Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 2 août 2022 du préfet des Bouches-du-Rhône portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination.
Par un jugement n° 2208791 du 7 février 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 9 juin 2023, sous le n° 23MA01448, Mme C..., représentée par Me Chartier, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 février 2023 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté du 2 août 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, et de lui délivrer un titre provisoire de séjour, dans les mêmes conditions d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à Me Chartier sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, laquelle s'engage dans ce cas à renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- l'arrêté contesté est entaché d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- il est entaché d'une erreur de fait ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- il viole les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- en refusant d'octroyer un délai de départ volontaire de plus de trente jours, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en méconnaissance des dispositions des articles 7 et 14 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 avril 2023.
La requête a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Marchessaux a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., née le 3 novembre 1967 et de nationalité arménienne déclare être entrée en France le 20 mai 2015. Elle est divorcée et mère de trois enfants majeurs. La requérante a sollicité, le 26 janvier 2022, un titre de séjour au titre de la vie privée et familiale. Par un arrêté du 2 août 2022, le préfet des Bouches-du-Rhône lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme C... relève appel du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 2 août 2022.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Mme C..., divorcée et mère de trois enfants majeurs, serait entrée en France selon ses allégations le 20 mai 2015. Il ressort des pièces du dossier qu'elle a été nommée tutrice de sa fille, Mme D..., par un jugement de tutelle du 5 novembre 2018 laquelle est atteinte d'une déficience intellectuelle profonde due à une phénylcétonurie. Par un arrêt n° 20MA02634 du 8 avril 2021 devenu définitif et revêtu de l'autorité de chose jugée, la Cour a annulé l'arrêté du 30 novembre 2018 du préfet des Bouches-du-Rhône en tant qu'il porte obligation à Mme D... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination, a enjoint au préfet de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans le délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt, ainsi que de réexaminer sa situation au regard de son droit au séjour. La Cour a estimé qu'il ressortait plus particulièrement des certificats du Dr B... des 22 février 2017 et 7 mai 2019 que l'intéressée était dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison de ses " déficiences mentales sévères " et de ses altérations physiques, étant " dans l'incapacité de s'exprimer par le langage, ni même par une gestuelle explicitant ses attentes ", " la dépendance à son entourage immédiat est totale ", que l'état de santé de Mme D... ne lui permettait pas " d'assumer sans crainte des lieux publics ou même la présence de personnes inconnues pour elle ", qu'elle souffrait d'une absence d'autonomie due à son handicap qui rendait nécessaire une assistance à plein temps que seule peut garantir la présence de sa mère à ses côtés, " évitant ainsi les éventuelles crises de panique, ou d'agitation intempestive ". La Cour a ainsi estimé que ces éléments étaient de nature à établir que Mme D... était dans l'impossibilité de voyager sans risque vers l'Arménie et à remettre en cause l'appréciation portée par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration sur ce point. A la suite de cet arrêt, le préfet a retiré l'arrêté du 8 avril 2021 par une décision du 21 avril 2021. Par ailleurs, la dépendance totale de Mme D... à son entourage ainsi que le fait qu'elle soit toujours accompagnée par sa mère sans laquelle elle ne peut rien faire sont à nouveau établis par deux certificats médicaux des 16 novembre 2020 et 19 septembre 2022 du médecin psychiatre qui la suit, ainsi que d'un médecin de l'hôpital de la Conception. Il ne ressort pas des pièces du dossier que cette assistance pourrait lui être procurée par une autre personne. Dans ces conditions, la présence de Mme C... est indispensable en raison de l'état de santé de sa fille. Par suite, en rejetant sa demande d'admission au séjour, le préfet des Bouches-du-Rhône a commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle. Il s'ensuit que ces décisions faisant à l'intéressée obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination sont elles-mêmes entachées d'illégalité.
3. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 août 2022.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
4. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une décision dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".
5. En raison du motif qui la fonde, l'annulation de l'arrêté du 2 août 2022 du préfet des Bouches-du-Rhône implique nécessairement, compte tenu de l'absence de changements de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, qu'un titre de séjour mention " vie privée et familiale " soit délivré à Mme C.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer ce titre, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
6. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 28 avril 2023. Par suite, son avocate Me Chartier peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Chartier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à celle-ci de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 7 février 2023 et l'arrêté du 2 août 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " à Mme C... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Chartier la somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Chartier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., Me Chartier et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2023, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 décembre 2023.
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N° 23MA01448
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