Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 16 septembre 2021, le 11 avril 2022, le 16 mai 2022, le 16 juin 2022, le 3 janvier 2024 et le 6 mars 2024, la société d'exploitation éolienne de Beaulieu, représentée par Me Gelas, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 16 juillet 2021 par lequel le préfet de l'Indre a refusé de faire droit à sa demande d'autorisation environnementale unique en vue de l'installation et de l'exploitation du parc éolien des Chardons sur la commune de Beaulieu ;
2°) à titre principal, de lui accorder l'autorisation sollicitée et de l'assortir, en tant que besoin, des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement et à défaut, de lui accorder l'autorisation sollicitée et d'enjoindre au préfet de l'Indre de fixer, s'il y a lieu, les prescriptions techniques dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Indre de lui délivrer l'autorisation sollicitée dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard et à défaut, d'enjoindre au préfet de l'Indre de prendre une décision sur sa demande d'autorisation dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'association Bocage de Beaulieu et autres ne disposent pas d'un intérêt à intervenir ;
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé en méconnaissance de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le préfet s'est estimé lié par l'avis de l'union départementale du patrimoine et de l'architecture de l'Indre (UDAP 36) du 15 octobre 2020 ;
- le contenu de l'étude d'impact concernant l'analyse des variantes retenues par le projet est suffisant ;
- le paysage avoisinant le projet du parc éolien ne présente pas d'intérêt particulier justifiant une protection au titre de l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;
- le projet ne porte pas atteinte à l'intérêt et à la conservation du site classé de la butte, du hameau et des vestiges du château de Brosse ;
- le projet ne porte pas atteinte à la conservation de l'église de Saint-Sylvain de Cromac ;
- compte tenu des différentes mesures proposées, le projet n'engendre pas d'atteinte pour les chiroptères ;
- les arguments soulevés par les intervenants relatifs à la présence de la cigogne noire à proximité du projet ne sont pas fondés ;
- la substitution de motif sollicitée par le préfet de l'Indre n'est pas fondée.
Par des mémoires en intervention, enregistrés le 19 janvier 2022, 14 avril 2022 et 25 janvier 2024 et 17 avril 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, l'association Bocage de Beaulieu, M. A... H..., M. B... G..., M. D... F... et M. E... C..., représentés par Me Catry, demandent à la cour d'admettre leur intervention volontaire, de rejeter la requête de la société d'exploitation éolienne de Beaulieu, subsidiairement, de renvoyer au préfet de l'Indre le soin de prendre une nouvelle décision sur la demande d'autorisation présentée et de mettre à la charge de la société d'exploitation éolienne de Beaulieu une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils justifient d'un intérêt à intervenir au soutien du maintien de l'arrêté attaqué ;
- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés ;
- le projet éolien en litige est situé à proximité de trois nids de cigogne noire identifiés par la DREAL Nouvelle-Aquitaine ; la cour devra donc limiter les conséquences de l'annulation qu'elle est susceptible de prononcer à une simple injonction de réexamen de la demande sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative.
Par des mémoires en défense enregistrés les 23 février 2022 et 16 mai 2022, le ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense enregistrés le 8 février 2024 et le 29 mars 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le préfet de l'Indre demande à la cour :
1°) à titre principal, de procéder à une substitution de base légale de son arrêté du 16 juillet 2021 ;
2°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête de la société d'exploitation éolienne de Beaulieu ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, de demander le réexamen du dossier de demande d'autorisation présenté par la société d'exploitation éolienne de Beaulieu.
Le préfet de l'Indre sollicite une substitution de motif afin de fonder l'arrêté attaqué sur le motif tiré de ce que la zone d'implantation du projet est située à l'intérieur du domaine vital de trois couples de cigognes noires recensés par la DREAL Nouvelle-Aquitaine et à l'intérieur du secteur de sensibilité maximale d'un de ces trois couples, de sorte que le projet est susceptible de mettre en péril la survie de cette espèce dont l'enjeu de conservation est très fort et il soutient que les moyens soulevés par la société requérante à l'encontre de la substitution de motifs sollicitée ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 30 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 7 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Edwige Michaud,
- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public ;
- les observations de Me Kerjean-Gauducheau, représentant la société d'exploitation éolienne de Beaulieu, et de Me Catry, représentant l'association Bocage de Beaulieu et autres.
Une note en délibéré produite pour les intervenants, par Me Catry, a été enregistrée le 6 mai 2024.
Considérant ce qui suit :
1. La société d'exploitation éolienne de Beaulieu a déposé le 6 juillet 2016 une demande d'autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien dénommé " Parc éolien des Chardons ", composé de quatre aérogénérateurs d'une hauteur de 180,30 mètres en bout de pales et d'un poste de livraison électrique, sur le territoire de la commune de Beaulieu (Indre). Par un premier arrêté du 27 décembre 2017, le préfet de l'Indre a rejeté cette demande. Par un jugement n°1800307 du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Limoges a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de l'Indre de réexaminer la demande d'autorisation. La cour administrative d'appel de Bordeaux, par un arrêt n° 20BX02722 du 27 septembre 2022, a rejeté le recours formé par le ministre de la transition écologique contre ce jugement. Par un nouvel arrêté du 16 juillet 2021, le préfet de l'Indre a de nouveau rejeté la demande d'autorisation de la société d'exploitation éolienne de Beaulieu. Par la présente requête, la société d'exploitation éolienne de Beaulieu demande l'annulation de l'arrêté du 16 juillet 2021.
Sur l'intervention :
2. Est recevable à former une intervention devant le juge du fond toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige. Dès lors qu'au moins l'un des intervenants est recevable, une intervention collective est recevable.
3. Il ressort de l'article 2 des statuts de l'association Bocage de Beaulieu que cette association a pour but, d'une part, de contribuer à la protection, à la sauvegarde et au développement du patrimoine environnemental naturel, construit, historique et culturel des territoires bocagers du Boischaut et d'autre part, d'agir afin d'assurer la protection et le respect de l'environnement et du cadre de vie des habitants de ce territoire. Dans ces conditions, l'association Bocage de Beaulieu justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance, au soutien du maintien de l'arrêté attaqué. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'intérêt à intervenir des autres intervenants, l'intervention de l'association Bocage de Beaulieu et autres doit être admise.
Sur la légalité de l'arrêté du 16 juillet 2021 :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
5. Après avoir visé le code de l'environnement, et notamment les articles L. 511-1 et L. 512-1 dans ses motifs, décrit le projet de parc éolien et rappelé l'historique de ce dossier, l'arrêté litigieux relève que le terrain d'assiette du projet est situé dans le Boischaut, paysage de bocage protégé caractéristique du sud du département de l'Indre qu'il convient de conserver, que la réalisation du projet de la société d'exploitation éolienne de Beaulieu est de nature à porter atteinte à l'intérêt du site classé de la butte, du hameau et du château de Brosse et de leurs abords ainsi qu'à l'église Saint-Sylvain de Cromac classée monument historique, que les quatre éoliennes seront implantées à moins de 200 mètres de bois et de haies qui constituent des habitats aux enjeux forts pour les chiroptères, et que la construction et l'exploitation des quatre éoliennes doivent être refusées au regard des articles R. 111-27 du code de l'urbanisme et R. 512-1 du code de l'environnement. La motivation de l'arrêté contesté est suffisante et permet de comprendre les éléments de droit et de fait sur lesquels la décision est fondée.
6. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le préfet de l'Indre, qui a seulement entendu s'approprier l'avis défavorable de l'unité départementale du patrimoine et de l'architecture de l'Indre (UDAP 36) du 15 octobre 2020, se serait estimé lié par cet avis.
7. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient la société requérante, le préfet de l'Indre n'a pas opposé dans l'arrêté attaqué un motif concernant l'insuffisance de l'étude d'impact concernant l'analyse des variantes. Par suite, le moyen tiré de ce que le contenu de l'étude d'impact concernant l'analyse des variantes retenues par le projet serait suffisant est inopérant.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...), les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ". Aux termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. ". Pour statuer sur une demande d'autorisation unique, il appartient à l'autorité administrative de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, l'exigence de protection des paysages et de conservation des sites et ne porte pas atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants. Pour rechercher si l'existence d'une atteinte à un paysage, à la conservation des sites et des monuments ou au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants est de nature à fonder un refus d'autorisation ou à fonder les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.
9. Pour justifier le refus opposé à la société d'exploitation éolienne de Beaulieu, le préfet de l'Indre s'est fondé sur le motif tiré de ce que son projet était de nature à porter atteinte à l'intérêt et à la conservation des sites et monuments protégés au titre du patrimoine historique et naturel.
10. Il résulte de l'instruction que le parc éolien projeté doit s'implanter dans l'entité du Boischaut situé au sud de la Vienne, qui est un paysage de bocage composé de vallons, de plateaux et de plaines, lequel n'a pas été anthropisé. L'étude paysagère indique que le périmètre rapproché paysager est constitué de bocages et que les activités sur le périmètre rapproché sont principalement tournées vers l'agriculture et le pâturage. Il ressort des photomontages de l'étude paysagère que le projet est peu perceptible dans le paysage compte tenu des nombreux boisements et de la présence de reliefs qui en réduisent la visibilité. En outre, les intervenants n'établissent pas, par leurs seules allégations, la proximité entre la " Vallée des peintres " et le terrain d'assiette du projet. Dans ces circonstances, le paysage bocager du Boischaut situé à proximité du projet, s'il n'est pas dépourvu de tout intérêt, ne peut être regardé comme présentant un caractère ou un intérêt particulier à l'identité ou à l'attractivité desquelles le parc éolien projeté porterait atteinte.
11. Concernant le motif tiré de l'atteinte à l'intérêt du site classé de la butte, du hameau et du château de Brosse et de leurs abords, il ressort de l'étude paysagère que les "vestiges du Château de Brosse" ont été inscrits comme monument historique en 1935, puis que le site du hameau et ses abords ont été inscrits en site remarquable en 2003. Ancienne ville du Xème siècle détruite lors de la guerre de Cent Ans, La Brosse se caractérise par la présence d'une vieille tour sur un monticule granitique, entouré d'un hameau d'une douzaine de maisons. Il résulte de l'instruction que la zone d'implantation du projet se site à 4 kilomètres du château de La Brosse et qu'une covisibilité est possible notamment depuis l'accès au hameau de la Grange Missé. Toutefois, les vues n° 34 et 35 produites au dossier de demande et prises depuis cet endroit révèlent une faible covisibilité en raison de l'importante distance avec le projet de parc éolien situé à plus de 5 kilomètres, et de la présence de végétation. La vue n° 32 prise depuis la limite du site classé de la butte, du hameau et du château de Brosse et leurs abords indique une distance importante de 3 kilomètres avec l'éolienne la plus proche et révèle un masque visuel constitué par de la végétation devant les éoliennes, de sorte que l'impact demeure faible. Dans ces conditions, les quatre éoliennes en cause ne peuvent être regardées comme ayant un impact visuel incompatible avec le caractère et l'intérêt de la butte, du hameau et du château de Brosse et de leurs abords. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que le motif tiré de l'atteinte à la préservation de ce site ne peut légalement fonder un refus d'autorisation.
12. S'agissant de l'église Saint-Sylvain de Cromac, il résulte de l'instruction, et notamment de l'étude d'impact, que cette église de style roman datant du XIIIème siècle, inscrite sur l'inventaire supplémentaire des monuments historiques par arrêté du 25 février 1936, est installée dans le centre-bourg de la ville de Cromac, sur une place depuis laquelle le regard peut porter vers la zone d'implantation potentielle des éoliennes, de sorte que l'étude d'impact évoque une covisibilité depuis le parvis de l'église. Toutefois, l'éolienne la plus proche de l'église de Cromac se situe à 4,7 kilomètres. Par ailleurs, le photomontage n°42 de l'étude d'impact, d'ailleurs visé dans l'arrêté attaqué, ne révèle qu'une vue lointaine du parc éolien projeté dans laquelle les 4 éoliennes seront regroupées deux par deux. Ainsi, eu égard à la distance entre l'église de Cromac et le lieu d'implantation des 4 aérogénérateurs, le projet de parc éolien n'est pas de nature à porter atteinte à la conservation de l'église de Cromac.
13. En cinquième lieu, pour refuser l'autorisation sollicitée, le préfet de l'Indre a également retenu un motif lié à l'atteinte à la biodiversité et plus spécifiquement aux chiroptères. Il résulte de l'instruction et notamment de l'étude d'impact actualisée au mois de septembre 2017 que le peuplement chiroptérologique est diversifié avec une activité liée aux haies, omniprésentes sur la zone d'implantation potentielle, aux prairies humides et aux mares, que les linéaires de haies devront être préservés pour la conservation des gites à chiroptères potentiels, que plusieurs espèces présentent un risque de collision estimé à fort sur le site ou modéré et que le schéma régional éolien recommande d'éloigner les éoliennes au moins à 150 mètres des zones attractives telles que des lisières, des haies ou des zones humides. L'étude d'impact précise que la variante n° 3 retenue par le projet, qui tend à localiser quatre éoliennes sur des parcelles cultivées, est celle qui impacte le moins les chiroptères dans la mesure où elle intègre la nécessité de s'éloigner au maximum des linéaires boisés et de réduire au maximum la coupe de haies favorables aux chiroptères. L'étude d'impact énonce que lors de la phase de chantiers, l'implantation choisie des éoliennes sur des parcelles agricoles n'impactera aucun linéaire de haie ni aucun arbre creux favorable aux gîtes de chiroptères. Elle ajoute qu'en phase d'exploitation, le projet présente un risque de collision " modéré " au niveau des éoliennes E1 et E2 pour 7 espèces sur 20 (Pipistrelle commune, Pipistrelle de Nathusius, Pipistrelle pygmée, Sérotine commune, Noctule commune, Noctule de Leisler et Vespère de Savi) et " faible " à " très faible " pour les 13 autres espèces. Pour les éoliennes E3 et E4, l'impact est jugé " fort " seulement pour 4 espèces (Pipistrelle de Nathusius, Pipistrelle commune, Noctule commune et Noctule de Leisler), " modéré " pour 4 espèces (Pipistrelle de Kuhl, Pipistrelle pygmée, Vespère de Savi et Sérotine commune) et " faible " à " très faible " pour les 12 autres espèces. Le projet prévoit également la mise en place d'un protocole d'arrêt de toutes les éoliennes lorsque les conditions seront les plus favorables à l'activité des chiroptères permettant de réduire très fortement la probabilité de collision et de transmettre les justificatifs de sa mise en œuvre à l'inspection des installations classées. Ce bridage sera effectif dès la première année du 1er avril au 1er novembre toute la nuit, une heure avant le coucher du soleil et jusqu'à deux heures après le lever de soleil lorsque la température sera supérieure à 13°C et que la vitesse moyenne à hauteur de nacelle sera inférieure à 5 m/s. Le projet prévoit également la mise en œuvre de suivis de l'activité des chiroptères par des écoutes au sol ou en altitude et de la mortalité des chiroptères, par recherche régulière de cadavres. L'étude en conclut que l'impact résiduel sera faible. La société a également prévu une mesure de compensation visant à replanter 220 mètres de linéaires de haie afin d'offrir de nouvelles potentialités de gîtes favorables aux chiroptères grâce à une convention conclue avec une association spécialisée dans le patrimoine arboré. La commission d'enquête a d'ailleurs relevé que l'ensemble de ces mesures contribuait à limiter significativement le risque de collision. S'il résulte de l'instruction que les éoliennes E3 et E4 seront localisées à moins de 200 mètres de haies, les pipistrelles, qui représentent l'espèce avec la plus forte activité sur le site, présentent une activité qui diminue très fortement à partir de 50 mètres horizontalement. Enfin, et à la suite des recommandations de la MRAe, la société requérante s'est engagée à mettre en œuvre le plan de bridage dès la mise en service du parc éolien et à mettre en drapeau les éoliennes selon la vitesse du vent (a minima pour une vitesse inférieure à 3,5m/s) limitant encore davantage le risque de collision. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que les mesures prévues par la société requérante ne permettraient pas de compenser de manière suffisante l'impact du projet de parc éolien pour les chiroptères et de garantir la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Par suite, le préfet, ne pouvait légalement fonder son refus sur le motif tiré de ce que le projet porterait, s'agissant des chiroptères, atteinte aux intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
14. En dernier lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge du plein contentieux environnemental que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date à laquelle le juge statue. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
15. Le préfet de l'Indre fait valoir que la Cigogne noire est une espèce d'oiseau migrateur, nichant en Europe et hivernant en Afrique tropicale, dont la population française est très restreinte, n'excédant pas 60 à 80 couples disséminés sur le territoire national. Cette espèce est classée à l'annexe 1 de la Directive 2009/147/CE concernant la conservation des oiseaux sauvages et est inscrite comme espèce protégée au sein de l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection. Cette espèce est classée comme " nicheuse en danger " en France métropolitaine et " en danger critique d'extinction " en région centre-Val de Loire qui inclut le département de l'Indre. Le préfet produit une carte de la DREAL Nouvelle-Aquitaine du mois de janvier 2023 qui localise trois nids de cigogne noire récemment identifiés à cheval sur les départements de l'Indre, de la Vienne et de la Haute-Vienne ainsi que les périmètres de nidification des cigognes noires, à savoir un secteur de nidification de 10 kilomètres et un domaine vital d'alimentation de 20 kilomètres autour des nids. Si la société requérante soutient que cette carte n'identifie pas avec précision la proximité entre ces trois nids et son projet de parc éolien, il résulte pourtant de l'instruction que le projet litigieux se situe à moins de 10 kilomètres du nid de cigogne noire situé le plus au sud sur cette carte et dans un rayon de 20 kilomètres des deux autres nids de cigogne noire situés au nord-est de cette même carte. La société d'exploitation éolienne de Beaulieu n'établit en outre pas, par la seule production d'un tableau de la Ligue pour la protection des oiseaux concernant la cigogne noire dont le document d'origine n'est pas identifié, que le domaine vital d'alimentation pour la cigogne noire serait de 15 kilomètres et non de 20 kilomètres tel que l'indique la DREAL Nouvelle-Aquitaine. Il résulte également de l'instruction que la cigogne noire se nourrit dans les petits cours d'eau étroits ou mares peu profondes, qui sont nombreux autour du site d'implantation du projet, et dont il n'est pas établi par la société requérante qu'elles ne seraient pas biologiquement et écologiquement attractives pour l'espèce. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction qu'un système de détection à l'efficacité éprouvée permettrait de détecter 100 % des oiseaux autour des turbines, et donc d'éviter une collision par arrêt des turbines en temps utile. De même, les arguments de la pétitionnaire selon lesquels l'étude d'impact n'aurait pas permis d'observer l'espèce sur le site du projet et que des parcs éoliens ont déjà été autorisés dans la zone des 20 kilomètres entourant des nids de cigogne identifiés ne peuvent être utilement invoqués compte tenu de la rareté de cette espèce et de son identification très récente par la DREAL à proximité du site du projet. Compte tenu de ces éléments, et eu égard à la rareté de cette espèce protégée sur le territoire national, le projet litigieux est susceptible d'avoir un impact significatif sur sa conservation. Par suite, le préfet pouvait légalement fonder son refus sur le motif tiré de ce que le projet porterait, s'agissant de la cigogne noire, atteinte aux intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il résulte de l'instruction que le préfet de l'Indre aurait pris la même décision s'il avait entendu se fonder initialement sur ce seul motif. Par suite, dès lors qu'elle ne prive la société requérante d'aucune garantie procédurale, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de procéder à la substitution de motifs demandée.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la société d'exploitation éolienne de Beaulieu n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté préfectoral du 16 juillet 2021.
Sur les frais liés au litige :
17. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la société d'exploitation éolienne de Beaulieu la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
18. D'autre part, l'association Bocage de Beaulieu et autres, intervenants au soutien du maintien de l'arrêté du 16 juillet 2021, n'étant pas parties à la présente instance, leurs demandes présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : L'intervention de l'association Bocage de Beaulieu, M. A... H..., M. B... G..., M. D... F... et M. E... C... est admise.
Article 2 : La requête de la société d'exploitation éolienne de Beaulieu est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'association Bocage de Beaulieu et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exploitation éolienne de Beaulieu, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à l'association Bocage de Beaulieu, à M. A... H..., à M. B... G..., à M. D... F... à M. E... C... et au préfet de l'Indre.
Délibéré après l'audience du 2 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Edwige Michaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.
La rapporteure,
Edwige MichaudLe président,
Jean-Claude Pauziès
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 21BX03714