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12/05/2023 | CANADA | N°2023CSC13

Canada | Canada, Cour suprême, 12 mai 2023, Anderson c. Anderson, 2023 CSC 13


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : Anderson c. Anderson, 2023 CSC 13

 

 
Appel entendu : 5 décembre 2022
Jugement rendu : 12 mai 2023
Dossier : 39884


 
Entre :
 
James Allan Anderson
Appelant
 
et
 
Diana Anderson
Intimée
 
Traduction française officielle
 
Coram : Les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin
 


Motifs de jugement :
(par. 1 à 85)

La juge Karakatsanis (avec l’accord des juges Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jam

al et O’Bonsawin)







 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada....

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : Anderson c. Anderson, 2023 CSC 13

 

 
Appel entendu : 5 décembre 2022
Jugement rendu : 12 mai 2023
Dossier : 39884

 
Entre :
 
James Allan Anderson
Appelant
 
et
 
Diana Anderson
Intimée
 
Traduction française officielle
 
Coram : Les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 85)

La juge Karakatsanis (avec l’accord des juges Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin)

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
James Allan Anderson                                                                                    Appelant
c.
Diana Anderson                                                                                                Intimée
Répertorié : Anderson c. Anderson
2023 CSC 13
No du greffe : 39884.
2022 : 5 décembre; 2023 : 12 mai.
Présents : Les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin.
en appel de la cour d’appel de la saskatchewan
                    Droit de la famille — Biens familiaux — Contrats conjugaux — Conclusion par les parties d’un accord de répartition des biens familiaux sans recevoir de conseils juridiques indépendants — Accord non conforme aux exigences légales qui lui auraient conféré le bénéfice de la présomption d’exécution prévue par la loi provinciale sur les biens familiaux — Demande de l’époux soutenant que l’exécution de l’accord serait injuste et sollicitant la répartition des biens familiaux conformément à la loi applicable — Cadre régissant l’évaluation des accords qui ne sont pas présumés obligatoires selon la loi provinciale sur les biens familiaux — Le cadre d’analyse de l’arrêt Miglin s’applique‑t‑il à tous les contrats conjugaux? — Loi sur les biens familiaux, L.S. 1997, c. F‑6.3, art. 38, 40.
                    À l’issue d’un mariage de trois ans, l’épouse et l’époux ont signé un accord de séparation qui prévoyait essentiellement que chaque partie conserverait les biens qu’elle détient en son nom et renoncerait à tout droit sur les biens de l’autre, à l’exception du foyer familial et des objets ménagers. L’accord, préparé par l’épouse, a été signé à la fin d’une rencontre avec deux amis des parties qui ont été témoins de sa signature. Aucune information financière n’a été communiquée entre les parties, et ni l’une ni l’autre n’a obtenu de conseils juridiques indépendants avant de signer l’accord. Près de 17 mois après que l’épouse eut déposé une requête en divorce, l’époux a déposé une requête reconventionnelle et réclamé le partage des biens familiaux, soutenant qu’il avait signé l’accord sans avoir consulté d’avocat et sous la contrainte. Le juge de première instance a estimé que l’accord n’était pas obligatoire et a refusé de lui accorder quelque importance que ce soit. Il a plutôt procédé à une égalisation des biens familiaux en vertu de la loi de la Saskatchewan relative aux biens familiaux, la Loi sur les biens familiaux (« LBF »), et a ordonné à l’épouse de verser à l’époux un paiement d’égalisation net d’environ 90 000 $. La Cour d’appel a annulé la répartition des biens familiaux effectuée par le juge de première instance et conclu que l’accord était obligatoire. Elle a appliqué le cadre élaboré par la Cour dans l’arrêt Miglin c. Miglin, 2003 CSC 24, [2003] 1 R.C.S. 303, et conclu qu’il y avait lieu d’accorder beaucoup d’importance à l’accord. Compte tenu de la valeur des biens familiaux à la date la plus rapprochée de l’accord, la Cour d’appel a ordonné à l’époux de verser environ 5 000 $ à l’épouse.
                    Arrêt : Le pourvoi est accueilli.
                    Les tribunaux devraient de façon générale encourager et favoriser les contrats conjugaux, dans les limites permises par le législateur, en l’absence de raison impérieuse de rejeter l’accord. Cette déférence découle de la reconnaissance du fait que l’indépendance économique, l’autonomie et la recherche d’un règlement définitif sont des objectifs importants dans le contexte du droit de la famille. En l’espèce, l’accord intervenu entre l’épouse et l’époux était obligatoire. Il était juste et équitable, compte tenu des critères et des objectifs de la LBF. Il y a lieu de procéder à la répartition du foyer familial et des objets ménagers en fonction de leur valeur à la date du procès, opération qui se solde pour l’épouse par une dette de 43 382,63 $ envers l’époux.
                    Les contrats conjugaux présentent des avantages et préoccupations uniques. D’une part, les parties sont généralement mieux placées que les tribunaux pour comprendre les besoins et circonstances spécifiques de leur rapports privés. D’autre part, les parties à des contrats conjugaux sont particulièrement vulnérables à l’injustice et à l’exploitation, en raison de l’environnement unique dans lequel ces contrats sont négociés et conclus. La jurisprudence de la Cour sur les contrats conjugaux, y compris l’arrêt Miglin, rappelle aux tribunaux qu’ils doivent aborder les contrats conjugaux avec prudence et tenir compte des importantes protections procédurales qui contribuent à garantir l’équité de l’accord conclu. En outre, bien que la Cour soutienne depuis longtemps la liberté des parties de régler leurs affaires familiales en privé, on ne saurait permettre que le respect de cette liberté fasse échec à des objectifs d’ordre public consacrés dans la législation en matière de droit de la famille. Les tribunaux doivent aborder les règlements en droit de la famille en vue de trouver un équilibre entre, d’une part, les valeurs que représentent l’autonomie des parties contractantes et la certitude et, d’autre part, le souci d’équité. Essentiellement, les tribunaux doivent examiner les contrats conjugaux en faisant montre d’une sensibilité particulière à l’égard des vulnérabilités qui peuvent exister dans le contexte du droit de la famille, sans présumer que les conjoints n’avaient pas la capacité de contracter simplement parce que l’accord a été négocié dans des conditions stressantes sur le plan émotionnel.
                    Bien que les tribunaux puissent dégager de l’arrêt Miglin des principes généraux utiles pour les guider dans l’examen des contrats conjugaux, cet arrêt n’est pas, et n’a jamais été conçu pour être, un cadre d’application générale permettant aux tribunaux de traiter tous les types de contrats conjugaux. Le cadre d’analyse de l’arrêt Miglin, qui s’inscrivait dans un contexte législatif différent, ne devrait pas être transposé dans une loi provinciale sur les biens familiaux. Au contraire, l’opération d’interprétation du tribunal est tributaire de la loi applicable, et les différences qui existent entre le partage des biens et les aliments entre époux, les préoccupations relatives au partage des pouvoirs et les caractéristiques distinctives de lois particulières commandent une méthode d’analyse adaptée.
                    À l’instar d’autres lois provinciales sur les biens familiaux, la LBF prévoit, au départ, une présomption de répartition égale, mais permet aux conjoints de se soustraire au régime dans certaines circonstances. En particulier, la LBF reconnaît deux types de contrats conjugaux en matière de biens familiaux. Les « contrats familiaux » visés à l’art. 38 de la LBF sont présumés exécutoires s’ils respectent les formalités légales énoncées à cet article, notamment l’obligation pour chaque conjoint de reconnaître formellement, devant un avocat indépendant, qu’il est conscient de la nature et de l’effet des modalités du contrat. Le tribunal peut quand même tenir compte d’un contrat conjugal qui ne respecte pas les exigences légales énoncées à l’art. 38 et, en vertu de l’art. 40, lui donner l’importance qu’il estime raisonnable. Par conséquent, bien que la LBF prévoie au départ une présomption de répartition en parts égales, l’existence d’un accord écrit intervenu entre les conjoints est un facteur important pour déterminer si, dans les circonstances, il est juste et équitable de déroger à la répartition en parts égales.
                    Pour déterminer s’il doit tenir compte d’un accord qui ne constitue pas un contrat familial visé par la LBF, le tribunal devrait être sensible à toute préoccupation concernant la validité de l’accord au regard des principes ordinaires du droit des contrats. En supposant que l’accord soit valide, l’attention du tribunal se porte ensuite sur la question de savoir si cet accord mérite d’être pris en compte dans l’analyse de l’égalisation. Le tribunal doit apprécier l’accord du point de vue de l’intégrité procédurale, lorsque des préoccupations de ce genre sont soulevées. En examinant l’intégrité du processus de négociation pour y déceler des pressions indues ou l’exploitation d’un rapport de force inégal ou d’une autre vulnérabilité, le juge peut déterminer si les parties ont conclu l’accord librement et en étant conscientes de son sens et de ses effets. Bien que des mesures de protection telle la communication de la situation financière et l’obtention de conseils juridiques indépendants offrent une protection essentielle dans le contexte du droit de la famille, elles ne sont pas exigées par la loi et leur absence, sans plus, ne permet pas de remettre nécessairement en question l’équité de l’accord. Étant donné le respect de l’autonomie de la volonté des conjoints consacré tant dans la législation que dans la jurisprudence, il y a lieu de tenir sérieusement compte d’un accord, à moins que le tribunal ne soit convaincu que l’accord découle d’un processus de négociation injuste.
                    Une fois convaincu qu’il y a lieu de tenir compte de l’accord, le tribunal peut en évaluer l’équité substantielle afin de déterminer l’importance qu’il y a lieu de lui accorder pour l’élaboration d’une ordonnance de répartition des biens. En fin de compte, l’importance accordée à un accord lorsqu’il s’agit de rendre une ordonnance de répartition des biens dépend de la mesure dans laquelle le contenu concorde avec ce qui est juste et équitable dans les circonstances, eu égard aux objectifs et aux facteurs du régime législatif. Les objectifs et les critères de la loi applicable fournissent un point de référence objectif permettant d’évaluer la compréhension subjective qu’ont les parties de ce qui est équitable et de limiter le risque qu’elles s’écartent de façon marquée des objectifs d’ordre public exprimés par le législateur.
                    En l’espèce, l’accord était obligatoire et il n’existait aucune préoccupation fondée quant à son équité. L’accord est court et peu compliqué, et il reflète l’intention des parties d’effectuer une rupture nette de leur partenariat. Une absence de conseils juridiques indépendants et de communication formelle peut nuire à l’exercice d’un choix éclairé, mais elle n’était pas troublante dans la présente affaire, parce que l’époux ne pouvait faire état d’aucun préjudice en résultant : personne n’a suggéré que l’absence de ces garanties avait porté atteinte à l’intégrité du processus de négociation ou à l’équité de l’accord. Il y avait donc lieu de tenir sérieusement compte de l’accord, étant donné qu’il reflète la conception qu’avaient les parties d’un partage équitable des biens dans le contexte de leur relation au moment de la séparation. Le juge de première instance a fait erreur en concluant que l’accord ne liait pas les parties et en ne tenant pas compte de son contenu pour procéder à la répartition des biens, et bien que la Cour d’appel ait conclu qu’il y avait lieu d’accorder une grande importance à l’accord, les biens familiaux ont été égalisés d’une manière qui allait à l’encontre de la volonté des parties, entraînant ainsi une injustice. Outre le foyer familial et les objets ménagers, la répartition en parts égales des biens familiaux selon la LBF entraîne une injustice. Les parties étaient les mieux placées pour organiser les biens familiaux limités découlant de leur bref mariage et, compte tenu de toutes les circonstances, la solution la plus juste et la plus équitable consiste à donner effet à leur accord peu compliqué.
Jurisprudence
                    Arrêts examinés : Miglin c. Miglin, 2003 CSC 24, [2003] 1 R.C.S. 303; Hartshorne c. Hartshorne, 2004 CSC 22, [2004] 1 R.C.S. 550; D.B.S. c. S.R.G., 2006 CSC 37, [2006] 2 R.C.S. 231; L.M.P. c. L.S., 2011 CSC 64, [2011] 3 R.C.S. 775; Rick c. Brandsema, 2009 CSC 10, [2009] 1 R.C.S. 295; arrêts mentionnés : Droit de la famille — 152477, 2015 QCCA 1618; Association de médiation familiale du Québec c. Bouvier, 2021 CSC 54; Colucci c. Colucci, 2021 CSC 24; Richardson c. Richardson, 1987 CanLII 58 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 857; Murdoch c. Murdoch, 1973 CanLII 193 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 423; Pettkus c. Becker, 1980 CanLII 22 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 834; Peter c. Beblow, 1993 CanLII 126 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 980; Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61; Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. C. (G.C.), 1988 CanLII 34 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 1073; Van de Perre c. Edwards, 2001 CSC 60, [2001] 2 R.C.S. 1014; Boston c. Boston, 2001 CSC 43, [2001] 2 R.C.S. 413; Tysseland c. Tysseland, 2022 SKCA 39; Ackerman c. Ackerman, 2014 SKCA 137, 451 Sask. R. 132; Jedfro Investments (U.S.A.) Ltd. c. Jacyk, 2007 CSC 55, [2007] 3 R.C.S. 679; Tether c. Tether, 2008 SKCA 126, 314 Sask. R. 121.
Lois et règlements cités
Code civil du Québec, art. 391.
Family Law Act, R.S.N.L. 1990, c. F‑2, art. 19.
Family Law Act, S.B.C. 2011, c. 25, art. 81, 93(3)(a), (5).
Family Law Act, S.P.E.I. 1995, c. 12, art. 6(1), 55(4)(a).
Family Property Act, R.S.A. 2000, c. F‑4.7, art. 7(4), 38(2).
Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, c. 3 (2e suppl.).
Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, c. F.3, art. 5(1), (6), 33(4), 56(4)a).
Loi sur le droit de la famille, L.T.N.‑O. 1997, c. 18, art. 8(4)a), 36(1).
Loi sur le patrimoine familial et l’obligation alimentaire, L.R.Y. 2002, c. 83, art. 2(4), 6(1).
Loi sur les biens familiaux, C.P.L.M., c. F25, art. 13.
Loi sur les biens familiaux, L.S. 1997, c. F‑6.3, art. 2(1) « conjoint » c), « valeur », 20, 21, 22, 23, 24, 27(1), 38, 40.
Loi sur les biens matrimoniaux, L.R.N.‑B. 2012, c. 107, art. 2, 43.
Matrimonial Property Act, R.S.N.S. 1989, c. 275, art. 12(1), 29.
Doctrine et autres documents cités
Bailey, Martha. « Limits on Autonomy », in Bill Atkin, ed., The International Survey of Family Law, Bristol, Jordan, 2010, 95.
Leckey, Robert. « A Common Law of the Family? Reflections on Rick v. Brandsema » (2009), 25 Rev. can. d. fam. 257.
Leckey, Robert. « Contracting Claims and Family Law Feuds » (2007), 57 U.T.L.J. 1.
McCamus, John D. The Law of Contracts, 3rd ed., Toronto, Irwin Law, 2020.
Rogerson, Carol. « Miglin v. Miglin, 2003 SCC 24 : “They are Agreements Nonetheless” » (2003), 20 Rev. can. d. fam. 197.
Rogerson, Carol. « Spousal Support Agreements and the Legacy of Miglin » (2012), 31 C.F.L.Q. 13.
Shaffer, Martha. « Developments in Family Law : The 2003‑2004 Term » (2004), 26 S.C.L.R. (2d) 407.
Shaffer, Martha. « Domestic Contracts, Part II : The Supreme Court’s Decision in Hartshorne v. Hartshorne » (2004), 20 Rev. can. d. fam. 261.
Shaffer, Martha, and Carol Rogerson. « Contracting Spousal Support : Thinking Through Miglin » (2003), 21 C.F.L.Q. 49.
Thompson, D. A. Rollie. « When is a Family Law Contract Not Invalid, Unenforceable, Overridden or Varied? » (2001), 19 C.F.L.Q. 399.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (les juges Ottenbreit, Caldwell et Schwann), 2021 SKCA 117, 463 D.L.R. (4th) 217, 61 R.F.L. (8th) 265, [2021] 11 W.W.R. 563, [2021] S.J. No. 381 (QL), 2021 CarswellSask 513 (WL), qui a infirmé une décision du juge Brown, 2019 SKQB 35, [2019] S.J. No. 56 (QL), 2019 CarswellSask 72 (WL). Pourvoi accueilli.
                    David A. Couture et Monica R. Couture, pour l’appelant.
                    Christopher N. H. Butz et M. Danish Shah, pour l’intimée.
                  Version française du jugement de la Cour rendu par
 
                    La juge Karakatsanis —
I.               Aperçu
[1]                              Dans le contexte du droit de la famille, les accords privés présentent des avantages et préoccupations uniques. D’une part, il convient d’encourager les parties à faire montre d’autonomie en réglant entre elles leurs affaires familiales, car elles sont généralement mieux placées que les tribunaux pour comprendre les besoins et circonstances spécifiques de leur rapports privés. D’autre part, les parties à des contrats conjugaux sont particulièrement vulnérables à l’injustice et à l’exploitation, en raison de l’environnement unique dans lequel ces contrats sont négociés et conclus. Par conséquent, la législation en matière de droit de la famille autorise normalement les juges à examiner les contrats conjugaux. Le degré de déférence accordé à un tel contrat aux termes de la loi applicable dépend souvent de la question de savoir s’il respecte certaines formalités légales, comme l’obtention par chacune des parties de conseils juridiques indépendants.
[2]                              Le présent pourvoi soulève la question de savoir comment les tribunaux devraient aborder et apprécier un contrat conjugal qui vise censément à soustraire les parties à un régime provincial de partage des biens familiaux, mais ne satisfait pas aux exigences légales qui permettraient à ce contrat de bénéficier de la présomption d’exécution. En particulier, le présent pourvoi pose la question de savoir si le cadre d’analyse que notre Cour a élaboré dans l’arrêt Miglin c. Miglin, 2003 CSC 24, [2003] 1 R.C.S. 303 — qui portait sur les aliments entre époux sous le régime fédéral de la Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, c. 3 (2e suppl.) — s’applique à juste titre à un tel contrat.
[3]                              La jurisprudence de notre Cour sur les contrats conjugaux, y compris l’arrêt Miglin, reconnaît que la rupture d’une relation conjugale est souvent marquée par des bouleversements émotionnels et qu’elle peut donner lieu à des vulnérabilités qui nuisent à l’équité de ces contrats. L’impact dévastateur d’une séparation signifie que les parties à un accord de séparation peuvent n’être [traduction] « pas en mesure de prendre des décisions à caractère permanent et exécutoire » (J. D. Payne et M. A. Payne, Dealing with Family Law : A Canadian Guide (1993), p. 78, cité dans Miglin, par. 74). L’arrêt Miglin et les arrêts qui l’ont suivi rappellent donc aux tribunaux qu’ils doivent aborder les contrats conjugaux avec prudence et tenir compte des importantes protections procédurales qui contribuent à garantir l’équité de l’accord conclu. En outre, bien que notre Cour soutienne depuis longtemps la liberté des parties de régler leurs affaires familiales en privé, on ne saurait permettre que le respect de cette liberté fasse échec à des objectifs d’ordre public consacrés dans la législation en matière de droit de la famille. Par conséquent, pour décider de l’importance à attribuer à un accord, le juge chargé de la révision examine généralement l’équité du processus de négociation et le contenu de l’accord, conformément au régime législatif.
[4]                              À l’instar d’autres lois provinciales sur les biens familiaux, la Loi sur les biens familiaux, L.S. 1997, c. F‑6.3 (LBF ou Loi), de la Saskatchewan prévoit, au départ, une présomption de répartition égale, mais permet aux conjoints de se soustraire au régime dans certaines circonstances (les dispositions pertinentes de la LBF sont reproduites en annexe des présents motifs). En particulier, la LBF reconnaît deux types de contrats conjugaux en matière de biens familiaux. Les « contrats familiaux » visés à l’art. 38 de la Loi sont présumés exécutoires s’ils respectent les formalités légales énoncées à cet article, notamment l’obligation pour chaque conjoint de reconnaître formellement, devant un avocat indépendant, qu’il est conscient de la nature et de l’effet des modalités du contrat. Le tribunal peut quand même tenir compte d’un contrat conjugal qui ne respecte pas les exigences légales énoncées à l’art. 38 et, en vertu de l’art. 40, lui donner « l’importance qu’il estime raisonnable ». Bien que la Loi prévoie au départ une présomption de répartition en parts égales, l’existence d’un accord écrit intervenu entre les conjoints est un facteur important pour déterminer si, dans les circonstances, il est juste et équitable de déroger à la répartition en parts égales (voir le par. 21(1) et l’al. 21(3)a)).
[5]                              L’accord en cause a été signé par des conjoints en instance de séparation à l’issue d’un mariage de trois ans. L’accord est simple : il prévoit essentiellement que chaque partie conservera les biens qu’elle détient en son nom et renoncera à tout droit sur les biens de l’autre, à l’exception du foyer familial et des objets ménagers. Comme il n’a pas été signé en présence d’avocats, l’accord n’est pas présumé exécutoire, mais le tribunal peut en tenir compte pour déterminer s’il y a lieu de déroger à la répartition en parts égales prévue à l’art. 21.
[6]                              Le juge de première instance a estimé que l’accord entre les conjoints ne liait pas les parties et a refusé de lui accorder quelque importance que ce soit. Il a ordonné à l’épouse de payer à l’époux plus de 90 000 $ (2019 SKQB 35). La Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur à cet égard et, appliquant le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Miglin, a conclu qu’il y avait lieu d’accorder beaucoup d’importance à l’accord (2021 SKCA 117, 463 D.L.R. (4th) 217). La Cour d’appel a réparti les biens familiaux en se servant de l’évaluation des biens effectuée par le juge de première instance à la date la plus rapprochée de la signature de l’accord, et elle a ordonné à l’époux de payer à l’épouse environ 5 000 $.
[7]                              Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le juge de première instance a commis une erreur. Mais je ne transposerais pas dans une loi provinciale sur les biens familiaux le cadre d’analyse de l’arrêt Miglin, qui s’inscrivait dans un contexte législatif différent. Bien que les tribunaux puissent dégager de cet arrêt des principes généraux utiles pour les guider dans l’examen des contrats conjugaux, l’arrêt Miglin n’est pas, et n’a jamais été conçu pour être, un cadre d’application générale permettant aux tribunaux de traiter tous les types de contrats conjugaux. Au contraire, l’opération d’interprétation du juge est tributaire de la loi applicable, et les différences qui existent entre le partage des biens et les aliments entre époux, les préoccupations relatives au partage des pouvoirs et les caractéristiques distinctives de la loi de la Saskatchewan commandent une méthode d’analyse adaptée.
[8]                              Pour déterminer s’il doit tenir compte d’un accord qui ne constitue pas un contrat familial visé par la LBF, le tribunal doit d’abord apprécier l’accord du point de vue de l’intégrité procédurale, lorsque des préoccupations de ce genre sont soulevées. En examinant l’intégrité du processus de négociation pour y déceler des pressions indues ou l’exploitation d’un rapport de force inégal ou d’une autre vulnérabilité, le juge peut déterminer si les parties ont conclu l’accord librement et en étant conscientes de son sens et de ses effets. Bien que des mesures de protection telle la communication de la situation financière et l’obtention de conseils juridiques indépendants offrent une protection essentielle dans le contexte du droit de la famille, elles ne sont pas exigées par la loi et leur absence, sans plus, ne permet pas de remettre nécessairement en question l’équité de l’accord. Étant donné le respect de l’autonomie de la volonté des conjoints consacré tant dans la législation que dans la jurisprudence, il y a lieu de tenir sérieusement compte d’un accord en application de l’art. 21 de la LBF, à moins que le tribunal ne soit convaincu que l’accord découle d’un processus de négociation injuste.
[9]                              Une fois convaincu qu’il y a lieu de tenir compte de l’accord, le tribunal peut en évaluer l’équité substantielle afin de déterminer l’importance qu’il y a lieu de lui accorder pour l’élaboration d’une ordonnance de répartition des biens. L’importance à accorder au contenu de l’accord dépend en fin de compte de ce qui est juste et équitable selon l’économie de la LBF.
[10]                          Je suis d’accord avec la conclusion de la Cour d’appel portant que l’accord était obligatoire et qu’il n’existait aucune préoccupation fondée quant à son équité. Une absence de conseils juridiques indépendants et de communication formelle peut souvent nuire à l’exercice d’un choix éclairé, mais elle n’était pas troublante en l’espèce, parce que l’époux ne pouvait faire état d’aucun préjudice en résultant : personne n’a suggéré que l’absence de ces garanties avait porté atteinte à l’intégrité du processus de négociation ou à l’équité de l’accord. Par conséquent, il y avait lieu de tenir sérieusement compte de l’accord. Mais le juge de première instance a fait erreur en concluant que l’accord ne liait pas les parties et en ne tenant pas compte de son contenu pour procéder à la répartition des biens. Et bien que la Cour d’appel ait conclu qu’il y avait lieu d’accorder une grande importance à l’accord, les biens familiaux ont été égalisés d’une manière qui allait à l’encontre de la volonté des parties, entraînant ainsi une injustice.
[11]                          Dans les circonstances, notamment la brièveté du mariage et les biens que chacune des parties possédaient avant le mariage, la simple entente concernant la conservation des biens personnels et la division en parts égales du foyer familial était juste et équitable, compte tenu des critères et des objectifs de la LBF. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler la décision de la Cour d’appel concernant la répartition des biens familiaux et de procéder à la répartition du foyer familial et des objets ménagers en fonction de leur valeur à la date du procès. Je suis d’avis d’ordonner à l’épouse de payer à l’époux la somme de 43 382,63 $.
II.            Contexte
[12]                          Diana Anderson et James Allan Anderson se sont séparés le 11 mai 2015 après trois ans de mariage. Il ne s’agissait pas d’un premier mariage pour l’un ou pour l’autre, et lorsqu’ils se sont mariés les deux époux possédaient déjà des biens considérables, y compris des maisons, des véhicules, des biens personnels, des RÉER et des pensions. Ils n’avaient pas d’enfant. Le 19 juillet 2015, les parties ont rencontré deux de leurs amis, qui ont réuni le couple pour discuter de la possibilité d’une réconciliation. Il est vite devenu évident que la réconciliation n’était pas envisageable. À la fin de la rencontre, les parties ont signé un accord de partage des biens familiaux, qui avait été préparé par l’épouse. Leurs deux amis en ont été témoins. Aucune information financière n’a été communiquée entre les parties, et ni l’une ni l’autre n’a obtenu de conseils juridiques indépendants avant de signer l’accord. Même si l’épouse lui a recommandé de [traduction] « réfléchir et de consulter un avocat », l’époux a refusé et a signé l’accord sur‑le‑champ (motifs de première instance, par. 79 (CanLII)).
[13]                          L’accord prévoit le partage de tous les biens familiaux à l’exception du foyer familial. Il prévoit en grande partie que les actifs et passifs respectifs des parties doivent rester séparés, à l’exception du foyer familial et d’une camionnette que l’épouse a accepté de rétrocéder à l’époux.
[14]                          Les deux parties avaient contribué à parts égales à la mise de fonds pour l’achat du foyer familial et elles avaient partagé en parts égales les coûts associés à la propriété de la maison, y compris l’hypothèque, les taxes et les services publics. Au moment de la séparation, la maison n’avait aucune valeur nette et les parties auraient subi une perte si elles l’avaient vendue. L’accord prévoit donc que le sort de la maison serait tranché plus tard. Les parties ont convenu de faire procéder à une évaluation de la maison et, si elles ne parvenaient pas à s’entendre sur sa répartition, de recourir à la médiation. Après la séparation, l’épouse a continué à vivre dans la maison et l’époux a continué à payer la moitié de l’impôt foncier jusqu’en juin 2017, et la moitié de l’hypothèque jusqu’au procès, en juin 2018.
[15]                          L’accord stipule également que l’épouse renoncerait à tout droit sur les intérêts commerciaux de l’époux. Au cours du mariage, l’époux avait investi dans Globe‑Elite Electrical Contractors Ltd., l’entreprise pour laquelle il travaillait. Considérant qu’il s’agissait d’un investissement irréfléchi, l’épouse a refusé de contribuer à l’achat des actions. Pour pouvoir investir, l’époux a emprunté une somme importante à sa sœur et a refinancé la maison qu’il possédait au moment du mariage. L’entreprise avait connu de piètres résultats au cours des années qui avaient précédé la séparation, mais avait affiché de [traduction] « très bons » résultats en 2015, au moment de la séparation, dégageant un bénéfice net pour l’entreprise (motifs de première instance, par. 27). Après 2015, [traduction] « il n’y a pas eu d’autres bonnes années et l’entreprise a essuyé des pertes chaque année subséquente » (par. 72).
[16]                          À la suite de la rencontre de réconciliation, les parties ont commencé à exécuter les modalités de l’accord. L’époux a récupéré ses meubles du foyer familial et a encaissé une partie de ses RÉER, et l’épouse a rétrocédé la camionnette à l’époux. Ce dernier n’a toutefois pas répondu aux tentatives de l’épouse de régler la question du foyer familial. L’avocat de l’épouse a communiqué par la suite avec l’époux pour lui demander d’officialiser l’accord conformément aux exigences de l’art. 38 de la LBF, ce qui aurait fait en sorte que l’accord aurait été présumé exécutoire. L’avocat de l’épouse a adressé à l’époux une autre lettre en vue d’obtenir l’évaluation des intérêts commerciaux de ce dernier. L’époux n’a pas donné suite à ces démarches. Il n’a pas non plus contesté ou répudié l’accord.
[17]                          Le 10 décembre 2015, l’épouse a déposé une requête en divorce dans laquelle elle réclamait les dépens, mais pas de pension alimentaire pour conjoint ni la répartition des biens. Le 5 mai 2017, près de 17 mois après que l’épouse eut déposé sa requête et près de 2 ans après la signature de l’accord, l’époux a déposé une réponse et une requête reconventionnelle dans laquelle il réclamait formellement la répartition des biens familiaux et soutenait qu’il avait signé l’accord sans avoir consulté d’avocat et sous la contrainte.
[18]                          Le juge de première instance a conclu que l’accord était inexécutoire, estimant [traduction] « très troublante » l’absence de conseils juridiques indépendants (par. 108). Il a conclu que l’accord s’apparentait [traduction] « davantage à un avant‑contrat qu’à un contrat », car il reportait à une date ultérieure le sort du foyer familial (par. 114; voir aussi le par. 109). Le juge de première instance n’a pas tenu compte du contenu de l’accord au moment de répartir les biens familiaux et il a plutôt procédé à une égalisation des biens familiaux en vertu de la LBF. Aux fins d’égalisation, le juge de première instance a établi la valeur de bon nombre des actifs et des dettes des parties en date de mai 2017, date de la requête reconventionnelle de l’époux, mais a évalué les pensions et les placements des parties, ainsi que le foyer familial à la date du procès en juin 2018. Au lieu de donner quelque importance que ce soit au contenu de l’accord, le juge de première instance a exercé le pouvoir discrétionnaire en equity que lui confère la LBF pour réduire de 8 000 $ le paiement d’égalisation dû par l’épouse, vu le refus de l’époux de discuter du foyer familial et de son retard à demander la répartition des biens, ce qui avait entraîné [traduction] « des dépenses et des soucis supplémentaires » pour l’épouse (par. 278). L’épouse s’est vu ordonner de verser à l’époux un paiement d’égalisation net de 62 646,98 $ et de lui transférer un RÉER d’une valeur de 37 089,69 $ ou de lui verser un autre paiement en espèces de 27 817,27 $, pour un total d’environ 90 000 $ (par. 280).
[19]                          La Cour d’appel de la Saskatchewan a annulé l’ordonnance du juge de première instance concernant la répartition des biens familiaux et les dépens, estimant qu’il avait commis plusieurs erreurs dans son interprétation de l’accord. Parmi les erreurs relevées, la Cour d’appel a statué que le juge de première instance avait accordé trop d’importance à l’absence de conseils juridiques indépendants, l’obtention de tels conseils n’étant pas requise par l’art. 40 de la LBF. Selon la Cour d’appel, l’accord était un contrat obligatoire, et non un avant-contrat et, compte tenu du cadre d’analyse de l’arrêt Miglin, elle a conclu qu’il y avait lieu de lui accorder une grande importance. La Cour d’appel a estimé que les biens familiaux devaient être évalués à la date la plus rapprochée de l’accord. Elle a réparti les biens familiaux en reprenant les valeurs que le juge de première instance avait établies en décembre 2015, date de la requête en divorce de l’épouse, et elle a ordonné à l’époux de verser 4 914,95 $ à l’épouse.
III.         Analyse
[20]                          Le présent pourvoi pose la question de savoir comment un juge devrait évaluer un accord qui ne respecte pas les exigences formelles d’un accord présumé exécutoire selon une loi provinciale sur les biens familiaux. Plus précisément, il s’agit de décider si le cadre d’analyse de l’arrêt Miglin devrait s’appliquer aux accords qui ne sont pas présumés obligatoires selon la LBF.
[21]                          Constatant le manque d’uniformité dans le traitement, par les juges de première instance, des accords qui ne répondent pas à la définition de « contrat familial », la Cour d’appel a établi le cadre applicable par les tribunaux pour déterminer l’importance à donner à un accord en vertu de l’art. 40 de la LBF. Le cadre proposé par la Cour d’appel vise dans un premier temps à déterminer si l’accord est valide selon les principes du droit des contrats. Si tel est le cas, il incombe à la partie qui cherche à discréditer l’accord de démontrer : (1) soit que le processus de négociation était entaché d’iniquités; (2) soit que le contenu de l’accord est inéquitable en ce qu’il déroge substantiellement aux objectifs de la LBF; (3) soit que des changements survenus depuis la conclusion de l’accord font en sorte que ce dernier ne reflète plus la volonté des parties au moment où il a été conclu ou qu’il n’est plus conforme aux objectifs de la loi. Si la partie qui conteste l’accord n’arrive pas à s’acquitter du fardeau qui lui incombe en ce qui concerne ces étapes, le tribunal doit accorder une grande importance à l’accord. Cette analyse reflète le cadre établi par notre Cour dans l’arrêt Miglin.
[22]                          L’époux soutient qu’il n’est pas opportun d’appliquer le cadre d’analyse de l’arrêt Miglin, compte tenu du pouvoir que l’art. 40 confère au tribunal de donner à un accord entre conjoints « l’importance » qu’il estime raisonnable. L’époux affirme que ce cadre d’analyse crée une présomption selon laquelle l’accord doit se voir accorder une grande importance à moins que la partie qui le conteste ne réussisse à le discréditer, et mine le vaste pouvoir discrétionnaire conféré par l’art. 40.
[23]                          Je reconnais qu’il n’est pas opportun d’importer sans modification en l’espèce le cadre d’analyse de l’arrêt Miglin, eu égard à l’économie de la LBF et à la nature de la répartition des biens familiaux. Néanmoins, les principes énoncés dans l’arrêt Miglin et dans d’autres décisions portant sur des contrats conjugaux contribuent à encadrer la façon dont les juges exercent le pouvoir discrétionnaire que leur confère l’art. 40 de la LBF. Je vais d’abord examiner ces décisions avant d’interpréter la loi saskatchewanaise.
[24]                          Enfin, je vais me pencher sur l’application de la Loi à l’accord en cause. Je vais d’abord déterminer si le juge de première instance a commis une erreur en concluant que l’accord n’était pas contraignant et en ne lui accordant aucune importance. J’estime que le juge a effectivement commis une erreur, et je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le contenu de l’accord devrait être sérieusement pris en compte lorsqu’il s’agit de rendre une ordonnance de répartition des biens en vertu de la Loi. Je vais ensuite examiner la répartition des biens effectuée par les juridictions inférieures et me pencher sur la réparation appropriée.
A.           Les contrats conjugaux : l’arrêt Miglin et les décisions ultérieures
[25]                          Un contrat conjugal est un accord conclu par des conjoints en vue d’organiser certains aspects de leurs affaires, qu’il s’agisse de la pension alimentaire pour enfants, de la garde des enfants, de la pension alimentaire pour conjoint ou du partage des biens familiaux. Un tel accord peut être conclu au début de la relation conjugale, au cours de celle‑ci ou au moment de la séparation. Au cours des deux dernières décennies, notre Cour a interprété des dispositions relatives à des contrats conjugaux dans diverses lois fédérales et provinciales, à commencer par l’arrêt Miglin, qui est au cœur de l’analyse de la Cour d’appel en l’espèce. Bien que certains principes d’application générale se dégagent de cette jurisprudence, celle‑ci révèle également que le juge doit axer sa démarche sur la loi dont il est saisi lorsqu’il examine un tel accord.
[26]                          Dans l’arrêt Miglin, les juges Bastarache et Arbour, s’exprimant au nom d’une majorité de la Cour, ont adopté un cadre contextuel pour déterminer l’importance à accorder aux accords de séparation portant sur les aliments entre époux en vertu de l’art. 15.2 de la Loi sur le divorce. Le paragraphe 15.2(4) oblige les juges à tenir compte de plusieurs facteurs pour rendre une ordonnance alimentaire au profit d’un époux, y compris l’existence d’une entente entre les époux, et le par. 15.2(6) précise que l’ordonnance alimentaire doit favoriser la réalisation de certains objectifs. La première étape du cadre d’analyse de l’arrêt Miglin porte sur l’équité au moment de la conclusion de l’accord. Elle comporte deux volets. Tout d’abord, le tribunal doit évaluer les « circonstances entourant la négociation et la conclusion de l’accord » pour déterminer s’il y avait de la vulnérabilité ou des conditions d’oppression qui ont eu une incidence sur le processus de négociation (par. 92; voir aussi le par. 81). Il s’agit notamment de vérifier si les parties ont retenu les services de professionnels, notamment de conseillers juridiques. Ensuite, le tribunal doit évaluer le contenu de l’accord pour déterminer si « à sa conclusion, l’accord était conforme pour l’essentiel aux objectifs généraux de la [l]oi » (par. 87).
[27]                          La deuxième étape du cadre d’analyse de l’arrêt Miglin porte encore une fois sur le contenu de l’accord au moment de son exécution pour déterminer s’il reflète toujours la volonté initiale des parties et s’il demeure conforme aux objectifs de la loi. Le tribunal se demande essentiellement si des changements survenus dans la situation des parties rendent aujourd’hui inique l’exécution de l’accord.
[28]                          Dans l’arrêt Miglin, l’analyse découlait du contexte des aliments entre époux et des dispositions applicables, des objectifs et de l’économie de la Loi sur le divorce. Comme notre jurisprudence l’a depuis reconnu, ces éléments contextuels limitent l’applicabilité du cadre d’analyse de l’arrêt Miglin dans d’autres contextes législatifs.
[29]                          Dans l’arrêt Hartshorne c. Hartshorne, 2004 CSC 22, [2004] 1 R.C.S. 550, le juge Bastarache, qui écrivait au nom des juges majoritaires de la Cour, a refusé de transposer le cadre d’analyse de l’arrêt Miglin pour interpréter le par. 65(1) de la Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, c. 128, de la Colombie‑Britannique qui autorisait les tribunaux à annuler un accord présumé exécutoire entre conjoints conclu au moment du mariage lorsque le partage des biens serait inéquitable au moment de la répartition (par. 13 et 42). Le juge Bastarache a conclu « qu’on déformerait la structure analytique » de la loi de la Colombie‑Britannique si l’on suivait « sans réserve l’arrêt Miglin » (par. 42). Dans l’affaire D.B.S. c. S.R.G., 2006 CSC 37, [2006] 2 R.C.S. 231, la Cour a examiné quatre affaires portant sur l’adjudication rétroactive d’une pension alimentaire pour enfants et, là encore, elle n’a pas transposé le cadre d’analyse de l’arrêt Miglin pour déterminer s’il y avait lieu de modifier un accord antérieur sur la pension alimentaire pour enfants conclu entre les parties, notant que deux des pourvois relevaient de la Loi sur le divorce, tandis que les deux autres relevaient du régime provincial de l’Alberta (par. 50‑53). La Cour a plutôt tenu compte du régime spécifique prévu par la loi (voir les par. 54 et 75‑79). Enfin, dans l’affaire L.M.P. c. L.S., 2011 CSC 64, [2011] 3 R.C.S. 775, notre Cour a refusé d’appliquer le cadre d’analyse de l’arrêt Miglin pour interpréter l’art. 17 de la Loi sur le divorce, jugeant que la formulation différente employée par le Parlement au par. 15(2) et à l’art. 17 justifiait une approche différente (par. 25 et 28).
[30]                          Renchérissant sur des commentaires de notre Cour, des auteurs de doctrine ont remis eux aussi en question l’élargissement de la seconde étape du cadre d’analyse de l’arrêt Miglin dans le contexte du partage des biens familiaux. Le versement d’aliments en faveur d’un conjoint est avant tout une obligation prospective et continue qui s’attache à la valeur future et repose en partie sur les moyens et les besoins : [traduction] « . . . à défaut d’autres indications, on suppose que la pension alimentaire pour conjoint est susceptible d’être modifiée pour tenir compte de l’évolution de la situation » (C. Rogerson, « Spousal Support Agreements and the Legacy of Miglin » (2012), 31 C.F.L.Q. 13, p. 34; voir aussi Miglin, par. 209, le juge LeBel, dissident, mais non sur ce point; Droit de la famille — 152477, 2015 QCCA 1618, par. 16 (CanLII); R. Leckey, « A Common Law of the Family? Reflections on Rick v. Brandsema » (2009), 25 Rev. can. d. fam. 257, p. 280). La répartition des biens familiaux, en revanche, est un exercice principalement rétrospectif : il consiste à dresser le bilan des biens possédés avant le début de la relation conjugale et acquis au cours de celle‑ci en tant que contributions antérieures donnant ouverture à un droit sur les biens (Leckey (2009), p. 280). La pertinence des changements survenus dans la situation après la conclusion de l’accord est beaucoup moins évidente dans le cas des accords de séparation portant sur la répartition des biens que dans celui de la pension alimentaire au profit d’un conjoint. Notre Cour a également reconnu cette distinction (voir Miglin, par. 76), ce qui explique en partie pourquoi nous n’avons jamais étendu totalement le cadre d’analyse de l’arrêt Miglin à la répartition des biens familiaux (voir Rick c. Brandsema, 2009 CSC 10, [2009] 1 R.C.S. 295, par. 39; Hartshorne, par. 42).
[31]                          Il ressort de cet examen que le cadre d’analyse de l’arrêt Miglin n’est pas une panacée pour tous les contrats conjugaux. Au contraire, l’analyse à entreprendre pour déterminer s’il faut accorder de l’importance à un contrat conjugal doit être définie en fonction du caractère distinct du régime législatif sous‑jacent. Cela est particulièrement vrai compte tenu de la structure constitutionnelle de notre pays : la pension alimentaire pour conjoint dans le contexte d’un divorce est régie par la Loi sur le divorce fédérale, alors que la répartition des biens familiaux, par exemple, relève de la compétence des provinces en matière de propriété et de droits civils. Importer d’emblée une analyse structurée fondée sur la législation fédérale pour interpréter une disposition discrétionnaire d’une loi provinciale risque de miner l’autorité législative de la province (D.B.S., par. 55; voir aussi M. Bailey, « Limits on Autonomy », dans B. Atkin, dir., The International Survey of Family Law (2010), 95, p. 97; Leckey (2009), p. 287).
[32]                          Néanmoins, notre Cour s’est appuyée de façon plus large sur les principes tirés de l’arrêt Miglin qui traitent de préoccupations communes aux contrats conjugaux. Bien que le juge Bastarache ait refusé d’appliquer directement le cadre d’analyse de l’arrêt Miglin dans les affaires Hartshorne et D.B.S., il s’est appuyé dans ces deux affaires sur les principes de l’arrêt Miglin, comme celui de la déférence devant être manifestée par les tribunaux à l’égard des contrats conjugaux, pour guider l’analyse à effectuer en vertu du régime législatif pertinent (voir D.B.S., par. 76; Hartshorne, par. 40 et 43‑45). Et, dans l’arrêt Rick, notre Cour s’est inspirée de l’arrêt Miglin lorsqu’elle a reformulé le concept d’entente abusive en common law « pour tenir compte du caractère particulier des ententes matrimoniales » (par. 43), reconnaissant qu’il existe une « obligation de communication franche et complète de tous les renseignements financiers pertinents » dans le processus de négociation (par. 47).
[33]                          Ainsi, bien que le cadre d’interprétation qu’il convient d’appliquer pour examiner un contrat conjugal soit tributaire de la loi soumise à l’examen du tribunal, on peut tirer de l’arrêt Miglin et de la jurisprudence subséquente de notre Cour des principes utiles pour faciliter cet examen judiciaire. Comme point de départ, les tribunaux devraient de façon générale encourager et favoriser les contrats conjugaux, dans les limites permises par le législateur, en l’absence de raison impérieuse de rejeter l’accord (Miglin, par. 46; D.B.S., par. 76; Rick, par. 45). Cette déférence découle de la reconnaissance du fait que l’indépendance économique, l’autonomie et la recherche d’un règlement définitif sont des objectifs importants dans le contexte du droit de la famille (Miglin, par. 28). Non seulement les parties sont-elles mieux placées que les tribunaux pour comprendre ce qui est juste dans le contexte de leur relation, mais le règlement privé des affaires familiales à l’extérieur du processus contradictoire permet d’éviter les frais et le tumulte des litiges prolongés (par. 45‑46; voir aussi Association de médiation familiale du Québec c. Bouvier, 2021 CSC 54, par. 44 et 134).
[34]                          Par contre, les négociations concernant les contrats conjugaux se déroulent dans un climat particulièrement difficile, souvent lors d’une période de stress émotionnel aigu « au cours de laquelle les parties, ou l’une d’elles, peuvent se sentir particulièrement vulnérables » (Miglin, par. 74; voir aussi Rick, par. 47; C. Rogerson, « Miglin v. Miglin, 2003 SCC 24 : “They are Agreements Nonetheless” » (2003), 20 Rev. can. d. fam. 197, p. 225). Dans ce contexte, la simple application des principes ordinaires de la validité des contrats peut s’avérer insuffisante pour apaiser les craintes de déséquilibre et d’exploitation (Miglin, par. 77; M. Shaffer, « Domestic Contracts, Part II : The Supreme Court’s Decision in Hartshorne v. Hartshorne » (2004), 20 Rev. can. d. fam. 261, p. 286). Les juges doivent plutôt aborder les règlements en droit de la famille en vue de trouver un équilibre entre, d’une part, les valeurs que représentent l’autonomie des parties contractantes et la certitude et, d’autre part, le souci d’équité. Essentiellement, les juges doivent examiner les contrats conjugaux en faisant montre d’une sensibilité particulière à l’égard des vulnérabilités qui peuvent exister dans le contexte du droit de la famille, sans présumer que les conjoints n’avaient pas la capacité de contracter simplement parce que l’accord a été négocié dans des conditions stressantes sur le plan émotionnel (Miglin, par. 82; voir aussi R. Leckey, « Contracting Claims and Family Law Feuds » (2007), 57 U.T.L.J. 1, p. 14; Bailey, p. 102 (citant l’iniquité sexospécifique qui peut découler de l’incapacité présumée de conclure un contrat dans un contexte émotionnel)).
[35]                          La préoccupation au sujet des vulnérabilités peut être contrée au moyen de garanties procédurales. Par exemple, la communication complète et franche de tous les renseignements financiers pertinents entre les parties peut contribuer grandement à apaiser les craintes d’asymétrie informationnelle (Rick, par. 47; Colucci c. Colucci, 2021 CSC 24, par. 51). De même, l’aide professionnelle, tels les conseils juridiques indépendants, peut être la marque d’un processus de négociation équitable (Miglin, par. 82; Rick, par. 60‑61), bien que l’effet réparateur de conseils juridiques lors de la négociation des contrats conjugaux ne doive pas être tenu pour acquis. Ainsi que l’a reconnu le juge La Forest, dissident dans l’arrêt Richardson c. Richardson, 1987 CanLII 58 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 857, le divorce est l’un des moments les plus stressants de la vie et il porte bien des gens à faire « des choses contraires au bon sens et qui sont loin d’être le fait d’adultes raisonnables, même lorsqu’ils ont recours à un conseiller juridique » (p. 883). Les tribunaux doivent tenir soigneusement compte des pressions financières et psychologiques qui caractérisent la relation, et éviter de simplement présumer que l’obtention de conseils juridiques met un contrat à l’abri de l’iniquité.
[36]                          La rigueur de l’examen auquel le tribunal soumet le contrat conjugal dépend de la loi habilitante. Certaines lois prévoient, par exemple, qu’un contrat conjugal ne peut être annulé que s’il est abusif (voir Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, c. F.3, par. 33(4)), alors que d’autres utilisent les termes « inéquitable » ou « influence indue » (voir Loi sur les biens matrimoniaux, L.R.N.‑B. 2012, c. 107, art. 43; Loi sur le patrimoine familial et l’obligation alimentaire, L.R.Y. 2002, c. 83, par. 2(4)). Quoi qu’il en soit, pour se prononcer sur le caractère équitable d’un contrat conjugal, on tient habituellement compte à la fois des circonstances entourant la conclusion du contrat et du contenu du contrat, lorsque la loi applicable permet un tel examen. Comme l’a mentionné la juge Abella dans l’arrêt Rick, par. 50 : « . . . en droit de la famille, la meilleure façon de protéger le caractère définitif d’une entente négociée est de veiller à son intégrité à la fois sur les plans procédural et substantiel, conformément au régime législatif applicable ».
[37]                          L’évaluation du contenu du contrat est généralement fonction du régime législatif applicable. Les objectifs et les critères de la loi fournissent un point de référence objectif permettant d’évaluer la compréhension subjective qu’ont les parties de ce qui est équitable et de limiter le risque qu’elles s’écartent de façon marquée des objectifs d’ordre public exprimés par le législateur. Le fait d’évaluer le contenu du contrat en fonction de la loi contribue à promouvoir une plus grande certitude pour les parties, qui peuvent s’appuyer sur les droits qui leur sont reconnus par la loi comme point de référence pour organiser leurs affaires personnelles (M. Shaffer et C. Rogerson, « Contracting Spousal Support : Thinking Through Miglin » (2003), 21 C.F.L.Q. 49, p. 61).
[38]                          En résumé, notre jurisprudence en matière de contrats conjugaux, à commencer par l’arrêt Miglin, valorise les principes de l’autonomie de la volonté des parties et de la certitude en encourageant les parties à organiser leurs affaires intimes sans avoir recours aux tribunaux. Mais les complexités émotionnelles de la dynamique familiale font qu’en matière familiale, les contrats ne sont pas des opérations ordinaires effectuées sans lien de dépendance. Le contexte unique dans lequel ces accords sont conclus oblige les tribunaux, pour assurer l’équité, à les aborder avec une conscience aiguë de leurs faiblesses potentielles, tout en tenant compte de l’intégrité du processus de négociation et du contenu du contrat.
B.            La Loi sur les biens familiaux de la Saskatchewan
[39]                          En l’espèce, la Cour d’appel n’a pas eu tort de se référer aux principes de l’arrêt Miglin pour encadrer l’exercice, par les juges, du pouvoir discrétionnaire que leur confère l’art. 40 de la LBF. Toutefois, elle n’a pas adapté comme il se doit l’analyse au régime législatif applicable.
[40]                          Le droit relatif aux biens familiaux a évolué en réponse à la conception moderne du mariage en tant que projet économique commun. En 1973, le juge Laskin (plus tard juge en chef) a reconnu dans une opinion dissidente que la contribution qu’une épouse avait apportée sous forme de travaux à l’égard d’un bien‑fonds enregistré au nom de son mari devrait lui donner droit en equity à une part de ce bien‑fonds (Murdoch c. Murdoch, 1973 CanLII 193 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 423, p. 450‑457). Cette opinion a jeté les bases de futurs arrêts comme Pettkus c. Becker, 1980 CanLII 22 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 834, et Peter c. Beblow, 1993 CanLII 126 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 980, dans lesquels notre Cour a élargi la doctrine de la fiducie par interprétation en common law dans le contexte du droit de la famille pour reconnaître qu’un apport non économique peut conférer à un conjoint le droit de revendiquer une part des biens accumulés au cours du mariage.
[41]                          De même, après des années de revendications de la part de groupes féministes, la législation en matière de biens familiaux a fait l’objet de réformes dans les années 1970 et 1980 pour reconnaître que [traduction] « le travail non rémunéré accompli par les femmes pour tenir la maison et s’occuper des enfants leur [donne] droit au partage des biens accumulés pendant le mariage » (M. Shaffer, « Developments in Family Law : The 2003‑2004 Term » (2004), 26 S.C.L.R. (2d) 407, p. 435). Grâce à ces [traduction] « gains obtenus de haute lutte », tous les régimes provinciaux canadiens en matière de partage des biens présument maintenant uniformément que les biens familiaux doivent être partagés en parts égales en cas d’échec du mariage, sous réserve d’exceptions et de l’exercice, par les tribunaux, de leur pouvoir discrétionnaire (Shaffer, p. 435; voir LBF, par. 21(1); Family Property Act, R.S.A. 2000, c. F‑4.7, par. 7(4); Family Law Act, S.B.C. 2011, c. 25, art. 81; Loi sur les biens familiaux, C.P.L.M., c. F25, art. 13; Loi sur les biens matrimoniaux (N.‑B.), art. 2; Family Law Act, R.S.N.L. 1990, c. F‑2, art. 19; Matrimonial Property Act, R.S.N.S. 1989, c. 275, par. 12(1); Loi sur le droit de la famille, L.T.N.‑O. 1997, c. 18, par. 36(1); Loi sur le droit de la famille (Ont.), par. 5(1); Family Law Act, S.P.E.I. 1995, c. 12, par. 6(1); Loi sur le patrimoine familial et l’obligation alimentaire (Yukon), par. 6(1)). Bien que la structure des lois varie d’une province à l’autre — par exemple en ce qui concerne le critère prévu par la loi lorsqu’il s’agit de déroger à l’égalisation (voir, p. ex., Loi sur le droit de la famille (Ont.), par. 5(6) (qui recourt à un critère fondé sur le caractère « inadmissible » de l’égalisation); Family Property Act (Alb.), par. 7(4) (qui recourt à un critère fondé sur le fait qu’une égalisation ne serait [traduction] « pas juste et équitable »)) —, toutes les lois reposent sur une présomption de répartition en parts égales.
[42]                          Toutefois, presque tous les régimes provinciaux en matière de biens familiaux permettent aux conjoints de se soustraire par contrat à l’application du régime par la conclusion d’un accord privé, à condition que leur accord respecte certaines exigences formelles, sauf le Québec (voir Code civil du Québec, art. 391; Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61, par. 83‑84). Au minimum, la plupart des régimes exigent que l’accord soit conclu par écrit et signé par les deux parties en présence d’un témoin pour que les biens familiaux puissent être exclus de la répartition prévue par la loi. Certains prévoient également des exigences supplémentaires, telles que la communication de renseignements financiers entre les parties (voir Family Law Act (C.‑B.), al. 93(3)(a); Loi sur le droit de la famille (T.N.‑O.), al. 8(4)a); Loi sur le droit de la famille (Ont.), al. 56(4)a); Family Law Act (Î.‑P.‑É.), al. 55(4)(a)) ou l’obtention de conseils juridiques indépendants (voir Family Property Act (Alb.), par. 38(2)). Ces formalités légales servent à faire comprendre aux conjoints l’importance de leur accord et à favoriser et à préserver la validité des règlements contraignants conclus en matière de biens familiaux (D. A. R. Thompson, « When is a Family Law Contract Not Invalid, Unenforceable, Overridden or Varied? » (2001), 19 C.F.L.Q. 399). L’accord qui satisfait aux exigences légales ne peut généralement être annulé que s’il est jugé foncièrement inéquitable ou abusif (voir, p. ex., Matrimonial Property Act (N.‑É.), art. 29; Family Law Act (C.‑B.), par. 93(5)).
[43]                          L’objet de la LBF de la Saskatchewan est de reconnaître que les soins à donner aux enfants, la gestion du ménage et l’apport financier constituent des responsabilités communes mutuelles aux conjoints et que la contribution de chacun des conjoints en vue d’assumer ces responsabilités est implicite dans une relation conjugale (voir l’art. 20). La Loi s’applique tant aux conjoints mariés qu’aux conjoints non mariés qui ont cohabité de façon continue pendant au moins deux ans (voir l’al. 2(1) « conjoint » c)). À l’instar d’autres lois provinciales, la LBF repose sur une présomption selon laquelle les biens familiaux sont répartis en parts égales une fois qu’un conjoint en fait la demande en vertu de la Loi (voir le par. 21(1)).
[44]                          Même alors, la LBF habilite le tribunal à déroger au partage égal lorsque la répartition prévue par la Loi serait injuste et inéquitable (voir les art. 21 et 22). Le paragraphe 21(3) énumère plusieurs facteurs dont le tribunal peut tenir compte pour procéder à cette évaluation, notamment tout accord écrit intervenu entre les conjoints (al. 21(3)a)), la durée de la cohabitation (al. 21(3)b)), la durée de la période de séparation des conjoints (al. 21(3)c)), la date d’acquisition des biens familiaux (al. 21(3)d)), la contribution d’un tiers pour le compte d’un conjoint à l’égard des biens familiaux (al. 21(3)e)), la contribution faite par un conjoint à la carrière ou à la perspective de carrière de l’autre conjoint (al. 21(3)f)), la mesure dans laquelle la situation financière et la capacité de gains de chacun des conjoints ont été touchées par la relation conjugale (al. 21(3)g)), les dettes ou obligations d’un conjoint (al. 21(3)o)) et tous autres faits ou circonstances pertinents (al. 21(3)q)). Dès lors qu’il est convaincu qu’il y a lieu en vertu de la loi de déroger à la répartition en parts égales, le tribunal peut ordonner la répartition qu’il estime juste et équitable (al. 21(2)c) et 22(2)c)). L’objectif primordial de l’analyse prévue par la loi est donc de déterminer un partage des biens juste et équitable compte tenu des circonstances particulières de la relation.
[45]                          Comme d’autres lois provinciales sur les biens familiaux, la LBF permet aux conjoints de se soustraire par contrat au régime et de régler les questions relatives aux biens au moyen d’un accord. La Loi fait une distinction entre un accord formel, appelé « contrat familial » dans celle‑ci, qui est présumé exécutoire entre les conjoints (art. 38), et les autres accords qui ne respectent pas les formalités prévues par la loi, mais qui peut quand même être pris en compte et se voir donner de l’importance par le tribunal en vue d’établir une répartition juste et équitable des biens (art. 40).
[46]                          Pour constituer un contrat familial au sens de l’art. 38, l’accord doit être établi par écrit et signé par chacun des conjoints en présence d’un témoin, et chaque conjoint doit reconnaître par écrit devant un avocat qu’il comprend la nature et l’effet du contrat, qu’il est conscient des droits que lui accorde la LBF et qu’il entend y renoncer. Une fois qu’il a été officialisé, le contrat familial est présumé soustraire les biens envisagés à la répartition établie selon le régime prévu par la loi (par. 24(1)). La législature a estimé que ces formalités constituaient des indicateurs suffisants d’un accord valide et d’un processus de négociation équitable, de sorte que le tribunal fera exécuter l’accord, à moins que la partie qui conteste l’accord ne puisse démontrer que celui‑ci est exorbitant ou créerait une injustice flagrante (par. 24(2)).
[47]                          L’article 40 indique clairement que le tribunal peut quand même tenir compte de tout accord qui ne respecte pas en totalité ou en partie les formalités exigées par l’art. 38 et « lui donner l’importance qu’il estime raisonnable ». Et même si les biens faisant l’objet d’un accord visé par l’art. 40 ne sont pas présumés être exemptés de la répartition, l’al. 21(3)a) de la Loi oblige le tribunal à tenir compte de tout accord écrit pour déterminer s’il serait injuste et inéquitable d’ordonner la répartition en parts égales. La Loi accorde donc une grande valeur à l’autonomie de la volonté des conjoints de conclure un accord en matière de partage des biens.
[48]                          Comment, alors, le tribunal devrait‑il aborder, en application de l’art. 40, l’accord qui n’est pas un « contrat familial »? D’entrée de jeu, le tribunal devrait être sensible à toute préoccupation concernant la validité de l’accord au regard des principes ordinaires du droit des contrats, étant donné qu’il lui manque une ou plusieurs des garanties formelles pour pouvoir être considéré comme un contrat familial. Si de telles questions se posent, le tribunal devra s’assurer de la validité de l’accord.
[49]                          En supposant que l’accord soit valide, l’attention du tribunal se porte ensuite sur la question de savoir si cet accord mérite d’être pris en compte dans l’analyse de l’égalisation. S’appuyant sur les principes généraux de l’arrêt Miglin et de la jurisprudence subséquente que j’ai évoqués, la question pertinente dans le cadre de la LBF est celle de savoir si des craintes justifiées ont été soulevées au sujet de la formation de l’accord, de telle sorte qu’il serait injuste d’en tenir compte. Pour démontrer qu’il n’y a pas lieu d’en tenir compte, une partie n’a pas besoin de répondre au critère strict pour s’opposer en common law au caractère exécutoire d’un contrat. Néanmoins, la partie qui conteste l’accord doit présenter des éléments de preuve tendant à indiquer que la formation de l’accord a été entachée de pressions indues, d’oppression ou d’exploitation d’un rapport de force inégal ou d’une autre vulnérabilité, ou encore qu’une lacune dans le processus de négociation a empêché les parties de comprendre un aspect essentiel du marché. Si le juge est convaincu qu’aucune préoccupation de ce genre n’est établie, l’accord peut être considéré comme représentant l’expression de la volonté des parties contractantes. Bien que des mesures comme l’obtention de conseils juridiques indépendants et la communication de renseignements financiers contribuent à assurer un processus de négociation équitable, elles ne font pas partie des exigences légales prévues à l’art. 40 de la LBF, et leur absence à elle seule n’est pas déterminante en ce qui concerne l’analyse.
[50]                          S’il est convaincu que l’accord est valide et que l’intégrité procédurale a été respectée, le tribunal peut alors tenir compte de l’accord pour déterminer les modalités appropriées de la répartition des biens. Étant donné l’importance primordiale que la loi et la jurisprudence accordent à l’autonomie de la volonté des conjoints en matière contractuelle, le contenu de l’accord qui représente la compréhension subjective qu’avaient les parties de la répartition des biens qu’elles jugeaient approprié dans le contexte de leur relation au moment de la séparation mérite d’être sérieusement pris en considération.
[51]                          En fin de compte, toutefois, l’importance accordée à un accord lorsqu’il s’agit de rendre une ordonnance de répartition des biens dépend de la mesure dans laquelle le contenu concorde avec ce qui est juste et équitable dans les circonstances, eu égard aux objectifs et aux facteurs du régime législatif. Le tribunal doit évaluer le contenu de l’accord dans le contexte de la LBF, en tenant notamment compte de la présomption initiale de répartition en parts égales énoncée dans la Loi et des considérations d’equity énoncées au par. 21(3) dont les juges doivent tenir compte afin de décider s’il est justifié dans les circonstances de déroger à la répartition en parts égales. D’autres dispositions peuvent également se révéler utiles. L’article 22, par exemple, prévoit qu’une dérogation à la répartition en parts égales du foyer familial n’est justifiée que dans des circonstances extraordinaires ou que dans le cas où la répartition en parts égales serait inéquitable pour le conjoint qui a la garde des enfants. L’article 23 exclut d’emblée certains biens de la répartition. Le critère applicable n’est cependant pas celui de la stricte conformité aux droits que la loi reconnaît aux conjoints, car cet examen risque d’entraver l’exercice par les parties du droit que la LBF leur reconnaît de conclure des accords privés concernant le partage de leurs biens (Leckey (2007), p. 13). La question est de savoir si la volonté autonome exprimée par les parties au moment de la séparation s’inscrit dans une gamme de possibilités justes et équitables envisagées par la LBF, en tenant compte des facteurs contextuels généraux énoncés au par. 21(3) et, si la chose est utile, d’autres dispositions.
[52]                          La façon dont le tribunal tient compte de l’accord est en fin de compte laissée à sa discrétion lorsqu’il rend une ordonnance en vertu du par. 21(2). Le fait que l’accord n’est pas un contrat familial au sens de l’art. 38 n’empêche pas le tribunal de l’accepter sans réserve lorsqu’il rend une ordonnance de répartition des biens, s’il est convaincu que cela est juste et équitable dans les circonstances. Mais même lorsqu’un accord déroge à la LBF d’une certaine façon, le tribunal peut tout de même respecter les parties de l’accord qu’il considère justes et équitables, tout en ignorant le reste.
[53]                          Maintenant que j’ai exposé ces principes, je vais appliquer ce cadre aux faits de la présente affaire.
IV.         Application
[54]                          L’accord est court et peu compliqué. Il reflète l’intention des parties d’effectuer une rupture nette de leur partenariat, et prévoit seulement la répartition entre eux du foyer familial et des objets ménagers, ainsi que la rétrocession d’une camionnette à l’époux par l’épouse. Cette rétrocession a déjà eu lieu.
[55]                          L’époux affirme qu’il a signé l’accord rapidement sans avoir obtenu de conseils juridiques ou avoir reçu communication de renseignements financiers. Il soutient que la Cour d’appel n’a pas fait preuve de suffisamment de déférence à l’égard des décisions discrétionnaires et des conclusions factuelles tirées par le juge de première instance au sujet de la communication et des conseils juridiques, de même que sur la question de savoir si les parties avaient conclu un accord valide.
[56]                          Les décisions des juges de première instance en matière de droit de la famille commandent généralement la déférence des cours d’appel sauf en cas d’erreur de droit, d’erreur importante dans l’interprétation de la preuve, de défaut d’examiner tous les facteurs pertinents, de considération d’un facteur qui n’est pas pertinent, ou lorsque la décision est erronée au point de créer une injustice (Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. C. (G.C.), 1988 CanLII 34 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 1073, p. 1077; Van de Perre c. Edwards, 2001 CSC 60, [2001] 2 R.C.S. 1014, par. 11‑14; Boston c. Boston, 2001 CSC 43, [2001] 2 R.C.S. 413, par. 73; Tysseland c. Tysseland, 2022 SKCA 39, par. 12 (CanLII), citant Ackerman c. Ackerman, 2014 SKCA 137, 451 Sask. R. 132, par. 23).
[57]                          Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le juge de première instance a commis une erreur en ne tenant pas compte des modalités de l’accord au moment de répartir les biens familiaux. Rien n’indique que l’accord n’était pas obligatoire, qu’une partie a profité de l’autre ou n’a pas compris l’entente. L’accord constituait donc un facteur pertinent qui méritait d’être sérieusement pris en considération, et le juge de première instance aurait dû décider si le contenu de l’accord était juste et équitable au regard du régime législatif.
A.           Validité de l’accord
[58]                          En l’espèce, la question pertinente à se poser concernant la validité de l’accord est de savoir s’il y a eu « accord des volontés », ou consensus ad idem, sur toutes les modalités essentielles de l’accord (voir Jedfro Investments (U.S.A.) Ltd. c. Jacyk, 2007 CSC 55, [2007] 3 R.C.S. 679, par. 16; J. D. McCamus, The Law of Contracts (3e éd. 2020), p. 31 et 97; voir aussi Tether c. Tether, 2008 SKCA 126, 314 Sask. R. 121, par. 62).
[59]                          Le juge de première instance a conclu que l’accord ressemblait davantage à un « avant‑contrat » parce qu’il reportait à une date ultérieure le règlement du sort du foyer familial et parce que l’avocat de l’épouse avait par la suite communiqué avec l’époux pour lui demander d’officialiser l’accord conformément à l’art. 38 et d’évaluer ses intérêts commerciaux. Le juge de première instance a estimé que ces dernières tentatives de communication affaiblissaient l’argument de l’épouse selon lequel l’accord était obligatoire. Il a aussi précisé que l’absence de conseils juridiques [traduction] « suffi[sait] à elle seule pour [le] rendre inexécutoire », même si, comme l’a estimé la Cour d’appel, on ne sait pas avec certitude si ses commentaires sur ce point se rapportaient à son analyse de l’accord au regard de l’art. 38 ou de l’art. 40 (motifs de première instance, par. 108; motifs de la C.A., par. 66). La Cour d’appel a conclu que le juge avait fait erreur sur tous les points, et que l’accord était obligatoire (par. 100).
[60]                          Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le juge de première instance a commis une erreur de principe en concluant qu’il ne s’agissait pas d’un accord obligatoire. L’accord des volontés des parties sur toutes les modalités essentielles ne signifie pas qu’elles ne peuvent pas reporter à plus tard le règlement final d’une question lorsqu’elles ont, comme en l’espèce, prévu dans leur accord un mécanisme détaillé et objectif pour la résoudre ultérieurement. L’accord stipulait que la maison serait rachetée ou vendue, que les parties en obtiendraient une évaluation indépendante, que les objets ménagers resteraient dans la maison ou seraient répertoriés et répartis et que les parties résoudraient tout litige par la médiation.
[61]                          Il n’est pas non plus nécessaire que l’accord règle toutes les questions de partage des biens entre les parties. Il y a une différence entre un accord partiel et un accord incomplet, et la Loi n’exige pas qu’un accord traite de toutes les questions relatives aux biens familiaux pour qu’on puisse lui donner de l’importance. Les conjoints peuvent par exemple s’entendre pour soustraire certains biens à la répartition en parts égales tout en stipulant que tous les autres biens seront partagés conformément à la LBF (voir, p. ex., le par. 24(3)).
[62]                          Enfin, il vaut la peine de préciser que, peu importe ce que le juge de première instance voulait dire par son observation sur l’absence de conseils juridiques, l’intervention d’un conseiller juridique n’est pas une condition indispensable au caractère exécutoire d’un accord visé à l’art. 40, comme c’est le cas selon l’art. 38. Je conviens en outre avec la Cour d’appel que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les tentatives ultérieures faites par l’épouse pour communiquer avec l’époux permettaient de penser que l’accord était un « avant‑contrat ». Rien n’indiquait que l’accord était conditionnel à la signature d’un accord formel ou qu’il ne constituait pas entre les parties d’un règlement définitif de la répartition de leurs biens familiaux.
[63]                          À mon avis, la Cour d’appel a conclu à juste titre que l’accord liait les parties.
B.            Intégrité du processus de négociation
[64]                          L’époux soutient qu’il serait inéquitable d’exécuter l’accord parce que les parties n’ont pas procédé à une communication formelle de leur situation financière ni consulté un conseiller juridique avant de le signer. Bien que le juge de première instance n’ait pas fait référence à la communication dans ses motifs, il a conclu que les parties [traduction] « connaissaient de toute évidence très peu la valeur des actifs et des dettes de l’autre » ou les droits que leur conférait la LBF (par. 111). L’époux suggère que la première partie de cette affirmation reflète la grande importance que le juge a accordée à l’absence de communication, ajoutant que la Cour d’appel aurait dû faire preuve de déférence à l’égard de cette conclusion. Mais la Cour d’appel a noté dans ses motifs que l’époux n’avait pas [traduction] « fait allusion à une communication inadéquate ou à une connaissance inégale de l’actif et du passif respectif des parties » au cours de la procédure (par. 103). En ce qui concerne la compréhension des parties, la Cour d’appel a mis en évidence des éléments de preuve qui révélaient que les parties avaient pris connaissance de leur situation financière respective au début du mariage (par. 114).
[65]                          En ce qui concerne l’absence de conseils juridiques, la Cour d’appel a fait remarquer que l’intervention d’un conseiller juridique n’est pas une exigence de l’art. 40 et que l’absence de consultation de conseillers juridiques en l’espèce n’avait pas créé d’iniquité, compte tenu de la durée relativement courte du mariage et de simplicité relative de l’accord (par. 104).
[66]                          Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que ni l’absence de communication ni le défaut de recevoir des conseils juridiques ne justifiaient le rejet de l’accord. Tout d’abord, la communication n’est pas une condition légale préalable à respecter pour reconnaître le caractère exécutoire d’un accord sous le régime de la LBF, même dans le cas d’un contrat familial. Le paragraphe 27(1) prévoit plutôt que le tribunal peut ordonner la communication de renseignements financiers entre les conjoints lorsqu’une requête a été introduite en vertu de la LBF. La présente espèce est donc différente de l’affaire Colucci, dans laquelle le régime de pension alimentaire pour enfants reposait entièrement sur la communication entre les parties (voir les par. 48‑50).
[67]                          Puisque la communication n’est pas une exigence de la loi, l’absence de communication n’est pertinente que si elle a compromis l’équité du processus de négociation. Comme l’a noté notre Cour à plusieurs reprises, la communication est essentielle en droit de la famille pour prévenir la désinformation et l’exploitation (voir Rick, par. 47; Colucci, par. 51). Dans les situations abusives, notre Cour a reconnu l’existence d’une obligation générale de communiquer pleinement et franchement tous les renseignements financiers pertinents dans les affaires de droit de la famille (Rick, par. 47). Toutefois, même pour ce qui est des règles de common law relatives aux situations abusives, l’objectif d’exiger la communication entre les parties contractantes est d’empêcher une partie d’induire l’autre en erreur ou d’exploiter une asymétrie d’information (par. 47‑48, 58 et 63). Le manque de communication ne justifie pas forcément en soi l’intervention du tribunal (par. 49). Le tribunal peut toutefois intervenir lorsque l’absence de communication est délibérée et accompagnée d’informations erronées, ou lorsqu’elle conduit à un accord qui déroge de façon marquée aux objectifs de la loi applicable (par. 53). En d’autres termes, l’accent est mis sur le préjudice résultant d’un accès inégal à l’information.
[68]                          En l’espèce, l’absence de communication ne s’est pas traduite par une injustice pour l’une ou l’autre des parties. Même si les parties ne connaissaient peut‑être pas la valeur exacte de leur actif et passif respectifs à la date de la séparation, aucune d’elles n’a prétendu que l’autre aurait dissimulé des renseignements importants ou l’aurait induite en erreur d’une autre manière. Il n’a pas non plus été allégué que la communication était nécessaire pour remédier à une asymétrie d’information résultant d’un déséquilibre des forces en présence dans la relation. En fait, l’époux n’a signalé aucun préjudice qu’il aurait subi en raison de l’absence de communication. La présente affaire est totalement différente par exemple de l’affaire Rick, dans laquelle notre Cour a annulé un accord de séparation lorsque le mari avait délibérément omis de communiquer des actifs importants et avait exploité psychologiquement son épouse, qui était mentalement instable, ce qui avait donné lieu à un accord qui dérogeait de façon marquée « aux objectifs inscrits dans les dispositions législatives pertinentes et à l’intention incontestée des parties de se diviser les biens en parts égales » (par. 53).
[69]                          Dans le même ordre d’idées, l’obtention de conseils juridiques n’était pas nécessaire en l’espèce pour assurer un processus de négociation équitable. En estimant [traduction] « très troublante » l’absence de conseils juridiques, le juge de première instance a insisté sur le rôle de l’avocat de contrer le déséquilibre du pouvoir de négociation qui peut par ailleurs « s’avérer déterminant » dans la négociation de contrats conjugaux lorsque les conjoints ne connaissent pas les droits que leur confère la loi (motifs de première instance, par. 108 et 99). Cependant, il n’y avait aucune preuve d’un tel déséquilibre entre les parties à la présente affaire. Ainsi que notre Cour l’a indiqué, il ne faut pas simplement présumer la vulnérabilité parce que les accords sont négociés et conclus dans un contexte de stress émotif; toute conclusion de vulnérabilité doit reposer sur la preuve (Miglin, par. 82)
[70]                          Il ne fait aucun doute, comme l’a reconnu le juge de première instance, que la participation des avocats est une mesure de protection importante pour s’assurer que les parties comprennent les modalités et l’effet de leur accord, de même que les droits qui leur sont reconnus par le régime législatif applicable et auxquels elles renoncent. Tout comme pour la communication de renseignements financiers, la participation d’avocats à la négociation d’un contrat conjugal aide à prévenir les préjudices découlant d’une vulnérabilité inhérente à la relation des parties ou au processus de négociation. Par exemple, l’obtention de conseils juridiques indépendants aide à compenser les déséquilibres ou les lacunes en matière d’information qui peuvent se traduire par un accord qui est sensiblement injuste pour l’une des parties ou les deux. De plus, l’obtention de conseils juridiques indépendants et la communication de renseignements financiers sont souvent interreliées sur le plan fonctionnel, en ce sens que les conseils juridiques peuvent jouer un rôle important dans la réalisation des avantages que présente une communication complète et franche. Par exemple, une partie qui ne bénéficie pas des conseils d’un avocat pourrait ne pas savoir qu’elle peut demander la communication et ne pas comprendre la signification juridique des actifs qui sont divulgués.
[71]                          En l’espèce, rien n’indique que les parties n’ont pas compris les modalités ou l’effet de leur accord. On n’a pas non plus affirmé que la relation des parties ou sa rupture était caractérisée par la vulnérabilité, le déséquilibre ou l’exploitation. Et même si les parties n’étaient peut‑être pas des experts en ce qui concerne le régime de répartition des biens établi par la LBF, l’équité de l’accord, évaluée ci‑dessous au regard de la Loi, constitue une indication fiable pour s’assurer que toute lacune en matière d’information n’a finalement pas causé de préjudice à l’un ou l’autre des conjoints. Je constate que l’épouse avait conseillé à l’époux de « réfléchir et de consulter un avocat » avant de signer l’accord, mais que l’époux a refusé et a signé l’accord sur‑le‑champ. Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire qu’en l’espèce, l’absence de conseils juridiques n’a pas [traduction] « supplanté l’autonomie de la volonté des parties contractantes » ni entraîné par ailleurs d’injustice dans le processus de négociation (par. 67).
[72]                          En résumé, il n’y a aucune raison de ne pas tenir compte de l’accord dans la répartition des biens familiaux. Les questions qui restent à trancher sont de savoir quelle importance il convient d’accorder au contenu de l’accord en application de l’art. 21, et si la répartition des biens effectuée par les juridictions inférieures était entachée d’une erreur justifiant l’infirmation de leur décision.
C.            Répartition des biens familiaux
[73]                          Le juge de première instance a fait abstraction du contenu de l’accord et a égalisé les biens familiaux conformément à la Loi. Ce faisant, il n’a pas tenu compte d’un facteur pertinent dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, et son ordonnance ne commande donc pas la déférence. Ses conclusions de fait n’ont toutefois pas été contestées. Pour égaliser les biens familiaux, le juge a tiré des conclusions sur la valeur des biens à trois dates possibles : la date de la requête en divorce de l’épouse (décembre 2015), la date de la requête reconventionnelle de l’époux en vue d’obtenir la répartition des biens en vertu de la LBF (mai 2017) et la date du procès (juin 2018). Il a égalisé la plupart des biens familiaux en utilisant les valeurs de mai 2017, mais a choisi juin 2018 comme date appropriée pour évaluer le foyer familial, les pensions et les investissements des parties, et les intérêts commerciaux de l’époux, parce que la valeur de ces actifs avait changé après la séparation en raison des forces du marché (motifs de première instance, par. 253, 261‑262 et 264‑265). Comme je l’ai déjà indiqué, le juge de première instance a finalement réduit le montant dû par l’épouse à l’époux de 8 000 $ pour tenir compte du silence de l’époux au cours des deux années qui ont suivi la conclusion de l’accord.
[74]                          Ayant déterminé que l’accord devait se voir accorder une grande importance, la Cour d’appel a cherché à lui donner effet en répartissant tous les biens familiaux à la date de la requête en divorce présentée par l’épouse en décembre 2015. L’époux soutient que le choix de cette date d’évaluation contrevient à la Loi, qui prévoit que la valeur des biens matrimoniaux est celle qu’ils avaient à la date où la requête est présentée en vertu de la Loi ou à la date où la décision est rendue (voir le par. 2(1) « valeur »). Selon l’époux, étant donné que l’épouse n’a pas demandé la répartition des biens familiaux dans sa requête en divorce, décembre 2015 n’est pas une date d’évaluation appropriée puisqu’aucune requête n’avait été présentée en vertu de la LBF à ce moment.
[75]                          À mon avis, la démarche adoptée tant par l’un que par l’autre tribunal pour répartir les biens familiaux comporte des lacunes, et ni l’une ni l’autre n’est juste et équitable à la lumière des modalités de l’accord, du régime établi par la LBF et du temps écoulé en l’espèce. Bien que le juge de première instance n’ait pas pris en compte le contenu de l’accord au moment de répartir les biens familiaux, la répartition effectuée par la Cour d’appel a sapé activement l’accord et créé une injustice. Cette iniquité ressort clairement si l’on considère deux actifs clés qui ont été évalués différemment par le juge de première instance et la Cour d’appel, avec d’importantes conséquences pour l’ordonnance définitive : le foyer familial et les intérêts commerciaux de l’époux. Les juridictions inférieures ont toutes les deux égalisé l’un de ces actifs d’une manière qui a abouti à un résultat injuste pour les parties et qui va à l’encontre de l’intention de l’accord.
[76]                          Examinons d’abord le foyer familial. Il est clair que la date d’évaluation retenue par la Cour d’appel a donné lieu à une ordonnance qui n’était pas juste et équitable, que cette date aille à l’encontre ou non du par. 2(1) de la Loi. Le juge de première instance a pour sa part évalué le foyer familial à la date du procès afin de donner à l’époux une part égale du patrimoine auquel il avait contribué sans interruption : il a continué à payer la moitié de l’hypothèque jusqu’à la date du procès en juin 2018. De plus, l’intention des parties, telle qu’exprimée dans l’accord, était de reporter à une date ultérieure le règlement de la question du foyer. Utiliser la valeur attribuée en décembre 2015 au foyer familial pour procéder à la répartition des biens familiaux priverait injustement l’époux de sa part dans la croissance de la valeur nette de la maison, porterait atteinte à la forte présomption de partage égal du foyer familial prévue par la Loi et contredirait sensiblement l’accord (voir les al. 21(3)a) et q) et le par. 22(1)). À cet égard, je suis d’accord avec le juge de première instance pour dire que l’époux devrait recevoir la moitié de la valeur nette de la maison à la date du procès.
[77]                          Pourtant, même si l’évaluation du foyer familial par le juge de première instance était appropriée, le partage des intérêts commerciaux de l’époux à l’une ou l’autre des dates retenues par les juridictions inférieures était très problématique. L’approche de la Cour d’appel permet à l’épouse de réaliser un gain fortuit en égalisant les intérêts en question à un moment où l’entreprise enregistrait des résultats inhabituellement bons, alors que les parties avaient convenu que l’épouse n’aurait aucun intérêt dans l’entreprise. Selon le dossier, 2015 est la seule année au cours de laquelle l’investissement de l’époux dans Globe‑Elite a généré un rendement positif net. Aux termes de l’accord, l’épouse avait renoncé à tous ses droits sur les intérêts commerciaux de l’époux au moment de la séparation, en juillet 2015, alors que la valeur de l’entreprise était à son apogée. L’entreprise a perdu de l’argent chaque année par la suite, et la valeur des intérêts de l’époux a baissé de 160 000 $ entre décembre 2015 et mai 2017 (motifs de première instance, par. 266). Le juge de première instance a estimé qu’il n’était pas [traduction] « juste, raisonnable ou approprié » d’utiliser l’évaluation élevée de Globe‑Elite en décembre 2015, compte tenu du ralentissement financier que l’entreprise avait connu par la suite (par. 181‑182). Je suis du même avis. Accorder à l’épouse une part gonflée de la participation de l’époux dans la société serait injuste pour l’époux et contredirait directement les intentions claires exprimées par les parties au moment de conclure leur accord.
[78]                          Mais alors qu’une date d’évaluation de décembre 2015 permettrait à l’épouse de réaliser un gain fortuit, la date d’évaluation de juin 2018 retenue par le juge de première instance la désavantagerait considérablement en l’obligeant à assumer une part du fardeau de la piètre performance de l’entreprise. Tout au long du mariage, l’épouse a manifesté son désaccord avec la décision de l’époux d’investir dans cette entreprise et a refusé de contribuer à l’achat d’actions. L’époux s’est lourdement endetté — en son nom personnel — pour financer cet investissement parce que l’épouse ne voulait pas y participer (voir l’al. 21(3)o)). Étant donné que la valeur de l’investissement n’a fait que diminuer au fil du temps, une date d’évaluation plus tardive profite financièrement à l’époux dans toute répartition de ces intérêts. Compte tenu du fait que l’époux a attendu près de deux ans pour contester l’accord et demander la répartition des biens, le choix d’une date d’évaluation qui non seulement compromet les termes de l’accord, mais récompense l’époux pour son retard produirait une ordonnance « injuste et inéquitable » dans les circonstances (voir le par. 21(2)). Tout comme l’épouse ne devrait pas participer aux profits enregistrés par l’entreprise, elle ne devrait pas non plus être tenue responsable des pertes subies par l’entreprise après la séparation.
[79]                          Comme la Cour d’appel a clairement mal appliqué la LBF, la question de la réparation appropriée se pose toujours. À mon avis, il ne servirait à rien de renvoyer la présente affaire pour qu’elle soit jugée de nouveau après tout ce temps. En conséquence, je passe à l’enjeu de l’application du régime législatif sur les biens en l’espèce. La première question est de savoir s’il serait juste et équitable en vertu de l’al. 21(3)a) de ne pas ordonner la répartition en parts égales, compte tenu de l’accord. Il y a lieu de tenir sérieusement compte de l’accord, étant donné qu’il reflète la conception qu’avaient les parties d’un partage équitable des biens dans le contexte de leur relation au moment de la séparation. À l’instar de la Cour d’appel, je suis d’avis que la solution proposée par les parties était juste et équitable au regard du régime législatif (par. 120).
[80]                          L’accord reflète l’intention des parties de se séparer en parts égales le foyer familial et les objets ménagers, conformément aux règles spéciales que la LBF établit à l’égard du foyer familial (voir le par. 22(1)), et garde essentiellement séparés les autres biens familiaux (y compris les placements, entreprises, pensions et dettes de chacune des parties). Comme l’a constaté le juge de première instance, au moment du mariage, les deux parties possédaient déjà des maisons, des véhicules, des économies et des biens personnels [traduction] « dans des proportions qui, sans être égales, n’étaient pas non plus déséquilibrées au point de constituer une alliance économique abusive » (par. 9 et 268) (voir l’al. 21(3)d)). Leur mariage a été de courte durée, et rien n’indique que l’une ou l’autre des parties ait contribué de manière disproportionnée aux responsabilités de leur partenariat ou ait souffert de sa rupture (voir les al. 21(3)b) et e) à g)). Dans ces conditions, il est juste et équitable de permettre à chaque partie de conserver ses propres biens et de renoncer à toute revendication sur les biens de l’autre.
[81]                          Outre le foyer familial et les objets ménagers, la répartition en parts égales des biens familiaux selon la LBF entraîne une injustice. Comme je l’ai déjà expliqué, les dates d’évaluation retenues par les deux juridictions inférieures pour un actif important ont défavorisé injustement une des deux parties, compte tenu surtout de l’accord. L’égalisation à laquelle les juridictions inférieures ont procédé a par ailleurs eu pour effet de partager d’autres biens importants que les parties avaient l’intention de garder séparés, comme les pensions et les RÉER des parties, qui constituent des biens personnels que chaque partie possédait avant le mariage et dont la valeur n’a naturellement fait qu’augmenter au fil du temps. Je ne vois pas pourquoi les parties devraient être forcées de partager cette plus‑value deux ans après leur séparation, ce qui serait le résultat présumé si l’on appliquait la Loi. À l’exception du foyer familial, des intérêts commerciaux de l’époux et des pensions et placements personnels des parties, le reste des biens familiaux est constitué principalement d’outils, de bijoux et de comptes bancaires qui n’ont pas de valeur significative par rapport aux autres actifs.
[82]                          Il serait également inéquitable d’égaliser les biens familiaux en l’espèce compte tenu du retard de l’époux à contester l’accord. À la date du procès, en juin 2018, les parties ne faisaient plus vie commune depuis presque aussi longtemps qu’elles avaient été mariées (voir l’al. 21(3)c)). Le dossier indique qu’à ce moment‑là, les parties considéraient depuis près de deux ans que leurs affaires pouvaient être résolues au moyen d’un accord, comme le montrent leurs agissements entre la date de l’accord et la requête reconventionnelle de l’époux (voir l’al. 21(3)a)). L’époux a récupéré ses meubles qui se trouvaient dans le foyer familial et a encaissé une partie de ses RÉER, et l’épouse a rétrocédé la camionnette à l’époux et a vendu une remorque qu’elle utilisait avec l’époux pendant le mariage (motifs de la C.A., par. 78 et 122). Le comportement de l’époux a amené l’épouse à croire que la question de la répartition des biens avait été réglée, de sorte qu’elle n’a pas réclamé la répartition des biens dans sa requête en divorce. Tout retard dans l’évaluation des actifs ne profite donc qu’à l’époux, étant donné les changements opérés dans la valeur d’actifs importants après la séparation. Selon moi, il serait injuste que l’époux bénéficie du retard qu’il a causé.
[83]                          Je suis d’avis que l’accord devrait être exécuté conformément à ses modalités, comme l’a demandé l’épouse devant la Cour d’appel (bien que, devant notre Cour, elle ait tenté de faire confirmer la répartition des biens ordonnée par la Cour d’appel). Comme la Cour d’appel l’a reconnu, cette solution [traduction] « présente une certaine logique et un certain attrait » (par. 132). Les parties étaient les mieux placées pour organiser les biens familiaux limités découlant de leur bref mariage et, compte tenu de toutes les circonstances, la solution la plus juste et la plus équitable consiste à donner effet à leur accord peu compliqué.
[84]                          Les seuls biens dont l’accord prévoyait la répartition étaient le foyer familial et les objets ménagers. Je limiterais le calcul de l’égalisation à ces seuls actifs. Comme je l’ai déjà indiqué, il était équitable d’évaluer le foyer familial à la date du procès, compte tenu de la contribution constante de l’époux au paiement de l’hypothèque et des modalités de l’accord de séparation. Aucune circonstance ne justifie que l’on déroge à la forte présomption de répartition égale du foyer familial prévue par la LBF (voir le par. 22(1)). La répartition des biens en question selon leur valeur au moment du procès se solde pour l’épouse en une dette de 43 382,63 $ envers l’époux.
V.           Dispositif
[85]                          Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler la décision de la Cour d’appel concernant la répartition des biens familiaux et d’ordonner à l’épouse de payer à l’époux la somme de 43 382,63 $. Comme les deux parties obtiennent partiellement gain de cause devant notre Cour, chacune d’elles supportera ses propres dépens devant notre Cour.

 
ANNEXE
Répartition des biens matrimoniaux
21(1) Sur requête d’un conjoint sollicitant la répartition des biens familiaux, le tribunal doit, sous réserve des exceptions, exemptions et considérations d’equity mentionnées dans la présente loi, ordonner la répartition à parts égales entre les conjoints des biens familiaux ou de leur valeur.
(2) Sous réserve de l’article 22, le tribunal étant convaincu, compte tenu des facteurs mentionnés au paragraphe (3), qu’il serait injuste et inéquitable d’ordonner la répartition à parts égales des biens familiaux ou de leur valeur peut, selon le cas :
a) refuser d’ordonner la répartition;
b) ordonner que tous les biens familiaux ou leur valeur soient attribués à un conjoint;
c) rendre toute autre ordonnance qu’il estime juste et équitable.
(3) Pour l’application du paragraphe (2), le tribunal tient compte :
a) de tout accord écrit intervenu entre les conjoints ou entre l’un des conjoints ou les deux et un tiers;
b) de la durée de la cohabitation;
c) de la durée de la période de séparation des conjoints;
d) de la date d’acquisition des biens familiaux;
e) de la contribution, notamment financière, directe ou indirecte d’un tiers pour le compte d’un conjoint à l’égard de l’acquisition, de l’aliénation, de l’exploitation, de la gestion ou de l’utilisation des biens familiaux;
f) de la contribution directe ou indirecte faite par un conjoint à la carrière ou à la perspective de carrière de l’autre conjoint;
g) de la mesure dans laquelle la situation financière et la capacité de gains de chacun des conjoints ont été touchées par les responsabilités et autres circonstances [de la] relation conjugale;
h) du fait qu’un conjoint :
(i) a consenti à un tiers un don considérable de biens,
(ii) a transféré des biens à un tiers qui n’est pas acquéreur de bonne foi à titre onéreux;
i) d’une répartition antérieure des biens familiaux entre les conjoints par voie de don ou d’entente ou conformément à une ordonnance rendue par un tribunal compétent avant ou après l’entrée en vigueur de la présente loi . . .;
j) de l’obligation fiscale qui peut être supportée par un conjoint par suite du transfert ou de la vente de biens familiaux ou d’une ordonnance rendue par le tribunal;
k) du fait qu’un conjoint a dilapidé des biens familiaux;
l) sous réserve du paragraphe 30(3), de tout avantage qu’a reçu ou que peut recevoir le conjoint survivant par suite du décès de son conjoint;
m) des aliments versés en faveur d’un enfant;
n) des intérêts des tiers dans les biens familiaux;
o) des dettes ou des obligations d’un conjoint, y compris les dettes payées pendant la relation conjugale;
p) de la valeur de biens familiaux situés à l’extérieur de la Saskatchewan;
q) de tous autres faits ou circonstances pertinents.
Répartition du foyer conjugal
22(1) Lorsque le foyer familial fait l’objet d’une requête sollicitant une ordonnance en vertu du paragraphe 21(1), le tribunal, compte tenu de toute incidence fiscale, de tout grèvement ou autre dette ou obligation ayant trait au foyer familial, répartit entre les conjoints le foyer familial ou sa valeur en parts égales, sauf s’il est convaincu:
a) que la répartition serait injuste et inéquitable, compte tenu uniquement de toute circonstance extraordinaire;
b) que la répartition serait injuste et inéquitable pour le conjoint qui a la garde des enfants.
. . .
Biens exclus de la répartition
23(1) Sous réserve du paragraphe (4), la juste valeur marchande au commencement de la relation conjugale des biens familiaux autres qu’un foyer familial ou des objets ménagers est exclue de la répartition effectuée en vertu de la présente partie si, selon le cas, ces biens:
a) ont été acquis avant le commencement de la relation conjugale par un conjoint du fait d’un don consenti par un tiers, sauf s’il peut être démontré que le don a été accordé dans l’intention de bénéficier aux deux conjoints;
b) ont été acquis avant le commencement de la relation conjugale par un conjoint du fait d’un héritage, sauf s’il peut être démontré que l’héritage a été accordé dans l’intention de bénéficier aux deux conjoints;
c) appartenaient à un conjoint avant le commencement de la relation conjugale.
(2) Sous réserve du paragraphe (4), les biens acquis du fait d’un échange de biens mentionnés au paragraphe (1) sont exclus de la répartition effectuée en vertu de la présente partie jusqu’à concurrence de la juste valeur marchande au commencement de la relation conjugale des biens originaux mentionnés au paragraphe (1).
(3) Sous réserve du paragraphe (4), les biens matrimoniaux autres qu’un foyer familial ou des objets ménagers sont exclus de la répartition effectuée en vertu de la présente partie, si ces biens:
a) constituent un dédommagement ou un règlement d’un préjudice civil en faveur d’un conjoint, sauf si le dédommagement ou le règlement représente la réparation pour une perte subie par les deux conjoints;
b) sont de l’argent payé ou payable en vertu d’une police d’assurance qui n’est ni payé ni payable à l’égard des biens, sauf si la somme assurée représente la réparation pour une perte subie par les deux conjoints;
c) ont été acquis après le prononcé d’un jugement conditionnel de divorce, d’une déclaration de nullité de mariage ou d’un jugement de séparation judiciaire rendu à l’égard des conjoints ou, dans le cas où les conjoints sont conjoints au sens de l’alinéa c) de la définition de “conjoint” au paragraphe 2(1), les biens acquis plus de 24 mois suivant la fin de la cohabitation;
d) ont été acquis du fait d’un échange de biens mentionnés au présent paragraphe;
e) représentent la plus-value de biens ou un revenu tiré de biens ainsi que des biens acquis par un conjoint auxquels est ajouté la plus-value ou le revenu tiré des biens mentionnés au présent paragraphe.
(4) Le tribunal étant convaincu que l’exclusion de biens de la répartition serait injuste et inéquitable peut rendre l’ordonnance qu’il estime juste et équitable à l’égard des biens familiaux mentionnés au présent article.
(5) Pour rendre l’ordonnance visée au présent article, le tribunal tient compte:
a) des questions mentionnées aux alinéas 21(3)a) à p);
b) des contributions de quelque nature que ce soit que les conjoints ont faites avant le commencement de leur relation conjugale à leur relation, à leurs enfants ou à leurs biens;
c) de la contribution, notamment financière, faite directement ou indirectement par un conjoint à l’égard de l’acquisition, de l’aliénation, de la préservation, de l’entretien, de l’amélioration, de l’exploitation, de la gestion ou de l’utilisation des biens mentionnés au présent article;
d) de la quantité d’autres biens qui peuvent être répartis;
e) de tous autres faits ou circonstances pertinents.
(6) Tous les biens familiaux ne sont présumés répartissables que s’il est établi d’une manière que le tribunal estime suffisante qu’il s’agit de biens mentionnés au présent article.
Exclusion de biens visés par un contrat familial
24(1) Sous réserve du paragraphe (2), mais par dérogation à toute autre disposition de la présente loi, sont exclus de la répartition effectuée en vertu de la présente partie les biens familiaux, y compris un foyer conjugal et les objets ménagers, qui sont répartis ou aliénés sous le régime d’un contrat familial ou dont un contrat familial prévoit la possession, le statut ou la propriété.
(2) Le tribunal qui estime qu’au moment de sa conclusion le contrat familial était exorbitant ou créait une injustice flagrante peut répartir les biens ou leur valeur conformément à la présente loi comme si le contrat familial n’existait pas, mais tenir compte du contrat familial et lui donner l’importance qu’il estime raisonnable.
. . .
Contrats familiaux
38(1) Sous réserve de l’article 24, les clauses du contrat familial mentionnées au paragraphe (4) sont obligatoires entre les conjoints, que le contrat soit assorti ou non d’une contrepartie valable, si les conjoints ont conclu un contrat familial :
a) portant sur la possession, le statut, la propriété, l’aliénation ou la répartition des biens matrimoniaux, y compris les biens familiaux futurs;
b) établi par écrit et signé par chacun des conjoints en présence d’un témoin;
c) dans lequel chaque conjoint a reconnu par écrit, mais séparément de l’autre conjoint :
(i) qu’il est conscient de la nature et de l’effet du contrat,
(ii) qu’il est conscient des réclamations futures éventuelles relatives aux biens qu’il pourrait présenter en vertu de la présente loi,
(iii) qu’il entend renoncer à ces réclamations dans la mesure nécessaire pour donner effet au contrat.
(2) Le conjoint fait la reconnaissance mentionnée au paragraphe (1) devant un avocat autre que celui qui représente l’autre conjoint ou devant qui la reconnaissance est faite par l’autre conjoint.
(3) La clause nulle ou annulable d’un contrat familial peut être dissociée des autres clauses du contrat.
(4) Le contrat familial peut:
a) prévoir la possession, la propriété, la gestion ou la répartition de biens familiaux entre les conjoints à tout moment, notamment:
(i) à la séparation des conjoints,
(ii) à la dissolution du mariage,
(iii) lors de la déclaration de nullité du mariage;
b) s’appliquer aux biens familiaux appartenant aux deux conjoints ou à chacun d’eux au moment de la conclusion du contrat ou après;
c) être conclu par deux personnes en vue du commencement de leur cohabitation dans une relation conjugale, mais n’être exécutoire qu’après le commencement de leur cohabitation.
(5) Sans que soit limitée la généralité du paragraphe (4), les parties à un contrat familial conclu à compter du 4 juin 1986 peuvent prévoir que, malgré le Régime de pensions du Canada, les gains ouvrant droit à pension non rajustés en vertu de cette loi ne pourront être répartis entre elles.
(6) Un contrat familial ayant été conclu en vertu du présent article, les conjoints peuvent conclure un autre contrat modifiant ou annulant le contrat antérieur, et le contrat subséquent, s’il est conclu conformément au présent article, prime le contrat antérieur.
. . .
Accords conclus entre les conjoints
40 Dans une instance introduite sous le régime de la présente loi, le tribunal peut tenir compte de tout accord, verbal ou non, entre les conjoints qui n’est pas un contrat familial et lui donner l’importance qu’il estime raisonnable.
                    Pourvoi accueilli.
                    Procureurs de l’appelant : Legal Aid Saskatchewan, Regina Rural Area Office, Regina; Kanuka Thuringer, Regina.
                    Procureurs de l’intimée : Butz & Company, Regina.


Synthèse
Référence neutre : 2023CSC13 ?
Date de la décision : 12/05/2023

Parties
Demandeurs : Anderson
Défendeurs : Anderson
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 12 mai 2023, Anderson c. Anderson, 2023 CSC 13


Origine de la décision
Date de l'import : 13/05/2023
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2023-05-12;2023csc13 ?

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