Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B...C...a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'État à lui verser les sommes de 500 000 euros au titre de ses préjudices professionnel et financier, 40 000 euros au titre de son préjudice moral et 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par le jugement n° 1402086 du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et trois mémoires enregistrés respectivement les 16 février 2016, 6 janvier, 8 mars et 18 avril 2017, MmeC..., d'abord représentée par Me A... puis par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand et de faire entièrement droit à sa requête :
2°) de condamner l'État à lui verser les sommes de 500 000 euros au titre du préjudice professionnel et financier lié à la perte de son statut, des droits et des possibilités de carrière attachés à celui-ci, de 40 000 euros au titre du préjudice moral subi, et de 20 000 euros au titre de la discrimination qu'elle a indéniablement subie du fait de sa maladie et qui a conduit à la perte de ses droits ;
3°) de mettre à la charge de l'État les entiers dépens en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme C... soutient que :
- la décision rejetant sa demande d'indemnisation n'est pas motivée et devra de ce fait être annulée ;
- elle a bénéficié le 14 décembre 2011 d'un contrat d'enseignement provisoire en qualité de " professeur stagiaire de l'enseignement public du corps des bénéficiaires de l'obligation d'emploi ", alors qu'elle était déjà en arrêt maladie depuis février 2011, ce contrat a été renouvelé pour un an du 1er septembre 2012 au 31 août 2013 alors qu'elle est toujours en congé longue maladie ; l'administration a agi comme si elle bénéficiait d'un contrat définitif ;
- elle a été recrutée sur la base du décret du 25 août 1995, son stage ne pouvait donc être interrompu sans violer les dispositions des articles 7.2 et 27 de ce texte, il devait être prolongé conformément à son statut de stagiaire ; la loi ne pose pas de condition tenant à un début d'exécution du contrat pour être applicable ; en rompant son stage, le recteur a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'État ;
- subsidiairement, si la cour confirmait le raisonnement des premiers juges, elle devrait aussi constater que le recteur, en la recrutant sous statut "B.O.E." en septembre 2011 puis en renouvelant son contrat en septembre 2012, a commis une faute et ce d'autant plus que ses agissements, durant plus de 2 ans l'ont confortée " dans son statut de maintien à l'emploi sur son poste vacant au titre du handicap " ;
- les agissements du rectorat qui ont abouti à une rupture de son contrat en raison de sa pathologie sont constitutifs d'une discrimination caractérisée ;
- son préjudice financier et moral est largement établi par les pièces qu'elle verse au dossier ; en outre, son état de santé a gravement été altéré du fait de ses problèmes administratifs et financiers ;
- dès la première instance, elle avait relevé la faute de l'administration à ne pas avoir renouvelé son stage.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 10 février et le 27 mars 2017, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut à la confirmation du jugement attaqué et au rejet de la requête de Mme C....
Le ministre fait valoir que :
- le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision portant rejet d'une demande d'indemnisation préalable dont le seul objet est de lier le contentieux, est inopérant ;
- Mme C... n'a jamais été " titularisée " ni irrégulièrement évincée du service, elle n'a jamais bénéficié d'un contrat définitif ; elle a été recrutée par contrat provisoire d'un an en qualité de maître de l'enseignement privé, conformément à l'article R. 914-33 du code de l'éducation qui prévoit une période probatoire d'une année, renouvelable une fois ;
- Mme C... n'a jamais exercé les fonctions pour lesquelles elle avait été recrutée en raison de son placement en congé de longue maladie dès le premier jour de son contrat ; elle n'a donc jamais accompli de période probatoire et ne pouvait obtenir de contrat définitif à l'issue de la prolongation de son contrat le 31 août 2013 ;
- en ne lui délivrant pas de contrat définitif à l'issue de la prolongation de son contrat provisoire, l'administration n'a commis aucune faute ;
- les conclusions de Mme C... par lesquelles elle demande, pour la première fois en appel, réparation du préjudice que lui aurait causé l'administration en ne prolongeant pas sa période probatoire sont irrecevables puisqu'elles se fondent sur un fait générateur nouveau ; en outre, le préjudice qu'elle invoque sur ce fondement est incertain et sans lien de causalité directe avec la faute qu'aurait commise l'administration.
Le Défenseur des droits a produit des observations qui ont été enregistrées le 14 février 2017.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 94-874 du 7 octobre 1994 ;
- le décret n° 95-979 du 27 août 1995 ;
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gondouin,
- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,
- les observations de Mme C... ;
1. Considérant que, par contrat conclu le 22 septembre 2009, Mme C... a été recrutée par le rectorat de l'académie de Clermont-Ferrand en qualité de maître délégué de l'enseignement privé en économie et sciences de gestion pour une durée d'un an ; que ce contrat a été reconduit pour la même durée à compter du 1er septembre 2010 ; que Mme C... a été placée en congé maladie le 22 février 2011 ; que la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de l'Allier lui a reconnu la qualité de travailleur handicapé le 14 avril 2011 ; que, par un courrier du 18 avril 2011 adressé au rectorat, Mme C... a demandé à bénéficier des dispositions du décret du 25 août 1995 pris pour l'application de l'article 27 de la loi du 11 janvier 1984 sur l'obligation d'emploi des personnes handicapées ; que l'administration l'a invitée à signer, le 14 décembre 2011, un contrat d'enseignement provisoire sur le fondement des dispositions de l'article R. 914-33 du code de l'éducation ; que, par un arrêté du 1er septembre 2012, le recteur a prononcé le renouvellement de sa période probatoire pour une durée d'un an, sans la renouveler à nouveau à son terme en septembre 2013 ; qu'après avoir saisi l'administration d'une demande d'indemnisation par un courrier du 28 juillet 2014, Mme C... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'État à lui verser la somme de 500 000 euros en réparation de ses préjudices professionnel et financier et celle de 40 000 euros en raison de son préjudice moral ; que Mme C... relève appel du jugement du 17 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande ;
Sur la responsabilité de l'État :
2. Considérant, d'une part, qu'en vertu du paragraphe II de l'article 27 de la loi ci-dessus visée du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, les travailleurs reconnus handicapés par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées peuvent être recrutés " en qualité d'agent contractuel dans les emplois de catégories A, B et C pendant une période correspondant à la durée de stage prévue par le statut particulier du corps dans lequel [ ils ] ont vocation à être titularisées. Le contrat est renouvelable, pour une durée qui ne peut excéder la durée initiale du contrat. A l'issue de cette période, les intéressés sont titularisés sous réserve qu'ils remplissent les conditions d'aptitude pour l'exercice de la fonction " ; que l'article 6 du décret ci-dessus visé du 25 août 1995, relatif au recrutement des travailleurs handicapés dans la fonction publique pris pour l'application de cet article 27 précise que : " Les agents bénéficient d'une formation au cours du contrat, dont les modalités et les conditions sont fixées par chaque administration. / Ils font en outre l'objet d'un suivi personnalisé visant à faciliter leur insertion professionnelle. / Lorsque ces agents suivent la formation initiale prévue par le statut particulier du corps dans lequel ils ont vocation à être titularisés, l'examen de leur aptitude professionnelle intervient, dans les conditions fixées à l'article 8, au moment où est examinée l'aptitude professionnelle des fonctionnaires stagiaires du corps avant leur titularisation. / Le déroulement du contrat fait l'objet d'un rapport d'appréciation établi par le supérieur hiérarchique et, le cas échéant, par le directeur de l'organisme ou de l'établissement de formation. Ce rapport est intégré au dossier individuel de l'agent " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'en vertu de l'article R. 914-32 du code de l'éducation applicable au stage que doivent effectuer les maîtres de l'enseignement privé sous contrat dans le second degré dans le cadre de leur concours de recrutement, " les candidats admis qui remplissent les conditions de diplômes et de certificats exigées des candidats des concours correspondants de l'enseignement public accomplissent un stage d'une durée d'un an, avec l'accord du chef de l'établissement dans lequel ils sont nommés. Au cours de leur stage, ils bénéficient d'une formation dispensée (...) sous la forme d'actions organisées dans un établissement d'enseignement supérieur, d'un tutorat, ainsi que le cas échéant d'autres types d'actions d'accompagnement (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 914-33 du même code : " L'année de stage prévue à l'article R. 914-32 donne lieu à un contrat provisoire signé par le recteur. Toutefois, les maîtres qui, à la date du concours, bénéficiaient d'un contrat continuent à être régis par ce contrat pendant une période probatoire d'un an. Pendant la période de stage, les maîtres sont rémunérés sur l'échelle de rémunération afférente à la catégorie de maître au titre de laquelle ils ont concouru. Les maîtres ayant obtenu un contrat provisoire bénéficient des dispositions du décret n° 94-874 du 7 octobre 1994 fixant les dispositions communes applicables aux stagiaires de l'Etat et de ses établissements publics, à l'exception de celles relatives au détachement et à la discipline " ; que l'article R. 914-34 du même code prévoit qu'à l'issue du stage, les candidats admis qui justifient des certificats exigés des candidats des concours correspondants de l'enseignement public se voient délivrer un contrat définitif par le recteur et que la délivrance de ce contrat définitif confère le certificat d'aptitude aux fonctions d'enseignement dans les établissements d'enseignement privés du second degré ; que l'article R. 914-35 permet le renouvellement du contrat provisoire pour un an pour les candidats qui, à l'issue de l'année de stage, n'obtiennent pas ce certificat d'aptitude ;
4. Considérant, en premier lieu, que, d'une part, ainsi qu'il a été dit au point 1, Mme C..., après que la CDAPH de l'Allier lui a reconnu la qualité de travailleur handicapé le 14 avril 2011, a demandé à bénéficier des dispositions de l'article 27 de la loi du 11 janvier 1984 et de son décret d'application du 25 août 1995 ; qu'elle a signé un contrat d'enseignement provisoire daté du 14 décembre 2011, conclu sur le fondement des dispositions de l'article R. 914-33 du code de l'éducation, pour une durée d'un an, alors qu'elle était en congé maladie ; que, par un arrêté du 1er septembre 2012, conformément à ce que prévoit l'article R. 914-35 du même code, son contrat a été renouvelé pour une durée d'un an, alors qu'elle était désormais en congé pour longue maladie ; que les dispositions du code de l'éducation applicables à Mme C..., si elles prévoyaient la possibilité de conclure avec elle un "contrat définitif " ne permettaient en tout état de cause pas de la titulariser, dès lors qu'elle n'exerçait pas dans l'enseignement public ; que la conclusion d'un contrat définitif, ainsi qu'il résulte des dispositions précitées du code de l'éducation, ne pouvait intervenir qu'après une période probatoire de formation ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que Mme C... a pu suivre une telle formation ou en a été expressément dispensée ; que, dès lors, en ne concluant pas avec elle un contrat définitif, le recteur de l'académie de Clermont-Ferrand n'a pas méconnu les dispositions précitées ni, en tout état de cause, mis fin de façon abusive à son statut de professeur titulaire ; que, d'autre part, les erreurs matérielles que l'administration a pu commettre, notamment en mentionnant sur ses bulletins de salaire qu'elle avait un contrat définitif, hypothèse contredite par la réalité des liens l'unissant à son employeur, ne sauraient constituer des fautes de nature à engager la responsabilité de l'État ;
5. Considérant, en second lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 7-2 du décret du 25 août 1995 précité : " Quand, du fait des congés successifs de toute nature autres que le congé annuel, le contrat a été interrompu, celui-ci est prolongé dans les conditions de prolongation de la période de stage prévues à l'article 27 du décret n° 94-874 du 7 octobre 1994 susmentionné " ; qu'aux termes de l'article 27 du décret ci-dessus visé du 7 octobre 1994 fixant les dispositions communes applicables aux stagiaires de l'État et de ses établissements publics : " Quand, du fait des congés successifs de toute nature, autres que le congé annuel, le stage a été interrompu pendant au moins trois ans, l'intéressé doit, à l'issue du dernier congé, recommencer la totalité du stage qui est prévu par le statut particulier en vigueur. / Si l'interruption a duré moins de trois ans, l'intéressé ne peut être titularisé avant d'avoir accompli la période complémentaire de stage qui est nécessaire pour atteindre la durée normale du stage prévu par le statut particulier en vigueur " ;
6. Considérant que Mme C..., ainsi qu'il a été dit au point 4, a dû interrompre ses fonctions d'enseignante à compter du 22 février 2011, en raison de sa maladie ; qu'il est constant qu'elle n'a pu, de ce seul fait, accomplir le stage qui lui était réglementairement imposé par les dispositions précitées applicables à sa situation du code de l'éducation et sur le fondement desquelles l'administration avait contracté avec elle ; que, dans les circonstances de l'espèce, en ne permettant pas à Mme C..., à l'issue de ses congés de longue maladie, d'accomplir effectivement le stage qui seul lui aurait ensuite le cas échéant permis d'obtenir un contrat définitif, l'administration a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; que cette faute, contrairement à ce que soutient le ministre, relève de la même cause juridique que celle, initialement invoquée, tenant au non-renouvellement fautif de son contrat ;
7. Considérant que Mme C...soutient que la décision fautive du rectorat lui a causé divers préjudices dont elle demande réparation à hauteur de 500 000 euros pour les préjudices professionnels et matériels, 40 000 euros pour le préjudice moral et 20 000 euros pour la discrimination subie du fait de sa maladie ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'ensemble des préjudices dont Mme C...demande ainsi réparation, et qui sont principalement en lien avec la grave affection dont elle a été atteinte, présentent pour le montant qu'elle allègue un lien direct et certain avec la faute de l'administration mentionnée au point 6, et qui n'a trait qu'à la privation de la possibilité d'accomplir une période probatoire complète avant une éventuelle pérennisation de ses fonctions ; qu'au vu de l'ensemble des pièces du dossier, il sera fait une juste appréciation des seuls chefs de préjudice qui présentent un lien direct de causalité avec cette faute en les évaluant à la somme globale de 15 000 euros ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté l'ensemble de sa demande tendant à ce que l'État soit condamné à réparer ses préjudices ;
Sur les conclusions présentées au titre des articles R. 761-1 et L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 761-1 de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État./ Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties./ L'État peut être condamné aux dépens " ; que la présente instance n'a entraîné pour Mme C... aucune charge susceptible d'être incluse dans les dépens ; que ses conclusions tendant au remboursement des dépens ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;
10. Considérant, d'autre part, qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'État, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 000 euros à verser à Mme C... ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand n° 1402086 du 17 décembre 2015 est annulé.
Article 2 : L'État versera à Mme C... la somme de 15 000 euros en réparation des préjudices subis.
Article 3 : L'État versera à Mme C... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...C...et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Copie en sera adressée au Défenseur des droits.
Délibéré après l'audience du 14 septembre 2017 où siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Gondouin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 octobre 2017.
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N° 16LY00624