Hartshorne c. Hartshorne, [2004] 1 R.C.S. 550, 2004 CSC 22
Robert Kenneth Hartshorne Appelant
c.
Kathleen Mary Mildred Hartshorne Intimée
Répertorié : Hartshorne c. Hartshorne
Référence neutre : 2004 CSC 22.
No du greffe : 29531.
2003 : 6 novembre; 2004 : 26 mars.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel, Deschamps et Fish.
en appel de la cour d’appel de la colombie-britannique
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (2002), 6 B.C.L.R. (4th) 250, 220 D.L.R. (4th) 655, 174 B.C.A.C. 129, 31 R.F.L. (5th) 312, [2002] B.C.J. No. 2416 (QL), 2002 BCCA 587, qui a confirmé une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (2001), 89 B.C.L.R. (3d) 110, [2001] B.C.J. No. 409 (QL), 2001 BCSC 325, et [1999] B.C.J. No. 2861 (QL). Pourvoi accueilli, les juges Binnie, LeBel et Deschamps sont dissidents en partie.
Megan Rehill Ellis, pour l’appelant.
Charlene E. Le Beau, pour l’intimée.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Iacobucci, Major, Bastarache, Arbour et Fish rendu par
Le juge Bastarache —
I. Introduction
1 Le régime applicable aux biens matrimoniaux en Colombie‑Britannique autorise expressément la conclusion de contrats familiaux. Ces contrats permettent aux époux de substituer un régime consensuel au régime légal auquel ils seraient par ailleurs assujettis. À l’instar du régime légal lui‑même, les contrats familiaux sont cependant soumis à l’intervention des tribunaux lorsque, à la suite d’un examen des divers facteurs énumérés à l’art. 65 de la Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, ch. 128 (la « Loi » ou la « FRA »), leurs clauses en matière de partage des biens sont jugées inéquitables au moment d’effectuer ce partage.
2 Il s’agit de savoir, en l’espèce, si un contrat de mariage régissant le partage des biens, que des parties ont conclu — en l’absence de contrainte, de pression ou d’abus d’influence — , après avoir reçu des avis juridiques indépendants, peut être subséquemment jugé inéquitable et annulé pour le motif qu’il n’accorde rien [traduction] « en échange du sacrifice [qu’une partie] a consenti en abandonnant [l]a pratique du droit et en retardant [. . .] l’avancement de sa carrière », et ce, en dépit du fait qu’il maintient le droit aux aliments entre époux. Les parties au pourvoi soulèvent également les questions de savoir si un contrat conclu au moment du mariage ou avant celui‑ci devrait être assujetti au même examen en appel qu’un accord de séparation, et s’il y a lieu de passer outre à un contrat de mariage dont les clauses relatives au partage des biens sont jugées inéquitables au moment d’effectuer ce partage.
3 L’appelant et l’intimée ont commencé à cohabiter en 1985, dans le cadre d’une liaison amoureuse qui avait débuté en 1982. Leur premier enfant est né en juillet 1987 et les parties se sont mariées le 11 mars 1989 (un second mariage dans les deux cas). Leur deuxième enfant est né en novembre 1989. Les parties se sont séparées en janvier 1998 et ont divorcé le 29 juillet 1999.
4 L’appelant est âgé de 57 ans et a été admis au Barreau de la Colombie‑Britannique en 1972. Il verse des aliments pour deux enfants nés d’un mariage antérieur, en 1976 et en 1979. L’intimée est âgée de 50 ans et a été admise au Barreau de la Colombie‑Britannique en 1981. Elle a été stagiaire au cabinet de l’appelant et y a pratiqué comme associée jusqu’en juin 1987, date de son départ pour un congé de maternité. À l’époque, elle touchait un salaire annuel de 48 000 $. Depuis, l’intimée est restée à la maison pour se consacrer entièrement à ses deux enfants, dont l’un nécessite des soins particuliers. Ce n’est qu’après la séparation du couple que l’intimée a fait les démarches nécessaires pour pouvoir retourner à la pratique du droit.
5 Avant le mariage, l’appelant avait clairement dit à l’intimée que, en raison du partage des biens qu’il avait dû faire lors de sa séparation d’avec sa première femme, il ne consentirait jamais à un deuxième partage. Lorsqu’il a épousé l’intimée, l’appelant possédait déjà plusieurs biens dont une maison, deux propriétés de plaisance, des REER et des économies, ainsi que son cabinet d’avocats. La valeur de ses biens était d’environ 1,6 million de dollars. Au moment de son mariage, l’intimée ne possédait aucun bien et était plutôt lourdement endettée.
6 L’appelant a fait préparer un contrat de mariage (le « contrat ») qui stipulait clairement que les parties se mariaient sous le régime de la séparation de biens. Le contrat prévoyait toutefois que, pour chaque année de mariage, l’intimée acquerrait un intérêt de 3 pour 100 dans la résidence familiale, et ce, jusqu’à un maximum de 49 pour 100. Les parties ont obtenu des avis juridiques indépendants. L’intimée a été avisée par son avocat que le contrat était inéquitable et que les tribunaux l’annuleraient probablement si le couple se séparait. Devant l’insistance de l’appelant, l’intimée a néanmoins signé le contrat (après y avoir apporté quelques petites modifications) le jour de leur mariage.
7 Après 12 années et demie de cohabitation, dont neuf en tant qu’époux, les parties se sont séparées en janvier 1998. Pendant les procédures de divorce, il a été question de la garde et des droits de visite, des aliments de l’épouse et de ceux des enfants, ainsi que du partage des biens. L’appelant a invoqué le contrat dans le but de se soustraire au régime légal applicable aux biens familiaux, alors que l’intimée considérait que le tribunal devait soit annuler le contrat en application de certains principes de common law, soit procéder à une redistribution des biens familiaux en raison de l’iniquité du contrat.
8 L’équité est le principal objectif d’intérêt public qui guide les tribunaux en matière de partage des biens à la rupture du mariage en Colombie‑Britannique; l’équité est assurée en examinant, à la lumière des facteurs énumérés à l’art. 65 FRA, la présomption de droit au partage établie dans la Loi elle‑même ou encore le contrat privé des parties. Pour donner effet à l’intention du législateur, les tribunaux doivent encourager les parties à conclure des contrats de mariage équitables et à réagir aux changements de circonstances de leur mariage en procédant, si nécessaire, à l’examen et à la révision de leurs contrats afin d’en assurer l’équité.
9 La jurisprudence et la doctrine s’accordent généralement sur le fait que les tribunaux devraient respecter les arrangements privés que les époux prennent au sujet du partage de leurs biens à la rupture de leur relation. Cela vaut particulièrement lorsque le contrat en question a été négocié sur la foi de conseils juridiques indépendants. Il va sans dire que le problème est de déterminer l’approche qui doit être adoptée, au moment de la répartition des biens, pour décider ce qui est équitable sous le régime de l’art. 65 FRA. Étant donné qu’un contrat familial déroge au régime légal, il est évident qu’on ne peut pas déterminer s’il est équitable en se fondant uniquement sur sa compatibilité avec ce régime. En fait, le par. 65(1) prévoit également une redistribution judiciaire fondée sur l’équité dans les cas prévus au par. 56(2). En l’espèce, l’appelant fait valoir qu’en réalité c’est parce qu’il dérogeait au régime légal que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que le contrat était inéquitable. Après avoir examiné ses clauses et les dispositions de la FRA, j’estime que le contrat était équitable au moment de la répartition des biens.
II. Aperçu de la Family Relations Act
10 La partie 5 de la FRA traite du partage des biens à la rupture du mariage. Elle établit des droits présomptifs qu’un tribunal peut, sur demande, examiner pour déterminer si le partage qui en résulte est équitable. Si, dans un cas donné, le partage résultant de la présomption se révèle inéquitable, il pourra faire l’objet d’une redistribution judiciaire.
11 Le régime que la FRA établit en matière de biens matrimoniaux autorise également la conclusion de contrats familiaux. En fait, s’il existe un contrat de mariage,
ce sont les conditions du contrat qui établissent le droit présomptif au partage. Par conséquent, en l’absence d’un contrat de mariage, l’art. 56 établit une présomption que chacun des conjoints a droit à la moitié de chaque « bien familial » à titre de tenant commun, dès la survenance d’un événement déclencheur tel un divorce. L’expression « contrat de mariage » est définie au par. 61(2) de la Loi. Cette définition n’est toutefois pas en cause dans le présent pourvoi.
12 Aux termes de l’art. 61, les parties ont toute latitude de se soustraire au régime légal supplétif en prenant des arrangements contractuels exécutoires qui régiront leur relation pendant le mariage et à sa dissolution. Cependant, l’art. 65 limite cette latitude en autorisant le tribunal à modifier ces arrangements dans le cas où le partage des biens qui y est prévu se révèle inéquitable au moment d’y procéder.
13 Le paragraphe 65(1) prévoit notamment que, lorsque les dispositions visant le partage des biens entre les conjoints en vertu de leur contrat de mariage ou du régime légal seraient inéquitables compte tenu a) de la durée du mariage, b) de la durée de la séparation de fait, c) de la date d’acquisition ou d’aliénation du bien, d) de la mesure dans laquelle le bien a été acquis par l’un des conjoints par voie de succession ou de donation, e) du besoin de chaque conjoint de devenir ou de demeurer économiquement indépendant et autonome, ou f) de toute autre circonstance ayant trait à l’acquisition, à la conservation, à l’entretien, à l’amélioration ou à l’utilisation d’un bien, ou aux moyens ou aux dettes d’un conjoint, la Cour suprême peut, sur demande, ordonner que les biens visés par ce contrat ou par ce régime légal soient répartis dans des proportions qu’elle fixe.
14 La plupart des provinces assujettissent les contrats de mariage à la surveillance des tribunaux. En Ontario, par exemple, le par. 56(4) de la Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3, permet à un tribunal d’annuler un contrat familial en tout ou en partie si une partie n’a pas divulgué des éléments d’actif ou de passif importants, si une partie n’a pas compris la nature ou les conséquences du contrat, ou encore pour toute autre raison découlant du droit des contrats. On trouve également ce libellé au par. 66(4) de la Family Law Act, R.S.N.L. 1990, ch. F‑2, et au par. 55(4) de la Family Law Act, S.P.E.I. 1995, ch. 12. Le critère préliminaire applicable en Nouvelle‑Écosse est la conclusion qu’une clause est [traduction] « exorbitante, trop dure pour une partie ou frauduleuse » : voir l’art. 29 de la Matrimonial Property Act, R.S.N.S. 1989, ch. 275. En Saskatchewan, le tribunal peut procéder à une redistribution des biens dans le cas où, au moment de sa conclusion, le contrat de mariage était exorbitant (« unconscionable ») ou créait une injustice flagrante : voir le par. 24(2) de la Loi sur les biens familiaux, L.S. 1997, ch. F‑6,3. Au Nouveau‑Brunswick, un tribunal peut faire abstraction d’une clause d’un contrat domestique dans le cas où l’un des conjoints n’a pas obtenu un avis juridique indépendant et où l’application de cette clause serait inéquitable : voir l’art. 41 de la Loi sur les biens matrimoniaux, L.N.‑B. 1980, ch. M‑1.1. Par contre, comme nous l’avons vu, les tribunaux de la Colombie‑Britannique peuvent procéder à une redistribution des biens lorsqu’ils concluent que le partage prévu au contrat ou par la FRA serait « inéquitable ». Le régime légal de la Colombie‑Britannique établit manifestement un critère préliminaire d’intervention judiciaire moins strict que ceux qu’établissent les régimes des autres provinces.
III. Historique des procédures judiciaires
A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique, [1999] B.C.J. No. 2861 (QL) et (2001), 89 B.C.L.R. (3d) 110, 2001 BCSC 325
15 L’appelant a demandé la garde partagée. Cependant, après avoir constaté l’incapacité des parties de communiquer entre elles et les différences qui les séparaient quant à la façon d’élever les enfants et aux responsabilités assumées à cet égard, la juge Beames a accordé à l’intimée la garde exclusive des enfants assortie d’une tutelle conjointe. En ce qui concerne les aliments destinés aux enfants, même après avoir conclu que l’appelant touchait un revenu supérieur à 150 000 $, la juge Beames lui a ordonné de verser le montant prévu dans les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, DORS/97‑175, et de supporter les dépenses extraordinaires jusqu’à ce que l’intimée commence à toucher un revenu mensuel supérieur à 2 000 $.
16 Pour établir le montant des aliments entre époux, la juge Beames a examiné la preuve à la lumière des facteurs énumérés à l’art. 89 FRA et du par. 15.2(4) de la Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, ch. 3 (2e suppl.). Elle a accordé à l’intimée une pension alimentaire mensuelle de 2 500 $, qui serait réduite à 1 500 $ dès que l’intimée commencerait à toucher un revenu mensuel d’au moins 2 000 $. Elle a, en outre, ordonné à l’appelant de verser à l’intimée un montant forfaitaire correspondant à la somme requise pour redevenir membre du Barreau. La juge Beames a conclu que, malgré ses 12 années d’absence du marché du travail, l’intimée avait de bonnes chances d’obtenir un emploi à un salaire raisonnable et elle a laissé aux parties toute latitude pour demander une révision des aliments entre époux en tout temps après le 1er juillet 2001. En dépit de cette conclusion, la juge Beames a reconnu que l’intimée avait abandonné sa carrière pour s’occuper seule des enfants et des tâches ménagères, et qu’elle était entièrement à la charge de l’appelant. De plus, elle a fait observer que l’intimée avait subi un désavantage économique qui persisterait tant et aussi longtemps qu’elle aurait la garde des enfants. D’ailleurs, en s’occupant du foyer et des enfants, l’intimée avait permis à l’appelant de continuer à exercer le droit en toute quiétude. La juge Beames a reconnu qu’il était peu probable que l’intimée ait un jour la capacité de gain de l’appelant. Cependant, elle a ajouté que, de toute manière, l’intimée n’aurait peut‑être jamais réussi à bénéficier de la même capacité de gain.
17 En ce qui a trait au partage des biens, l’appelant a tenté d’invoquer les clauses du contrat. Pour sa part, l’intimée a fait valoir que le contrat de mariage n’était pas valide et que, même s’il était valide, ce contrat serait inexécutoire du fait qu’il avait été conclu sous la contrainte. L’intimée a ajouté que le contrat était inéquitable et qu’il y avait lieu de procéder à une redistribution des biens conformément aux dispositions applicables de la FRA. Après avoir examiné la preuve relative aux circonstances ayant entouré la signature du contrat, la juge Beames a décidé que l’intimée n’avait pas prouvé que le contrat était exorbitant ou qu’elle l’avait signé sous l’effet de la contrainte, de pressions ou d’un abus d’influence. La juge Beames a cependant conclu que le contrat était inéquitable.
18 La juge Beames a examiné les conditions du contrat, y compris celles que les parties avaient supprimées. Elle a également pris connaissance de la lettre dans laquelle l’avocat de l’intimée l’avisait de ne pas signer le contrat parce qu’il créait [traduction] « une injustice flagrante », et la prévenait des conséquences que pourrait avoir cette injustice. La juge Beames a constaté que cet avis n’avait donné lieu à aucune modification importante du contrat et que l’appelant avait insisté pour que sa proposition initiale soit acceptée pour l’essentiel.
19 D’après le contrat signé par les parties, l’intimée pouvait tout au plus détenir un intérêt de 49 pour 100 dans la résidence familiale (après 16 années de mariage), un intérêt conjoint dans les biens du ménage et un intérêt dans les véhicules automobiles familiaux. La juge Beames a été frappée par le fait que le contrat n’accordait rien en échange du sacrifice que l’intimée avait consenti en abandonnant la pratique du droit et, en particulier, par le fait qu’il ne prévoyait aucun droit à une pension ou à une épargne‑retraite. Lors de la séparation, l’intimée détenait, selon le contrat, un intérêt de 27 pour 100 dans la résidence familiale fondé sur une période de cohabitation de 9 ans après le mariage, à raison de 3 pour 100 par année.
20 La juge Beames a examiné le par. 56(1) et les art. 61, 65 et 68 de la FRA. Elle a conclu que les tribunaux peuvent examiner les contrats de mariage pour déterminer s’ils sont équitables. Après avoir insisté sur l’importance de ne pas traiter les contrats familiaux de la même façon que les contrats commerciaux (Clarke c. Clarke (1991), 31 R.F.L. (3d) 383 (C.A.C.‑B.)), elle a conclu au par. 57 de sa décision de 1999 :
[traduction] Pour déterminer s’il y a équité en l’espèce, les facteurs les plus pertinents sont, à mon avis, énumérés aux al. 65a), c), e) et f). Abstraction faite de la période de cohabitation, le mariage a duré presque neuf ans et, si l’on ajoute la période de cohabitation, environ 12 ans et demi. Ce n’est pas une relation de courte durée. Par ailleurs, la plupart des biens ont été acquis par le demandeur avant le début de sa relation avec la défenderesse, quoique le bien qui constitue aujourd’hui le domicile conjugal ait été acquis pendant la période de cohabitation des parties, mais encore là grâce aux ressources financières du demandeur. Pour les motifs que j’ai déjà exposés au sujet des aliments entre époux, je considère que le besoin de la défenderesse de devenir ou de demeurer économiquement indépendante et autonome est un facteur important en l’espèce. J’ai également pris connaissance de la preuve concernant les efforts que la défenderesse a déployés relativement à la construction de la résidence familiale, ainsi que sa participation à cet égard, et l’effet que sa décision de s’occuper des enfants et des tâches ménagères avait eu sur elle et sur la capacité du demandeur de se consacrer à la pratique du droit et à l’avancement de sa carrière.
21 Après avoir conclu que le contrat était inéquitable, la juge Beames a examiné, au par. 60 de sa décision de 1999, le par. 36 de l’arrêt Gold c. Gold (1993), 82 B.C.L.R. (2d) 165 (C.A.), où il est question de la redistribution des biens entre époux :
[traduction] En toute déférence, à moins que la jurisprudence et la doctrine ne commandent le contraire, je suis d’avis de conclure que les al. a) à f) de l’art. 51 [maintenant l’art. 65] énoncent les motifs sur lesquels doit reposer une conclusion d’iniquité, mais une telle conclusion ne doit pas nécessairement mener à une redistribution en parts égales des biens. Dans bien des cas, l’égalité peut être le seul résultat équitable. Dans d’autres cas, cependant, peu importe qu’il existe ou non un contrat de mariage, seul le partage inégal des biens familiaux au profit d’un époux sera équitable. L’arrêt Clarke [c. Clarke (1991), 31 R.F.L. (3d) 383 (C.A.C.‑B.)] établit uniquement que la partie qui bénéficie d’un contrat inéquitable doit s’attendre à ce que le tribunal procède à une redistribution des biens afin d’assurer l’équité. L’équité n’est pas toujours synonyme d’égalité.
22 La juge Beames a expliqué que, parce qu’elle ne disposait d’aucune donnée relative à la valeur de plusieurs biens, elle se contenterait de relever les biens familiaux et, si possible, d’établir la part respective des parties. Après avoir examiné la preuve, elle a conclu que la résidence familiale et son contenu, les REER et les économies, les dépôts à terme, la Mercedes 1968, la résidence secondaire d’Osoyoos et le cabinet d’avocats de l’appelant étaient tous des biens familiaux au sens de la FRA. Elle n’a pas considéré que la motocyclette de l’appelant, le terrain situé dans l’État de Washington et l’intérêt détenu par l’appelant dans Commercial Appliance Centre Ltd. constituaient des biens familiaux. La juge Beames a décidé que la résidence et son contenu devaient être partagés en parts égales. En ce qui concerne la résidence secondaire, les REER, les économies et le cabinet d’avocats, elle a ordonné que l’appelant en conserve 60 pour 100 et que l’intimée reçoive une part de 40 pour 100. Elle a ordonné à l’appelant de veiller à ce que son cabinet d’avocats transfère à l’intimée la propriété du Ford Expedition.
23 La juge de première instance a subséquemment entendu la preuve relative à l’évaluation des biens. À la lumière de la preuve que la valeur de la résidence avait baissé depuis la date du procès, la juge Beames a fait remarquer que l’intimée avait habité la maison non grevée d’une hypothèque pendant plus de trois ans sans payer de loyer. Elle a estimé que la valeur de la maison devait être celle qu’elle avait en juillet 1999, soit 755 000 $, et que chaque partie avait droit à la moitié de cette somme, soit 377 500 $. La juge Beames a permis à l’intimée de conserver la résidence familiale (avec le consentement des parties) qui serait grevée d’une hypothèque de premier rang de 265 318 $ en faveur de l’appelant, de même que la majeure partie de son contenu et le Ford Expedition. En ce qui concerne les REER, la juge a permis à l’intimée de conserver ceux inscrits à son nom, qui valaient 16 391 $, et a ordonné à l’appelant de transférer la somme de 87 018 $ dans le REER de l’intimée de manière à réaliser un partage 60‑40 en faveur de l’appelant.
24 La juge de première instance a réexaminé, à la demande de l’appelant, la décision qu’elle avait déjà rendue au sujet de la redistribution de son cabinet d’avocats. Elle a tenu compte du fait que l’appelant avait mis sur pied son cabinet avant le début de sa relation avec l’intimée, que l’intimée était titulaire d’un diplôme en droit et qu’elle disposait, à la fin du mariage, de biens substantiels et d’une pension alimentaire élevée pour elle et ses enfants. En décidant de maintenir le partage 60‑40 prévu initialement pour ce bien, la juge Beames s’est inspirée des facteurs sur lesquels elle s’était fondée à l’origine. Elle a soupesé les éléments de preuve concernant la valeur du cabinet, y compris les questions fiscales et les emprunts, et a conclu que sa valeur finale nette était de 261 624 $, dont 40 pour 100 revenait à l’intimée.
25 En fin de compte, la valeur approximative de l’intérêt que l’intimée détenait dans les biens familiaux était de 654 000 $, soit à peu près 46 pour 100 de la valeur des biens familiaux qui était d’environ 1 415 000 $. Aux termes du contrat, elle aurait eu droit à environ 280 000 $, soit à peu près 20 pour 100 de la valeur des biens familiaux.
B. Cour suprême de la Colombie‑Britannique, [2001] B.C.J. No. 2854 (QL), 2001 BCSC 1678
26 Compte tenu du fait que l’intimée avait réussi son stage à son cabinet d’avocats et qu’elle touchait un salaire de 52 000 $, le juge Melnick a, à la demande de l’appelant, ordonné que l’intimée cesse de toucher, à la fin de décembre 2002, sa pension alimentaire mensuelle de 1 500 $. L’intimée a d’abord porté cette décision en appel, mais elle a ensuite déposé un avis de désistement le 5 novembre 2002 (à la suite de l’arrêt de la Cour d’appel confirmant la validité de l’ordonnance de la juge Beames relativement au partage des biens familiaux). Le juge Melnick a fait observer que, si l’arrêt de la Cour d’appel relatif au partage des biens matrimoniaux entre les parties avait pour effet de modifier radicalement la situation de l’intimée, celle‑ci pourrait présenter une nouvelle demande d’aliments entre époux.
C. Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (2002), 6 B.C.L.R. (4th) 250, 2002 BCCA 587
(1) La juge Rowles (avec l’appui du juge Huddart)
27 Les juges majoritaires n’ont relevé aucune erreur de principe dans l’approche que la juge de première instance a adoptée pour déterminer si le contrat était équitable à la lumière des facteurs énumérés au par. 65(1) FRA. Confirmant qu’il n’y avait pas lieu de tenir compte de la clause de maintien du droit aux aliments entre époux, les juges majoritaires ont souscrit à l’opinion de la juge de première instance selon laquelle la lacune la plus grave du contrat était son omission d’accorder une contrepartie pour le sacrifice que l’intimée avait consenti en abandonnant la pratique du droit et en retardant l’avancement de sa carrière. De plus, le contrat ne tenait pas suffisamment compte du besoin de l’intimée de devenir économiquement indépendante, ni de la contribution qu’elle avait apportée à la carrière de l’appelant en sacrifiant sa propre carrière aux tâches ménagères et au soin des enfants. Tout en reconnaissant que, compte tenu de la façon dont les questions avaient été présentées et tranchées au procès, il était difficile de comprendre comment la juge de première instance avait apprécié les facteurs de l’art. 65 qu’elle avait considérés comme pertinents, les juges majoritaires n’ont relevé aucune erreur justifiant de modifier la redistribution qu’elle avait ordonnée.
28 Après avoir analysé le régime applicable aux biens matrimoniaux, la cour a expliqué, aux par. 33‑34 :
[traduction] Il importe de souligner que l’art. 56 FRA n’établit pas la présomption prima facie que chacun des conjoints a droit à la moitié indivise de chaque bien familial, sous réserve d’une redistribution judiciaire effectuée en vertu de la FRA. Cet article prévoit que chacun des conjoints a droit à la moitié indivise de chaque bien familial à titre de tenant commun, dès la survenance d’un événement déclencheur, sauf s’il existe un contrat de mariage ou un accord de séparation. La question est de savoir non pas si le contrat s’écarte trop du partage égal des biens, mais plutôt si le partage convenu est inéquitable pour les époux eu égard à l’ensemble des facteurs énumérés à l’art. 65 et des clauses du contrat. S’il y a iniquité, il faut se demander, en définitive, quelle modification s’impose — à la lumière des facteurs énumérés et de tout le contrat — pour rendre le partage des biens équitable.
Il faut procéder à un examen en deux étapes pour décider si le partage prévu au contrat de mariage est inéquitable au moment où survient l’événement déclencheur. La première étape consiste à déterminer quel partage des biens est prévu au contrat. La deuxième étape consiste à déterminer si ce partage serait inéquitable eu égard aux facteurs énumérés à l’art. 65. À cette étape, le tribunal doit tenir compte de toutes les clauses du contrat, y compris celles qui se rapportent aux aliments entre époux ou qui assurent, par tout autre moyen, une future source de revenus. Fiducies, assurances, rentes différées et pensions viennent à l’esprit. Le tribunal doit également avoir à l’esprit le contexte dans lequel le contrat a été conclu.
29 Au sujet de la question de l’équité, en général, les juges majoritaires ont affirmé, aux par. 61 et 64 :
[traduction] Ce qui était équitable pour les parties à la conclusion du contrat peut devenir inéquitable au fur et à mesure que leur relation et leur situation évoluent. On ne saurait pour autant passer outre au contrat et aux considérations qui le sous‑tendent. . .
. . .
L’équité du contrat de mariage au moment de sa conclusion peut représenter un élément important que l’on doit prendre en considération en effectuant une redistribution. Si un contrat était équitable pour les parties au moment de sa conclusion et que des circonstances imprévisibles subséquentes le rendent inéquitable, il peut être modifié dans la mesure nécessaire pour corriger l’iniquité engendrée par ce changement. [Je souligne.]
30 Les juges majoritaires étaient aussi d’avis que, même si la cour doit respecter les contrats privés, particulièrement ceux négociés sur la foi de conseils juridiques, il doit logiquement y avoir une différence entre un accord de séparation et un contrat de mariage. Cependant, ils estiment que même un contrat de mariage inéquitable mérite d’être traité avec déférence. En réalité, il s’agit de déterminer le degré de déférence qui convient.
(2) Le juge Thackray (dissident)
31 Le juge Thackray était d’accord pour dire que le contrat était inéquitable, mais il a conclu que la juge de première instance avait commis une erreur en ne faisant pas montre de déférence à l’égard du contrat. Il estimait qu’il en avait résulté une redistribution inéquitable des biens familiaux. Il a souligné que les parties n’avaient pas seulement exprimé leur intention dans le contrat, mais qu’elles l’avaient démontrée tout au long de leur mariage. Selon lui, il faut encourager les gens à régler leur situation économique matrimoniale par voie contractuelle, et respecter les mesures qu’ils prennent à cet égard. Il a ajouté que les tribunaux devraient promouvoir l’idée que les parties qui concluent un contrat sont censées s’acquitter des obligations qui leur incombent aux termes du contrat.
32 Le juge Thackray était également d’avis que les contrats de mariage sont différents des accords de séparation du fait qu’ils peuvent devenir inéquitables au fil des ans. Il croyait malgré tout qu’on ne saurait passer outre aux contrats de mariage et aux considérations qui les sous‑tendent.
33 Le juge Thackray a conclu que le concept législatif d’équité étayait la décision de la juge de première instance concernant la résidence familiale et son contenu, les REER, les véhicules automobiles et les économies. Il se serait néanmoins abstenu de modifier le reste du contrat qui, d’après ses calculs, lui aurait donné droit à environ 525 000 $, soit à peu près 37 pour 100 de la valeur des biens familiaux. À son avis, un tel partage aurait permis à l’intimée de disposer de suffisamment de fonds pour prendre un nouveau départ, corriger l’iniquité du contrat et en respecter les clauses en laissant à l’appelant son cabinet d’avocats.
IV. Analyse
A. L’objet de la FRA
34 L’équité est le principal objectif d’intérêt public qui guide les tribunaux en matière de partage des biens à la rupture du mariage en Colombie‑Britannique.
35 La FRA reconnaît explicitement la validité du contrat de mariage comme mécanisme de gestion du partage des biens à la dissolution du mariage. Cependant, pour être exécutoire, un tel contrat doit être équitable, sans quoi un tribunal pourra redistribuer les biens de manière à réaliser un partage équitable.
36 Pour donner effet à l’intention du législateur, les tribunaux doivent encourager les parties à conclure des contrats de mariage équitables et réagir aux changements de circonstances de leur mariage en procédant, si nécessaire, à l’examen et à la révision de leurs contrats afin d’en assurer l’équité. À l’inverse, lorsqu’il est loisible aux particuliers de veiller eux‑mêmes à leur bien‑être financier à la dissolution du mariage, les tribunaux doivent hésiter à remettre en question l’arrangement que ces particuliers s’attendaient raisonnablement à invoquer. Les gens peuvent choisir d’organiser leurs affaires de maintes façons, et c’est là leur droit le plus strict : voir, de manière générale, l’arrêt Nouvelle‑Écosse (Procureur général) c. Walsh, [2002] 4 R.C.S. 325, 2002 CSC 83.
37 Il importe ici de souligner que, bien que les parties et les tribunaux parlent du caractère équitable ou inéquitable du contrat, c’est, en réalité, le partage prévu au contrat qui est examiné. En indiquant qu’un contrat est inéquitable, il faut prendre garde de laisser entendre, par inadvertance, que l’une ou l’autre partie à ce contrat, ou les deux à la fois, ont fait preuve de mauvaise foi ou qu’elles avaient l’intention de tricher. En aucun temps, des allégations de cette nature n’ont été formulées. Il faut plutôt se demander si le partage des biens prévu au contrat de mariage est équitable à un moment donné. Les clauses du contrat peuvent fort bien être équitables si le mariage dure un an et inéquitables s’il dure 30 ans.
B. Contrats de mariage par opposition à accords de séparation
38 En matière matrimoniale, il faut concilier la nécessité de respecter l’intention des parties, d’une part, et celle d’assurer un résultat équitable, d’autre part. En l’espèce, les parties ont adopté des points de vue divergents au sujet du degré de déférence requis dans le cas d’un contrat de mariage. L’appelant a prétendu qu’il y avait lieu de faire montre d’une déférence plus grande à l’égard des contrats de mariage qu’à l’égard des accords de séparation, alors que l’intimée a fait valoir le contraire.
39 Notre Cour n’a pas établi de règle absolue, et ne doit pas le faire à mon avis, au sujet de la déférence requise dans le cas d’un contrat de mariage comparativement à celle requise dans le cas d’un accord de séparation. Les contrats de mariage doivent, dans certains cas, être traités avec une déférence plus grande que les accords de séparation. Les contrats de mariage précisent les attentes des parties au départ, généralement avant l’acquisition ou la naissance de droits. Souvent, voire la plupart du temps, un tel contrat est motivé par la volonté de protéger des biens déjà acquis ou un héritage destiné aux enfants issus d’un mariage antérieur. En revanche, les accords de séparation sont censés porter sur des obligations et des droits acquis ou existants, la partie lésée soutenant qu’elle a renoncé à une chose à laquelle elle avait droit et qu’il en a résulté une injustice. Dans d’autres cas, toutefois, les contrats de mariage peuvent être traités avec moins de déférence que les accords de séparation. Cela s’explique par le fait qu’ils sont conclus par anticipation et qu’il se peut qu’ils ne tiennent pas dûment compte des moyens financiers, des besoins ou, à d’autres égards, de la situation des parties à la rupture du mariage. Voir M. Shaffer et D. S. Melamed, « Separation Agreements Post‑Moge, Willick and L.G. v. G.B. : A New Trilogy? » (1999), 16 Rev. Can. D. Fam. 51, p. 67‑68; Payne on Divorce (4e éd. 1996), p. 307‑308.
C. L’arrêt Miglin c. Miglin et la question de la déférence
40 En examinant la question de la déférence, notre Cour peut s’appuyer sur l’arrêt Miglin c. Miglin, [2003] 1 R.C.S. 303, 2003 CSC 24, eu égard à sa proposition juridique générale qu’il y a lieu d’accorder un certain poids aux contrats de mariage. Dans l’arrêt Miglin, la Cour était appelée à décider du poids qui doit être accordé à une entente alimentaire entre époux que l’une des parties souhaite, par la suite, faire modifier en commençant par présenter une telle demande d’aliments au tribunal. Dans cette affaire, il était question d’accord de séparation et la disposition applicable était l’art. 15.2 de la Loi sur le divorce. Aux paragraphes 45‑46, la juge Arbour et moi‑même avons tenu les propos suivants quant au poids à accorder à l’accord :
. . . la réponse à ces questions n’est pas dans l’adoption d’une norme quasi imperméable qui amènera le tribunal à entériner toute entente sans égard aux iniquités qu’elle comporte. La réponse n’est pas non plus dans l’intervention indue dans des ententes librement conclues et sur lesquelles les parties pensaient raisonnablement pouvoir compter. . .
. . .
Malgré tout, le libellé et l’objet de la Loi de 1985 [sur le divorce] militent en faveur d’une appréciation contextuelle de l’ensemble de la situation. Cela inclut le contenu de l’entente, afin de déterminer le poids à lui accorder dans une demande fondée sur l’art. 15.2. Dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, les juges de première instance doivent soupeser l’objectif législatif du partage équitable des conséquences économiques du mariage et de son échec, et la liberté des parties de régler leurs affaires comme elles l’entendent. En conséquence, le tribunal devrait hésiter à intervenir dans une entente préexistante, à moins d’être convaincu que l’entente n’est pas conforme pour l’essentiel aux objectifs généraux de la Loi sur le divorce. [Je souligne.]
Nous avons ajouté, au par. 67 :
. . . nous sommes d’avis qu’il est nettement dans l’intérêt public de veiller à ce que l’objectif des règlements négociés ne soit pas poursuivi, par le truchement de l’approbation judiciaire des ententes, avec une ardeur telle que l’autonomie individuelle devienne un carcan. Par conséquent, pour évaluer le poids à donner à un accord préexistant, il faut mettre en balance l’intérêt des parties à régler leurs propres affaires et les aspects propres aux accords de séparation en général et aux aliments entre époux en particulier.
41 Aux paragraphes 79 à 91, nous énonçons une approche en deux étapes selon laquelle les tribunaux doivent d’abord examiner les circonstances ayant entouré la négociation et la conclusion de l’accord afin de déterminer si une partie a profité de la vulnérabilité de l’autre ou, si au moment de la formation de l’accord, le contenu de cet accord contrecarrait pour l’essentiel les objectifs généraux de la Loi sur le divorce. Les tribunaux doivent ensuite vérifier si, au moment de la présentation de la demande, l’accord reflète encore l’intention initiale des parties et si, pour l’essentiel, il est toujours conforme aux objectifs de la Loi sur le divorce.
42 En tentant d’invoquer l’arrêt Miglin, précité, l’appelant indique qu’il y a lieu de procéder de la même manière pour apprécier l’équité des contrats de mariage conclus sous le régime de la FRA. Je conviens que l’arrêt Miglin est utile du fait qu’il précise, de manière générale, que « le tribunal devrait hésiter à intervenir dans une entente préexistante, à moins d’être convaincu que l’entente n’est pas conforme pour l’essentiel aux objectifs généraux » de la loi en question (par. 46) et que « [l]es arrangements alimentaires entre époux ne doivent pas être envisagés dans l’abstrait; le tribunal doit examiner l’accord ou l’arrangement dans son ensemble, sans perdre de vue que tous les aspects de l’accord sont inextricablement liés et que les parties disposent d’une grande latitude pour établir leurs priorités et leurs objectifs » (par. 84). Cependant, j’estime qu’on déformerait la structure analytique déjà établie dans la loi de la Colombie‑Britannique si l’on suivait sans réserve l’arrêt Miglin.
43 Tout récemment, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a statué, au par. 26 de l’arrêt N. (D.K.) c. O. (M.J.) (2003), 41 R.F.L. (5th) 142, qu’[traduction] « un contrat peut être inéquitable au sens du par. 65(1) non seulement au moment de sa formation, mais aussi lorsque vient le temps de l’appliquer ». Dans cette affaire, les clauses du contrat auraient pu être équitables si la vie des parties après la séparation avait été comme elles l’avaient prévu au départ. Cependant, des changements de projets ont fait en sorte que c’est l’épouse qui a été la plus durement touchée sur le plan financier à la suite de la rupture. La cour était justifiée d’intervenir pour assurer l’équité. J’estime que, de par ses faits, cette affaire se distingue de celle dont nous sommes saisis en l’espèce. Elle est toutefois utile pour mettre en lumière l’élément sur lequel doit porter l’examen fondé sur le par. 65(1), à savoir l’application du contrat. Le tribunal doit déterminer si le contrat de mariage est substantiellement équitable au moment de la présentation de la demande de redistribution. Pour ce faire, il doit essentiellement se demander si, au moment de la formation du contrat, les parties pouvaient raisonnablement prévoir dans quelle situation elles seraient au moment de leur séparation et, le cas échéant, si elles ont alors pris des mesures adéquates pour réagir à la situation anticipée. Comme la juge Arbour et moi‑même l’avons affirmé, aux par. 88‑89 de l’arrêt Miglin, précité :
Nous signalons qu’il est peu probable que le tribunal se laisse convaincre d’écarter totalement l’accord en l’absence de changement important dans la situation des parties par rapport à ce qu’on pouvait raisonnablement prévoir au moment de la négociation. Quoique le changement n’ait pas à être « radicalement imprévisible » et qu’il n’y ait pas à établir le lien de causalité avec le mariage, le requérant doit néanmoins démontrer clairement que, compte tenu des nouvelles circonstances, les modalités de l’accord ne traduisent plus ce qu’était la volonté des parties au moment où il a été conclu, ni les objectifs de la Loi. Il sera donc nécessaire de démontrer que ces nouvelles circonstances ne pouvaient raisonnablement pas être prévues par les parties et qu’elles ont mené à une situation qui ne peut être tolérée.
Nous tenons à souligner que, dans la plupart des cas, un certain degré de changement est prévisible. [. . .] Le critère applicable n’est pas l’imprévisibilité absolue; un examen approfondi de la jurisprudence révèle que pratiquement aucun changement n’est entièrement imprévisible. Il s’agit plutôt de savoir dans quelle mesure on peut dire que l’accord négocié de façon irréprochable a envisagé la situation qui est présentée à la Cour au moment de la demande.
Voir également l’arrêt Miglin, par. 56, 63 et 87.
44 Ainsi, pour déterminer si un contrat de mariage est équitable ou inéquitable au moment de la répartition des biens, il faut tenir compte du point de vue des parties. Le contrat qui régit le partage des biens entre époux reflète ce que ceux‑ci jugeaient équitable au moment de le former (en supposant qu’ils n’agissaient pas sous l’effet de la contrainte, de pressions et d’un abus d’influence). Les parties ne sont généralement pas censées régler leur situation présente sans tenir compte de la façon dont ils s’attendent à ce que leur situation évolue au fil des ans. Si la vie des parties évolue exactement comme elles l’avaient prévu à la formation du contrat, conclure que le contrat est inéquitable au moment de la répartition des biens revient essentiellement à substituer la conception d’équité du tribunal à celle des parties, pourvu que rien d’autre n’indique que les parties n’ont pas vraiment rationnellement et complètement tenu compte de l’effet qu’aurait leur décision. En procédant à une analyse fondée sur le par. 65(1) FRA, il est donc primordial d’examiner si, au moment de la répartition des biens, les parties se trouvaient dans la situation qu’elles avaient prévue lors de la formation du contrat, si elles ont vraiment pris en considération l’effet qu’aurait leur décision et si, durant leur mariage, elles ont dû ajuster leur contrat en fonction d’une situation différente de celle qu’elles avaient anticipée, soit en raison d’un changement de circonstances, soit simplement parce qu’elles n’ont pas considéré suffisamment ou d’une manière réaliste les conséquences de leurs choix.
45 En l’espèce, les juges majoritaires de la Cour d’appel expliquent qu’un changement de circonstances ou des circonstances imprévisibles subséquentes peuvent avoir pour effet de rendre inéquitable, au moment de la séparation, un contrat de mariage qui était équitable au moment de sa conclusion. Cela est compatible avec l’approche adoptée dans l’arrêt Miglin, précité. Cependant, les juges majoritaires n’ont pas reconnu que ce critère n’est pas pertinent en l’espèce. Au moment où l’événement déclencheur est survenu, les arrangements financiers et familiaux pris par l’appelant et l’intimée étaient conformes à ce qu’ils avaient prévu. Pour ce qui est de leurs arrangements financiers, ils étaient, conformément à leur intention, [traduction] « entièrement indépendants l’un de l’autre en ce qui avait trait à leurs propres biens, tant meubles qu’immeubles ». Il n’y avait aucune confusion de fonds, aucun compte conjoint d’une valeur appréciable et les biens que possédait l’appelant avant de se marier étaient restés à son nom. Sur le plan personnel, l’appelant et l’intimée avaient eu un deuxième enfant comme prévu et l’intimée avait, de son propre gré, décidé de rester à la maison pour élever leurs deux enfants au lieu de réintégrer son emploi au sein du cabinet d’avocats.
46 Lorsque, comme en l’espèce, les parties ont prévu avec exactitude quelle serait leur situation personnelle et financière au moment de la répartition des biens et qu’elles ont vraiment pris en considération l’incidence de leurs choix, il n’y a pas lieu de se contenter de conclure à la légère que leur contrat est inéquitable. Cela ne signifie pas qu’il faut passer sous silence la possibilité que l’actif et les revenus futurs de l’époux qui a choisi de rester au foyer et de faciliter l’avancement de la carrière de l’autre époux soient moindres que ceux dont il aurait pu disposer, de façon réaliste, si les choses s’étaient passées autrement. C’est ce qu’exige l’art. 65. Il est évident qu’une répartition équitable des biens doit tenir compte de la nature et de l’incidence des sacrifices consentis, de la situation des parties au moment de la répartition des biens, de leur âge, de leur niveau de scolarité ainsi que de leur capacité réelle de réintégrer le marché du travail et, en particulier, de devenir économiquement indépendantes. Cependant, cette répartition doit en même temps tenir compte des choix personnels qui ont été faits et de l’ensemble de la situation, dont tous les droits de propriété découlant du contrat de mariage et les autres droits émanant d’autres sources. En l’espèce, le contrat était principalement caractérisé par la volonté des époux de conserver les biens qu’ils avaient respectivement acquis avant le mariage et, en règle générale, de partager équitablement les biens acquis par la suite. Ce contrat sera équitable à la dissolution du mariage si Mme Hartshorne ne se retrouve pas sans moyens et n’a pas vraiment de difficulté à réintégrer sa profession et à recommencer à toucher un revenu, en raison notamment de ses obligations parentales. Il faut examiner la situation dans laquelle les parties se sont vraiment retrouvées. Je suis conscient des problèmes systémiques analysés dans l’arrêt Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813, et je conviens que le tribunal doit appliquer l’art. 65 avec prudence. Mais, en définitive, c’est de l’équité entre les parties qu’il est question ici.
47 Là où je veux en venir, en fin de compte, c’est que, pour déterminer si un contrat de mariage est inéquitable, le tribunal doit commencer par l’appliquer. En particulier, il doit déterminer et attribuer à chaque époux ce à quoi il a droit, sur le plan financier, en vertu du contrat, en plus de tenir compte des autres droits émanant d’autres sources, dont les aliments entre époux et ceux payables aux enfants. Le tribunal doit ensuite décider si le contrat est inéquitable à la lumière des facteurs énumérés au par. 65(1) FRA. À cette deuxième étape, il faut prendre en considération la situation personnelle et financière des parties et, en particulier, la façon dont cette situation a évolué au fil des ans. Le fardeau qui incombe au demandeur d’établir l’existence d’une iniquité est plus lourd lorsqu’il ressort du contrat et des circonstances ayant entouré sa formation que les parties ont prévu, au départ, la situation dans laquelle elles se trouvent aujourd’hui et qu’elles ont alors réagi en conséquence. L’examen de l’ensemble des facteurs énumérés au par. 65(1) FRA devrait donc révéler l’absence de partage équitable de toutes les conséquences économiques de la rupture du mariage. Cette approche est, à mon avis, conforme au principe qui sous‑tend la FRA, soit la nécessité de concilier le devoir de respecter l’intention des parties, d’une part, et celui d’assurer un résultat équitable, d’autre part.
D. Les facteurs énumérés à l’art. 65
48 L’article 65 établit une liste de facteurs dont les tribunaux doivent tenir compte pour décider si un contrat de mariage régissant le partage des biens est équitable. En l’espèce, la juge Beames a conclu que les facteurs les plus utiles pour procéder à l’examen de l’équité du contrat étaient ceux énoncés aux al. 65(1)a), c), e) et f), à savoir la durée du mariage, la date d’acquisition ou d’aliénation du bien, le besoin de chaque conjoint de devenir ou de demeurer économiquement indépendant et autonome, et toute autre circonstance ayant trait à l’acquisition, à la conservation, à l’entretien, à l’amélioration ou à l’utilisation d’un bien ou aux moyens ou aux dettes d’un conjoint.
49 Abstraction faite de la période de cohabitation, le mariage a duré presque neuf ans et, si l’on ajoute la période de cohabitation, environ 12 ans et demi. Comme l’a fait remarquer la juge Beames, [traduction] « [c]e n’est pas une relation de courte durée » (par. 57 de sa décision de 1999). J’estime cependant qu’il ne faut pas prendre en considération la durée du mariage sans tenir compte également de la date d’acquisition des biens en cause. À cet égard, il convient de noter que la plupart des biens ont été acquis par l’appelant avant le début de sa relation avec l’intimée. Ce sont également les ressources financières dont l’appelant disposait auparavant qui ont permis aux parties d’acquérir, pendant leur période de cohabitation, le bien qui est devenu leur domicile conjugal. Bref, au moment du mariage, l’appelant possédait déjà des biens évalués à environ 1,6 million de dollars, dont une maison, deux propriétés de plaisance, des REER et des économies, ainsi que son cabinet d’avocats. Au moment du mariage, l’intimée ne possédait aucun bien et était plutôt lourdement endettée.
50 La juge Beames a estimé que le besoin de l’intimée de devenir ou de demeurer économiquement indépendante et autonome était un facteur important en l’espèce. L’intimée avait abandonné sa carrière pour s’occuper seule des enfants et des tâches ménagères. Elle était entièrement à la charge de l’appelant. De plus, elle avait subi un désavantage économique qui persisterait tant et aussi longtemps qu’elle aurait la garde des enfants. Il importe également de souligner que la juge Beames a conclu que, malgré ses 12 années d’absence du marché du travail, l’intimée avait de bonnes chances d’obtenir un emploi à un salaire raisonnable. En fait, l’intimée est devenue associée dans un cabinet d’avocats de Richmond le 3 juillet 2001, et touchait un salaire annuel de 52 000 $ au moment du partage.
51 Pour les raisons que j’expliquerai dans la section suivante, j’estime que l’analyse de la juge Beames est insuffisante. Avant de conclure que le contrat était inéquitable, elle aurait dû prendre en considération l’incidence des sommes auxquelles l’intimée avait droit, notamment en vertu du contrat, y compris les aliments entre époux et les aliments destinés aux enfants. Ainsi, pour être suffisants, les aliments entre époux devaient tenir compte non seulement du désavantage économique que l’intimée avait subi en sacrifiant sa carrière à sa famille, mais également des effets que ce sacrifice continuerait d’avoir après la dissolution du mariage. En outre, le fardeau que représentent véritablement les responsabilités parentales de l’intimée doit être apprécié à la lumière des aliments versés pour les enfants. Il fallait prendre en considération ces différentes sommes en examinant l’équité du contrat, étant donné qu’elles répondent largement au besoin de l’intimée de devenir économiquement autonome.
52 À cet égard, il m’apparaît problématique que les parties aient convenu de se présenter au procès sans avoir préalablement obtenu une évaluation professionnelle de certains biens. J’estime qu’un juge de première instance peut difficilement se conformer aux objectifs de la Loi si, au moment de procéder à la répartition, il a tout au plus « une bonne idée » de la valeur de certains biens. Pour décider s’il y a iniquité au sens de l’art. 65, le juge de première instance doit être en mesure de déterminer la situation exacte dans laquelle le contrat prévoyait que les parties se trouveraient, ainsi que le droit à des aliments entre époux et à des aliments pour les enfants.
53 Enfin, la juge de première instance a analysé un quatrième facteur — « toute autre circonstance ayant trait à l’acquisition, à la conservation, à l’entretien, à l’amélioration ou à l’utilisation d’un bien, ou aux moyens ou aux dettes d’un conjoint ». J’estime que la preuve soumise en l’espèce ne démontre aucunement l’existence d’une telle circonstance ayant une importance particulière. La participation active de l’intimée à la construction de la résidence familiale a, selon moi, beaucoup moins d’importance que le fait que la résidence a pu être construite grâce aux seules ressources financières que l’appelant avait acquises avant le mariage.
E. Le lien entre les aliments entre époux et le partage des biens
54 Dans les motifs concordants qu’elle a rédigés dans l’affaire Toth c. Toth (1995), 13 B.C.L.R. (3d) 1 (C.A.), la juge Prowse a examiné le lien entre les aliments et le partage des biens, ainsi que l’ordre dans lequel il convient de procéder en la matière. Dans cette affaire, comme en l’espèce, la juge de première instance s’est prononcée sur les aliments sans avoir préalablement examiné la question du partage des biens. Aux paragraphes 57 et 59, la juge Prowse donne l’explication suivante :
[traduction] Il est bien établi qu’il faut régler la question du partage des biens d’une manière conforme à la partie 3 de la FRA, y compris toute question de redistribution fondée sur l’art. 51 [maintenant l’art. 65], avant d’aborder la question des aliments. Le partage des biens permet de décider s’il convient d’accorder un montant forfaitaire à titre d’aliments. . .
. . .
En analysant le lien entre les aliments et le partage des biens fondé sur la partie 3 de la FRA, il est utile de noter qu’on trouve, aux al. 51e) et f) de la FRA [maintenant les al. 65(1)e) et f)] — qui traitent de la redistribution des biens — , des notions également présentes dans les dispositions relatives aux aliments contenues dans la Loi de 1985 sur le divorce et dans la FRA. Le partage des biens et les aliments sont donc étroitement liés. Ce lien législatif a notamment pour avantage de permettre d’appliquer l’art. 51 [maintenant l’art. 65] au partage des biens afin de tenir compte de la capacité relative des parties de devenir ou de demeurer économiquement indépendantes et autonomes (al. 51e)) [maintenant l’al. 65(1)e)], ainsi que des dettes et des moyens respectifs des parties (al. 51f)) [maintenant l’al. 65(1)f)]. Ces notions sont également utiles pour prendre des décisions relatives aux aliments entre époux. Ce lien législatif entre le partage des biens et les aliments risque toutefois de donner lieu à une double indemnisation dans le cas, par exemple, où les biens font l’objet d’une redistribution fondée sur l’art. 51 [maintenant l’art. 65], puis d’une autre redistribution au moyen d’un ordonnance de paiement d’un montant forfaitaire à titre d’aliments. [Je souligne.]
55 De plus, dans l’arrêt Metzner c. Metzner (1997), 34 B.C.L.R. (3d) 314 (C.A.), le juge en chef McEachern a reconnu qu’il était nécessaire de régler la question du partage des biens avant de se prononcer sur le montant des aliments. Il a souligné, au par. 40, qu’[traduction] « il est permis de reconnaître, à l’étape du partage des biens, que l’époux dispose d’un revenu important et qu’il est possible de résoudre tout problème d’indépendance ou d’autonomie en rendant l’ordonnance alimentaire qui s’impose ».
56 Comme nous l’avons vu, la juge Beames était d’avis que le besoin de l’intimée de devenir ou de demeurer économiquement indépendante et autonome était un facteur important en l’espèce. Aussi vrai que cela puisse être, il reste qu’un tel facteur ne doit pas jouer un rôle déterminant en matière de partage des biens lorsque, comme en l’espèce, le tribunal en a déjà tenu compte en tranchant la question des aliments entre époux. En fait, comme l’a expliqué la juge Prowse, cette approche risque de donner lieu à une double indemnisation. Selon moi, c’est exactement ce qui s’est produit initialement en l’espèce. La juge Beames a d’abord accordé des aliments entre époux et a ensuite procédé à une redistribution des biens familiaux. Ce faisant, elle a tenu compte, à deux reprises, du besoin de l’intimée de devenir ou de demeurer économiquement indépendante et autonome. Il s’agit là d’une erreur de droit. Certes, le juge Melnick a mis fin aux aliments entre époux, en précisant qu’ils pourraient être rétablis en cas de modification du partage des biens. Cette approche est toutefois insatisfaisante. À mon avis, la juge de première instance aurait d’abord dû appliquer le contrat, ensuite évaluer le besoin d’aliments entre époux — le droit aux aliments entre époux ayant été maintenu dans le contrat — , et enfin décider si le résultat justifiait de répartir différemment les biens à la lumière des facteurs énumérés à l’art. 65.
57 Il n’y a pas eu de confusion de fonds pendant le mariage. En outre, la preuve indique que, durant cette période, les économies de l’appelant sont passées d’environ 167 000 $ à 25 000 $. Ainsi, la majeure partie des revenus de l’appelant a servi à maintenir le mode de vie de la famille. Le maintien explicite d’un droit aux aliments entre époux est une modification qui avait été apportée à l’avant‑projet de contrat parce que l’intimée insistait pour que ce soit fait. Cela tend à confirmer que l’intimée avait compris, à la lumière des clauses relatives au partage des biens, que les aliments lui permettraient de subvenir à ses besoins futurs et de devenir autonome. Ces aliments pourraient contribuer à maintenir l’arrangement financier que les époux avaient pendant leur relation. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont eu tort de ne pas tenir compte de la clause relative aux aliments entre époux pour déterminer si le contrat était équitable.
58 Le fait que le contrat maintient expressément le droit aux aliments entre époux et qu’en l’espèce, comme dans l’affaire Metzner, précitée, l’appelant dispose d’une source de revenus importante et continue, est lourd de conséquences. Lorsqu’elle a examiné le partage des biens prévu au contrat, la juge Beames aurait dû en apprécier l’équité à la lumière du maintien du droit aux aliments entre époux. Ce n’est qu’après avoir décidé qu’une ordonnance alimentaire ne permettrait pas à l’épouse de subvenir à ses besoins ou de devenir autonome que la juge de première instance aurait dû conclure à l’iniquité du contrat.
59 En annulant la redistribution des biens effectuée par la juge de première instance, je reconnais qu’il sera loisible à l’intimée d’invoquer de nouveau son droit à des aliments. Comme l’a statué le juge Melnick, l’intimée pourra présenter une nouvelle demande d’aliments entre époux si une modification du partage des biens matrimoniaux des parties a pour effet de modifier radicalement sa situation.
F. Les avis juridiques indépendants
60 L’obtention d’un avis juridique indépendant au moment de la négociation est un moyen important de s’assurer de prendre une décision éclairée avant de conclure un contrat. Dans la présente affaire, l’intimée a reçu de son avocat un avis juridique écrit dans lequel : (1) il confirmait que l’intimée convenait que l’appelant conserverait la propriété des biens qu’il avait acquis avant leur relation, mais aussi qu’elle souhaitait que tout contrat qu’ils concluraient soit équitable à la fois pour les deux parties et pour les enfants issus de leur mariage; (2) il concluait que le contrat proposé par l’appelant créait [traduction] « une injustice flagrante »; (3) il avisait l’intimée qu’en cas de rupture de leur mariage elle aurait, en vertu de la FRA, un droit prima facie à la moitié indivise de tous les biens familiaux, dont le domicile conjugal, les meubles, les véhicules automobiles, les économies et les pensions; (4) il informait l’intimée que le contrat était formulé de telle manière qu’elle n’« acquerrait » pas même la moitié du domicile conjugal, et ce, à la condition que le mariage dure environ 20 ans; (5) il l’avisait qu’[traduction] « un tribunal pourrait facilement juger une telle clause inéquitable et interviendrait pour procéder à une redistribution plus équitable des biens »; (6) il recommandait fortement à l’intimée de ne pas signer le contrat [traduction] « tel qu’il était alors rédigé »; (7) afin d’atteindre un résultat plus équitable tout en respectant la volonté de l’appelant de conserver séparément la plupart de ses biens, il recommandait que les biens suivants continuent d’appartenir en propre à l’appelant : a) les dépôts ou instruments bancaires, b) l’appartement d’Osoyoos, c) le terrain d’Oroville, d) l’intérêt dans le cabinet d’avocats et la société de gestion, e) la Mercedes 1968, f) le bateau et g) la motocyclette; (8) il recommandait fortement que tout contrat signé par l’intimée stipule clairement que rien ne ferait obstacle à la présentation d’une demande d’aliments pour elle ou pour les enfants issus de leur mariage.
61 Il est clair, à la lecture de cet avis détaillé, que l’intimée a été prévenue des « lacunes » du contrat avant de le signer. En fait, après avoir obtenu les conseils de son avocat, l’intimée a apporté quelques changements au contrat, y insérant notamment une clause de maintien du droit aux aliments entre époux. L’intimée a été avisée que le contrat créait « une injustice flagrante », qu’un tribunal « pourrait facilement juger » inéquitable la clause relative à l’intérêt dans le domicile conjugal et qu’il procéderait à une redistribution plus équitable des biens. Malgré ces conseils ou en raison de ceux‑ci — comme l’a affirmé l’avocat de l’intimée devant notre Cour — , l’intimée a signé le contrat. Elle ne saurait maintenant invoquer l’avis de son avocat pour alléguer que, en raison de sa conviction que le contrat était inéquitable dès sa formation, elle n’a, à toutes fins utiles, jamais eu l’intention de respecter sa part du marché. Il est bien établi qu’une partie ne devrait jamais pouvoir échapper à ses obligations contractuelles pour le motif qu’elle croyait, au moment de la formation du contrat, que celui‑ci était nul ou encore inexécutoire.
G. Application au présent pourvoi
62 Au moment de son mariage, l’appelant possédait déjà des biens évalués à environ 1,6 million de dollars, dont une maison, deux propriétés de plaisance, des REER et des économies, ainsi que son cabinet d’avocats. Au moment de la séparation du couple, la valeur de ces biens n’avait pas augmenté. En fait, la preuve soumise à la Cour révèle plutôt une baisse de la valeur de la résidence familiale et du cabinet d’avocats. Au moment de conclure le contrat, l’appelant avait fixé à 800 000 $ et à 300 000 $, respectivement, la valeur de la résidence familiale et celle du cabinet d’avocats. Au moment du procès, après avoir entendu les avis d’experts, la juge de première instance a conclu que la valeur de ces biens avait baissé à 755 000 $ et à 255 000 $ respectivement. J’accepte donc ces estimations.
63 Au moment du mariage, l’intimée ne possédait aucun bien et était plutôt lourdement endettée. Selon le partage des biens prévu au contrat, l’appelant obtiendrait, en cas de rupture du mariage, 1,2 million de dollars et l’intimée, 280 000 $. Nous avons tenu compte du fait que l’intimée a abandonné la pratique du droit et retardé l’avancement de sa carrière pour s’occuper principalement de leurs deux enfants. L’intimée en avait elle‑même décidé ainsi avant de se marier. Il n’est pas réaliste de présumer qu’elle n’a pas compris les conséquences d’un tel choix, et qu’on devrait maintenant passer outre à sa décision. L’intimée a également compris les conséquences du contrat étant donné qu’elle en a précisément examiné les lacunes avec son avocat. L’appelant plaide l’absence d’iniquité dans l’ensemble, en soulignant que, bien que les « parts » que le contrat attribue aux parties soient disproportionnées, rien n’indique que
12 années de pratique du droit auraient permis à l’intimée d’acquérir plus de biens que ceux qui lui reviennent à la rupture de ce mariage. À mon avis, l’existence du désavantage n’a pas été démontrée.
64 Qui plus est, j’estime qu’il est possible de compenser, par des aliments entre époux, tout désavantage économique que l’intimée a subi à cause de sa décision. Comme je l’ai déjà mentionné, cela est important en ce qui concerne l’application de l’al. 65(1)e) FRA, qui traite du besoin des conjoints de devenir ou de demeurer économiquement indépendants.
65 De plus, le contrat signé par l’appelant et l’intimée témoigne du fait qu’ils avaient des attentes raisonnables au moment de se marier. Si l’intimée avait réellement cru, à l’époque, que le contrat était inacceptable, elle n’aurait pas dû le signer. En l’espèce, l’intention exprimée dans le contrat était de laisser à chacune des parties ce qu’elle avait acquis avant le mariage. La question est non pas de savoir si cela a quelque chose de fondamentalement inéquitable, mais plutôt si le contrat se révélera inéquitable au moment de la répartition des biens. Compte tenu des dispositions de la FRA, de l’ensemble des clauses du contrat et de la situation des parties lors de la séparation, je suis d’avis que le contrat était équitable au moment où est survenu l’événement déclencheur. La juge de première instance a commis une erreur en concluant différemment et il n’y a pas lieu de modifier le contrat.
66 En vertu de l’art. 59 FRA, il est possible, en l’absence d’un contrat de mariage, de classer un cabinet d’avocats dans la catégorie des biens familiaux. D’ailleurs, la juge de première instance a conclu qu’il y avait lieu de le faire et a effectué un partage 60‑40 en faveur de l’appelant. De toute façon, la juge de première instance a commis une erreur, en l’espèce, en concluant que le cabinet d’avocats de l’appelant était un bien familial. Aux termes du par. 59(1), un bien n’est pas un bien familial s’il [traduction] « appartient à un conjoint à l’exclusion de l’autre et est utilisé surtout à des fins commerciales et lorsque le conjoint à qui n’appartient pas le bien n’a contribué ni directement ni indirectement à l’acquisition du bien par l’autre conjoint ou au fonctionnement de l’entreprise ». Il convient également de noter que la valeur du cabinet d’avocats n’a pas augmenté depuis le mariage. Dans ces circonstances, le cabinet d’avocats ne doit pas être considéré comme un bien familial. L’appelant pourra le conserver en totalité après avoir transféré la propriété du Ford Expedition.
V. Conclusion
67 Dès qu’un contrat — voire même un contrat de mariage — est conclu, les parties à ce contrat sont censées s’acquitter des obligations qu’elles y ont contractées. Une partie ne peut pas simplement affirmer, par la suite, qu’elle n’avait pas l’intention de respecter sa part du marché. Certes, il peut arriver que des contrats qui paraissent équitables au moment de leur conclusion deviennent inéquitables au moment où survient l’événement déclencheur, selon la façon dont la vie des parties a évolué. Il est également clair que la FRA permet à un tribunal, sur demande, de conclure qu’un contrat ou le régime légal est inéquitable, et de redistribuer les biens. Cependant, lorsqu’il est loisible aux particuliers de veiller eux‑mêmes à leur bien‑être financier à la dissolution du mariage, les tribunaux doivent hésiter à remettre en question les mesures et l’arrangement qu’ils ont pris, surtout s’ils ont reçu des avis juridiques indépendants. Les tribunaux ne devraient pas conclure que l’on peut prouver qu’un contrat de mariage est inéquitable en démontrant simplement qu’il s’écarte du régime légal applicable aux biens matrimoniaux. Pour déterminer s’il y a équité, il faut d’abord tenir compte des prévisions réalistes des parties, des mesures qu’elles ont prises pour composer avec les changements de circonstances ou les conséquences qui ne se réaliseraient pas, ensuite examiner leur situation véritable et enfin se demander si, à la lumière des facteurs énumérés à l’art. 65, il existe une différence qui commande une autre répartition des biens.
68 Le pourvoi est accueilli, chaque partie devant supporter ses propres dépens.
Version française des motifs des juges Binnie, LeBel et Deschamps rendus par
69 La juge Deschamps (dissidente en partie) — Contrairement à ce que l’appelant a soutenu devant nous, le présent pourvoi ne porte pas sur la question de savoir si deux personnes peuvent conclure une entente prénuptiale qui régira, ou même influencera, le partage des biens familiaux en cas de séparation. Il s’agit plutôt de donner effet à l’intention explicite du législateur de ne reconnaître une entente que si elle est équitable. Par ailleurs, je ne puis accepter l’interprétation proposée par les juges majoritaires qui laissent entendre qu’on doit accorder du poids même aux ententes inéquitables.
70 L’équité est le principal objectif d’intérêt public qui guide les tribunaux en matière de partage des biens à la rupture du mariage en Colombie‑Britannique, peu importe que le droit présomptif émane de la loi ou d’un contrat. La Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, ch. 128, partie 5 (ci‑après la « FRA »), permet aux couples de conclure des contrats de mariage relatifs au partage des biens. Cependant, pour être exécutoires, ces contrats doivent être équitables, sans quoi un tribunal procédera à une redistribution afin de réaliser un partage équitable. Pour donner effet à l’intention du législateur, les tribunaux doivent encourager les parties à conclure des contrats de mariage équitables et à réagir aux changements de circonstances de leur mariage en procédant, au fil des ans, à l’examen et à la révision de leurs contrats afin d’en assurer l’équité. Cet objectif serait contrecarré si on indiquait aux parties qu’en procédant à une redistribution les tribunaux tiendront compte de leurs contrats même dans leurs aspects inéquitables.
71 En l’espèce, la juge de première instance a conclu que le contrat était inéquitable tant au moment de sa signature qu’au moment de la présentation de la demande d’examen au tribunal. La redistribution qu’elle a ordonnée doit être traitée avec déférence. Comme l’a affirmé la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Gold c. Gold (1993), 82 B.C.L.R. (2d) 165, par. 59, la déférence est primordiale en matière de partage des biens :
[traduction] . . . l’équité n’est pas une qualité absolue. Si le juge de première instance s’était fondé sur une interprétation erronée du droit ou sur un mauvais principe, nous pourrions peut‑être substituer notre point de vue au sien sur ce qui [. . .] [rendrait] équitable ce partage des biens. À défaut d’une telle erreur, il ne nous appartient pas de remettre en question la décision du juge de première instance quant à la redistribution qui s’imposait pour assurer l’équité dans les circonstances de la présente affaire . . .
Il y a également lieu de faire montre de déférence lorsque, comme en l’espèce, le litige a donné lieu à un long procès et que le jugement est caractérisé par des évaluations factuelles complexes. L’audition de la présente affaire par la juge Beames s’est déroulée en deux temps. La juge a d’abord entendu, pendant six jours en juillet 1999, les arguments concernant le divorce, la garde et les droits de visite, les aliments des enfants et ceux de l’épouse, l’incidence d’un contrat conclu par les parties le jour de leur mariage, ainsi que le partage des biens. La juge Beames a rendu jugement en novembre 1999 ([1999] B.C.J. No. 2681 (QL)), mais elle a déposé d’autres motifs en février 2001 ((2001), 89 B.C.L.R. (3d) 110, 2001 BCSC 325), après la présentation d’éléments de preuve et d’arguments supplémentaires sur la question de l’évaluation des biens familiaux. Étant donné qu’elle n’a commis aucune erreur manifeste et dominante dans ses conclusions de fait, je garderais intacte la majeure partie de la redistribution à laquelle elle a procédé. Sans toucher au transfert de propriété du Ford Expedition que la juge de première instance a effectué en faveur de l’intimée, je permettrais toutefois à l’appelant de conserver en totalité son intérêt dans le cabinet d’avocats. En effet, l’ordonnance de redistribution du cabinet, conjuguée à l’ordonnance alimentaire au profit de l’épouse, donne ici lieu à une double indemnisation.
I. Analyse des principes juridiques applicables
72 La partie 5 de la FRA traite du partage des biens à la rupture du mariage. Elle établit des droits présomptifs qu’un juge peut, sur demande, examiner pour déterminer si le partage qui en résulte est équitable. Si, dans un cas donné, le partage résultant de l’application de la présomption s’avère inéquitable, il pourra faire l’objet d’une redistribution judiciaire. S’il existe un contrat de mariage (par. 61(2) et (3)), ce sont les conditions du contrat qui établissent le droit présomptif au partage. En l’absence d’un contrat de mariage, l’art. 56 fait présumer que chacun des conjoints a droit à la moitié indivise de chaque bien familial au sens de l’art. 58. Cependant, dans un cas comme dans l’autre, ces droits présomptifs sont assujettis au par. 65(1), qui prévoit :
[traduction]
65 (1) Lorsque les dispositions visant le partage des biens entre les conjoints en vertu de l’article 56, partie 6, ou de leur contrat de mariage, selon le cas, seraient inéquitables compte tenu :
a) de la durée du mariage,
b) de la durée de la séparation de fait,
c) de la date d’acquisition ou d’aliénation du bien,
d) de la mesure dans laquelle le bien a été acquis par l’un des conjoints par voie de succession ou de donation,
e) du besoin de chaque conjoint de devenir ou de demeurer économiquement indépendant et autonome, ou
f) de toute autre circonstance ayant trait à l’acquisition, à la conservation, à l’entretien, à l’amélioration ou à l’utilisation d’un bien, ou aux moyens ou aux dettes d’un conjoint,
la Cour suprême peut, sur demande, ordonner que les biens visés à l’article 56, partie 6, ou au contrat de mariage, selon le cas, soient répartis dans des proportions qu’elle fixe. [Je souligne.]
Ainsi, le contrat de mariage ou la présomption de droit à la moitié indivise servent de point de départ au tribunal, mais ils sont tous deux assujettis à un examen judiciaire de leur caractère équitable fondé sur l’art. 65. Aucun de ces points de départ ne détermine le partage si cette répartition est inéquitable. Le tribunal doit s’assurer que le partage est équitable selon les critères énoncés à l’art. 65.
73 Dans l’arrêt Miglin c. Miglin, [2003] 1 R.C.S. 303, 2003 CSC 24, la Cour a étudié la question des aliments entre époux et la déférence requise à l’égard des accords de séparation conclus en vertu de la Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, ch. 3 (2e suppl.). La Cour y a reconnu qu’il ne faut pas confondre « inéquitable » et « inadmissible » (« unconscionable ») (par. 73). De même, il n’y a clairement aucune raison d’assimiler « caractère inéquitable » à « caractère inadmissible ou exorbitant » en ce qui concerne la FRA. Au contraire, la norme du caractère inéquitable fait appel à une déférence moins grande.
74 De nombreux autres ressorts assujettissent les clauses des contrats de mariage à la surveillance des tribunaux. On peut donc mieux comprendre la norme de contrôle applicable en Colombie‑Britannique en la comparant aux régimes des autres provinces canadiennes. Comme l’a reconnu la Commission de réforme du droit de la Colombie‑Britannique, dans son document de travail no 63, intitulé Property Rights on Marriage Breakdown (1989), p. 34, renvoi 2 :
[traduction] Toutes les provinces de common law canadiennes donnent aux tribunaux le pouvoir de déroger au principe du partage égal, mais seule la Colombie‑Britannique définit ce pouvoir au moyen d’un terme général dénué de sens juridique fixe. Toutes les autres provinces de common law canadiennes utilisent des termes techniques indiquant que l’iniquité doit être grave.
Les tribunaux se doivent de reconnaître le choix du législateur de la Colombie‑Britannique d’établir une norme différente et moins restrictive.
75 Le critère préliminaire applicable en Nouvelle‑Écosse est la conclusion qu’une clause est [traduction] « exorbitante, trop dure pour une partie ou frauduleuse » (je souligne) : voir l’art. 29 de la Matrimonial Property Act, R.S.N.S. 1989, ch. 275. Au Nouveau‑Brunswick, un tribunal peut faire abstraction d’une clause d’un contrat domestique dans le cas où l’un des conjoints n’a pas obtenu un avis juridique indépendant et où l’application de cette clause serait inéquitable : voir l’art. 41 de la Loi sur les biens matrimoniaux, L.N.‑B. 1980, ch. M‑1.1. En Saskatchewan, le tribunal peut procéder à une redistribution des biens dans le cas où, au moment de sa conclusion, le contrat de mariage était exorbitant (« unconscionable ») ou créait une injustice flagrante : voir le par. 24(2) de la Loi sur les biens familiaux, L.S. 1997, ch. F‑6,3. En Ontario, le par. 56(4) de la Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3, permet à un tribunal d’annuler, à la suite d’une requête, un contrat familial en tout ou en partie si une partie n’a pas divulgué des éléments d’actif ou de passif importants, si une partie n’a pas compris la nature ou les conséquences du contrat, ou encore pour toute autre raison découlant du droit des contrats. Le paragraphe 66(4) de la Family Law Act de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, R.S.N.L. 1990, ch. F‑2, et le par. 55(4) de la Family Law Act de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, S.P.E.I. 1995, ch. 12, sont eux aussi formulés d’une manière restrictive. Par contre, les tribunaux de la Colombie‑Britannique sont explicitement habilités à procéder à une redistribution des biens lorsqu’ils concluent que le partage prévu dans le contrat est « inéquitable ». Il s’agit là clairement d’une norme qui fait appel à une déférence moins grande que ce qu’exigent d’autres ressorts et qui ne devrait pas être assimilée systématiquement à une norme plus stricte comme celle du caractère exorbitant.
76 Les tribunaux doivent s’en remettre au choix du législateur et appliquer le critère préliminaire moins strict — une pratique maintenant bien établie en Colombie‑Britannique. Comme le juge en chef McEachern l’a affirmé, au nom des juges majoritaires, dans l’arrêt Gold, précité, par. 56 :
[traduction] . . . la cour n’agirait pas en conformité avec la philosophie ou la jurisprudence contemporaines en droit de la famille si elle faisait montre d’une grande déférence à l’égard d’un contrat qui, d’un point de vue objectif, est fondamentalement inéquitable.
77 Si l’on se fie à l’arrêt Miglin, on pourrait considérer que le juge qui effectue l’examen fondé sur l’équité doit tenir compte des circonstances ayant entouré la négociation et la conclusion des clauses d’une entente prénuptiale relatives au partage des biens. Cependant, j’estime que la question déterminante qu’il faut se poser, en vertu du par. 65(1) FRA, est de savoir si l’entente est substantiellement équitable au moment de la présentation de la demande au tribunal. Rien dans les facteurs énumérés n’indique que l’équité procédurale ou même substantielle, lors de la négociation ou de la conclusion, est déterminante. Certes, les circonstances de la négociation et de la conclusion peuvent indiquer que l’entente présente les caractéristiques d’un marché équitable ou inéquitable. Cela dit, une entente négociée dans des circonstances inéquitables pour une partie pourrait tout de même prévoir un partage des biens qui serait équitable au moment d’une éventuelle séparation. À l’inverse, une entente peut éventuellement devenir inéquitable au fur et à mesure que s’accroît l’interdépendance des conjoints. Ainsi, la FRA oblige le juge à vérifier si le contrat de mariage était équitable au moment de la présentation de la demande au tribunal, en examinant, à la lumière des facteurs énumérés au par. 65(1), les droits et les obligations qu’avaient alors les parties. Le libellé de la Loi ne va dans aucun autre sens tant du point de vue de la formulation particulière du par. 65(1) que de la Loi elle‑même prise dans son ensemble. De même, il ressort de la nature des contrats de mariage que c’est au moment où ils sont invoqués devant un tribunal qu’il importe vraiment qu’ils soient équitables. Enfin, ce n’est qu’en examinant l’entente prénuptiale conjointement avec les autres conditions de séparation visées par la FRA — dont la garde et les ordonnances alimentaires potentielles — qu’un juge peut déterminer si elle est équitable. Cela ne peut se faire qu’à la suite d’une demande au tribunal.
78 Que commande l’équité au moment de la présentation de la demande au tribunal? Bien qu’il prescrive un partage égal, le régime légal sert seulement de point de départ, comme dans le cas d’un contrat de mariage. L’équité n’est pas toujours synonyme de partage égal. Dans certains cas, les contributions des époux sont inégales. Par exemple, il se peut qu’au moment de se marier une partie soit beaucoup plus fortunée que l’autre, ou que le mariage soit de si courte durée que l’égalité des partenaires n’aura jamais vraiment pu se réaliser ou encore que l’une des parties ait transféré à l’autre des biens personnels d’une grande valeur. Les divers facteurs énumérés au par. 65(1) FRA reflètent cette réalité. J’estime que, pour déterminer si le partage des biens familiaux prévu dans un contrat de mariage est équitable, le juge ne doit apprécier ce partage qu’à la lumière des facteurs énumérés au par. 65(1). L’intention initiale des parties est pertinente dans la mesure où elle indique au tribunal la façon dont les parties ont choisi d’agir pour satisfaire au critère de l’équité. Par exemple, il faudrait tenir compte du fait que les parties ont pris en considération les facteurs énumérés en rédigeant d’autres clauses du contrat. Cela dit, l’intention initiale des parties n’est pas déterminante à ce stade. L’équité est une notion indépendante de tout contrat. Un contrat de mariage sera valide si le tribunal le juge équitable à la lumière des facteurs énumérés au par. 65(1). Si le contrat n’est pas équitable, le tribunal remédiera à la situation. Pour plus de certitude, le juge qui remédie à l’iniquité résultant d’un contrat de mariage peut vouloir tester le résultat de la redistribution à laquelle il procède, en la comparant au partage qu’il aurait effectué en l’absence de contrat. Comme les critères sont identiques, la part dévolue à chaque époux doit être similaire, qu’il y ait contrat ou non.
79 Il est vrai que le par. 56(3) FRA mentionne la capacité des parties de régir, par contrat, le partage des biens familiaux à la dissolution du mariage. Les parties sont certes mieux placées qu’un juge pour décider ce qui leur convient. L’analyse que j’ai exposée précédemment tient compte de ce fait. Le paragraphe 56(3) ne permet pas à une partie de stipuler qu’elle recevra plus que sa juste part du patrimoine familial envisagé dans l’abstrait. Il permet toutefois aux parties d’établir concrètement en quoi consistera cette juste part. Autrement dit, si le tribunal constate que l’entente est équitable, il la maintiendra. S’il la juge inéquitable, il procédera à une redistribution de la valeur totale des biens familiaux. L’entente lui servira alors de guide pour déterminer quels biens peuvent être attribués à l’un ou l’autre des époux.
80 Contrairement à l’al. 15.2(4)c) de la Loi sur le divorce qui était en cause dans l’arrêt Miglin, précité, et qui obligeait les tribunaux à tenir compte de « toute ordonnance, toute entente ou tout arrangement alimentaire au profit de l’un ou l’autre des époux », le par. 65(1) ne mentionne pas l’entente parmi les facteurs à considérer pour apprécier l’équité substantielle du partage des biens. Il ne fait pas allusion, ne serait‑ce qu’implicitement, à la nécessité de prendre en considération le contrat de mariage. Cela n’a rien d’étonnant puisque c’est précisément sur ce contrat que porte l’examen. Ce dernier deviendrait inutile si l’évaluation du caractère équitable devait s’inspirer d’une entente ou d’un contrat inéquitable. Ainsi, en Colombie‑Britannique, les époux ne peuvent pas invoquer des clauses inéquitables en matière de partage des biens à la rupture du mariage. Ce sont là les limites du choix qui s’offre aux époux dans cette province.
81 L’intérêt public appuie cette conclusion. L’approche préconisée par les juges majoritaires n’encouragerait pas les époux à s’efforcer de conclure des ententes équitables — et de les réviser afin d’en maintenir le caractère équitable au fur et à mesure que leur situation évolue — étant donné qu’une partie potentiellement intransigeante pourrait se dire : « L’entente pourra se révéler inéquitable, mais un tribunal en tiendra néanmoins compte. » En l’espèce, l’appelant a témoigné que, lorsqu’il a appris que l’avocat de l’intimée considérait que le contrat créait une [traduction] « injustice flagrante », il a trouvé cela « intéressant », mais a refusé d’apporter les modifications nécessaires pour rendre le contrat équitable. Les parties disposent de plusieurs moyens équitables pour régler leurs affaires et protéger leurs biens. Elles doivent être encouragées à les examiner et à les choisir avec soin.
82 De plus, l’intention initiale des parties peut se révéler particulièrement problématique lorsqu’il est question d’évaluer le caractère équitable d’une entente prénuptiale qui, souvent, a été conclue plusieurs années avant la séparation. Ainsi, parce qu’ils présument que leur mariage réussira bien, la plupart des gens évaluent mal la possibilité qu’ils doivent un jour recourir à leur contrat de mariage. Pour déterminer s’il y a équité, il faut apprécier les facteurs énumérés dans la FRA à la lumière des circonstances existantes. Comme l’ont reconnu, en l’espèce, les juges majoritaires de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, [traduction] « Ce qui était équitable pour les parties à la conclusion du contrat peut devenir inéquitable au fur et à mesure que leur relation et leur situation évoluent » (par. 61). Telle est précisément l’évaluation à laquelle le juge doit procéder en vertu du par. 65(1).
83 J’aimerais aborder une dernière question avant d’analyser les principes susmentionnés à la lumière des faits de la présente affaire. L’appelant a fait valoir devant notre Cour que le tribunal ne peut annuler au complet le contrat dont les clauses relatives au partage des biens sont inéquitables. Comme je l’ai déjà expliqué, je conviens que l’on ne saurait faire abstraction de l’existence d’un contrat de mariage, quoique, comme l’a affirmé la Cour d’appel dans l’arrêt Gold, précité, par. 57, [traduction] « la différence entre annuler un contrat inéquitable et le corriger pour le rendre équitable sera parfois plus sémantique que réelle ». Ce principe a été bien formulé dans l’arrêt Stark c. Stark (1990), 71 D.L.R. (4th) 446 (C.A.C.‑B.) (autorisation de pourvoi refusée, [1991] 1 R.C.S. xiv), où la cour a confirmé que, aux termes du par. 65(1), [traduction] « le tribunal n’a pas à annuler l’accord de séparation; il ne fait que procéder à une redistribution des biens familiaux des époux, une compétence inconnue en common law » (p. 453). En outre, [traduction] « il n’est pas nécessaire d’“annuler” l’accord de séparation même si la redistribution peut avoir cet effet sur certaines de ses conditions ».
II. Application aux faits de la présente affaire
84 À mon avis, la juge de première instance a tenu compte à bon droit des facteurs énumérés à l’art. 65 pour conclure à l’iniquité des clauses relatives au partage des biens contenues dans le contrat des Hartshorne. Sauf en ce qui concerne la question du cabinet d’avocats de M. Hartshorne, que j’examinerai plus loin, elle était justifiée de redistribuer les biens familiaux comme elle l’a fait, c’est‑à‑dire sans tenir compte des clauses inéquitables du contrat. La Cour devrait donc s’en remettre à ses conclusions.
A. La juge de première instance n’a commis aucune erreur de principe
85 Comme je l’ai mentionné au début des présents motifs, les procédures devant le tribunal de première instance ont duré longtemps. Le procès, qui a porté sur le divorce, la garde et les droits de visite, les aliments des enfants et ceux de l’épouse, l’incidence d’un contrat de mariage et le partage des biens, a duré six jours en juillet 1999. Au cours de ces procédures, les avocats ont convenu que la question de l’évaluation des biens familiaux serait examinée, si nécessaire, à une date ultérieure. En conséquence, la juge Beames a déposé, en novembre 1999, des motifs dans lesquels elle se contentait d’identifier les biens familiaux et d’établir la part respective des parties. Plus d’un an après, soit en février 2001, après la présentation de nouveaux éléments de preuve et de nouveaux arguments concernant l’évaluation, elle a déposé des motifs supplémentaires portant sur les questions non réglées qui avaient trait notamment au partage des biens.
86 Les juges majoritaires citent les motifs de la juge Prowse dans l’arrêt Toth c. Toth (1995), 13 B.C.L.R. (3d) 1 (C.A.), par. 57 et 59, qui étayent la thèse selon laquelle il faut généralement régler toutes les questions de redistribution fondée sur l’art. 65 avant d’aborder la question des aliments : voir également Metzner c. Metzner (1997), 34 B.C.L.R. (3d) 314 (C.A.), par. 40. À mon avis, cette approche est sage étant donné qu’il est parfois possible et plus facile de répondre au besoin des parties de devenir ou de demeurer économiquement indépendantes en procédant à un partage équitable des biens en capital familiaux. Comme l’a reconnu le législateur de la Colombie‑Britannique à l’al. 65(1)e) FRA, et comme la Cour l’a réitéré dans l’arrêt Bracklow c. Bracklow, [1999] 1 R.C.S. 420, par. 32, « [i]l est primordial de reconnaître et d’encourager l’autonomie et l’indépendance des deux époux » au moment de leur séparation et subséquemment : voir également l’arrêt Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813, p. 860‑861. L’autonomie est parfois intrinsèquement liée aux biens matrimoniaux :
[traduction] L’autonomie de la famille ou son indépendance financière — pour reprendre l’expression équivalente utilisée en planification financière — dépend des choix qui ont été faits en matière de travail, d’épargne et de dépense. Être financièrement indépendant signifie être en mesure de subvenir aux besoins futurs grâce aux ressources acquises au cours des années passées sur le marché du travail. C’est cette même définition qui doit être utilisée pour apprécier l’autonomie lors d’un divorce. L’épouse peut‑elle subvenir à ses besoins actuels et futurs grâce aux ressources acquises au cours des années qu’elle a passées sur le marché du travail? Peut‑elle le faire en maintenant le niveau de vie qu’elle aurait eu si l’unité familiale était restée intacte? [Je souligne.]
(M. Grassby, « Women in Their Forties : The Extent of Their Rights to Alimentary Support » (1991), 30 R.F.L. (3d) 369, p. 372‑373)
Souvent, l’époux qui, pendant tout le mariage ou une partie du mariage, est resté à la maison pour s’occuper des enfants, au lieu d’aller sur le marché du travail, ne dispose pas des ressources nécessaires pour devenir ou demeurer indépendant après une séparation. Ce déséquilibre doit être corrigé d’une manière systématique et fondée sur des principes. En général, le juge de première instance devrait donc tenter d’aborder, dans l’ordre suivant, (1) la répartition des biens matrimoniaux, (2) l’existence d’un droit aux aliments et, si ce droit existe, (3) l’ampleur du besoin d’aliments. Cette façon de procéder n’est toutefois pas une règle de droit. Les tribunaux de première instance ne doivent pas être enfermés dans un carcan.
87 L’omission de procéder ainsi ne constitue donc pas une erreur de droit ou de principe, mais aura pour effet de rendre plus périlleux le processus d’évaluation. La juge Beames n’a donc pas commis d’erreur en ne suivant pas la démarche décrite ci‑dessus. Elle l’a fait avec le consentement des parties, vraisemblablement pour éviter de retarder davantage les procédures et pour favoriser un règlement. Cependant, pour apprécier le caractère équitable d’un contrat et procéder à une répartition des biens familiaux qui assurera l’autonomie financière des parties, il faut disposer de renseignements suffisants sur la valeur de ces biens. En l’espèce, la juge de première instance a souligné, à l’étape de l’évaluation, que les chiffres préliminaires qui lui avaient été soumis lors du procès de 1999 lui avaient permis d’établir la part respective des parties. Selon elle, il n’était survenu, dans l’intervalle, aucun événement justifiant de modifier cette répartition. Ainsi, la juge Beames s’est retrouvée, sans le vouloir, dans une situation difficile. Elle a néanmoins procédé d’une manière systématique et, adoptant une approche de principe, elle est parvenue, à une exception près, à un résultat équitable et raisonnable dans l’ensemble. En fait, ce n’est qu’en ce qui concerne la redistribution du cabinet d’avocats que l’approche non conventionnelle de la juge Beames l’a amenée à commettre une erreur de droit en omettant d’appliquer la règle interdisant la double indemnisation (j’approfondirai la question sous la prochaine rubrique).
88 Par conséquent, je ne souscris pas à l’opinion des juges majoritaires selon laquelle la juge de première instance aurait d’abord dû appliquer le contrat, ensuite évaluer le besoin d’aliments entre époux et enfin décider si le résultat justifiait de répartir différemment les biens à la lumière des facteurs énumérés à l’art. 65 (par. 56). Cette façon de procéder accorde un poids indu au contrat peu importe qu’il soit équitable ou inéquitable, alors que l’examen prévu au par. 65(1) vise seulement à déterminer s’il est équitable. La conclusion d’un contrat de mariage ne fait qu’établir un droit présomptif. L’appréciation de son caractère équitable — en application de l’art. 65 — et de la mesure dans laquelle une redistribution s’impose relève de la prérogative judiciaire. Bien que logiquement, pour les raisons que j’ai exposées plus haut, il soit souvent préférable d’aborder la question du partage des biens matrimoniaux avant d’évaluer le besoin d’aliments, c’est en définitive le juge de première instance qui est le mieux placé pour décider dans quel ordre il va procéder. Par conséquent, même si l’approche adoptée par la juge Beames n’est pas conventionnelle, je ne crois pas, contrairement aux juges majoritaires, qu’il s’agisse là d’une erreur en soi.
B. Évaluation des conclusions de fait de la juge de première instance
(1) L’analyse applicable à la majeure partie des biens familiaux
89 La juge de première instance devait examiner attentivement l’entente prénuptiale des Hartshorne en raison des circonstances qui ont entouré sa négociation et sa conclusion. L’intimée avait été prévenue, par avis juridique indépendant, que l’entente était susceptible de [traduction] « créer une injustice flagrante » et qu’elle ne devrait pas la conclure telle qu’elle était alors rédigée. Elle a fait part de ses craintes à l’appelant qui, à toutes fins pratiques, a refusé d’en tenir compte. Je ne considère pas nécessaire de reproduire ici les éléments essentiels de cette lettre qui sont résumés au par. 60 des motifs majoritaires. Qu’il suffise de dire que, même si cette lettre ne prouve pas en soi que l’entente était inéquitable, elle en souligne cependant les lacunes. Par exemple, peu importe la durée du mariage, l’intimée pourrait tout au plus détenir 49 pour 100 de la résidence familiale. Pour les juges majoritaires, l’intimée ne peut plus se plaindre de l’entente du fait qu’elle a choisi de la signer après avoir été prévenue qu’elle pourrait être inéquitable. J’estime cette position inacceptable et, en la maintenant, les juges majoritaires confondent iniquité et exorbitance. Même s’il est vrai que les lacunes de l’entente étaient apparentes jusqu’à un certain point au moment de sa conclusion, il reste que la prévisibilité (ou encore le simple fait de la « conclure ») n’élimine pas l’iniquité substantielle. Quoiqu’il puisse faire obstacle à l’annulation pour cause d’exorbitance, le fait d’avoir reçu des conseils juridiques indépendants avant de conclure l’entente ne la rend pas pour autant équitable, et n’empêche pas le juge de première instance d’intervenir : voir Davidson c. Davidson (1986), 2 R.F.L. (3d) 442 (C.A.C.‑B.); Gold, précité; Stark, précité. Comme je l’ai déjà souligné, il faut déterminer, à la lumière des facteurs énumérés au par. 65(1) FRA, si le contrat de mariage était équitable au moment de la présentation de la demande au tribunal.
90 Certains faits portent à croire que l’intimée était vulnérable lors de la négociation — pas suffisamment pour que le contrat soit exorbitant, mais suffisamment pour attirer l’attention de la juge de première instance sur la possibilité que le contrat soit inéquitable. L’intimée avait quitté le marché du travail et était à la charge de l’appelant depuis presque deux ans; elle n’avait travaillé comme avocate (et, auparavant, comme stagiaire) qu’au sein du cabinet d’avocats de l’appelant. Le contrat a été conclu sous pression alors que la cérémonie du mariage approchait à grands pas. L’intimée a demandé que des changements soient apportés au contrat avant de le signer, mais l’appelant n’a consenti qu’à des modifications mineures, telle l’insertion d’une clause précisant que l’intimée signait non pas de plein gré, mais parce que l’appelant insistait pour qu’elle le fasse. Ces circonstances illustrent la position de force que l’appelant occupait dans la relation, ainsi que l’état correspondant de dépendance dans lequel se trouvait l’intimée. Le fait que l’intimée soit restée au foyer pour s’occuper des enfants pendant le reste du mariage constitue un autre exemple du rapport de force qui existait dans le couple. Dans l’ensemble, ces circonstances justifient un examen plus approfondi du contrat.
91 Au sujet des mariages « traditionnels », L. J. Weitzman affirme ceci dans son ouvrage intitulé The Divorce Revolution : The Unexpected Social and Economic Consequences for Women and Children in America (1985), p. 342 :
[traduction] Le mariage donne aux hommes l’occasion, le moyen et le temps d’investir dans leur propre carrière. Donc, le mariage lui‑même édifie et renforce la capacité de gain du mari. Pour les femmes, par contre, le mariage risque le plus souvent d’être un handicap pour leur carrière. Même si les rôles au sein de la famille évoluent et même si les femmes mariées exercent de plus en plus un travail rémunéré pendant le mariage, la plupart subordonnent néanmoins leur carrière à celle de leur mari et à leurs responsabilités familiales. Ceci est particulièrement vrai si elles ont des enfants. Les femmes souffrent donc souvent d’un double désavantage en cas de divorce. Elles doivent non seulement faire face à l’écart [. . .] entre les revenus des deux sexes qui touche toutes les femmes au travail, mais elles sont également victimes du tort que les années de mariage causent à leur capacité de gain.
C’est exactement ce qui s’est produit en l’espèce. Toutefois, les juges majoritaires affirment carrément, au par. 63 de leurs motifs, qu’il « n’est pas réaliste de présumer » que l’intimée n’a pas « compris » les conséquences de sa décision de s’occuper principalement de ses deux enfants et de retarder l’avancement de sa carrière, laissant ainsi entendre qu’elle doit maintenant accepter et supporter les conséquences de cette décision. Il m’apparaît utile, à ce stade, de rappeler les propos du juge Bastarache dans l’arrêt Nouvelle‑Écosse (Procureur général) c. Walsh, [2002] 4 R.C.S. 325, 2002 CSC 83, par. 55, voulant que « [l]a décision des parties de ne pas se marier commande [. . .] respect car elle relève [. . .] d’un choix conscient ». Dans cette affaire, la Cour a statué que les concubins qui décidaient de ne pas se marier ne bénéficiaient pas de la protection découlant du régime matrimonial en cause, et que cette absence de protection ne contrevenait pas au par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le juge Bastarache a conclu que la décision de ces personnes de faire vie commune n’était pas suffisante pour démontrer « leur intention réelle de contribuer à l’actif et au passif l’un de l’autre et de le partager » (par. 54). Cela signifie nécessairement que le choix conscient et solennel de se marier doit être traité comme tel. Le mariage est une « entreprise commune », une association socio‑économique : Moge, précité, p. 870. D’une part, les conjoints mariés ont droit à l’entière protection de leur régime matrimonial. D’autre part, ils doivent assumer pleinement les responsabilités découlant de leur décision de se marier. En décidant d’épouser l’intimée, d’avoir des enfants, d’appuyer son choix de travailler à la maison et d’en bénéficier, M. Hartshorne a accepté de supporter toutes les conséquences du régime législatif régissant ses décisions, parmi lesquelles figure l’examen judiciaire prévu à l’art. 65 FRA. Il ne saurait donc réclamer le beurre et l’argent du beurre.
92 Il est vrai que les motifs de jugement de la juge de première instance ne sont pas aussi détaillés qu’ils auraient pu l’être pour chacun des facteurs qu’elle a mentionnés en décidant que le contrat de mariage était inéquitable. Cependant, elle s’est concentrée, à juste titre, sur les facteurs énumérés à l’art. 65. Elle a indiqué que les facteurs les plus pertinents étaient : (a) les 12 années et demie pendant lesquelles la relation a duré, (c) le fait que presque tous les biens ont été acquis par l’appelant avant la relation, (e) le besoin de l’intimée de devenir ou de demeurer économiquement indépendante et autonome, et (f) le rôle joué par l’intimée dans la construction de la résidence familiale ainsi que l’incidence que son rôle de ménagère a eu sur la capacité de l’appelant de se consacrer à la pratique du droit. Compte tenu de ces facteurs, la juge Beames a estimé que le contrat était inéquitable. Elle a mentionné, en particulier, le fait que l’intimée a retardé l’avancement de sa propre carrière en dépit du fait que le contrat ne lui donnait droit à aucune pension ni à aucune épargne‑retraite, et qu’elle possédait un intérêt insuffisant dans la résidence familiale et son contenu. La juge écrit, au par. 58 de sa décision de 1999 :
[traduction] D’après le contrat signé par les parties, peu importe la durée du mariage, la défenderesse pouvait tout au plus détenir un intérêt de 49 pour 100 dans la résidence familiale, un intérêt conjoint dans les biens du ménage et un intérêt dans les véhicules automobiles familiaux. En dépit du fait qu’elle avait alors abandonné la pratique du droit et retardé à tout le moins l’avancement de sa carrière, le contrat n’accordait rien en échange de ce sacrifice et, en particulier, ne prévoyait aucun droit à une pension ou à une épargne‑retraite. Lors de la séparation, la défenderesse détenait, selon le contrat, un intérêt de 27 pour 100 dans la résidence familiale fondé sur une période de cohabitation de 9 ans après le mariage, à raison de 3 pour 100 par année.
Cette analyse tient compte, à juste titre, des préoccupations relatives à l’insuffisance de capital de l’époux à charge à la rupture du mariage. Ces considérations sont toutes pertinentes. Elles témoignent de l’iniquité substantielle du contrat au moment de la présentation de la demande. La juge de première instance a eu raison de conclure à l’iniquité du contrat et sa conclusion devrait être maintenue, sauf en ce qui concerne le cabinet d’avocats.
93 Le raisonnement que la juge Beames adopte au sujet des données auxquelles elle est parvenue en effectuant la redistribution est, là encore, plutôt succinct. Toutefois, elle affirme clairement que son objectif est de réaliser l’équité, ce qui est correct. Comme nous l’avons vu, elle aurait eu tort d’accorder du poids aux clauses qu’elle jugeait inéquitables. Elle ne l’a pas fait. Bien qu’on puisse être en désaccord avec la redistribution qu’elle a effectuée, j’estime que la juge Beames n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en redistribuant la majeure partie des biens familiaux. Comme notre Cour l’a établi dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33, par. 1 (les juges Iacobucci et Major), au sujet des questions de fait et de certaines questions mixtes de fait et de droit, « [i]l va sans dire qu’une cour d’appel ne devrait modifier les conclusions d’un juge de première instance qu’en cas d’erreur manifeste et dominante » (je souligne). Comme je suis d’avis que la juge n’a commis aucune erreur de cette nature, je ne modifierais pas l’aspect le plus important de la redistribution qu’elle a effectuée, à savoir ses conclusions concernant la résidence familiale et son contenu, les REER et les économies, la résidence secondaire et le Ford Expedition. Dans ses motifs dissidents, le juge Thackray est parvenu à une redistribution similaire. Cette conclusion est équitable tant dans l’ensemble que sur le plan de ses éléments constitutifs.
(2) L’analyse applicable au cabinet d’avocats
94 Au paragraphe 66 de leurs motifs, les juges majoritaires reconnaissent qu’« il est possible [. . .] de classer un cabinet d’avocats dans la catégorie des biens familiaux » qui peuvent faire l’objet d’une redistribution en vertu du par. 65(1) FRA. En fait, classer les cabinets professionnels dans la catégorie des biens familiaux est conforme à la jurisprudence de la Colombie‑Britannique. Par exemple, dans l’arrêt Underhill c. Underhill (1983), 45 B.C.L.R. 244, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a statué que l’intérêt détenu par le mari dans un cabinet d’avocats était un bien familial. En l’espèce, je ne suis pas d’accord avec les juges majoritaires lorsqu’ils concluent que l’intérêt de l’appelant dans le cabinet ne doit pas être classé dans la catégorie des biens familiaux.
95 L’article 58 FRA définit un bien familial en ces termes :
[traduction]
58 (1) Sous réserve de l’article 59, le présent article définit les biens familiaux pour les besoins de la Loi.
(2) Le bien qui appartient à l’un des conjoints ou aux deux et qui est ordinairement utilisé par un conjoint ou un enfant mineur de l’un ou l’autre des conjoints à une fin familiale est un bien familial.
(3) Sans restreindre la généralité du paragraphe (2), la définition de biens familiaux comprend :
. . .
e) un droit, une participation ou un intérêt d’un conjoint dans une entreprise à laquelle un apport en argent, ou qui s’évalue en argent, a été fait directement ou indirectement par l’autre conjoint ou pour son compte.
J’estime que l’intérêt que détient l’appelant dans le cabinet d’avocats relève directement de l’al. 58(3)e) et constitue donc un bien familial.
96 Les juges majoritaires affirment qu’il doit être exclu en application du par. 59(1) :
[traduction]
59 (1) Lorsqu’un bien appartient à un conjoint à l’exclusion de l’autre et est utilisé surtout à des fins commerciales et lorsque le conjoint à qui n’appartient pas le bien n’a contribué ni directement ni indirectement à l’acquisition du bien par l’autre conjoint ou au fonctionnement de l’entreprise, le bien n’est pas un bien familial.
Selon cette définition, deux conditions doivent être remplies pour qu’un bien soit exclu à titre de bien commercial : (1) il doit être utilisé surtout à des fins commerciales et (2) le conjoint à qui n’appartient pas le bien ne doit avoir contribué ni à l’acquisition du bien ni au fonctionnement de l’entreprise. La position des juges majoritaires est erronée du fait qu’en l’espèce l’intimée a contribué de façon importante au fonctionnement du cabinet d’avocats.
97 Comme le reconnaît explicitement le par. 59(2) :
[traduction]
(2) À l’alinéa 58(3)e) ou au paragraphe (1) du présent article, une contribution indirecte comprend les économies résultant de la gestion efficace du ménage ou de l’éducation des enfants par le conjoint qui ne détient aucun intérêt dans le bien.
La contribution d’un conjoint peut donc s’inférer de sa participation à la gestion du ménage ou à l’éducation des enfants : voir Elsom c. Elsom (1982), 35 B.C.L.R. 293 (C.S.), conf. par (1983), 37 R.F.L. (2d) 150 (C.A.C.‑B.) (autorisation de pourvoi refusée, [1984] 1 R.C.S. vii); Gillespie c. Gillespie (1995), 1 B.C.L.R. (3d) 28 (C.A.), par. 56. D’ailleurs, il convient de noter que, dans l’arrêt Peter c. Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980, p. 1000 (la juge McLachlin, plus tard Juge en chef) et p. 1020 (le juge Cory), notre Cour a reconnu que, dans le contexte des unions de fait, des services indirects telles les tâches ménagères peuvent justifier l’attribution d’un intérêt propriétal dans des biens acquis au cours de la relation. Une contribution indirecte peut également inclure d’autres types de contribution. Par exemple, dans la décision Piercy c. Piercy (1991), 31 R.F.L. (3d) 187 (C.S.C.‑B.), motifs supplémentaires (1993), 86 B.C.L.R. (2d) 285, une épouse sans enfant vivait dans l’aisance et bénéficiait d’une aide ménagère appréciable. La cour a jugé qu’elle avait apporté une contribution indirecte en répondant aux attentes de son mari qui souhaitait qu’elle joue essentiellement un rôle social et qu’elle soit une [traduction] « confidente et une conseillère » (par. 25). En l’espèce, l’intimée a clairement apporté une contribution indirecte importante au fonctionnement du cabinet d’avocats de l’appelant. De 1987 jusqu’à la date de la séparation et, en fait, depuis la séparation, elle s’est occupée seule des enfants et des tâches ménagères, ce qui a permis à l’appelant, beaucoup moins préoccupé, de continuer à exercer le droit à temps plein. Cela suffit amplement à satisfaire aux exigences du par. 59(2) et de l’al. 58(3)e). En conséquence, l’intérêt que détient M. Hartshorne dans le cabinet d’avocats constitue un bien familial pouvant faire l’objet d’une redistribution judiciaire en application du par. 65(1) FRA.
98 Il est évident qu’en concluant que le cabinet d’avocats est un bien familial, on ne répond pas à la question de savoir si la juge Beames a commis une erreur en effectuant, au profit de l’intimée, une redistribution de l’intérêt de M. Hartshorne dans le cabinet d’avocats. Contrairement au reste de son analyse, le raisonnement de la juge Beames sur cette question manque de logique. Premièrement, la juge Beames n’a pas inclus le cabinet d’avocats dans son évaluation initiale de l’équité du contrat de mariage et du pourcentage de chaque bien familial qui devrait faire l’objet d’une redistribution en vue d’assurer l’équité (décision de 1999, par. 63‑64). Son opinion était, cependant, déjà formée à l’époque. Dans son deuxième jugement, elle écrit au sujet de la question de l’évaluation (par. 27) :
[traduction] Au cours de la présente audience, j’ai avisé les avocats que, au moment de prononcer les motifs à l’issue de la première audience, j’estimais que ma répartition de tous les biens familiaux — à l’exception de la résidence et de son contenu — dans une proportion de 60 pour 100 pour le demandeur et de 40 pour 100 pour la défenderesse convenait également au cabinet d’avocats.
Cette conclusion est problématique parce que, lors de la première audience, la juge de première instance n’avait pas accès à certains renseignements importants sur la valeur des biens, comme la baisse de la valeur du cabinet d’avocats par rapport à la valeur inscrite dans le contrat de mariage. Ces renseignements ont été fournis au cours de la seconde audience. En dépit de cette nouvelle donnée importante, la juge Beames a choisi de s’en tenir à sa première impression. Outre les difficultés découlant de l’ordre non conventionnel dans lequel elle a choisi d’aborder la question des aliments et celles du partage et de l’évaluation des biens, sa volonté de se fier à son intuition semble l’avoir empêchée de se rendre compte qu’elle commettait une erreur.
99 En effet, il semble illogique, de la part de la juge Beames, d’avoir procédé à une redistribution — dans une proportion de 3 pour 2 — du cabinet d’avocats de l’appelant, qui constituait sa principale source de revenus, après lui avoir ordonné de verser à l’intimée une importante pension alimentaire. Compte tenu des faits de la présente affaire, l’intimée se trouvait alors à mordre la main qui la nourrit et l’appelant se voyait imposer un fardeau déraisonnable. Comme le juge Major l’a souligné, au nom des juges majoritaires, dans l’arrêt Boston c. Boston, [2001] 2 R.C.S. 413, 2001 CSC 43, par. 1 :
Les expressions « double indemnisation » ou « double ponction » décrivent une situation où, après un partage égal des biens à la rupture d’un mariage, un conjoint sollicite une obligation alimentaire permanente tirée des biens de l’autre conjoint qui ont déjà fait l’objet du partage ou de l’égalisation.
Il peut également y avoir double indemnisation lorsqu’un bien en capital familial fait l’objet d’une redistribution qui ne tient pas compte de l’ensemble des conditions de la séparation, comme d’une ordonnance alimentaire rendue antérieurement au profit d’un époux. Ce principe s’applique également dans le contexte du par. 65(1) FRA. En exerçant son pouvoir discrétionnaire de répartir les biens familiaux en vertu du par. 65(1), un juge de première instance doit éviter de choisir une solution qui engendre une double ponction.
100 Certes, l’ordonnance alimentaire au profit de l’épouse a pris fin deux ans après le jugement initial (jugement oral du juge Melnick, 11 février 2002). Ce fait ne saurait toutefois être déterminant puisque les ordonnances alimentaires, ou leur cessation, peuvent toujours faire l’objet d’une révision dans les cas prévus par la Loi sur le divorce. De plus, à ce stade, l’examen porte précisément sur le caractère équitable de la redistribution effectuée par la juge de première instance. Au moment où elle a déposé son jugement, la juge de première instance ne pouvait pas prévoir si, quand et comment l’ordonnance alimentaire qu’elle avait rendue au profit de l’épouse serait modifiée.
101 Pour déterminer si un partage des biens familiaux est équitable, il faut l’examiner globalement et conjointement avec les autres arrangements financiers des parties. Ma conclusion aurait pu être différente si la juge de première instance avait d’abord procédé à la redistribution du cabinet d’avocats et ensuite ajusté en conséquence le montant de la pension alimentaire accordée à l’épouse. J’aurais également pu être davantage disposée à faire montre de déférence si elle avait pris soin de procéder à la redistribution du cabinet en tenant bien compte de l’ordonnance alimentaire qu’elle avait déjà rendue au profit de l’épouse et de la baisse de valeur du cabinet. Elle n’a rien fait de cela et a plutôt examiné chaque question dans l’abstrait. En l’espèce, compte tenu du montant de la pension alimentaire ordonnée au profit de l’épouse et de la redistribution des autres biens familiaux, le cabinet d’avocats n’aurait tout simplement pas dû faire l’objet d’un nouveau partage. La juge de première instance aurait dû se rendre compte qu’il ne convenait pas de priver l’appelant de 40 pour 100 de son intérêt dans sa principale source de revenu tout en l’obligeant à verser à l’intimée une pension alimentaire mensuelle de 2 500 $. D’une part, prises dans leur ensemble, les ordonnances que la juge Beames a rendues au sujet des aliments payables à l’épouse et de la redistribution du cabinet d’avocats constituaient une « double ponction » et sont donc inacceptables; d’autre part, considérés dans leur ensemble, les autres biens familiaux peuvent être perçus à bon droit comme la juste part de l’intimée. Cette conclusion ne compromet nullement la possibilité qu’a l’intimée de présenter une demande de modification destinée à réévaluer son besoin d’aliments à la suite de la présente décision.
III. Conclusion
102 Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais le pourvoi, avec dépens en faveur de l’intimée devant notre Cour, à l’unique fin de déclarer que le cabinet d’avocats de l’appelant n’aurait pas dû faire l’objet d’une redistribution au profit de l’intimée.
Pourvoi accueilli, les juges Binnie, LeBel et Deschamps sont dissidents en partie.
Procureurs de l’appelant : Megan Ellis & Company, Vancouver.
Procureurs de l’intimée : McLachlan Brown Anderson, Vancouver.