Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Laguerre Chimie a demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer, à titre principal, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015, à titre subsidiaire, une réduction de ces impositions tenant compte de l'admission au crédit d'impôt innovation des dépenses engagées pour le développement de quatre projets de recherche.
Par un jugement no 1902643 du 24 août 2020, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 octobre 2020 et le 11 février 2021, l'EURL Laguerre Chimie, représentée par la SELAS Fidal, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, de prononcer la décharge des impositions en litige et de prescrire la restitution des sommes qu'elle a acquittées à ce titre ;
3°) à titre subsidiaire, de prononcer la réduction des impositions en litige, à hauteur d'un montant total de 23 207 euros, soit 2 131 euros au titre de l'exercice clos en 2013, 3 871 euros au titre de l'exercice clos en 2014 et 17 205 euros au titre de l'exercice clos en 2015, et de prescrire la restitution, dans cette mesure, des sommes acquittées par elle ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement en ce qu'il a estimé que, si l'administration a, à tort, refusé d'examiner sa demande tendant à placer sous le régime du crédit d'impôt innovation certains de ses projets pour lesquels elle avait initialement sollicité le crédit d'impôt recherche, ce manquement n'a pas été de nature à la priver des garanties liées à l'effectivité des recours administratifs, du débat oral et contradictoire avec le service pendant puis après la vérification de comptabilité et d'un véritable débat écrit et contradictoire avec l'administration, au cours de la procédure d'imposition, sur un point essentiel de son argumentation ; le jugement, qui ne fait, en outre, aucune référence aux dispositions de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales qu'elle avait pourtant invoquées, est ainsi entaché d'irrégularité ;
- le tribunal administratif n'a pas davantage répondu à son moyen tiré, en ce qui concerne l'éligibilité des projets " Colle Epoxy " et " Décapant pour Carrosserie " au crédit d'impôt innovation, des énonciations de la notice d'accompagnement des entreprises pour la déclaration des dépenses d'innovation éligibles au crédit d'impôt recherche ;
- elle a été privée des garanties, prévues par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié qui est opposable à l'administration en application de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, consistant en la tenue d'un véritable débat contradictoire avec l'administration, tant à l'oral que par écrit, et en la possibilité d'exercer effectivement les recours administratifs prévus par cette charte, du fait du refus de l'administration d'examiner, malgré un protocole conclu par elle et les autres administrations concernées, sa demande de requalification ; cette irrégularité de procédure, qui constitue également une méconnaissance de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales et, plus généralement, une violation du principe du contradictoire, a eu une incidence sur le caractère effectif et utile des voies de recours, alors même qu'elle les a exercées, et justifie, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la décharge de l'intégralité des impositions en litige ;
- à titre subsidiaire, l'ensemble des projets pour lesquels elle a sollicité le bénéfice du crédit d'impôt recherche satisfont aux conditions auxquelles les dispositions du k) du II de l'article 244 quater B du code général des impôts subordonne l'éligibilité de travaux de recherche au crédit d'impôt innovation ; elle est fondée à se prévaloir, sur ce point, des énonciations de la notice d'accompagnement des entreprises pour la déclaration des dépenses d'innovation éligibles au crédit d'impôt recherche, selon lesquelles la progression des performances des projets doit être mesurée par rapport à la référence constituée par l'offre de produits existants sur le marché considéré à la date du début des travaux d'innovation ;
- les motifs tirés de l'absence de perspective de commercialisation ultérieure ou d'étude de marché et de ce que les projets n'ont pas atteint le niveau de performance recherché ne pouvaient légalement être retenus pour justifier le refus qui lui a été opposé ; en effet, ces projets ont tous permis d'améliorer les niveaux de connaissances et de performances existants dans les domaines explorés ; les dépenses qu'elle a supportées à ce titre présentent donc le caractère de dépenses d'innovation éligibles au crédit d'impôt prévu au k du II de l'article 244 quater B du code général des impôts.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2021, et par un mémoire, enregistré le 16 février 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la vérification de comptabilité dont l'EURL Laguerre Chimie a fait l'objet a donné lieu à un débat oral et contradictoire effectif et cette société a bénéficié, conformément aux préconisations de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, des recours hiérarchiques au cours duquel elle a pu exposer sa position ; au cours et à la suite du contrôle, l'EURL Laguerre Chimie s'est bornée à soutenir, jusqu'à l'entretien qu'elle a sollicité avec le supérieur hiérarchique du vérificateur, que ses projets étaient éligibles au crédit d'impôt recherche et n'a, jusqu'à cet entretien, aucunement sollicité, pour ces projets, le bénéfice du crédit d'impôt innovation, de sorte qu'elle a elle-même librement limité le champ du débat avec le service ; la procédure d'imposition n'est donc pas entachée d'irrégularité ;
- les projets au titre desquels l'EURL Laguerre Chimie a sollicité le bénéfice du crédit d'impôt innovation, à savoir le projet portant sur une solution de traitement non toxique des eaux usées, le projet de solution de traitement antimousse non toxique, le projet de colle époxy destinée à être utilisée comme colle et comme joint de carrelage et le projet portant sur la mise au point d'un décapant sans dichlorométhane pour carrosserie, n'y sont pas éligibles, dès lors que les produits élaborés dans leur cadre ne font pas l'objet d'une véritable présentation dans les dossiers techniques fournis et que la société ne démontre pas que les performances obtenues au terme de ses travaux de recherche apportent une amélioration substantielle par rapport aux produits présents sur le marché, lesquels ne font l'objet que d'une évocation succincte ; aucun de ces projets ne répond donc aux exigences posées par le k du II de l'article 244 quater B du code général des impôts.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Papin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Laguerre Chimie, qui a son siège à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), exerce une activité de développement et de fabrication de produits chimiques pour l'industrie et le secteur du bâtiment. Elle a bénéficié du crédit d'impôt recherche, au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015, à hauteur des montants respectifs de 19 588 euros, 38 374 euros et 41 820 euros. Au cours de l'année 2016, l'EURL Laguerre Chimie a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015. A l'issue de ce contrôle, le service a estimé que les projets pour lesquels l'entreprise avait bénéficié du crédit d'impôt recherche n'étaient, en définitive, pas éligibles à cet avantage. L'administration a fait connaître sa position sur ce point, ainsi qu'en ce qui concerne deux chefs de rehaussement du bénéfice déclaré par l'EURL Laguerre Chimie au titre de l'exercice clos en 2015, par une proposition de rectification qu'elle lui a adressée le 14 octobre 2016. Les observations formulées par l'EURL Laguerre Chimie n'ont pas amené l'administration à revoir sa position. Cependant, le supérieur hiérarchique du vérificateur, après avoir reçu, sur leur demande, les représentants de l'entreprise, a fait partiellement droit au recours de l'EURL Laguerre Chimie, en tant qu'il tendait au maintien du crédit d'impôt recherche en ce qui concerne certains des projets en cause, et a rejeté le surplus de ce recours tendant au bénéfice, pour d'autres projets, du crédit d'impôt innovation. L'interlocuteur fiscal interrégional, saisi à la demande de l'EURL Laguerre Chimie, a confirmé cette approche.
2. Le différend a ensuite été soumis au comité consultatif du crédit d'impôt pour dépenses de recherche, qui, par un avis du 4 juillet 2018, a constaté qu'il n'y avait plus de désaccord entre les parties en ce qui concerne le crédit d'impôt recherche et a estimé qu'il ne lui appartenait pas, en l'absence d'examen par le service local compétent, de se prononcer sur l'éligibilité au crédit d'impôt innovation des projets mis en œuvre par l'EURL Laguerre Chimie au titre des exercices en cause mais qu'il appartenait au service de procéder à cet examen. Après transmission de cet avis à l'EURL Laguerre Chimie, l'administration a procédé, le 21 septembre 2018, à la mise en recouvrement des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultant des rehaussements notifiés à l'issue du contrôle et maintenus au terme de la procédure d'imposition. Ces suppléments d'impôt mis en recouvrement s'élèvent à un montant total de 80 659 euros, exempt de pénalités. L'administration, saisie de la réclamation présentée par l'EURL Laguerre Chimie, a examiné les droits de cette entreprise à bénéficier du crédit d'impôt innovation pour les projets regardés comme non éligibles au crédit d'impôt recherche. Au terme de cet examen, l'administration a estimé qu'une partie de ces projets pouvait bénéficier du crédit d'impôt innovation. Elle a, en conséquence, admis partiellement la réclamation de l'EURL Laguerre Chimie et prononcé un dégrèvement, à hauteur de 7 294 euros, des suppléments d'impôt mis à sa charge. L'EURL Laguerre Chimie a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle demeurait assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015, en conséquence de la remise en cause du crédit d'impôt recherche dont elle avait bénéficié, à titre subsidiaire, une réduction de ces impositions tenant compte de l'admission au crédit d'impôt innovation des dépenses engagées pour le développement de quatre projets de recherche. L'EURL Laguerre Chimie relève appel du jugement du 24 août 2020 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. En premier lieu, il ressort des motifs énoncés aux points 3 et 4 du jugement attaqué que, pour écarter le moyen, soulevé par l'EURL Laguerre Chimie, tiré de ce que les impositions en litige ont été établies à l'issue d'une procédure entachée d'une irrégularité l'ayant privée des garanties tenant au bénéfice d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, ainsi qu'à l'exercice effectif des recours hiérarchiques prévus par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, le tribunal administratif a retenu, d'une part, que l'EURL Laguerre Chimie n'établissait pas que le vérificateur se serait refusé à tout échange de vues au cours du contrôle dont elle a fait l'objet et, d'autre part, après rappel des énonciations pertinentes de la charte des droits et obligations du contribuable vérifiée, qu'à supposer même que le supérieur hiérarchique du vérificateur, puis l'interlocuteur fiscal interrégional, aient refusé à tort d'examiner sa demande tendant à ce que certains des projets dont l'éligibilité au crédit d'impôt recherche avait été remise en cause puissent bénéficier du crédit d'impôt innovation, cette circonstance n'était pas de nature à avoir privé l'EURL Laguerre Chimie de la garantie tenant à l'exercice effectif de ces deux recours hiérarchiques, dès lors qu'il résultait de l'instruction que les représentants de la société avaient été effectivement reçus par ces autorités et qu'ils avaient ainsi pu faire valoir leurs arguments. En écartant, par ces considérations, ce moyen en ces deux branches, le tribunal administratif, alors même qu'il n'a pas fait une référence expresse aux dispositions de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales qui précisent les cas dans lesquels il incombe à l'administration de mettre en œuvre la procédure de rectification contradictoire définie aux articles L. 57 à L. 61 A de ce livre, n'a pas entaché son jugement d'une insuffisance de motivation.
4. En second lieu, si, pour estimer, aux points 9 et 10 du jugement attaqué, que les projets " Colle Epoxy " et " Décapant pour Carrosserie ", qui avaient fait l'objet, de la part de l'EURL Laguerre Chimie, de recherches au cours de l'exercice clos en 2014, n'étaient pas éligibles au crédit d'impôt innovation, les premiers juges n'ont pas pris position en ce qui concerne la portée de l'invocation, par l'EURL Laguerre Chimie, des énonciations de la notice d'accompagnement des entreprises pour la déclaration des dépenses d'innovation éligibles au crédit d'impôt recherche, il ressort des écritures produites par la société devant le tribunal administratif que cette invocation, que l'EURL Laguerre Chimie n'a pas placée sur le terrain de la doctrine administrative, ne constituait, comme en convient d'ailleurs la société, qu'un élément de son argumentaire au soutien du moyen tiré de ce que les projets en cause satisfaisaient aux conditions requises, notamment à celle tenant à l'amélioration des performances par rapport à celles obtenues par les produits présents sur chacun des marchés considérés, pour être éligibles au crédit d'impôt innovation. Or, le tribunal administratif n'était pas tenu, à peine d'insuffisance de motivation de son jugement, de répondre à l'ensemble des arguments développés par l'EURL Laguerre Chimie au soutien de ses moyens. En conséquence, le jugement attaqué ne peut être regardé comme irrégulier pour n'avoir pas apporté de réponse expresse à cet argument.
5. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que l'EURL Laguerre Chimie n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
6. D'une part, en vertu du I de l'article 244 quater B du code général des impôts, les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. Le II de cet article précise celles des dépenses de recherche qui ouvrent droit au crédit d'impôt. Le k) de ce II traite du cas spécifique des dépenses d'innovation. Il précise qu'il s'agit de dépenses exposées par les entreprises qui satisfont à la définition des micros, petites et moyennes entreprises donnée à l'annexe I au règlement (CE) n° 800/2008 de la Commission du 6 août 2008 et dresse, en ses 1° à 6°, la liste de ces dépenses, exposées directement pour la réalisation d'opérations de conception de prototypes ou d'installations pilotes de nouveaux produits qui sont, par nature, éligibles à ce crédit d'impôt. Le même II précise que, pour l'application du k), est considéré comme nouveau produit un bien corporel ou incorporel qui satisfait aux deux conditions cumulatives suivantes : il n'est pas encore mis à disposition sur le marché et il se distingue des produits existants ou précédents par des performances supérieures sur le plan technique, de l'écoconception, de l'ergonomie ou de ses fonctionnalités. Enfin, selon ce même II, le prototype ou l'installation pilote d'un nouveau produit est un bien qui n'est pas destiné à être mis sur le marché mais à être utilisé comme modèle pour la réalisation d'un nouveau produit.
7. D'autre part, en vertu de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, lorsque l'administration des impôts constate une insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de base au calcul des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes quelconques dues en vertu du code général des impôts, les rectifications correspondantes sont effectuées, en principe, suivant la procédure de rectification contradictoire définie aux articles L. 57 à L. 61 A du même livre. En outre, selon les termes du millésime 2016 de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, opposables à l'administration en vertu de l'article L. 10 du même livre : " En cas de vérification de comptabilité, le dialogue n'est pas formalisé. Il repose, pour l'essentiel, sur un débat oral et contradictoire entre le vérificateur et le contribuable vérifié qui se déroule sur le lieu du contrôle ". La même charte énonce, par ailleurs, que, si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les rectifications envisagées, des éclaircissements supplémentaires peuvent être fournis, si nécessaire, au contribuable vérifié, par l'inspecteur divisionnaire ou principal et que, si des divergences importantes subsistent, ce contribuable peut faire appel à l'interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur.
8. Ces dispositions du paragraphe 5 du chapitre III de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié assurent à ce dernier la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur puis, le cas échéant, avec un fonctionnaire de l'administration fiscale de rang plus élevé, à savoir l'interlocuteur fiscal départemental, régional ou interrégional. Cette garantie doit pouvoir être exercée par le contribuable dans des conditions ne conduisant pas à ce qu'elle soit privée d'effectivité.
9. Ainsi qu'il a été dit au point 1, l'EURL Laguerre Chimie a bénéficié, pour plusieurs projets sur lesquels ont porté les travaux de recherche qu'elle a réalisés au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015, du crédit d'impôt recherche, l'éligibilité de ces projets à ce crédit ayant cependant été remis en cause par l'administration à l'issue de la vérification de comptabilité dont la société a fait l'objet. Il est constant que, dans le cadre de ses échanges avec le service, tant lors du débat oral et contradictoire tenu au cours du contrôle qu'à l'occasion de la présentation de ses observations écrites sur la proposition de rectification qui lui a été adressée, l'EURL Laguerre Chimie s'est limitée à tenter de convaincre le service de l'éligibilité de ses projets au crédit d'impôt recherche, sans mentionner, à ces stades de la procédure, que ces projets pourraient être éligibles au crédit d'impôt innovation. Par suite et alors qu'elle ne soutient pas que le vérificateur se serait refusé à tout échange de vue au cours du contrôle, l'EURL Laguerre Chimie ne peut sérieusement soutenir qu'elle a été privée, dès ces stades de la procédure d'imposition, de la garantie tenant au bénéfice d'un réel débat avec le service en ce qui concerne l'éligibilité de ses projets au crédit d'impôt innovation.
10. Dans le cadre de l'entretien accordé, le 5 avril 2017, à ses représentants par le supérieur hiérarchique du vérificateur, l'EURL Laguerre Chimie a, comme il a été dit au point 1, demandé à cette autorité, d'une part, de rétablir, à hauteur des montants respectifs de 12 664 euros et 8 734 euros, le crédit d'impôt recherche obtenu par elle au titre, respectivement, des exercices clos en 2013 et 2014, d'autre part, de la faire bénéficier, en ce qui concerne certains des projets regardés comme non éligibles à cet avantage fiscal, du crédit d'impôt innovation, à hauteur de 2 131 euros, 9 468 euros et 18 902 euros, au titre, respectivement, des exercices clos en 2013, 2014 et 2015. Or, il est constant que, si le supérieur hiérarchique du vérificateur a fait partiellement droit au recours de l'EURL Laguerre Chimie, compte-tenu des éléments qu'elle avait fait valoir, en ce qui concerne le crédit d'impôt recherche, il a rejeté le surplus de ce recours après avoir estimé, selon les termes mêmes du compte-rendu de l'entretien, établi le 14 juin 2017 et versé à l'instruction, qu'il ne pouvait pas se prononcer sur la demande tendant au bénéfice, pour les autres projets en cause, du crédit d'impôt innovation et qu'il appartenait à l'EURL Laguerre Chimie de former, à cette fin, une réclamation contentieuse auprès du service compétent pour connaître de sa situation fiscale. Saisi à son tour de la demande de l'EURL Laguerre Chimie, l'interlocuteur fiscal interrégional a confirmé cette approche, consistant à refuser d'examiner, au stade des recours hiérarchiques prévus par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, la demande de requalification présentée par l'EURL Laguerre Chimie.
11. En refusant ainsi de faire procéder, au stade du recours hiérarchique introduit par l'EURL Laguerre Chimie, c'est-à-dire avant la mise en recouvrement des impositions en litige, à l'examen de cette demande, ce qui impliquait notamment, comme le préconise au demeurant un protocole conclu le 29 janvier 2014 entre les administrations compétentes, de consulter le service de l'administration compétente pour apprécier l'éligibilité technique de chacun des projets en cause au crédit d'impôt innovation, l'administration a commis une irrégularité de procédure qui a, dans les circonstances de l'espèce, privé l'EURL Laguerre Chimie de la garantie, prévue par les énonciations précitées de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, tenant au caractère effectif du recours au supérieur hiérarchique du vérificateur.
12. Si le ministre fait valoir qu'au stade de l'examen de la réclamation introduite par l'EURL Laguerre Chimie, l'administration a finalement accepté d'examiner l'éligibilité au crédit d'impôt innovation des projets ayant fait l'objet de travaux de recherche de cette société au cours des exercices clos en 2013, 2014 et 2015, cet examen, intervenu après la mise en recouvrement des impositions en litige, n'est pas de nature à purger le vice, relevé au point précédent, dont est entachée la procédure d'imposition mise en œuvre à l'égard de l'EURL Laguerre Chimie. Au surplus, il ne ressort pas des termes de la décision du 11 juin 2019 portant admission partielle de cette réclamation que cet examen, qui s'est limité, compte-tenu des contraintes de temps qu'impliquait nécessairement le cadre de la procédure précontentieuse, à une analyse du contenu formel des dossiers et pièces justificatives produits par l'EURL Laguerre Chimie, aurait été précédé d'une consultation du service de l'administration compétente pour apprécier l'éligibilité technique de chacun des projets en cause au crédit d'impôt innovation.
13. Cette irrégularité, qui a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'EURL Laguerre Chimie à organiser sa défense, au sens de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales, ne vicie la procédure d'imposition qu'en tant qu'elle concerne la remise en cause par l'administration de l'éligibilité des quatre projets pour lesquels l'EURL Laguerre Chimie a demandé le bénéfice du crédit d'impôt innovation et non la procédure d'imposition prise dans son ensemble. L'EURL Laguerre Chimie est, par suite, seulement fondée à demander une réduction, tenant compte de l'admission au crédit d'impôt innovation des dépenses engagées pour le développement de ces quatre projets, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 à 2015, c'est-à-dire, ainsi qu'elle le demande à titre subsidiaire, une réduction d'un montant total de 23 207 euros, soit 2 131 euros au titre de l'exercice clos en 2013, 3 871 euros au titre de l'exercice clos en 2014 et 17 205 euros au titre de l'exercice clos en 2015.
14. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL Laguerre Chimie est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la réduction, dans la mesure de ce qui est énoncé au point précédent, des impositions en litige. Le présent arrêt impliquant nécessairement que l'administration procède à la restitution des sommes acquittés par l'EURL Laguerre Chimie au titre des impositions dont il lui accorde la décharge, il n'y a pas lieu pour la cour de prescrire une mesure d'exécution à cette fin. Enfin, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés, en cause d'appel, par l'EURL Laguerre Chimie et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Il est accordé à l'EURL Laguerre Chimie une réduction, à hauteur d'un montant total de 23 207 euros, soit 2 131 euros au titre de l'exercice clos en 2013, 3 871 euros au titre de l'exercice clos en 2014 et 17 205 euros au titre de l'exercice clos en 2015, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015.
Article 2 : Le jugement n° 1902643 du 24 août 2020 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à l'EURL Laguerre Chimie la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l'EURL Laguerre Chimie est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Laguerre Chimie et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
Délibéré après l'audience publique du 15 septembre 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Heu, président de chambre,
- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2022.
Le rapporteur,
Signé : J.-F. PapinLe président de chambre,
Signé : C. Heu
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°20DA01681
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N°20DA01681