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31/05/2024 | CANADA | N°2024CSC20

Canada | Canada, Cour suprême, 31 mai 2024, Earthco Soil Mixtures Inc. c. Pine Valley Enterprises Inc., 2024 CSC 20


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : Earthco Soil Mixtures Inc. c. Pine Valley Enterprises Inc., 2024 CSC 20
 

 

 
Appel entendu : 17 octobre 2023
Jugement rendu : 31 mai 2024
Dossier : 40197


 
Entre :
 
Earthco Soil Mixtures Inc.
Appelante
 
et
 
Pine Valley Enterprises Inc.
Intimée
 
- et -
 
Chambre de commerce du Canada
Intervenante
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin<

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Motifs de jugement :
(par. 1 à 115)

La juge Martin (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Rowe, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin)


 

 


Motifs dissidents :
(...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : Earthco Soil Mixtures Inc. c. Pine Valley Enterprises Inc., 2024 CSC 20
 

 

 
Appel entendu : 17 octobre 2023
Jugement rendu : 31 mai 2024
Dossier : 40197

 
Entre :
 
Earthco Soil Mixtures Inc.
Appelante
 
et
 
Pine Valley Enterprises Inc.
Intimée
 
- et -
 
Chambre de commerce du Canada
Intervenante
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 115)

La juge Martin (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Rowe, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin)

 

 

Motifs dissidents :
(par. 116 à 185)

La juge Côté

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Earthco Soil Mixtures Inc.                                                                           Appelante
c.
Pine Valley Enterprises Inc.                                                                              Intimée
et
Chambre de commerce du Canada                                                         Intervenante
Répertorié : Earthco Soil Mixtures Inc. c. Pine Valley Enterprises Inc.
2024 CSC 20
No du greffe : 40197.
2023 : 17 octobre; 2024 : 31 mai.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
                    Vente d’objets — Contrats — Interprétation — Clauses d’exclusion — Exigences pour écarter ou modifier des conditions légales implicites — Loi provinciale assortissant les contrats de vente d’objets sur description d’une condition implicite selon laquelle les objets correspondent à leur description — Parties autorisées par la loi à écarter ou à modifier la condition implicite par convention expresse — Clause d’exclusion dans le contrat entre l’acheteur et le vendeur portant que le vendeur n’est pas responsable de la qualité du matériau — La clause d’exclusion constituait‑elle une convention expresse visant à écarter la responsabilité en cas de violation de la condition implicite selon laquelle le matériau doit correspondre à sa description? — Loi sur la vente d’objets, L.R.O. 1990, art. 14, 53.
                    L’acheteur a été embauché pour travailler à un projet municipal visant à régler des problèmes d’inondation, projet qui consistait notamment à retirer la terre végétale en place et à la remplacer en vue d’un meilleur drainage. L’acheteur a communiqué avec le vendeur, un fournisseur de terre végétale, pour obtenir une terre végétale d’une composition spécifique. Le vendeur a fourni à l’acheteur des rapports de laboratoire de différents échantillons de terre végétale prélevés environ six semaines plus tôt et a déconseillé d’acheter la terre végétale sans obtenir des résultats d’analyse à jour. Or, l’acheteur avait déjà échoué à respecter plusieurs échéances du projet et souhaitait que la terre végétale soit livrée en urgence pour éviter d’avoir à payer des dommages‑intérêts conventionnels. Il a donc renoncé à son droit de faire analyser la terre et a insisté pour que celle‑ci soit livrée immédiatement. L’acheteur et le vendeur ont convenu d’ajouter au bon de commande type deux clauses d’exclusion qui prévoyaient que l’acheteur avait le droit de faire analyser le matériau et de l’approuver avant qu’il soit livré et que, s’il renonçait à ces droits, le vendeur ne serait pas responsable de la qualité du matériau une fois que celui‑ci aurait quitté ses installations. Après la livraison et l’épandage de la terre végétale sur le site du projet, on a remarqué la présence de flaques d’eau. Des analyses ont révélé que la terre végétale contenait considérablement plus d’argile que ce qu’avaient indiqué les résultats d’analyse, et l’acheteur a dû la retirer et la remplacer. L’acheteur a poursuivi le vendeur en dommages‑intérêts, alléguant ne pas avoir reçu une terre végétale dont la composition correspondait aux propriétés figurant dans les résultats d’analyse.
                    Le juge de première instance a rejeté l’action de l’acheteur. Il a conclu qu’il s’agissait d’un contrat de vente d’objets sur description au sens voulu pour l’application de l’art. 14 de la Loi sur la vente d’objets de l’Ontario (« LVO »), qui prévoit l’existence d’une condition implicite selon laquelle les objets doivent correspondre à leur description. Il a également conclu que l’acheteur n’avait pas reçu la terre végétale qu’il attendait, en raison des différences entre celle qui lui avait été promise et celle qui lui avait été livrée. Cependant, le juge de première instance a conclu que les clauses d’exclusion constituaient une convention expresse, au sens voulu pour l’application de l’art. 53 de la LVO, visant à écarter la condition implicite prévue à l’art. 14 de la LVO, en dépit du fait que ces clauses d’exclusion ne mentionnaient pas explicitement qu’elles visaient à écarter les modalités et conditions implicites prescrites par la loi. La Cour d’appel a conclu que le juge de première instance avait commis des erreurs quant à trois questions de droit isolables : (1) en omettant de tenir compte de la nature de la condition implicite prévue à l’art. 14 de la LVO, laquelle a trait à l’identité de l’objet (ou à sa description) et non à sa qualité; (2) en interprétant erronément le sens de l’exigence selon laquelle il faut formuler la convention en termes explicites, clairs et nets pour exclure une condition légale; et (3) en tenant compte du fondement factuel du contrat au‑delà de ce qui était permis en interprétant les clauses d’exclusion. La Cour d’appel a jugé que le terme « qualité » ne peut pas viser l’« identité » et que la référence dans les clauses d’exclusion à la « qualité » n’en était pas une à la condition implicite prévue à l’art. 14 relative à l’identité de l’objet. Selon la cour, comme les clauses d’exclusion n’exprimaient pas explicitement, clairement et nettement qu’elles visaient l’identité de la terre végétale, elles étaient insuffisantes pour écarter la responsabilité découlant de l’art. 14 de la LVO. La Cour d’appel a accueilli l’appel et a substitué un jugement ordonnant au vendeur de payer des dommages‑intérêts.
                    Arrêt (la juge Côté est dissidente) : Le pourvoi est accueilli et la décision du juge de première instance est rétablie.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin : Pour qu’une « convention expresse » soit suffisante au regard de l’art. 53 de la LVO, elle doit être constituée d’une convention qui écarte ou modifie un droit, une obligation ou une responsabilité implicite que prescrit la loi et doit être expressément énoncée dans le contrat conclu par les parties. La détermination de ce qui constitue une convention expresse doit également tenir compte des principes d’interprétation contractuelle et des règles de droit relatives aux clauses d’exclusion, et la considération prépondérante doit être l’intention objective des parties. En l’espèce, le juge de première instance n’a commis aucune erreur de droit relativement aux clauses d’exclusion en cause. La convention expresse des parties a pour sens objectif que l’acheteur acceptait le risque que la terre végétale ne réponde pas aux spécifications préalablement fournies quant à sa composition s’il n’effectuait pas l’analyse de ce qu’il savait être une substance organique et changeante.
                    Le droit qui régit la vente d’objets est assujetti à diverses règles juridiques de sources différentes. Bien qu’elle soit assujettie à une foule de dispositions législatives énoncées dans la LVO ou d’autres lois similaires au pays, une vente est aussi une convention assujettie aux règles de la common law applicables aux contrats, et la LVO prescrit qu’elle doit être interprétée de concert avec les principes en vigueur du droit des contrats. Les lois sur la vente d’objets n’ont jamais été censées constituer des codifications exhaustives ou complètes; elles ne doivent pas être appliquées avec trop de rigidité ou sans tenir compte de la liberté qu’ont les parties de conclure des contrats qui respectent les limites générales du droit. Les règles prescrites par la législation sur la vente d’objets doivent s’harmoniser avec le droit des contrats dans son ensemble, et cette législation doit être interprétée à la lumière de la common law telle qu’elle existe selon le moment en cause et actuellement. En particulier, les principes énoncés dans les arrêts Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, et Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69, lesquels donnent la priorité à l’intention des parties, s’appliquent aux contrats assujettis à la LVO.
                    La LVO offre des protections légales aux parties contractantes en attachant divers droits, obligations et responsabilités implicites aux contrats de vente d’objets, y compris des conditions et des garanties. Lorsque des objets sont vendus sur description, l’art. 14 de la LVO prévoit la condition implicite qu’ils correspondent à leur description. En établissant qu’il s’agit d’une condition, la LVO fait de la correspondance avec la description un élément crucial de l’objet du contrat. Lorsque cette condition implicite intervient, la détermination des aspects des objets qui font partie de leur description, qui est une question reposant sur les faits, acquiert une grande importance. Ce ne sont pas toutes les déclarations relatives aux objets qui sont des éléments protégés de leur description en application de l’art. 14 : la description est liée à l’identité des objets et elle ne protège que les termes qui identifient l’objet de la vente. La jurisprudence a établi une distinction entre des caractéristiques qui portent sur l’identité des objets (lesquelles se rapportent à la description) et celles qui portent sur leur qualité (lesquelles se rapportent à la qualité marchande et à l’adaptation à l’usage auquel ils sont destinés). L’identité d’un objet devrait se limiter aux mots ayant pour but d’énoncer ou d’identifier un élément essentiel de sa description. Pour l’application de l’art. 14, il faut se demander si l’acheteur pourrait équitablement et raisonnablement refuser d’accepter les objets physiques qui lui sont remis parce qu’ils ne correspondent pas à un de leurs éléments constitutifs décrits dans le contrat et que cela en fait des biens de nature différente de ceux que l’acheteur avait convenu d’acheter.
                    En dépit de l’importance des conditions légales implicites, les parties demeurent libres de conclure des contrats qui excluent les présomptions légales applicables de la LVO. L’article 53 autorise les parties à modifier ou à écarter les obligations qu’impose la LVO, notamment par convention expresse. Pour qu’une stipulation d’un contrat constitue une « convention expresse » visée à l’art. 53, on doit être en présence à la fois d’une convention visant à modifier ou à écarter une responsabilité découlant d’un contrat de vente, et cette convention doit être expresse. On jugera qu’une convention est expresse si elle a été conclue de façon distincte et explicite, et non pas laissée à l’inférence. Les parties doivent s’être exprimées d’une façon expresse et dénuée d’ambiguïté qui signale leur intention de supplanter la LVO. Malgré l’exigence relative à la convention expresse, l’art. 53 n’exige pas de formulation expresse; il n’y a pas d’exigence quant à l’emploi de mots magiques en particulier. On ne saurait dire qu’il est satisfait à l’art. 53 que si les parties qui ont convenu d’une clause d’exclusion ont utilisé les mots « condition » et « identité » pour écarter la condition implicite selon laquelle l’objet correspond à sa description. Selon la jurisprudence applicable, il faut éviter d’adopter une méthode axée sur des règles de forme en matière d’interprétation contractuelle et plutôt interpréter les mots en fonction de leur fondement factuel, avec pour objectif prépondérant de déterminer l’intention objective des parties.
                    Le volet « convention » de l’art. 53 est souvent le cœur de la question en litige et exige la rencontre des volontés quant aux droits, aux obligations ou à la responsabilité qui sont changés et quant à la façon dont ils sont modifiés ou écartés. Les termes de la convention doivent aussi être certains et avoir été mutuellement acceptés. L’existence, la portée et la signification du terme « convention » utilisé dans la loi seront également déterminées en fonction des principes de la common law relatifs à la formation, à l’interprétation et à l’application des contrats. Dans l’arrêt Sattva, la Cour a énoncé comment les conventions doivent être interprétées et examinées, et elle a expliqué comment la jurisprudence a évolué vers une démarche plus souple et pratique axée sur le bon sens pour ce qui est de déterminer l’intention objective des parties. Lorsqu’il cherche à déterminer le sens d’un document, le tribunal doit se concentrer sur ce qu’a objectivement été l’intention des parties et sur ce qu’elles ont raisonnablement compris que signifiaient les mots qu’elles utilisaient. Le sens des mots utilisés dans un contrat peut être déterminé par un certain nombre de facteurs contextuels découlant des circonstances, que l’on appelle souvent le fondement factuel.
                    Les clauses d’exclusion, comme celles visées à l’art. 53 de la LVO, sont régies par leur propre ensemble de règles juridiques parce qu’elles soulèvent des questions de principe distinctes. L’arrêt Tercon énonce une approche en trois étapes pour aider à juger du caractère exécutoire d’une clause d’exclusion. Premièrement, le tribunal doit déterminer si la clause d’exclusion s’applique ou non aux circonstances, ce qui dépend nécessairement de l’intention des parties qu’il dégage du contrat. C’est à cette étape que le tribunal doit déterminer s’il y a une convention expresse entre les parties suffisante pour satisfaire aux exigences de l’art. 53. Si la clause d’exclusion est jugée valide à la première étape, la deuxième étape exige que le tribunal examine si la clause était inique au moment de la formation du contrat. Troisièmement, même si elle n’est pas inique, un tribunal peut examiner s’il existe une considération d’ordre public prépondérante qui l’emporte sur l’intérêt public marqué lié à l’application des contrats et, si tel est le cas, il peut refuser de faire respecter la clause d’exclusion par ailleurs valide. Les principes modernes d’interprétation contractuelle prescrits par l’arrêt Sattva s’appliquent aux contrats qui contiennent des clauses d’exclusion, tout particulièrement à la première étape du test énoncé dans l’arrêt Tercon. La directive donnée par la décision Sattva de tenir compte des circonstances pour interpréter les stipulations d’un contrat signifie que les clauses d’exclusion doivent aussi être analysées à la lumière de leur objet et du contexte commercial.
                    En l’espèce, les clauses d’exclusion exonèrent le vendeur de toute responsabilité légale qui lui incomberait autrement en application de l’art. 14 de la LVO. Le mot « qualité » dans les clauses d’exclusion doit être interprété de manière à s’harmoniser avec les circonstances. L’acheteur était un acheteur commercial avec des années d’expérience dans l’achat de grandes quantités de terre végétale. Les deux parties étaient conscientes de la nature changeante de la terre végétale et du fait que les résultats d’analyses existants dataient. Les parties étaient libres de négocier et de répartir le risque de l’absence d’analyse de la terre végétale. L’acheteur était pressé de recevoir la terre végétale, compte tenu de la menace de devoir payer sous peu des dommages‑intérêts. L’acheteur a couru le risque en pleine connaissance de cause, en prenant une décision consciente et stratégique. Les parties ont conclu une convention expresse quant à la répartition du risque, en l’exprimant d’une façon nette, claire et expresse dans leur contrat, ce qui démontrait que leur intention objective était que l’acheteur renonce à son droit de poursuivre le vendeur en responsabilité pour quoi que ce soit en lien avec la terre végétale. Le juge de première instance n’a commis aucune erreur en tirant de telles conclusions.
                    La juge Côté (dissidente) : L’appel devrait être rejeté. Les clauses d’exclusion ne constituent pas une « convention expresse » au sens de l’art. 53 de la LVO visant à écarter la responsabilité du vendeur pour une violation de la condition implicite résultant de l’art. 14 selon laquelle les objets vendus sur description correspondent à leur description. Une clause d’exclusion n’est pas une convention expresse visée à l’art. 53 à l’égard d’une condition implicite précise si pour l’interpréter comme telle, il faut s’écarter du texte du contrat et se demander ce que les parties doivent être considérées comme ayant écrit étant donné les circonstances, plutôt que d’interpréter le sens des mots effectivement employés par les parties. La formulation claire et nette que les parties ont choisi d’employer dans les clauses d’exclusion limitait l’exclusion de la responsabilité à l’égard des vices dans la qualité au sens de l’art. 15 de la LVO, et ne peut pas être élargi pour inclure tout vice se rapportant à l’identité de la terre.
                    La LVO protège les acheteurs en incorporant implicitement certaines conditions dans chaque contrat de vente d’objets, comme les conditions statutaires que les objets correspondent à leur description (art. 14), qu’ils sont adaptés à un usage particulier (art. 15 par. 1) et qu’ils sont de qualité marchande (art. 15 par. 2). Chacune de ces conditions statutaires est distincte, et il importe de ne pas les confondre. L’article 14 énonce la condition implicite que les objets livrés en vertu d’un contrat de vente d’objets sur description correspondent à leur description. Établir l’existence d’une violation de l’art. 14 commande une analyse en deux étapes. Il faut d’abord se demander si le contrat vise une vente sur description au sens de l’art. 14. Dans l’affirmative, il faut ensuite déterminer si les objets livrés correspondent à la description convenue. Il s’agit là d’une décision factuelle qui repose sur la question de savoir si une déclaration décrivant les objets vendus a été faite et si l’acheteur s’y est raisonnablement fié. Il faut distinguer l’art. 14 de l’art. 15, lequel vise de façon générale la qualité des objets. Plus précisément, l’art. 15 par. 1 énonce une condition implicite d’adaptation à un usage particulier et l’art. 15 par. 2 établit une condition implicite de qualité marchande.
                    La LVO ne limite pas la liberté des parties en common law de façonner leur convention comme elles l’entendent. Elles sont libres d’écarter les conditions implicites, et l’art. 53 délimite précisément la façon dont elles peuvent démontrer leur intention de le faire. Une voie permettant d’écarter la responsabilité découlant de la LVO est que les parties sont libres d’organiser leur contrat comme elles l’entendent au moyen d’une convention expresse. Comme l’a indiqué la Cour dans l’arrêt Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, 1989 CanLII 129 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 426, des termes clairs, nets et sans équivoque sont nécessaires pour écarter une garantie statutaire par convention expresse. Toute intention d’écarter la responsabilité découlant de la LVO doit être exprimée d’une façon qui est incompatible avec le contenu précis des conditions découlant implicitement de la loi. La mention d’une obligation juridique différente ne suffit pas. Les parties ne sont pas tenues d’employer des mots magiques; elles doivent plutôt employer une formulation qui vise clairement et nettement à exclure le contenu des conditions qu’elles ont l’intention de modifier. Lorsque la formulation employée par les parties écarte seulement une obligation en particulier, toutes les autres obligations demeurent applicables. Dans l’éventualité où les parties omettent d’employer une formulation qui englobe sans équivoque la condition ou la garantie implicite en question, on ne peut dire qu’une convention expresse a été conclue. Une tentative d’écarter la responsabilité peut échouer parce que les mots employés par les parties visent à écarter la responsabilité à l’égard de la qualité des objets, alors que le vice concerne plutôt leur description.
                    Dans le contexte de la vente d’objets, l’interprétation contractuelle doit se faire sur la prémisse que les parties avaient objectivement l’intention d’accepter les droits, obligations et responsabilités découlant de la LVO, à moins que les parties aient clairement exprimé leur intention contraire. Une telle approche reflète la décision de principe, consacrée à l’art. 53, de donner la primauté aux objectifs législatifs, à moins que les parties aient clairement exprimé leur intention d’organiser différemment leurs droits et obligations. La LVO reflète la compréhension du législateur de l’efficacité commerciale et du sens commun dans le contexte de la vente d’objets, et ses dispositions ont été conçues afin de favoriser la certitude et la prévisibilité. Il n’y a rien d’injuste ou d’irréaliste dans le fait de tenir pour acquis que les parties connaissaient leurs positions juridiques respectives lorsqu’elles ont conclu le contrat. Étant donné que les parties sont présumées connaître leurs positions juridiques avant de conclure un contrat de vente, il faut aussi présumer qu’elles voulaient les conséquences juridiques résultant des mots qu’elles ont employés. Bien que l’interprétation des mots employés dans une clause d’exclusion puisse nécessiter un renvoi à l’ensemble du contrat ou aux circonstances entourant sa conclusion, le législateur a indiqué que les droits, obligations et responsabilités découlant de la LVO doivent être considérés comme une partie essentielle du contexte dans lequel les parties concluent un contrat. L’interprétation contractuelle ne peut s’effectuer d’une manière qui passe outre aux règles de droit régissant les contrats.
                    En l’espèce, le juge de première instance pouvait conclure que le contrat conclu par les parties constituait une vente sur description, et que la description de la terre végétale aux fins de l’application de l’art. 14 de la LVO comprenait la composition établie dans les résultats de l’analyse effectuée. Toutefois, le fait que le juge de première instance ait conclu que la composition de la terre végétale se rapportait à l’identité du matériau, bien qu’elle puisse également être pertinente en ce qui concerne l’adaptation de la terre végétale à un usage particulier, ne signifie pas que les parties ont objectivement voulu mettre le vendeur à l’abri de toute responsabilité. Les parties ont choisi de mettre leur convention par écrit. La tâche de la cour consiste à déterminer ce qu’elles ont voulu dire en convenant d’écarter la responsabilité liée à la « qualité du matériau ». Les clauses d’exclusion n’indiquaient pas, en fait, que le vendeur ne serait responsable « d’aucun » vice, y compris les vices dans la composition de la terre végétale. Les parties ont plutôt convenu que le vendeur ne serait pas « responsable de la qualité du matériau ». Le sens ordinaire et grammatical de ces mots réfère à l’adaptation des objets à un usage particulier, au sens de l’art. 15 par. 1 de la LVO. La convention expresse écarte la responsabilité uniquement à l’égard de la qualité. En l’espèce, le sens du mot « qualité » ne peut pas être élargi pour inclure tout vice se rapportant à l’identité ou à la description de la terre végétale; par conséquent, la formulation des clauses d’exclusion n’exprime pas une intention objective d’écarter la condition de correspondance avec la description prévue à l’art. 14 de la LVO.
Jurisprudence
Citée par la juge Martin
                    Arrêts appliqués : Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633; Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69; arrêts examinés : Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, 1989 CanLII 129 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 426; Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, [2016] 2 R.C.S. 23; arrêts mentionnés : Jesuit Fathers of Upper Canada c. Cie d’assurance Guardian du Canada, 2006 CSC 21, [2006] 1 R.C.S. 744; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Corner Brook (Ville) c. Bailey, 2021 CSC 29, [2021] 2 R.C.S. 540; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., 1997 CanLII 385 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 748; Ashington Piggeries Ltd. c. Christopher Hill Ltd., [1972] A.C. 441; Bakker c. Bowness Auto Parts Co. Ltd. (1976), 1976 CanLII 1131 (AB CA), 68 D.L.R. (3d) 173; Bailey c. Croft (1931), 1931 CanLII 654 (MB CA), 40 Man. R. 146; Rahtjen c. Stern GMC Trucks (1969) Ltd. (1976), 66 D.L.R. (3d) 566; Coast Hotels Ltd. c. Royal Doulton Canada Ltd., 2000 BCSC 857, 76 B.C.L.R. (3d) 341; Joubarne c. Loodu, 2005 BCSC 1340; Thoms c. Louisville Sales & Service Inc., 2006 SKQB 447, 286 Sask. R. 90; Baron c. Caragata, 2004 SKQB 43, 245 Sask. R. 208; Total Petroleum (N.A.) Ltd. c. AMF Tuboscope Inc. (1987), 1987 CanLII 3172 (AB KB), 54 Alta. L.R. (2d) 13; Palin c. Assie Industries Ltd., 2003 SKQB 57, 230 Sask. R. 234; Clayton c. North Shore Driving School, 2017 BCPC 198, 70 B.L.R. (5th) 49; Koubi c. Mazda Canada Inc., 2012 BCCA 310, 352 D.L.R. (4th) 245; Armak Chemicals Ltd. c. Canadian National Railway Co. (1991), 1991 CanLII 7334 (ON CA), 3 O.R. (3d) 1; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27; Schnarr c. Blue Mountain Resorts Ltd., 2018 ONCA 313, 140 O.R. (3d) 241; British Columbia (Attorney General) c. Le, 2023 BCCA 200, 482 D.L.R. (4th) 20; Bank of England c. Vagliano Brothers, [1891] A.C. 107; Investors Compensation Scheme Ltd. c. West Bromwich Building Society, [1998] 1 All E.R. 98; Guarantee Co. of North America c. Gordon Capital Corp., 1999 CanLII 664 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 423; Dow Chemical Canada ULC c. NOVA Chemicals Corporation, 2020 ABCA 320, 17 Alta. L.R. (7th) 83; Reardon Smith Line Ltd. c. Hansen-Tangen, [1976] 3 All E.R. 570; Chabot c. Ford Motor Co. of Canada Ltd. (1982), 1982 CanLII 2051 (ON SC), 39 O.R. (2d) 162; Gregorio c. Intrans-Corp. (1994), 1994 CanLII 2241 (ON CA), 18 O.R. (3d) 527; Rosenberg c. Securtek Monitoring Solutions Inc., 2021 MBCA 100, 465 D.L.R. (4th) 201; Co-operators Compagnie d’assurance-vie c. Gibbens, 2009 CSC 59, [2009] 3 R.C.S. 605; Banque nationale de Grèce (Canada) c. Katsikonouris, 1990 CanLII 92 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1029; Moldenhauer c. Alberta Powersports Inc., 2009 ABPC 118; Conners c. McMillan, 2020 BCPC 230.
Citée par la juge Côté (dissidente)
                    Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, 1989 CanLII 129 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 426; Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69; Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie-Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 R.C.S. 688; Bank of England c. Vagliano Brothers, [1891] A.C. 107; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3; Ashington Piggeries Ltd. c. Christopher Hill Ltd., [1972] A.C. 441; Bakker c. Bowness Auto Parts Co. Ltd. (1976), 1976 CanLII 1131 (AB CA), 68 D.L.R. (3d) 173; Printing and Numerical Registering Co. c. Sampson (1875), L.R. 19 Eq. 462; Produce Brokers Co., Ltd. c. Olympia Oil and Cake Co., Ltd., [1916] 1 A.C. 314; Continental Tyre and Rubber Co. Ltd. c. Trunk Trailer Co. Ltd., 1985 S.C. 163; McCutcheon c. David MacBrayne Ltd., 1964 S.C. (H.L.) 28; Procureur général du Québec c. Carrières Ste‑Thérèse Ltée, 1985 CanLII 35 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 831; Canada (Procureur général) c. JTI‑Macdonald Corp., 2007 CSC 30, [2007] 2 R.C.S. 610; R. c. Morrison, 2019 CSC 15, [2019] 2 R.C.S. 3; Wallis, Son & Wells c. Pratt & Haynes, [1911] A.C. 394; Advance Rumely Thresher Co. c. Lester, 1927 CanLII 440 (ON CA), [1927] 4 D.L.R. 51; McNichol c. Dominion Motors Ltd. (1930), 1930 CanLII 253 (AB CA), 24 Alta. L.R. 441; Gregorio c. Intrans‑Corp. (1994), 1994 CanLII 2241 (ON CA), 18 O.R. (3d) 527; Cork c. Greavette Boats Ltd., 1940 CanLII 77 (ON CA), [1940] O.R. 352; Murray c. Sperry Rand Corp. (1979), 1979 CanLII 2133 (ON SC), 23 O.R. (2d) 456; Chabot c. Ford Motor Co. of Canada Ltd. (1982), 1982 CanLII 2051 (ON SC), 39 O.R. (2d) 162; Keefer Laundry Ltd. c. Pellerin Milnor Corp., 2008 BCSC 1119, 49 B.L.R. (4th) 222; Kobelt Manufacturing Co. c. Pacific Rim Engineered Products (1987) Ltd., 2011 BCSC 224, 84 B.L.R. (4th) 189; IPEX Inc. c. Lubrizol Advanced Materials Canada Inc., 2012 ONSC 2717, 4 B.L.R. (5th) 148; Brantford Engineering and Construction Ltd. c. Underground Specialties Cambridge Inc., 2014 ONSC 4726, 33 B.L.R. (5th) 239; Haliburton Forest & Wildlife Reserve Ltd. c. Toromont Industries Ltd., 2016 ONSC 3767; Herbert Construction Company Ltd. c. Carter Holt Harvey Ltd., [2013] NZHC 780; Moldenhauer c. Alberta Powersports Inc., 2009 ABPC 118; Conners c. McMillan, 2020 BCPC 230; Corner Brook (Ville) c. Bailey, 2021 CSC 29, [2021] 2 R.C.S. 540; Produits forestiers Résolu c. Ontario (Procureur général), 2019 CSC 60, [2019] 4 R.C.S. 394; Elias c. Western Financial Group Inc., 2017 MBCA 110, 417 D.L.R. (4th) 695; Luxor (Eastbourne), Ld. c. Cooper, [1941] A.C. 108; Photo Production Ltd. c. Securicor Transport Ltd., [1980] A.C. 827; Triple Point Technology Inc. c. PTT Public Co. Ltd., [2021] UKSC 29, [2021] A.C. 1148; Stocznia Gdynia S.A. c. Gearbulk Holdings Ltd., [2009] EWCA Civ 75, [2010] Q.B. 27; Whitecap Leisure Ltd. c. John H. Rundle Ltd., [2008] EWCA Civ 429, [2008] 2 Lloyd’s Rep. 216; Seadrill Management Services Ltd. c. OAO Gazprom, [2010] EWCA Civ 691, [2011] 1 All E.R. (Comm.) 1077; Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., 1998 CanLII 791 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 129; Leggett c. Taylor (1965), 1965 CanLII 574 (BC SC), 50 D.L.R. (2d) 516; Rosenberg c. Securtek Monitoring Solutions Inc., 2021 MBCA 100, 465 D.L.R. (4th) 201; Ecoasis Resort and Golf LLP c. Bear Mountain Resort & Spa Ltd., 2021 BCCA 285, 53 B.C.L.R. (6th) 343; Mann c. Grewal, 2023 BCCA 88; Arnold c. Britton, [2015] UKSC 36, [2015] A.C. 1619.
Lois et règlements cités
Business Practices and Consumer Protection Act, S.B.C. 2004, c. 2, art. 3.
Consumer Protection Act, R.S.A. 2000, c. C‑26.3, art. 2(1).
Loi de 2002 sur la protection du consommateur, L.O. 2002, c. 30, ann. A, art. 9(3).
Loi sur la vente d’objets, C.P.L.M., c. S10, art. 15, 16a), b).
Loi sur la vente d’objets, L.R.N.‑B. 2016, c. 110, art. 19, 20a), b).
Loi sur la vente d’objets, L.R.O. 1990, c. S.1, art. 1(1) « garantie », « qualité », 2(1), 12(3), 13, 14, 15, 16(1), 18, 20(2), 21, 27, 28(1), (5), 30, 31, 32, 33(2), 35, 48(3), 49(3), 51(3), 53, 57(1).
Loi sur la vente d’objets, L.R.T.N.‑O. 1988, c. S‑2, art. 17, 18(1)a), b).
Loi sur la vente d’objets, L.R.T.N.‑O. (Nun.) 1988, c. S-2, art. 17, 18(1)a), b).
Loi sur la vente d’objets, L.R.Y. 2002, c. 198, art. 14, 15a), b).
Sale of Goods Act, R.S.A. 2000, c. S-2, art. 15, 16(2), (4).
Sale of Goods Act, R.S.B.C. 1996, c. 410, art. 17(1), 18(a), (b).
Sale of Goods Act, R.S.N.L. 1990, c. S-6, art. 15(1), 16(a), (c).
Sale of Goods Act, R.S.N.S. 1989, c. 408, art. 16, 17(a), (b).
Sale of Goods Act, R.S.P.E.I. 1988, c. S‑1, art. 15, 16(a), (b).
Sale of Goods Act, R.S.S. 1978, c. S‑1, art. 15, 16 par. 1 et 2.
Sale of Goods Act, 1893 (R.‑U.), 56 & 57 Vict., c. 71.
Doctrine et autres documents cités
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Benjamin’s Sale of Goods, vol. 1, 12e éd. par Michael Bridge, dir., London, Sweet & Maxwell, 2024.
Bertolini, Daniele. « Releasing the Unknown : Theoretical and Evidentiary Challenges in Interpreting the Release of Unanticipated Claims » (2023), 48:2 Queen’s L.J. 61.
Bertolini, Daniele. « Unmixing the Mixed Questions : A Framework for Distinguishing Between Questions of Fact and Questions of Law in Contractual Interpretation » (2019), 52 U.B.C. L. Rev. 345.
Bertolini, Daniele. « Unpacking Entire Agreement Clauses : On the (Elusive) Search for Contractually Induced Formalism in Contractual Adjudication » (2021), 66 R.D. McGill 465.
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Bridge, Michael G. The Sale of Goods, 4e éd., New York, Oxford University Press, 2019.
Brown, David. « Has Sattva spawned an era of less appellate deference? » (2023), 41:4 Adv. J. 26.
Chalmers, M. D. The Sale of Goods Act, 1893, Including the Factors Acts, 1889 & 1890, 2e éd. rév., London, William Clowes & Sons, 1894.
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Sutton, K. C. T. « The Reform of the Law of Sales » (1969), 7 Alta. L. Rev. 130.
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Wilmot‑Smith, Frederick. « Express and Implied Terms » (2023), 43 Oxford J. Leg. Stud. 54.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (le juge en chef Strathy et les juges Simmons et Zarnett), 2022 ONCA 265, 161 O.R. (3d) 103, 468 D.L.R. (4th) 78, 26 B.L.R. (6th) 165, [2022] O.J. No. 1497 (Lexis), 2022 CarswellOnt 4054 (WL), qui a infirmé une décision du juge Nakatsuru, 2020 ONSC 601, [2020] O.J. No. 405 (Lexis), 2020 CarswellOnt 1113 (WL). Pourvoi accueilli, la juge Côté est dissidente.
                    Mark Klaiman et Ian Klaiman, pour l’appelante.
                    Vito S. Scalisi et Dylan A. S. Bal, pour l’intimée.
                    Jeremy Opolsky et Lauren Nickerson, pour l’intervenante.
                  Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin rendu par
                  La juge Martin —
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphe

I.      Introduction

1

II.   Contexte factuel

4

III.   Historique judiciare

13

A.   Cour supérieure de justice de l’Ontario, 2020 ONSC 601

13

B.   Cour d’appel de l’Ontario, 2022 ONCA 265

22

IV.   Questions en litige

26

V.   Analyse

27

A.   La norme de contrôle applicable

27

B.   La Loi sur la vente d’objets

34

C.   L’article 53 et les conventions expresses

45

(1)      L’article 53 de la Loi sur la vente d’objets

50

(2)      Les principes modernes d’interprétation contractuelle

61

(3)      Le traitement juridique des clauses d’exclusion

66

(4)      L’exigence d’une formulation explicite, claire et nette lorsqu’elle est appliquée aux conditions légales et à l’identité

74

D.   Résumé de l’approche appropriée pour interpréter les clauses d’exclusion visées à l’art. 53 de la Loi sur la vente d’objets

93

E.     Les clauses 6 et 7 exonèrent Earthco de toute responsabilité découlant de l’art. 14

100

VI.   Dispositif

115

I.               Introduction
[1]                              Le présent appel porte sur la capacité d’une partie à un contrat de se soustraire à une condition implicite prescrite par la Loi sur la vente d’objets, L.R.O. 1990, c. S.1 (« LVO »)[1]. L’acheteur, Pine Valley Enterprises Inc., soutient que la terre végétale achetée a fait l’objet d’une vente sur description et il réclame des dommages‑intérêts parce que la terre en question ne correspond pas à cette description. Le vendeur, Earthco Soil Mixtures Inc., affirme pour sa part qu’aucune condition légale n’a été enfreinte, faisant valoir non seulement que le matériau respectait sa description, mais aussi que les parties avaient spécifiquement exclu toute obligation de la sorte au moyen d’une convention écrite expresse. La LVO, comme plusieurs autres lois similaires au pays, prévoit que les parties peuvent se soustraire aux droits, aux obligations ou à la responsabilité qu’elle attache autrement implicitement à un contrat de vente (art. 53). Le contrat conclu par les parties contenait une clause stipulant que si l’acheteur choisissait de renoncer à son droit d’analyser la terre, le vendeur ne serait [traduction] « pas responsable de la qualité du matériau » une fois que celui‑ci aurait quitté ses installations (d.a., p. 201). L’acheteur ayant choisi de renoncer à son droit d’analyser et d’approuver la terre végétale avant qu’elle soit livrée, le vendeur soutient que cette clause a pour effet d’écarter toute condition légale selon laquelle cette terre doit satisfaire à certaines spécifications quant à sa composition.
[2]                              En l’espèce, la Cour est appelée avant tout à énoncer comment interpréter adéquatement les clauses d’exclusion figurant dans des contrats de vente d’objets. Cela suppose de déterminer ce qui constitue une convention expresse visée à l’art. 53 de la LVO, à la lumière de causes récentes ayant porté sur l’interprétation contractuelle et du fonctionnement juridique des clauses d’exclusion. Les principes énoncés dans les arrêts Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, et Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69, s’appliquent aux contrats assujettis à la LVO. Ces récentes reformulations des principes du droit des contrats donnent la priorité à l’intention des parties d’une manière qui modifie et assouplit certaines des approches plus strictes et techniques préconisées dans certaines causes antérieures. Comme l’a affirmé notre Cour dans l’arrêt Sattva, « l’interprétation des contrats a évolué vers une démarche pratique, axée sur le bon sens plutôt que sur des règles de forme en matière d’interprétation. La question prédominante consiste à déterminer “l’intention des parties et la portée de l’entente” » (par. 47, citant Jesuit Fathers of Upper Canada c. Cie d’assurance Guardian du Canada, 2006 CSC 21, [2006] 1 R.C.S. 744, par. 27). Toutes les clauses du contrat, y compris les clauses d’exclusion, devraient recevoir « une interprétation naturelle et juste afin [que le tribunal puisse] saisir et apprécier parfaitement le sens et l’effet de la clause d’exclusion sur laquelle les parties se sont accordées au moment de la passation du contrat » (Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée., 1989 CanLII 129 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 426, p. 510‑511). En définitive, lorsqu’un tribunal est appelé à appliquer une combinaison de l’art. 53, de principes d’interprétation contractuelle et de règles de droit relatives aux clauses d’exclusion, c’est l’intention objective des parties qui doit être la considération prépondérante.
[3]                              Je conclus que le juge de première instance n’a commis aucune erreur de droit quant aux clauses d’exclusion en cause en l’espèce. Dans les circonstances commerciales de la présente affaire, la convention expresse des parties a pour sens objectif que l’acheteur acceptait le risque que la terre ne réponde pas aux spécifications préalablement fournies quant à sa composition s’il n’effectuait pas l’analyse de ce qu’il savait être une substance organique et changeante. L’appel est accueilli et Earthco n’a aucune responsabilité envers Pine Valley.
II.            Contexte factuel
[4]                              En 2011, la ville de Toronto (« Ville ») a retenu les services de Pine Valley, entrepreneure dans le domaine des parcs municipaux, pour régler des problèmes d’inondation de sous‑sols dans un quartier résidentiel de North York. Les travaux d’assainissement, désignés comme étant le Projet Moore Park, consistaient notamment à retirer la terre végétale en place et à la remplacer par une autre plus propice à un drainage adéquat de l’eau. Bien que Pine Valley ait été responsable de l’achat et de l’épandage de la terre végétale, la Ville a retenu les services d’un expert‑conseil et superviseur de la construction, CH2M Hill (« expert‑conseil de la Ville »), qui a aidé au choix d’une terre végétale appropriée.
[5]                              Le contrat de construction conclu entre la Ville et Pine Valley prévoyait l’achèvement substantiel des travaux en date du 19 août 2011. Si cette date n’était pas respectée, Pine Valley serait tenue de payer des dommages‑intérêts conventionnels de 500 $ par jour de travail jusqu’à l’achèvement du Projet. Pour diverses raisons, Pine Valley n’a pas respecté l’échéance prévue et a demandé une série de prorogations du délai. La Ville a prorogé l’échéance pour l’achèvement substantiel des travaux au 3 octobre 2011, après quoi Pine Valley serait tenue de payer les dommages‑intérêts conventionnels. Entre‑temps, en dépit des efforts consentis par Pine Valley pour se procurer la terre végétale appropriée auprès de divers fournisseurs, l’expert‑conseil de la Ville n’a approuvé aucun des échantillons obtenus. La date d’achèvement substantielle des travaux du 3 octobre 2011 a également passé, et aucune terre végétale n’avait été achetée, livrée, épandue et nivelée sur le site du Projet. La Ville a fait une ultime concession et avisé Pine Valley qu’à compter du 15 octobre 2011, elle appliquerait la clause relative aux dommages‑intérêts conventionnels.
[6]                              Le 3 octobre 2011, Pine Valley a communiqué avec Earthco, un important fournisseur de terre végétale fabriquée sur mesure, pour se renseigner sur la possibilité qu’elle lui fournisse une terre végétale dont la composition respecterait des pourcentages spécifiques. La Ville exigeait que la terre en question soit composée de 45 à 70 p. 100 de sable, de 1 à 35 p. 100 de limon et de 14 à 20 p. 100 d’argile. Le responsable des ventes chez Earthco, Richard Outred, a fourni au gestionnaire de projet de Pine Valley, Rick Serrao, des rapports de laboratoire reçus en août 2011 pour trois échantillons de terre végétale différente. L’expert‑conseil de la Ville a examiné les rapports et informé M. Outred que deux des mélanges de terre végétale conviendraient moyennant certaines modifications : le R Topsoil 2P1 serait acceptable si sa teneur en chlorure était inférieure à 100 ppm et si de la tourbe pouvait y être ajoutée afin d’accroître sa teneur en matière organique, tandis que le R Topsoil serait acceptable si de la tourbe pouvait y être ajoutée afin d’en accroître la teneur en matière organique.
[7]                              À la connaissance de toutes les personnes intéressées, les échantillons dont traitaient les rapports avaient été prélevés environ six semaines avant que les rapports soient envoyés à M. Serrao et examinés par l’expert‑conseil de la Ville. Earthco et le représentant de Pine Valley ont discuté, à de nombreuses reprises, de la nécessité d’effectuer d’autres analyses de la terre avant la livraison à Pine Valley pour en établir les propriétés avec exactitude au moment de la vente. Comme la terre végétale est une substance organique dont les propriétés peuvent changer avec le temps, Earthco ne vendait habituellement la sienne qu’au terme d’un processus à plusieurs étapes sur une période de quatre à six semaines. D’ordinaire, quand Earthco recevait une commande pour de la terre répondant à certaines spécifications, elle examinait les rapports d’analyse en gardant ces dernières à l’esprit. Elle envoyait ensuite les rapports d’analyse pertinents au client, qui les acceptait ou les rejetait. Si le client approuvait une terre végétale en particulier, Earthco en préparait un « lot » à partir de très grands tas de terre. Dix échantillons étaient ensuite prélevés des tas de terre et mélangés pour ne constituer qu’un seul échantillon, qui était envoyé à un laboratoire tiers indépendant pour analyse. Les clients recevaient les résultats de cette analyse et décidaient si les spécifications de la terre qu’ils souhaitaient obtenir étaient encore respectées et s’ils passeraient ou non une commande. En règle générale, Earthco livrait la terre au client seulement après avoir obtenu l’indication spécifique que le lot était acceptable, souvent sur recommandation d’un architecte paysagiste.
[8]                              En revanche, comme Pine Valley souhaitait que la terre soit livrée en urgence, le processus suivi par Earthco avec elle a été atypique. Avant que tout contrat de vente soit signé, M. Outred a confirmé qu’une analyse de chlorure prendrait de cinq à sept jours ouvrables. Il a aussi déconseillé d’accepter la livraison avant l’obtention des résultats d’analyse à jour afin de garantir que le produit qui serait livré correspondrait aux spécifications voulues. Le 5 octobre 2011, il a dit à Pine Valley : [traduction] « Je pense que vous devriez attendre que l’analyse soit effectuée, mais si vous souhaitez que la livraison commence à vos risques et périls, veuillez m’en informer » (d.a., p. 136).
[9]                              Malgré ce conseil, le représentant de Pine Valley a signé, plus tard le même jour, un contrat pour 3 678 verges cubes de ce qui était décrit comme étant de la [traduction] « terre végétale tamisée avec extra matières organiques ajoutées » (« Contrat ») (d.a., p. 201). Le prix initial prévu au Contrat était de 66 168 $ et Pine Valley a insisté pour que la livraison soit effectuée immédiatement. Monsieur Outred, qui s’était occupé des négociations pour Earthco, a préparé lui‑même le Contrat et a ajouté deux clauses spécifiques au bon de commande type afin de refléter les discussions et l’entente conclue avec Pine Valley au sujet des analyses et de la livraison du matériau :
                    [traduction]
                    6) [Pine Valley] a le droit d’analyser et d’approuver le matériau à ses frais à nos installations avant qu’il soit livré et épandu. Veuillez vous adresser à Richard Outred pour convenir des arrangements nécessaires.
                    7) Si [Pine Valley] renonce à son droit d’analyser et d’approuver le matériau avant sa livraison, Earthco Soils Inc. ne sera pas responsable de la qualité du matériau une fois que celui‑ci aura quitté nos installations.
                    (d.a., p. 201)
[10]                          La livraison a débuté le 7 octobre 2011 et Pine Valley a demandé que le plus de camions possibles soient utilisés, affirmant que [traduction] « [l]e processus ne p[ouvait] prendre aucun retard » (d.a., p. 167). En date du 19 octobre 2011, toute la terre végétale R Topsoil avait été épandue sur le site du Projet.
[11]                          En novembre 2011, on a remarqué la présence de flaques d’eau sur le site du Projet. Des analyses ont révélé que la terre livrée en octobre contenait considérablement plus d’argile que ce qu’avaient indiqué les résultats d’analyse du mois d’août de la terre végétale R Topsoil. La Ville était insatisfaite des travaux sur le Projet et elle a ultimement exigé de Pine Valley qu’elle retire et remplace la terre végétale qu’elle avait achetée d’Earthco. Le Projet n’a finalement été achevé que le 27 juillet 2012, et la Ville a réclamé des dommages‑intérêts conventionnels de Pine Valley à partir du 15 octobre 2011.
[12]                          Pine Valley a poursuivi Earthco et a initialement déposé une déclaration libellée en termes larges qui faisait état de diverses réclamations fondées sur le droit contractuel et sur celui de la responsabilité délictuelle. En fin de compte, Pine Valley a cherché à obtenir des dommages‑intérêts de l’ordre de 700 000 $ d’Earthco pour violation de contrat. Dans l’ensemble, Pine Valley alléguait qu’elle n’avait pas reçu une terre végétale dont la composition correspondait aux propriétés figurant dans les résultats d’analyse du mois d’août et qu’Earthco était donc responsable de la perte qu’elle avait subie.
III.         Historique judiciaire
A.           Cour supérieure de justice de l’Ontario, 2020 ONSC 601
[13]                          Au procès, la question de droit principale était celle de savoir si les clauses 6 et 7 du Contrat suffisaient pour écarter la condition implicite que la terre devait correspondre à sa description en application de l’art. 14 de la LVO, de telle sorte que Earthco était exonérée de toute responsabilité. En dépit du libellé large de la déclaration et de l’existence d’autres conditions légales quant à la qualité marchande des objets et quant à leur adaptation à l’usage auquel ils étaient destinés, Pine Valley a uniquement soutenu que la terre végétale en cause ne satisfaisait pas à la condition implicite énoncée à l’art. 14, laquelle prévoit que, dans une vente d’objets sur description, ces derniers doivent correspondre à la description qu’il en est donnée. Elle a aussi fait valoir que les clauses 6 et 7 n’étaient pas suffisamment claires pour neutraliser ou pour écarter la condition légale implicite de correspondance à la description. Pour sa part, Earthco a affirmé qu’il n’y avait pas eu de violation de l’art. 14 et que, quoi qu’il en soit, les parties avaient négocié le risque associé à la composition de la terre en mettant Earthco à l’abri de toute responsabilité advenant que Pine Valley choisisse de ne pas en faire l’analyse.
[14]                          Pour résoudre cette question principale, le juge de première instance a entendu une preuve contradictoire abondante de la part des deux parties. Ses conclusions claires quant aux faits, y compris celles portant sur la crédibilité et la fiabilité, ne sont pas contestées dans le présent pourvoi.
[15]                          Le juge de première instance a rejeté le témoignage de Rocky Bova, le président, directeur et unique actionnaire de Pine Valley. Au procès, ce dernier a soutenu que sa seule intention au regard du Contrat, lorsqu’il avait donné instruction à Earthco de livrer la terre, avait été de renoncer aux analyses spécifiques relatives aux chlorures, et non à toute autre analyse. Selon le juge de première instance, la déposition de M. Bova à ce sujet était intrinsèquement incohérente et invraisemblable. Il a en outre conclu que sa déposition contredisait le témoignage du gestionnaire de projet de Pine Valley, M. Serrao, qu’il a jugé, lui, crédible et fiable.
[16]                          Le juge de première instance a accepté le témoignage de M. Serrao selon lequel il savait qu’il est peu probable, en général, que la composition d’une terre donnée demeure stable, parce qu’il s’agit d’une matière qui est susceptible de subir des changements en fonction du temps qu’il fait, du moment où elle est chargée sur un camion et du moment où elle est épandue au sol. Monsieur Serrao a aussi reconnu qu’il est recommandé d’analyser la terre avant qu’elle soit livrée, qu’il serait raisonnable et prudent d’effectuer une analyse dans ce cas‑ci parce que la terre n’est pas un objet statique et que les résultats de l’analyse effectuée en août allaient dater rendu en octobre, moment où la terre devait être livrée. De plus, M. Serrao a précisé que, selon lui, M. Bova était au courant de la position d’Earthco quant au risque encouru en l’absence d’une analyse (c.‑à‑d. que Pine Valley prendrait livraison de la terre à ses risques et périls), mais ce dernier avait néanmoins pris une décision commerciale en faisant livrer la terre immédiatement pour ne pas retarder davantage le Projet. Le juge de première instance a conclu que l’exposé de M. Serrao était dans l’ensemble plausible et compatible avec la preuve documentaire dont disposait le tribunal; il a rejeté l’idée que l’analyse était restreinte à celle des chlorures, puisque cette question n’avait pas eu d’incidence sur la terre végétale que l’expert‑conseil de la Ville avait choisie en fin de compte. Le juge de première instance a aussi accepté le témoignage de M. Outred, le responsable des ventes chez Earthco, de même que celui d’Orazio Valente, le vice‑président des ventes de cette dernière, lequel, pour l’essentiel, correspondait au récit des faits de M. Serrao.
[17]                          Compte tenu de l’ensemble de la preuve, le juge de première instance a finalement conclu que M. Bova comprenait que, au nom de Pine Valley, en sa qualité de président, directeur et seul actionnaire de l’entreprise, il renonçait à effectuer toute analyse de la terre, de même que le risque que Pine Valley prenait en acceptant la clause d’exclusion limpide. Pour des raisons économiques, Pine Valley ne voulait pas subir le retard qu’aurait entraîné l’analyse de la terre : elle subissait des pressions de la Ville en raison du retard dans l’achèvement du Projet, et elle risquait de se voir imposer des dommages‑intérêts conventionnels si elle ne pouvait pas obtenir le matériau à temps. Le juge de première instance a donc conclu que, vu les circonstances, M. Bova était prêt à ce que Pine Valley accepte la terre non analysée.
[18]                          Appliquant ces conclusions de fait à la question principale, le juge de première instance a d’abord statué qu’il s’agissait d’une vente sur description au sens voulu pour l’application de l’art. 14 de la LVO. Earthco promettait de vendre la terre végétale R Topsoil dotée [traduction] « des qualités énoncées dans les résultats d’analyse » et non pas n’importe quelle terre de n’importe quelle composition (par. 100 (CanLII)). Selon le juge de première instance, il était en outre manifeste que Pine Valley n’avait pas reçu la terre qu’elle attendait, en raison des différences de composition considérables entre la terre qui avait été promise et celle qui a été livrée (par. 103). Ainsi, il y a eu violation de la condition implicite énoncée à l’art. 14 de la LVO selon laquelle l’objet doit correspondre à sa description (par. 103).
[19]                          Se penchant ensuite sur l’art. 53 de la LVO, le juge de première instance a conclu que, pour écarter une exigence légale prévue par cette loi, la formulation du contrat doit [traduction] « être claire et dénuée d’ambiguïté » (par. 112), puisque la disposition en question énonce qu’il faut une « convention expresse » pour écarter les conditions implicites attachées au contrat. En l’espèce, les autres moyens possibles que prévoit l’art. 53 pour écarter des conditions implicites, notamment par l’usage entre les parties ou par les usages du commerce, n’étaient pas applicables. Bien que le Contrat n’ait pas mentionné explicitement les conditions ou modalités prescrites par la loi, en s’appuyant sur les circonstances qui ont entouré la conclusion du Contrat, le juge de première instance a conclu que les clauses 6 et 7 du Contrat étaient néanmoins claires et dénuées d’ambiguïté et qu’elles avaient pour objet d’exonérer Earthco de toute responsabilité découlant de l’art. 14.
[20]                          Selon le juge de première instance, Pine Valley était pressée de recevoir la terre végétale et c’est pour cette raison qu’elle a renoncé à son droit de l’analyser. Pine Valley était un acheteur de terre expérimenté, elle savait que les résultats d’analyse de la terre dataient, et elle était consciente du fait que la composition de ce matériau est susceptible de changer avec le temps. Le seul but de l’analyse aurait été de garantir que la terre répondait aux exigences de la Ville, et il existait un risque clair et évident que la terre livrée n’ait pas la même composition que celle ayant donné les résultats d’analyse datant de quelques mois. Par conséquent, le juge de première instance a conclu qu’en renonçant à analyser la terre, Pine Valley avait délibérément pris le risque que celle‑ci ne respecte pas les spécifications requises. Il a donc jugé en définitive que l’objet même des clauses 6 et 7 était d’éviter la situation précise qui s’est présentée : celle où un client omet d’analyser la terre achetée d’Earthco et essaie ensuite de tenir cette dernière responsable d’une perte résultant de la composition insatisfaisante de la terre (par. 126).
[21]                          En fin de compte, le juge de première instance a rejeté l’action de Pine Valley. S’il avait été justifié d’accorder des dommages‑intérêts, il les aurait évalués à 350 386,23 $.
B.            Cour d’appel de l’Ontario, 2022 ONCA 265
[22]                          La Cour d’appel a accueilli l’appel et annulé le jugement de première instance pour lui substituer un jugement ordonnant à Earthco de verser des dommages‑intérêts de 350 386,23 $ à Pine Valley, montant auquel les avait établis le juge de première instance.
[23]                          La seule question en litige devant la Cour d’appel était celle de savoir si les parties avaient voulu, par les clauses 6 et 7, mettre Earthco à l’abri de toute responsabilité pour la livraison d’un matériau qui ne correspondait pas à sa description. La Cour d’appel a procédé en tenant pour acquis qu’il s’agissait d’une vente sur description, qu’il y avait eu violation de l’art. 14 de la LVO, et que la question de droit concernait des clauses d’exclusion invoquées pour protéger un vendeur de ce qui constituerait autrement une violation d’une condition légale implicite. Elle s’est demandé si le juge de première instance avait commis une erreur en concluant que les clauses d’exclusion formaient [traduction] « une convention expresse formulée en termes suffisamment explicites, clairs et nets pour écarter la responsabilité pour violation de la condition implicite énoncée à l’article 14 de la [LVO], soit que la terre végétale fournie corresponde à la description énoncée au contrat » (par. 7 (CanLII)).
[24]                          La Cour d’appel a conclu que trois questions de droit isolables découlaient de l’interprétation du Contrat par le juge de première instance et que celui‑ci avait commis des erreurs à l’égard de ces trois questions. Par conséquent, il n’y avait pas lieu de faire preuve de déférence et c’est la norme de la décision correcte qui s’applique (par. 34‑36). Premièrement, en interprétant les clauses d’exclusion, le juge de première instance avait omis de tenir compte de la nature de la condition implicite prévue à l’art. 14, laquelle a trait à l’identité du matériau plutôt qu’à sa qualité. Deuxièmement, le juge de première instance n’avait pas bien interprété le sens de l’exigence selon laquelle il faut formuler la convention « en termes [. . .] explicites, clairs et nets » pour exclure une condition légale; par conséquent, il n’avait pas donné l’effet approprié à l’omission dans les clauses d’exclusion de faire référence aux caractéristiques du matériau ou aux conditions prescrites par la loi. Troisièmement, le juge de première instance s’était mépris en interprétant le texte des clauses d’exclusion plus largement que leur libellé réel et, ce faisant, il avait tenu compte du fondement factuel du Contrat, aussi appelé les circonstances, au‑delà de ce qui était permis.
[25]                          La Cour d’appel a jugé que, en rédigeant l’art. 14, le législateur avait fait le choix politique d’inclure dans tous les contrats de vente sur description une condition implicite, sans que l’acheteur n’ait à en négocier l’inclusion ou que le vendeur n’ait à y consentir. La Cour d’appel a ensuite formulé la norme applicable pour écarter une telle condition comme exigeant que les parties formulent leur intention à cet égard [traduction] « explicitement, clairement et nettement » (par. 67). Selon elle, en l’espèce, il n’a pas été satisfait à cette norme exigeante. La Cour d’appel a souligné que la condition implicite visée à l’art. 14 concerne l’identité de l’objet vendu, et non sa qualité. Cette distinction était centrale en l’espèce, puisque rien dans la formulation des clauses d’exclusion ne faisait référence explicitement, clairement et nettement à quelque condition légale que ce soit ou à l’identité de ce qui était vendu; le libellé des clauses d’exclusion du Contrat exonérait de toute responsabilité uniquement quant à la qualité de la terre. Puisque les clauses 6 et 7 n’exprimaient pas explicitement, clairement et nettement qu’elles visaient l’identité de la terre, elles étaient insuffisantes pour écarter la responsabilité du vendeur visée à l’art. 14 de la LVO.
IV.         Questions en litige
[26]                          La question principale dans le présent pourvoi est celle de savoir quelles sont les exigences légales pour exclure une condition implicite en vertu de l’art. 53 de la LVO.
V.           Analyse
A.           La norme de contrôle applicable
[27]                          La jurisprudence de la Cour établit résolument que les questions d’interprétation contractuelle, qui comportent des questions mixtes de fait et de droit, commandent habituellement la retenue en appel. L’exception prévue dans l’arrêt Sattva concerne les erreurs sur des questions de droit isolables, qui font l’objet d’un contrôle suivant la norme plus rigoureuse de la décision correcte. Ce sont les supposées erreurs sur des questions de droit isolables recensées par la Cour d’appel qui l’ont autorisée à appliquer la norme de la décision correcte. Or, comme je l’expliquerai, la Cour d’appel s’est trompée en les qualifiant de questions de droit isolables.
[28]                          Dans l’arrêt Sattva, la Cour a établi que l’interprétation contractuelle « soulève des questions mixtes de fait et de droit, car il s’agit d’en appliquer les principes aux termes figurant dans le contrat écrit, à la lumière du fondement factuel » (par. 50). Ainsi, il convient de faire preuve de déférence envers le juge de première instance — qui est le mieux placé pour tirer des conclusions quant à la nature du fondement factuel —, et la norme de contrôle généralement applicable est celle de l’erreur manifeste et déterminante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 21). Selon moi, la recherche d’une question de droit isolable n’est pas compatible avec la conclusion de l’arrêt Sattva selon laquelle l’interprétation des contrats et des conventions est une question mixte de droit et de fait et qu’il est « rar[e] » et « peu commu[n] » de dégager une question de droit isolable dans le cadre d’un exercice d’interprétation contractuelle (par. 55; Corner Brook (Ville) c. Bailey, 2021 CSC 29, [2021] 2 R.C.S. 540, par. 44). L’arrêt Housen a expressément prévenu que les tribunaux doivent « faire preuve de prudence avant d’isoler une question de droit dans un litige portant sur l’interprétation contractuelle » parce que la détermination de l’intention objective des parties, qui est l’objectif prépondérant de l’interprétation contractuelle, est un exercice, « de par sa nature même, axé sur les faits » (Sattva, par. 54‑55, citant Housen, par. 36). Il faut en outre résister à la tendance subséquente de certains tribunaux d’appel de se servir de l’arrêt Sattva pour rehausser la norme de contrôle, alors qu’il était censé faire l’inverse (l’hon. D. Brown, « Has Sattva spawned an era of less appellate deference? » (2023), 41:4 Adv. J. 26, p. 27).
[29]                          Même si, dans l’arrêt Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, [2016] 2 R.C.S. 23, la Cour a conclu que les contrats types ne sont exceptionnellement pas visés par la décision Sattva selon laquelle l’interprétation contractuelle est généralement une question mixte de fait et de droit, il a néanmoins été reconnu que, même dans ce contexte, un tribunal peut se pencher sur « les attentes raisonnables des parties » afin de déterminer le véritable sens d’une clause contractuelle (par. 95). En conséquence, il découle de l’arrêt Ledcor que, lorsqu’il existe une preuve significative du fondement factuel et un contrat d’une « particularité absolue » en raison d’un ensemble de circonstances uniques, l’approche moderne d’interprétation contractuelle préconisée par l’arrêt Sattva continue de s’appliquer (par. 42, citant Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., 1997 CanLII 385 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 748, par. 37).
[30]                        Les faits de la présente affaire établissent que le contrat en cause en était un d’une « particularité absolue ». En effet, les clauses d’exclusion au cœur du pourvoi ont été rédigées par le vendeur en réponse à la demande singulière de l’acheteur que la livraison du matériau soit faite rapidement sans analyse supplémentaire, parce que l’acheteur voulait éviter de devoir verser des dommages‑intérêts conventionnels. Qui plus est, le juge de première instance n’avait commis aucune erreur sur des questions de droit isolables. Comme je l’expliquerai plus en détail, selon la Cour d’appel, l’arrêt Hunter Engineering exige le respect de certaines formalités qui ne sont pas énoncées à l’art. 53 de la LVO et qui sont en contradiction avec les principes modernes d’interprétation contractuelle. En qualifiant les failles perçues d’erreurs de droit, la Cour d’appel a cherché à créer des principes de droit généraux qui régiraient l’interprétation de toutes les clauses d’exclusion de contrats de vente qui écartent des conditions implicites, tout en réduisant le rôle du fondement factuel au moment d’interpréter les clauses en question.
[31]                        C’était une erreur de déroger ainsi aux principes d’examen en appel énoncés par la Cour dans les arrêts Housen et Sattva. La question de savoir si les parties contractantes ont conclu une « convention expresse » au sens voulu pour l’application de la LVO comprend une dimension légale; toutefois, lorsque le contrat conclu par les parties est écrit, comme en l’espèce, elle repose largement sur l’examen de la convention écrite spécifique convenue entre les parties, des mots expressément employés pour écarter la responsabilité et des circonstances. En conséquence, une convention expresse visée par l’art. 53 pourrait être dissemblable pour différents ensembles de parties et variera vraisemblablement en fonction de l’identité des parties contractantes et de leurs circonstances. Compte tenu des variations inévitables entre les caractéristiques des parties, il serait inutile de prescrire le recours à une formulation uniforme rigide de la convention expresse à utiliser dans tous les cas. Leur existence signifie en outre que les conclusions de fait du juge de première instance quant au fondement factuel à l’aulne duquel un contrat donné est conclu continueront d’importer lorsqu’une stipulation écartant une condition légale est en cause.
[32]                        De plus, le simple fait que l’interprétation du contrat en l’espèce comprend l’examen d’une disposition législative ne signifie pas automatiquement qu’un contrôle doit être effectué selon la norme de la décision correcte. Bien que ce soit la loi qui exige la présence d’une convention expresse, les règles de la common law applicables aux contrats restent celles qui éclairent sur ce que doit être une convention expresse pour un ensemble de parties donné. Ainsi, l’approche interprétative doit être suffisamment souple pour tenir compte de l’expérience variable des parties en matière commerciale, et il en découle que la norme de contrôle appropriée doit être celle de l’erreur manifeste et déterminante, même lorsque l’analyse comprend nécessairement l’art. 53 et les conditions légales implicites. Ainsi, c’était à la fois le contenu des déclarations de la Cour d’appel quant aux failles perçues dans les motifs du tribunal de première instance que la façon dont elle a élevé ces déclarations au rang d’exigences juridiques contraignantes dans tous les cas qui, soit dit avec respect, l’ont conduite à se tromper.
[33]                        En conclusion, la norme d’examen en appel de l’exigence relative à la « convention expresse » visée à l’art. 53 n’est pas différente de la règle générale établie par la Cour dans l’arrêt Sattva — soit que les questions mixtes de fait et de droit restent sujettes à une norme d’examen empreinte de déférence, même lorsque l’analyse concerne nécessairement des conditions légales implicites. Bien que les erreurs sur des questions de droit isolables, si elles sont bien cernées, puissent justifier un examen fondé sur la norme de la décision correcte, les cours de révision doivent faire preuve de prudence lorsqu’elles cernent de telles erreurs et rester sensibles à la compétence respective des tribunaux de première instance et des cours d’appel. Cela dit, comme je l’expliquerai, en l’espèce, la Cour d’appel n’a pas recensé d’erreurs sur des questions de droit isolables qui justifiaient l’application de la norme de la décision correcte.
B.            La Loi sur la vente d’objets
[34]                          La vente d’objets est un type particulier de contrat par lequel « le vendeur transfère ou promet de transférer la propriété des objets à l’acheteur » moyennant une contrepartie pécuniaire (par. 2(1) de la LVO). Non seulement de tels contrats sont cruciaux pour le commerce, ils sont courants, puisque de nombreux individus achètent ou vendent des objets quotidiennement. Les ventes visent tous les types d’objets et différents montants, et peuvent concerner des achats uniques tout comme des arrangements à long terme auxquels consentent des parties aux degrés de connaissances et d’expérience variables.
[35]                          Toutes les provinces et tous les territoires, sauf le Québec, disposent d’une loi sur la vente d’objets inspirée de la Sale of Goods Act, 1893 (R.‑U.), 56 & 57 Vict., c. 71, loi impériale du Royaume‑Uni, qui était elle‑même une codification des règles historiques de la common law applicables aux ventes et établies par les tribunaux anglais au 19e siècle[2]. Ces lois contiennent une variété de dispositions législatives traitant des nombreuses facettes d’une opération de vente, dont le prix, la livraison et le transfert de propriété. Dans le présent pourvoi, trois obligations implicites pouvant incomber à certains vendeurs envers les acheteurs en lien avec les caractéristiques ou les propriétés des objets vendus revêtent une importance particulière : l’adaptation à l’usage auquel l’objet est destiné, la qualité marchande et la correspondance à la description (art. 14 et 15 par. 1 et 2 de la LVO). L’introduction de ces protections par voie législative visait probablement à contrecarrer les effets préjudiciables qui survenaient lorsque prévalait la règle caveat emptor et que les acheteurs prenaient tous les risques liés à l’état des objets, sauf lorsqu’il en avait été expressément convenu autrement par les parties contractantes.
[36]                          La LVO protège en outre les acheteurs en élevant ces garanties légales au rang de « conditions » implicites. Tant la LVO que la common law établissent une distinction en droit entre les clauses du contrat qui constituent une « condition » et celles qui constituent une « garantie » (voir le par. 1(1) de la LVO; G. R. Hall, Canadian Contractual Interpretation Law (4e éd. 2020), p. 166). Une clause est une « condition » si son exécution est cruciale pour le contrat, tandis qu’une « garantie » est accessoire à l’objet principal du contrat. Bien que la violation d’une garantie fasse naître le droit de réclamer des dommages‑intérêts, sans pour autant donner le droit de rejeter les objets et de considérer le contrat comme résilié, celle d’une « condition » est quant à elle sérieuse au point que la partie qui est innocente peut choisir de considérer le contrat comme résolu ou de considérer la violation de la condition comme une violation de la garantie et réclamer des dommages‑intérêts.
[37]                          Ces trois conditions implicites s’appliquent dans des sphères séparées, jouent des rôles distincts et protègent des intérêts différents. Ensemble, elles fournissent d’importantes protections, mais ce ne sont pas des dispositions d’ordre public qui s’appliquent dans tous les cas. Chacune des conditions implicites comporte des exigences internes qui lui sont propres avant qu’une responsabilité légale particulière incombe au vendeur, ce qui signifie que le législateur n’a pas choisi d’inclure des conditions implicites quant à l’état de l’objet dans tous les contrats de vente — la LVO est beaucoup plus sélective. Par exemple, l’application de la condition implicite que l’objet soit adapté à l’usage auquel il est destiné énoncée à l’art. 15 par. 1 dépend de trois facteurs : 1) le cours du commerce du vendeur; 2) la connaissance par le vendeur de l’usage prévu de l’objet par l’acheteur; 3) le fait que l’acheteur s’en remette à la compétence ou au jugement du vendeur (G. H. L. Fridman, Sale of Goods in Canada (6e éd. 2013), p. 160).
[38]                          Il importe de préciser que l’art. 14 de LVO, qui énonce la condition implicite en cause en l’espèce, ne s’applique qu’aux contrats dont les objets sont vendus sur description. Lorsque cette condition implicite intervient, la détermination des aspects des objets qui font partie de leur description, qui est une question reposant sur les faits, acquiert une grande importance. La LVO, tout comme la loi impériale sur laquelle elle est calquée, n’était pas censée [traduction] « provoquer des discussions métaphysiques quant à la nature de ce qui est livré, par rapport à ce qui est vendu » (Ashington Piggeries Ltd. c. Christopher Hill Ltd., [1972] A.C. 441 (H.L.), p. 489). Ce ne sont pas toutes les déclarations relatives à un objet qui sont des éléments protégés de leur « description » en application de l’art. 14, et la jurisprudence démontre à quel point cette description protégée est étroite. La description est liée à l’identité des objets, et elle ne protège que les termes qui identifient l’objet de la vente (voir Ashington Piggeries, p. 467, 470, 486 et 503; voir aussi E. McKendrick, « Sale of Goods », dans P. Birks, dir., English Private Law, vol. II (2000), 223, par. 10,30; Bakker c. Bowness Auto Parts Co. Ltd. (1976), 1976 CanLII 1131 (AB CA), 68 D.L.R. (3d) 173 (C.S. Alb. (Div. app.)), p. 178; Bailey c. Croft (1931), 1931 CanLII 654 (MB CA), 40 Man. R. 146 (C.A.), p. 152; Rahtjen c. Stern GMC Trucks (1969) Ltd. (1976), 66 D.L.R. (3d) 566 (C.A. Man.), p. 568‑569; Coast Hotels Ltd. c. Royal Doulton Canada Ltd., 2000 BCSC 857, 76 B.C.L.R. (3d) 341, par. 32‑34; Joubarne c. Loodu, 2005 BCSC 1340, par. 33 (CanLII); Thoms c. Louisville Sales & Service Inc., 2006 SKQB 447, 286 Sask. R. 90, par. 52‑53; Baron c. Caragata, 2004 SKQB 43, 245 Sask. R. 208, par. 16‑17; Total Petroleum (N.‑A.) Ltd. c. AMF Tuboscope Inc. (1987), 1987 CanLII 3172 (AB KB), 54 Alta L.R. (2d) 13 (B.R.), p. 32; Palin c. Assie Industries Ltd., 2003 SKQB 57, 230 Sask. R. 234, par. 7‑9; Clayton c. North Shore Driving School, 2017 BCPC 198, 70 B.L.R. (5th) 49, par. 84‑86).
[39]                        Comme l’a fait remarquer à juste titre la Cour d’appel, la jurisprudence a ainsi établi une distinction entre des caractéristiques qui portent sur l’identité des objets (lesquelles se rapportent à la description) et celles qui portent sur leur qualité (lesquelles se rapportent à la qualité marchande et à l’adaptation à l’usage auquel ils sont destinés). L’identité d’un objet ne devrait pas être considérée comme étant la synthèse de tous les mots utilisés pour le décrire, mais devrait plutôt se limiter à ceux [traduction] « ayant pour objet d’énoncer ou d’identifier un élément essentiel de [s]a description [. . .] » (C. Twigg‑Flesner, R. Canavan et H. MacQueen, Atiyah and Adams’ Sale of Goods (13e éd. 2016), p. 128 (je souligne)). Tandis que la qualité des objets constitue une clause du contrat, leur identité évoque quelque chose qui en est « un élément essentiel ». Les mots utilisés dans le contrat qui [traduction] « ne font que désigner les objets vendus sans faire véritablement référence à un élément important » de ceux‑ci ne font pas partie de leur identité (p. 128; M. Bridge, dir., Benjamin’s Sale of Goods (12e éd. 2024), vol. 1, p. 570‑571). Pour l’application de l’art. 14, il faut donc se demander [traduction] « si l’acheteur pourrait équitablement et raisonnablement refuser d’accepter les objets physiques qui lui sont remis parce que le fait [que les objets] ne correspondent pas à un de leurs éléments constitutifs décrits dans le contrat en font des objets de nature différente de ceux que [l’acheteur] avait convenu d’acheter » (Fridman, p. 157, citant Ashington Piggeries, p. 503‑504 (je souligne)).
[40]                          En dépit de l’importance des conditions légales implicites, les parties demeurent libres de conclure des contrats qui excluent les présomptions légales applicables aux ventes d’objets. Certes, le législateur a fait un choix de principe en établissant que les acheteurs devraient d’office recevoir ces garanties légales, mais, en adoptant l’art. 53, il a aussi expressément permis aux parties à un contrat de se soustraire à certaines dispositions de la LVO. Cette disposition est claire et sa portée est large; elle est au cœur de la présente cause :
                        Les droits, les obligations ou la responsabilité que la loi attache à un contrat de vente peuvent être écartés ou modifiés par convention expresse, par l’usage entre les parties ou par les usages du commerce, si ceux‑ci sont de nature à obliger les deux parties au contrat.
Toutes les lois provinciales et territoriales équivalentes à la LVO contiennent une disposition semblable, et cela illustre clairement [traduction] « que la Loi n’a jamais été conçue pour être exhaustive et hermétique »; elle établit plutôt un ensemble de règles qui, dans bien des cas, sont optionnelles, susceptibles d’être écartées par les parties elles‑mêmes (M. G. Bridge, The Sale of Goods (4e éd. 2019), p. 7).
[41]                        La coexistence des conditions implicites et de l’art. 53 démontre qu’en adoptant la LVO, le législateur n’avait pas qu’un objectif à l’esprit — mais plutôt le double objectif de protéger les acheteurs, d’une part, et de préserver la liberté contractuelle, d’autre part. Si les parties sont muettes quant à la question, une condition légale comme celle prévue à l’art. 14 est implicite dans leurs relations. Cependant, si elles le souhaitent, elles peuvent se soustraire à n’importe quelle disposition de leur choix créant une présomption, et prendre chacune le risque qui découle de cette décision. Il faut mettre en balance ces deux objectifs et envisager la question plus comme une présomption réfutable que comme une règle générale assortie d’une exception limitée. En définitive, s’il faut donner primauté à l’un des deux objectifs, le législateur a privilégié la directive privée plus que celle prévue par la loi.
[42]                          Pour apprécier ce qui correspond à une convention expresse visée à l’art. 53, la portée des clauses d’exclusion — comme les clauses 6 et 7 — et l’incidence de ces clauses sur des obligations légales autrement contraignantes, il faut d’abord comprendre en quoi le droit qui régit la vente d’objets est assujetti à diverses règles juridiques de sources différentes. Bien qu’elle soit assujettie à une foule de dispositions législatives énoncées dans la LVO, une vente d’objets est aussi une convention assujettie aux règles de la common law applicables aux contrats. Le paragraphe 57(1) de la LVO prévoit expressément que, « sauf lorsqu’elles sont incompatibles avec les dispositions expresses de la présente loi », « [l]es règles de la common law, y compris celles du droit commercial, s’appliquent aux contrats de vente d’objets ». Par exemple, les principes généraux de la common law quant à l’interprétation contractuelle, à l’offre, à l’acceptation, à la représentation, au traitement juridique des clauses d’exclusion, aux situations abusives ainsi qu’aux autres restrictions ou doctrines fondées sur l’equity continuent de s’appliquer à un contrat de vente. Ainsi, selon son libellé même et à titre de règle générale, la LVO prescrit qu’elle doive être interprétée de concert avec les principes en vigueur du droit des contrats.
[43]                        En conséquence, il convient de considérer le droit en matière de vente d’objets comme [traduction] « une branche spécialisée du droit général des contrats » dans laquelle les prescriptions légales ne sont pas isolées (Bridge (2019), p. 1). Les lois sur la vente d’objets n’ont jamais été censées constituer des codifications exhaustives ou complètes; elles ne doivent pas être appliquées avec trop de rigidité ou sans tenir compte de la liberté qu’ont les parties de conclure des contrats qui respectent les limites générales du droit (p. 7‑8; voir aussi K. C. T. Sutton, « The Reform of the Law of Sales » (1969), 7 Alta L. Rev. 130, p. 130). Ainsi, la vente d’objets [traduction] « ne peut être examinée sans tenir compte du reste du droit des contrats » et les règles prescrites par la législation sur le sujet doivent s’harmoniser avec le droit des contrats dans son ensemble (K. P. McGuinness, Sale & Supply of Goods (2e éd. 2010), §1.17). Cette législation doit être interprétée à la lumière de la common law telle qu’elle existe selon le moment en cause (Koubi c. Mazda Canada Inc., 2012 BCCA 310, 352 D.L.R. (4th) 245, par. 72; voir aussi McGuinness, §1,14).
[44]                          Ainsi, pour déterminer si Earthco était exonérée de toute responsabilité en lien avec la vente de terre à Pine Valley par une convention expresse en application de l’art. 53, notre Cour doit examiner non seulement les dispositions pertinentes de la LVO, mais aussi les règles actuelles de la common law applicables aux contrats, y compris les principes modernes d’interprétation contractuelle et le traitement juridique des clauses d’exclusion.
C.            L’article 53 et les conventions expresses
[45]                          La question au cœur du présent pourvoi est la suivante : à quel point une convention doit‑elle être expresse pour écarter une condition légale implicite? En tant que contrat assorti d’un aspect réglementaire relevant de la LVO, le contrat de vente d’objets est [traduction] « un contrat assorti d’une obligation légale correspondant à la déclaration de principe [de la législature] » (voir Armak Chemicals Ltd. c. Canadian National Railway Co. (1991), 1991 CanLII 7334 (ON CA), 3 O.R. (3d) 1 (C.A.), p. 17; voir aussi Hall, p. 179‑180 et 336‑337). Le fait que l’État ait accordé des protections légales présumées aux acheteurs signifie‑t‑il en outre qu’il existe des règles de droit particulières régissant l’interprétation des clauses d’exclusion au regard de l’art. 53? Une convention plus expresse, employant une formulation spécifique allant au‑delà de ce qui pourrait autrement satisfaire aux critères énoncés à l’art. 53 ainsi que dans les arrêts Sattva et Tercon, est‑elle nécessaire?
[46]                          La Cour d’appel a répondu à ces questions par l’affirmative en prescrivant, d’un point de vue juridique, l’emploi d’une formulation explicite, claire et nette pour écarter expressément la responsabilité du vendeur à l’égard d’une « condition » touchant à l’« identité » des objets. Elle a effectué un examen minutieux de la formulation des clauses et a conclu qu’une simple référence à une obligation juridique différente, soit « la qualité », ne suffisait pas pour écarter la responsabilité implicite visée à l’art. 14 (par. 56). La Cour d’appel ne s’est pas limitée à établir une distinction entre les conditions et les garanties, elle a appliqué le même raisonnement à la distinction entre l’identité d’un objet et ses qualités : parce que l’exclusion de garanties implicites n’exclut pas les conditions implicites, le fait d’exclure toute responsabilité quant à la qualité des objets n’exclut pas la condition légale implicite relative à leur identité (par. 59). La Cour d’appel a donc affirmé, sur le fondement de distinctions juridiques subtiles établies dans de la jurisprudence souvent complexe du Commonwealth, que le mot « qualité » ne vise pas l’« identité » et que les parties doivent affirmer expressément qu’elles écartent les conditions légales implicites.
[47]                          Devant la Cour, Pine Valley a fait valoir que la Cour d’appel a eu raison d’exiger que les parties s’expriment de façon explicite, claire et nette, et de conclure que les clauses 6 et 7 n’écartaient pas la responsabilité pour les « conditions » du contrat et pour l’« identité » de la terre. Earthco soutient que cette approche de l’interprétation d’une clause d’exclusion est rigide, étroite, formaliste et technique au point de requérir l’emploi de [traduction] « mots magiques » pour atteindre un résultat juridique particulier (m.a., p. 21). Elle fait valoir que cette approche mine l’art. 53 et fait obstacle à la démarche pratique et axée sur le bon sens énoncée dans l’arrêt Sattva et à l’accent mis sur l’intention des parties dans l’arrêt Tercon.
[48]                          Bien que la loi établisse des distinctions entre les conditions et les garanties, ainsi qu’entre la qualité des objets visés aux art. 13 et 15 et leur identité visée à l’art. 14, je n’accepte pas qu’il ne soit satisfait à l’art. 53 que si les parties qui ont convenu d’une clause d’exclusion ont utilisé les mots « condition » et « identité » pour écarter la condition implicite selon laquelle l’objet correspond à sa description. D’après la jurisprudence applicable, il faut éviter d’adopter une méthode axée « sur des règles de forme en matière d’interprétation » contractuelle et plutôt interpréter les mots en fonction de leur fondement factuel, avec pour objectif principal de déterminer l’intention objective des parties (Sattva, par. 47; cf. motifs de la C.A., par. 55).
[49]                          Dans la prochaine section, je définis en quoi consiste une convention expresse visée par l’art. 53, je traite des diverses propositions soutenues devant nous, et je formule des commentaires sur les opinions émises par la Cour d’appel. Dans la dernière section du jugement, j’applique les principes pertinents aux clauses 6 et 7 du Contrat de vente en cause en l’espèce.
(1)         L’article 53 de la Loi sur la vente d’objets
[50]                          L’article 53 de la LVO autorise les parties à modifier ou à écarter les obligations ou la responsabilité que la loi attache à un contrat. Déterminer quels mots ou actions soustraient les parties aux dispositions de la LVO suppose de répondre à une question d’interprétation législative. Pour ce faire, il faut lire le libellé de l’art. 53 [traduction] « dans [son] contexte global en suivant [son] sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la [LVO], l’objet de la [LVO] et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87).
[51]                          Le texte de l’art. 53 est large et permissif : il prévoit que les droits, les obligations ou la responsabilité que la loi attache implicitement à un contrat peuvent être modifiés par les parties. Cela comprend l’art. 14 ainsi que les autres conditions implicites relatives à l’état ou à la condition des objets. Il y est aussi expressément envisagé que les parties peuvent non seulement modifier les droits, les obligations ou la responsabilité, par exemple en en ajoutant, mais qu’elles peuvent aussi les « écart[er] » ou les exclure entièrement. La capacité des parties de convenir d’exclure les protections présumées contenues dans les conditions implicites prévues par la LVO constitue un choix de politique générale explicite du législateur qui peut se comparer à certaines lois sur la protection du consommateur dans lesquelles des conditions implicites données ont été élevées au statut de dispositions d’ordre public obligatoires. En Ontario, par exemple, dans un contrat de consommation, toute clause qui aurait pour effet d’exclure ou de modifier une condition ou une garantie implicite prévue soit par la législation sur la vente d’objets soit par celle sur la protection du consommateur est réputée nulle (Loi de 2002 sur la protection du consommateur, L.O. 2002, c. 30, ann. A, par. 9(3); voir aussi Schnarr c. Blue Mountain Resorts Ltd., 2018 ONCA 313, 140 O.R. (3d) 241, par. 75‑81; Consumer Protection Act, R.S.A. 2000, c. C‑26.3, par. 2(1); Business Practices and Consumer Protection Act, S.B.C. 2004, c. 2, art. 3).
[52]                          Ainsi, l’art. 53 était notamment censé viser précisément le cas des parties qui souhaitent écarter les protections légales présumées octroyées aux acheteurs. Cela n’est pas surprenant — le législateur avait manifestement compris que certaines parties peuvent vouloir se soustraire aux conditions implicites et négocier en conséquence. Le texte, l’économie et l’objet de la LVO illustrent tous que le législateur a non seulement spécifiquement envisagé ce scénario, mais qu’il a indéniablement permis aux parties qu’elles l’adoptent.
[53]                          L’article 53 précise aussi comment les parties peuvent se soustraire à la responsabilité légale : « . . . par convention expresse, par l’usage entre les parties ou par les usages du commerce . . . » Ces trois approches distinctes pour qu’une exemption s’applique illustrent l’étendue souhaitée de l’art. 53 et montrent que, fondamentalement, cette disposition porte sur l’intention des parties de se soustraire à l’application de certaines dispositions de la LVO — quelle que soit la façon dont cette intention est exprimée. Les parties sont libres de se soustraire à toute obligation de ce type, que ce soit expressément, par leur conduite ou par l’usage; non seulement leur intention peut‑elle être communiquée de multiples façons, mais les deux dernières reposent sur des actions, une conduite et une pratique commerciale. Selon les principes reconnus d’interprétation législative, ces trois clauses se complètent (voir Rizzo, par. 21 et 36; voir aussi British Columbia (Attorney General) c. Le, 2023 BCCA 200, 482 D.L.R. (4th) 20, par. 160). Compte tenu de cette interdépendance, pour déterminer ce qui constitue une « convention expresse », il importe de se souvenir que l’art. 53 autorise les parties à se soustraire à la LVO de certaines manières qui ne sont pas du tout liées au langage.
[54]                          Pour qu’une stipulation constitue une « convention expresse » visée à l’art. 53, on doit être en présence à la fois d’une convention visant à modifier ou écarter un droit, une obligation ou une responsabilité découlant d’un contrat de vente, et cette convention doit être expresse. Ces deux éléments, bien qu’il y soit fait référence ensemble comme partie d’une expression composée, sont distincts sur le plan conceptuel et supposent nécessairement de tenir compte de considérations différentes.
[55]                        Ce qu’est une convention « expresse » visée à l’art. 53 a prêté à une certaine confusion. Pour certains, cela renvoie à la formulation spécifique qui doit être utilisée pour soustraire les parties aux conditions prescrites par la LVO. Selon moi, il ne s’agit pas de la bonne approche. Le terme « expresse » qualifie le mot « convention » et renvoie à la façon dont la convention doit être conclue. Il ne définit pas la teneur de la convention ou le degré requis de clarté de clauses contractuelles spécifiques. Comme l’art. 53 exige qu’il y ait une « convention expresse », et non le recours à une « formulation expresse », il ne constitue pas, et encore moins n’appelle, une obligation qualitative quant à la spécificité de langage nécessaire pour modifier ou écarter une responsabilité légale autrement applicable. Bien que l’art. 53 insiste sur le fait que la convention doit être expresse, il n’impose aucune condition préalable quant à la précision des mots utilisés pour la manifester. Par contre, la clarté de la formulation guidera l’interprétation de cette dernière.
[56]                          En ce qui a trait à la façon dont la convention a été conclue, on jugera qu’elle est « expresse » si elle a été conclue de façon distincte et explicite, et non pas laissée à l’inférence. Contrairement aux autres avenues possibles pour écarter la LVO envisagées par l’art. 53, la convention expresse ne peut pas être implicite, inférée ou déduite d’une conduite. Ni le silence ni une omission ne suffira. La convention doit être clairement communiquée : pour l’application de l’art. 53 de la LVO, quelque chose qui est exprès doit être exprimé grâce à des termes et énoncé en mots (Black’s Law Dictionary (6e éd. 1990), p. 580; voir aussi Black’s Law Dictionary (11e éd. 2019), p. 726). Les parties doivent manifester leur intention mutuelle de manière non équivoque. L’expression de celle‑ci ne doit pas être ambiguë ou dubitative, et elle doit être claire, précise, limpide et nette. Ainsi, l’élément « expresse » d’une convention expresse signifie que la clause d’exclusion doit être formulée clairement et envisagée dans le contexte de la convention en cause. Elle doit [traduction] « avoir été spécifiquement mentionnée » (G. H. L. Fridman, The Law of Contract in Canada (6e éd. 2011), p. 433).
[57]                          Le volet « convention » de l’art. 53 est souvent le cœur de la question en litige et exige la rencontre des volontés quant aux droits, aux obligations ou à la responsabilité qui sont changés et quant à la façon dont ils sont modifiés ou écartés. Les termes de la convention doivent aussi être certains et avoir été mutuellement acceptés.
[58]                        L’existence, la portée et la signification du terme « convention » utilisé dans la loi seront également déterminées en fonction des principes de la common law relatifs à la formation, à l’interprétation et à l’application des contrats. Bien que la Cour soit tenue d’interpréter l’art. 53 conformément aux règles d’interprétation législative, la loi elle‑même nous invite en outre à interpréter cette disposition en fonction des règles de la common law applicables aux contrats. En choisissant le mot « convention », un terme que ne définit pas la LVO, mais qui est bien connu en droit, le législateur renforce la pertinence des principes de la common law applicables aux contrats et invite à y avoir recours. De surcroît, le terme « convention » utilisé dans la loi doit être interprété dans le contexte de cette dernière dans son ensemble et d’une manière qui soit harmonieuse avec elle. Cela comprend le par. 57(1) qui affirme clairement que, sauf « lorsqu’elles sont incompatibles avec les dispositions expresses de la présente loi », les règles de la common law telles qu’elles existent selon le moment en cause s’appliquent aux contrats de vente d’objets. L’article 53 n’interdit pas, au moyen d’une disposition expresse ou autrement, le recours à la common law pour déceler le sens du terme « convention expresse ». Il est également compatible avec l’objet général de la LVO et son régime d’interpréter l’art. 53 à la lumière de la jurisprudence contemporaine en matière de droit des contrats — qui repose sur une interrelation entre la LVO et les règles de la common law applicables aux contrats et qui situe la première directement au sein des secondes.
[59]                        Dans la décision Bank of England c. Vagliano Brothers, [1891] A.C. 107 (H.L.), le lord Herschell a décrit la bonne approche pour interpréter une loi codifiant des règles de droit (p. 144‑145), et bien que l’essence de cette approche ait considérablement limité la capacité des tribunaux de résoudre les difficultés en matière d’interprétation en s’écartant du code, elle n’a pas été suivie au pied de la lettre par les tribunaux (McKendrick, par. 10,01). Le professeur McKendrick note l’existence d’exemples de causes où les tribunaux ont tenu compte de la jurisprudence antérieure à 1893 pour interpréter la Sale of Goods Act, 1893, et que [traduction] « plus récemment, les tribunaux ont adopté des interprétations législatives plus créatives ou libérales et refusé que celles‑ci “fossilisent le droit” : voir, par exemple, Ashington Piggeries », par. 10.01, note 3 (je souligne)).
[60]                        Sur le fondement de ces principes d’interprétation législative, les règles de la common law applicables aux conventions, à l’interprétation contractuelle et aux clauses d’exclusion ne servent pas à « combler les lacunes » de la loi, mais doivent plutôt être considérées comme ayant été incorporées dans la LVO à dessein. Il n’y a pas de confusion inappropriée des approches d’interprétation des lois et des contrats lorsque, comme en l’espèce, la loi appelle à s’appuyer sur les principes de la common law applicables. Ces principes comprennent l’approche moderne d’interprétation contractuelle et, si les parties ont eu l’intention d’exclure ou d’écarter quelque chose comme une condition légale implicite, l’approche en trois temps applicable aux clauses d’exclusion prescrite par l’arrêt Tercon s’appliquera aussi. Selon les dispositions de l’art. 53 et ces causes, l’intention objective des parties sera le critère prépondérant, laquelle sera déterminée par les mots utilisés et par les circonstances.
(2)         Les principes modernes d’interprétation contractuelle
[61]                          Les principes régissant l’interprétation contractuelle, y compris l’applicabilité des clauses d’exclusion, ont beaucoup changé au fil des ans, et la LVO requiert le recours aux principes de la common law tels qu’ils existent selon le moment en cause. Les formulations techniques et formalistes ainsi que les doctrines complexes ont été assouplies au profit d’une approche interprétative axée sur l’intention objective des parties, la compréhension qu’ont raisonnablement eue les parties des mots utilisés, et la façon dont, sous réserve de limites telles l’iniquité, les parties ont cherché à répartir le risque contractuel.
[62]                          Dans l’arrêt Sattva, qui portait sur un litige relatif à une entente prévoyant le paiement d’honoraires d’intermédiation, la Cour a énoncé clairement comment les conventions doivent être interprétées et examinées. Elle a expliqué comment la jurisprudence a évolué vers une « démarche pratique, axée sur le bon sens », plus souple, pour interpréter les contrats, et s’est éloignée d’une démarche archaïque dominée par des règles de forme en matière d’interprétation (par. 47). Une telle évolution reflète et renforce la question prépondérante de l’interprétation contractuelle, soit celle de déterminer l’intention des parties et la portée de leur entente (par. 47, citant Jesuit Fathers, par. 27).
[63]                          Les mots réellement choisis sont au cœur de l’analyse parce qu’ils sont le moyen par lequel les parties ont choisi de rendre compte de leurs objectifs contractuels et de les exprimer. Pour déterminer leur véritable intention, le décideur « doit interpréter le contrat dans son ensemble, en donnant aux mots y figurant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de la conclusion du contrat » (Sattva, par. 47). Bien que « [l]es faits entourant la formation d’un contrat so[ient] pertinents pour les besoins de l’interprétation de celui‑ci » (Corner Brook, par. 19), ils « ne doivent jamais [. . .] supplanter [les termes d’un contrat] » ou amener les tribunaux à créer de nouveaux contrats (par. 20; Sattva, par. 57; voir aussi D. Bertolini, « Unmixing the Mixed Questions : A Framework for Distinguishing Between Questions of Fact and Questions of Law in Contractual Interpretation » (2019), 52 U.B.C. L. Rev. 345, p. 402‑403; D. Bertolini, « Releasing the Unknown : Theoretical and Evidentiary Challenges in Interpreting the Release of Unanticipated Claims » (2023), 48:2 Queen’s L.J. 61, p. 65; D. Bertolini, « Unpacking Entire Agreement Clauses : On the (Elusive) Search for Contractually Induced Formalism in Contractual Adjudication » (2021), 66 R.D. McGill 465, p. 500).
[64]                          Bien que la formulation utilisée soit centrale, les tribunaux reconnaissent que les mots ne constituent pas une fin en soi : ils sont un moyen pour démontrer, discerner et déterminer l’intention véritable des parties. La jurisprudence recherche la certitude, mais elle reconnaît les limites du langage. Notre Cour a reconnu que « les mots en soi n’ont pas un sens immuable ou absolu » et ne peuvent pas, isolément, communiquer l’objet d’un contrat sur le plan commercial (Sattva, par. 47). Lorsqu’il cherche à déterminer le sens d’un document, le tribunal doit se concentrer sur ce qu’a objectivement été l’intention des parties et sur ce qu’elles ont raisonnablement compris que signifiaient les mots qu’elles utilisaient. Il en est ainsi parce que le « sens des mots fait intervenir les dictionnaires et les grammaires; le sens du document représente ce qu’il est raisonnable de croire que les parties, en employant ces mots compte tenu du contexte pertinent, ont voulu exprimer » (Sattva, par. 48, citant Investors Compensation Scheme Ltd. c. West Bromwich Building Society, [1998] 1 All E.R. 98 (H.L.), p. 115).
[65]                          Le tribunal est donc obligé de « tenir compte des circonstances — que l’on appelle souvent le fondement factuel — dans l’interprétation d’un contrat écrit » (Sattva, par. 46). Le sens des mots utilisés dans un contrat peut être déterminé par un certain nombre de facteurs contextuels, y compris l’objet de l’entente et la nature des rapports créés par celle‑ci (par. 48). L’arrêt Sattva permet au tribunal d’interpréter les stipulations du contrat à la lumière de l’ensemble de celui‑ci et en tenant compte d’éléments de preuve objectifs qui illustrent ce que savaient les parties au moment de la signature du contrat ou avant (par. 58). En définitive, la détermination de l’intention objective des parties comprend non seulement une prise en compte des mots réellement utilisés dans un contrat, mais aussi une prise en compte du fondement factuel l’entourant.
(3)         Le traitement juridique des clauses d’exclusion
[66]                          Lorsque les parties cherchent à limiter ou à écarter un droit, une obligation ou une responsabilité au moyen d’une convention expresse visée à l’art. 53 de la LVO, en fait, elles tentent d’inclure une clause d’exclusion dans leur contrat de vente d’objets. Les clauses qui excluent les responsabilités légales — y compris les conditions légales implicites — sont régies par leur propre ensemble de règles juridiques parce qu’elles soulèvent des questions de principe distinctes. De telles clauses peuvent servir à la fois à confirmer et à contester le principe de la liberté contractuelle. En effet, bien qu’elles permettent aux parties de répartir le risque et de négocier la teneur des clauses qu’elles souhaitent inclure dans le contrat, les parties plus fortes, dans des circonstances où le pouvoir de négociation est inégal, peuvent aussi s’en prévaloir pour obtenir un avantage inéquitable ou déraisonnable.
[67]                        C’est pourquoi la jurisprudence relative aux clauses d’exclusion a subi diverses transformations au fil des ans dans une tentative pour mettre en balance la liberté contractuelle, la sécurité commerciale et l’équité contractuelle. Le cours de cette transformation peut être retracé en se référant en partie à la théorie de la violation fondamentale, qui a évolué vers une approche qui donne la primauté à l’intention objective des parties contractantes.
[68]                        La théorie de la violation fondamentale est apparue devant les tribunaux anglais dans les années 1950 comme règle de la common law qui s’appliquait lorsqu’un défendeur avait si gravement enfreint le contrat que le plaignant se voyait privé de la quasi‑totalité de ses avantages (Hall, p. 367). Bien que la théorie ait été adoptée pour combattre certaines injustices, les tribunaux s’en sont totalement éloignés parce qu’elle avait un fondement conceptuel douteux, qu’elle [traduction] « reflétait une hostilité inhérente injustifiée envers les clauses [d’exclusion] » et qu’elle compromettait l’intention des parties en rendant les clauses d’exclusion inapplicables, même si elles n’étaient pas répréhensibles d’un point de vue de politique générale (Hall, p. 367‑368).
[69]                        Dans l’arrêt Hunter Engineering, les juges de la Cour étaient divisés également quant à savoir si la théorie de la violation fondamentale devait être maintenue dans sa forme d’alors, mais la Cour a conclu que les clauses d’exclusion ne pouvaient être exécutées que si elles n’étaient pas inéquitables (aux p. 455‑456, le juge en chef Dickson), ou injustes ou déraisonnables (à la p. 517, la juge Wilson; voir aussi Guarantee Co. of North America c. Gordon Capital Corp., 1999 CanLII 664 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 423). Tous les juges ont souligné le rôle central de l’interprétation de la clause d’exclusion et de la nécessité de maintenir l’intégrité du marché conclu par les parties. Le juge en chef Dickson a affirmé que, en matière commerciale, « les clauses de limitation ou d’exclusion de responsabilité sont négociées dans le cadre de l’ensemble du contrat » et que, « [c]omme elles le font pour les autres conditions du contrat, les parties négocient les conséquences de l’exécution insuffisante » de sorte que, en définitive, les clauses d’exclusion ont des répercussions sur le prix du contrat (p. 461). Il a préféré « interpréter les conditions du contrat dans le but de déterminer exactement ce que les parties ont convenu » et il a conclu que, si « d’après son interprétation juste, le contrat écarte la responsabilité pour le genre [de violation] qui s’est produit, la partie fautive sera généralement soustraite à la responsabilité » (p. 462). La juge Wilson a aussi mis en garde contre une interprétation des clauses d’exclusion qui soit forcée ou artificielle et affirmé que l’effet de telles clauses d’exclusion dépendait dans chaque cas de la bonne interprétation du contrat (p. 509).
[70]                          La théorie de la violation fondamentale en proie à de nombreuses failles s’est finalement fait « donner le coup de grâce » par l’arrêt Tercon, dans lequel la Cour a préféré une approche plus moderne et holistique axée sur « la question véritable, celle de savoir ce dont [les parties] avaient elles‑mêmes voulu convenir » (par. 108, le juge Binnie, dissident, mais pas sur ce point). L’arrêt Tercon énonce une approche en trois étapes pour aider à juger du caractère exécutoire d’une clause d’exclusion. Premièrement, le tribunal doit déterminer si la clause d’exclusion s’applique ou non aux circonstances, ce qui dépend de « l’intention des parties qu’il dégage du contrat » (par. 122). Depuis le prononcé de l’arrêt Tercon, l’interprétation est donc l’étape initiale de l’analyse lorsqu’un tribunal est aux prises avec une clause d’exclusion, ce qui comprend [traduction] « une recherche de l’intention en appliquant les règles générales d’interprétation contractuelle » (A. J. Black, « Exclusion Clauses in Contracts and their Enforceability Following the Decline of Fundamental Breach » (2015), 44 Adv. Q. 139, p. 163; voir aussi la p. 150).
[71]                          Si la clause d’exclusion est jugée valide à la première étape, la deuxième étape exige que le tribunal examine « si la clause était inique au moment de la formation du contrat » (Tercon, par. 122). Troisièmement, même si elle n’est pas inique, un tribunal peut examiner s’il existe une considération d’ordre public prépondérante qui l’emporte sur l’intérêt public marqué lié à l’application des contrats et, si tel est le cas, le tribunal peut refuser de faire respecter la cause d’exclusion par ailleurs valide (par. 123). Ainsi, les préoccupations quant à l’injustice potentielle que la théorie de la violation fondamentale cherchait à corriger sont maintenant traitées aux deuxième et troisième étapes du test énoncé dans l’arrêt Tercon (voir aussi C. Pike, « Now We’re Talking : Revisiting the Canadian Approach to No Oral Modification Clauses » (2021), 47:1 Queen’s L.J. 1, p. 31; J. D. McCamus, « The Supreme Court of Canada and the Development of a Canadian Common Law of Contract » (2022), 45:2 Man. L.J. 7, p. 16‑17; S. O’Byrne, « Assessing Exclusion Clauses : The Supreme Court of Canada’s Three Issue Framework in Tercon Contractors Ltd v. British Columbia (Transportation and Highways) » (2012), 35 Dal. L.J. 215, p. 231‑232). L’établissement de l’iniquité et de l’intérêt public en tant que limites à la liberté contractuelle a réorienté la démarche des tribunaux vers la véritable intention contractuelle des parties.
[72]                          Les principes modernes d’interprétation contractuelle prescrits par l’arrêt Sattva s’appliquent clairement aux contrats qui contiennent des clauses d’exclusion, tout particulièrement à la première étape du test énoncé dans l’arrêt Tercon. La directive donnée par la décision Sattva de tenir compte des circonstances pour interpréter les stipulations d’un contrat signifie que les clauses d’exclusion doivent aussi être analysées « à la lumière de [leur] objet et du contexte commercial » (Tercon, par. 64‑65; voir aussi Dow Chemical Canada ULC c. NOVA Chemicals Corporation, 2020 ABCA 320, 17 Alta. L.R. (7th) 83, par. 47 et 50). En conséquence, [traduction] « [l]orsqu’un contrat commercial est en cause, le tribunal devrait [. . .] connaître son objet sur le plan commercial, ce qui présuppose d’autre part une connaissance de l’origine de l’opération, de l’historique, du contexte [et] du marché dans lequel les parties exercent leurs activités » (Sattva, par. 47, citant Reardon Smith Line Ltd. c. Hansen‑Tangen, [1976] 3 All E.R. 570, p. 574; voir aussi Hall, p. 34‑35 et 89‑90).
[73]                          Ainsi, lorsqu’il est question d’interpréter une clause d’exclusion, comme les conventions expresses visées à l’art. 53, les [traduction] « règles d’interprétation strictes sont rares » et ont été remplacées par un examen contextuel de l’intention objective des parties en fonction du texte et des circonstances (Black, p. 164). Le tribunal peut examiner une telle clause pour déterminer si elle est inéquitable et peut refuser de la faire appliquer s’il existe une considération d’ordre public prépondérante qui l’emporte sur l’intérêt public lié à l’application des contrats (Tercon, par. 123).
(4)         L’exigence d’une formulation explicite, claire et nette lorsqu’elle est appliquée aux conditions légales et à l’identité
[74]                        En élaborant sa norme fondée sur une formulation explicite, claire et nette, la Cour d’appel a cité l’affirmation du juge en chef Dickson dans l’arrêt Hunter Engineering selon laquelle écarter des garanties légales [traduction] « doit [se] faire de façon claire et nette » (par. 51), s’est fondée sur la décision de 1982 de la Haute Cour de justice de l’Ontario dans l’affaire Chabot c. Ford Motor Co. of Canada Ltd. (1982), 1982 CanLII 2051 (ON SC), 39 O.R. (2d) 162, pour conclure que « les conditions et garanties attachées à un contrat pas des lois sur la vente d’objets peuvent seulement être écartées par des termes explicites » (par. 50) et a invoqué sa propre décision dans Gregorio c. Intrans‑Corp. (1994), 1994 CanLII 2241 (ON CA), 18 O.R. (3d) 527 (C.A.), qui a réaffirmé l’exigence de « termes explicites » (par. 52). Selon la Cour d’appel, elle était tenue d’appliquer cette norme juridique, un principe de droit devant être appliqué selon la norme de la décision correcte.
[75]                        Une formulation qui écarte explicitement, clairement et nettement une protection que le législateur a accordée par présomption à une partie à un contrat est le moyen optimal d’assurer que les objectifs mutuels des parties sont atteints. Comme technique de rédaction, il s’agit de l’étalon‑or de la stabilité en matière contractuelle et il faut encourager les contractants à y recourir. Cependant, avec égards, cette approche ne devrait pas être érigée en condition préalable contraignante, dont l’absence non seulement créerait une erreur de droit autonome, mais entraînerait l’inapplicabilité d’une clause d’exclusion expresse à la première étape du test énoncé dans l’arrêt Tercon. En l’espèce, cette condition préalable contraignante ferait en sorte que les clauses d’exclusion seraient inexécutoires parce que les parties n’ont pas expressément fait référence aux conditions ou à l’identité pour démontrer leur intention de se soustraire à la garantie prévue à l’art. 14 de la LVO.
[76]                          Bien que l’arrêt Hunter Engineering soit la seule décision faisant autorité citée par la Cour d’appel en lien avec la norme fondée sur une formulation explicite, claire et nette, il donne de nombreuses leçons qui sont liées à la nature particulière de la question juridique qui est traitée dans diverses parties du jugement. Même si cet arrêt a été abondamment cité en lien avec des clauses d’exclusion véritables, la discussion qui s’y trouve quant à une formulation claire et nette a découlé d’un contexte juridique et factuel très différent de celui qui nous occupe en l’espèce : les parties n’avaient pas expressément tenté de limiter la responsabilité d’une partie au moyen d’une clause d’exclusion écrite. La nature de la clause contractuelle examinée dans cette portion du jugement était une garantie contractuelle expresse limitant la responsabilité de Hunter U.S. soit à 24 mois à compter de la date de la livraison, soit à 12 mois de la date de mise en service, selon la première échéance. La question portait sur l’incidence en droit, le cas échéant, d’une garantie contractuelle expresse sur les obligations légales implicites du vendeur. Selon Hunter U.S., l’inclusion de la garantie contractuelle expresse suffisait pour rendre la garantie légale implicite inapplicable (p. 449). En rejetant cet argument, le juge en chef Dickson a écrit, aux p. 449‑450 :
                    La seule présence d’une garantie expresse dans le contrat ne signifie pas que les garanties légales sont incompatibles avec elle. Si quelqu’un veut écarter les garanties légales, il doit le faire de façon claire et nette, surtout quand les parties sont deux importantes sociétés commerciales ayant une grande expérience des affaires.
[77]                          À la lumière de la disposition contractuelle en cause, le juge en chef Dickson était préoccupé principalement de ce dont avaient précisément convenu les parties. Exiger qu’elles aient exprimé leur intention « de façon claire et nette » est censé lorsque la question est celle de savoir si la garantie expresse du vendeur quant au matériau supplante les conditions légales implicites. Pour pouvoir conclure que l’existence de la première empêchait l’application des deuxièmes, il fallait que les parties aient exprimé clairement l’interrelation voulue entre ces deux types de responsabilités juridiques et exprimé directement si la garantie expresse était censée s’ajouter, ou se substituer aux conditions légales implicites.
[78]                          L’affirmation du juge en chef Dickson n’a pas été faite en référence aux situations où les parties ont inclus intentionnellement et expressément une clause d’exclusion dans un contrat. En effet, le contrat auquel Hunter U.S. était partie ne faisait aucune allusion à une quelconque exclusion. Il n’y avait donc pas de « convention expresse » au sens voulu pour l’application de l’art. 53 écartant des responsabilités légales, et il s’agissait de savoir quelle inférence pouvait être tirée de l’intention inexprimée des parties quant à l’application d’une garantie contractuelle. Insister sur le fait que la présence d’une formulation claire et nette est aussi ou toujours nécessaire lorsque les parties recourent bel et bien à des mots qui renvoient à l’exclusion sort ce principe de son contexte et risque de l’étendre inutilement aux dépens de l’intention objective des parties d’une manière qui est contraire aux principes plus larges d’interprétation contractuelle. Lorsque l’acheteur et le vendeur ont réfléchi à la répartition du risque et inclus dans leur contrat des mots comme ceux des clauses 6 et 7 du Contrat en cause en l’espèce, la même approche ne devrait pas simplement être transposée ou appliquée aussi strictement ou similairement dans ce fondement factuel différent. La présence même de mots excluant la responsabilité démontre que l’intention des parties est « expresse ».
[79]                          Selon moi, l’arrêt Hunter Engineering n’est donc pas contraignant en ce qui a trait à la proposition générale selon laquelle toute partie qui cherche à se soustraire à une responsabilité lui incombant en application de la LVO doit, en droit, le faire « en termes explicites, clairs et nets » — c.‑à‑d. en recourant à une formulation stricte et convenue. Les commentaires du juge en chef Dickson n’étaient pas censés établir des règles juridiques universelles ou des formulations rigides, surtout lorsque les parties ont convenu d’une clause d’exclusion. On donnerait une portée excessive à Hunter Engineering en exigeant en outre que les parties soient tenues, en droit, d’employer certains mots pour assurer la réalisation de leur intention déclarée.
[80]                          Il faut plutôt interpréter l’arrêt Hunter Engineering comme un tout, y compris l’importance qu’il place sur l’interprétation de l’intention des parties. De plus, même si, au moment où elle a été rendue, cette décision signifiait ce qu’en dit l’intimé, elle doit maintenant être lue à la lumière de l’évolution vers une « démarche pratique, axée sur le bon sens » exposée par la Cour par la suite dans les arrêts Sattva, Tercon et leurs prolongements. Fait à noter, ce passage de l’arrêt Hunter Engineering souligne l’importance de la nature de la clause contractuelle en cause et des circonstances des parties contractantes, deux facteurs qui sont pertinents pour déterminer l’existence d’une convention expresse visée à l’art. 53. Cette reconnaissance de la façon dont la situation des parties peut être prise en compte est antérieure à l’arrêt Sattva et parfaitement compatible avec la façon dont cet arrêt a jugé les circonstances pertinentes pour déterminer l’intention objective des parties et avec la façon dont l’arrêt Tercon a en outre souligné l’importance du contexte commercial dans l’interprétation des clauses d’exclusion.
[81]                          Qui plus est, le juge en chef Dickson n’a pas insisté sur la présence d’une formulation « explicite », et il n’en a certainement pas exigé une qui retrace la qualification juridique ou le contenu de la disposition que l’on cherche à exclure. Aucun problème ne se soulève si l’adjectif « explicite » est simplement une autre façon de dire que la convention doit être expresse ou son sens évident, et qu’elle ne peut être implicite, tacite ou inférée. Cependant, des difficultés surviennent si la norme de la formulation « explicite » est poussée trop loin et devient un principe de droit utilisé pour insister sur le fait qu’une chose doit toujours être désignée par son nom. C’est ce qui s’est produit lorsque la Cour d’appel a jugé que le terme « qualité » ne peut pas viser l’« identité » et que les parties doivent expressément affirmer qu’elles écartent des conditions légales implicites. Selon le raisonnement de la Cour d’appel, en se fondant sur la décision Chabot, tout comme l’exclusion de garanties implicites n’exclut pas les conditions implicites, l’exonération de responsabilité pour la qualité du matériau n’écarte pas la responsabilité pour une condition légale implicite quant à son identité (par. 59).
[82]                          Soit dit avec respect, bien que la Cour d’appel ait cité Sattva, elle n’a pas donné pleinement effet à sa directive selon laquelle l’interprétation contractuelle vise avant tout à déterminer l’intention objective des parties. L’arrêt Sattva a prescrit de ne plus recourir à des règles d’interprétation techniques et exigé que les mots utilisés soient interprétés selon leur fondement factuel (par. 47; motifs de la C.A., par. 68). En insistant sur le recours à une formulation spécifique, comme des termes ayant un sens juridique précis, la Cour d’appel a eu tendance à s’attacher à la précision de la formulation requise pour soustraire le vendeur à sa responsabilité plutôt que de se concentrer sur l’intention objective des parties.
[83]                          La Cour d’appel a eu raison d’affirmer qu’il existe une distinction reconnue, tant dans la LVO que dans la jurisprudence, entre les garanties et les conditions. Dans la décision Chabot, le juge de première instance a tenu compte de la nature de la clause d’exclusion de même que du statut et du degré de connaissances des parties lorsqu’elle a décidé que [traduction] « des mots qui écartent des garanties implicites ne suffisent qu’à écarter des garanties implicites, et n’écartent pas aussi des conditions implicites » (p. 175). La cour savait qu’il n’y avait pas eu de possibilité de négocier : le demandeur avait acheté un véhicule et il avait dû signer le contrat type du vendeur qui écartait les « garanties » implicites prévues dans la Loi sur la vente d’objets, L.R.M. 1970, c. S10. En raison d’une défectuosité, la voiture s’est enflammée et a été détruite, puis l’acheteur a réclamé des dommages‑intérêts. Avant l’arrêt Tercon et l’adoption de lois sur la protection du consommateur, les tribunaux interprétaient souvent les clauses au détriment de la partie la plus forte qui avait insisté pour les inclure ou qui insistait sur le libellé précis de leur exemption alléguée. Selon les mots utilisés, les circonstances et l’intention des parties, une telle approche est compatible avec l’art. 53, ainsi qu’avec les arrêts Sattva et Tercon.
[84]                          Les conditions devraient être distinguées des garanties [traduction] « à moins qu’un élément du contexte ne permette d’infirmer la présomption selon laquelle [ces termes] devrai[ent] être interprété[s] dans [leur] sens technique » (Rosenberg c. Securtek Monitoring Solutions Inc., 2021 MBCA 100, 465 D.L.R. (4th) 201, par. 98, citant S. K. Lewison, The Interpretation of Contracts (7e éd. 2021), p. 284). Le principe directeur qui exige que les tribunaux interprètent un contrat conformément à l’intention objective des parties laisse de la latitude pour ce que ces dernières ont objectivement eu l’intention que ces stipulations signifient. Les parties contractantes peuvent ne pas avoir voulu les ramifications juridiques susceptibles d’accompagner l’utilisation de termes spécifiques et donc une application stricte de la distinction juridique n’est pas nécessairement en adéquation avec l’intention objective des parties. Ainsi, considérer les circonstances signifie forcément que les mots utilisés par les parties ne peuvent pas toujours être interprétés uniformément parce que le sens de termes même juridiques peut dépendre de l’identité des parties contractantes, de la relation qui les unit et de leurs connaissances en matière contractuelle.
[85]                          Il n’est pas nécessaire que la même rigueur appliquée à la distinction entre les garanties et les conditions s’étende à un terme comme « qualité », qui est souvent utilisé dans le langage courant. Ce terme n’est pas défini de manière exhaustive dans la LVO et risque moins d’être perçu comme un mot qui aurait aussi un sens juridique significatif, surtout lorsqu’il est utilisé par des individus qui concluent un contrat sans l’aide de conseillers juridiques.
[86]                          Le droit continue de reconnaître une distinction entre l’identité et les qualités des objets, mais les tribunaux ne devraient pas faire peser le fardeau très lourd, et souvent irréaliste, sur les parties contractantes de connaître et de pleinement comprendre la qualification juridique des mots auxquels ils recourent pour s’exprimer de même que les conséquences qui en découlent. Dans certaines circonstances, des parties avisées qui font appel à des avocats pour négocier peuvent connaître toutes les nuances importantes sur le plan juridique entre une condition et une garantie, ainsi qu’entre l’identité et la qualité d’un objet. En revanche, dans de nombreuses situations, un examen à ce point strict et rigoureux peut contrecarrer l’intention objective des parties, surtout lorsque les mots qu’ils utilisent sont polysémiques et peuvent être interprétés de multiples façons. Dans l’arrêt Co‑operators Compagnie d’assurance‑vie c. Gibbens, 2009 CSC 59, [2009] 3 R.C.S. 605, la Cour a jugé qu’il faut donner aux termes d’un contrat leur sens ordinaire « de la manière dont ils seraient compris par la personne ordinaire [. . .] et non de la manière dont ils pourraient être perçus par des personnes versées dans les subtilités du droit » (par. 21, citant Banque nationale de Grèce (Canada) c. Katsikonouris, 1990 CanLII 92 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1029, p. 1043 (je souligne)).
[87]                          De plus, la logique qui sous‑tend la proposition selon laquelle les termes « conditions » et « garanties » seraient présumés avoir leur sens juridique établi est en fait considérablement plus faible lorsqu’elle est appliquée aux termes « identité » et « qualité ». En effet, ces derniers, contrairement aux termes « conditions » et « garanties », ne s’appliquent généralement pas à la plupart des contrats et ne constituent pas une part substantielle de l’ensemble de la structure et du fondement de la LVO. Bien qu’une portion considérable de cette dernière repose sur la distinction entre les « conditions » et les « garanties », la pertinence de la distinction entre l’« identité » et la « qualité » se limite à l’applicabilité de l’art. 14. La démarcation entre l’« identité » d’un objet et sa « qualité » n’est pas aussi facile à percevoir, elle découle de la jurisprudence, et elle n’est même pas mentionnée dans la LVO. Enfin, le terme « qualité » sert souvent dans les conversations de tous les jours, de sorte qu’il a un sens beaucoup plus large et familier que les termes « conditions » et « garanties ».
[88]                          Une approche exigeant une application stricte et inflexible d’une distinction établie juridiquement entre des termes est également incompatible avec la jurisprudence qui a retenu, par exemple, que le contrat qui prévoit que les objets vendus [traduction] « en l’état » écarte les conditions légales implicites, même s’il ne fait pas référence aux « conditions » ou à la caractéristique déterminante de la condition implicite en cause, comme « l’identité », « l’adaptation » ou « la qualité marchande » (voir Moldenhauer c. Alberta Powersports Inc., 2009 ABPC 118, par. 33‑37 et 48 (CanLII); Conners c. McMillan, 2020 BCPC 230, par. 67‑68 (CanLII)). Ces causes soulignent en outre que l’art. 53 n’exige qu’une convention expresse et non pas une formulation expresse.
[89]                          Soit dit avec respect, la Cour d’appel a donné trop de poids à la formulation explicite qui n’a pas été utilisée, plutôt que de se demander ce que les parties avaient voulu dire en recourant aux mots qu’elles ont employés dans leur contexte commercial. Elle a donné peu d’importance à ce que ces mots ont raisonnablement pu vouloir dire pour les deux parties qui avaient discuté de la nature changeante de la composition de la terre ainsi que de son analyse et de sa livraison.
[90]                          L’exigence selon laquelle, en droit, la convention expresse doit être « explicite », nette et claire est incompatible avec le libellé général et l’objet étendu de l’art. 53, ainsi qu’avec l’approche souple de l’interprétation contractuelle énoncée dans l’arrêt Sattva selon laquelle le tribunal doit se préoccuper avant tout de déterminer « l’intention des parties et la portée de l’entente » (par. 47).
[91]                          L’article 53 ne dit pas qu’il est nécessaire d’utiliser une formulation expresse qui fait référence à des termes juridiques spécifiques pour saisir l’intention des parties d’écarter les responsabilités légales prévues par la LVO. Dans ce contexte, il faut comprendre qu’une convention expresse est celle grâce à laquelle un tribunal est en mesure de raisonnablement déterminer l’intention des parties après avoir lu les mots du contrat à la lumière de son fondement factuel. Les arrêts Sattva et Tercon accordent la priorité à l’intention objective des parties et favorisent une approche plus souple et mieux adaptée que l’approche antérieure pour apprécier si les parties avaient l’intention d’écarter les conditions légales implicites et, le cas échéant, dans quelle mesure elles voulaient le faire. Cela découle du fait que les acheteurs et les vendeurs peuvent parfois chercher à écarter toutes les conditions de ce type et parfois choisir parmi elles. Ils peuvent les remplacer par d’autres stipulations ou les retirer totalement. La mise à l’écart de la protection légale peut être absolue ou n’être que conditionnelle au fait qu’un événement comme une inspection n’ait pas eu lieu. En outre, la LVO et l’art. 53 s’appliquent à un vaste éventail de types de contrats, de ceux qui portent sur de l’équipement d’une valeur de plusieurs millions de dollars comme dans l’affaire Hunter Engineering à la simple vente d’une bicyclette d’occasion qui se déroule dans la cour arrière d’un vendeur. Cet éventail de circonstances et de degrés de connaissances des cocontractants doit être dûment pris en compte en interprétant un contrat de vente d’objets. Une application appropriée des principes établis dans les arrêts Sattva et Tercon tient compte des divers scénarios de conclusion des contrats qui peuvent se présenter entre différents ensembles de parties contractantes.
[92]                          Si une clause expresse dans un contrat protège une partie et que le tribunal conclut que la clause était censée s’appliquer dans les circonstances qui se sont produites, il faut lui donner plein effet. Il en est ainsi parce que la stabilité commerciale est mieux servie par des règles de droit qui donnent effet à ce qui a été effectivement convenu par les parties. Cet objectif est favorisé par la recherche de l’intention objective des parties, tandis qu’il ne l’est pas par une interprétation trop technique et formaliste des clauses d’exclusion.
D.           Résumé de l’approche appropriée pour interpréter les clauses d’exclusion visées à l’art. 53 de la Loi sur la vente d’objets
[93]                          En conclusion, comme l’art. 53 exige la conclusion d’une convention expresse et le par. 57(1) confirme l’applicabilité des règles de la common law telles qu’elles existent selon le moment en cause, les principes énoncés dans les arrêts Sattva et Tercon s’appliquent aussi aux contrats de vente d’objets. Tout en reconnaissant la nécessité de mettre en balance les mesures de protection pour les parties, la liberté contractuelle et la stabilité commerciale, je conclus que les clauses d’exclusion dans les contrats de vente ne sont pas catégoriquement distinctes ou régies par des règles d’interprétation différentes ou plus strictes que les autres clauses. La LVO doit être lue dans son ensemble et, bien que le législateur ait voulu offrir des mesures de protection présumées aux parties, celles‑ci y sont aussi expressément autorisées à se soustraire totalement aux conditions légales implicites. La « convention expresse » envisagée à l’art. 53 de la LVO doit être interprétée et appliquée en conséquence.
[94]                          C’est à la première étape du test énoncé dans l’arrêt Tercon que le tribunal doit déterminer s’il y a une convention expresse entre les parties suffisante pour satisfaire aux exigences de l’art. 53. Pour ce faire, il doit appliquer les principes modernes d’interprétation des contrats, qui comprennent, entre autres, un examen des mots utilisés dans le contrat, des circonstances, de l’identité des parties contractantes, ainsi que de leur degré de connaissances en matière contractuelle. L’objectif général consiste à déterminer si les parties contractantes ont eu l’intention objective, comme le leur permet l’art. 53, d’exonérer l’une d’entre elles d’une responsabilité qui lui incomberait autrement en application de la loi.
[95]                          Les tribunaux chargés de décider si les conditions légales implicites ont été écartées d’un contrat cherchent à déterminer l’intention objective des parties telles qu’elles sont exprimées par les mots choisis et les circonstances (Sattva, par. 47). Une approche souple, axée sur l’intention objective des parties, permet aux tribunaux de donner effet au marché conclu par ces dernières tout en tenant compte de la nature du contrat et des parties contractantes, de ce que celles‑ci auraient raisonnablement compris que signifiaient les mots qu’elles utilisaient et de s’assurer que leur intention objective n’est pas contrecarrée par les règles strictes d’interprétation et de contrôler l’iniquité au moyen de considérations relatives aux situations abusives et aux considérations d’intérêt public.
[96]                          Puisque l’objectif prépondérant de l’interprétation contractuelle est de déterminer l’intention objective des parties, le décideur doit nécessairement faire référence aux circonstances ayant entouré la conclusion du contrat tout en s’assurant que celles‑ci ne « supplante[nt] » pas les termes du contrat (Sattva, par. 57). Il en est ainsi parce que le recours à une [traduction] « analyse textuelle stérile de la formulation d’un contrat sans égard aux circonstances [. . .] est susceptible de prêter à confusion et risque fort d’aboutir à des résultats erronés » (Hall, p. 30). Un examen des circonstances dans ce contexte signifie nécessairement que les mots utilisés par les parties ne peuvent pas toujours être interprétés comme ayant un sens bien établi en droit. En effet, le sens des mots utilisés peut dépendre en grande partie de l’identité des parties contractantes, de la relation qu’elles entretiennent et de leur degré de connaissances en matière contractuelle. Les principes issus de l’arrêt Sattva requièrent cette souplesse sur le plan de l’interprétation afin de tenir compte des différents scénarios qui peuvent se présenter entre différents ensembles de parties lors de la conclusion de contrats.
[97]                          Si le contrat protège une partie en écartant des conditions légales implicites au moyen d’une stipulation expresse et si le tribunal estime que la stipulation était censée s’appliquer dans les circonstances qui sont survenues, il faut lui donner plein effet, sauf s’il a été jugé, aux deuxième et troisième étapes du test établi dans l’arrêt Tercon, respectivement, qu’elle était inique au moment de la formation du contrat ou s’il existe des considérations d’ordre public prépondérantes qui contraindraient le tribunal à refuser de la faire appliquer. Il s’agit de l’approche à adopter parce que telle était l’intention objective des parties et parce que la stabilité commerciale est le mieux servie lorsque les règles de droit donnent effet au véritable marché qu’elles ont conclu. Chercher l’intention objective des parties favorise ce but, tandis qu’une interprétation excessivement technique et formaliste des clauses d’exclusion ne le favorise pas.
[98]                          Une « convention expresse » au titre de l’art. 53 requiert que les parties se soient exprimées d’une façon expresse et dénuée d’ambiguïté, qui signale leur intention de supplanter la loi. Le silence ou l’omission ne suffisent donc pas. Le tribunal ne peut pas non plus supposer, imputer ou déduire l’intention des parties de se soustraire à la loi sur le fondement de leur intention présumée. Cela dit, l’art. 53 exige une « convention expresse » et non pas une « formulation expresse », et il est loin de fixer une norme juridique qui insiste sur une formulation explicite, claire et nette qui renvoie à la qualification juridique des termes en cause. Rien n’exige l’emploi de « mots magiques ». Bien que les mots utilisés dans la convention elle‑même soient assurément importants, l’arrêt Sattva permet au tribunal de les interpréter en ayant les circonstances à l’esprit et n’impose pas qu’il leur attribue strictement un seul sens singulier et prescriptif. Il requiert simplement que toute intention des parties d’écarter la LVO soit inscrite dans le texte, si le contrat est un contrat écrit. Pour être en présence d’une convention expresse valable qui satisfait aux exigences de l’art. 53, l’intention conjointe des parties doit être exprimée, la clause d’exclusion doit, sans ambiguïté, modifier ou écarter l’obligation légale implicite, et il doit être possible de conclure que tel est le cas sur le fondement non seulement des mots du contrat lui‑même mais aussi d’une analyse des circonstances (Sattva, par. 58‑61).
[99]                          En somme, toute convention expresse suffisante pour les fins de l’art. 53 est constituée d’une convention qui écarte ou modifie un droit, une obligation ou une responsabilité implicite que prescrit la loi, et qui doit être expressément énoncée dans le contrat conclu par les parties. Il doit être possible de prendre connaissance du contrat et de dire : « cette clause d’exclusion écarte l’application d’une condition implicite de la LVO ».
E.            Les clauses 6 et 7 exonèrent Earthco de toute responsabilité découlant de l’art. 14
[100]                     Selon cette approche applicable à l’interprétation d’une « convention expresse » visée à l’art. 53, il est clair que les clauses 6 et 7 exonèrent Earthco de toute responsabilité légale qui lui incomberait autrement en application de l’art. 14 de la LVO. Je conclus que l’interprétation proposée par Pine Valley est incompatible avec l’art. 53 de la LVO, n’est pas en phase avec l’approche moderne tant de l’interprétation contractuelle que du traitement juridique des clauses d’exclusion, et exagère la nécessité de décrire explicitement la nature juridique précise de l’obligation en cause.
[101]                     Même si le juge de première instance ne s’est pas explicitement penché sur l’arrêt Sattva, son interprétation du Contrat est solidement fondée sur la preuve et respecte l’intention objective des parties. Comme je l’ai déjà dit, ce volet de l’analyse fait manifestement partie de la première étape du test de l’arrêt Tercon, qui porte sur l’applicabilité d’une clause d’exclusion en particulier (par. 122). Dans le cadre de la première étape du test de l’arrêt Tercon, le tribunal se demande si la clause d’exclusion en cause s’applique aux circonstances mises en preuve, « ce qui dépend de l’intention des parties qu’il dégage du contrat » (par. 122). En l’espèce, il s’agit ultimement de déterminer si les parties avaient conclu une convention expresse, suffisante pour les fins de l’art. 53 de la LVO, quant à la responsabilité dont était exonéré le vendeur par les clauses 6 et 7. Pour le déterminer, les principes modernes d’interprétation contractuelle découlant de l’arrêt Sattva doivent être appliqués à cette étape du test de l’arrêt Tercon. Le tribunal doit déterminer l’intention objective des parties et tenir compte des circonstances afin de juger de l’applicabilité de la clause d’exclusion. Pour qu’elle soit applicable dans une cause comme celle qui nous occupe, le tribunal doit statuer que les parties ont conclu une convention expresse suffisante pour satisfaire aux exigences de l’art. 53 de la LVO. Je le répète, une telle convention expresse n’a pas à être formulée d’une façon particulière ou explicite, et ce qui est considéré comme une convention suffisamment expresse variera en fonction des parties contractantes et des circonstances. Une fois qu’il est jugé que la clause d’exclusion est applicable et qu’elle exonère avec succès une partie d’une quelconque responsabilité légale implicite en application de l’art. 53, le tribunal se demande si la clause d’exclusion est inéquitable et, si elle ne l’est pas, s’il doit refuser de l’appliquer en raison de considérations d’ordre public.
[102]                     Comme point de départ, il faut tenir pour acquis que les parties avaient une intention, parce qu’elles ont jugé qu’elles devaient ajouter des clauses d’exclusion sur mesure au Contrat. Elles avaient des préoccupations précises découlant de cette vente en particulier et de sa nature spécifique, et elles en ont explicitement traité. Les clauses qu’elles ont ajoutées sont formulées dans un langage simple et ont été le fruit de leurs propres conversations et négociations. Ces deux clauses sont des clauses contractuelles d’une « particularité absolue » (Ledcor, par. 41). Pine Valley et Earthco ont inséré à dessein deux clauses écrites expresses dans leur entente pour exprimer que si l’acheteur renonçait à son droit d’analyser et d’approuver le matériau, le vendeur ne serait pas responsable de la qualité de ce dernier. Contrairement au contrat conclu avec Hunter U.S. en cause dans l’arrêt Hunter Engineering, les parties en l’espèce cherchaient à écarter la responsabilité du vendeur et ont formulé leur intention quant à leur relation juridique au moyen de mots visant clairement la répartition du risque entre elles dont elles avaient convenu. Elles ont exprimé sans équivoque une intention objective d’écarter certaines protections légales.
[103]                     Si l’on s’en tient aux mots choisis par les parties, la clause 6 ne peut signifier qu’une seule chose, soit que Pine Valley avait le droit à la fois d’analyser et d’approuver la terre avant sa livraison. À sa face même, la clause 7 stipule que si elle renonce au droit d’analyser la terre et de l’approuver, Pine Valley, et non Earthco, est responsable de la [traduction] « qualité du matériau » une fois qu’il a quitté les installations d’Earthco (d.a., p. 201). En ce sens, selon leur sens ordinaire, les clauses 6 et 7 du Contrat visaient explicitement, clairement et nettement à protéger Earthco de toute responsabilité pour les défauts de la terre si Pine Valley n’effectuait pas l’analyse et n’approuvait pas la terre végétale avant la livraison.
[104]                     Le terme « qualité » ne peut pas être interprété isolément et doit l’être selon le sens que les parties ont raisonnablement voulu lui donner, dans leur contexte commercial. Ce terme n’a pas un sens immuable et absolu. Les parties en cause en l’espèce ont raisonnablement compris que le mot « qualité » décrit et vise toutes les spécifications de la terre, y compris sa composition en définitive. En l’espèce, les parties savaient manifestement, ou auraient dû savoir, qu’en prévoyant une exonération de responsabilité pour la « qualité » de la terre, elles en prévoyaient une pour toute différence, en pourcentage, dans la composition. Elles se sont servies du mot « qualité » dans son acception familière et commerciale, et non pas dans son sens juridique. Pour déterminer ce que les parties avaient véritablement l’intention de soustraire à la responsabilité d’Earthco, la façon dont elles l’ont classifié n’est pas aussi cruciale que d’exécuter ce que les parties ont objectivement eu l’intention de prévoir dans le contrat. Selon moi, elles n’avaient pas à faire explicitement référence à des « conditions » ou à l’« identité » pour obtenir le résultat souhaité.
[105]                     L’interprétation donnée au terme qualité » doit également « s’harmonise[r] avec les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de la conclusion du contrat » (Sattva, par. 47). Pine Valley était un acheteur commercial avec des années d’expérience dans l’achat de grandes quantités de terre. Elle avait contribué activement à la conclusion du Contrat, se fondant pour ce faire sur les conseils de M. Serrao, qui avait, lui aussi, une formation et une expérience considérable quant aux différentes terres, de même qu’un accès à l’expert‑conseil de la Ville. Les deux parties étaient conscientes de la nature changeante de la terre végétale, du fait que la terre était vendue en grande quantité et de celui que les résultats d’analyses existants dataient.
[106]                     Earthco et Pine Valley ont recouru à un langage clair pour formuler les modifications sur mesure du Contrat et il n’y a aucune preuve indiquant que ces clauses aient été examinées par des conseillers juridiques avant la signature du Contrat. Il est irréaliste de s’attendre à ce que ces parties connaissent la distinction sur le plan juridique entre les termes « identité » et « qualité » ou, d’ailleurs, entre les termes « conditions » et « garanties ». Attendre des parties qu’elles incluent explicitement une référence juridique appropriée à ces termes sans en connaître la différence importante en matière juridique serait une attente irréaliste sur le plan commercial et détournerait l’attention de ce sur quoi elle devrait être, soit la façon dont elles ont raisonnablement compris, ou auraient dû comprendre, les mots qu’elles ont utilisés.
[107]                     En l’espèce, les parties étaient libres de négocier et de répartir comme elles l’entendaient le risque de l’absence d’analyse de la terre préalable à la livraison. Avant la conclusion du Contrat, Pine Valley a été informée qu’Earthco n’assumait pas la responsabilité de la qualité de la terre une fois que celle‑ci avait quitté ses installations et que Pine Valley devrait en faire l’analyse avant la livraison. Monsieur Outred a écrit à M. Serrao et lui a dit : [traduction] « Je pense que vous devriez attendre que l’analyse soit effectuée, mais si vous souhaitez que la livraison commence à vos risques et périls, veuillez m’en informer » (d.a., p. 136 (je souligne); motifs de première instance, par. 25). Monsieur Valente a spécifiquement insisté sur l’inclusion des clauses d’exclusion dans le Contrat parce qu’elles reflétaient les discussions qu’avait eu Earthco avec Pine Valley jusqu’alors, soulignant que, si cette dernière devait renoncer à son droit d’effectuer l’analyse de la terre avant la livraison, Earthco n’assumerait aucune responsabilité quant à la qualité de la terre une fois qu’elle aurait quitté ses installations (motifs de première instance, par. 75). D’autres éléments de preuve relatifs à des faits postérieurs à la conclusion du contrat, et qui ne peuvent servir qu’à déceler ce que les parties croyaient objectivement être leur entente au moment où elle a été conclue, démontrent également qu’Earthco n’était [traduction] « plus responsable du matériau une fois qu’il [avait quitté sa] cour » (d.a., p. 151; motifs de première instance, par. 29) et que, en l’absence d’analyse, [traduction] « c’est Pine Valley qui assumerait tous les risques » (motifs de première instance, par. 73; voir aussi le par. 29).
[108]                     Un élément clé du contexte aide à déterminer l’intention objective des parties. Il s’agit du fait que Pine Valley était extrêmement pressée de recevoir la terre, compte tenu de la pression exercée par la Ville en raison des retards persistants et de la menace de devoir payer sous peu des dommages‑intérêts conventionnels. C’est en pleine connaissance de cause que Pine Valley a pris le risque que la terre ne satisfasse pas aux exigences du Projet, et qu’elle a choisi de ne pas effectuer d’analyse ou d’approuver le produit avant sa livraison, uniquement parce qu’elle avait besoin de la terre rapidement. Elle a pris sa propre décision consciente et stratégique, fondée sur son évaluation des possibles risques associés à une livraison en l’absence d’une analyse préalable par rapport à l’obligation quasi-certaine de devoir payer la Ville pour tout jour ouvrable supplémentaire de retard.
[109]                     Dans le contexte commercial de l’entente, il n’était pas inéquitable de refuser de trouver Earthco responsable pour ce que le juge de première instance a qualifié [traduction] « [d’] erreur coûteuse, mais calculée » de Pine Valley : l’objet même des clauses 6 et 7 était d’éviter la situation précise dans laquelle un client omet d’analyser le produit et tente ensuite de tenir le fournisseur responsable d’une perte (motifs de première instance, par. 127). Fait intéressant, dans l’arrêt Hunter Engineering, la juge Wilson a reconnu ce qui suit, à la p. 509 :
                    La clause d’exclusion ne saurait être considérée indépendamment des autres stipulations du contrat et des circonstances dans lesquelles celui‑ci a été conclu. Il se peut que l’acheteur ait été disposé à prendre certains risques s’il pouvait obtenir l’article en question à prix modique ou s’il tenait beaucoup à l’avoir.
[110]                     En définitive, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en concluant que Pine Valley avait choisi en pleine connaissance de cause de prendre le risque de ne pas analyser la terre R Topsoil pour privilégier l’accélération de sa livraison afin d’éviter d’avoir à payer des dommages‑intérêts conventionnels en raison des retards par rapport au calendrier du Projet (par. 125). Ayant fait ce choix, Pine Valley ne peut pas maintenant faire peser sur Earthco la responsabilité des variations de la composition de la terre, après qu’elle ait elle‑même accepté consciemment la possibilité que cela pourrait survenir, mais refusé d’effectuer les analyses de la terre. Permettre à Pine Valley de le faire reviendrait à ne pas donner effet à l’intention objective qu’avaient les parties au moment de la conclusion du Contrat, ce qui équivaudrait à un rejet des principes modernes d’interprétation contractuelle applicables depuis les arrêts Sattva et Tercon.
[111]                     L’intention exprimée par les parties ainsi que les circonstances de la conclusion du Contrat étayent toutes fortement la conclusion que Pine Valley a clairement accepté le risque que la terre puisse ne pas être conforme aux résultats de l’analyse effectuée au mois d’août lorsqu’elle a choisi de passer outre l’analyse de la terre qui devait être livrée. Les mots utilisés, la façon dont ils ont raisonnablement été compris par les parties et les circonstances démontrent que telle était l’intention objective véritable et primordiale des parties. L’approche approfondie et raisonnée du juge de première instance, qui a examiné les clauses d’exclusion en harmonie avec le reste du Contrat et à la lumière de ses objectifs, des circonstances et du contexte commercial, était clairement en phase avec l’approche moderne d’interprétation contractuelle telle qu’elle a été élaborée par des arrêts comme Sattva et Tercon (Sattva, par. 47; Tercon, par. 64).
[112]                     Le juge de première instance n’a commis aucune erreur en concluant que les clauses d’exclusion dont avaient convenu les parties étaient [traduction] « claires et dénuées d’ambiguïté » et avaient pour effet de soustraire Earthco à toute responsabilité, parce que conclure autrement aurait contrecarré l’intention objective des parties (par. 117 et 126). En définitive, les parties en l’espèce ont conclu une convention expresse quant à la répartition du risque, en l’exprimant d’une façon nette, claire et expresse dans leur contrat, ce qui démontrait leur intention objective que Pine Valley renonce à son droit de poursuivre Earthco en responsabilité pour quoi que ce soit en lien avec la terre.
[113]                     Je le répète, la Cour d’appel a commis une erreur en concluant que la cause posait une question de droit isolable qui devait faire l’objet d’un examen selon la norme de la décision correcte. Suivant la norme de contrôle empreinte de déférence qu’il convient d’appliquer, je suis d’avis que le juge de première instance n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante dans ses conclusions de fait. Les principes énoncés dans l’arrêt Sattva ont été appliqués comme il se doit par le juge de première instance pour étayer sa conclusion que les parties avaient convenu de la convention expresse qu’Earthco serait exonérée de toute responsabilité pour quelque enjeu que ce soit relatif à la composition de la terre. Je souhaite réitérer que le contexte et les circonstances ne servent certainement pas à modifier ou à remplacer les mots utilisés dans l’entente; ils servent plutôt d’outils d’interprétation utiles, soit précisément l’usage qu’en a fait le juge de première instance en l’espèce.
[114]                     Avant de conclure, je prends note de l’argument subsidiaire avancé par le vendeur devant la Cour, mais pas devant la Cour d’appel, soit que la vente entre Earthco et Pine Valley n’était pas réellement une vente sur description et que, en conséquence, l’omission d’avoir livré une terre contenant les pourcentages prévus de sable, de limon et d’argile ne constituait pas une violation de l’art. 14, mais plutôt une violation d’une promesse contractuelle relative à la qualité du matériau, clairement visée par les clauses d’exclusion (voir C. Bangsund, « Two Wrongs Don’t Make a Right : A Case Comment on Pine Valley Enterprises Inc. v. Earthco Soil Mixtures Inc. » (2023), 67 Rev. can. dr. comm. 476, p. 499). Bien que Pine Valley ne s’oppose pas à ce que la Cour traite de ce nouvel argument, je m’abstiendrai de le faire, compte tenu de ma conclusion définitive selon laquelle les clauses d’exclusion suffisent pour soustraire Earthco à toute responsabilité découlant de l’art. 14 de la LVO.
VI.         Dispositif
[115]                     Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir l’appel d’Earthco, d’annuler l’ordonnance de la Cour d’appel et de rétablir la décision du juge de première instance, avec dépens devant toutes les cours.
                  Version française des motifs rendus par
                  La juge Côté —
                                             TABLE DES MATIÈRES
 

Paragraphe

I.      Aperçu

116

II.   Contexte

121

III.   Analyse

129

A.   La norme de contrôle

129

B.   Les principes d’interprétation statutaire s’appliquent

130

C.... La norme juridique permettant d’écarter une condition implicite aux termes de la LVO

134

(1)      Les conditions que la loi attache aux contrats de vente d’objets

134

(2)      L’article 53 de la LVO

139

(3)      Le sens de « convention expresse »

143

a)      Une formulation claire et nette

144

b)        Une formulation incompatible avec les clauses que le législateur a voulu rendre implicites au contrat

152

D.   Le rôle des principes modernes d’interprétation contractuelle

158

IV.   Application

167

V.   Conclusion

184

Annexe

 

I.               Aperçu
[116]                     Le présent pourvoi porte sur l’interprétation de certaines dispositions de la Loi sur la vente d’objets, L.R.O. 1990, c. S.1 (« LVO »), et leur application à un contrat de vente de terre végétale. Plus précisément, le pourvoi exige de déterminer si les parties peuvent se soustraire à une condition implicite prévue dans cette loi et, le cas échéant, la façon dont ils peuvent le faire.
[117]                     L’appelante, Earthco Soil Mixtures Inc. (« Earthco »), et l’intimée, Pine Valley Enterprises Inc. (« Pine Valley »), ont conclu un contrat de vente de terre végétale dont la composition avait été convenue à partir de résultats d’analyse (« Contrat »). Aux clauses 6 et 7 du Contrat (« Clauses d’exclusion »), les parties ont convenu que Earthco, le vendeur, ne serait [traduction] « pas responsable de la qualité » de la terre végétale si Pine Valley, l’acheteur, renonçait à son droit de l’analyser avant qu’elle soit livrée. Une fois la terre livrée, il a été constaté que sa composition n’était pas celle pour laquelle Pine Valley avait conclu un marché. Pine Valley réclame maintenant des dommages‑intérêts en raison de cette violation.
[118]                     La principale question dont nous sommes saisis dans le présent pourvoi est celle de savoir si les Clauses d’exclusion prises ensemble constituent une « convention expresse » au sens de l’art. 53 de la LVO, permettant d’écarter la responsabilité qui résulterait de la violation de toute condition statutaire implicite au contrat de vente d’objets, y compris les conditions énoncées aux art. 14 et 15 de la LVO. L’article 14 prévoit la condition implicite que les objets livrés correspondent à la description convenue dans le contrat. Cette condition se distingue de celle prévue à l’art. 15, laquelle concerne la qualité des objets ou leur adaptation à un usage particulier. La réponse à la question de savoir si les Clauses d’exclusion écartent expressément la responsabilité pour une violation de la condition implicite prévue à l’art. 14 ou à l’art. 15 dépend en partie de l’interprétation correcte de l’exigence, énoncée à l’art. 53, selon laquelle les parties voulant se soustraire à une condition implicite statutaire le fassent par « convention expresse ».
[119]                     Rien ne justifie de déroger à l’interprétation précédemment établie par notre Cour dans l’arrêt Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, 1989 CanLII 129 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 426, concernant ce qui est exigé pour écarter la responsabilité qui découle de l’application de la LVO. Comme l’a conclu notre Cour dans cet arrêt, lorsque les parties veulent écarter la responsabilité pour la violation d’une condition implicite statutaire par « convention expresse », elles doivent indiquer leur intention de le faire « de façon claire et nette » (p. 450). Bien que cette norme juridique n’exige pas l’emploi de « mots magiques », elle impose aux parties d’exprimer leur intention d’écarter la responsabilité à l’égard d’une condition implicite statutaire d’une façon qui soit incompatible avec cette condition. Voilà la conclusion qui s’impose lorsque les mots « convention expresse » sont interprétés dans leur contexte global et suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie et l’objet de la LVO. Les décisions de notre Cour dans les arrêts Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69, et Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, n’ont pas modifié cette exigence statutaire.
[120]                     À mon avis, les Clauses d’exclusion ne constituent pas une « convention expresse » au sens de l’art. 53 de la LVO visant à écarter la responsabilité d’Earthco pour une violation de la condition implicite résultant de l’art. 14 selon laquelle les objets vendus sur description correspondent à leur description — en l’espèce, que la terre fournie ait la composition établie dans les résultats de l’analyse effectuée en août 2011, comme le marché conclu par les parties le prévoyait. Une clause d’exclusion n’est pas une convention expresse visée à l’art. 53 à l’égard d’une condition implicite précise si pour l’interpréter comme telle, il faut s’écarter du texte du contrat et se demander ce que les parties doivent être considérées comme ayant écrit étant donné les circonstances, plutôt que d’interpréter le sens des mots effectivement employés par les parties. Interpréter les circonstances séparément du texte du contrat contrevient aux principes établis dans l’arrêt Sattva. Le juge de première instance a également erré dans l’interprétation et l’application de la norme imposée par l’art. 53. Le juge de première instance s’est indûment appuyé sur le contexte factuel pour changer le sens ordinaire et grammatical du mot « qualité » employé par les parties dans les Clauses d’exclusion au profit d’un sens qui incluait l’« identité » des objets. Ce sens n’est pas étayé par le texte du Contrat et est incompatible avec l’économie de la LVO, qui était une partie essentielle du contexte commercial dans lequel les parties ont conclu le contrat. Une telle approche, qui fait fi des règles de droit régissant le contrat de vente d’objets, ne cadre pas avec l’exigence bien établie de la formulation « claire et nette » énoncée par notre Cour dans l’arrêt Hunter Engineering. Il s’agit d’une erreur de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte, comme il a été établi dans l’arrêt Sattva.
II.            Contexte
[121]                     Dans l’ensemble, je suis d’accord avec l’exposé des faits de ma collègue et son résumé des décisions des instances inférieures. Je souhaite toutefois apporter certaines précisions qui circonscrivent la question dans le présent pourvoi.
[122]                     En première instance, le juge a déterminé que, bien que Pine Valley eût renoncé à son droit d’analyser la terre, elle n’avait pas pour autant renoncé à son droit de recevoir la terre prévue au marché conclu par les parties, soit de la terre R Topsoil ayant la composition établie dans les résultats de l’analyse effectuée en août 2011 — 46 p. 100 de sable, 36 p. 100 de limon et 18 p. 100 d’argile. Le juge de première instance a noté que Pine Valley n’avait pas reçu la terre ayant la composition établie dans ces résultats d’analyse, étant donné [traduction] « l’écart important entre la terre promise et la terre livrée » (2020 ONSC 601, par. 103 (CanLII)).
[123]                     Le juge de première instance a statué que le Contrat conclu par les parties visait une vente sur description et que la terre fournie par Earthco ne correspondait pas à la description convenue. Afin de déterminer si les parties avaient eu l’intention d’écarter la responsabilité d’Earthco pour ne pas avoir fourni la terre végétale correspondant à la description convenue, il a adopté une démarche en deux étapes.
[124]                     À la première étape de l’analyse, le juge de première instance s’est demandé si, selon le test relatif à l’applicabilité des clauses d’exclusion établi dans l’arrêt Tercon, les Clauses d’exclusion s’appliquaient aux circonstances du litige. À cet égard, il a jugé que les parties avaient envisagé que Earthco ne serait pas contractuellement [traduction] « responsable de la qualité du matériau une fois que celui-ci [aurait] quitt[é] ses installations » si Pine Valley omettait d’analyser et d’approuver la terre avant qu’elle soit livrée (par. 89). À son avis, le mot « qualité » comprenait [traduction] « tous les aspects de la terre pouvant faire l’objet d’une analyse [. . .] y compris la texture et la composition de la terre » (par. 91).
[125]                     À la seconde étape de son analyse, le juge de première instance s’est demandé si les Clauses d’exclusions écartaient la condition implicite de l’art. 14 de la LVO. Il a conclu que les Clauses d’exclusion, parce qu’elles exonéraient Earthco de la responsabilité pour la « qualité », pouvaient écarter « toute » responsabilité statutaire si Pine Valley omettait d’analyser la terre avant que celle‑ci soit livrée (par. 119). Par conséquent, les Clauses d’exclusion écartaient la responsabilité pour une violation de la condition implicite que les objets correspondent à leur description, prévue à l’art. 14 de la LVO. N’eût été des Clauses d’exclusion, le juge de première instance aurait accordé des dommages‑intérêts évalués à 350 386,23 $ (par. 142).
[126]                     La question dont est saisie notre Cour est celle de savoir si le juge de première instance a fait fausse route en déterminant que les Clauses d’exclusion constituaient une convention expresse visant à écarter la condition implicite de l’art. 14 au sens de l’art. 53 de la LVO. La décision de la Cour d’appel était principalement axée sur cette question. Pine Valley a soutenu que les Clauses d’exclusion ne constituaient pas une convention expresse au sens de l’art. 53, parce que cette disposition exige que les parties formulent l’exclusion de façon claire, nette et explicite. Selon Pine Valley, compte tenu de la distinction entre l’« identité » et la « qualité » du matériau conformément aux art. 14 et 15, les parties, en employant le mot « qualité », n’avaient pas expressément convenu d’écarter toute responsabilité statutaire à l’égard de la terre qui ne correspondait pas à sa description contractuelle.
[127]                     Devant la Cour d’appel, Earthco n’a pas contesté plusieurs des conclusions de fait tirées par le juge de première instance, à savoir que le Contrat visait la vente d’objets sur description au sens de l’art. 14 de la LVO; que la terre vendue était décrite comme étant de la terre R Topsoil ayant la composition établie dans les résultats de l’analyse effectuée en août 2011 et non simplement [traduction] « n’importe quelle terre »; et que la terre fournie ne correspondait pas à cette description (2022 ONCA 265, par. 3, 9, 18, 26 et 43 (CanLII), citant les motifs de première instance, par. 100). L’issue du litige dépendait donc entièrement de l’interprétation et de l’application des art. 14, 15 et 53 de la LVO.
[128]                     La Cour d’appel, sous la plume du juge Zarnett, a déterminé que le juge de première instance avait fait erreur en concluant que les Clauses d’exclusion écartaient toute responsabilité statutaire découlant de la LVO, y compris pour la violation de la condition statutaire que la terre corresponde à la description convenue à partir des résultats d’analyse de la terre R Topsoil. Le juge Zarnett a identifié trois questions de droit isolables : la nature juridique de la condition prévue à l’art. 14 de la LVO, la norme imposée par l’exigence d’une « convention expresse » à l’art. 53 et l’utilisation du fondement factuel pour préciser le sens des termes d’exclusion explicites (par. 35‑36). À son avis, l’art. 53 exige que les parties emploient [traduction] « une convention expresse[, c.‑à‑d.] formulée en termes [. . .] explicites, clairs et nets » pour écarter les conditions implicites statutaires (par. 7).
III.         Analyse
A.           La norme de contrôle
[129]                     Dans le contexte d’une poursuite civile comme celle en l’espèce, il est bien établi que l’interprétation statutaire — laquelle diffère de l’interprétation contractuelle — est une question de droit assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8; Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie‑Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 R.C.S. 688, par. 75-76). En revanche, l’interprétation d’un contrat par un juge de première instance commande la déférence en appel; à moins qu’il y ait une question de droit isolable, la norme de contrôle est celle de l’erreur manifeste et déterminante (Sattva, par. 53). Lorsqu’une question de droit isolable est établie, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.
B.            Les principes d’interprétation statutaire s’appliquent
[130]                     Les dispositions de la LVO en cause dans le présent pourvoi sont les art. 14, 15 et 53. Le sens de ces dispositions doit d’abord et avant tout être déterminé en appliquant les principes pertinents d’interprétation statutaire. L’interprétation de l’exigence d’une « convention expresse » prévue à l’art. 53 est distincte de l’interprétation du Contrat. Ce qui constitue une convention expresse peut varier, mais ce qu’exige la démonstration d’une convention expresse ne varie pas. Toute norme juridique créée par l’art. 53 s’applique de manière uniforme à l’ensemble des contrats régis par la LVO.
[131]                     La LVO a été adoptée en 1927. Comme les lois équivalentes dans d’autres provinces canadiennes, elle est fortement inspirée de la loi impériale intitulée Sale of Goods Act, 1893 (R.-U.), 56 & 57 Vict., c. 71, laquelle était fondée sur de nombreux principes de common law applicables à la vente d’objets en Angleterre de l’époque et les reflétait. Bien que son titre complet fût « An Act for codifying the Law relating to the Sale of Goods » (« Loi codifiant le droit relatif à la vente d’objets »), cette loi n’a pas complètement supplanté la common law : [traduction] « . . . la common law [. . .] a eu et continue d’avoir une incidence considérable sur le développement du droit [relatif à la vente d’objets] » (E. McKendrick, « Sale of Goods », dans P. Birks, dir., English Private Law, vol. II (2000), 223, par. 10.02). L’objet de la Sale of Goods Act, 1893 était, comme l’a écrit son rédacteur, [traduction] « d’établir des règles claires » dans un domaine du droit où « la certitude de la règle est souvent plus importante que sa substance » (M. D. Chalmers, The Sale of Goods Act, 1893, Including the Factors Acts, 1889 & 1890 (2e éd. rév. 1894), p. v‑vi).
[132]                     Sans constituer une codification complète du droit relatif à la vente d’objets, la LVO, tout comme la loi impériale Sale of Goods Act, 1893, demeure une loi codificatrice. Dans l’arrêt Bank of England c. Vagliano Brothers, [1891] A.C. 107 (H.L.), p. 145, le lord Herschell a écrit que l’objet d’une loi codificatrice a été considéré comme étant [traduction] « de faire en sorte que sur tous les points qu’elle traite particulièrement, le sens de la loi pouvait être dégagé par l’interprétation de son libellé, plutôt que [. . .] par l’examen d’un grand nombre de précédents ». Comme pour tout exercice d’interprétation statutaire, la première étape consiste à interpréter le libellé de la loi pour déterminer l’intention du législateur. Bien que la loi doive être interprétée à la lumière du contexte de la common law, les développements en common law ne peuvent l’emporter sur le libellé exprès d’une loi. Cela est particulièrement évident au regard du par. 57(1) de la LVO, lequel énonce que : « [l]es règles de la common law, y compris celles du droit commercial, s’appliquent aux contrats de vente d’objets, sauf lorsqu’elles sont incompatibles avec les dispositions expresses de la présente loi. » Les dispositions de la LVO doivent être interprétées à la lumière du droit des contrats en common law, mais doivent avoir préséance sur celles‑ci en cas d’incompatibilité.
[133]                     Par conséquent, la question dont nous sommes saisis est, d’abord et avant tout, une question d’interprétation statutaire. La norme juridique que le législateur entendait imposer afin que toute condition statutaire implicite d’un contrat de vente d’objets soit écartée doit être déterminée en interprétant les mots « convention expresse » à l’art. 53 de la LVO et les conditions aux art. 14 et 15 de la LVO « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26). Lorsque le libellé d’une disposition est « précis et non équivoque », le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 10; Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3, par. 21).
C.            La norme juridique permettant d’écarter une condition implicite aux termes de la LVO
(1)         Les conditions que la loi attache aux contrats de vente d’objets
[134]                     La LVO accorde des protections aux acheteurs dans le contexte de la vente d’objets en incorporant implicitement certaines conditions dans chaque contrat de vente d’objets. La codification de telles conditions, qui étaient à l’origine implicites en common law, est [traduction] « [l]a dernière étap[e] » dans l’histoire de leur développement, « alors que les tentatives pour [l]es écarter ou [l]es limiter dans un contrat sont vues d’un mauvais œil » (M. G. Bridge, Sale of Goods (1988), p. 428-429; voir aussi M. G. Bridge, The Sale of Goods (4e éd. 2019), p. 388). Les conditions statutaires les plus pertinentes pour le présent pourvoi sont que les objets correspondent à leur description (art. 14), qu’ils sont adaptés à un usage particulier (art. 15 par. 1) et qu’ils sont de qualité marchande (art. 15 par. 2). Chacune de ces conditions statutaires emporte ses propres droits, obligations et responsabilités pour les parties à un contrat de vente d’objets, et il importe de ne pas les confondre.
[135]                     L’article 14 énonce la condition implicite que les objets livrés en vertu d’un contrat de vente d’objets sur description correspondent à leur description :
                    14 Le contrat de vente d’objets sur description contient la condition implicite que les objets correspondent à la description. Lorsque la vente est à la fois sur échantillon et sur description, il ne suffit pas que la masse des objets corresponde à l’échantillon si les objets ne correspondent pas à la description.
[136]                     L’objet de l’art. 14 de la LVO est de protéger l’acheteur qui se fie aux propos du vendeur relatifs à la description des objets, en incorporant dans le contrat une condition implicite que les objets correspondent à cette description. Établir l’existence d’une violation de l’art. 14 commande une analyse en deux étapes. Il faut d’abord se demander si le contrat vise une vente sur description au sens de l’art. 14. Dans l’affirmative, il faut ensuite déterminer si les objets livrés correspondent à la description convenue (Bridge (2019), p. 389-392; C. Bangsund, « Two Wrongs Don’t Make a Right : A Case Comment on Pine Valley Enterprises Inc. v. Earthco Soil Mixtures Inc. » (2023), 67 Rev. can. dr. comm. 476, p. 499‑500). Je suis d’accord avec ma collègue qu’il s’agit là d’une décision factuelle qui repose sur la question de savoir si une déclaration décrivant les objets vendus a été faite et si l’acheteur s’y est raisonnablement fié (Ashington Piggeries Ltd. c. Christopher Hill Ltd., [1972] A.C. 441 (H.L.), p. 503, le lord Diplock, cité dans Bakker c. Bowness Auto Parts Co. Ltd. (1976), 1976 CanLII 1131 (AB CA), 68 D.L.R. (3d) 173 (C.S. Alb. (Div. app.)), p. 178).
[137]                     Bien que l’art. 14 de la LVO offre à l’acheteur une protection à l’égard de l’identité des objets vendus, il faut distinguer cette disposition de l’art. 15 de la LVO, lequel vise de façon générale la qualité des objets. Plus précisément, l’art. 15 par. 1 énonce la condition implicite que les objets vendus sont raisonnablement adaptés à un usage particulier, tandis que l’art. 15 par. 2 établit une condition implicite qu’ils sont de qualité marchande :
                    15 Sous réserve des lois pertinentes, il n’existe pas de garantie ou de condition implicite relative à la qualité des objets fournis en vertu d’un contrat de vente ni à leur adaptation à un usage particulier, sauf dans les cas suivants :
1. Il y a une condition implicite que les objets sont raisonnablement adaptés à l’usage particulier que l’acheteur fait connaître expressément ou implicitement au vendeur, en montrant qu’il s’en remet à la compétence ou au jugement de celui‑ci, lorsque les objets correspondent à la description de ceux que le vendeur fournit dans le cours de son commerce, qu’il en soit ou non le fabricant. Il n’y a pas de condition implicite relative à l’adaptation à un usage particulier d’un article déterminé sous son brevet ou sous une autre appellation commerciale.
2. Il y a une condition implicite que les objets achetés sur description sont de qualité marchande si le vendeur fait le commerce d’objets de cette description (qu’il en soit ou non le fabricant). Si l’acheteur a examiné les objets, il n’y a pas de condition implicite relative aux vices que l’examen aurait dû révéler.
[138]                     Les conditions prévues aux art. 14 et 15 de la LVO sont attachées à tous les contrats de vente, à moins que les parties contractantes [traduction] « aient pris la peine de les écarter ou de les limiter » (Bridge (1988), p. 427; voir aussi Bridge (2019), p. 387). En l’espèce, étant donné qu’une violation de la condition implicite prévue à l’art. 14 est alléguée et que les clauses d’exclusion sont invoquées en défense, il est nécessaire de déterminer si les parties peuvent se soustraire à une condition implicite prévue par la LVO et, le cas échéant, la façon dont elles peuvent le faire.
(2)         L’article 53 de la LVO
[139]                     Le droit des contrats en common law comporte un engagement fondamental envers la liberté des parties contractantes de façonner leur convention comme elles l’entendent (voir Printing and Numerical Registering Co. c. Sampson (1875), L.R. 19 Eq. 462, p. 465). La LVO n’empêche pas les parties de le faire. Au contraire, elles sont libres de se soustraire aux « droits, [aux] obligations ou [à toute] responsabilité » que la loi attache à un contrat de vente d’objets. Cependant, l’art. 53 délimite précisément la façon dont les parties peuvent démontrer leur intention de modifier ou d’écarter la responsabilité statutaire :
                    53 Les droits, les obligations ou la responsabilité que la loi attache à un contrat de vente peuvent être écartés ou modifiés par convention expresse, par l’usage entre les parties ou par les usages du commerce, si ceux‑ci sont de nature à obliger les deux parties au contrat.
[140]                     Cette disposition prévoit trois voies distinctes permettant d’écarter la responsabilité découlant de la LVO, soit les usages du commerce, l’usage entre les parties et la convention expresse. Premièrement, les usages du commerce, dans les circonstances appropriées et lorsque leur existence est démontrée, peuvent être considérés comme faisant partie du contrat de vente d’objets de manière à écarter ou à modifier les droits, les obligations ou la responsabilité que la loi y attache (voir Produce Brokers Co., Ltd. c. Olympia Oil and Cake Co., Ltd., [1916] 1 A.C. 314 (H.L.)). Deuxièmement, les parties peuvent être considérées avoir convenu, en raison de leur conduite lors de transactions antérieures, d’écarter ou de modifier un droit, une obligation ou une responsabilité que la loi attache au contrat (Continental Tyre and Rubber Co. Ltd. c. Trunk Trailer Co. Ltd., 1985 S.C. 163 (1re div.), p. 169‑170, citant McCutcheon c. David MacBrayne Ltd., 1964 S.C. (H.L.) 28, p. 35). Cela exige que les parties aient fait affaire ensemble par le passé. Troisièmement, conformément à la liberté contractuelle, les parties sont libres d’organiser leur contrat comme elles l’entendent au moyen d’une convention expresse (K. P. McGuinness, Sale & Supply of Goods (2e éd. 2010), §6.6).
[141]                     Dans la présente affaire, nul ne prétend que la condition implicite de l’art. 14 ait été écartée ou modifiée par l’usage entre les parties ou par les usages du commerce qui lient les deux parties. Pine Valley et Earthco n’ont jamais eu de relation d’affaires auparavant et le Contrat représentait leur première convention. Aucune preuve relative aux usages du commerce n’a été présentée. Earthco soutient seulement que sa responsabilité pour la violation, s’il en est, de la condition implicite de l’art. 14 a été écartée par convention expresse, sous la forme des Clauses d’exclusion. Il faut donc s’attarder à la signification des mots « convention expresse ».
[142]                     Bien que l’art. 53 vise généralement à permettre aux parties à un contrat de se soustraire aux conditions implicites statutaires, cela ne signifie pas que le législateur a voulu leur permettre de se soustraire à toute responsabilité statutaire chaque fois qu’elles pourraient avoir eu l’intention de le faire, indépendamment de la façon dont leurs intentions sont formulées. En précisant trois voies distinctes par lesquelles les parties peuvent déroger aux droits, obligations et responsabilités que la loi attache à un contrat de vente, le législateur a établi des normes claires pour qu’elles puissent écarter la responsabilité à l’égard des violations des conditions statutaires. Le fait qu’il s’agisse de voies distinctes est manifeste en raison de l’emploi de la conjonction « ou » dans l’énumération (« par convention expresse, par l’usage entre les parties ou par les usages du commerce »). La possibilité d’avoir recours à des voies distinctes, autres que la convention expresse, ne dilue pas l’exigence qu’il y ait une convention expresse; au contraire, elle la renforce. Il n’est pas incongru que l’art. 53 permette aux parties d’écarter la responsabilité sans recourir à une convention expresse dans certains cas — c’est‑à‑dire, lorsque cela est implicite par l’usage entre les parties ou par les usages du commerce — mais pas dans tous les cas.
(3)         Le sens de « convention expresse »
[143]                     En ce qui concerne le sens de « convention expresse », je suis d’avis que cette expression exige des parties qu’elles expriment leur intention d’écarter la responsabilité de façon claire et nette, c’est‑à‑dire d’une façon qui soit incompatible avec les conditions que le législateur a voulu rendre implicites au contrat. Cette interprétation de l’exigence prévue à l’art. 53 de la LVO est celle qui doit prévaloir lorsque les mots « convention expresse » sont considérés dans leur contexte global — y compris la common law dans son état actuel — en suivant leur sens ordinaire et grammatical, à la lumière de l’économie et de l’objet de la LVO.
(a)           Une formulation claire et nette
[144]                     Une « convention expresse » exige que la responsabilité statutaire soit écartée par une formulation, et non simplement de façon implicite par des inférences tirées des circonstances entourant le contrat. Cela va de soi compte tenu du sens grammatical et ordinaire des mots « convention expresse » lorsqu’ils sont lus ensemble et séparément ainsi que dans leur contexte général. Pour déterminer le sens des mots « convention » et « expresse », il est utile de garder à l’esprit que l’art. 53 de la LVO est une simple application des maximes juridiques générales « [e]xpressum facit cessare tacitum » et « [m]odus et conventio vincunt legem » (Chalmers, p. 103‑104). L’économie de la LVO elle‑même établit une distinction entre ce qui est « exprès » et ce qui est « implicite » ou « tacite » (par. 12(3), 16(1) et 28(1) et art. 15). Ce qui est exprès, dans ce contexte, est mis en opposition avec ce qui est tacite ou demeure non dit. Cela suppose nécessairement des mots prononcés ou écrits.
[145]                     Il est vrai que l’art. 53 renvoie à la nécessité qu’il y ait une « convention » expresse plutôt qu’une formulation expresse. Bien qu’une « convention » se rapporte au contenu légal objectivement envisagé par les parties, et non simplement la formulation du contrat, les parties ont besoin de mots pour exprimer ce contenu (F. Wilmot‑Smith, « Express and Implied Terms » (2023), 43 Oxford J. Leg. Stud. 54, p. 60; S. M. Waddams, The Law of Contracts (8e éd. 2022), p. 103). L’exigence que la convention soit « expresse » indique que les parties doivent exprimer leur intention d’écarter la responsabilité au moyen de mots, et cette intention ne peut être inférée d’une conduite ni d’autres clauses de leur contrat.
[146]                     En général, une condition convenue est « expresse » si elle a [traduction] « été spécifiquement mentionnée » par les parties (G. H. L. Fridman, The Law of Contract in Canada (6e éd. 2011), p. 433). Cela est conforme au sens grammatical et ordinaire du mot « exprès ». Une convention « expresse » est [traduction] « [é]noncée nettement et distinctement », « [e]xprimée au moyen de termes » et « établie au moyen de mots » (Black’s Law Dictionary (6e éd. 1990), p. 580). Simplement dit, elle exige [traduction] « une formulation nette et appropriée »; ce que les parties ont convenu doit être « [c]lair; défini; explicite; évident; net; non équivoque; non discutable ou ambigu » (p. 580). Encore une fois, ce qui est « exprès » se distingue de ce qui est ambigu, implicite ou inféré d’une conduite.
[147]                     Tout examen visant à déterminer si les parties ont expressément convenu d’écarter ou de modifier un droit, une obligation ou une responsabilité doit porter sur les mots utilisés dans leur convention. En effet, une convention expresse se distingue nettement, selon l’économie de la LVO, de l’intention des parties révélée par une analyse contextuelle. Dans le contexte de la vente d’objets, lorsque le législateur entend permettre aux circonstances du contrat de dicter si un droit, une obligation ou une responsabilité juridique s’applique, il le prévoit expressément. Par exemple, certaines dispositions de la LVO s’appliquent uniquement « en l’absence de preuve contraire » (par. 20(2), 31(1), 48(3), 49(3) et 51(3)) ou « [s]auf convention contraire » (art. 21, 27, 32 et 35 et par. 28(5), 30(1) et 33(2)). D’autres dispositions invitent expressément la cour à examiner les « circonstances de l’espèce » pour déterminer les intentions des parties en ce qui a trait au moment du transfert de propriété (par. 18(2)); pour déterminer si une violation de contrat constitue une violation permettant de résoudre le contrat en entier ou une violation susceptible de disjonction (par. 30(2)); et pour déterminer ce qu’est un contrat « raisonnable » pour la livraison des objets (par. 31(2)).
[148]                     Cette interprétation de « convention expresse » à l’art. 53 de la LVO qui met l’accent sur l’importance des mots choisis par les parties est également étayée par une distinction qui s’applique dans le contexte des art. 13, 14 et 15 de la LVO. Alors que toute responsabilité découlant des art. 14 et 15 doit être écartée au moyen d’une convention expresse, les droits, les obligations et la responsabilité visés à l’art. 13 s’appliquent dans un contrat de vente « [s]auf si une intention contraire ressort des circonstances du contrat ». Selon moi, cela ne signifie pas que les parties ne peuvent écarter toute responsabilité découlant des art. 14 et 15. Cependant, pour comprendre le sens de « convention expresse » et ce que cela exige, il faut tenir compte de la distinction qu’établit l’économie de la LVO entre une convention expresse et les circonstances entourant le contrat. En particulier, le droit des contrats en common law, s’il était incompatible avec cette distinction, ne pourrait pas être invoqué pour l’écarter. Cela serait incompatible avec les dispositions expresses de la LVO. Le législateur « ne parle pas pour ne rien dire » (Procureur général du Québec c. Carrières Ste‑Thérèse Ltée, 1985 CanLII 35 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 831, p. 838; Canada (Procureur général) c. JTI‑Macdonald Corp., 2007 CSC 30, [2007] 2 R.C.S. 610, par. 87; R. c. Morrison, 2019 CSC 15, [2019] 2 R.C.S. 3, par. 89).
[149]                     Les observations qui précèdent correspondent en tout point à l’arrêt Hunter Engineering, un précédent contraignant de notre Cour. Dans le contexte de l’art. 53 de la LVO, une « convention expresse » exige l’emploi d’une formulation suffisamment claire pour indiquer que les parties avaient objectivement l’intention d’écarter la responsabilité imposée par la LVO. Dans l’arrêt Hunter Engineering, un litige est survenu dans le contexte de deux contrats de fourniture de boîtes d’engrenage ayant subi des défaillances. Le fournisseur ne pouvait pas être tenu contractuellement responsable du vice de conception parce que le bris avait été constaté après l’expiration de la période de garantie contractuelle précisée dans les deux contrats. Le premier contrat stipulait que la clause contractuelle expresse constituait [traduction] « l’unique garantie » du fournisseur et qu’il « n’y a[vait] aucune autre garantie ou condition implicite, légale ou autre » (p. 439). Le second contrat ne comportait aucune clause de la sorte. Le fournisseur a soutenu que la simple existence de la garantie expresse suffisait à rendre inapplicable la condition implicite d’adaptation à un usage particulier énoncée à l’art. 15 par. 1 de la Sale of Goods Act, R.S.O. 1970, c. 421.
[150]                     Le juge en chef Dickson a rejeté cet argument à la lumière de l’art. 15 par. 4 et de l’art. 53 de la Loi, dont les contenus sont identiques aux dispositions équivalentes de la LVO maintenant en vigueur. Selon l’art. 15 par. 4, [traduction] « [u]ne garantie ou condition expresse n’invalide une garantie ou une condition découlant implicitement de la présente loi que si elles sont incompatibles » (p. 487). Se fondant sur cette disposition, le juge en chef Dickson a conclu à juste titre que « [l]a seule présence d’une garantie expresse dans le contrat ne signifie pas que les garanties légales sont incompatibles avec elle » (p. 449). Tournant ensuite son attention en particulier vers l’art. 53, il a ajouté que bien que les parties puissent « écarter les garanties légales, [elles] doi[vent] le faire de façon claire et nette, surtout quand les parties sont deux importantes sociétés commerciales ayant une grande expérience des affaires » (p. 449-450). La clause de garantie expresse dans le deuxième contrat ne satisfaisait pas à une telle exigence. Toutefois, la clause d’exclusion dans le premier contrat était « suffisante pour exclure l’application de la garantie implicite » (p. 449). La juge Wilson, dissidente, mais non sur ce point, a également conclu que les clauses expresses du deuxième contrat n’écartaient pas la garantie implicite prévue à l’art. 15 par. 1 de la LVO, car « une garantie légale implicite ne peut être écartée que par des termes clairs et nets » (p. 497).
[151]                     Avec respect, il n’y a aucune raison de déroger à l’interprétation de « convention expresse » à l’art. 53 de la LVO qui a été donnée par notre Cour dans l’arrêt Hunter Engineering. Une telle interprétation est conforme au sens ordinaire et grammatical des mots « convention expresse », interprétés à la lumière de l’économie et de l’objet de la LVO. En clair, dans le contexte de la LVO, une convention expresse est distincte de ce qui peut être inféré de la conduite des parties (tant dans leurs affaires antérieures qu’actuelles), des usages du commerce ou des circonstances entourant le contrat. Le législateur a établi une telle norme afin de protéger les attentes raisonnables des parties à un contrat dans un domaine du droit où la certitude et la prévisibilité sont des plus importantes. Comme l’a écrit le rédacteur de la loi impériale Sale of Goods Act, 1893 dans son commentaire sur celle‑ci, les parties commerciales sont présumées connaître leurs positions juridiques respectives avant de conclure un contrat de vente (voir Chalmers, p. v‑vi). Si elles veulent écarter ou modifier « les droits, les obligations ou la responsabilité » statutaires, elles doivent exprimer leur intention de façon claire et nette.
(b)         Une formulation incompatible avec les clauses que le législateur a voulu rendre implicites au contrat
[152]                     Une convention expresse visant à écarter la responsabilité statutaire dans un contrat de vente d’objets en est une où la formulation employée par les parties est claire et nette au sujet de ce qu’elles entendent écarter. Autrement dit, la formulation doit être incompatible avec les clauses que le législateur a voulu rendre implicites dans le contrat au moyen de la LVO.
[153]                     La Cour d’appel a eu raison d’insister sur ce qui différencie les art. 14 et 15 de la LVO (par. 39 et 43). La présente affaire porte en grande partie sur la distinction entre ces deux dispositions. La condition implicite prévue à l’art. 14 selon laquelle l’identité des objets correspond à leur description dans le contrat n’est pas interchangeable avec les conditions implicites prévues à l’art. 15 par. 1 et 2 selon lesquelles les objets sont raisonnablement adaptés à un usage particulier et sont de qualité marchande. La livraison d’objets défectueux pourrait dans les faits violer une ou plusieurs des conditions énoncées aux art. 14 et 15, mais celles‑ci ont des contenus légaux distincts; [traduction] « les deux dispositions sont, dans une certaine mesure, mutuellement exclusives » (M. Bridge, dir., Benjamin’s Sale of Goods (12e éd. 2024), vol. 1, p. 572). Si les objets livrés correspondent à leur description, le fait qu’ils soient de qualité inférieure à celle promise n’importe pas pour déterminer s’il y a eu violation de l’art. 14 (motifs de la C.A., par. 40). En revanche, si les objets livrés ne correspondent pas à leur description, le fait que leur qualité soit équivalente à celle promise ne dégage pas le vendeur de la responsabilité découlant de l’art. 14 (par. 42).
[154]                     Toute intention d’écarter la responsabilité découlant des art. 14 et 15 doit être exprimée de façon claire et nette, c’est‑à‑dire d’une façon qui est incompatible avec le contenu des conditions prévues dans ces dispositions. À cet égard, c’est à bon droit que la Cour d’appel a énoncé qu’une formulation claire et nette signifie [traduction] « à tout le moins, que les termes utilisés doivent faire référence au genre d’obligation juridique que la [LVO] attache aux contrats; la mention d’une obligation juridique différente ne suffit pas » (par. 56). En effet, l’art. 53 vise expressément le fait d’écarter ou de modifier « [l]es droits, les obligations ou la responsabilité » particuliers que la loi attache à un contrat de vente.
[155]                     Cela ne signifie pas pour autant que les parties sont tenues d’employer des « mots magiques », tels que « condition » ou « garantie », ou de faire explicitement référence à une disposition précise de la LVO ou à la nature « statutaire » de la responsabilité. Mais lorsque les parties choisissent de mettre par écrit ce sur quoi elles se sont entendues — comme l’ont décidé les parties en l’espèce —, les tribunaux [traduction] « donneront un sens juridique précis aux termes techniques employés » (C. Twigg-Flesner, R. Canavan et H. MacQueen, Atiyah and Adams’ Sale of Goods (13e éd. 2016), p. 204). Les parties doivent employer une formulation qui vise clairement et nettement à exclure le contenu des conditions qu’elles ont l’intention d’écarter ou de modifier. Lorsque la formulation employée par les parties écarte seulement une obligation en particulier, toutes les autres obligations demeurent applicables. À l’inverse, lorsque les parties entendent écarter une ou plusieurs des conditions implicites découlant de la LVO, la formulation qu’elles emploient doit englober le contenu légal de toutes les conditions pertinentes. Dans l’éventualité où les parties omettent d’employer une formulation qui englobe sans équivoque la condition ou la garantie implicite en question, on ne peut dire qu’une convention expresse a été conclue (voir Benjamin’s Sale of Goods, p. 682‑683).
[156]                     Dans l’arrêt Wallis, Son & Wells c. Pratt & Haynes, [1911] A.C. 394 (H.L.), la Chambre des lords a conclu qu’une clause qui écarte toute responsabilité expresse ou implicite pour la violation d’une garantie n’exclut pas la responsabilité pour la violation d’une condition. Se reportant aux dispositions pertinentes de la loi impériale Sale of Goods Act, 1893, le lord juge en chef Alverstone a écrit qu’il faut donner un effet juridique à la distinction entre [traduction] « garantie » et « condition » ainsi qu’aux « différentes conséquences qu’emporte [. . .] la mention d’un terme [ou] de l’autre » (p. 398). Les parties ne pouvaient être considérées comme s’étant expressément entendues pour écarter ou modifier toute responsabilité découlant d’une violation de condition en employant le mot « garantie ». Ce raisonnement a constamment été appliqué depuis, et a même récemment été appliqué par les tribunaux de dernière instance d’autres pays où s’applique un régime légal tirant son origine de la loi impériale Sale of Goods Act, 1893 (voir Advance Rumely Thresher Co. c. Lester, 1927 CanLII 440 (ON CA), [1927] 4 D.L.R. 51 (C.S. Ont. (Div. app.)), p. 59-60; McNichol c. Dominion Motors Ltd. (1930), 1930 CanLII 253 (AB CA), 24 Alta. L.R. 441 (C.S. (Div. app.)), p. 444; Gregorio c. Intrans‑Corp. (1994), 1994 CanLII 2241 (ON CA), 18 O.R. (3d) 527 (C.A.), p. 535-536; Cork c. Greavette Boats Ltd., 1940 CanLII 77 (ON CA), [1940] O.R. 352 (C.A.); Murray c. Sperry Rand Corp. (1979), 1979 CanLII 2133 (ON SC), 23 O.R. (2d) 456 (H.C.J.), p. 464; Chabot c. Ford Motor Co. of Canada Ltd. (1982), 1982 CanLII 2051 (ON SC), 39 O.R. (2d) 162 (H.C.J.), p. 175; Keefer Laundry Ltd. c. Pellerin Milnor Corp., 2008 BCSC 1119, 49 B.L.R. (4th) 222, par. 102-104; Kobelt Manufacturing Co. c. Pacific Rim Engineered Products (1987) Ltd., 2011 BCSC 224, 84 B.L.R. (4th) 189, par. 150; IPEX Inc. c. Lubrizol Advanced Materials Canada Inc., 2012 ONSC 2717, 4 B.L.R. (5th) 148, par. 40-41; Brantford Engineering and Construction Ltd. c. Underground Specialties Cambridge Inc., 2014 ONSC 4726, 33 B.L.R. (5th) 239, par. 119-120; Haliburton Forest & Wildlife Reserve Ltd. c. Toromont Industries Ltd., 2016 ONSC 3767, par. 77 (CanLII); voir aussi Herbert Construction Company Ltd. c. Carter Holt Harvey Ltd., [2013] NZHC 780, par. 46 (NZLII)). Il en est ainsi parce que le régime de cette loi distingue nettement les clauses contractuelles qui sont des « conditions », dont l’exécution est essentielle au contrat, de celles qui sont de simples « garanties », accessoires à l’objet principal du contrat (voir, p. ex., LVO, par. 1(1), « garantie » et « qualité »).
[157]                     De la même façon, une tentative d’écarter la responsabilité peut échouer parce que les mots employés par les parties visent à écarter la responsabilité à l’égard de la qualité des objets, alors que le vice concerne plutôt leur identité (G. H. L. Fridman, Sale of Goods in Canada (6e éd. 2013), p. 249). C’est pourquoi un contrat de vente d’objets « tels quels » ou « avec tous les vices qu’ils comportent » écarte généralement la responsabilité pour les vices dans la qualité de ceux‑ci, mais non pour les divergences dans leur description (voir Benjamin’s Sale of Goods, p. 686). Par exemple, il ressort clairement du contexte de chacune des décisions dans les jugements Moldenhauer c. Alberta Powersports Inc., 2009 ABPC 118, et Conners c. McMillan, 2020 BCPC 230, que les conditions implicites écartées par une clause prévoyant que les objets seraient vendus « tels quels » se rapportaient seulement à leur qualité, et non à leur description. À cet égard, je ne saurais mieux dire que le juge Zarnett : [traduction] « Tout comme une exclusion qui vise des garanties implicites n’exclut pas des conditions implicites en raison de la différence juridique entre ces termes, une exclusion de la responsabilité relative à la qualité ne peut exclure une condition implicite d’origine législative imposant une responsabilité à l’égard de l’identité des objets, qui couvre un champ juridique différent » (motifs de la C.A., par. 59). Le droit des contrats en common law ne permet pas d’effacer la distinction statutaire entre la correspondance des objets avec leur description (leur identité) et leur qualité marchande ou leur adaptation à un usage particulier (leur qualité).
D.           Le rôle des principes modernes d’interprétation contractuelle
[158]                     Les développements récents du droit des contrats en common law ne peuvent pas modifier l’exigence selon laquelle les parties qui entendent écarter une condition implicite statutaire doivent le faire par « convention expresse » et ne l’ont pas fait. Toute règle de la common law qui est incompatible avec les dispositions de la LVO doit être écartée, comme je l’ai expliqué plus tôt (par. 57(1)). Cela ne veut pas dire que les principes modernes d’interprétation contractuelle ne jouent aucun rôle lorsqu’il s’agit de déterminer si une clause d’exclusion constitue une convention expresse visant à écarter une condition implicite statutaire donnée, ou qu’il est nécessaire de déroger à ces principes. Personne ne prétend que l’art. 53 de la LVO a « fossilisé » le droit de l’interprétation contractuelle. Mais l’interprétation contractuelle ne peut s’effectuer d’une manière qui passe outre aux règles de droit régissant les contrats.
[159]                     Dans l’arrêt Sattva, le juge Rothstein a pris soin de ne pas suggérer que les circonstances entourant le contrat peuvent être invoquées à titre de moyen subsidiaire pour déterminer l’intention objective des parties. Une disposition contractuelle écrite doit « toujours être interprétée sur le fondement de son libellé et de l’ensemble du contrat » (par. 57). Les faits entourant la formation d’un contrat peuvent être pris en compte pour clarifier l’intention objective des parties, en venant préciser le sens des mots employés (Corner Brook (Ville) c. Bailey, 2021 CSC 29, [2021] 2 R.C.S. 540, par. 19). Il ne s’agit pas ici d’une invitation faite aux cours de révision à contourner, modifier ou contredire les mots employés dans le contrat, aussi impérieux ou équitable que puisse paraître le résultat : « Bien que les circonstances soient prises en considération dans l’interprétation des termes d’un contrat, elles ne doivent jamais les supplanter . . . » (Sattva, par. 57 (je souligne)). Cela irait à l’encontre des attentes raisonnables des parties en ce qui concerne le sens du contrat — contrairement à [traduction] « [l]a principale fonction du droit des contrats », qui est de protéger de telles attentes — et créerait une grande incertitude sur le plan commercial (Waddams, p. 97; voir aussi Produits forestiers Résolu c. Ontario (Procureur général), 2019 CSC 60, [2019] 4 R.C.S. 394, par. 74; Elias c. Western Financial Group Inc., 2017 MBCA 110, 417 D.L.R. (4th) 695, par. 76‑77).
[160]                     Pour interpréter un contrat écrit, la cour de révision doit donner aux mots employés dans le contrat « le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de la conclusion du contrat » (Sattva, par. 47). Le but de cette opération est de déterminer l’intention objective des parties, c’est‑à‑dire de déterminer le sens que celles‑ci ont raisonnablement pu donner aux mots employés à l’époque. Les circonstances servent à ce que « [l]e décideur [. . .] saisi[sse] [mieux] les intentions réciproques et objectives des parties exprimées dans les mots du contrat » (par. 57).
[161]                     La même « démarche pratique, axée sur le bon sens » (Sattva, par. 47) prévaut en ce qui concerne les clauses d’exclusion. Le droit reconnaît que les parties contractantes sont libres de façonner leur convention et de répartir les risques, y compris les conséquences pour exécution fautive, comme bon leur semble. La question qui importe est de savoir si, selon une interprétation contractuelle ordinaire, « la clause [d’exclusion] s’applique aux faits mis en preuve » (Tercon, par. 122 (italique omis)).
[162]                     Dans le contexte de la vente d’objets, toutefois, l’analyse doit se faire sur la prémisse que les parties avaient objectivement l’intention d’accepter les droits, obligations et responsabilités découlant de la LVO. Une telle approche reflète la [traduction] « décision de principe », consacrée à l’art. 53, « de donner la primauté aux objectifs législatifs, à moins que les parties aient clairement exprimé leur intention d’organiser différemment leurs droits et obligations » (G. R. Hall, Canadian Contractual Interpretation Law (4e éd. 2020), p. 179). Les conditions implicites prévues par la LVO dépendent non pas de [traduction] « l’intention réelle des parties, mais d’une règle de droit, comme des modalités, garanties ou conditions qui, si elles ne sont pas expressément écartées, s’incorporent au contrat en vertu de la loi » (Luxor (Eastbourne), Ld. c. Cooper, [1941] A.C. 108 (H.L.), p. 137, le lord Wright). L’objet de la LVO consiste à assurer la certitude commerciale pour les parties contractantes. Il n’y a rien d’injuste ou d’irréaliste dans le fait de tenir pour acquis que les parties connaissaient leurs positions juridiques respectives lorsqu’elles ont conclu un contrat. C’est ce qu’a mis en évidence le lord Diplock dans l’arrêt Photo Production Ltd. c. Securicor Transport Ltd., [1980] A.C. 827 (H.L.), p. 850‑851 :
                    [traduction] Étant donné la présomption selon laquelle les parties, en concluant le contrat, entendaient accepter les obligations implicites, les clauses d’exclusion doivent être interprétées de façon stricte, et le degré de rigueur approprié qu’il faut appliquer à leur interprétation peut adéquatement dépendre de la mesure dans laquelle l’interprétation entraîne une dérogation à ces obligations implicites. Puisque les obligations que la loi rend implicites dans un contrat commercial sont celles qui, soit par consensus judiciaire au fil des années ou suivant l’adoption d’une loi par le Parlement, ont été considérées comme des obligations qu’une personne d’affaires raisonnable serait consciente d’accepter en concluant un contrat d’un type particulier, le point de vue du tribunal quant au caractère raisonnable de toute dérogation aux obligations implicites qu’entraînerait une interprétation des termes exprès d’une clause d’exclusion dans un sens acceptable plutôt que dans un autre est une considération pertinente pour déterminer le sens que les parties ont voulu donner à ces termes. Cependant, cela ne permet pas au tribunal de rejeter la clause d’exclusion, aussi déraisonnable qu’elle soit à son avis, si les termes sont clairs et raisonnablement susceptibles d’avoir une seule signification.
[163]                     Le lord Leggatt J.C.S. a récemment réaffirmé ce principe dans l’arrêt Triple Point Technology Inc. c. PTT Public Co. Ltd., [2021] UKSC 29, [2021] A.C. 1148, par. 106‑113. Conformément à une telle approche, le tribunal doit garder à l’esprit qu’une personne raisonnable ne pourrait supposer que des parties commerciales aient l’intention d’écarter les droits, obligations et responsabilités que la LVO rend implicites, à moins que leur intention en ce sens ait été exprimée au moyen de mots suffisamment clairs (par. 108‑110; voir aussi Stocznia Gdynia S.A. c. Gearbulk Holdings Ltd., [2009] EWCA Civ 75, [2010] Q.B. 27, par. 23; Whitecap Leisure Ltd. c. John H. Rundle Ltd., [2008] EWCA Civ 429, [2008] 2 Lloyd’s Rep. 216, par. 20; Seadrill Management Services Ltd. c. OAO Gazprom, [2010] EWCA Civ 691, [2011] 1 All E.R. (Comm.) 1077, par. 27‑29). L’exigence d’une convention expresse dans le contexte de la LVO fait en sorte qu’un sens juridique précis doit être attribué aux termes employés dans les clauses d’exclusion visant à écarter les conditions implicites statutaires (Fridman (2013), p. 249; Twigg‑Flesner, Canavan et MacQueen, p. 204).
[164]                     Cela ne veut pas dire que « certaines formalités » ou l’utilisation de « mots magiques » soient requises de la part des parties, comme le suggère ma collègue. Il n’y a pas de contradiction entre l’attribution d’un sens juridique précis aux termes employés dans les clauses d’exclusion dans le contexte de la LVO et l’application des principes modernes d’interprétation contractuelle. Cela ressort clairement de l’arrêt Hunter Engineering, où notre Cour a établi la norme de la formulation claire et nette, tout en reconnaissant l’importance de l’application des principes ordinaires d’interprétation contractuelle aux clauses d’exclusion (voir la p. 450, le juge en chef Dickson, et la p. 497, la juge Wilson). Cela ressort également de l’approche adoptée par le lord Diplock dans l’arrêt Photo Production. Bien que l’interprétation des mots employés dans une clause d’exclusion puisse nécessiter un renvoi à l’ensemble du contrat ou aux circonstances entourant sa conclusion, le législateur a indiqué que les droits, obligations et responsabilités découlant de la LVO doivent être considérés comme une [traduction] « partie essentielle du contexte dans lequel les parties concluent un contrat » (Triple Point, par. 108, le lord Leggatt; voir aussi E. Peel, « Whither Contra Proferentem? », dans A. Burrows et E. Peel, dir., Contract Terms (2007), 53, p. 66‑74).
[165]                     Encore une fois, la LVO reflète la compréhension du législateur de l’efficacité commerciale et du sens commun dans le contexte de la vente d’objets, et ses dispositions ont été conçues afin de favoriser la certitude et la prévisibilité. Dans ce contexte, l’analyse contextuelle doit être plus restreinte, sauf disposition contraire de la loi, et ne permet pas à une cour de révision de changer le sens des mots employés, comme cela ressort clairement de l’arrêt Sattva (par. 57). Étant donné que les parties sont présumées connaître leurs positions juridiques respectives avant de conclure un contrat de vente, il faut aussi présumer qu’elles voulaient les conséquences juridiques résultant des mots qu’elles ont employés (Hall, p. 120, citant Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., 1998 CanLII 791 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 129, par. 56). Il en va ainsi indépendamment du niveau de connaissances des parties, même si cela est d’autant plus vrai lorsque les parties sont deux importantes sociétés commerciales ayant une grande expérience des affaires (Hunter Engineering, p. 449‑450); nul n’est censé ignorer la loi.
[166]                     L’interprétation contractuelle vise encore à ce jour à donner effet à ce que les parties ont objectivement convenu (Sattva, par. 49, 55 et 57). Lorsque la LVO s’applique à une clause d’exclusion, la cour de révision doit déterminer si tel droit, telle obligation ou telle responsabilité que la loi attache au contrat a été écarté au moyen d’une « convention expresse ». Ce faisant, la cour doit être particulièrement prudente lorsqu’elle détermine le sens des mots que les parties ont employés dans le contrat. Si les parties n’ont pas employé une formulation suffisamment claire, elles doivent avoir eu l’intention objective d’accepter le droit, l’obligation ou la responsabilité en question. Lorsqu’elle examine les circonstances entourant le contrat, la cour de révision doit garder à l’esprit que les dispositions de la LVO sont une partie essentielle du contexte commercial dans lequel les parties négocient et concluent leur contrat. Il ne suffit pas que les parties aient eu en quelque sorte l’intention d’écarter la responsabilité dans certaines circonstances ou qu’elles aient employé une formulation qui pourrait mettre une partie à l’abri de toute responsabilité contractuelle, compte tenu des circonstances. Au contraire, il doit être clair et sans équivoque que les parties ont convenu d’écarter la responsabilité pour la violation de la condition en question.
IV.         Application
[167]                     Devant la Cour d’appel, Earthco n’a jamais soutenu que le juge de première instance avait mal qualifié le Contrat en tant que vente sur description ou que la composition de la terre n’avait pas dûment été considérée comme une partie de l’identité du matériau. En appel devant notre Cour, Earthco soutient maintenant pour la première fois que le Contrat échappe à l’application de l’art. 14, soit parce que le Contrat visait une [traduction] « vente sur inspection » (m.a., par. 43) — par opposition à une vente sur description au sens de cette disposition — ou parce que la composition de la terre ne faisait pas partie de la « description » de celle‑ci, mais concernait plutôt sa qualité. Earthco soutient que la décision du juge de première instance contient des erreurs de droit isolables.
[168]                     À mon avis, Eartho tente d’attaquer les conclusions mixtes de fait et de droit du juge de première instance sous prétexte qu’il s’agit de questions de droit isolables. Earthco n’a pas relevé d’erreur révisable dans la qualification par le juge de première instance du Contrat en tant que vente sur description, ou dans la détermination de l’identité du matériau visée par le marché conclu par Pine Valley (m.a., par. 44). Je m’explique.
[169]                     Tout d’abord, le juge de première instance pouvait conclure que le Contrat constituait une vente sur description au sens de l’art. 14 de la LVO. La vente sur description est une vente d’objets indéterminés considérés comme faisant partie d’un certain type de catégorie, ou encore une vente d’objets déterminés que les acheteurs acquièrent en se fiant à la description donnée (voir Leggett c. Taylor (1965), 1965 CanLII 574 (BC SC), 50 D.L.R. (2d) 516 (C.S. C.-B.), p. 518; voir aussi Benjamin’s Sale of Goods, p. 566-567). Dans la présente affaire, le juge de première instance a conclu que Pine Valley, en concluant le Contrat, s’était fiée à la description de la terre faite par Earthco, ainsi que l’indiquent les résultats d’analyse fournis ainsi que les communications entre les parties (motifs de première instance, par. 100). Le simple fait que les parties aient prévu par contrat que l’acheteur aurait la possibilité d’inspecter le matériau avant qu’il soit livré ne change rien au fait qu’elles ont conclu une vente sur description.
[170]                     Ensuite, le juge de première instance s’est correctement appuyé sur la jurisprudence pertinente pour conclure que ce qui constitue la « description » des objets dépend de l’intention des parties, déterminée objectivement (Ashington Piggeries, p. 502, le lord Diplock; Bakker, p. 178‑179). Les déclarations constituant la description de la terre auxquelles Pine Valley s’est raisonnablement fiée pour conclure le Contrat avec Earthco sont matière à interprétation contractuelle, laquelle commande la déférence envers le juge de première instance. Bien que la composition de la terre puisse être pertinente dans l’évaluation de sa qualité, cela ne signifie pas que le juge de première instance ne pouvait pas, en l’espèce, conclure qu’elle se rapportait à l’identité du matériau. Dans l’arrêt Ashington Piggeries, le litige portait sur la question de savoir si la déclaration du vendeur selon laquelle le matériau vendu, en l’occurrence de la farine de hareng, serait de la [traduction] « qualité marchande moyenne de la saison » faisait partie de la description du matériau (p. 470). En concluant que la déclaration du vendeur se rapportait à la qualité du matériau, le lord Hodson a écrit que [traduction] « [b]ien que la qualité puisse sans doute être utilisée dans le cadre d’une description, j’estime que ce n’est pas le cas dans la présente affaire » (p. 470). Là encore, il s’agit d’une conclusion factuelle. En conséquence, le juge de première instance pouvait conclure que le matériau avait été décrit comme étant de la terre R Topsoil ayant la composition établie dans les résultats de l’analyse effectuée en août 2011 et que, par conséquent, Pine Valley n’avait pas reçu ce que le marché conclu par les parties prévoyait (motifs de première instance, par. 100). Earthco n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une quelconque erreur révisable dans l’évaluation du juge de première instance concernant la description de la terre.
[171]                     Par conséquent, la question en l’espèce n’est pas de savoir si le Contrat visait une vente sur description ou si la composition de la terre faisait partie de l’identité du matériau comme l’avaient raisonnablement envisagé les parties au moment où elles ont conclu le Contrat, mais plutôt de savoir si la condition implicite prévue à l’art. 14 de la LVO a été dûment écartée par les Clauses d’exclusion. L’analyse doit être axée sur les mots employés par les parties :
                    [traduction]
                    6) [Pine Valley] a le droit d’analyser et d’approuver le matériau à ses frais à nos installations avant qu’il soit livré et épandu. Veuillez vous adresser à Richard Outred [(un représentant d’Earthco)] pour convenir des arrangements nécessaires.
                    7) Si [Pine Valley] renonce à son droit d’analyser et d’approuver le matériau avant sa livraison, Earthco Soils Inc. ne sera pas responsable de la qualité du matériau une fois que celui‑ci aura quitté nos installations. [Je souligne.]
                    (d.a., p. 201)
[172]                     Le juge de première instance a conclu que [traduction] « les clauses 6 et 7 du Contrat sont claires et non ambiguës, et écartent la responsabilité imposée au vendeur par l’art. 14 de la LVO » (par. 127). Selon lui, les Clauses d’exclusion indiquaient que [traduction] « Earthco ne peut être tenue responsable d’aucun vice » et que « Earthco sera dégagée de sa responsabilité » si Pine Valley omettait d’analyser et d’approuver la terre végétale avant sa livraison (par. 119 et 127). Cette conclusion reposait entièrement sur la compréhension du juge de première instance de l’objet commercial de la convention. À son avis, l’analyse de la terre avait pour [traduction] « unique [. . .] but » de permettre à Pine Valley de s’assurer que la composition était celle visée par le marché conclu par les parties (par. 125). Le juge de première instance a conclu qu’en acceptant les Clauses d’exclusion dans le cadre des négociations, Pine Valley a accepté d’assumer tous les risques associés à la composition de la terre si elle omettait de l’analyser et de l’approuver avant qu’elle ne soit livrée.
[173]                     Avec égards, la Cour d’appel a eu raison d’infirmer la conclusion du juge de première instance à cet égard. L’approche adoptée par le juge est fondée sur deux erreurs de droit. Premièrement, en concluant que les Clauses d’exclusion étaient suffisamment claires et nettes pour écarter l’application de l’art. 14 de la LVO, le juge de première instance s’est écarté des mots employés par les parties d’une manière qui permettait aux circonstances de supplanter ces mots.
[174]                     En règle générale, les cours d’appel doivent faire preuve de prudence lorsqu’elles identifient des questions de droit isolables dans des affaires d’interprétation contractuelle, parce que « [l]es circonstances dans lesquelles une question de droit peut être isolable seront des circonstances peu communes » (Corner Brook, par. 44). Cela dit, notre Cour a affirmé dans l’arrêt Teal Cedar que l’interprétation des circonstances séparément du texte du contrat, créant ainsi dans les faits une nouvelle convention entre les parties, constitue une erreur de droit (par. 62; voir aussi Rosenberg c. Securtek Monitoring Solutions Inc., 2021 MBCA 100, 465 D.L.R. (4th) 201, par. 83; Ecoasis Resort and Golf LLP c. Bear Mountain Resort & Spa Ltd., 2021 BCCA 285, 53 B.C.L.R. (6th) 343, par. 34; Mann c. Grewal, 2023 BCCA 88, par. 44 (CanLII)).
[175]                     Je suis d’accord avec la Cour d’appel que le juge de première instance a commis une erreur de la sorte dans son analyse des Clauses d’exclusion (motifs de la C.A., par. 60‑62). Bien que le juge de première instance ait eu raison d’affirmer que l’analyse doit porter sur [traduction] « le sens ordinaire du Contrat entre les parties », ce n’est pas ce qu’il a fait (motifs de première instance, par. 118). Il n’a pas expliqué ce que les parties voulaient dire en employant les mots « responsable de la qualité du matériau », mais a plutôt décidé ce qu’il faut présumer que les parties ont voulu écrire selon sa compréhension de l’objet de la convention. D’après le juge de première instance, les Clauses d’exclusion énonçaient clairement et sans équivoque quelque chose que les parties n’avaient pas écrit. En s’éloignant du texte du Contrat pour déterminer ce que les parties doivent être considérées comme ayant écrit étant donné les circonstances, le juge de première instance a dans les faits créé une nouvelle convention.
[176]                     Deuxièmement, la façon dont le juge de première instance s’est écarté du sens ordinaire et grammatical des mots employés par les parties ne respectait pas les exigences de l’art. 53 de la LVO (motifs de la C.A., par. 65‑69). Comme l’a noté la Cour d’appel, la norme de la formulation claire et nette ne dépend pas de la [traduction] « complexité » du contrat, et il n’y a donc pas lieu d’y déroger simplement parce que la formulation employée par les parties n’est pas « complex[e] » (par. 57). Rien ne justifiait en l’espèce de déroger à cette norme. Les parties sont des sociétés commerciales averties qui doivent être présumées connaître leurs positions juridiques lorsqu’elles concluent un contrat de vente et vouloir les conséquences juridiques qui découlent des mots employés. Encore une fois, pour déterminer si les parties ont expressément convenu d’écarter ou de modifier un droit, une obligation ou une responsabilité statutaire, l’analyse doit porter sur les mots de leur convention, comme l’exige l’art. 53.
[177]                     Avec égards, je ne suis pas d’accord avec ma collègue lorsqu’elle affirme que la Cour d’appel a fait erreur en dégageant de la démarche du juge de première instance des erreurs sur des questions de droit isolables, et que le fait de donner un effet juridique aux distinctions établies dans la LVO est contraire à l’arrêt Sattva. Une fois qu’il a été déterminé que le juge de première instance avait interprété les circonstances séparément du texte du Contrat, la Cour d’appel pouvait intervenir. Je conviens que le simple fait que l’interprétation contractuelle comporte l’examen d’une disposition statutaire ne signifie pas que le contrôle doit se faire selon la norme de la décision correcte. Toutefois, appliquer les mauvais principes juridiques dans le cadre de l’exercice interprétatif est l’une des erreurs établies par le juge Rothstein dans l’arrêt Sattva qui commandent un contrôle selon la norme de la décision correcte (par. 53). La Cour d’appel a déterminé que le juge de première instance avait commis une erreur dans l’examen de la question de savoir si les Clauses d’exclusion constituaient une convention expresse, en omettant de suivre le précédent de notre Cour dans l’arrêt Hunter Engineering. Une telle conclusion cadre avec l’arrêt Sattva. Comme je l’ai expliqué plus haut, l’exigence d’une formulation claire et nette n’est pas incompatible avec les principes modernes d’interprétation contractuelle et, même si c’était le cas, la préséance doit être accordée aux dispositions de la LVO, comme l’indique clairement le par. 57(1) : les règles de la common law s’appliquent « sauf lorsqu’elles sont incompatibles avec les dispositions expresses de la présente loi ». Une législature peut abroger l’exigence prévue à l’art. 53 de la LVO ou la distinction qu’établit la LVO entre « qualité » et « identité », mais les tribunaux ne le peuvent tout simplement pas.
[178]                     Il importe de noter que les parties en l’espèce ont choisi de mettre leur convention par écrit. Par conséquent, notre tâche consiste à déterminer ce qu’elles ont voulu dire en convenant d’écarter la responsabilité liée à la « qualité du matériau ». Ce faisant, nous devons garder à l’esprit qu’en l’espèce, nous interprétons une clause contractuelle régie par la LVO. Les circonstances entourant le contrat ne peuvent pas changer le sens de la loi. Le point de départ est que les Clauses d’exclusion n’indiquaient pas, en fait, que dans l’éventualité où Pine Valley omettait d’analyser et d’approuver la terre avant qu’elle soit livrée, Earthco ne serait alors responsable « d’aucun » vice, y compris les vices dans la composition de la terre. Les parties ont plutôt convenu que Earthco ne serait pas « responsable de la qualité du matériau ». Le sens ordinaire et grammatical de ces mots réfère à l’adaptation des objets à un usage particulier, au sens de l’art. 15 par. 1 de la LVO. Dans le cas qui nous occupe, la « qualité du matériau » renvoie à la capacité de la terre à remplir la fonction attendue dans le projet du parc Moore (m.a., par. 2). De plus, l’emploi du mot « matériau » indique que les parties n’avaient pas objectivement l’intention que les Clauses d’exclusion écartent la responsabilité si l’identité du matériau différait de celle qui avait été convenue. Je suis d’accord avec la Cour d’appel que, à leur face même, les mots employés par les parties ne constituent pas une formulation claire et nette visant à écarter la responsabilité découlant de l’art. 14 (par. 10). La « convention expresse » écarte la responsabilité uniquement à l’égard de la « qualité », et non à l’égard de l’« identité ».
[179]                     Le fait que le juge de première instance a conclu que la composition de la terre se rapportait à l’identité du matériau, bien qu’elle puisse également être pertinente en ce qui concerne l’adaptation de la terre à un usage particulier, ne signifie pas que les parties ont objectivement voulu mettre Earthco à l’abri de toute responsabilité. Le fait d’écarter la responsabilité pour les vices relatifs à l’adaptation de la terre à un usage particulier n’est pas incompatible avec le fait de maintenir la responsabilité pour le défaut de livrer la terre correspondant à la description convenue, car il s’agit de conditions distinctes. Comme l’a fait observer à juste titre la Cour d’appel, les art. 14 et 15 de la LVO visent un [traduction] « champ juridique différent » (par. 59). Le défaut de livrer des objets d’une qualité précise diffère du défaut de livrer des objets ayant l’identité convenue. Bien que le juge de première instance semble avoir été conscient de la distinction entre l’identité et la qualité du matériau — concluant que la vente en question était une vente sur description et que la description se rapportait à l’identité du matériau —, il a en fin de compte omis d’apprécier l’effet de cette distinction lors de son interprétation des Clauses d’exclusion. Il s’agissait là d’une erreur de droit.
[180]                     La Cour d’appel a eu raison de conclure que l’exigence de la formulation claire et nette visant à écarter les conditions que la LVO attache à un contrat de vente se superpose aux autres principes d’interprétation contractuelle (par. 65). Interpréter une clause d’exclusion dans le contexte de la LVO ne peut pas et ne devrait pas se limiter à une analyse du sens des mots employés, compte tenu des circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de la formation du contrat; les objectifs législatifs de la LVO doivent également être pris en compte. La distinction entre l’identité des objets (basée sur leur description) et la qualité des objets constituait un élément essentiel du contexte commercial dans lequel les parties ont contracté. Si elles avaient objectivement eu l’intention de se soustraire à la condition implicite prévue à l’art. 14, elles l’auraient fait par convention expresse, c’est‑à‑dire de façon claire et nette. Le fait qu’un mot puisse être employé dans un registre familier ne le dépouille pas de son sens juridique, en particulier lorsqu’aucun élément de preuve n’indique que les parties entendaient employer ce mot dans un sens différent du sens juridique.
[181]                     Dans le présent contexte, le sens du mot « qualité » ne peut pas être élargi pour inclure tout vice se rapportant à l’« identité » de la terre, comme l’a conclu le juge de première instance. Même si je reconnais que Pine Valley était pressée de recevoir la terre, cela en soi ne signifie pas qu’elle a objectivement compris qu’elle assumerait le risque de ne pas recevoir ce qui était prévu dans le marché conclu par les parties. Une personne raisonnable ne comprendrait pas que Pine Valley avait l’intention de se soustraire à la condition implicite de l’art. 14 de la LVO en acceptant les conditions des Clauses d’exclusion au moment de la formation du Contrat (c.‑à‑d., avant sa communication ultérieure avec Earthco). L’obligation de livrer des objets correspondant à leur description est un élément essentiel d’un contrat de vente sur description; il s’agit de l’obligation contractuelle principale du vendeur. Le défaut de s’acquitter de cette obligation équivaut à une [traduction] « inexécution contractuelle totale » (Benjamin’s Sale of Goods, p. 565; voir aussi Bangsund, p. 501‑502; E. McKendrick, Goode and McKendrick on Commercial Law (6e éd. 2020), par. 11.06). Il devait être établi de façon suffisamment claire que les parties voulaient se soustraire à une condition aussi fondamentale du Contrat. Cela ne veut pas dire que les parties ne peuvent s’entendre sur une vente d’objets en particulier tout en écartant toute responsabilité pouvant découler du fait que ceux‑ci ne correspondent pas à leur description. Dans le cas présent, toutefois, la formulation des Clauses d’exclusion n’exprime pas l’intention objective des parties d’écarter la condition de correspondance avec la description prévue à l’art. 14 de la LVO. Pine Valley peut avoir accepté le risque que la terre R Topsoil ayant la composition convenue ne soit pas adaptée à l’usage auquel elle était destinée, mais elle n’a pas renoncé à son droit de recevoir la terre visée par le marché conclu par les parties.
[182]                     Earthco était sans doute sous l’impression qu’elle serait à l’abri de toute responsabilité découlant de la convention de vente en raison des changements sur mesure apportés au Contrat, comme l’indique la formulation générale qu’elle a employée dans le courriel envoyé à Pine Valley avant que la terre soit livrée (d.a., p. 150-152). Or, ce n’est pas ce que les parties ont objectivement convenu. À cet égard, je souscris entièrement au point de vue exprimé par le lord Neuberger dans l’arrêt Arnold c. Britton, [2015] UKSC 36, [2015] A.C. 1619, par. 19, selon lequel [traduction] « [l]e simple fait qu’un arrangement contractuel, interprété suivant le sens courant de son libellé, emporte des conséquences fâcheuses, ou même désastreuses, pour l’une des parties n’est pas une raison justifiant de s’écarter du sens courant des mots. » Les parties ont objectivement convenu que Earthco ne serait responsable d’aucun vice lié à la « qualité du matériau », mais pas qu’elle serait dégagée de son obligation statutaire de fournir à Pine Valley de la terre R Topsoil ayant la composition établie dans les résultats de l’analyse effectuée en août 2011.
[183]                     Les observations qui précèdent ne signifient pas que les Clauses d’exclusion étaient sans aucune utilité. Il est clair que si Earthco avait fourni à Pine Valley la terre visée par le marché conclu par les parties, c’est‑à‑dire la terre ayant la composition établie dans les résultats de l’analyse effectuée en août 2011, mais que cette terre n’avait pas réussi à capter l’eau excédentaire dans le quartier visé, toute responsabilité découlant de l’art. 15 de la LVO aurait été écartée.
V.           Conclusion
[184]                     En résumé, le juge de première instance a erré en concluant que les Clauses d’exclusion indiquaient clairement et nettement que Earthco serait à l’abri de toute responsabilité si Pine Valley omettait d’analyser la terre avant qu’elle soit livrée (par. 119). La formulation claire et nette que les parties ont choisi d’employer dans les Clauses d’exclusion limitait l’exclusion de la responsabilité à l’égard des vices dans la qualité au sens de l’art. 15 de la LVO. En revanche, les Clauses d’exclusion ne contenaient aucune convention expresse visant à écarter la responsabilité à l’égard de la violation de la condition implicite prévue à l’art. 14.
[185]                     Par conséquent, la norme juridique énoncée à l’art. 53 de la LVO n’a pas été satisfaite. Je suis d’avis de rejeter l’appel et de confirmer la décision de la Cour d’appel ordonnant à Earthco de payer à Pine Valley les dommages‑intérêts au montant évalué par le juge de première instance, soit 350 386, 23 $, avec dépens devant notre Cour.

 
ANNEXE
Dispositions statutaires pertinentes
Loi sur la vente d’objets, L.R.O. 1990, c. S.1
1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
. . .
« qualité » S’entend en outre de l’état dans lequel les objets se trouvent.
. . .
« garantie » Convention accessoire portant sur les objets visés par un contrat de vente, dont la violation donne ouverture à un recours en dommages-intérêts, mais non au droit de refuser les objets et de considérer le contrat comme résolu.
12 . . .
. . .
(3) Lorsqu’un contrat de vente n’est pas divisible et que l’acheteur a accepté une partie ou la totalité des objets, ou que le contrat vise des objets déterminés dont la propriété a été transférée à l’acheteur, la violation d’une condition par le vendeur doit être considérée comme une violation de garantie et non comme un motif autorisant l’acheteur à refuser les objets et à considérer le contrat comme résolu, sauf stipulation expresse ou implicite à cet effet.
13 Sauf si une intention contraire ressort des circonstances du contrat, le contrat de vente contient :
a)      la condition implicite que le vendeur a le droit de vendre les objets, s’il s’agit d’une vente, ou qu’il aura ce droit au moment du transfert de la propriété, s’il s’agit d’une promesse de vente;
b)      la garantie implicite que l’acheteur obtiendra et conservera la possession paisible des objets;
c)      la garantie implicite que les objets sont libres de toutes charges sauf celles qui sont déclarées à l’acheteur ou que celui-ci connaît au moment de la conclusion du contrat ou antérieurement.
14 Le contrat de vente d’objets sur description contient la condition implicite que les objets correspondent à la description. Lorsque la vente est à la fois sur échantillon et sur description, il ne suffit pas que la masse des objets corresponde à l’échantillon si les objets ne correspondent pas à la description.
15 Sous réserve des lois pertinentes, il n’existe pas de garantie ou de condition implicite relative à la qualité des objets fournis en vertu d’un contrat de vente ni à leur adaptation à un usage particulier, sauf dans les cas suivants :
1. Il y a une condition implicite que les objets sont raisonnablement adaptés à l’usage particulier que l’acheteur fait connaître expressément ou implicitement au vendeur, en montrant qu’il s’en remet à la compétence ou au jugement de celui-ci, lorsque les objets correspondent à la description de ceux que le vendeur fournit dans le cours de son commerce, qu’il en soit ou non le fabricant. Il n’y a pas de condition implicite relative à l’adaptation à un usage particulier d’un article déterminé sous son brevet ou sous une autre appellation commerciale.
2. Il y a une condition implicite que les objets achetés sur description sont de qualité marchande si le vendeur fait le commerce d’objets de cette description (qu’il en soit ou non le fabricant). Si l’acheteur a examiné les objets, il n’y a pas de condition implicite relative aux vices que l’examen aurait dû révéler.
3. Une garantie ou condition implicite relative à la qualité des objets ou à leur adaptation à un usage particulier peut être incorporée au contrat par renvoi aux usages du commerce.
4. Une garantie ou condition expresse n’invalide une garantie ou une condition découlant implicitement de la présente loi que si elles sont incompatibles.
16 (1) Un contrat de vente est un contrat de vente sur échantillon s’il renferme une clause expresse ou implicite à cet effet.
18 (1) La propriété d’objets déterminés ou certains est transférée à l’acheteur au moment où les parties au contrat ont l’intention de la transférer.
(2) Pour déterminer l’intention des parties, il y a lieu de considérer les stipulations du contrat, la conduite des parties et les circonstances de l’espèce.
20 . . .
(2) En l’absence de preuve contraire, le vendeur se réserve le droit d’aliéner les objets expédiés, s’il ressort du connaissement qu’ils sont livrables sur ordre du vendeur ou de son mandataire.
27 Sauf convention contraire, la livraison des objets et le paiement du prix sont des conditions concomitantes, c’est-à-dire que le vendeur doit être prêt et disposé à remettre à l’acheteur la possession des objets en échange du prix, et que l’acheteur doit être prêt et disposé à payer le prix en échange de la possession des objets.
28 (1) La question de savoir si l’acheteur est tenu de prendre possession des objets ou si le vendeur est tenu de les envoyer à l’acheteur dépend dans chaque cas du contrat, exprès ou tacite, conclu entre les parties. Indépendamment de tout contrat exprès ou tacite, la livraison a lieu à l’établissement du vendeur, s’il y en a un, et, à défaut, à sa résidence. La livraison d’objets déterminés qui, au moment de la conclusion du contrat, se trouvent ailleurs à la connaissance des parties, se fait à l’endroit où ils se trouvent.
. . .
(5) Sauf convention contraire, le vendeur supporte les frais, directs et accessoires, engagés pour rendre les objets livrables.
30 (1) Sauf convention contraire, l’acheteur d’objets n’est pas tenu de les accepter en plusieurs livraisons.
(2) La violation d’un contrat qui prévoit des livraisons successives à dates fixes donnant lieu chacune à un paiement distinct par le vendeur qui effectue une ou plusieurs livraisons non conformes au contrat ou omet une ou plusieurs livraisons, ou par l’acheteur qui néglige ou refuse de prendre livraison d’une ou plusieurs reprises ou de payer une ou plusieurs livraisons, constitue soit une violation permettant de résoudre le contrat en entier, soit une violation susceptible de disjonction, donnant droit uniquement à un recours en dommages-intérêts et non à la résolution du contrat. La nature de la violation constitue, dans chaque cas, une question de fait qui dépend des clauses du contrat et des circonstances de l’espèce.
31 (1) Lorsque le contrat de vente autorise ou oblige le vendeur à expédier les objets à l’acheteur, leur livraison au transporteur, désigné ou non par l’acheteur, vaut livraison à l’acheteur en l’absence de preuve contraire.
33 . . .
(2) Sauf convention contraire, le vendeur qui offre de livrer les objets à l’acheteur est tenu, sur demande, de lui donner une occasion raisonnable de les examiner pour déterminer leur conformité au contrat.
35 Sauf convention contraire, l’acheteur qui refuse à bon droit la livraison des objets n’est pas obligé de les renvoyer au vendeur. Il suffit qu’il notifie au vendeur son refus d’accepter les objets.
48 . . .
. . .
(3) Lorsqu’il existe un marché pour les objets visés, le montant des dommages-intérêts correspond, en l’absence de preuve contraire, à la différence entre le prix du contrat et le prix courant ou le prix du marché à la date ou aux dates auxquelles les objets auraient dû être acceptés, ou à la date du refus d’acceptation si aucune date d’acceptation n’a été fixée.
49 . . .
. . .
(3) Lorsqu’il existe un marché pour les objets visés, le montant des dommages-intérêts correspond, en l’absence de preuve contraire, à la différence entre le prix du contrat et le prix courant ou le prix du marché, à la date ou aux dates auxquelles les objets auraient dû être livrés, ou à la date du refus de livraison si aucune date n’a été fixée.
51 . . .
. . .
(3) Dans le cas d’une violation de garantie portant sur la qualité, la perte correspond, en l’absence de preuve contraire, à la différence entre la valeur des objets au moment de la livraison à l’acheteur et la valeur qu’ils auraient eu si la garantie avait été respectée.
53 Les droits, les obligations ou la responsabilité que la loi attache à un contrat de vente peuvent être écartés ou modifiés par convention expresse, par l’usage entre les parties ou par les usages du commerce, si ceux-ci sont de nature à obliger les deux parties au contrat.
57 (1) Les règles de la common law, y compris celles du droit commercial, s’appliquent aux contrats de vente d’objets, sauf lorsqu’elles sont incompatibles avec les dispositions expresses de la présente loi. S’appliquent notamment les règles relatives au droit des commettants et mandataires, et celles relatives aux effets de la fraude, d’une fausse déclaration, de la violence et de la coercition, de l’erreur ou d’une autre cause d’invalidité.
                    Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours, la juge Côté est dissidente.
                    Procureurs de l’appelante : Lipman, Zener & Waxman PC, Toronto.
                    Procureurs de l’intimée : Scalisi Barristers, Concord (Ont.).
                    Procureurs de l’intervenante : Torys, Toronto.

[1]  Les dispositions pertinentes sont reproduites en annexe.
[2]  Pour l’Alberta, voir Sale of Goods Act, R.S.A. 2000, c. S-2, art. 15 et par. 16(2) et 16(4); pour la Colombie-Britannique, voir Sale of Goods Act, R.S.B.C. 1996, c. 410, par. 17(1) et al. 18(a) et 18(b); pour le Manitoba, voir Loi sur la vente d’objets, C.P.L.M., c. S10, art. 15 et al. 16a) et 16b); pour le Nouveau-Brunswick, voir Loi sur la vente d’objets, L.R.N.-B. 2016, c. 110, art. 19 et al. 20a) et 20b); pour Terre-Neuve-et-Labrador, voir Sale of Goods Act, R.S.N.L. 1990, c. S-6, par. 15(1) et al. 16(a) et 16(c); pour les Territoires du Nord-Ouest, voir Loi sur la vente d’objets, L.R.T.N.-O. 1988, c. S-2, art. 17 et al. 18(1)a) et 18(1)b); pour la Nouvelle-Écosse, voir Sale of Goods Act, R.S.N.S. 1989, c. 408, art. 16 et al. 17(a) et 17(b); pour le Nunavut, voir Loi sur la vente d’objets, L.R.T.N.-O. (Nun.) 1988, c. S-2, art. 17 et al. 18(1)a) et 18(1)b); pour l’Île-du-Prince-Édouard, voir Sale of Goods Act, R.S.P.E.I. 1988, c. S-1, art. 15 et al. 16(a) et 16(b); pour la Saskatchewan, voir The Sale of Goods Act, R.S.S. 1978, c. S-1, art. 15, 16 par. 1 et 16 par. 2; pour le Yukon, voir Loi sur la vente d’objets, L.R.Y. 2002, c. 198, art. 14 et al. 15a) et 15b).

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Synthèse
Référence neutre : 2024CSC20 ?
Date de la décision : 31/05/2024

Analyses

exclusion — conventions expresses — clauses — circonstances — parties — interprétation contractuelle — principes — responsabilités — conditions implicites — acheteurs — vendeurs — obligations — première instance — terre végétale — LVO — intention objective


Parties
Demandeurs : Earthco Soil Mixtures Inc.
Défendeurs : Pine Valley Enterprises Inc.
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 31 mai 2024, Earthco Soil Mixtures Inc. c. Pine Valley Enterprises Inc., 2024 CSC 20


Origine de la décision
Date de l'import : 01/06/2024
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2024-05-31;2024csc20 ?

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