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26/07/2023 | FRANCE | N°466493

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 26 juillet 2023, 466493


Vu la procédure suivante :

La société Cap 2020 Consult a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012. Par un jugement no 1602285 du 28 février 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20VE01942 du 7 juin 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Cap 2020 Consult contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire

et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 août et 7 novembre 2022 au secrétar...

Vu la procédure suivante :

La société Cap 2020 Consult a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012. Par un jugement no 1602285 du 28 février 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20VE01942 du 7 juin 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Cap 2020 Consult contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 août et 7 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Cap 2020 Consult demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 84-578 du 9 juillet 1984 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société Cap 2020 Consult ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Cap 2020 Consult, spécialisée dans les nouvelles technologies et les solutions innovantes appliquées à l'agriculture, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à la suite de laquelle l'administration fiscale lui a notifié des rehaussements d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2011 et 2012, résultant de la réintégration à l'actif de son bilan de dépenses comptabilisées en charges et de la remise en cause partielle du crédit d'impôt sur les dépenses de recherche dont elle a bénéficié au titre des mêmes exercices. Par un jugement du 28 février 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires. La société Cap 2020 Consult se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 7 juin 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel qu'elle a formé contre ce jugement.

Sur le crédit d'impôt recherche :

2. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...) / II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : / (...) / d) Les dépenses exposées pour la réalisation d'opérations de même nature confiées à : / 1° Des organismes de recherche publics ; (...) / d bis) Les dépenses exposées pour la réalisation d'opérations de même nature confiées à des organismes de recherche privés agréés par le ministre chargé de la recherche, ou à des experts scientifiques ou techniques agréés dans les mêmes conditions. (...) / ".

3. Lorsqu'une entreprise confie à un organisme mentionné au d ou au d bis du II de l'article 244 quater B du code général des impôts, l'exécution de prestations nécessaires à la réalisation d'opérations de recherche qu'elle mène, les dépenses correspondantes peuvent être prises en compte pour la détermination du montant de son crédit d'impôt, quand bien même les prestations sous-traitées à cet organisme feraient l'objet d'un paiement direct à celui-ci par le cocontractant de l'entreprise donneuse d'ordre.

4. Il ressort des pièces du dossier que la société Cap 2020 Consult a signé un marché avec le Centre national d'études spatiales (CNES) le 6 mai 2011 en vue de la réalisation d'un projet de recherche dit " A... et Navigation par un système de Satellites), pour l'exécution duquel elle a conclu un accord dit de consortium avec quatre organismes : le laboratoire de météorologie physique de Clermont-Ferrand, la société Numtech, l'institut supérieur d'électronique de Paris et l'institut national de recherche agronomique. La cour a relevé que les prestations que ces organismes avaient valorisées à hauteur de

525 148 euros avaient été prises en charge directement par le CNES à hauteur de 247 806 euros, le solde ayant été assumé par ces organismes eux-mêmes, conformément aux stipulations des articles 4.4 et 5.5 du contrat de marché et à celles de l'article 4 de l'accord de consortium. Elle en a déduit que dès lors que la société Cap 2020 Consult n'avait exposé aucune dépense afférente aux opérations de recherche réalisées par ces organismes, c'était à bon droit que l'administration fiscale avait considéré que ces dépenses ne pouvaient être incluses dans le calcul de son crédit d'impôt, nonobstant, d'une part, la circonstance que la société était la seule titulaire du marché passé avec le CNES et, d'autre part, le mode de comptabilisation des dépenses en cause. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'en jugeant que le règlement direct par le CNES des prestations de recherche réalisées par les quatre organismes dans le cadre de l'accord de consortium conclu avec la société Cap 2020 Consult était de nature, par lui-même, à faire obstacle à ce que les dépenses correspondantes soient regardées comme exposées par la société Cap 2020 Consult au sens et pour l'application des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts, sans rechercher si ces prestations avaient ou non été réalisées pour le compte de cette dernière, la cour a commis une erreur de droit.

Sur la minoration d'actif :

5. Aux termes du I de l'article 236 du code général des impôts : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, les dépenses de fonctionnement exposées dans les opérations de recherche scientifique ou technique peuvent, au choix de l'entreprise, être immobilisées ou déduites des résultats de l'année ou de l'exercice au cours duquel elles ont été exposées. (...) ". Aux termes de l'article L. 123-17 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige : " A moins qu'un changement exceptionnel n'intervienne dans la situation du commerçant, personne physique ou morale, la présentation des comptes annuels comme des méthodes d'évaluation retenues ne peuvent être modifiées d'un exercice à l'autre. (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 123-186 du même code : " Les frais de développement peuvent être inscrits à l'actif du bilan, au poste correspondant, à la condition de se rapporter à des projets nettement individualisés, ayant des sérieuses chances de rentabilité commerciale ".

6. Il résulte des dispositions du I de l'article 236 du code général des impôts, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 9 juillet 1984 sur le développement de l'initiative économique, que le législateur a entendu aligner le traitement fiscal des dépenses de fonctionnement exposées au titre d'opérations de recherche scientifique ou technique sur la règle comptable. Il en résulte que l'option prévue par le I de l'article 236 du code général des impôts est, conformément au principe de permanence des méthodes comptables énoncé à l'article L. 123-17 du code de commerce, irréversible sauf changement exceptionnel de situation du contribuable ou modification des règles comptables, et doit s'exercer pour l'ensemble des dépenses des projets de recherche de l'entreprise qui satisfont aux critères prévus à l'article R. 123-186 du code de commerce.

7. Il ressort des pièces du dossier que la société Cap 2020 Consult a inscrit en charges des dépenses de recherche dites de sous-traitance, directement imputables au projet " Agri-GNSS ", à hauteur de 60 000 euros au titre de l'exercice clos en 2011 et de 126 500 euros au titre de l'exercice clos en 2012, et inscrit à l'actif de son bilan des frais dits de fonctionnement, à hauteur de 6 066 euros au titre de l'exercice clos en 2011 et de 5 578 euros au titre de l'exercice clos en 2012, correspondant aux heures de travail effectuées dans le cadre de la conception algorithmique de logiciels susceptibles d'être utilisés et affectés à d'autres projets en dehors du projet " Agri-GNSS ".

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 qu'en jugeant, après avoir relevé que la circonstance que la société Cap 2020 Consult avait inscrit en immobilisations les dépenses de développement exposées au titre des projets de recherche " MCUBE ", " SIMPATIC " et " Agri-GNSS " révélait une décision d'option en faveur de l'activation de ces dépenses, que cette circonstance faisait obstacle à ce que, pour ce dernier projet, elle inscrive par ailleurs en charges des dépenses de recherche dites de sous-traitance, sans rechercher si ce dernier projet satisfaisait aux critères d'immobilisation prévus par l'article R. 123-186 du code de commerce, la cour a commis une erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Cap 2020 Consult est fondée à demander l'arrêt qu'elle attaque.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 à verser à la société Cap 2020 Consult au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 7 juin 2022 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : L'Etat versera à la société Cap 2020 Consult la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Cap 2020 Consult et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 juillet 2023 où siégeaient :

Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Vincent Daumas, M. Nicolas Polge, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 26 juillet 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Cyril Martin de Lagarde

La secrétaire :

Signé : Mme Laurence Chancerel

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 466493
Date de la décision : 26/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - RÈGLES GÉNÉRALES - QUESTIONS COMMUNES - DÉPENSES DE FONCTIONNEMENT EXPOSÉES DANS LES OPÉRATIONS DE RECHERCHE – OPTION EN FAVEUR DE L’IMMOBILISATION OU DE LA DÉDUCTION DES RÉSULTATS DE L'ANNÉE OU DE L'EXERCICE AU COURS DUQUEL ELLES ONT ÉTÉ EXPOSÉES – 1) ALIGNEMENT SUR LE TRAITEMENT COMPTABLE – 2) CONSÉQUENCES – A) IRRÉVERSIBILITÉ – B) APPLICATION À L’ENSEMBLE DES DÉPENSES DE RECHERCHE [RJ1].

19-04-01-01-03 1) Il résulte du I de l’article 236 du code général des impôts (CGI), éclairé par les travaux préparatoires de la loi n° 84-578 du 9 juillet 1984, que le législateur a entendu aligner le traitement fiscal des dépenses de fonctionnement exposées au titre d’opérations de recherche scientifique ou technique sur la règle comptable. ...2) Il en résulte que l’option prévue par ce même I a) est, conformément au principe de permanence des méthodes comptables énoncé à l’article L. 123-17 du code de commerce, irréversible sauf changement exceptionnel de situation du contribuable ou modification des règles comptables, et b) doit s’exercer pour l’ensemble des dépenses des projets de recherche de l’entreprise qui satisfont aux critères prévus à l’article R. 123-186 du code de commerce.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES - BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX - CALCUL DE L'IMPÔT - DÉPENSES ÉLIGIBLES – DÉPENSES CORRESPONDANT À DES PRESTATIONS SOUS-TRAITÉES À DES ORGANISMES DE RECHERCHE (D ET D BIS DU II DE L’ART - 244 QUATER BIS DU CGI) [RJ2] – CIRCONSTANCE QU’ELLES FASSENT L’OBJET D’UN PAIEMENT DIRECT PAR LE CO-CONTRACTANT DU DONNEUR D’ORDRE – INCIDENCE SUR LE DROIT DE CE DERNIER AU CRÉDIT D’IMPÔT – ABSENCE.

19-04-02-01-08-01-01 Lorsqu'une entreprise confie à un organisme mentionné au d ou au d bis du II de l'article 244 quater B du code général des impôts (CGI) l'exécution de prestations nécessaires à la réalisation d'opérations de recherche qu'elle mène, les dépenses correspondantes peuvent être prises en compte pour la détermination du montant de son crédit d'impôt, quand bien même les prestations sous-traitées à cet organisme feraient l’objet d’un paiement direct à celui-ci par le cocontractant de l’entreprise donneuse d’ordre.


Références :

[RJ2]

Cf., sur l’éligibilité de telles dépenses au CIR du donneur d’ordre, CE, 9 septembre 2020, Société Takima, n°440523, T. p. 714....

[RJ1]

Rappr., s’agissant de l’option fiscale ouverte par le décret n° 2005-1702 du 28 décembre 2005 pour le traitement des coûts d’emprunt engagés pour l’acquisition ou la production d’une immobilisation, CE, 9 juin 2020, SA Cofiroute, n° 416739, inédite au Recueil.


Publications
Proposition de citation : CE, 26 jui. 2023, n° 466493
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyril Martin de Lagarde
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:466493.20230726
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