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09/09/2020 | FRANCE | N°440523

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 09 septembre 2020, 440523


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 11 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Takima demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe 220 des commentaires administratifs publiés le 4 avril 2014 au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-BIC-RICI-10-10-20-30 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

-

la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- l...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 11 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Takima demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe 220 des commentaires administratifs publiés le 4 avril 2014 au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-BIC-RICI-10-10-20-30 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts, notamment son article 244 quater B ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Takima demande l'annulation pour excès de pouvoir du paragraphe 220 des commentaires administratifs publiés le 4 avril 2014 au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-BIC-RICI-10-10-20-30, par lesquels l'administration donne son interprétation des dispositions du III de l'article 244 quater B du code général des impôts.

2. Eu égard aux moyens qu'elle soulève, cette société doit être regardée comme demandant seulement l'annulation du deuxième alinéa du paragraphe 220 des commentaires litigieux, lequel énonce que les organismes de recherche privés agréés mentionnés au d bis du II de l'article 244 quater B du code général des impôts doivent " déduire de la base de calcul de (leur) propre crédit d'impôt recherche les sommes reçues des organismes pour lesquels les opérations de recherche sont réalisées et facturées (III de l'article 244 quater B du CGI). Cette disposition a pour objet d'éviter que les mêmes opérations de recherche ouvrent droit deux fois au crédit d'impôt. " ainsi que de l'illustration chiffrée de la règle ainsi énoncée qui figure à la suite de cet alinéa sous la dénomination " Exemple ".

3. L'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la date des commentaires administratifs attaqués, prévoit, dans son I, que les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel, ou exonérées en application de dispositifs qu'il énumère, peuvent bénéficier, au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année, d'un crédit d'impôt égal à 30 % de ces dépenses, pour leur fraction inférieure ou égale à 100 millions d'euros, et de 5 % pour leur fraction supérieure à ce montant. Ce même article définit, dans son II, les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt et précise que sont également éligibles, notamment, sous des règles de plafond spécifiques, " d bis) Les dépenses exposées pour la réalisation d'opérations de même nature confiées à des organismes de recherche privés agréés par le ministre chargé de la recherche ". Le III du même article dispose que sont déduites des bases de calcul de ce crédit les subventions publiques reçues par les entreprises à raison des opérations ouvrant droit au crédit d'impôt, qu'elles soient définitivement acquises par elles ou remboursables, et précise qu'il " en est de même des sommes reçues par les organismes ou experts désignés au d et au d bis du II, pour le calcul de leur propre crédit d'impôt. (...) ".

4. Il résulte de ces dernières dispositions que les sommes reçues par les organismes de recherche privés agréés mentionnés au d bis du II de l'article 244 quater B du code général des impôts pour la réalisation d'opérations de recherche qui leur sont confiées par des entreprises entrant elles-mêmes dans le champ des bénéficiaires du crédit d'impôt recherche constituent, pour ces entreprises donneuses d'ordre, des dépenses éligibles à ce crédit. S'agissant des organismes de recherche sous-traitants, ils ne peuvent inclure les dépenses exposées pour réaliser de telles opérations dans la base de calcul de leur crédit d'impôt recherche.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

5. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

6. La société Takima soutient qu'en ce qu'il obligerait les organismes de recherche privés agréés à inclure dans la base de leur propre crédit d'impôt recherche le montant des dépenses éligibles réalisées dans le cadre d'opérations de recherche conduites pour le compte de tiers puis à déduire de cette même base les sommes qu'ils facturent à ces donneurs d'ordre, l'article 244 quater B du code général des impôts instituerait une différence de traitement injustifiée entre les organismes de recherche privés agréés selon qu'ils réalisent ou non, en sus de celles conduites pour le compte de tiers, des opérations de recherche pour leur propre compte, différence constitutive d'une rupture d'égalité devant la loi fiscale et devant les charges publiques dans la mesure où ceux ayant fait le choix de réaliser des opérations de recherche pour leur compte propre se verraient contraints de déduire de la base de leur propre crédit d'impôt la fraction des sommes facturées à des donneurs d'ordre pour la réalisation d'opérations de recherche pour leur compte qui excèderait le montant des dépenses de recherche éligibles afférentes à ces mêmes opérations. Cette société soutient également qu'en instituant une telle règle, l'article 244 quater B aurait pour effet de dissuader les organismes agréés de recherche privés réalisant des opérations de recherche pour le compte de tiers de réaliser conjointement de telles opérations pour leur propre compte, de sorte qu'il méconnaît le principe de liberté d'entreprendre garanti par l'article 4 de la Déclaration de 1789.

7. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les dispositions litigieuses de l'article 244 quater B du code général des impôts doivent être interprétées comme se bornant à interdire aux organismes de recherche privés agréés d'inclure dans la base de calcul de leur propre crédit d'impôt recherche les dépenses exposées pour réaliser des opérations de recherche pour le compte de tiers. Elles ne sauraient être lues comme imposant à ces organismes de recherche de déduire de l'assiette de leur crédit d'impôt la fraction des sommes facturées à des donneurs d'ordre pour la réalisation d'opérations de recherche pour le compte de ces derniers qui excèderait le montant des dépenses de recherche éligibles afférentes à ces mêmes opérations. Il en résulte que l'article 244 quater B n'est, par lui-même, à l'origine ni de la différence de traitement, ni de l'atteinte au principe de libre entreprise alléguées. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Takima, qui ne revêt pas de caractère sérieux.

Sur la requête :

8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 7 que les commentaires administratifs attaqués ajoutent à la loi en ce que, en énonçant au deuxième alinéa de leur paragraphe 220 que les organismes de recherche privés agréés doivent " déduire " de la base de calcul de leur crédit d'impôt recherche les sommes reçues des donneurs d'ordre pour le compte desquels ils réalisent des opérations de recherche, et ainsi qu'il ressort de l'exemple qui suit, ils interprètent la loi fiscale comme ayant pour effet d'obliger les organismes de recherche privés agréés sous-traitant à inclure dans la base de leur crédit d'impôt le montant des dépenses éligibles réalisées dans le cadre d'opérations de recherche conduites pour le compte de tiers éligibles, avant de déduire de cette base le montant total des sommes facturées en rémunération de ces prestations. Les commentaires administratifs en litige sont donc entachés d'incompétence en tant qu'ils énoncent la règle contenue dans le deuxième alinéa du paragraphe 220, illustrée par l'exemple chiffré figurant à sa suite. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens de la requête, la société Takima est fondée à demander leur annulation.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Takima au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Takima.

Article 2 : Le deuxième alinéa du paragraphe 220 des commentaires administratifs publiés le 4 avril 2014 au bulletin officiel des finances publiques impôts sous la référence BOI-BIC-RICI-10-10-20-30 et l'illustration chiffrée figurant à la suite de cet alinéa sous la dénomination "Exemple" sont annulés.

Article 3 : L'Etat versera à la société Takima une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Takima et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 440523
Date de la décision : 09/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

19-04-02-01-08-01-01 CONTRIBUTIONS ET TAXES. IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES. REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES. BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX. CALCUL DE L'IMPÔT. - CRÉDIT D'IMPÔT ATTRIBUÉ AUX ORGANISMES PRIVÉS AGRÉÉS RÉALISANT DES OPÉRATIONS DE RECHERCHE À LA FOIS POUR LE COMPTE DE TIERS ET POUR LEUR PROPRE COMPTE - ASSIETTE - 1) A) DÉPENSES EXPOSÉES POUR LE COMPTE DES TIERS - EXCLUSION - B) DÉDUCTION DE LA MARGE COMMERCIALE FACTURÉE AUX DONNEURS D'ORDRE - ABSENCE [RJ1] - 2) DOCTRINE FISCALE IMPOSANT DE DÉDUIRE L'INTÉGRALITÉ DES SOMMES FACTURÉES AUX DONNEURS D'ORDRE - ILLÉGALITÉ.

19-04-02-01-08-01-01 1) a) Il résulte du III de l'article 244 quater B du code général des impôts (CGI) que les sommes reçues par les organismes de recherche privés agréés mentionnés au d bis du II du même article pour la réalisation d'opérations de recherche qui leur sont confiées par des entreprises entrant elles-mêmes dans le champ des bénéficiaires du crédit d'impôt recherche constituent, pour ces entreprises donneuses d'ordre, des dépenses éligibles à ce crédit. S'agissant des organismes de recherche sous-traitants, ils ne peuvent inclure les dépenses exposées pour réaliser de telles opérations dans la base de calcul de leur crédit d'impôt recherche.... ,,b) Ces dispositions ne sauraient être lues comme imposant aux organismes privés agréés de recherche de déduire de l'assiette de leur crédit d'impôt la fraction des sommes facturées à des donneurs d'ordre pour la réalisation d'opérations de recherche pour le compte de ces derniers qui excèderait le montant des dépenses de recherche éligibles afférentes à ces mêmes opérations.,,,2) Les commentaires administratifs publiés le 4 avril 2014 au bulletin officiel des finances publiques impôts sous la référence BOI-BIC-RICI-10-10-20-30 ajoutent à la loi en ce qu'ils énoncent, au deuxième alinéa de leur paragraphe 220, que les organismes de recherche privés agréés doivent déduire de la base de calcul de leur crédit d'impôt recherche les sommes reçues des donneurs d'ordre pour le compte desquels ils réalisent des opérations de recherche, et ainsi qu'il ressort de l'exemple qui suit, ils interprètent la loi fiscale comme ayant pour effet d'obliger les organismes de recherche privés agréés sous-traitant à inclure dans la base de leur crédit d'impôt le montant des dépenses éligibles réalisées dans le cadre d'opérations de recherche conduites pour le compte de tiers éligibles, avant de déduire de cette base le montant total des sommes facturées en rémunération de ces prestations. Ils sont donc entachés d'incompétence en tant qu'ils énoncent la règle contenue dans le deuxième alinéa du paragraphe 220, illustrée par l'exemple chiffré figurant à sa suite.


Références :

[RJ1]

Cf., en précisant, CE, 5 mars 2018, société Lunalogic, n° 416836, inédite au Recueil, pts. 2 et 5.


Publications
Proposition de citation : CE, 09 sep. 2020, n° 440523
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Charles-Emmanuel Airy
Rapporteur public ?: M. Romain Victor

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:440523.20200909
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