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09/06/2022 | FRANCE | N°447932

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 09 juin 2022, 447932


Vu la procédure suivante :

La société IVG Institutional Funds GmbH, devenue Patrizia Frankfurt Kapital Verwaltungsgesellschaft mbH, a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012 et d'ordonner le versement d'intérêts moratoires. Par un jugement n° 1311674 du 2 juin 2015, le tribunal administratif de Montreuil, après avoir déchargé la société de la contribution acquittée au titre de l'exercice clos en 20

12 à concurrence de la somme de 292 241 euros, a rejeté le surplus des co...

Vu la procédure suivante :

La société IVG Institutional Funds GmbH, devenue Patrizia Frankfurt Kapital Verwaltungsgesellschaft mbH, a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012 et d'ordonner le versement d'intérêts moratoires. Par un jugement n° 1311674 du 2 juin 2015, le tribunal administratif de Montreuil, après avoir déchargé la société de la contribution acquittée au titre de l'exercice clos en 2012 à concurrence de la somme de 292 241 euros, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 15VE02458 du 1er juin 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société IVG Institutional Funds GmbH contre ce jugement en tant qu'il lui était défavorable.

Par une décision n° 412968 du 10 juillet 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi du pourvoi formé contre cet arrêt par la société IVG Institutional Funds GmbH, devenue Triuva Kapitalverwaltungsgesellschaft mbH, l'a annulé et a renvoyé l'affaire devant la cour administrative de Versailles.

Par un nouvel arrêt n° 19VE02497 du 10 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a déchargé la société IVG Institutional Funds GmbH, devenue Patrizia Frankfurt Kapital Verwaltungsgesellschaft mbH, de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés acquittée au titre de l'exercice clos en 2011 à concurrence de la somme de 2 028 200 euros, réformé le jugement du 2 juin 2015 du tribunal administratif de Montreuil dans cette mesure et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 décembre 2020 et 8 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1, 2 et 4 de cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention entre la France et l'Allemagne tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, du 21 juillet 1959 ;

- le code général des impôts ;

- la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Patrizia Frankfurt Kapital Verwaltungsgesellschaft mbH ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société de droit allemand IVG Institutional Funds GmbH, devenue la société Patrizia Frankfurt Kapital Verwaltungsgesellschaft mbH, qui a pour activité en France l'administration et la gestion d'immeubles pour le compte de fonds d'investissement, a sollicité en 2013 la restitution de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés prévue à l'article 235 ter ZAA du code général des impôts qu'elle avait acquittée au titre des années 2011 et 2012 pour des montants respectifs de 2 098 200'euros et 292 241'euros. Par un jugement du 2 juin 2015, le tribunal administratif de Montreuil a partiellement fait droit à sa demande en prononçant la décharge de la contribution exceptionnelle acquittée au titre de l'exercice 2012. Par une décision du 10 juillet 2019, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 1er juin 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles avait rejeté l'appel formé par la société contre ce jugement en tant qu'il lui était défavorable. Par un nouvel arrêt du 10 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a déchargé la société IVG Institutional Funds GmbH de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2011, réformé en conséquence le jugement du 2 juin 2015 et rejeté le surplus des conclusions de sa requête d'appel. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat de prononcer l'annulation des articles 1er, 2 et 4 de cet arrêt.

2. Aux termes du I de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les redevables de l'impôt sur les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros sont assujettis à une contribution exceptionnelle égale à une fraction de cet impôt calculé sur leurs résultats imposables, aux taux mentionnés à l'article 219, des exercices clos à compter du 31 décembre 2011 et jusqu'au 30 décembre 2013. / Cette contribution est égale à 5'% de l'impôt sur les sociétés dû, déterminé avant imputation des réductions et crédits d'impôt et des créances fiscales de toute nature. (...) / Le chiffre d'affaires mentionné au premier alinéa du présent I s'entend du chiffre d'affaires réalisé par le redevable au cours de l'exercice ou de la période d'imposition, ramené à douze mois le cas échéant (...) ". Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 de laquelle elles sont issues, que le législateur a entendu soumettre les grandes entreprises à une contribution supplémentaire, compte tenu de leurs capacités contributives plus fortes. À cette fin, il a prévu un seuil de chiffre d'affaires de 250 millions d'euros, au-delà duquel cette contribution est due. Ce seuil s'apprécie par référence aux recettes tirées de l'ensemble des opérations réalisées par le redevable dans le cadre de son activité professionnelle normale exercée en France et hors de France, quel que soit le régime fiscal du résultat des opérations correspondant à ce chiffre d'affaires.

3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour décharger la société IVG Institutional Funds GmbH de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés à laquelle elle avait été assujettie au titre de l'année 2011, la cour administrative d'appel de Versailles s'est bornée à juger que les plus-values de cessions d'immeubles réalisées par l'entreprise ne relevaient pas de son activité normale et courante mais revêtaient le caractère de produits exceptionnels insusceptibles d'être pris en compte dans le chiffre d'affaires en fonction duquel un redevable de l'impôt sur les sociétés est assujetti à la contribution instituée par l'article 235 ter ZAA du code général des impôts. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait, en outre, de s'assurer que les recettes retirées de l'ensemble des opérations réalisées par la société dans le cadre de son activité professionnelle normale exercée en France et hors de France, même sans tenir compte des plus-values de cessions d'immeubles qu'elle avait réalisées, n'excédaient pas le seuil de 250 millions d'euros fixé par l'article 235 ter ZAA, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit. Les articles 1er, 2 et 4 de cet arrêt doivent, dès lors, être annulés.

4. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond, dans la mesure de l'annulation prononcée.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société IVG Institutional Funds GmbH, devenue Patrizia Frankfurt Kapital Verwaltungsgesellschaft mbH, exerce une activité de gestion d'actifs immobiliers consistant à acquérir pour le compte d'investisseurs institutionnels des immeubles qu'elle donne en bail de longue durée en vue d'en retirer des revenus locatifs pérennes qu'elle redistribue à ses investisseurs. La société soutient, sans être contredite sur ce point, que la valorisation de ces actifs s'opère, lors de leur acquisition, à partir des seuls flux de loyers futurs attendus sur la totalité de leur durée d'exploitation, sans prise en compte, pour établir la rentabilité attendue des investissements, des éventuelles plus-values de cession susceptibles d'être réalisées. Il résulte également de l'instruction que les immeubles cédés par la société en 2011 avaient été conservés et exploités pendant plus de dix ans et l'allégation selon laquelle ces cessions s'inscrivaient dans le cadre d'une stratégie d'allègement de son patrimoine immobilier français n'est pas contredite par l'administration. Dès lors, en jugeant, malgré ces éléments, qu'il convenait d'intégrer dans le calcul du chiffre d'affaires de la société IVG Institutional Funds GmbH les produits exceptionnels qu'elle avait retirés en 2011 de la cession des immeubles dont elle était propriétaire, le tribunal administratif de Montreuil a fait une inexacte application des dispositions de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts.

6. Toutefois, il résulte de l'instruction que les fonds d'investissements allemands dont la société requérante assure la gestion sont dépourvus de personnalité morale, qu'elle perçoit, en sa qualité de propriétaire des immeubles qu'elle acquiert pour le compte de ces fonds, les loyers retirés de leur location et que chaque fonds administré par la société reçoit les revenus produits par les investissements réalisés pour son compte, déduction faite de toutes les charges y afférentes, y compris des charges d'impôt. Pour apprécier si le chiffre d'affaires réalisé en 2011 par la société IVG Institutional Funds GmbH excédait le seuil de 250 millions d'euros prévu par l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, il convenait, dès lors, d'intégrer dans le chiffre d'affaires de cette société les recettes perçues pour le compte de chacun des fonds dont elle assurait la gestion. Or il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté qu'en déterminant le chiffre d'affaires de la société allemande selon cette méthode au titre de l'année 2011 celui-ci excédait le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés. Par suite, la société Patrizia Frankfurt Kapital Verwaltungsgesellschaft mbH n'est pas fondée à soutenir qu'elle se serait placée à tort dans le champ des dispositions de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts.

7. En deuxième lieu, la société requérante ne peut utilement se prévaloir de la liberté d'établissement garantie par les stipulations des articles 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dès lors que l'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés d'un gestionnaire de fonds d'investissement établi hors de France et assurant la gestion d'actifs situés en France sans disposer d'une agence, d'une succursale ou d'une filiale, ne met pas en jeu l'exercice cette liberté.

8. En troisième lieu, les dispositions de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, dont l'objectif est de soumettre, à titre exceptionnel, les grandes entreprises à une contribution supplémentaire compte tenu de leurs capacités contributives plus fortes, ne méconnaissent pas la libre circulation des capitaux garantie par l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ni la clause de non-discrimination prévue par l'article 21 de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959, dès lors, d'une part, qu'un gestionnaire de fonds d'investissement établi dans un autre Etat membre est traité, pour l'application de ces dispositions, de manière identique à un gestionnaire de fonds établi en France et, d'autre part, que les différences de modalités de prise en compte des chiffres d'affaires pour apprécier le seuil d'assujettissement, selon que ces fonds sont ou non dépourvus de personnalité morale et que leur gestionnaire est ou non propriétaire des actifs gérés pour leur compte, sont la conséquence nécessaire des choix opérés en la matière et ne constituent pas, par elles-mêmes, une entrave à la libre circulation des capitaux.

9. Il résulte de ce qui précède que la société Patrizia Frankfurt Kapital Verwaltungsgesellschaft mbH n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement du 2 juin 2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses conclusions tendant à la décharge de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés à laquelle la société IVG Institutional Funds GmbH a été assujettie au titre de l'année 2011.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 1er, 2 et 4 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 10 novembre 2020 sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de la requête d'appel de la société Patrizia Frankfurt Kapital Verwaltungsgesellschaft mbH relatives à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2011 sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Patrizia Frankfurt Kapital Verwaltungsgesellschaft mbH au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de souveraineté industrielle et numérique et à la société Patrizia Frankfurt Kapital Verwaltungsgesellschaft mbH.

Délibéré à l'issue de la séance du 23 mai 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme Anne Egerszegi, M. Thomas Andrieu, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. Olivier Guiard, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 9 juin 2022.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Guiard

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 447932
Date de la décision : 09/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 09 jui. 2022, n° 447932
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Guiard
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:447932.20220609
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