Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 18 octobre 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement ainsi que la décision implicite de rejet née le 5 janvier 2019 ayant rejeté son recours gracieux.
Par un jugement n° 1900571 du 28 janvier 2020, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit à sa demande.
Procédure initiale devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 août 2020, la société Fountaine Pajot, représentée par Me Lemaire, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 28 janvier 2020 ;
2°) de rejeter la requête de M. A... ;
3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les fonctions de délégué syndical exercées par M. A... ayant pris fin en octobre 2017, elles n'avaient pas à être prises en compte par l'inspectrice du travail dont la décision est postérieure, c'est donc à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de l'illégalité de la décision contestée en l'absence de prise en compte de ce mandat représentatif ;
- les autres moyens soulevés par M. A... ne peuvent être davantage retenus,
- le comité social et économique a bien été consulté le 9 juillet 2018, le moyen tiré de l'absence de consultation des délégués du personnel est par suite infondé ;
- le médecin du travail a rendu un avis le 22 mars 2018 concluant à l'inaptitude de
M. A... à exercer toute fonction dans l'entreprise, qui n'a pas été contesté par l'intéressé et qui est devenu définitif, ainsi le moyen tiré de l'absence d'étude approfondie par le médecin du travail de son état de santé ne peut être retenu ;
- enfin, contrairement à ce que soutient M. A..., son reclassement dans l'entreprise était impossible ainsi que le mentionne l'avis du médecin du travail du 22 mars 2018 complété par un additif à cet avis en date du 7 septembre 2018.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 octobre 2020 et le 27 juin 2022,
M. B... A..., représenté par Me Serres-Cambot, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Fountaine Pajot de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que des entiers dépens.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire enregistré le 13 mai 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la requête de M. A....
Elle s'en rapporte à ses écritures présentées devant le tribunal administratif de Poitiers.
Par un arrêt n° 20BX02657 du 15 septembre 2022, la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du 28 janvier 2020 du tribunal administratif de Poitiers et a rejeté la demande de M. A....
Par une décision n°468918 du 12 juin 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour, où elle a été enregistrée sous le
n° 24BX01444.
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :
Par des mémoires enregistrés sous le n° 24BX01444 les 10 juillet et 25 octobre 2024, la SA Fountaine Pajot, représentée par Me Lemaire, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 28 janvier 2020 ;
2°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les fonctions syndicales exercées par M. A... ne lui conféraient aucun statut protecteur ; en effet, peu importe qu'il ait exercé de fait un mandat de représentant du personnel, jusqu'au 16 octobre 2017, date à laquelle son syndicat a désigné un nouveau délégué, sa désignation initiale n'a pas été régulièrement notifiée à l'employeur et à l'inspecteur du travail, conformément aux dispositions de l'article L. 2143-7 du code du travail, postérieurement aux élections de novembre 2013 ;
- s'il devait être quand même retenu que son mandat de délégué syndical FO emportait bien, à la date de sa convocation à l'entretien préalable, un statut protecteur, l'inspecteur du travail devait se prononcer sur la demande d'autorisation de licenciement au regard des circonstances de fait et de droit qui existaient à la date à laquelle elle s'est prononcée ; en l'espèce le licenciement reposait sur le constat de l'inaptitude du salarié et de l'impossibilité de tout reclassement, circonstances par hypothèse étrangères au mandat syndical de M. A... et que celui-ci n'a jamais soutenu que son inaptitude aurait pour origine des difficultés dans l'exercice de ses différents mandats syndicaux ; par suite l'argument tiré de l'absence de prise en compte par l'inspecteur du travail de son mandat de délégué syndical était inopérant ;
- compte tenu de son inaptitude à tout emploi, elle était dispensée de rechercher le reclassement de M. A... et n'avait pas à solliciter l'avis des représentants du personnel préalablement au licenciement ;
- le médecin avait bien étudié le poste avant de déclarer M. A... inapte, l'autorisation attaquée, qui a pris en compte cet avis, était donc parfaitement régulière ;
- elle n'avait pas d'obligation de reclassement le concernant compte tenu de son inaptitude générale à tout poste.
Par un mémoire enregistré le 24 juillet 2024, M. A..., représenté par Me Clerc, demande à la Cour de rejeter la requête de la SA Fountaine Pajot et de mettre à la charge de cette dernière la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et de
3 000 euros au titre des frais d'appel.
Il soutient que :
- la demande d'autorisation de licenciement adressée par la SA Fountaine Pajot à l'inspection du travail ne fait pas mention d'une part, de son mandat de délégué syndical et d'autre part, de son mandat de conseiller du salarié lesquels sont pourtant portés à la connaissance de son employeur dans le cadre de l'exercice de ses missions ; la décision de l'inspection du travail autorisant son licenciement ne fait apparaitre dans son visa que les seuls mandats de délégué et membre du comité d'entreprise, à l'exclusion de son mandat syndical ; la décision contestée est ainsi illégale ;
- la décision contesté est également illégale dès lors qu'elle a été rendue à l'issue d'une procédure irrégulière en l'absence de toute convocation préalable devant le comité social et économique duquel il n'a jamais été entendu.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Héloïse Pruche-Maurin,
- et les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., recruté le 2 novembre 2005 en qualité de cariste par la société Fountaine Pajot, a été reconnu comme travailleur handicapé par la maison départementale des personnes handicapées de la Charente-Maritime le 5 mai 2017 et le médecin du travail, par un avis du
22 mars 2018, a indiqué que l'état de santé de l'intéressé ne lui permettait pas de reprendre son poste et précisé, par un additif à cet avis, que l'état de santé de M. A... faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi de l'entreprise. Le 23 avril 2018, la SA Fountaine Pajot a saisi l'inspection du travail pour être autorisée à le licencier pour inaptitude. Cette demande a fait l'objet d'une décision de rejet. Une deuxième demande d'autorisation de licenciement a été présentée par l'employeur de M. A... le 11 juillet 2018. En l'absence de réponse expresse de l'administration, une décision implicite de rejet est née le 12 septembre 2018. Par une décision expresse du 18 octobre 2018, la Direccte de Nouvelle Aquitaine a retiré cette décision implicite de rejet et a autorisé le licenciement de M. A... pour inaptitude. Le recours gracieux présenté par M. A... a fait l'objet d'une décision de rejet née le 5 janvier 2019. Par un jugement
n° 1900571 du 28 janvier 2020, le tribunal administratif de Poitiers a, sur la demande de
M. A..., annulé la décision du 18 octobre 2018, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux. Par un arrêt n° 20BX02657 du 15 septembre 2022, la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du 28 janvier 2020 du tribunal administratif de Poitiers et a rejeté la demande de M. A.... Par une décision n°468918 du
12 juin 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour, où elle a été enregistrée sous le n° 24BX01444.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Cette autorisation est requise si le salarié bénéficie de la protection attachée à son mandat à la date de l'envoi par l'employeur de sa convocation à l'entretien préalable au licenciement. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale.
3. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise. En revanche, dans l'exercice de ce contrôle, il n'appartient pas à l'administration de rechercher la cause de cette inaptitude.
4. Toutefois, ainsi qu'il a été indiqué au point 2, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives est à cet égard de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.
5. Pour opérer les contrôles auxquels elle est tenue de procéder lorsqu'elle statue sur une demande d'autorisation de licenciement, l'autorité administrative doit prendre en compte chacune des fonctions représentatives du salarié. Par suite, il appartient à l'employeur de porter à sa connaissance l'ensemble des mandats détenus par l'intéressé et, le cas échéant, à l'autorité administrative saisie de recueillir les éléments de fait de nature à établir ou non, compte tenu de chacun des mandats du salarié concerné, le caractère discriminatoire de la mesure envisagée.
6. Aux termes de l'article L. 2411-3 du code du travail : " Le licenciement d'un délégué syndical ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. / Cette autorisation est également requise pour le licenciement de l'ancien délégué syndical, durant les douze mois suivant la date de cessation de ses fonctions, s'il a exercé ces dernières pendant au moins un an. (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que la demande d'autorisation de licenciement de
M. A... présentée à l'inspection du travail par l'employeur le 10 juillet 2018 indiquait que ce dernier exerçait deux mandats : un mandat de délégué du personnel suppléant et un mandat de membre du comité d'entreprise, mandats détenus depuis les élections du 28 novembre 2013, ayant pris fin le 13 avril 2018. Il bénéficiait ainsi à ce titre d'une protection en cas de licenciement au titre des dispositions des articles L. 2411-5 et L. 2411-8 du code du travail. Toutefois, M. A... se prévaut également d'un mandat de délégué syndical Force Ouvrière (FO), fonction qu'il soutient avoir occupée de 2008 jusqu'au 16 octobre 2017, lui conférant ainsi une protection, en application des dispositions précitées de l'article L. 2411-8 du code du travail, jusqu'au 16 octobre 2018. Or, ni la demande d'autorisation de licenciement, ni la décision litigieuse ne mentionne l'existence d'un tel mandat, et il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que l'administration en ait eu connaissance par d'autres biais. Si la société requérante remet en cause l'existence de ce mandat, il ressort des pièces du dossier, comme l'ont retenu à juste titre les premiers juges, que la matérialité effective de l'exercice de ce mandat est établie par les éléments produits par M. A..., et notamment les documents remis à son employeur en sa qualité de délégué syndical FO, de plusieurs notifications de préavis de grève, d'un courrier du syndicat informant son employeur de son remplacement, des bons de délégations confirmant sa désignation ou encore un courrier du 15 mai 2017 signé en qualité de secrétaire syndical FO et adressé à la société Fountaine Pajot et la signature d'un accord avec l'entreprise en cette qualité en 2014. Par ailleurs, dès lors qu'il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que la désignation de M. A... en tant que délégué syndical FO ait été contestée dans les formes et délais prévus par les dispositions de l'article L. 2143-8 du code du travail, la société requérante ne peut utilement se prévaloir dans le présent litige de ce que le nom de M. A... en tant que délégué syndical n'ait pas été porté à sa connaissance, ni à celle de l'administration, " lors des élections de 2013 ". Enfin, même quand un licenciement est prononcé pour inaptitude, il appartient, comme rappelé au point 3, à l'administration de procéder au contrôle de l'absence de lien entre le projet de licenciement et le mandat du salarié protégé. Ainsi, quand bien même la dégradation de l'état de santé ne serait pas directement imputable à l'employeur et aux fonctions représentatives du salarié, il appartient cependant à l'administration de vérifier si le licenciement n'est pas également en rapport avec ces fonctions, par un effet cumulatif. Dans ces conditions, et dès lors que M. A... bénéficiait de la protection prévue par les dispositions précitées de l'article L. 2411-3 du code du travail lors de la mise en œuvre de la procédure de licenciement matérialisée par la convocation à l'entretien préalable du licenciement du 25 juin 2018, c'est à juste titre que le tribunal a considéré que l'inspectrice du travail n'avait pas été mise en mesure de contrôler l'absence de discrimination dans les modalités de mise en œuvre de la procédure de licenciement engagée par l'employeur ou l'existence d'un lien éventuel entre l'inaptitude constatée et des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives. Par suite, les décisions contestées sont entachées d'illégalité sur ce point.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société Fountaine Pajot n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision de la Direccte de Nouvelle-Aquitaine du 18 octobre 2018, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société requérante demande au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions au bénéfice de M. A... et de mettre à la charge de la société Fountaine Pajot, partie perdante, une somme de 1 500 euros à lui verser au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Les requêtes de la SA Fountaine Pajot et du ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion sont rejetées.
Article 2 : La SA Fountaine Pajot versera à M. A... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Fountaine Pajot, à M. B... A... et au ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente assesseure,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2025.
La rapporteure,
Héloïse Pruche-MaurinLa présidente,
Evelyne Balzamo
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX01444