Vu la requête, enregistrée le 13 mai 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme Saniye X, demeurant ... ; Mme X demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 19 avril 2002 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 mars 2002 du préfet d'Ille-et-Vilaine ordonnant sa reconduite à la frontière et de la décision du même jour fixant le pays de destination de la reconduite ;
2°) d'annuler ces décisions pour excès de pouvoir ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Courrèges, Auditeur,
- les observations de la SCP Thouin-Palat, Urtin-Petit, avocat de Mme X,
- les conclusions de M. Devys, Commissaire du gouvernement ;
Sur la légalité de la mesure de reconduite :
Considérant, en premier lieu, que si, à l'appui de sa demande d'annulation de l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière, Mme X, ressortissante turque, fait valoir qu'elle séjourne en France depuis octobre 2000 avec son époux et ses enfants, il ressort des pièces du dossier que l'intéressée est entrée en France à l'âge de 25 ans et que son époux, qui est lui-même en situation irrégulière, fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière ; que, dans ces conditions, et eu égard à la durée du séjour en France de Mme X, l'arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine en date du 26 mars 2002 n'a pas porté au droit de celle-ci au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990, publiée par décret du 8 octobre 1990 : Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; que si Mme X soutient que l'exécution de la mesure de reconduite causerait un préjudice psychologique à ses enfants eu égard, notamment, à leur scolarisation en France et à la qualité de leur intégration, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de l'intéressée ait méconnu les stipulations précitées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 mars 2002 du préfet d'Ille-et-Vilaine en tant qu'il ordonne sa reconduite à la frontière ;
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination de la reconduite :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme X est mariée avec un compatriote appartenant, comme elle à la minorité kurde, qui encourrait des risques en cas de retour dans son pays d'origine ; que, d'ailleurs, par une décision rendue le même jour sous le n° 247872, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, pour ce motif, rejeté la requête formée par le préfet d'Ille-et-Vilaine contre le jugement du 7 mai 2002 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 18 avril 2002 fixant la Turquie comme pays de destination de la reconduite de l'époux de la requérante ; que, dans ces conditions, et compte tenu de l'impossibilité pour les époux de poursuivre leur vie familiale dans leur pays d'origine, la décision fixant la Turquie comme pays de destination de la reconduite de Mme X doit être regardée comme portant au droit de l'intéressée au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et, par suite, méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 mars 2002 du préfet d'Ille-et-Vilaine en tant qu'elle fixe la Turquie comme pays de destination de la reconduite ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 19 avril 2002 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rennes est annulé en tant qu'il rejette la demande de Mme X tendant à l'annulation de la décision du 26 mars 2002 du préfet d'Ille-et-Vilaine désignant la Turquie comme pays à destination duquel elle peut être reconduite.
Article 2 : La décision du 26 mars 2002 du préfet d'Ille-et-Vilaine désignant la Turquie comme pays à destination duquel Mme X peut être reconduite est annulée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme X est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Saniye X, au préfet d'Ille-et-Vilaine et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.