Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Le Carbone Lorraine, devenue la société anonyme (SA) Mersen a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la restitution du précompte mobilier dont elle s'est acquittée au titre des années 2001, 2002 et 2003, pour des montants de 4 117 388 euros, 3 116 120 euros et 1 628 340 euros, assortie des intérêts moratoires.
Par une ordonnance du 15 septembre 2009, le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, sur le fondement de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, transmis cette demande au tribunal administratif de Montreuil.
Par un jugement n° 0907558 du 23 mai 2014, le tribunal administratif de Montreuil a donné acte à la société Mersen de son désistement en ce qui concerne le précompte mobilier acquitté au titre de l'année 2001, prononcé la restitution du précompte dont la société s'était acquittée à concurrence, respectivement, des sommes de 237 097 euros au titre de l'année 2002 et de 365 432 euros au titre de l'année 2003, et rejeté le surplus de sa demande.
Par un arrêt n° 14VE02212 du 3 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a accordé à la société Mersen le solde, à hauteur des sommes respectives de 2 879 023 euros et 1 262 908 euros, des montants de précompte mobilier dont elle s'est acquittée au titre des années 2002 et 2003 et annulé le jugement en ce qu'il avait de contraire.
Par une décision n° 438187 du 27 mars 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi formé par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, a annulé l'arrêt du 3 décembre 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles et renvoyé l'affaire à la cour.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 juillet 2014, 26 octobre 2017, 26 décembre 2018, et 22 mai 2019, et après cassation, un mémoire récapitulatif et un mémoire en réplique enregistrés les 22 mai et 20 juillet 2023, la société Mersen, représentée par Me Espasa-Mattei, avocate, demande à la cour, dans le dernier état de son mémoire récapitulatif :
1°) d'annuler l'article 3 du jugement n° 0907558 du 23 mai 2014 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) à titre principal, de prononcer la restitution des sommes de 2 879 024 euros au titre du précompte mobilier dont elle s'est acquittée au titre de l'année 2002 et de 1 262 908 euros au titre de l'année 2003, assortie des intérêts moratoires ;
3°) à titre subsidiaire, de prononcer la restitution des sommes de 1 089 868 euros au titre du précompte acquitté en 2002 et de 525 149 euros au titre de l'année 2003, assortie des intérêts moratoires ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, elle est fondée à produire des déclarations rectificatives de précompte mobilier comportant des imputations fiscales conformes au droit de l'Union ; en vertu de l'article L. 199 C du livre des procédures fiscales, tout moyen nouveau est recevable ; la preuve de la redistribution de dividendes de source européenne peut être apportée par tous moyens ; la production de déclarations rectificatives trouve sa justification dans la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne Brussels Securities C-389/18 du 19 décembre 2019 et dans la jurisprudence du Conseil d'Etat qui admet certaines régularisations dans le délai de réclamation ; le juge de l'impôt ne peut se fonder sur des déclarations viciées par des imprimés déclaratifs non conformes au droit de l'Union ; elle disposait d'un stock de distributions reçues de ses filiales européennes qu'elle aurait nécessairement imputé en priorité et qui justifie la restitution de l'intégralité du précompte mobilier qu'elle a acquitté au titre des années 2002 et 2003 ;
- le taux du précompte étant de 50 %, pour calculer le montant à lui restituer, il y a lieu d'appliquer ce taux aux dividendes reçus de ses filiales européennes qu'elle a redistribués ; elle s'est acquittée du précompte sur ses réserves distribuables et non sur les revenus distribués ; elle est fondée à demander la restitution du précompte qu'elle a acquitté au hauteur de 50 % des dividendes redistribués, dès lors que les dividendes de source européenne ont été intégralement redistribués et que le précompte mobilier n'a pas été prélevé sur ces dividendes de source européenne, mais imputé sur d'autres revenus de ses filiales.
Par des mémoires en défense enregistrés les 11 décembre 2014, 26 mars et 2 août 2019, et après cassation les 21 juin et 18 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à la restitution d'une somme complémentaire de 877 169 euros au titre du précompte mobilier acquitté en 2002 et 2003, et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il fait valoir que la demande de restitution ne peut être accueillie qu'à hauteur d'une somme correspondant au tiers des dividendes reçus et redistribués, que la société Mersen n'est pas recevable à reprendre devant la juridiction de renvoi les moyens définitivement écartés par le rejet de son pourvoi, et que les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 19 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en application de l'article L. 613-1 du code de justice administrative, au 30 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-416/17 du 4 octobre 2018 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-556/20 du 12 mai 2022 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dorion,
- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,
- et les observations de Me Espasa-Mattei pour la société Mersen et de M. A... pour le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Mersen a demandé à l'administration fiscale de lui accorder la restitution du précompte mobilier dont elle s'est acquittée à raison de distributions de dividendes intervenues en 2001, 2002 et 2003, assortie des intérêts moratoires, pour des montants respectifs de 4 117 388 euros, 3 116 120 euros et 1 628 340 euros. Après le rejet de sa réclamation, la société Mersen a porté le litige devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui a transmis la requête au tribunal administratif de Montreuil. Par un jugement du 23 mai 2014, le tribunal administratif de Montreuil a donné acte à la société Mersen de son désistement en ce qui concerne le précompte mobilier acquitté au titre de l'année 2001, prononcé la restitution du précompte dont la société s'était acquittée à concurrence, respectivement, des sommes de 237 097 euros au titre de l'année 2002 et de 365 432 euros au titre de l'année 2003, et rejeté le surplus de sa demande. Par un arrêt du 3 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a accordé à la société Mersen l'intégralité de la restitution de précompte qu'elle sollicitait au titre des années 2002 et 2003. Par une décision du 27 mars 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi formé par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, a annulé l'arrêt du 3 décembre 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles et renvoyé l'affaire à la cour.
Sur l'étendue du litige :
2. Par un courrier adressé à la société le 21 avril 2023, en vue de l'exécution de la décision du Conseil d'Etat du 1er mars 2023, l'administration fiscale a admis que le droit à restitution de la société Mersen au titre du précompte acquitté sur les dividendes reçus de ses filiales européennes redistribués à ses actionnaires devait être porté, au titre de l'année 2002, de la somme de 237 097 euros accordée par le tribunal à la somme de 885 977 euros, soit une restitution complémentaire de 648'880 euros et, au titre de l'année 2003, de la somme de 365 432 euros accordée par le tribunal à celle de 593 721 euros, soit une restitution complémentaire de 228 289 euros. En conséquence, elle a demandé à la société Mersen, à la suite de l'exécution de l'arrêt du 3 décembre 2019 de la cour et de la cassation partielle de cet arrêt, de rembourser à l'Etat les sommes de 2 230 143 euros et 1 034 619 euros déchargées à tort par la cour, et les intérêts moratoires correspondants. L'administration fiscale doit ainsi être regardée comme ayant dégrevé en cours d'instance les sommes de 885 977 euros et 593 721 euros. Par suite, il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de restitution de la société Mersen à hauteur des sommes de 885 977 euros au titre de l'année 2002 et de 593 721 euros au titre de l'année 2003, dégrevées en cours d'instance.
Sur le surplus des conclusions de la demande :
3. Par un arrêt du 12 mai 2022 Schneider Electric et autres (C-556/20), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le paragraphe 1 de l'article 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 devait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu'une société mère est redevable d'un précompte en cas de redistribution à ses actionnaires de bénéfices versés par ses filiales lorsque ces bénéfices n'ont pas supporté l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun, dès lors que les sommes dues au titre de ce précompte dépassent le plafond de 5 % prévu au paragraphe 2 de ce même article 4. Il s'ensuit, ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat dans sa décision n° 438187 du 27 mars 2023, qu'une société mère est fondée à obtenir la restitution du précompte qu'elle a acquitté à raison de la redistribution de dividendes reçus de ses filiales établies dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France, dès lors que l'article 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 fait obstacle à ce qu'elle soit soumise à une imposition sur de tels dividendes.
4. Aux termes de l'article 46 quater-0 D de l'annexe III du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : " I. Les distributions qui n'ouvrent pas droit à l'avoir fiscal prévu à l'article 158 bis du code général des impôts sont prélevées, par priorité, sur les bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés ou exonérés de cet impôt au titre du dernier exercice clos et, en cas d'insuffisance de ces bénéfices, sur ceux des exercices antérieurs les plus récents. / II. Les distributions qui ouvrent droit à l'avoir fiscal sont prélevées ensuite dans l'ordre suivant : / D'abord, sur les bénéfices disponibles qui ont été soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal prévu au deuxième alinéa du I de l'article 219 du code déjà cité au titre du dernier exercice clos ; / Puis, sur les bénéfices disponibles qui ont été imposés à ce même taux au titre d'exercices antérieurs clos depuis cinq ans au plus ; / Enfin, sur tous autres bénéfices ou réserves disponibles. / Toutefois, si la personne morale a encaissé, au cours d'exercices clos depuis cinq ans au plus, des produits de participations ouvrant droit au régime des sociétés mères, les distributions peuvent être librement imputées sur ces produits. / II bis. Les distributions mises en paiement à compter du 1er janvier 2000, ouvrant droit ou non à l'avoir fiscal, sont prélevées d'abord sur les bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés ou exonérés au titre d'exercices clos depuis cinq ans au plus, puis sur tous les autres bénéfices ou réserves disponibles ". Aux termes du II de l'article 46 quater-0 E de la même annexe : " Les sommes dont l'imputation est réglée par le II et par le II bis [de l'article 46 quater-0 D] s'entendent du total des revenus distribués et du précompte afférent à la distribution ". Aux termes de l'article 46 quater 0 F de la même annexe : " La personne morale est tenue d'adresser au bureau désigné à l'article 381 T de la présente annexe une déclaration faisant connaître les imputations opérées conformément aux dispositions de l'article 46 quater-0 D. / Cette déclaration doit être souscrite dans le mois qui suit la répartition des produits, sur des imprimés fournis par l'administration ".
5. La déclaration de précompte a pour objet de permettre d'identifier les bénéfices sur lesquels les sommes distribuées par une société ont été prélevées et si ces bénéfices ont été imposés au taux normal de l'impôt sur les sociétés, afin de déterminer l'assiette du précompte dans les cas où celui-ci serait exigible. La circonstance que le droit de l'Union européenne fasse obstacle au prélèvement d'un précompte à raison de la redistribution de produits de filiales établies dans un Etat membre de l'Union autre que la France ne remet pas, par elle-même, en cause la possibilité de recourir aux éléments portés dans cette déclaration pour déterminer le montant du précompte dont une société demeure redevable à raison de la distribution d'autres bénéfices ainsi que celui dont elle est fondée à obtenir la restitution.
6. En premier lieu, la restitution du précompte ne peut être accordée qu'à la condition que son versement soit intervenu de manière effective, au titre de l'année en cause, à raison de la redistribution de dividendes issus de filiales établies dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France. L'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-389/18 du 19 décembre 2019 Brussels Securities dont la société requérante se prévaut, qui a jugé contraire à la directive mère-fille le régime belge d'imputation des dividendes en ce qu'il pouvait conduire à imposer des dividendes reçus de filiales européennes, et auquel l'arrêt C-556/20 du 12 mai 2022 Schneider Electric ne fait référence que pour rappeler le principe de neutralité, sur le plan fiscal, de la distribution de bénéfices par une société filiale sise dans un État membre à sa société mère établie dans un autre État membre et l'interdiction d'une règlementation qui conduit directement ou indirectement à imposer ces dividendes, n'impose pas, contrairement à ce que soutient la société Mersen, que pour cette société soit admise à présenter des déclarations modificatives ne correspondant pas aux distributions qu'elle a effectivement réalisées. La société requérante n'est pas davantage fondée à soutenir que ses déclarations de précompte ont été viciées par le modèle de déclaration fourni par l'administration, dès lors que le formulaire de déclaration de précompte ne faisait pas obstacle au choix de la société d'imputation de ses dividendes à ses redistributions, lequel constitue une décision de gestion qui lui est opposable. Le respect de l'objectif de neutralité fiscale du régime des sociétés mères n'imposant pas d'autoriser les sociétés mères à imputer sur le précompte le crédit d'impôt attaché aux produits de participation qui n'ont pas été effectivement redistribués, la société requérante ne soutient pas utilement qu'elle disposait d'un stock de dividendes reçus de ses filiales européennes supérieur à celui qui figure dans ses déclarations de précompte, qu'elle aurait pu affecter prioritairement à ces distributions. Il s'ensuit que la société Mersen ne saurait obtenir la restitution d'un précompte mobilier calculé sur des redistributions excédant la redistribution effective des dividendes perçus de ses filiales européennes.
7. En second lieu, il résulte des dispositions de l'article 46 quater-0 E de l'annexe III au code général des impôts dans sa rédaction applicable à l'imposition en litige que " les sommes dont l'imputation est réglée par le II et par le II bis [de l'article 46 quater-0 D de la même annexe] s'entendent du total des revenus distribués et du précompte afférent à la distribution ". Il s'ensuit que les montants mentionnés dans la déclaration de précompte comme imputés sur les différents postes de résultats disponibles s'entendent du total des revenus effectivement distribués et du précompte y afférent. Est dès lors sans incidence la circonstance que le précompte aurait été imputé sur d'autres fonds ou distributions ne provenant pas de dividendes de source européenne.
8. Il résulte de l'instruction que la société Mersen a déclaré avoir affecté à ses distributions et au précompte afférent à ces distributions, au titre de l'année 2002, une somme de 2 657 931 euros de dividendes de source européenne reçus en 1997 et, au titre de l'année 2003, une somme de 1 781 162 euros provenant de dividendes reçus de ses filiales européennes en 1998. Le montant du précompte mobilier à restituer doit dès lors être fixé au tiers des dividendes de source européennes redistribués par la société Mersen, soit en l'espèce, aux sommes de 885 977 euros au titre de l'année 2002 et de 593721 euros au titre de l'année 2003, admises par l'administration fiscale.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que la société Mersen n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement n° 0907558 du 23 mai 2014, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté le surplus de sa demande de restitution.
Sur les frais de l'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de restitution du précompte mobilier acquitté par la société Mersen à hauteur des sommes de 885 977 euros au titre de l'année 2002 et de 593 721 euros au titre de l'année 2003 dégrevées en cours d'instance.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la société Mersen au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Mersen est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Mersen et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente de chambre,
Mme Dorion, présidente-assesseure,
M. Tar, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 janvier 2024.
La rapporteure,
O. DORION La présidente,
F. VERSOLLa greffière,
S. LOUISERE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 23VE00625