Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL Arecim a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner solidairement la commune de Villerville et la communauté de communes Cœur Côte Fleurie à lui verser la somme de 798 345,08 euros, majorée des intérêts légaux courant à compter du 30 décembre 2015, avec capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de l'impossibilité de réaliser un projet immobilier.
Par un jugement n° 1700364 du 16 avril 2018, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour avant cassation :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 15 juin 2018, 13 septembre 2019 et
25 septembre 2019, Me Blanc, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Arecim, représenté par Me Gourvennec, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 16 avril 2018 ;
2°) de condamner solidairement la commune de Villerville et la communauté de communes Cœur Côte Fleurie à lui verser la somme de 660 537,87 euros, augmentée des intérêts légaux courant à compter du 30 décembre 2015, avec capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre solidairement à la charge de la commune de Villerville et de la communauté de communes Cœur Côte Fleurie une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la note en délibéré produite devant le tribunal n'a pas été sérieusement examinée ;
- le classement des parcelles en zone constructible et la délivrance d'une note de renseignement s'abstenant de mentionner les prescriptions particulières découlant de la loi littoral constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de la commune de Villerville et de la communauté de communes Cœur Côte Fleurie ;
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la société Arecim avait commis une faute de nature à totalement exonérer la commune de Villerville et la communauté de communes Cœur Côte Fleurie de leur responsabilité ;
- les fautes commises par les collectivités publiques ont causé à la société Arecim un préjudice financier de 660 537,87 euros correspondant à la perte de valeur vénale de sa propriété, aux frais annexes d'acquisition de cette propriété, aux frais de préparation de son projet d'opération immobilière ainsi qu'aux frais financiers exposés pour l'acquisition de la propriété ;
- sa créance n'est pas prescrite.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 31 juillet 2019 et 19 septembre 2019, la communauté de communes Cœur Côte Fleurie, représentée par Me Collet, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) subsidiairement, de condamner l'Etat à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre ;
3°) de mettre à la charge du requérant une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le jugement attaqué est régulier ;
- c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que la particulière imprudence de la SARL Arecim, qui est une professionnelle de l'immobilier et avait connaissance de l'inconstructibilité du terrain lors de son acquisition, était de nature à l'exonérer entièrement de sa responsabilité ;
- la créance, à la supposer réelle, de la société est prescrite depuis, au plus tard, le
1er janvier 2010 ;
- les préjudices allégués ne trouvent pas leur cause directe dans les fautes commises.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 31 juillet 2019 et 19 septembre 2019, la commune de Villerville, représentée par Me Collet, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) subsidiairement, de condamner l'Etat à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre ;
3°) de mettre à la charge du requérant une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est régulier ;
- c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que l'imprudence de la
SARL Arecim, laquelle est une professionnelle de l'immobilier et avait connaissance de l'inconstructibilité du terrain lors de son acquisition, était de nature à l'exonérer entièrement de sa responsabilité ;
- la créance, à la supposer réelle, de la société est prescrite depuis, au plus tard, le
1er janvier 2010 ;
- les préjudices allégués ne trouvent pas leur cause directe dans les fautes commises.
Par un mémoire, enregistré le 6 septembre 2019, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet des conclusions de la commune de Villerville et de la communauté de communes Cœur Côte Fleurie tendant à ce que l'Etat les garantisse de condamnations prononcées à leur encontre.
Il soutient que le classement illégal des parcelles considérées en zone NA n'est pas intervenu avec l'accord de l'Etat et que le préfet du Calvados n'a pas autorisé une extension de l'urbanisation en méconnaissance des dispositions du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.
Par un arrêt n° 18NT02357 du 21 octobre 2019, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par Me Blanc, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Arecim, contre ce jugement.
Par une décision n° 437046 du 8 octobre 2021, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 21 octobre 2019 et lui a renvoyé l'affaire, qui porte désormais le n° 21NT02839.
Procédure devant la cour après cassation :
Par des mémoires enregistrés les 8 octobre 2021, 19 avril 2022, 25 mai 2022 et 2 juin 2023, Me Blanc, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Arecim, représenté par
Me Gourvennec, conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 avril 2022, 7 juin 2022 et 30 juin 2023, la commune de Villerville, représentée par Me Collet, conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures.
Elle soutient que les moyens soulevés par Me Blanc, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Arecim, ne sont pas fondés.
Par des mémoires enregistrés les 13 avril 2022 et 19 avril 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures.
Il soutient que le classement illégal des parcelles considérées en zone NA n'est pas intervenu avec l'accord de l'Etat et que le préfet du Calvados n'a pas autorisé une extension de l'urbanisation en méconnaissance des dispositions du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.
Par des mémoires enregistrés les 19 avril 2022, 7 juin 2022 et 30 juin 2023, la communauté de communes Cœur Côte Fleurie, représentée par Me Collet, conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures.
Elle soutient que les moyens soulevés par Me Blanc, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Arecim, ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Montes-Derouet,
- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,
- et les observations de Me Collet pour la commune de Villerville et la communauté de communes Cœur Côte Fleurie.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 16 avril 2018, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande présentée par la SARL Arecim tendant à la condamnation solidaire de la commune de Villerville et de la communauté de communes Cœur Côte Fleurie à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des fautes commises, d'une part, par la communauté de communes Cœur Côte Fleurie du fait du classement dans le document d'urbanisme des parcelles qu'elle a acquises le 30 avril 2004 et, d'autre part, par la commune de Villerville, du fait des informations fournies dans la note de renseignement délivrée le 11 février 2004. L'appel formé contre ce jugement par Me Blanc, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Arecim, a été rejeté par un arrêt du 21 octobre 2019 de la cour administrative d'appel de Nantes. Par une décision du 8 octobre 2021, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé cet arrêt et a renvoyé à la cour l'affaire, qui porte désormais le n° 21NT02839.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 731-3 du code de justice administrative : " A l'issue de l'audience, toute partie à l'instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré ". En vertu de l'avant-dernier alinéa de l'article R. 741-2 du même code, relatif aux mentions obligatoires de la décision juridictionnelle, celle-ci doit faire " mention (...) de la production d'une note en délibéré ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il est régulièrement saisi, à l'issue de l'audience, d'une note en délibéré émanant de l'une des parties, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant de rendre sa décision ainsi que de la viser, sans toutefois l'analyser dès lors qu'il n'est pas amené à rouvrir l'instruction et à la soumettre au débat contradictoire pour tenir compte des éléments nouveaux qu'elle contient.
3. Il ressort des pièces du dossier que la société Arecim a adressé au tribunal administratif de Caen, postérieurement à l'audience publique qui a eu lieu le 29 mars 2018, une note en délibéré, enregistrée le 30 mars 2018. En se bornant à soutenir que la note en délibéré présentée par la société Arecim n'a pas été " sérieusement examinée " au motif que le tribunal aurait " suivi le raisonnement de son rapporteur public ", le requérant n'établit pas que le tribunal, qui a visé cette note en délibéré dans son jugement, n'en n'aurait pas pris connaissance. Il suit de là que le moyen tiré de ce que ce jugement serait entaché d'irrégularité sur ce point doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande présentée devant le tribunal administratif :
4. Si le recours visant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique doit être précédé d'une réclamation auprès de l'administration, il ne tend pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968. Il s'ensuit que la commune de Villerville et la communauté de communes Cœur Côte Fleurie ne peuvent utilement se prévaloir de la règle selon laquelle, pour un recours tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision, le principe de sécurité juridique impose au destinataire de la décision de saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an.
5. Il résulte de ce qui précède que doit être écartée la fin de non-recevoir tirée par la commune de Villerville et la communauté de communes Cœur Côte Fleurie de ce que la demande présentée le 27 février 2017 par la société Arecim devant les premiers juges était tardive dès lors que les réclamations préalables indemnitaires ont été rejetées par des décisions implicites nées le 1er mars 2015, au-delà du délai raisonnable d'un an.
En ce qui concerne l'exception de prescription opposée par la communauté de communes Cœur Côte Fleurie et la commune de Villerville :
6. Aux termes de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence ou au paiement de la créance alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance (...). Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. ". Aux termes de l'article 3 de cette même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".
7. Il résulte de l'instruction que, par acte authentique de vente du 30 avril 2004, auquel était annexée une note de renseignements délivrée le 11 février 2004 par le maire de Villerville, la SARL Arecim, en cours de constitution, a fait l'acquisition, moyennant un prix de 945 184 euros, d'un ensemble immobilier, d'une contenance de près de huit hectares, situé quartier du Grand Bec à Villerville (Calvados). Les terrains considérés étaient alors classés, au plan d'occupation des sols du district de Trouville-Deauville et du Canton, pour partie, en zone naturelle ND et, pour partie, en zone d'urbanisation future NA. La société a, entre 2004 et 2009, cédé deux portions de son ensemble immobilier et a sollicité plusieurs permis de construire et certificats d'urbanisme. Le 4 novembre 2010, elle a signé une promesse de vente sous la condition suspensive de l'obtention par l'acquéreur, M. A..., avant le 30 juillet 2011, d'un permis de construire une résidence de tourisme composée au minimum de 80 logements et au maximum de 100 logements pour une surface hors œuvre nette comprise entre 4 000 et 5 000 mètres carrés. Le bénéficiaire de la promesse de vente a, le 18 avril 2011 puis le 27 novembre 2011, formé deux demandes de permis de construire qui ont été rejetées par des arrêtés, respectivement, du 4 octobre 2011 et du 19 juin 2012, du maire fondés sur la non-conformité du projet aux dispositions de l'article L. 146- 4, alors en vigueur, du code de l'urbanisme. Le recours contentieux formé contre le second arrêté a été définitivement rejeté par un arrêt de la cour du 27 juin 2014.
8. D'une part, il résulte de l'instruction qu'à l'exception du tènement cédé au département du Calvados en 2007, les parcelles appartenant à la SARL Arecim étaient classées en zone NA du plan d'occupation des sols du district de Trouville-Deauville et du Canton approuvé le 15 avril 2000 par le conseil districal, dans laquelle le règlement autorisait les " opérations de construction ou de lotissement à usage d'habitations comprenant ou non des commerces et services ", alors pourtant que, ainsi que l'a relevé la cour dans son arrêt du 27 juin 2014, les terrains considérés ne se situent pas en continuité avec les agglomérations ou villages existants au sens des dispositions du I de l'article L. 146-4, alors en vigueur, du code de l'urbanisme, ni dans une zone destinée, par la règlementation d'urbanisme applicable à la commune, à accueillir un hameau nouveau. Il s'ensuit que le classement de ce terrain en zone NA du plan d'occupation des sols méconnaissait les dispositions de l'article L. 146-4, alors en vigueur, du code de l'urbanisme.
9. D'autre part, la note de renseignements délivrée par le maire de Villerville, le 11 février 2004, rappelle le classement des parcelles en zone NA du plan d'occupation des sols et ne comporte aucune mention relative aux prescriptions particulières découlant des dispositions de la loi d'aménagement et d'urbanisme du 3 janvier 1986, dite " loi littoral ". La circonstance que la note faisait état du plan d'occupation des sols, lequel se référait à la loi mentionnée ci-dessus ne saurait suppléer la lacune dont sont entachés les renseignements fournis. Il s'ensuit que la note délivrée le 11 février 2004 était incomplète.
10. Par courriers signifiés le 30 décembre 2015 au maire de Villerville et au président de la communauté de communes Cœur Côte Fleurie, la SARL Arecim a demandé à être indemnisée des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'impossibilité de réaliser le projet de promotion immobilière pour lequel elle avait procédé à l'acquisition des terrains.
11. Il résulte de l'instruction que le fait générateur de la créance dont se prévaut Me Blanc, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Arecim, a pour origine, ainsi qu'il a été dit aux points 8 et 9, l'illégalité, au regard des dispositions du I de l'article L. 146-4 alors en vigueur du code de l'urbanisme, du classement en zone NA des parcelles acquises par la SARL Arecim ainsi que celle de la note de renseignements délivrée le 11 février 2004 à la SARL Arecim, en ce qu'elle mentionnait le classement illégal des parcelles en zone NA et ne comportait aucune mention relative aux prescriptions particulières découlant des dispositions de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme. Il résulte de l'instruction que la SARL Arecim n'a toutefois été informée de ce que ses parcelles relevaient non seulement des dispositions du II de l'article L. 146-4 prescrivant, pour les projets situés dans des espaces proches du rivage, qu'ils n'entraînent qu'une extension limitée de l'urbanisation, mais aussi de celles du I de ce même article n'autorisant, dans les zones situées en dehors des espaces déjà urbanisés comme en l'espèce, que les constructions réalisées en continuité soit avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement, que lors de la délivrance, le 10 novembre 2008, d'un certificat d'urbanisme mentionnant l'applicabilité de ces dispositions aux parcelles de la SARL Arecim, après la délivrance, les 15 novembre 2005, 24 mai 2006 et 24 août 2007, de certificats d'urbanisme positifs concernant ces mêmes parcelles. La SARL Arecim peut, dans ces conditions, être regardée comme ayant légitimement ignoré l'existence de sa créance jusqu'à la date de notification du certificat d'urbanisme du 10 novembre 2008. Par suite, la prescription quadriennale a commencé à courir à compter du 1er janvier 2009. Il résulte également de l'instruction que M. A..., au bénéfice duquel la SARL Arecim avait passé le 22 octobre 2010 une promesse de vente, s'est vu opposer le 19 juin 2012 un refus de permis de construire fondé sur le motif tiré de ce que son projet de résidence de tourisme ne se trouvait pas en continuité avec une agglomération ou un village existant au sens du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme ni dans une zone destinée à accueillir un hameau nouveau intégré à l'environnement et qu'il a formé un recours pour excès de pouvoir contre cette décision, le 17 août 2012, devant le tribunal administratif de Caen. Ce recours, qui se rattache au même fait générateur que celui de la créance que Me Blanc détient sur la commune et la communauté de communes, à savoir la méconnaissance des dispositions de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme issu de la " loi littoral ", a eu pour effet, en application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, d'interrompre le cours de la prescription. Ainsi, la prescription de la créance de la SARL Arecim, qui avait commencé à courir à compter du 1er janvier 2009, a été interrompue par le recours pour excès de pouvoir introduit le 17 août 2012 par M. A... et n'a commencé à courir de nouveau, en vertu de ces mêmes dispositions, qu'à compter du 1er janvier 2015, dès lors qu'il a été définitivement statué sur ce recours par un arrêt du 27 juin 2014 de la cour. Il suit de là qu'à la date du 30 décembre 2015, date de notification des demandes préalables que la SARL Arecim a adressées à la commune de Villerville et à la communauté de communes Cœur Côte Fleurie, sa créance n'était pas prescrite. L'exception de prescription quadriennale opposée en défense doit, par suite, être écartée.
En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Villerville et de la communauté de communes Cœur Côte Fleurie :
12. Ainsi qu'il a été dit au point 8, le classement de la partie du terrain en cause en zone NA par le plan d'occupation des sols du district de Trouville-Deauville et du Canton approuvé le 15 avril 2000 par le conseil districal est entaché d'illégalité au regard des dispositions de l'article L. 146-4, alors en vigueur, du code de l'urbanisme et, ainsi qu'il a été dit au point 9, la note de renseignement délivrée par le maire de Villerville, le 11 février 2004, est illégale en ce qu'elle fait état de ce classement illégal des parcelles en zone NA du plan d'occupation des sols et ne comporte aucune mention relative aux prescriptions particulières découlant des dispositions de la loi d'aménagement et d'urbanisme du 3 janvier 1986, dite " loi littoral ". L'illégalité de ces décisions administratives, qui ont amené la SARL Arecim à acquérir un terrain en réalité inconstructible et à poursuivre, en vain, la réalisation de son projet immobilier, constitue une faute de nature à engager in solidum la responsabilité de la communauté de communes Cœur Côte Fleurie, qui s'est depuis substituée au district de Trouville-Deauville et du Canton, et de la commune de Villerville à l'égard de la société. Me Blanc, peut, dès lors, en sa qualité de liquidateur judiciaire de cette société, prétendre à la réparation des conséquences dommageables de ces illégalités fautives, sous réserve de justifier d'un préjudice direct et certain.
13. Toutefois, les caractéristiques objectives des parcelles concernées, situées dans une commune régie par les dispositions de l'article L.146-4 du code de l'urbanisme alors en vigueur, à 250 mètres des rivages de la mer, dans une zone caractérisée par un habitat diffus, dont une partie était classée lors de leur acquisition par la SARL Arecim en zone naturelle, auraient dû attirer l'attention de cette dernière, laquelle, en sa qualité de professionnelle de l'immobilier, ne pouvait ignorer les particularités du site et la nécessité de respecter les contraintes liés à la localisation de ces parcelles sur le territoire d'une commune littorale, alors en outre que, par une lettre adressée au maire de Villerville, le 12 mai 2006, la gérante de cette société a fait état " de sa pratique antérieure " de la " loi littoral ", en sa qualité d'architecte. Il résulte également de l'instruction notamment des stipulations de l'acte de vente du 30 avril 2004, qu'en dépit des particularités du site qui viennent d'être rappelées, la SARL Arecim n'a pas sollicité de certificat d'urbanisme d'information au motif qu'elle n'avait pas le projet de réaliser " des travaux nécessitant la délivrance d'un permis de construire " alors pourtant qu'elle a déposé, dès le 17 novembre 2004, un permis de construire une résidence de tourisme et qu'elle s'est portée acquéreur des parcelles en cause au prix du terrain à bâtir, sans solliciter la délivrance d'un certificat d'urbanisme opérationnel lequel lui aurait permis de s'assurer, dans ce contexte particulier, de la faisabilité de son vaste projet de construction. Ce faisant, la SARL Arecim doit être regardée comme ayant commis des imprudences fautives de nature à exonérer la commune de Villerville et la communauté de communes Cœur Côte Fleurie de leur responsabilité à hauteur des deux tiers.
En ce qui concerne les préjudices :
14. En premier lieu, en réparation du préjudice résultant de la délivrance de renseignements d'urbanisme incomplets ou inexacts et d'un classement, dans une zone au sein de laquelle sont autorisées des opérations de construction de vaste ampleur, de terrains qui, eu égard à leur situation et aux prescriptions de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, ne peuvent accueillir de telles constructions, l'acquéreur ainsi induit en erreur a, en principe, droit à une indemnité égale à la différence entre le prix qu'il a versé pour l'acquisition du terrain en cause, y compris les frais annexes inutilement exposés, et la valeur vénale du même terrain appréciée à la date à laquelle il a été établi que ce terrain est inconstructible.
15. Le requérant se prévaut de la perte de valeur vénale des 4,83 hectares de terres que la SARL Arecim n'a pu valoriser comme elle l'entendait, qu'il évalue à la somme de 145 183 euros. Il résulte de l'instruction que la société Arecim a acquis sa propriété comme terrain constructible pour le prix de 945 184 euros et que si elle a pu vendre, le 15 janvier 2005, la partie bâtie de sa propriété présentant une contenance de 9 908 m² au prix de 650 000 euros, elle n'a été informée de l'impossibilité, compte tenu des caractéristiques de ses parcelles les rendant inconstructibles au regard de la loi littoral, de poursuivre son projet sur les 4,83 hectares restants de sa propriété qu'en 2008. Il résulte de l'instruction, notamment au regard du prix moyen à l'hectare de 6 280 euros des terres agricoles pratiqué sur la commune de Villerville, que la valeur du terrain de la société Arecim doit être estimée à 30 332 euros, représentant une perte de la valeur du terrain par rapport au prix d'acquisition de 264 851 euros. Il résulte toutefois également de l'instruction que la société Arecim a vendu ce terrain, le 15 décembre 2016, au prix de 150 000 euros. Il s'ensuit que le requérant peut prétendre, au titre de la perte de valeur vénale du terrain de la société Arecim, à une indemnisation de 114 851 euros.
16. Par ailleurs, Me Blanc se prévaut de frais d'acquisition de la propriété de la société Arecim, autres que financiers, dont 80 510 euros de frais de notaire et 56 711 euros de frais d'agence. Pour évaluer les frais d'acquisition, il convient, d'une part, de déterminer, à partir du prix d'acquisition de la propriété, soit 945 184 euros, et non de sa superficie, les taux de ces frais qui ont été appliqués, à savoir 8,5 % pour les frais notariés et 6 % pour les frais d'agence et, d'autre part, de ne prendre en compte que la part des frais de notaire et d'agence que la société Arecim a inutilement exposés, à l'exclusion donc de ceux afférents à la vente pour 650 000 euros de la partie bâtie de la propriété intervenue en 2005. Ces frais annexes exposés en vain lors de l'acquisition du terrain doivent être ainsi évalués à la somme de 42 854 euros, dont 25 143 euros au titre des frais de notaire et 17 711 euros au titre des frais d'agence.
17. En deuxième lieu, Me Blanc expose avoir engagé inutilement les sommes de 10 236 euros au titre d'études de sols et de 10 956 euros au titre de frais de géomètre. Il résulte de l'instruction que les frais d'études de sols, qui sont justifiés pour le montant réclamé, ont été exposés par la société Arecim en pure perte, compte tenu des caractéristiques des parcelles au regard de la loi littoral. S'agissant, en revanche, des frais de géomètre, le requérant ne justifie de l'engagement de ces dépenses qu'à hauteur du montant de 5 836 euros, dont il convient de retrancher les frais utilement exposés par la société Arecim, à hauteur de 717 euros, le 15 janvier 2005, pour ne retenir, à ce titre, qu'un montant de 5 119 euros. Le requérant est ainsi en droit de demander le remboursement de la somme de 15 355 euros que la société Arecim a exposées inutilement au titre de ce chef de préjudice qui présente un lien de causalité direct et certain avec les illégalités fautives commises par la commune de Villerville et la communauté de communes Cœur Côte Fleurie.
18. En dernier lieu, Me Blanc réclame la somme de 356 940 euros au titre de frais bancaires générés par les difficultés de remboursement de l'emprunt d'un million d'euros contracté sur une durée de deux ans pour l'acquisition du bien et les premiers frais liés à la préparation du projet. Ces difficultés résultent de l'impossibilité dans laquelle la société Arecim s'est trouvée de réaliser son projet initial et de recueillir les recettes escomptées lui permettant de solder son emprunt au terme initialement prévu. Ainsi qu'il a été dit au point 11, la société Arecim savait, à compter du 10 novembre 2008, date à laquelle lui a été délivré le certificat d'urbanisme faisant état de l'applicabilité à ses parcelles des dispositions de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, qu'aucun projet, quelle qu'en soit la nature, ne pouvait être mené à bien et pouvait ainsi limiter, dans un délai raisonnable dont le terme sera fixé, dans les circonstances de l'espèce, au 31 décembre 2009, la charge financière des emprunts qu'elle avait contractés. Par ailleurs, si au titre de l'année 2004, il est justifié d'un montant de frais bancaires de 41 689 euros, il convient de déduire de cette somme les frais financiers exposés utilement à hauteur de 27 098 euros correspondant au prorata de la somme empruntée ayant permis la vente pour 650 000 euros d'une partie de la propriété et de fixer, dès lors, le montant des frais financiers exposés en 2004 à la somme de 14 591 euros. La société Arecim peut ainsi prétendre à être indemnisée à hauteur de 216 322 euros au titre de ce chef de préjudice qui présente un lien de causalité direct et certain avec les illégalités fautives commises par la commune de Villerville et la communauté de communes Cœur Côte Fleurie.
19. Il résulte de tout ce qui précède que l'ensemble des préjudices subis par la société Arecim s'élève à la somme de 389 382 euros. Compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 13, la commune de Villerville et la communauté de communes Cœur Côte Fleurie sont condamnées à verser solidairement à Me Blanc, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Arecim, un tiers de cette somme, soit la somme de 129 794 euros.
Sur les intérêts :
20. Me Blanc a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 129 794 euros à compter du 30 décembre 2015, date de réception de sa demande par la commune de Villerville et la communauté de communes Cœur Côte Fleurie.
Sur les intérêts des intérêts :
21. La capitalisation des intérêts a été demandée le 28 février 2017 devant le tribunal administratif. À cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande.
22. Il résulte de tout ce qui précède que Me Blanc, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Arecim, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté l'intégralité de la demande de la société Arecim.
Sur l'appel en garantie de l'Etat :
23. Aux termes de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme alors en vigueur : " II - L'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage ou des rives des plans d'eau intérieurs désignés à l'article 2 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 précitée doit être justifiée et motivée, dans le plan local d'urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau. /Toutefois, ces critères ne sont pas applicables lorsque l'urbanisation est conforme aux dispositions d'un schéma de cohérence territoriale ou d'un schéma d'aménagement régional ou compatible avec celles d'un schéma de mise en valeur de la mer. /En l'absence de ces documents, l'urbanisation peut être réalisée avec l'accord du représentant de l'Etat dans le département. Cet accord est donné après que la commune a motivé sa demande et après avis de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites appréciant l'impact de l'urbanisation sur la nature. Les communes intéressées peuvent également faire connaître leur avis dans un délai de deux mois suivant le dépôt de la demande d'accord. Le plan local d'urbanisme doit respecter les dispositions de cet accord ".
24. Il ne résulte pas de l'instruction que le classement, en zone NA, de la partie du terrain en cause par le plan d'occupation de sols approuvé le 15 avril 2000 aurait reçu l'accord du préfet du Calvados, en application des dispositions visées au point précédent, alors que ce dernier a, dans son avis du 6 mai 1999, invité les auteurs du plan à mieux prendre en compte l'application de la loi littoral en relevant un certain nombre d'insuffisances dans le projet de document d'urbanisme. Les conclusions d'appel en garantie formées par la commune de Villerville et la communauté de communes Cœur Côte Fleurie doivent, dès lors, être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
25. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge tant de la commune de Villerville et de la communauté de communes Cœur Côte Fleurie que de Me Blanc, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Arecim, le versement des sommes qu'ils se réclament mutuellement au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 16 avril 2018 du tribunal administratif de Caen est annulé.
Article 2 : La commune de Villerville et la communauté de communes Cœur Côte Fleurie sont condamnées solidairement à verser à Me Blanc, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Arecim, la somme de 129 794 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2015. Les intérêts échus à la date du 28 février 2017, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par Me Blanc, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Arecim, est rejeté.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par la commune de Villerville et la communauté de communes Cœur Côte Fleurie est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me Blanc, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Arecim, à la commune de Villerville, à la communauté de communes Cœur Côte Fleurie et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2023.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUET
La présidente,
C. BUFFET
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT02839