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19/06/2025 | FRANCE | N°24DA02156

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 19 juin 2025, 24DA02156


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Laguerre Chimie a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 et, à titre subsidiaire, de prononcer la réduction de ces cotisations supplémentaires à raison de l'admission au titre du crédit d'impôt innovation des dépenses enga

gées pour le développement de quatre projets.



Par un jugement n° 1902643 du 24 aoû...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Laguerre Chimie a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 et, à titre subsidiaire, de prononcer la réduction de ces cotisations supplémentaires à raison de l'admission au titre du crédit d'impôt innovation des dépenses engagées pour le développement de quatre projets.

Par un jugement n° 1902643 du 24 août 2020, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour avant renvoi :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 octobre 2020 et le 11 février 2021, l'EURL Laguerre Chimie, représentée par Me Coatrieux, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de prononcer la décharge des impositions en litige et de prescrire la restitution des sommes qu'elle a acquittées à ce titre ;

3°) à titre subsidiaire, de prononcer la réduction des impositions en litige, à hauteur d'un montant total de 23 207 euros, soit 2 131 euros au titre de l'exercice clos en 2013, 3 871 euros au titre de l'exercice clos en 2014 et 17 205 euros au titre de l'exercice clos en 2015, et de prescrire la restitution, dans cette mesure, des sommes acquittées par elle ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé ;

- le tribunal administratif n'a pas répondu à son moyen tiré, en ce qui concerne l'éligibilité des projets " Colle Epoxy " et " Décapant pour carrosserie " au crédit d'impôt innovation, des énonciations de la notice d'accompagnement des entreprises pour la déclaration des dépenses d'innovation éligibles au crédit d'impôt recherche ;

- elle a été privée des garanties, prévues par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié qui est opposable à l'administration en application de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, consistant en la tenue d'un véritable débat contradictoire avec l'administration, tant à l'oral que par écrit, et en la possibilité d'exercer effectivement les recours administratifs prévus par cette charte ; cette irrégularité de procédure constitue une méconnaissance de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales ;

- à titre subsidiaire, l'ensemble des projets pour lesquels elle a sollicité le bénéfice du crédit d'impôt recherche satisfont aux conditions auxquelles les dispositions du k) du II de l'article 244 quater B du code général des impôts subordonnent l'éligibilité de travaux de recherche au crédit d'impôt innovation ; elle est fondée à se prévaloir, au titre des années 2014 et 2015, des énonciations de la notice d'accompagnement des entreprises pour la déclaration des dépenses d'innovation éligibles au crédit d'impôt recherche, selon lesquelles la progression des performances des projets doit être mesurée par rapport à la référence constituée par l'offre de produits existants sur le marché considéré à la date du début des travaux d'innovation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2021, et par un mémoire, enregistré le 16 février 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par l'EURL Laguerre Chimie ne sont pas fondés.

Par un arrêt n° 20DA01681 du 13 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Douai a accordé à l'EURL Laguerre Chimie une réduction, à hauteur d'un montant total de 23 207 euros, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 (article 1er), réformé le jugement du tribunal administratif de Rouen en ce qu'il a de contraire à son arrêt (article 2), mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à l'EURL Laguerre Chimie sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3) et rejeté le surplus des conclusions de cette dernière (article 4).

Par une décision n° 469431 du 23 octobre 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, sur pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, annulé les articles 1er à 3 de l'arrêt du 13 octobre 2022 de la cour administrative d'appel de Douai et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à cette cour.

Procédure devant la cour après renvoi :

Par des mémoires, enregistrés le 5 novembre 2024 et le 21 janvier 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens.

Il soutient, en outre, que le comité consultatif du crédit d'impôt pour dépenses de recherche a commis une erreur en demandant au service vérificateur de réexaminer le dossier sur le terrain du crédit d'impôt innovation.

Par un mémoire, enregistré le 13 décembre 2024, l'EURL Laguerre Chimie conclut aux mêmes fins et demande, en outre, qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, en outre, que :

- elle a été privée d'une garantie en ce que, en méconnaissance de l'article 1653 F du code général des impôts et de l'article L. 59 D du livre des procédures fiscales, le comité consultatif du crédit d'impôt pour dépenses de recherche n'a pas examiné sa demande de requalification de son crédit d'impôt recherche en crédit d'impôt innovation ; ce défaut d'examen vicie la régularité de la procédure dès lors qu'elle a été privée de la possibilité d'organiser sa défense, au sens de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales ;

- elle est fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations du paragraphe 70 de la documentation administrative référencée BOI-CF-CMSS-60-10.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Laguerre Chimie, qui a son siège à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) et exerce une activité de développement et de fabrication de produits chimiques pour l'industrie et le secteur du bâtiment, a bénéficié du crédit d'impôt recherche, au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015, à hauteur des montants respectifs de 19 588 euros, 38 374 euros et 41 820 euros.

2. Au cours de l'année 2016, l'EURL Laguerre Chimie a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, à l'issue de laquelle l'administration a estimé que les projets pour lesquels l'entreprise avait bénéficié du crédit d'impôt recherche n'entraient pas dans les prévisions des a), b), c) et j) du II de l'article 244 quater B du code général des impôts et n'étaient, dès lors, pas éligibles à cet avantage. L'administration a fait connaître sa position sur ce point par une proposition de rectification et les observations formulées par l'EURL Laguerre Chimie ne l'ont pas amenée à revoir sa position.

3. Après avoir reçu, sur leur demande, les représentants de l'EURL Laguerre Chimie, le supérieur hiérarchique du vérificateur a cependant fait partiellement droit au recours de celle-ci, en tant qu'il tendait au maintien du crédit d'impôt recherche en ce qui concerne certains des projets en cause, mais il a rejeté le surplus de ce recours tendant au bénéfice, pour d'autres projets, du crédit d'impôt innovation bénéficiant aux dépenses prévues au k) du même II de l'article 244 quater B. L'interlocuteur fiscal interrégional, saisi à la demande de l'EURL Laguerre Chimie, a confirmé cette approche. Par un avis du 4 juillet 2018, le comité consultatif du crédit d'impôt pour dépenses de recherche a constaté qu'il n'y avait plus de désaccord entre les parties s'agissant du crédit d'impôt recherche et décliné sa compétence pour se prononcer sur l'éligibilité au crédit d'impôt innovation en l'absence d'examen par le service local compétent.

4. Par un jugement du 24 août 2020, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de l'EURL Laguerre Chimie tendant, à titre principal, à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les société auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 et, à titre subsidiaire, à la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les société auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 à raison de l'admission au titre du crédit d'impôt innovation des dépenses engagées pour le développement de quatre projets.

5. Par un arrêt du 13 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Douai a partiellement fait droit aux demandes de l'EURL Laguerre Chimie en lui accordant une réduction, à hauteur d'un montant total de 23 207 euros, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 et a rejeté le surplus de sa requête.

6. Par une décision n° 469431 du 23 octobre 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, sur pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, annulé les articles 1er à 3 de l'arrêt du 13 octobre 2022 de la cour administrative d'appel de Douai et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à cette cour.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

En ce qui concerne la saisine du supérieur hiérarchique du vérificateur :

7. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : " Les dispositions contenues dans la charte des droits et obligations du contribuable vérifié mentionnée au troisième alinéa de l'article L. 47 sont opposables à l'administration ". Cette charte prévoit, notamment, que : " Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les rectifications envisagées, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur divisionnaire ou principal. / (...) / Si, après ces contacts, des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur. / (...) ".

8. Ces dispositions assurent au contribuable faisant l'objet d'une procédure de rectification contradictoire, après la réponse faite par l'administration fiscale à ses observations sur la proposition de rectification, une garantie substantielle consistant à pouvoir, avant la mise en recouvrement, saisir le supérieur hiérarchique du vérificateur et, le cas échéant, l'interlocuteur départemental de divergences subsistant au sujet du bien-fondé des rectifications envisagées, et non à poursuivre avec ces derniers un dialogue contradictoire de même nature que celui qui s'est achevé avec la notification de la réponse aux observations du contribuable. Le contribuable ne saurait par conséquent demander pour la première fois, dans le cadre du recours hiérarchique prévu par ces dispositions, à bénéficier d'un dispositif fondé sur d'autres dispositions législatives que celles qui étaient en débat devant le vérificateur.

9. Il est constant que, dans ses échanges avec le service, tant lors du débat oral et contradictoire tenu au cours de la vérification de comptabilité qu'à l'occasion de la présentation de ses observations écrites sur la proposition de rectification qui lui a été adressée, l'EURL Laguerre Chimie s'est limitée à contester auprès du service l'éligibilité de ses projets au crédit d'impôt recherche sans mentionner, à ces différents stades de la procédure contradictoire, que ces projets étaient susceptibles d'être éligibles au crédit d'impôt innovation.

10. Il résulte de ce qui précède qu'il n'existait, s'agissant du crédit d'impôt innovation, aucun désaccord persistant entre la société et l'administration. Par suite, l'EURL Laguerre Chimie ne saurait utilement soutenir devant le juge de l'impôt qu'elle a été privée, en ce qui concerne ce crédit d'impôt, de la garantie instituée par les dispositions, citées précédemment, de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié.

En ce qui concerne la régularité de l'avis rendu par le comité consultatif du crédit d'impôt pour dépenses de recherche :

11. Aux termes de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales : " Lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis soit de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts (...) soit du comité consultatif prévu à l'article 1653 F du même code (...) ".

12. Aux termes de l'article L. 59 D du même livre, dans sa rédaction applicable au litige : " Le comité consultatif prévu à l'article 1653 F du code général des impôts intervient lorsque le désaccord porte sur la réalité de l'affectation à la recherche des dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt défini à l'article 244 quater B du même code. / Ce comité peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit ".

13. Lorsque le comité consultatif du crédit d'impôt pour dépenses de recherche se déclare incompétent pour examiner les questions qui lui ont ainsi été soumises, en se méprenant le cas échéant sur l'étendue du domaine d'intervention que lui attribuent les dispositions de l'article L. 59 D du livre des procédures fiscales, cette erreur n'affecte pas la régularité de la procédure d'imposition.

14. Il suit de là que la circonstance que le comité consultatif du crédit d'impôt pour dépenses de recherche aurait entaché son avis d'irrégularité en ne statuant pas sur l'éligibilité des projets de la société Green Big au crédit d'impôt innovation prévu au k) du II de l'article 244 quater B du code général des impôts est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition.

15. En tout état de cause, ainsi qu'il a été dit précédemment, le désaccord persistant sur les rectifications notifiées à l'EURL Laguerre Chimie, tel qu'il résulte des observations qu'elle a formulées le 16 décembre 2016 à la suite de la proposition de rectification du 14 octobre 2016, portait sur l'éligibilité de ses projets au crédit d'impôt recherche et non sur l'éligibilité de ceux-ci au crédit d'impôt innovation.

16. Il suit de là qu'en l'absence de désaccord persistant sur le bénéfice du crédit d'impôt innovation, c'est à bon droit, et sans priver la société requérante d'une garantie, que le comité consultatif du crédit d'impôt pour dépenses de recherche a, par son avis du 4 juillet 2018, estimé qu'il n'était pas compétent pour se prononcer sur l'éligibilité au crédit d'impôt innovation en l'absence d'examen par le service. En l'absence d'irrégularité, l'EURL Laguerre Chimie n'est par ailleurs pas fondée à se prévaloir de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales.

17. L'EURL Laguerre Chimie ne peut, en tout état de cause utilement se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations du paragraphe 70 de la documentation administrative référencée BOI-CF-CMSS-60-10 qui sont relatives à la procédure d'établissement de l'impôt.

Sur le bien-fondé de la remise en cause des crédits d'impôt :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

18. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 decies, 44 undecies, 44 duodecies, 44 terdecies à 44 quindecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...) II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : (...) k) Les dépenses exposées par les entreprises qui satisfont à la définition des micro, petites et moyennes entreprises donnée à l'annexe I au règlement (CE) n° 800/2008 de la Commission, du 6 août 2008, déclarant certaines catégories d'aide compatibles avec le marché commun en application des articles 87 et 88 du traité (Règlement général d'exemption par catégorie) et définies comme suit : 1° Les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation d'opérations de conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits autres que les prototypes et installations pilotes mentionnés au a ; 2° Les dépenses de personnel directement et exclusivement affecté à la réalisation des opérations mentionnées au 1° ; 3° Les autres dépenses de fonctionnement exposées à raison des opérations mentionnées au 1° (...). Les dépenses mentionnées aux 1° à 6° entrent dans la base de calcul du crédit d'impôt recherche dans la limite globale de 400 000 € par an. Pour l'application du présent k, est considéré comme nouveau produit un bien corporel ou incorporel qui satisfait aux deux conditions cumulatives suivantes : - il n'est pas encore mis à disposition sur le marché ; - il se distingue des produits existants ou précédents par des performances supérieures sur le plan technique, de l'écoconception, de l'ergonomie ou de ses fonctionnalités. Le prototype ou l'installation pilote d'un nouveau produit est un bien qui n'est pas destiné à être mis sur le marché mais à être utilisé comme modèle pour la réalisation d'un nouveau produit. (...) ".

19. Il appartient au juge de l'impôt de constater, au vu de l'instruction dont le litige qui lui est soumis a fait l'objet, qu'une entreprise remplit ou non les conditions lui permettant de se prévaloir de l'avantage fiscal institué par l'article 244 quater B du code général des impôts.

S'agissant de l'exercice clos en 2013 :

20. L'EURL Laguerre Chimie soutient que les dépenses de personnel et de fonctionnement, qu'elle a exposées à hauteur de 10 655 euros, pour le projet de " développement d'une nouvelle solution de traitement des eaux usées, sans sulfate d'aluminium et non toxique ", qui est innovant au regard des produits existants sur le marché en termes d'écoconception et de toxicité, constituent des dépenses éligibles au crédit d'impôt prévu au k) du II de l'article 244 quater B du code général des impôts.

21. Toutefois, il résulte des indications fournies par la société elle-même à l'issue d'un essai, que la solution technique qu'elle a développée nécessite l'utilisation d'une importante quantité de produit pour obtenir une efficacité analogue à celle atteinte avec un produit utilisant du sulfate d'aluminium et qu'un effet d'encrassage a été constaté, alors que l'étude produite par la société mentionne que l'une des performances supérieures attendues du produit développé, au regard des deux produits concurrents existants sur le marché, était notamment de ne pas causer d'encrassement des machines de traitement de l'eau. Ainsi que le relève le ministre, l'analyse présentée par la société s'est bornée à décrire la réalisation d'essais, sans toutefois comporter d'information sur le produit élaboré.

22. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le produit développé par l'EURL Laguerre Chimie présentait des performances supérieures sur le plan technique, de l'écoconception ou de ses fonctionnalités à celles des produits commercialisés par ses concurrents.

S'agissant de l'exercice clos en 2014 :

Quant au projet anti-mousse :

23. Si l'EURL Laguerre Chimie fait valoir que le produit anti-mousse qu'elle a développé utilise une matière première non toxique, le silicone, il résulte de l'instruction, notamment de l'analyse des produits existants sur le marché, que l'un des produits concurrents utilise déjà ce composant. Dès lors, contrairement à ce que soutient la société requérante, ce produit ne se distinguait pas de ceux existants par des performances supérieures sur le plan de l'écoconception.

Quant au projet de colle époxy :

24. La société requérante fait valoir qu'elle a engagé des dépenses d'innovation pour le développement d'une colle époxy pouvant être utilisée comme colle et comme joint de carrelage. Toutefois, il résulte des indications fournies par la société elle-même qu'en 2014, elle n'a pas développé de produit nouveau présentant des performances supérieures à celles des produits déjà existants. Si la société relève que ses travaux de recherche ont permis une amélioration des connaissances scientifiques, une telle circonstance, à la supposer établie, est sans incidence sur la qualification de nouveau produit au sens du k) du II de l'article 244 quater B précité.

S'agissant de l'exercice clos en 2015 :

25. Il résulte de l'instruction, notamment de l'étude produite par la société requérante, que les essais qu'elle a réalisés en 2015 d'un produit décapant pour carrosserie n'ont pas permis d'atteindre les performances supérieures qui étaient attendues en termes d'absence de toxicité et de rapidité d'action. Il suit de là que ce produit ne saurait être regardé comme un produit nouveau au sens du k) du II de l'article 244 quater B précité, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que la société requérante a acquis de nouvelles connaissances par la réalisation de ces essais.

26. Dans ces conditions, les produits développés par la société requérante ne sauraient être regardés comme constituant des produits nouveaux au sens et pour l'application du k) du II de l'article 244 quater B du code général des impôts. Par suite, l'EURL Laguerre Chimie n'est pas fondée à soutenir que les dépenses de personnel et de fonctionnement exposés pour les travaux rappelés ci-dessus qu'elle a réalisés en 2013, 2014 et 2015 étaient éligibles au crédit d'impôt pour les dépenses d'innovation.

En ce qui concerne l'interprétation de la loi fiscale :

27. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales ".

28. D'une part, la remise en cause par l'administration fiscale d'un crédit d'impôt qui a été imputé sur l'imposition primitive d'un contribuable constitue un rehaussement au sens et pour l'application des dispositions du premier et du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

29. D'autre part, si, en principe, un formulaire de déclaration ou une notice explicative ne sont pas au nombre des instructions ou circulaires que publie l'administration fiscale pour faire connaître son interprétation des textes fiscaux, il en va différemment lorsque ces documents, mis à la disposition des contribuables sur son site internet ou sur demande, comportent une interprétation formelle de la loi fiscale, laquelle peut être invoquée sur le fondement des dispositions du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales

30. La notice d'accompagnement des entreprises pour leur déclaration de dépenses d'innovation éligibles au crédit impôt recherche, dans sa version publiée en décembre 2014, prévoyait que " (...) pour qu'il y ait innovation, un produit ne doit pas déjà avoir été mis en œuvre par d'autres agents économiques opérant dans le même environnement concurrentiel : il faut que le produit soit nouveau sur le marché considéré. La progression des performances doit donc être mesurée par rapport à la référence constituée par l'offre de produits existants sur le marché considéré à la date du début des travaux d'innovation ".

31. Toutefois, ces énonciations ne comportent aucune interprétation formelle de la loi fiscale différente de celle dont le présent arrêt fait application. Il suit de là que l'EURL Laguerre Chimie n'est pas fondée à se prévaloir de cette documentation administrative et sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

32. Il résulte de ce qui précède que l'EURL Laguerre Chimie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'EURL Laguerre Chimie est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Laguerre Chimie et à la ministre chargée des comptes publics.

Copie en sera transmise à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- Mme Alice Minet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juin 2025.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. A...La greffière,

Signé : S. Cardot

La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Sophie Cardot

2

N°24DA02156


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24DA02156
Date de la décision : 19/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS FIDAL

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-19;24da02156 ?
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