il omettait de statuer sur l'existence d'une faute à raison de la discrimination invoquée par Mme B... et en tant qu'il fixait à 15 000 euros le montant du préjudice subi par Mme B..., et a renvoyé à la cour, dans cette mesure, le jugement de l'affaire.

Sur l'existence d'une faute à raison d'une discrimination à l'encontre de Mme B... :

2. Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

3. Il résulte de l'instruction et, en particulier de courriels échangés au début de l'année 2013, que l'administration a conseillé à Mme B... de s'orienter vers une demande de reconnaissance d'une situation d'invalidité, en lui assurant que cela ne nuirait pas à sa carrière et lui annonçant qu'elle ne pourrait être que suppléante, et non titulaire, en l'absence de suivi d'un stage nécessaire à sa " titularisation ". Il n'en résulte pas qu'en lui prodiguant ce conseil adapté à son état de santé, l'administration aurait exprimé une volonté de la désavantager. Dès lors, en dépit de ce que Mme B... se prévaut de ce que le refus de lui permettre d'accomplir effectivement le stage qui seul lui aurait ensuite le cas échéant permis d'obtenir un contrat définitif serait empreint de discrimination à raison de son état de santé, les éléments de fait ainsi soumis à la cour ne sont pas susceptibles de faire présumer une atteinte au principe de l'égalité de traitement des personnes. Par suite, l'existence d'une discrimination fondée sur l'état de santé de Mme B... n'est pas établie et la requérante ne peut donc demander une indemnisation à ce titre.

Sur l'existence d'une faute à raison de la communication d'informations erronées à Mme B... :

4. Il résulte de l'instruction, d'une part, que les bulletins de paie de Mme B... portaient la mention, durant la période litigieuse, " contrat définitif " et que ce n'est que par courriel du 1er mars 2013 que l'administration l'a informée de ce que les stagiaires bénéficiaires de l'obligation d'emploi devaient être considérés comme des agents non-titulaires, d'autre part, que le contrat d'enseignement provisoire pour la période du 1er septembre 2011 au 31 août 2012 et l'arrêté de renouvellement de stage pour la période du 1er septembre 2012 au 31 août 2013 n'ont été transmis à Mme B... que par bordereau du 28 février 2013. En délivrant à Mme B..., qui avait été placée durant cette période en congé de longue maladie, de telles informations erronées, qui avaient pu l'induire en erreur sur sa situation administrative, l'administration a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'État. Il y a donc lieu d'entrer en voie d'examen des préjudices invoqués.

5. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la seule délivrance par l'administration d'informations erronées à Mme B..., qui avaient pu l'induire en erreur sur sa situation administrative, pour fautive qu'elle soit, ait revêtu un caractère vexatoire susceptible d'avoir causé un préjudice moral à l'intéressée, qui au demeurant n'avait alors pas accompli le stage nécessaire à la signature d'un contrat définitif. Les conclusions de la requérante tendant à l'indemnisation d'un tel préjudice doivent dès lors être rejetées.

6. En deuxième lieu, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de la réparation due à Mme B... en condamnant l'État à lui verser une indemnité de 15 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle a subi du fait de la faute résultant du refus de l'administration de lui permettre, à l'issue de ses congés de longue maladie, d'accomplir effectivement le stage qui seul lui aurait ensuite le cas échéant permis d'obtenir un contrat définitif.

7. En dernier lieu, Mme B... demande également la réparation de ses préjudices professionnel et financier. Toutefois, il résulte, en particulier, d'un certificat médical du médecin traitant de la requérante, en date du 4 avril 2016, produit par cette dernière, que son état de santé ne lui permettait pas de reprendre une activité professionnelle. Dès lors, il ne résulte pas de l'instruction que l'état de santé de Mme B... postérieur à la fin de son contrat provisoire lui aurait permis par la suite d'effectuer le stage nécessaire à l'obtention d'un contrat définitif. Par suite, il n'en résulte pas davantage que les fautes commises par l'administration, d'une part, en lui fournissant des informations erronées sur sa situation et, d'autre part, en refusant de lui permettre, à l'issue de ses congés de longue maladie, d'accomplir effectivement le stage nécessaire à l'obtention d'un contrat définitif, l'aurait privée d'une chance sérieuse de pouvoir effectuer ce stage et, par suite, d'obtenir un tel contrat lui permettant d'envisager une carrière professionnelle. Mme B... ne peut donc réclamer l'indemnisation d'un préjudice professionnel et financier.

8. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à demander la condamnation de l'État à lui verser une indemnité d'un montant total de 15 000 euros en réparation du préjudice moral résultant de la faute commise par l'État en refusant de lui permettre, à l'issue de ses congés de longue maladie, d'accomplir effectivement le stage nécessaire à l'obtention d'un contrat définitif.

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme au titre des frais exposés par Mme B... à l'occasion de la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : L'État est condamné à verser à Mme B... une indemnité d'un montant total de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré après l'audience du 6 février 2020 à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Burnichon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 février 2020.

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N° 19LY02569

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY02569
Date de la décision : 27/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

30-02-07 Enseignement et recherche. Questions propres aux différentes catégories d'enseignement. Établissements d'enseignement privés.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : SAGON

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-02-27;19ly02569 ?
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