Vu le recours, enregistré le 10 juin 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 4 avril 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nancy en date du 7 octobre 1997 accordant à la société Maximo, venant aux droits de la SA La Moderne, la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels cette dernière avait été assujettie au titre des années 1990 et 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Loloum, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Ricard, avocat de la société Pléiade,
- les conclusions de M. Collin, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SA La Moderne, aux droits de laquelle vient en dernier lieu la SA Pléiade, a détenu, à parts égales avec cinq autres sociétés françaises, 16, 66 % du capital de la SA Fifties, holding de participation financière de droit luxembourgeois, soumise à un régime d'exonération des bénéfices et des plus-values, qui avait été constituée en mai 1989 et a été liquidée en juin 1991 ; que, pendant la même période, la SA La Moderne a été placée sous le bénéfice du régime fiscal des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts ; qu'à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a estimé que la création et le fonctionnement de la société luxembourgeoise constituaient un abus de droit et a réintégré, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans les bases imposables à l'impôt sur les sociétés le montant des produits distribués et du boni de liquidation que la SA La Moderne avait perçus en 1990 et 1991 de la société luxembourgeoise ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative a confirmé le jugement du tribunal administratif accordant la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels la société avait été assujettie à raison de ces redressements ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : … b) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus… L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien fondé du redressement ; que, lorsque l'administration use des pouvoirs qu'elle tient de ces dispositions dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle doit, pour pouvoir écarter certains actes passés par le contribuable, établir que les actes ont eu un caractère fictif ou, à défaut, qu'ils n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;
Considérant qu'en jugeant que l'administration n'apportait pas la preuve qui lui incombait de l'existence d'un abus de droit dès lors qu'elle n'établissait pas le fonctionnement irrégulier de la société Holding luxembourgeoise, la cour a commis une erreur de droit ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est dès lors fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;
Considérant que l'administration fait valoir que la participation prise par la SA La Moderne dans le capital de la société Fifties ne relève d'aucune justification économique ; qu'en effet, contrairement à ce que prétend la contribuable selon laquelle le recours à une société holding établie au Luxembourg lui aurait permis de réaliser des placements financiers à un moindre coût en l'absence de frais de courtage, avec un taux de rentabilité élevé de 9,66 % et dans des conditions de gestion plus souples qu'en France, la société luxembourgeoise a réalisé des opérations de placement assorties de frais de courtage et a supporté d'importants frais de gestion, que le taux de rentabilité de ces placements n'excédait pas les taux moyens observés sur les marchés français au cours des années en cause et que la société française n'exerçait aucune influence sur la gestion des actifs de la société luxembourgeoise ; que l'administration établit également que la société luxembourgeoise était dépourvue de toute substance ; qu'elle affirme en effet sans être contredite que la société, qui n'avait aucune compétence technique en matière de placements financiers, était, pour sa gestion et ses investissements, sous l'entière dépendance de l'établissement bancaire à l'origine de sa création et de sa filiale établie aux Iles Caïman et que les autres actionnaires ne prenaient aucune part aux assemblées statutaires ; que l'administration fait valoir enfin que la société Fifties ne supportait au Luxembourg aucune imposition sur ses bénéfices, exception faite d'un droit d'abonnement de faible montant, et qu'en prenant une participation à hauteur de 16,66 % dans le capital de cette société, la SA La Moderne se plaçait sous le bénéfice du régime fiscal des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts, tout en évitant l'application de l'article 209 B du code général des impôts relatif aux entreprises détenant au moins 25 % des actions d'une société étrangère soumis à un régime fiscal privilégié, en sorte d'être dispensée en France de tout impôt sur les sociétés, à l'exception d'une quote-part de frais et charges de 5 %, sur les revenus distribués et le boni de liquidation de la société holding ; que, dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe que la participation dans la société holding de participation au Luxembourg était un montage constitutif d'un abus de droit ; que, dès lors, le ministre est fondé à demander, d'une part, l'annulation du jugement du tribunal administratif accordant la décharge des compléments d'impôt sur les sociétés établis au titre de 1990 et 1991 et, d'autre part, le rétablissement à la charge de la société de ces mêmes compléments d'impôt ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, dans la présente instance, soit condamné à payer à la société Pléiade la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 4 avril 2002 et le jugement du tribunal administratif de Nancy du 7 octobre 1997 sont annulés.
Article 2 : Les compléments d'impôt sur les sociétés auxquels avait été assujettie la SA La Moderne au titre de 1990 et 1991 sont remis à la charge de la société Pléiade venant aux droits de celle-ci.
Article 3 : Les conclusions de la société Pléiade relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à la société Pléiade.