Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de la Guyane de condamner le centre hospitalier Andrée Rosemon à réparer le préjudice qu'il a subi à la suite de l'infection contractée le 19 mars 2015, et d'ordonner une expertise afin d'en déterminer l'étendue.
Par un jugement n° 1800290 du 2 avril 2020, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 20BX03629 du 20 octobre 2022, la cour a ordonné une expertise avant dire droit.
Le rapport d'expertise a été déposé le 7 juin 2023.
Procédure devant la cour :
Par des mémoires, enregistrés les 8 août, 27 octobre et 2 novembre 2023,
M. D..., représenté par Me Raffier, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 2 avril 2020 ;
2°) de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affectations iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) la somme
de 2 880 689,94 euros en réparation de ses préjudices, ainsi qu'une provision de 4 117,54 euros à valoir sur ses frais de logement adapté, et de réserver l'indemnisation des dépenses de santé actuelles et futures dans l'attente de la créance de la caisse de sécurité sociale, ainsi que des frais de logement adapté et de véhicule adapté ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- son appel a été enregistré dans les délais ;
- l'expertise a confirmé le lien de causalité entre les soins dentaires pratiqués au centre hospitalier universitaire (CHU) et la spondylodiscite aigüe à staphylococcus aureus méti sensible, ainsi que le caractère nosocomial de cette infection ; l'avis critique produit par le CHU retenant une bactériémie à staphylococcus aureus communautaire compte tenu de son état bucco-dentaire a été contredit par l'expert, qui a estimé qu'il ne s'agissait manifestement pas d'une infection bactérienne, dont les manifestations cliniques auraient été immédiates, que la pulpite aigüe est une maladie inflammatoire et non une maladie infectieuse, et qu'il n'y avait pas d'infection en cours à la date des soins ; l'affirmation des experts désignés par la CCI pour écarter l'origine nosocomiale, selon laquelle la porte d'entrée des germes n'est pas univoque, ne peut être retenue car ce raisonnement conduirait à écarter systématiquement le caractère nosocomial de toute infection ; en l'occurrence, seuls les soins dentaires peuvent être à l'origine de cette infection, et aucun élément ne vient exclure un tel lien de causalité ; l'élément chronologique, la proximité entre les soins dentaires et le siège de l'infection, et la nature du germe constituent un faisceau d'indices en faveur du caractère nosocomial de l'infection ;
- le déficit fonctionnel permanent étant évalué à 60 %, la réparation des préjudices incombe à l'ONIAM, à charge pour lui de se retourner contre le chirurgien-dentiste dont l'expert estime qu'il est à l'origine d'une perte de chance de 70 % d'éviter le dommage ;
- les préjudices doivent être évalués au vu du rapport d'expertise qui a retenu
le 14 juillet 2018 comme date de consolidation ;
- les dépenses de santé actuelles et futures doivent être réservées " dans l'attente de la production des créances de la caisse générale de sécurité sociale et de la mutuelle " ; peuvent toutefois être d'ores et déjà indemnisées les aides techniques non prises en charge ou partiellement prises en charge par la sécurité sociale, soit un guide de transfert verticalisation, une chaise de douche et une table de lit, le premier étant à renouveler tous les dix ans, les deux autres tous les cinq ans, soit un capital de 15 136,79 euros ;
- le besoin d'assistance par une tierce personne pour la période antérieure à la consolidation a été évalué par l'expert à 7 heures par jour pendant 347 jours ; le coût horaire peut être fixé à 26 euros, soit un besoin d'un montant de 63 336 euros ; il n'y a pas lieu de déduire une quelconque somme au titre de la prestation de compensation du handicap, dont le premier versement est intervenu en novembre 2018 ;
- la perte de gains professionnels actuels correspond, sur la base d'un salaire mensuel de 1 883,38 euros et une fois prises en compte les indemnités journalières perçues,
à 15 448,67 euros ;
- une indemnisation en capital est sollicitée pour les préjudices permanents sur la base du barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2022 ;
- les frais divers, comprenant l'assistance à expertise et des frais de transport, s'élèvent à 580 euros ;
- le besoin d'assistance par une tierce personne après consolidation a été évalué à sept heures par jour, en tenant compte des aides techniques à mettre en place ; sur la base d'un coût horaire de 26 euros pour tenir compte des dimanches et jours fériés, le préjudice correspond, une fois déduite la prestation de compensation du handicap, à 342 700,43 euros
jusqu'au 30 septembre 2023, et à 1 495 942,91 euros pour la période à venir, soit au total 1 838 643,34 euros ;
- les frais d'aménagement de la salle de bain se sont élevés à 4 117,54 euros, et la prestation de compensation du handicap, dans son volet " aides techniques ", ne lui a pas été versée faute d'avoir été en mesure de payer l'artisan ; ainsi que le souligne le sapiteur ergothérapeute, les aménagements du logement préconisés ne constitueraient qu'une adaptation partielle au handicap et un relogement doit être privilégié ; c'est pourquoi ce poste doit être réservé, mais le versement d'une provision pour couvrir les frais d'aménagement de la salle de bain est demandé ;
- les frais de véhicule adapté doivent être réservés ;
- la perte de gains professionnels pour la période post-consolidation doit être calculée au regard du montant du salaire qu'il percevait auparavant, actualisé compte tenu de l'érosion monétaire à 2 110,42 euros et en tenant compte du salaire perçu pour son mi-temps, des indemnités journalières et de sa pension d'invalidité, soit un préjudice de 6 423,18 euros pour la période passée au 30 septembre 2023, sous réserve de " la créance définitive
de la caisse de sécurité sociale " ; pour la période à échoir, le préjudice représente un capital
de 555 750,93 euros ;
- une somme de 60 000 euros peut lui être allouée pour réparer l'incidence professionnelle découlant d'une pénibilité et d'une fatigabilité accrue du fait de l'absence d'aménagement de son poste et d'une dévalorisation et une perte du lien social ;
- eu égard à l'importance de ses troubles fonctionnels ayant entraîné une perte d'autonomie quasi-totale, le déficit fonctionnel temporaire doit être indemnisé sur une base de 28 euros par jour pour une incapacité totale, soit une somme de 29 531 euros ;
- les souffrances endurées pendant trois ans, cotées 6 sur 7, correspondent à un préjudice de 28 000 euros ;
- le préjudice esthétique temporaire évalué à 4 sur 7 peut être indemnisé à hauteur de 10 000 euros ;
- une indemnité de 204 000 euros peut lui être versée pour son déficit fonctionnel permanent, évalué à 60 % et afin de tenir compte de l'altération majeure de sa qualité de vie ;
- l'altération définitive de son apparence physique, évaluée à 3,5 sur 7, peut être indemnisée à hauteur de 15 000 euros ;
- l'impossibilité de pratiquer les jeux de cartes et de société ainsi que la danse, et de s'investir autant qu'auparavant dans des associations, doit donner lieu au versement d'une indemnité de 20 400 euros ;
- le préjudice sexuel peut être fixé à 10 000 euros et son préjudice d'établissement, eu égard aux répercussions de son handicap sur sa vie familiale, à 30 000 euros.
Par un mémoire, enregistré le 13 septembre 2023, le CHU de Cayenne, représenté par la SELARL Fabre et associés, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de M. D... la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le lien de causalité entre les soins dentaires réalisés dans l'établissement et la spondylodiscite a été écarté par les experts désignés par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) ; l'infection était acquise dès le 3 juin 2015 et a justifié l'intervention en urgence le jour même ; d'ailleurs, l'origine du germe rend peu probable que l'infection ait pour origine les soins dentaires ;
- l'expert judiciaire, s'il retient le caractère nosocomial de l'infection, a relevé que les soins avaient été réalisés sans aucune faute et a mis en cause le médecin généraliste ;
- eu égard au taux du déficit fonctionnel permanent, la réparation des préjudices incombe à l'ONIAM.
Par des mémoires, enregistré le 4 octobre, 6 novembre et 23 novembre 2023, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot, Ravaut et associés, conclut au rejet de la requête ou, à défaut, à ce que l'indemnisation soit limitée à 196 229,75 euros, au rejet du surplus de la demande et à la réduction à de plus justes proportions de la demande présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- il n'existe pas de lien de causalité entre les soins dentaires et la spondylodiscite selon les experts CCI, puisque l'infection est apparue trois mois après les soins et que le germe en cause n'est pas habituel dans la sphère bucco-dentaire ; aucune présomption du caractère nosocomial d'une infection n'a été instaurée par la jurisprudence ;
- les conclusions de l'expertise judiciaire selon lesquelles le patient ne présentait pas de signes infectieux avant la réalisation des soins dentaires et qu'aucune porte d'entrée infectieuse n'aurait été identifiée en dehors de ces soins sont contestables ; M. D... a présenté une cellulite dentaire ayant motivé une prise en charge aux urgences en 2013, plusieurs épisodes infectieux sans geste médical associé et une nécrose pulpaire en
mars 2015 ; le médecin référent de l'ONIAM estime qu'il n'est pas possible de retenir de manière certaine que la bactériémie à l'origine de la spondylodiscite est en lien avec un acte de soin ; l'infection peut avoir pour origine les activités orales quotidiennes et le risque de survenue d'une bactériémie est accru en présence de facteurs de risques, tels qu'en l'espèce, l'état bucco-dentaire très altéré et un diabète de type 2 non équilibré ; dans ces conditions, le caractère nosocomial de l'infection ne peut être privilégié par rapport à une origine extérieure ; les premiers signes cliniques de l'infection disco-vertébrale sont apparus 13 à 28 jours après les soins, soit un délai supérieur au délai de sept jours normalement constaté lorsque l'infection est nosocomiale ;
- certains postes de préjudice ne peuvent être liquidés en l'absence de production de " la créance définitive de la caisse de sécurité sociale " et faute pour M. D... de produire les justificatifs nécessaires au chiffrage du préjudice ; dès lors, les postes relatifs aux dépenses de santé actuelles et futures, aux frais divers, à l'assistance par une tierce personne, à la perte de gains professionnels, aux frais de logement et de véhicule adaptés doivent être rejetés ou réservés ;
- l'ONIAM n'a pas à rembourser les créances des organismes sociaux ;
- l'indemnisation peut être effectuée sur la base du barème de l'ONIAM et de sa table de capitalisation ;
- s'agissant des dépenses de santé, il n'est pas établi que le requérant n'ait pas perçu de prestations de la part de sa complémentaire santé pour la période avant le 19 mars 2018 ; pour l'acquisition d'un fauteuil roulant léger, il est nécessaire de connaître le montant des débours de la caisse de sécurité sociale et de la mutuelle ;
- les pièces produites pour justifier des prestations perçues pour compenser le besoin en assistance par une tierce personne sont incomplètes et ne permettent pas de connaître le montant effectivement perçu ; le préjudice pour une période qui a duré 347 jours peut être calculé sur la base d'un taux horaire de 13 euros pour une aide non spécialisée et une durée annuelle de 412 jours, soit 35 643,08 euros ; le montant de la prestation de compensation du handicap pouvant être évalué, pour la période du 1er novembre 2016 au 13 juillet 2018,
à 7 295,54 euros, l'indemnité ne saurait dépasser 28 347,54 euros ;
- il doit être sursis à statuer sur le poste relatif aux pertes de gains professionnels dans l'attente de la production des débours de la caisse de sécurité sociale s'agissant des indemnités journalières et de la pension d'invalidité ;
- M. D... ne justifie pas n'avoir rien perçu de sa complémentaire santé depuis 2015 s'agissant des franchises médicales, et il appartient à la caisse de sécurité sociale de produire ses débours ; s'agissant des aides techniques, les pièces produites sont insuffisantes pour évaluer leur coût et déterminer si d'éventuelles prestations sociales doivent venir en déduction ;
- au titre des frais divers, les frais de médecin conseil relèvent des frais relatifs au litige, et il n'est pas établi que les frais de transport n'auaraient pas été pris en charge par un organisme tiers ;
- les mêmes observations peuvent être formulées sur l'aide par une tierce personne ; dès lors que M. D... demande une indemnisation pour les aménagements préconisés pour le logement et le véhicule, le besoin d'aide doit être réduit pour la période à échoir, conformément aux conclusions du rapport d'expertise, et ne pas dépasser trois heures par jour ; ce besoin futur est entièrement couvert par la prestation de compensation du handicap ; les pièces produites par le requérant s'agissant de la prestation de compensation du handicap sont incomplètes et il convient de retenir un montant mensuel d'aide de 355,84 euros pour la période allant de la consolidation de son état de santé au mois de novembre 2019 ; l'indemnisation allouée pour la seule période échue du 14 juillet 2018 au 31 décembre 2023 ne saurait excéder 180 219,31euros ;
- la demande d'indemnisation provisionnelle pour les frais d'adaptation du logement doit être rejetée puisque le requérant indique être à la recherche d'un logement adapté ; en outre, la facture d'aménagement de la salle de bain n'est pas suffisamment explicite pour s'assurer que les travaux correspondent aux aménagements préconisés par le sapiteur ergothérapeute ; à défaut, il ne pourra qu'être sursis à statuer sur ce poste de préjudice ;
- il doit être fait droit à la demande du requérant de réserver le poste des frais de véhicule adapté dans l'attente de son passage d'un examen d'aptitude à la conduite ; il lui appartiendra ensuite de produire les justificatifs des sommes perçues de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) ;
- la demande au titre de la perte des gains professionnels futurs doit être rejetée dès lors que sa liquidation est impossible en raison de l'absence de précisions sur le montant de la pension d'invalidité qui est servie d'une part, et sur les prestations versées par le ou les organismes de complémentaire santé d'autre part ; à défaut, il doit être sursis à statuer sur cette demande ;
- s'agissant de l'incidence professionnelle, la pénibilité au travail peut donner lieu à une indemnité de 10 000 euros maximum dès lors que M. D... accèdera à la retraite dans quatre ans ; la dévalorisation et la perte de lien social ne sont pas établies ; l'intéressé a par ailleurs abandonné sa demande au titre de la perte de droits à la retraite ;
- le déficit fonctionnel temporaire peut être indemnisé sur la base de 15 euros par jour pour une incapacité totale et ne saurait dès lors excéder la somme de 15 723,75 euros ;
- l'indemnisation des souffrances endurées ne peut excéder 24 000 euros ;
- une somme de 4 000 euros peut être allouée pour le préjudice esthétique temporaire ; le port d'une sonde vésicale n'est pas de nature à majorer cette indemnisation ;
- compte tenu de son âge à la date de consolidation, soit 56 ans, le déficit fonctionnel que conserve l'intéressé peut être fixé à 130 006 euros ; l'atteinte à la qualité de la vie est déjà prise en compte dans le taux d'incapacité retenu, et la baisse du niveau de vie est réparée dans le cadre des préjudices patrimoniaux ;
- la somme allouée au titre du préjudice esthétique permanent ne peut dépasser 3 500 euros et répare déjà le fait de devoir se tenir courbé pendant la marche avec un déambulateur ; le port d'un étui pénien n'altère pas de façon significative l'apparence physique ;
- la demande au titre du préjudice d'agrément doit être rejetée, dès lors que l'intéressé peut poursuivre ses activités associatives et que la pratique de la danse n'est pas établie ;
- l'indemnisation du préjudice sexuel ne saurait excéder 4 000 euros ;
- l'indemnisation du préjudice d'établissement caractérisé par l'atteinte à sa vie familiale doit être limitée à 5 000 euros ; le lien entre les conséquences de son infection et la séparation d'avec sa compagne n'est pas rapporté.
Par une ordonnance du 24 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 4 décembre 2023.
Des pièces ont été demandées par la cour, sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, le 14 décembre 2023, et la caisse générale de sécurité sociale de la Guyane a présenté des observations en réponse, enregistrées le 4 mars 2024, précisant qu'elle n'avait aucune prestation pour cette affaire et n'avait donc pas de créance à faire valoir.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 30 décembre 2022 fixant le montant du tarif minimal mentionné au I de l'article L. 314-2-1 du code de l'action sociale et des familles pour 2023 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Raffier, représentant M. D..., et de Me Ravaut, représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... a été pris en charge par le centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne pour une cellulite dentaire infectieuse, pour laquelle il a bénéficié de 2013 au 19 mars 2015 de plusieurs soins dentaires, dont le dernier sous forme d'une endodontie (soins de racine consistant à retirer d'une dent la pulpe infectée ou nécrosée) avec obturation à chaud. Souffrant de cervicalgies permanentes au cours du mois d'avril 2015, M. D... a passé une IRM, le 21 mai 2015, qui a mis en évidence une lyse de C4 avec compression médullaire. Le 3 juin 2015, il s'est rendu au service des urgences du centre médico-chirurgical de Kourou en raison d'un déficit moteur proximal du membre supérieur gauche. Une exploration par body scanner a établi que le déficit de l'hémicorps gauche avec déficit complet du membre supérieur et incomplet au membre inférieur était dû à une lyse complète de C4, un début de lyse du corps de C3 et une compression majeure du fourreau dural. Au regard d'une suspicion tumorale, il a alors subi dans la nuit du 3 au 4 juin une opération par voie antérieure pour ostéosynthèse C3-C5 avec un greffon en ciment gentamycine. L'aggravation de ses troubles neurologiques en post-opératoire a conduit à une nouvelle intervention le 4 juin par voie postérieure pour ostéosynthèse C3-C4-C5 et laminectomie
C4-C5. Les prélèvements bactériologiques ont mis en évidence un staphylocoque doré méticilline sensible, et les analyses anatomopathologiques ont conclu à une spondylodiscite aigüe, infection sévère des disques intervertébraux, et à une absence de processus tumoral visible. M. D... a bénéficié d'une antibiothérapie pendant trois mois et a commencé sa prise en charge rééducative d'une tétraplégie sur spondylodiscite de C4 à partir du
17 août 2015 en métropole. S'il a récupéré une sensibilité et une motricité, il est resté atteint d'une tétraparésie spastique de niveau C6, nécessitant notamment un fauteuil roulant manuel ou un déambulateur à quatre roues.
2. Estimant que ses problèmes neurologiques étaient dus aux soins dentaires dont il avait bénéficié au service d'odontologie du centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne
le 19 mars 2015, M. D... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) le 22 juillet 2016. Le rapport d'expertise remis par un médecin spécialiste en médecine légale et un anesthésiste le 24 août 2017 a conclu que l'imputabilité de l'infection aux soins dentaires, qui ont été effectués selon les règles de l'art, ne pouvait être retenue de façon directe et certaine. Au vu de ce rapport, la CCI a émis, le 23 novembre 2017, un avis défavorable à la demande d'indemnisation présentée par M. D... en relevant à la suite des experts que le germe était inhabituel pour des soins bucco-dentaires, plutôt associés usuellement aux streptocoques, et le centre hospitalier a en conséquence rejeté la demande par une décision du 10 janvier 2018. M. D... a alors saisi le tribunal administratif de la Guyane d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier à l'indemniser de ses préjudices et à ce que soit ordonnée, avant dire droit, une expertise en vue d'en déterminer l'étendue. Par un jugement du 2 avril 2020, le tribunal a rejeté sa demande. Par un arrêt avant dire droit du 20 octobre 2022, la cour, saisie par M. D..., a ordonné une expertise. Le rapport, établi par le Dr A..., spécialiste en réanimation médicale et maladies infectieuses, avec la contribution de M. C..., ergothérapeute
en qualité de sapiteur, a été déposé le 7 juin 2023. Dans le dernier état de ses écritures,
M. D... demande l'annulation du jugement du 2 avril 2020 et la mise à la charge de l'ONIAM de la somme de 2 880 689,94 euros en réparation de ses préjudices, ainsi qu'une provision de 4 117,54 euros à valoir sur ses frais de logement adapté, et de réserver l'indemnisation des dépenses de santé actuelles et futures, des frais de logement adapté et des frais de véhicule adapté.
Sur l'engagement de la solidarité nationale :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales (...) ". Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial au sens de ces dispositions une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.
4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que
M. D... a présenté une infection disco-vertébrale, dont les premiers signes cliniques ont débuté dans la première moitié du mois d'avril 2015, et que cette infection est due à un staphylococcus aureus identifié le 7 juin. Selon l'expert, cette infection est survenue dans les suites des soins dentaires réalisés au centre hospitalier de Cayenne le 19 mars 2015, ayant consisté en une endodontie avec obturation à chaud, dès lors que la bactérie staphylococcus aureus est naturellement présente dans la cavité buccale sans provoquer d'infection et que les soins dentaires invasifs exposent à des bactériémies immédiates du fait de l'effraction de la muqueuse. Pour la qualifier d'infection nosocomiale, l'expert a relevé que ces bactériémies d'origine dentaire exposent à des infections disco-vertébrales, que le patient ne présentait pas de signe d'infection à staphylococcus aureus avant l'intervention, qu'aucune porte d'entrée infectieuse n'a été identifiée en dehors de ces soins dentaires et que les signes de l'infection sont apparus dans un délai compatible avec la survenue d'une infection disco-vertébrale (en l'occurrence, entre 13 et 43 jours après) et que l'état antérieur (diabète, tabagisme...) n'entre pas dans la qualification de l'infection. Pour remettre en cause ces conclusions, l'ONIAM produit un avis critique faisant valoir qu'il existe de nombreuses infections dentaires sans geste médical associé et qu'eu égard à l'état bucco-dentaire délabré du patient et à l'existence d'un diabète mal équilibré, il est fort probable que la contamination de M. D... soit endogène. Toutefois, cet avis critique ne suffit pas à remettre en cause les conclusions auxquelles est parvenu l'expert à l'issue d'un examen contradictoire, eu égard au faible délai qui a séparé les premiers signes de l'infection disco-vertébrale de l'acte invasif que constituaient les soins d'endodontie. En outre, la circonstance que les complications survenues à la suite de ces soins auraient été favorisées par l'état initial du patient ne permet pas d'établir que l'infection aurait une autre origine que la prise en charge. Dans ces conditions, le dommage dont est victime M. D... résulte d'une infection nosocomiale, et il appartient à la solidarité nationale de prendre en charge la réparation de ses conséquences, dès lors que le taux de déficit fonctionnel que conserve l'intéressé est évalué
à 60 %.
Sur les préjudices :
5. Si M. D... a demandé l'intervention forcée de sa mutuelle MTRL, il est constant que les mutuelles ne peuvent faire valoir aucune créance contre l'ONIAM, qui n'est pas un tiers responsable au sens du code de la sécurité sociale. Par suite, la MTRL ne peut avoir la qualité de partie à l'instance dirigée contre cet établissement public, et il appartient seulement au requérant de solliciter de sa mutuelle tous documents utiles au soutien de ses prétentions.
6. La consolidation de l'état de santé de M. D... a été fixée
au 14 juillet 2018, au vu de la stabilisation de sa tétraparésie, ce qui lui a permis de regagner son domicile et de reprendre une activité professionnelle à temps partiel.
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
S'agissant des préjudices avant consolidation :
7. En premier lieu, M. D... soutient avoir exposé certaines dépenses pour l'acquisition d'aides techniques, notamment un fauteuil de douche, une pince de préhension, des enfile-bas, un chausse-pied et un siège modulaire, à l'exclusion du fauteuil roulant qui a été entièrement pris en charge. Il produit les décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées ou du comité de gestion du Fonds départemental de compensation du handicap, datées des 7 février 2017, 21 juillet 2017 et 15 mai 2018, lui ayant accordé une prestation de compensation du handicap dans sa composante " aides techniques ", et indiquant qu'il est resté à sa charge, après prise en compte des remboursements de la sécurité sociale, la somme de 1 817,26 euros. Il convient d'en exclure le reste à charge relatif à l'appareil auditif (soit 496 euros) qui est, selon l'expert, sans lien avec l'infection nosocomiale. Si M. D... dispose d'une complémentaire santé, il n'est pas établi que ce reste à charge aurait été compensé par son assurance. Par suite, la somme
de 1 321,26 euros (1 871,26 - 496) doit être mise à la charge de l'ONIAM.
8. En deuxième lieu, le besoin d'aide par une tierce personne a été évalué par l'expert et le sapiteur ergothérapeute à sept heures par jour pour les périodes hors hospitalisation, soit le 7 septembre 2016, puis, après la longue période d'hospitalisation pour rééducation en métropole, du 1er août 2017 au 14 juillet 2018, date de la consolidation de l'état de santé, soit un total de 331 jours. Sur la base d'un coût horaire de 13,75 euros correspondant au SMIC horaire moyen durant cette période, tenant compte des charges patronales et des majorations de rémunération pour travail du dimanche, et une année
de 412 jours pour prendre en compte les droits à congés, le préjudice peut être fixé
à 35 961,11 euros.
9. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise et de la décision
de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées datée
du 7 février 2017, que M. D... s'est vu attribuer une prestation de compensation du handicap pour couvrir ses besoins en aide humaine à hauteur de 3 heures par jour. Toutefois, le requérant n'a produit aucune pièce permettant d'évaluer le montant qui lui a été versé pour la période visée au point précédent. Par conséquent, l'ONIAM versera la somme fixée au point précédent, sous réserve que M. D... produise les justificatifs des sommes perçues au titre de la prestation de compensation du handicap et des éventuelles aides perçues de sa mutuelle pour couvrir son besoin en aide humaine, qui seront alors déduites.
10. En troisième lieu, M. D... travaillait, à la date de ses problèmes de santé, auprès d'un groupement d'intérêt public, la maison départementale des personnes handicapées, depuis septembre 2010, sous contrat de travail à durée déterminée régulièrement renouvelé tous les ans, y compris après ses complications. Il résulte de son avis d'imposition sur les revenus de l'année 2014 que son traitement mensuel était de 1 918 euros. Il aurait donc dû percevoir, pour la période courant du 3 juin 2015 au 14 juillet 2018 (soit 37,5 mois), des revenus professionnels d'un montant de 71 925 euros. Il résulte également des avis d'imposition que l'intéressé, qui a été successivement placé en arrêt de travail, puis en congé de longue maladie, puis à mi-temps thérapeutique, a déclaré durant cette même période des revenus d'un montant de 54 221 euros, auxquels s'est ajoutée, à compter du 1er juin 2018, une pension d'invalidité de catégorie 2 pour un montant, avant consolidation, de 1 500 euros. La perte de revenus professionnels pour la période avant consolidation s'élève ainsi
à 16 204 euros (71 925 - 54 221 - 1 500).
S'agissant des préjudices après consolidation :
11. En premier lieu, M. D... a exposé des frais afin de se faire assister par son médecin traitant lors des opérations d'expertise qui, contrairement à ce que fait valoir l'ONIAM, ne relèvent pas des frais liés au litige remboursés sur le fondement de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il a également recouru à trois reprises aux services d'une société de transport de personnes à mobilité réduite, pour des besoins de déplacement hors activité professionnelle en septembre, novembre et décembre 2022. Il n'est pas établi que ces frais auraient été remboursés par un organisme de complémentaire santé. Le requérant est ainsi fondé à demander une somme de 580 euros au titre des frais divers.
12. En deuxième lieu, le besoin d'aide par une tierce personne a été évalué par l'expert et le sapiteur ergothérapeute à 7 heures par jour, soit le même volume que pour la période avant consolidation. Le rapport d'expertise précise toutefois que la réalisation d'aménagement du domicile, du véhicule et la prise en charge d'aides techniques seraient de nature à réduire cette durée de 3 à 4 heures par jour.
13. Pour la période courant de la date de consolidation, le 14 juillet 2018,
au 31 décembre 2022, il y a lieu de retenir le SMIC horaire moyen chargé pour la période,
soit 14,40 euros, et une année de 412 jours pour tenir compte des droits à congés. Le préjudice pour cette première période s'élève à 184 512 euros. M. D... se prévaut de l'arrêté
du 30 décembre 2022 ayant fixé le montant minimal de l'aide à domicile à 23 euros. Il y a lieu de retenir ce montant pour la période courant du 1er janvier 2023 au 11 juillet 2024, date du présent arrêt, sans avoir à majorer ce montant pour les dimanches et droits à congés, dès lors que cette majoration est déjà incluse dans le tarif retenu. Le préjudice pour cette deuxième période s'élève ainsi à 89 999 euros. Il s'ensuit que le préjudice pour la période passée doit être fixé à 274 511 euros.
14. Durant cette même période, M. D... a perçu la prestation
de compensation du handicap pour un montant total de 19 532,63 euros jusqu'en
septembre 2023. Toutefois, ainsi que le fait valoir l'ONIAM en défense, le récapitulatif des sommes perçues est incomplet puisqu'il ne mentionne aucun versement pour la période antérieure au mois de novembre 2018, alors que M. D... percevait la prestation depuis deux ans à cette date, pas plus que les versements entre décembre 2018 et novembre 2019, et qu'il ne comporte pas non plus les versements postérieurs à septembre 2023.
Dans ces conditions, la somme citée au point précédent sera versée sous réserve que
M. D... produise les justificatifs complets des montants de prestation de compensation du handicap pour la période du 14 juillet 2018 au 11 juillet 2024, ainsi que les éventuelles aides de sa complémentaire santé pour couvrir le besoin en aide humaine, qui viendront en déduction.
15. Pour la période future, il y a lieu d'allouer à M. D..., sur la base du tarif de 23 euros mentionné au point précédent, une rente annuelle de 58 765 euros, versée par trimestre à échoir, revalorisée annuellement par application du coefficient prévu à
l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale, sous réserve, d'une part, que l'intéressé produise les montants de prestations de compensation du handicap et les aides éventuellement reçues de sa complémentaire santé pour couvrir l'aide humaine, qui viendront en déduction sur les versements de l'année suivante, et, d'autre part, d'une réévaluation de ses besoins après réalisation des aménagements demandés pour le logement et le véhicule, qui pourra être demandée par l'ONIAM.
16. En troisième lieu, M. D..., dont le contrat à durée déterminée a été transformé en contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2019, aurait dû percevoir, pour la période courant du 14 juillet 2018 au 11 juillet 2024, date du présent arrêt (soit 72 mois), des revenus professionnels d'un montant de 142 416 euros. Durant cette période, il a travaillé à temps partiel à hauteur de 50 % et perçu une pension d'invalidité de catégorie 2 qui représente 50 % du traitement. Il résulte de l'instruction, et notamment de ses avis d'imposition, que l'intéressé n'a subi aucune perte de gains professionnels pour la période postérieure à la consolidation de son état de santé.
17. Pour la période à venir, il résulte de l'instruction que M. D..., qui a atteint l'âge légal de départ à la retraite le 31 août 2023, a décidé de poursuivre son activité professionnelle à temps partiel jusqu'à l'âge d'obtention du taux maximum. Ainsi que l'indique un courrier de la caisse de retraite, il peut ainsi continuer à cumuler son traitement et sa pension d'invalidité jusqu'à ce qu'il cesse de travailler. Dans ces conditions, il ne subira aucune perte de revenus professionnels. Par ailleurs, M. D... ne saurait demander la compensation de pertes hypothétiques de droits à la retraite, qu'il ne démontre pas, par la garantie à vie d'un niveau de revenu équivalent à celui qu'il aurait touché s'il était resté en activité à temps plein.
18. En quatrième lieu, dans le dernier état de ses écritures, M. D... soutient subir une pénibilité et une fatigabilité au travail, ainsi qu'une dévalorisation et une perte de lien au travail. Il n'est toutefois pas établi que le contenu de ses tâches aurait été réduit après ses problèmes de santé, ni que le fait de ne travailler que le matin l'empêcherait de déjeuner avec ses collègues comme il le fait valoir. En revanche, il exerce son activité professionnelle depuis 2015 sur un poste non aménagé et fait face à une pénibilité accrue. Dans ces conditions, il peut lui être alloué une somme de 15 000 euros au titre de l'incidence professionnelle.
19. En cinquième lieu, il résulte tant des conclusions de l'expert que de l'avis du sapiteur ergothérapeute qu'un relogement de M. D... est nécessaire, les aménagements de son logement actuel étant insuffisants pour lui permettre de vivre avec suffisamment d'autonomie. Il y a lieu, par suite, de réserver ce chef de préjudice pour l'avenir, comme le demande l'intéressé. L'intéressé a toutefois déjà exposé, en
septembre 2020, des frais d'aménagement de sa salle de bains afin de créer une douche à siphon de sol, mettre des barres d'appui et installer des toilettes surélevées et un lavabo suspendu pour un montant de 4 117,54 euros, suffisamment établi par la facture produite, et qu'il y a donc lieu de mettre à la charge de l'ONIAM.
20. En dernier lieu, il est constant que l'aptitude à la conduite de M. D... est subordonnée à un nouvel examen. Par suite, ainsi qu'il le demande, il y a lieu de réserver le chef de préjudice tenant à l'aménagement d'un véhicule, qui ne peut en l'état qu'être rejeté. Il appartiendra au requérant de saisir l'ONIAM d'une demande sur ce point lorsqu'il sera en mesure de justifier la nécessité d'un véhicule, son aptitude à le conduire, le coût des aménagements nécessaires et le montant éventuel des aides dont il pourrait bénéficier.
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :
21. M. D... a subi un déficit fonctionnel qui a été total durant les périodes d'hospitalisation, soit du 3 juin 2015 au 6 septembre 2016, puis du 8 septembre 2016
au 31 juillet 2017 (789 jours), et partiel à hauteur de 75 % le 7 septembre 2016 et du
1er août 2017 au 31 juillet 2018 (348 jours). Sur la base d'un taux de 20 euros par jour d'incapacité totale, le déficit fonctionnel temporaire peut être fixé à 21 000 euros.
22. Les souffrances endurées pour la période avant consolidation, qui a duré plus de trois ans, ont été cotées 6 sur une échelle de 7 par l'expert, en raison, d'une part, des deux interventions chirurgicales qui ont justifié 2,5 mois d'hospitalisation puis 23 mois de rééducation, et, d'autre part, des douleurs neuropathiques, de la spasticité douloureuse et de la capsulite rétractile, ainsi que de la nécessité d'être sondé à plusieurs reprises. Dans ces conditions, le préjudice peut être évalué à 25 000 euros.
23. Le préjudice esthétique temporaire a été coté à 4 sur une échelle de 7. L'expert retient l'altération de l'apparence physique en raison d'un déplacement en fauteuil roulant propulsé, du port d'une sonde vésicale et des cicatrices cervicales antérieure et postérieure de, respectivement, 6 et 14 centimètres. A ce titre, il peut être alloué à M. D... une somme de 6 000 euros.
24. A la suite de la consolidation de son état de santé, M. D... conserve un déficit fonctionnel qui a été évalué à 60 % du fait de l'altération de la marche, qui ne reste possible qu'en intérieur à l'aide d'un déambulateur et sur de très courtes distances, de l'altération de la préhension fine, des fuites urinaires et du retentissement psychologique. Dans ces conditions, et eu égard à son âge à la date de consolidation (56 ans), le déficit fonctionnel permanent peut donner lieu à une indemnité de 131 000 euros.
25. L'altération physique que conserve M. D..., lequel alterne marche avec un déambulateur et usage d'un fauteuil roulant, a été évaluée par l'expert à 3,5 sur une échelle de 7. Le préjudice esthétique permanent peut ainsi être fixé à 5 000 euros.
26. Il ne résulte pas de l'instruction que M. D... ne serait plus en mesure de pratiquer les jeux de cartes et jeux en société, et il est également établi qu'il poursuit malgré tout ses activités associatives. Si le rapport d'expertise indique que M. D... n'est plus en mesure de pratiquer la danse, il n'est pas démontré que ce loisir était habituel et régulier avant les complications médicales dont a été victime l'intéressé et qu'un préjudice d'agrément devrait être réparé distinctement des troubles dans les conditions d'existence déjà indemnisés au titre du déficit fonctionnel permanent.
27. Le rapport d'expertise retient un préjudice dans l'accomplissement de l'acte sexuel, dans sa composante positionnelle, ainsi qu'un préjudice d'établissement, la compagne de M. D... qui désirait un enfant l'ayant quitté. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressé, qui est déjà père de trois enfants et était âgé de 53 ans à la date de survenue du dommage, aurait été dans l'incapacité de procréer, de sorte qu'il n'est pas établi que le départ de sa compagne serait une conséquence de ses problèmes médicaux. Dans les circonstances de l'espèce, aucun préjudice d'établissement n'est caractérisé et il y a lieu de lui allouer pour son préjudice sexuel une somme de 4 000 euros.
28. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande, et à demander que l'ONIAM lui verse la somme de 229 222,80 euros. Au titre de l'assistance par une tierce personne, l'ONIAM versera les sommes de 35 961,11 euros pour la période avant consolidation, de 274 511 euros pour la période après consolidation jusqu'à la date du présent arrêt, ainsi qu'une rente pour la période future d'un montant annuel de 58 765 euros, versée par trimestre à échoir, revalorisée annuellement par application du coefficient prévu à l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale, sous réserve, dans les trois cas, que l'intéressé produise les montants de prestations de compensation du handicap et les aides éventuellement reçues de sa complémentaire santé pour couvrir l'aide humaine et, s'agissant de la rente, d'une réévaluation de ses besoins après réalisation des aménagements demandés pour le logement et le véhicule.
Sur les frais liés au litige :
29. Les frais d'expertise, liquidés à la somme totale de 8 472,82 euros (4 752,82 euros pour l'expert et 3 720 euros pour le sapiteur) par ordonnance
du 14 juin 2023, doivent, dans les circonstances de l'espèce, être mis à la charge de l'ONIAM.
30. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 2 000 euros à verser à Me Raffier sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. D..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le CHU de Cayenne avait demandée avant l'arrêt avant dire droit au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 2 avril 2020 est annulé.
Article 2 : L'ONIAM versera à M. D... une indemnité de 229 222,80 euros.
Article 3 : Au titre de l'assistance par une tierce personne, l'ONIAM versera les sommes
de 35 961,11 euros pour la période avant consolidation, de 274 511 euros pour la période après consolidation jusqu'à la date du présent arrêt, ainsi qu'une rente pour la période future d'un montant de 58 765 euros, versée par trimestre à échoir, revalorisée annuellement par application du coefficient prévu à l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale, sous réserve, dans les trois cas, que l'intéressé produise les montants de prestations de compensation du handicap et les aides éventuellement reçues de sa complémentaire santé pour couvrir l'aide humaine et, s'agissant de la rente, d'une réévaluation de ses besoins après réalisation des aménagements demandés pour le logement et le véhicule.
Article 4 : Les frais d'expertise, d'un montant de 8 472,82 euros, sont mis à la charge de l'ONIAM.
Article 5 : L'ONIAM versera à Me Raffier la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 6 : Le surplus des conclusions de M. D... est rejeté.
Article 7 : Les conclusions présentées par le CHU de Cayenne sur le fondement de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., au centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affectations iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse générale de sécurité sociale de la Guyane, à la maison départementale des personnes handicapées de la Guyane, à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales et à Me Raffier. Copie en sera adressée au Dr A..., expert.
Délibéré après l'audience du 2 juillet 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 juillet 2024.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20BX03629