Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 avril 1990 et 3 août 1990 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Christ et fils dont le siège social est ..., agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège ; la société Christ et fils, agissant en exécution d'un jugement du tribunal de grande instance du Mans du 6 mars 1989 et tendant à ce que le juge administratif compétent apprécie la légalité de l'acceptation tacite de la demande d'extension, présentée par l'Association nationale interprofessionnelle des fruits et légumes transformés, de l'accord interprofessionnel conclu le 13 mai 1985 et concernant les livraisons de choux à choucroute aux fabricants et conserveurs, ayant fait l'objet d'un avis publié au Journal officiel du 24 octobre 1985, demande que le Conseil d'Etat déclare que cette acceptation tacite de la demande d'extension est entachée d'illégalité, constate l'inexistence de l'interprofession et déclare illégal l'accord interprofessionnel en cause ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité de Rome ;
Vu le règlement n° 17/62 du Conseil du 6 février 1962 portant premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité, modifié et complété ;
Vu le règlement du Conseil n° 26/62 du 4 avril 1962, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles, modifié ;
Vu la loi n° 75-600 du 10 juillet 1975 relative à l'organisation interprofessionnelle agricole, modifiée ;
Vu l'arrêté interministériel du 10 mars 1981 relatif aux conditions d'extension des accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle agricole ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Biancarelli, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Copper-Royer, avocat de la société Christ et fils et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du comité interprofessionnel national du chou et de la choucroute,
- les conclusions de M. Touvet, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 10 juillet 1975 modifiée relative à l'organisation interprofessionnelle agricole : "Les accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue peuvent être étendus, pour une durée déterminée, en tout ou partie, par l'autorité administrative compétente, lorsqu'ils tendent, par des contrats types, des conventions de campagne et des actions communes conformes à l'intérêt général et compatibles avec les règles de la communauté économique européenne, à favoriser : la connaissance de l'offre et de la demande, l'adaptation et la régularisation de l'offre, la mise en oeuvre, sous le contrôle de l'Etat, de règles de mise en marché, de prix, de conditions de paiement ; ( ...) L'autorité compétente dispose d'un délai de trois mois à compter de la demande présentée par l'organisation interprofessionnelle pour statuer sur l'extension sollicitée. Si, au terme de ce délai, elle ne s'est pas prononcée, la demande est réputée acceptée (...)" ; que, saisi d'un litige opposant la société Christ et fils au comité interprofessionnel national du chou et de la choucroute, né de l'application de l'accord interprofessionnel national quinquennal relatif aux choux destinés à la fabrication de choucroute et à la choucroute, conclu le 13 mai 1985, et étendu par décision tacite du ministre de l'agriculture sur le fondement des dispositions législatives précitées, le tribunal de grande instance du Mans, après avoir constaté l'existence d'une question préjudicielle de légalité, a sursis à statuer et renvoyé la société Christ et fils devant le juge administratif compétent ;
Sur la recevabilité des conclusions de la requête de la société Christ et fils :
Considérant que le Conseil d'Etat, saisi sur renvoi de l'autorité judiciaire, doit se borner à examiner les questions à lui posées par ladite autorité ; qu'il ressort clairement des énonciations du jugement du tribunal de grande instance du Mans que celui-ci a entendu surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative ait apprécié la légalité de la décision tacite prononçant l'extension de l'accord interprofessionnel ; qu'il suit de là que les conclusions de la société Christ et fils tendant à ce que le Conseil d'Etat constate l'inexistence de l'interprofession et déclare illégal l'accord interprofessionnel ne sont pas recevables ;
Sur la légalité de la décision prononçant l'extension de l'accord interprofessionnel du 13 mai 1985 :
Considérant que la société Christ et fils soutient, notamment, à l'appui de sa requête, que l'accord du 13 mai 1985 méconnaît l'article 85 du traité instituant la communauté économique européenne, aux motifs qu'il institue un régime de prix déterminé minimum, qu'il instaure un système de quotas de production et qu'il met en place un mécanisme d'échange d'informations entre les producteurs de choux, les fabricants et les conserveurs de choucroute ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 85 du traité instituant la communauté économique européenne : "1- Sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, et notamment ceux qui consistent à ( ...) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ( ...) 2- Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit. 3- Toutefois les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables ( ...)" sous certaines conditions ; que, d'autre part, aux termes de l'article 1er du règlement n° 26/62 du Conseil du 4 avril 1962 : "A partir de l'entrée en vigueur du présent règlement, les articles 85 à 90 inclus du traité ainsi que les dispositions prises pour leur application s'appliquent à tous accords, décisions et pratiques visés à l'article 85, paragraphe 1 ( ...) et relatifs à la production ou au commerce des produits énumérés à l'annexe II du traité, sous réserve des dispositions de l'article 2" ; que l'article 2 du même règlement dispose que : "1- L'article 85, paragraphe 1 du traité est inapplicable aux accords, décisions et pratiques qui font partie intégrante d'une organisation nationale de marché ou qui sont nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l'article 39 du traité. Il ne s'applique pas en particulier aux accords, décisions ou pratiques d'exploitants agricoles, d'associations d'exploitants agricoles ou d'associations de ces associations ressortissant à un seul Etat membre, dans la mesure où, sans comporter l'obligation de pratiquer un prix déterminé, ils concernent la production ou la vente de produits agricoles ( ...) à moins que la commission ne constate qu'ainsi la concurrence est exclue ou que les objectifs de l'article 39 du traité sont mis en péril ; 2 ( ...) la commission ( ...) a compétence exclusive pour constater, par une décision qui est publiée, pour quels accords, décisions et pratiques les conditions prévues au paragraphe 1 sont remplies" ;
Considérant qu'aux termes de l'article 4 de l'accord interprofessionnel du 13 mai 1985, des contrats de culture conformes à un contrat type national établi par le comité interprofessionnel national du chou et de la choucroute "garantissent au producteur l'écoulement et assurent à l'acheteur l'approvisionnement à un prix déterminé, conformément à la convention de campagne" et qu'aux termes de l'article 7 de cet accord : "Le contrat type garantit au producteur le paiement d'un prix contractuel, interprofessionnel au kilogramme de chou à choucroute ( ...) Le prix est fixé chaque année par la convention de campagne" ; qu'enfin, aux termes du dernier alinéa de l'article 9 dudit accord : "Les producteurs qui auront livré et les fabricants de choucroute ou conserveurs qui auront acheté sans contrepartie de contrats conformes au contrat type national sont passibles de redevances supplémentaires" d'un montant élevé au regard du prix des produits en cause ; qu'il suit de là que l'accord institue une obligation de pratiquer un prix déterminé, lequel constitue un prix minimum pour le producteur et un prix maximum pour l'acheteur ;
Considérant qu'il résulte clairement des dispositions précitées de l'article 85 du traité de Rome que sont interdits les accords et décisions qui ont pour objet ou pour effet de fausser le libre jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et qui sont susceptibles d'affecter, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement les échanges entre les Etats membres ; que, d'une part, il résulte clairement des dispositions dudit article, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice des communautés européennes dans sa décision 123/83 du 30 janvier 1985 qu'un accord professionnel fixant un prix minimal, transmis à l'autorité publique pour le faire entériner, en vue de le rendre obligatoire pour l'ensemble des opérateurs intervenant sur un marché déterminé, a, par sa nature même, pour objet de fausser le libre jeu de la concurrence sur ce marché ; que, d'autre part, la fixation d'un prix contractuel déterminé qui constitue l'élément nécessaire du dispositif de l'accord tendant à assurer, sur l'ensemble du territoire national, la satisfaction de la totalité de la demande des fabricants de choucroute, tout en garantissant aux producteurs de choux à choucroute l'écoulement de la totalité de leur production, est susceptible d'affecter les échanges avec les autres Etats membres de la communauté ; qu'ainsi les stipulations susanalysées de l'accord du 13 mai 1985 sont au nombre de celles qui sont prohibées par l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la communauté économique européenne ; que la circonstance alléguée par le comité interprofessionnel national du chou et de la choucroute ainsi que par le ministre de l'agriculture que, dans la pratique, le prix contractuel déterminé ne serait pas respecté est sans influence sur l'appréciation qui doit être portée sur leur légalité ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et qu'il n'est d'ailleurs pas allégué que lesdites stipulations remplissent les conditions requises pour bénéficier d'une exemption au titre du troisième paragraphe de l'article 85 du traité ; que, par suite, elles méconnaissent les dispositions de cet article ;
Considérant que, d'une part, s'il ressort de l'examen de l'annexe II du traité, éclairée par la nomenclature du conseil de coopération douanière que le chou à choucroute, la choucroute et les conserves de choucroute sont des produits agricoles entrant dans le champ d'application du règlement n° 26/62 précité et sont susceptibles, par suite, de faire l'objet d'accords auxquels ne s'applique pas l'article 85 précité, en vertu de l'article 2 de ce règlement, il résulte clairement de la seconde phrase du premier paragraphe de cet article, laquelle, selon l'interprétation qu'en a donnée la Cour de justice des communautés européennes dans sa décision C-319/93, C-40/94 et C-224/94 du 12 décembre 1995, est seule applicable aux accords d'associations d'exploitants agricoles, que l'inapplicabilité de l'article 85 du traité instituant la communauté économique européenne à de tels accords est notamment subordonnée à la condition qu'ils ne comportent pas "l'obligation de pratiquer un prix déterminé" ; que, dès lors, les stipulations susanalysées, qui instituent une obligation de pratiquer un prix déterminé, ne remplissent pas les conditions requises pour bénéficier de cette dérogation ; que, d'autre part, il résulte clairement du deuxième paragraphe de l'article 2 du règlement n° 26/62 selon l'interprétation qu'en a donnée la Cour de justice des communautés européennes dans sa décision précitée du 12 décembre 1995, que la compétence exclusive conférée par ces dispositions à la Commission ne trouve pas à s'appliquer lorsque, comme en l'espèce, il est manifeste que les stipulations de l'accord méconnaissent l'article 85 du traité instituant la communauté économique européenne et ne remplissent pas les conditions requises pour bénéficier de la dérogation prévue par le règlement n° 26/62 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les stipulations précitées n'étant pas divisibles de l'ensemble de l'accord du 13 mai 1985 et la légalité de la décision prononçant l'extension de cet accord étant nécessairement subordonnée à la validité de ses stipulations, la société Christ et fils est fondée à soutenir que la décision tacite par laquelle le ministre de l'agriculture a étendu l'accord interprofessionnel en cause doit être déclarée illégale ;
Article 1er : Il est déclaré que la décision tacite par laquelle le ministre de l'agriculture a étendu l'accord interprofessionnel conclu le 13 mai 1985 concernant les livraisons de choux à choucroute aux fabricants et conserveurs est entachée d'illégalité.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Christ et fils, au comité interprofessionnel national du chou et de la choucroute, au ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation et au ministre de l'économie et des finances.