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28/05/2021 | FRANCE | N°443642

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 28 mai 2021, 443642


Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Vitherm France a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la réduction, à concurrence de la somme de 32 690 euros, des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2015 dans les rôles de la commune d'Etain (Meuse), à raison d'un local situé " 9006, Les Casernes ".

Par un jugement n° 1803023 du 16 juillet 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par une décision n° 433494 du 8 novembre 2019, le Conseil d'Etat a

annulé ce jugement et renvoyé l'affaire devant le même tribunal.

Par un jugement n° 1...

Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Vitherm France a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la réduction, à concurrence de la somme de 32 690 euros, des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2015 dans les rôles de la commune d'Etain (Meuse), à raison d'un local situé " 9006, Les Casernes ".

Par un jugement n° 1803023 du 16 juillet 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par une décision n° 433494 du 8 novembre 2019, le Conseil d'Etat a annulé ce jugement et renvoyé l'affaire devant le même tribunal.

Par un jugement n° 1903346 du 10 juillet 2020, ce tribunal a à nouveau rejeté la demande de la société Vitherm France.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 septembre 2020, 1er décembre 2020 et 7 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Vitherm France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Vitherm France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Vitherm France est propriétaire, depuis 2009, d'un site industriel situé à Etain (Meuse) au sein duquel elle fabrique des produits javellisés. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2012 et 2013, conduite du 26 juin au 23 septembre 2015, cette société a été assujettie à des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre de l'année 2015, procédant de l'inclusion dans ses bases d'imposition de la valeur locative de constructions et aménagements de locaux réalisés entre 1992 et 2014 et immobilisés à l'actif de son bilan pour une valeur totale de 844 477 euros. Ces impositions ont été mises en recouvrement par voie de rôle particulier émis le 30 avril 2016 pour un montant total de 68 016 euros, ramené à 45 490 euros après réclamation de la société. Celle-ci se pourvoit en cassation contre le jugement du 10 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant au dégrèvement, à concurrence de la somme de 32 690 euros, des cotisations supplémentaires de taxe foncière demeurant à sa charge au titre de l'année 2015.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'Etat peut soit renvoyer l'affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l'affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie (...) ".

3. Par une décision n° 433494 du 8 novembre 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé le jugement du 16 juillet 2019 rendu par le magistrat délégué désigné par le président du tribunal administratif de Nancy. Après renvoi de l'affaire par le Conseil d'Etat, ce même magistrat délégué a statué une nouvelle fois sur la demande de la société Vitherm France par le jugement attaqué du 10 juillet 2020, en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 821-2 citées au point 2. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens du pourvoi de la société Vitherm France, il y a lieu d'annuler le jugement qu'elle attaque.

4. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond.

5. Aux termes du premier alinéa de l'article 1499 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " La valeur locative des immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties est déterminée en appliquant au prix de revient de leurs différents éléments, revalorisé à l'aide des coefficients qui avaient été prévus pour la révision des bilans, des taux d'intérêt ". Aux termes du premier alinéa de l'article 1517 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Il est procédé, annuellement, à la constatation des constructions nouvelles et des changements de consistance ou d'affectation des propriétés bâties et non bâties. Il en va de même pour les changements de caractéristiques physiques ou d'environnement ". Aux termes du I de l'article 1406 du même code : " Les constructions nouvelles, ainsi que les changements de consistance ou d'affectation des propriétés bâties et non bâties, sont portés par les propriétaires à la connaissance de l'administration, dans les quatre-vingt-dix jours de leur réalisation définitive et selon les modalités fixées par décret (...) ". Aux termes de l'article 1508 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Les rectifications pour insuffisances d'évaluation résultant du défaut ou de l'inexactitude des déclarations des propriétés bâties prévues aux articles 1406 et 1502 font l'objet de rôles particuliers jusqu'à ce que les bases rectifiées soient prises en compte dans les rôles généraux. / Les cotisations afférentes à ces rehaussements sont calculées d'après les taux en vigueur pour l'année en cours. Sans pouvoir être plus que quadruplées, elles sont multipliées : / Soit par le nombre d'années écoulées depuis la première application des résultats de la révision, / Soit par le nombre d'années écoulées depuis le 1er janvier de l'année suivant celle de l'acquisition ou du changement, s'il s'agit d'un immeuble acquis ou ayant fait l'objet de l'un des changements visés à l'article 1517 depuis la première application des résultats de la révision ". Aux termes de l'article L. 175 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " En ce qui concerne la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe d'habitation et les taxes annexes établies sur les mêmes bases, les omissions ou les insuffisances d'imposition peuvent être réparées à toute époque lorsqu'elles résultent du défaut ou de l'inexactitude des déclarations des propriétés bâties mentionnées aux articles 1406 et 1502 du code général des impôts ".

6. Il résulte de la combinaison des dispositions citées au point 5 que, hormis l'hypothèse d'une révision générale des valeurs locatives, l'administration fiscale n'est en droit de procéder selon la procédure d'émission d'un rôle particulier prévue à l'article 1508 du code général des impôts aux rectifications pour insuffisances d'évaluation résultant du défaut ou de l'inexactitude des déclarations des propriétés bâties que lorsque ceux-ci portent sur des constructions nouvelles ou des changements de consistance ou d'affectation des propriétés bâties. Des changements de consistance s'entendent de la transformation apportée à la composition d'un local préexistant afin d'en modifier le volume ou la surface de manière substantielle, notamment par l'addition de constructions, la démolition totale ou partielle de la construction ou sa restructuration par division ou réunion de locaux préexistants. Il en va ainsi notamment pour les établissements industriels.

7. Il résulte de l'instruction que l'administration a assujetti la société Vitherm France, en recourant à la procédure du rôle particulier prévue par les dispositions précitées de l'article 1508 du code général des impôts, à une cotisation supplémentaire de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre de l'année 2015, procédant de l'inclusion dans les bases d'imposition de cette société de la valeur locative de 52 immobilisations correspondant à des additions de constructions ou aménagements des locaux dont elle est propriétaire, que l'administration a regardés comme des constructions nouvelles ou des aménagements ayant entraîné un changement de consistance de ces locaux, qui n'avaient fait l'objet d'aucune déclaration, ni d'aucune prise en compte dans l'assiette de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

8. La société Vitherm France conteste les suppléments d'impositions mis à sa charge par voie de rôle particulier en tant qu'ils procèdent de la prise en compte dans l'assiette de la taxe foncière sur les propriétés bâties de la valeur locative des immobilisations autres que celles correspondant à l'acquisition d'un terrain, à la construction d'un bâtiment de bureaux et d'un hangar ainsi qu'à l'activation de la taxe d'aménagement due au titre de ces constructions, dont elle admet qu'elles ont la nature de constructions nouvelles au sens des dispositions citées au point 5. Elle soutient que les 48 autres immobilisations correspondaient à des changements de caractéristiques physiques et n'entraient pas dans le champ de l'obligation déclarative prévue par l'article 1406 précité du code général des impôts. Il résulte de l'instruction que ces immobilisations étaient relatives à l'installation de volets roulants, de " rails protection mur coupe " , de disjoncteurs et de transformateurs électriques, de dispositifs de détection dans les cuves de rétention et d'adduction d'eau, de quais hydrauliques, d'un quai de déchargement des agents de blanchiment et d'un extracteur de vapeurs, à la mise en conformité " COMAH " des installations, au bouchage d'un regard du système d'eaux pluviales, à la clôture du site, à la réfection des parkings, des sols et des revêtements et à la mise en peinture de divers locaux. Eu égard à leur nature, ces aménagements ne peuvent être regardés comme ayant entrainé un changement de consistance des locaux en cause, au sens des dispositions citées au point 5, telles qu'interprétées ainsi qu'il a été dit au point 6. Il s'ensuit que la société Vitherm France est fondée à soutenir que l'administration fiscale ne pouvait légalement procéder aux rectifications correspondantes par voie de rôle particulier. En l'absence de demande du ministre tendant au maintien des impositions supplémentaires en cause dans la limite de la fraction qui aurait pu être établie par voie de rôle supplémentaire dans le respect des règles de prescription de l'article L. 173 du livre des procédures fiscales, la société Vitherm France est fondée à demander la décharge, à concurrence de la somme de 32 690 euros, des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2015 dans les rôles de la commune d'Etain.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros, à verser à la société Vitherm France, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 10 juillet 2020 du tribunal administratif de Nancy est annulé.

Article 2 : La société Vitherm France est déchargée, à concurrence de la somme de 32 690 euros, des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2015 par voie de rôle particulier dans les rôles de la commune d'Etain.

Article 3 : L'Etat versera à la société Vitherm France une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Vitherm France et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOSITIONS LOCALES AINSI QUE TAXES ASSIMILÉES ET REDEVANCES - QUESTIONS COMMUNES - VALEUR LOCATIVE DES BIENS - CHANGEMENT DE CONSISTANCE OU D'AFFECTATION DES PROPRIÉTÉS BÂTIES OU NON BÂTIES DEVANT ÊTRE PORTÉ À LA CONNAISSANCE DE L'ADMINISTRATION FISCALE (I DE L'ART - 1406 DU CGI) - NOTION - Y COMPRIS DANS LE CAS D'UN ÉTABLISSEMENT INDUSTRIEL ÉVALUÉ DANS LES CONDITIONS PRÉVUES À L'ARTICLE 1499 DU CGI [RJ1].

19-03-01-02 Pour l'application combinée du I de l'article 1406 du code général des impôts (CGI), des articles 1499, 1508 et 1517 de ce code et de l'article L. 175 du livre des procédures fiscales (LPF), des changements de consistance s'entendent de la transformation apportée à la composition d'un local préexistant afin d'en modifier le volume ou la surface de manière substantielle, notamment par l'addition de constructions, la démolition totale ou partielle de la construction ou sa restructuration par division ou réunion de locaux préexistants. Il en va ainsi notamment pour les établissements industriels.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOSITIONS LOCALES AINSI QUE TAXES ASSIMILÉES ET REDEVANCES - TAXES FONCIÈRES - TAXE FONCIÈRE SUR LES PROPRIÉTÉS BÂTIES - CHANGEMENT DE CONSISTANCE OU D'AFFECTATION DES PROPRIÉTÉS BÂTIES OU NON BÂTIES DEVANT ÊTRE PORTÉ À LA CONNAISSANCE DE L'ADMINISTRATION FISCALE (I DE L'ART - 1406 DU CGI) - NOTION - Y COMPRIS DANS LE CAS D'UN ÉTABLISSEMENT INDUSTRIEL ÉVALUÉ DANS LES CONDITIONS PRÉVUES À L'ARTICLE 1499 DU CGI [RJ1].

19-03-03-01-03 Pour l'application combinée du I de l'article 1406 du code général des impôts (CGI), des articles 1499, 1508 et 1517 de ce code et de l'article L. 175 du livre des procédures fiscales (LPF), des changements de consistance s'entendent de la transformation apportée à la composition d'un local préexistant afin d'en modifier le volume ou la surface de manière substantielle, notamment par l'addition de constructions, la démolition totale ou partielle de la construction ou sa restructuration par division ou réunion de locaux préexistants. Il en va ainsi notamment pour les établissements industriels.


Références :

[RJ1]

Rappr., retenant la même interprétation s'agissant de locaux évalués selon la méthode prévue à l'article 1498 du CGI, CE, 2 juillet 2014, Société immobilière du 57 rue Pierre Charron, n° 358932, aux Tables sur un autre point ;

CE, 13 décembre 2017, Société Signalisation protection logistique, n° 396922, T. pp. 558-560-561.


Publications
Proposition de citation: CE, 28 mai. 2021, n° 443642
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jonathan Bosredon
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN

Origine de la décision
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Date de la décision : 28/05/2021
Date de l'import : 08/06/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 443642
Numéro NOR : CETATEXT000043587828 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2021-05-28;443642 ?
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