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04/06/2021 | CANADA | N°2021CSC24

Canada | Canada, Cour suprême, 4 juin 2021, Colucci c. Colucci, 2021 CSC 24


COUR SUPRÊME DU CANADA


Référence : Colucci c. Colucci, 2021 CSC 24

 

Appel entendu : 4 novembre 2020
Jugement rendu : 4 juin 2021
Dossier : 38808

 


 
Entre :
Felice Colucci
Appelant
 
et
 
Lina Colucci
Intimée
 
- et -
 
West Coast Legal Education and Action Fund Association, Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes et Canada sans pauvreté
Intervenants
 
 
Traduction française officielle
 


Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Mo

ldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
 
Motifs de jugement :
(par. 1 à 143)

La juge Martin (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Abella, Mol...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Colucci c. Colucci, 2021 CSC 24

 

Appel entendu : 4 novembre 2020
Jugement rendu : 4 juin 2021
Dossier : 38808

 

 
Entre :
Felice Colucci
Appelant
 
et
 
Lina Colucci
Intimée
 
- et -
 
West Coast Legal Education and Action Fund Association, Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes et Canada sans pauvreté
Intervenants
 
 
Traduction française officielle
 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
 
Motifs de jugement :
(par. 1 à 143)

La juge Martin (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe et Kasirer)

 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

colucci c. colucci
Felice Colucci                                                                                                   Appelant
c.
Lina Colucci                                                                                                      Intimée
et
West Coast Legal Education and Action Fund Association,
Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes et
Canada sans pauvreté                                                                                Intervenants
Répertorié : Colucci c. Colucci
2021 CSC 24
No du greffe : 38808.
2020 : 4 novembre; 2021 : 4 juin.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
                    Droit de la famille — Aliments — Pension alimentaire pour enfants — Diminution rétroactive — Annulation de l’arriéré — Père débiteur d’un arriéré de pension alimentaire pour enfants de 170 000 $ sollicitant une diminution rétroactive de la pension alimentaire pour enfants et l’annulation de l’arriéré — Cadre régissant les demandes des parents débiteurs sollicitant la réduction rétroactive d’une pension alimentaire pour enfants en raison d’un changement de situation important — Cadre régissant les demandes des parents débiteurs sollicitant l’annulation d’un arriéré de pension alimentaire pour enfants en raison d’une incapacité actuelle et continue de payer — Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, c. 3 (2e suppl.), art. 17.
                    Les parties se sont mariées en 1983 et ont divorcé en 1996. La mère a obtenu la garde exclusive des deux filles des parties et le père devait verser une pension alimentaire pour enfants de 115 $ par semaine, par enfant, jusqu’à ce qu’elles ne soient plus des enfants à charge. En 1998, le père a demandé une réduction de ses obligations alimentaires envers les enfants, mais n’a communiqué aucun renseignement financier au soutien de sa demande et les parties ne sont pas parvenues à une entente à ce moment. Les obligations alimentaires du père envers les enfants ont pris fin en 2012. De 1998 à 2016, le père n’a fait aucun paiement volontaire de pension alimentaire pour enfants et seules des sommes limitées ont été perçues au moyen de mécanismes d’exécution. Lors de la période pendant laquelle l’arriéré s’accumulait, le père était absent de la vie des enfants, et on ignorait où il se trouvait. En 2016, le père a demandé la réduction rétroactive de la pension alimentaire pour enfants et l’annulation de l’arriéré totalisant environ 170 000 $. Il a fourni peu de documents ou de renseignements financiers au soutien de ses demandes. Le juge de la motion a rétroactivement réduit la pension alimentaire, diminuant de ce fait l’arriéré exigible à 41 642 $. Il a conclu que cette modification était justifiée afin d’harmoniser la pension alimentaire pour enfants avec les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants et afin de refléter la baisse de revenu du père au cours de la période où l’arriéré s’accumulait. La Cour d’appel a infirmé cette décision et a ordonné au père de payer la totalité de l’arriéré.
                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
                    Les tribunaux ont et doivent avoir un large pouvoir discrétionnaire pour modifier les ordonnances alimentaires au profit des enfants afin de faire en sorte que le juste montant de pension alimentaire soit payé et de s’adapter à l’énorme diversité de situations particulières dans lesquelles les familles peuvent se trouver. Au sein du cadre d’analyse applicable aux cas de modification de la pension alimentaire pour enfants et d’annulation de l’arriéré, trois intérêts doivent être mis en balance pour atteindre un juste résultat : l’intérêt de l’enfant à recevoir la pension alimentaire appropriée à laquelle il a droit; l’intérêt des parties et de l’enfant à bénéficier de la certitude et de la prévisibilité; et le besoin de souplesse pour que le résultat soit juste en cas de fluctuations du revenu du parent débiteur. L’intérêt de l’enfant à bénéficier de normes équitables en matière de soutien alimentaire à proportion du revenu du parent débiteur est l’intérêt fondamental auquel toutes les règles et tous les principes doivent céder le pas. Un résultat juste qui protège adéquatement cet intérêt penchera parfois vers la préservation de la certitude, parfois vers la souplesse.
                    Le cadre d’analyse applicable à une réduction de la pension alimentaire pour enfants doit aussi prendre en compte l’asymétrie au titre de l’information entre les parties et la nécessité qui en découle que le parent débiteur effectue une communication franche et complète de son revenu. Le régime de soutien alimentaire des enfants dépend de la communication adéquate, exacte et en temps utile des renseignements financiers. La communication est l’élément central sur lequel repose un soutien alimentaire des enfants équitable et les critères juridiques pertinents doivent favoriser la communication en temps utile des renseignements nécessaires. Dans un régime qui rattache la pension alimentaire au revenu du parent débiteur, c’est ce dernier qui connaît et qui contrôle les renseignements nécessaires au calcul du montant approprié de la pension alimentaire. Le parent créancier n’a pas accès à ces renseignements, sauf dans la mesure où le parent débiteur choisit de les communiquer ou y est contraint. Par conséquent, la communication franche et complète par le parent débiteur des renseignements sur son revenu est le fondement du régime de soutien alimentaire des enfants et est également une condition préalable à la négociation de bonne foi. Sans elle, les parties ne sont pas sur un pied d’égalité, lequel est nécessaire pour prendre des décisions éclairées et régler par voie extrajudiciaire les différends portant sur la pension alimentaire pour enfants. L’obligation du parent débiteur de communiquer les renseignements sur son revenu est un corollaire de l’obligation légale de verser une pension alimentaire à proportion de son revenu. La communication proactive des changements du revenu est la première étape pour faire en sorte que les obligations alimentaires envers les enfants se rattachent au revenu du parent débiteur au gré de ses fluctuations.
                    Le cadre d’analyse applicable à la demande du parent débiteur sollicitant une réduction rétroactive de la pension alimentaire en raison d’un changement important de situation vise les situations où le parent débiteur a connu une baisse importante de revenu qui a eu une incidence sur sa capacité de faire des versements à échéance. Le parent débiteur qui sollicite une modification rétroactive à la baisse doit d’abord démontrer un changement de situation antérieur. Le plus souvent, la demande de modification rétroactive sera fondée sur un changement important de revenu. Le parent débiteur doit avoir communiqué suffisamment d’éléments de preuve fiables pour que le tribunal puisse déterminer quand et de combien son revenu a baissé, et apprécier si le changement était substantiel, de longue durée et ne découlant pas d’un choix. Le parent débiteur à qui un revenu a été attribué au départ en raison du fait que les renseignements sur son revenu n’ont pas été initialement communiqués ne peut pas invoquer la communication tardive de son propre fait en tant que changement de situation au soutien d’une ordonnance modificative.
                    Dès qu’un changement de situation important est établi, une présomption prend naissance en faveur d’une réduction rétroactive de la pension alimentaire pour enfants remontant à la date à laquelle le parent débiteur a réellement informé le parent créancier, jusqu’à trois ans avant l’avis formel de la demande de modification. L’information réelle exige une communication claire du changement de situation, accompagnée de tous les documents nécessaires pour corroborer le changement et permettre au parent créancier de bien évaluer la situation — il ne suffit pas que le parent débiteur aborde simplement le sujet d’une réduction de la pension alimentaire avec le parent créancier. La présomption selon laquelle celle‑ci sera réduite rétroactivement à la date d’information réelle établit un juste équilibre entre l’intérêt de l’enfant et du parent créancier à bénéficier de la certitude et l’intérêt du parent débiteur à bénéficier de la souplesse. Bien que le parent créancier soit censé savoir que le soutien alimentaire varie en fonction du revenu du parent débiteur, il est désavantagé sur le plan de l’information. En l’absence de communication adéquate du parent débiteur indiquant une baisse de revenu qui est durable et réelle, le parent créancier peut s’appuyer sur l’ordonnance du tribunal ou sur l’entente. Bien qu’on puisse présumer qu’une baisse de la pension alimentaire aura des effets préjudiciables sur l’enfant, la communication continue atténue ces effets et protège l’intérêt de l’enfant dans toute la mesure possible. En l’absence d’information réelle concernant une baisse du revenu du parent débiteur, il faut accorder la priorité à la certitude et la prévisibilité pour l’enfant plutôt qu’à l’intérêt du parent débiteur à bénéficier de la souplesse. L’intérêt du parent débiteur à bénéficier de la souplesse passe à l’avant‑plan seulement lorsqu’il y a information réelle. La présomption procure au parent débiteur la certitude que tout changement important de revenu doit être signalé. Le parent débiteur a donc le contrôle sur la date de l’information réelle et la date de rétroactivité.
                    Même dans les cas où il y a dûment eu information réelle par le parent débiteur, la période de rétroactivité est présumée ne pas remonter à plus de trois ans avant la date de l’avis formel. La limite de trois ans censée s’appliquer donne aux parties le temps de négocier, mais reconnaît que le parent débiteur doit introduire une instance en temps utile si les négociations échouent afin de protéger les intérêts de l’enfant et du parent créancier à bénéficier de la certitude. La limite de trois ans censée s’appliquer se justifie également par des préoccupations liées à la preuve, car la meilleure preuve du revenu ou de la capacité de gagner un revenu est généralement plus facile à obtenir à une date rapprochée de celle où le revenu est gagné. Lorsque le parent débiteur n’a pas réellement informé le parent créancier, la pension alimentaire pour enfants doit généralement être modifiée à compter de la date de l’avis formel, ou d’une date subséquente lorsque le parent débiteur a tardé à faire une communication complète au cours de l’instance.
                    Le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire de déroger à la présomption d’application de la date de rétroactivité présumée lorsque le résultat serait injuste par ailleurs dans les circonstances d’un cas donné. Les quatre facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S. c. S.R.G., 2006 CSC 37, [2006] 2 R.C.S. 231 — adaptés au contexte de la réduction rétroactive — aident le tribunal à atteindre une juste pondération des trois intérêts en jeu, à savoir l’intérêt de l’enfant à bénéficier de normes équitables en matière de soutien alimentaire, l’intérêt du parent débiteur à bénéficier de la souplesse et l’intérêt de l’enfant et du parent créancier à bénéficier de la certitude. Le premier facteur consiste à se demander si le retard du parent débiteur à réellement informer le parent créancier ou à solliciter une réparation devant les tribunaux s’explique par une raison compréhensible. Les juges sont bien placés pour apprécier si les raisons du retard invoquées expliquent la mesure d’inactivité du parent débiteur. Lorsque le parent débiteur a une telle raison, l’équité peut militer en faveur de l’imposition d’une date de rétroactivité qui remonte à une date précédant la date d’information réelle ou la non‑application de la limite de trois ans. Le fait que le parent créancier ait tardé à exécuter l’arriéré n’est pas pertinent dans l’analyse. Le deuxième facteur est le comportement du parent débiteur. Les efforts déployés par le parent débiteur pour communiquer seront souvent des considérations importantes. Les efforts véritables déployés par le parent débiteur pour continuer à payer dans la mesure de ses moyens témoigneront de sa bonne foi et de sa volonté de subvenir aux besoins de l’enfant. La situation de l’enfant est le troisième facteur. Si l’enfant a connu des difficultés ou s’il est dans le besoin, ce facteur milite en faveur d’une période de rétroactivité plus courte. Une autre considération pertinente est celle de savoir si la réduction rétroactive donnerait lieu à une ordonnance obligeant le parent créancier à rembourser des prestations alimentaires pour rectifier un trop‑payé. Dans les cas où un trop‑payé est allégué, il sera rarement approprié, en raison du fait que le parent créancier n’avait pas été informé, de réduire rétroactivement la pension alimentaire à partir d’une date antérieure à celle où le parent créancier aurait pu s’attendre à ce que les versements de la pension alimentaire pour enfants reçus du parent débiteur doivent être remboursés ultérieurement. Cette approche protège l’intérêt de l’enfant ainsi que l’intérêt du parent créancier à bénéficier de la certitude, tout en permettant au parent débiteur qui a trop payé de demander une réduction rétroactive, pourvu que le parent créancier en ait été dûment avisé et informé. Le dernier facteur correspond aux difficultés causées au parent débiteur si la période de rétroactivité n’est pas allongée au‑delà de la date présumée. Le parent débiteur doit présenter des éléments de preuve pour établir des faits concrets permettant de conclure qu’il subira des difficultés. Une démonstration de l’existence de difficultés ne justifie pas automatiquement que l’on déroge à la date de rétroactivité présumée. Les difficultés revêtent une importance bien moindre lorsqu’elles sont causées par la propre omission déraisonnable du parent débiteur de communiquer adéquatement les renseignements au parent créancier et de l’aviser de sa situation. Les difficultés causées au parent débiteur doivent également être considérées dans le contexte de celles causées au parent créancier et à l’enfant si le tribunal allongeait la période de la réduction rétroactive.
                    Lorsque le tribunal a conclu qu’il y a lieu de réduire rétroactivement la pension alimentaire à compter d’une date donnée, la réduction doit être quantifiée. Le juste montant de pension alimentaire pour chaque année depuis la date de rétroactivité doit être calculé conformément au régime législatif applicable à l’ordonnance. Une communication franche et complète est nécessaire en vue de quantifier le montant approprié de la pension alimentaire pour la période de rétroactivité, tout comme elle le serait lorsqu’on quantifie le soutien alimentaire pour l’avenir. Il appartient au parent débiteur de démontrer la mesure dans laquelle son revenu a diminué au cours de la période de rétroactivité. Si le parent débiteur ne fournit pas tous les éléments de preuve pertinents dont le tribunal a besoin pour apprécier pleinement son revenu véritable au cours d’une partie de la période de rétroactivité, le tribunal peut tirer une inférence défavorable à celui‑ci. Le parent débiteur doit en outre faire la communication complète de sa situation financière actuelle s’il sollicite un plan de versements périodiques ou une suspension temporaire en raison de difficultés.
                    Dans le cas des demandes où le parent débiteur sollicite l’annulation de l’arriéré en invoquant l’incapacité actuelle de payer, l’ordonnance ou l’entente alimentaire antérieure au profit d’un enfant correspond au revenu du parent débiteur et l’arriéré reflète avec exactitude le montant de la pension alimentaire qu’aurait dû payer le parent débiteur. La capacité financière continue du parent débiteur est le seul facteur pertinent, et le parent débiteur doit donc fournir suffisamment d’éléments de preuve fiables pour permettre au tribunal d’évaluer sa situation financière actuelle et prospective. Le parent débiteur doit renverser la présomption contre l’annulation de quelque partie que ce soit de l’arriéré. La présomption ne sera repoussée que lorsque le parent débiteur établit, selon la prépondérance des probabilités, que même avec des modalités de paiement souples il ne peut pas, et ne pourra jamais, payer l’arriéré. Bien que la présomption en faveur de l’exécution de l’arriéré puisse être repoussée dans des circonstances inhabituelles, la norme doit demeurer rigoureuse. L’annulation de l’arriéré doit être utilisée en dernier recours. La règle ne doit pas permettre aux parents débiteurs de laisser courir leurs obligations ou de contourner les régimes légaux d’exécution qui reconnaissent l’arriéré de pensions alimentaires pour enfants comme une dette à prendre au sérieux, ni les inciter à le faire. Si le tribunal conclut que la situation financière du parent débiteur engendrera des difficultés à rembourser l’arriéré, il doit d’abord se demander si les difficultés peuvent être atténuées par une ordonnance prévoyant la suspension temporaire, des versements périodiques ou d’autres options de paiement novatrices.
                    En l’espèce, l’entrée en vigueur des Lignes directrices constituait un changement de situation. Bien que ce changement juridique permette de franchir l’étape de la condition préliminaire, il n’écarte pas la nécessité d’obtenir la preuve des gains du père dans les années qui ont suivi l’entrée en vigueur des Lignes directrices. Dans la mesure où le père invoque des baisses de revenu, sa communication déficiente, la preuve inadéquate et l’insuffisance des renseignements communiqués portent un coup fatal à sa demande. Il ne suffit pas que le père informe la mère que son revenu a baissé sans prendre d’autres mesures, et puisque le père n’a pas fourni de preuve raisonnable pour permettre à la mère de bien évaluer la situation, sa demande n’équivalait pas à une information réelle. Étant donné que le père n’a pas réellement informé la mère avant que l’arriéré cesse de s’accumuler en 2012, il n’a pas droit à une réduction rétroactive de ses obligations alimentaires envers ses enfants. L’application de la règle des trois ans ferait obstacle à toute réduction rétroactive, vu que ses enfants n’avaient plus droit à une pension alimentaire à compter de 2012 et qu’il avait donné un avis formel en 2016. L’application des facteurs de l’arrêt D.B.S. ne permettrait pas non plus d’établir une période de rétroactivité plus longue. Le père n’a fait que peu de versements volontaires, voire aucun, et n’a fait montre d’aucune volonté de subvenir aux besoins des enfants, qui ont connu des difficultés en raison de son défaut de satisfaire à ses obligations. Son comportement témoigne d’efforts de mauvaise foi visant à se soustraire à l’exécution d’une ordonnance judiciaire. La présente affaire fournit un exemple du type de communication inadéquate qui justifierait un refus de faire remonter la modification à la date de l’avis formel. Le père n’a pas droit à une réparation fondée sur une réduction de revenu. De plus, son omission de présenter une preuve adéquate de sa situation financière porterait un coup fatal à toute demande d’annulation de l’arriéré. Ainsi, il ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir qu’il était incapable de payer actuellement ou à l’avenir, même avec des modalités de paiement souples.
Jurisprudence
                    Arrêt appliqué : D.B.S. c. S.R.G., 2006 CSC 37, [2006] 2 R.C.S. 231; arrêts examinés : Corcios c. Burgos, 2011 ONSC 3326; Gray c. Rizzi, 2016 ONCA 152, 129 O.R. (3d) 201; Brown c. Brown, 2010 NBCA 5, 353 R.N.‑B. (2e) 323; arrêts mentionnés : D.B.S. c. S.R.G., 2005 ABCA 2, 361 A.R. 60; Brear c. Brear, 2019 ABCA 419, 97 Alta. L.R. (6th) 1; MacMinn c. MacMinn (1995), 1995 CanLII 6247 (AB CA), 174 A.R. 261; Hunt c. Smolis‑Hunt, 2001 ABCA 229, 97 Alta. L.R. (3d) 238; Paras c. Paras, 1970 CanLII 370 (ON CA), [1971] 1 O.R. 130; Whitton c. Shippelt, 2001 ABCA 307, 23 R.F.L. (5th) 437; Michel c. Graydon, 2020 CSC 24; C. (M.) c. O. (J.), 2017 NBCA 15, 93 R.F.L. (7th) 59; Goulding c. Keck, 2014 ABCA 138, 42 R.F.L. (7th) 259; Burchill c. Roberts, 2013 BCCA 39, 41 B.C.L.R. (5th) 217; Greene c. Greene, 2010 BCCA 595, 12 B.C.L.R. (5th) 330; Carlaw c. Carlaw, 2009 NSSC 428, 299 N.S.R. (2d) 1; Damphouse c. Damphouse, 2020 ABQB 101; Templeton c. Nuttall, 2018 ONSC 815; Contino c. Leonelli‑Contino, 2005 CSC 63, [2005] 3 R.C.S. 217; Shamli c. Shamli, 2004 CanLII 45956; Hietanen c. Hietanen, 2004 BCSC 306, 7 R.F.L. (6th) 67; M.K.R. c. J.A.R., 2015 NBCA 73, 443 R.N.‑B. (2e) 313; Francis c. Terry, 2004 NSCA 118, 227 N.S.R. (2d) 99; Roberts c. Roberts, 2015 ONCA 450, 65 R.F.L. (7th) 6; Leitch c. Novac, 2020 ONCA 257, 150 O.R. (3d) 587; Roseberry c. Roseberry, 2015 ABQB 75, 13 Alta. L.R. (6th) 215; Cunningham c. Seveny, 2017 ABCA 4, 88 R.F.L. (7th) 1; Rick c. Brandsema, 2009 CSC 10, [2009] 1 R.C.S. 295; Sawatzky c. Sawatzky, 2018 MBCA 102, 428 D.L.R. (4th) 247; Willick c. Willick, 1994 CanLII 28 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 670; Punzo c. Punzo, 2016 ONCA 957, 90 R.F.L. (7th) 304; Earle c. Earle, 1999 CanLII 6914; MacCarthy c. MacCarthy, 2015 BCCA 496, 380 B.C.A.C. 102; L.M.P. c. L.S., 2011 CSC 64, [2011] 3 R.C.S. 775; Tougher c. Tougher, 1999 ABQB 552; Trang c. Trang, 2013 ONSC 1980, 29 R.F.L. (7th) 364; M.W. c. K.T., 2019 NLSC 14, 19 R.F.L. (8th) 51; Morwald‑Benevides c. Benevides, 2019 ONCA 1023, 148 O.R. (3d) 305; MacEachern c. Bell, 2019 ONSC 4720, 33 R.F.L. (8th) 68; H.G.S. c. J.R.M., 2018 ABQB 892, 16 R.F.L. (8th) 404; Hrynkow c. Gosse, 2017 ABQB 675; Hodges c. Hodges, 2018 ABCA 197; Brown c. Barber, 2016 ABQB 687, 85 R.F.L. (7th) 401; Janik c. Drotlef, 2018 ONCJ 287; Haisman c. Haisman (1994), 1994 ABCA 249 (CanLII), 157 A.R. 47, inf. (1993), 1993 CanLII 6988 (AB KB), 7 Alta. L.R. (3d) 157; DiFrancesco c. Couto (2001), 2001 CanLII 8613 (ON CA), 56 O.R. (3d) 363; Fleury c. Fleury, 2009 ABCA 43, 448 A.R. 92; Kinsella c. Mills, 2020 ONSC 4785, 44 R.F.L. (8th) 1; C.L.W. c. S.V.W., 2017 ABCA 121; Blanchard c. Blanchard, 2019 ABCA 53; S.A.L. c. B.J.L., 2019 ABCA 350, 31 R.F.L. (8th) 299; Semancik c. Saunders, 2011 BCCA 264, 19 B.C.L.R. (5th) 219; Mayotte c. Salthouse (1997), 1997 ABCA 145 (CanLII), 29 R.F.L. (4th) 38; Heiden c. British Columbia (Director of Maintenance Enforcement) (1995), 1995 CanLII 1415 (BC CA), 16 B.C.L.R. (3d) 48; Walsh c. Walsh (2004), 2004 CanLII 36110 (ON CA), 69 O.R. (3d) 577, motifs supplémentaires dans (2004), 2004 CanLII 24259 (ON CA), 6 R.F.L. (6th) 432; St‑Jules c. St‑Jules, 2012 NSCA 97, 321 N.S.R. (2d) 133; Tremblay c. Daley, 2012 ONCA 780, 23 R.F.L. (7th) 91; Schmidt c. Schmidt (1985), 1985 CanLII 3777 (MB KB), 46 R.F.L. (2d) 71.
Lois et règlements cités
Code civil du Québec, art. 596 al. 2.
Family Law Act, S.B.C. 2011, c. 25, art. 5(1), 10.
Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, DORS/97‑175, art. 1, 3, 4, 7, 10, 14, 19, 21(1), ann. I.
Lignes directrices sur les aliments pour les enfants, Règl. de l’Ont. 391/97, art. 24.1(1).
Loi de 1996 sur les obligations familiales et l’exécution des arriérés d’aliments, L.O. 1996, c. 31.
Loi sur l’obligation alimentaire, C.P.L.M., c. F20, art. 56.2(2), (3).
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3, art. 178(1)c).
Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, c. 3 (2e suppl.), art. 7.3, 7.5, 17, 26.1.
Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, c. F.3, art. 39.1(2).
Doctrine et autres documents cités
Bakht, Natasha, et al. « D.B.S. v. S.G.R. : Promoting Women’s Equality through the Automatic Recalculation of Child Support » (2006), 18 R.F.D. 535.
Bala, Nicholas. « Reforming Family Dispute Resolution in Ontario : Systemic Changes and Cultural Shifts », in Michael Trebilcock, Anthony Duggan and Lorne Sossin, eds., Middle Income Access to Justice, Toronto, University of Toronto Press, 2012, 271.
Dalphond, Pierre J., and Anushua Nag. « Enfin une réforme de la Loi sur le divorce » (2019), 78 R. du B. 255.
Davies, Christine. « Retroactive Child Support : the Alberta Trilogy » (2005), 24 C.F.L.Q. 1.
Gordon, Marie L. « An Update on Retroactive Child and Spousal Support : Five Years after S. (D.B.) v. G. (S.R.) » (2012), 31 C.F.L.Q. 71.
Martinson, Donna, and Margaret Jackson. « Family Violence and Evolving Judicial Roles : Judges as Equality Guardians in Family Law Cases » (2017), 30 Rev. can. d. fam. 11.
Payne, Julien D., and Marilyn A. Payne. Child Support Guidelines in Canada, 2020, Toronto, Irwin Law, 2020.
Smith, D. « Retroactive Child Support — An Update » (2007), 26 C.F.L.Q. 209.
Sowter, Deanne M. « Advocacy in Non‑Adversarial Family Law : A Recommendation for Revision to the Model Code » (2018), 35 Windsor Y.B. Access Just. 401.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Brown, Roberts et Zarnett), 2019 ONCA 561, 26 R.F.L. (8th) 259, [2019] O.J. No. 3528 (QL), 2019 CarswellOnt 10845 (WL Can.), qui a infirmé en partie une décision du juge Hockin, 2018 ONSC 6627. Pourvoi rejeté.
                    Richard Gordner et Michael Gordner, pour l’appelant.
                    Cheryl Goldhart et Surinder Multani, pour l’intimée.
                    Jennifer Klinck, pour les intervenants West Coast Legal Education and Action Fund Association et le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes.
                    Ceilidh Joan Henderson, pour l’intervenant Canada sans pauvreté.
 
Version française du jugement de la Cour rendu par
 
                     La juge Martin —
I.               Aperçu
[1]                             Le présent pourvoi porte sur le cadre qui permet de trancher les demandes sollicitant une réduction rétroactive du montant de la pension alimentaire pour enfants[1] due ou une remise de l’arriéré de pension alimentaire pour enfants en application de l’art. 17 de la Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, c. 3 (2e suppl.). Le montant de la pension alimentaire pour enfants varie en fonction du revenu du parent débiteur, et le revenu fluctue souvent. Par conséquent, les demandes sollicitant la modification rétroactive de la pension alimentaire sont monnaie courante dans les salles d’audience partout au pays. Dans un monde idéal, lorsque les parents collaborent dans l’intérêt de leur enfant[2], ils communiqueront chaque année les renseignements complets et exacts sur leur revenu et recalculeront le montant de la pension alimentaire due. Lorsqu’ils ne le font pas, l’art. 17 de la Loi sur le divorce permet à un parent de demander au tribunal de modifier rétroactivement une ordonnance existante afin qu’elle corresponde au revenu réel du parent débiteur pour la période pertinente.
[2]                             En l’espèce, M. Colucci n’a fait aucun versement volontaire au titre de ses obligations alimentaires envers ses enfants pendant plus de 16 ans et il doit maintenant un montant arriéré d’environ 170 000 $. Saisi de la demande de M. Colucci, le juge de la motion a rétroactivement réduit la pension alimentaire, réduisant de ce fait l’arriéré exigible à 41 642 $. La Cour d’appel de l’Ontario a infirmé cette décision et a ordonné à M. Colucci de payer la totalité de l’arriéré.
[3]                             Les résultats divergents auxquels sont arrivées les juridictions inférieures mettent en évidence la confusion qui entoure le cadre d’analyse applicable aux demandes fondées sur l’art. 17 sollicitant la réduction rétroactive ou l’annulation de l’arriéré, confusion qui persiste depuis l’arrêt de principe de la Cour D.B.S. c. S.R.G., 2006 CSC 37, [2006] 2 R.C.S. 231. Dans cette affaire, la Cour a examiné les principes et les intérêts concurrents qui sous‑tendent les demandes de pension alimentaire rétroactive pour enfants présentées par un parent créancier. En l’espèce, notre Cour est appelée à clarifier les principes qui guident l’exercice du pouvoir discrétionnaire des juges lorsque le parent débiteur cherche à réduire rétroactivement la pension alimentaire afin qu’elle rende compte d’une diminution antérieure de revenu. Les tribunaux ont — et doivent avoir — un large pouvoir discrétionnaire pour modifier les ordonnances alimentaires au profit des enfants afin de faire en sorte que le juste montant de pension alimentaire soit payé et de s’adapter à l’énorme diversité de situations particulières dans lesquelles les familles peuvent se trouver. Toutefois, il est urgent d’énoncer clairement ce qui doit être établi avant qu’un tribunal puisse réduire rétroactivement le montant dû au titre d’une ordonnance alimentaire existante au profit d’un enfant.
[4]                             Le cadre d’analyse applicable doit donner effet aux objectifs et aux dispositions des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, DORS/97‑175 (« Lignes directrices »), particulièrement à l’objectif fondamental de protéger le droit de l’enfant à des « normes équitables en matière de soutien alimentaire » (art. 1). Les demandes de modification rétroactive obligent en outre les tribunaux à soupeser la certitude et la prévisibilité que procure une ordonnance judiciaire existante par rapport au besoin de souplesse dans un système qui rattache la pension alimentaire au revenu fluctuant du parent débiteur. Le cadre d’analyse exposé ci‑après met en balance ces intérêts d’une manière qui incite au paiement du juste montant de la pension alimentaire pour enfants lorsqu’elle est due, et à la communication en temps utile des renseignements financiers — la pierre angulaire d’un régime de droit de la famille juste et efficace. Les règles qui auraient pour effet indésirable d’inciter un parent à faire fi de ses obligations alimentaires, ou à en retarder l’exécution, doivent être fermement rejetées en faveur de normes juridiques visant les finalités fondamentales des prestations alimentaires pour enfants.
[5]                             Le différend qui oppose les parties porte sur la question de savoir si le cadre d’analyse applicable aux réductions rétroactives au titre de l’art. 17 doit correspondre à l’approche souple et discrétionnaire appliquée aux augmentations rétroactives dans l’arrêt D.B.S. Sous réserve de certaines modifications, je conclus que tel devrait être le cas. Le parent débiteur qui a établi une diminution passée de son revenu n’a pas automatiquement droit à une réduction rétroactive de la pension alimentaire remontant à la date de cette diminution, comme l’a laissé entendre le juge de la motion en l’espèce. La décision globale est de nature discrétionnaire.
[6]                             Comme je l’expliquerai plus en détail, le pouvoir discrétionnaire du tribunal s’articule autour d’une présomption en faveur d’une réduction rétroactive de la pension alimentaire remontant à la date à laquelle le parent débiteur a réellement informé le parent créancier de son intention de demander un rajustement à la baisse de l’obligation alimentaire envers l’enfant, jusqu’à trois ans avant la présentation d’un avis formel d’une demande de modification fondée sur l’art. 17. Cette présomption s’applique dès qu’un changement important antérieur de la situation est établi — il n’est plus nécessaire de se demander d’abord si la réparation rétroactive convient de façon générale avant de passer à la question de savoir jusqu’à quelle date devrait remonter cette réparation. Des facteurs discrétionnaires qui correspondent à ceux examinés dans l’arrêt D.B.S. peuvent justifier que l’on déroge à la date à laquelle la rétroactivité est censée remonter pour lui préférer une période de rétroactivité plus longue ou plus courte. Par souci de cohérence, cette approche fondée sur la présomption doit s’appliquer de la même façon lorsque le parent créancier sollicite une augmentation rétroactive. Dès qu’une modification importante antérieure du revenu est établie, une présomption s’applique en faveur de l’augmentation rétroactive de la pension alimentaire remontant à une certaine date, et les facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S. guident la décision du tribunal, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, de déroger ou non à cette date.
[7]                              En raison de l’asymétrie au titre de l’information entre les parties, l’obtention par le parent débiteur d’une réduction rétroactive dépendra en grande partie de la communication de ses renseignements financiers. De fait, l’information réelle dans ce contexte n’est « réelle » que s’il y a eu communication de la nouvelle situation financière. À l’étape de l’examen des facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S., la communication sera encore une fois une considération essentielle pour établir si le comportement du parent débiteur a pour effet de raccourcir ou d’allonger la période de rétroactivité présumée.
[8]                             Devant les juridictions inférieures, M. Colucci a aussi sollicité l’annulation de l’arriéré ou d’une partie de celui‑ci en invoquant une incapacité actuelle et continue de payer. Ce type de demande commande une analyse différente. Dans ces cas, l’ordonnance du tribunal ou l’entente correspond au juste montant de la pension alimentaire due, mais le parent débiteur a omis de payer les versements à échéance. Le parent débiteur demande par la suite au tribunal de lui faire grâce de la totalité ou d’une partie de la dette accumulée en raison de difficultés financières actuelles. Lorsque l’arriéré correspond au montant qui aurait dû être payé, le parent débiteur ne peut s’appuyer sur une baisse de revenu antérieure pour expliquer la raison d’être de l’arriéré. Dans ces cas, il existe une présomption contre l’annulation de toute partie de l’arriéré, puisque les tribunaux disposent d’autres possibilités de réparation. L’annulation se situe à une extrémité du continuum de ces possibilités, parce qu’elle élimine une dette juridiquement reconnue. Par conséquent, l’annulation ne convient que dans des situations exceptionnelles. Une telle situation peut se présenter lorsque la communication complète de la situation financière du parent débiteur montre que celui‑ci est incapable de payer l’arriéré et qu’il sera incapable de le payer dans l’avenir, même avec des modalités de paiement souples.
[9]                             Dans les présents motifs, j’énoncerai les principes fondamentaux établis dans les Lignes directrices et dans l’arrêt D.B.S., après quoi je traiterai du caractère central que revêt la communication des renseignements financiers dans le régime de soutien alimentaire des enfants. Dans ce contexte, j’expliquerai le cadre d’analyse que devraient appliquer les tribunaux pour déterminer dans quelles situations il y a lieu de réduire rétroactivement la pension alimentaire pour enfants en vertu de l’art. 17 de la Loi sur le divorce. Ce faisant, je concilierai les courants jurisprudentiels divergents portant sur l’applicabilité des facteurs contextuels établis dans l’arrêt D.B.S. Enfin, j’énoncerai l’analyse qui s’applique lorsque le parent débiteur sollicite l’annulation de l’arriéré en invoquant l’incapacité actuelle de payer plutôt qu’un changement de situation antérieur. Si l’on applique le cadre d’analyse aux faits de l’espèce, aucune raison ne justifie une intervention de notre Cour pour réduire ou remettre la dette accumulée au titre de l’ordonnance alimentaire existante au profit des enfants. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi de M. Colucci.
II.            Contexte
[10]                        En 2016, M. Colucci a demandé la réduction rétroactive de la pension alimentaire pour enfants et l’annulation de l’arriéré totalisant environ 170 000 $ au moment de la demande.
[11]                        Les parties se sont mariées en 1983 et ont divorcé en 1996. L’ordonnance du juge McMahon, datée du 13 mai 1996 (« ordonnance de divorce »), prononcée sur consentement, accordait à Mme Colucci la garde exclusive des deux filles des parties, âgées de 8 et de 6 ans à l’époque, et exigeait que M. Colucci verse une pension alimentaire pour enfants de 115 $ par semaine, par enfant (indexée), jusqu’à ce qu’elles ne soient plus [traduction] « des enfants à charge ». Le dossier ne fait pas état du revenu de M. Colucci au moment du prononcé de l’ordonnance, mais le montant de la pension alimentaire pour enfants a été négocié en tenant compte du fait que Mme Colucci renonçait à réclamer une pension alimentaire pour époux. Un an après le prononcé de l’ordonnance, les Lignes directrices sont entrées en vigueur.
[12]                        En avril 1998, M. Colucci a communiqué avec Mme Colucci par l’entremise de son avocat pour demander une réduction de ses obligations alimentaires envers les enfants en raison d’une diminution de son revenu. Il n’a communiqué aucun renseignement financier au soutien de sa demande et les parties ne sont pas parvenues à une entente à ce moment. Les obligations alimentaires de M. Colucci envers les enfants ont pris fin en 2012, lorsque les filles ont cessé d’être des enfants à charge. À partir de ce moment, aucun autre montant au titre de cette pension alimentaire ne s’est accumulé. Jusqu’à ce qu’il présente sa demande en 2016, M. Colucci n’avait fait aucune autre démarche pour modifier l’ordonnance de divorce.
[13]                        De 1998 à 2012, la période pendant laquelle l’arriéré s’accumulait, M. Colucci était absent de la vie des enfants, et ceux‑ci tout comme Mme Colucci ignoraient où il se trouvait. Il n’a fait aucun paiement volontaire de pension alimentaire pour enfants et le Bureau des obligations familiales (« BOF ») n’a pu percevoir que des sommes limitées au moyen de mécanismes d’exécution de 1998 à 2016. Les mesures d’exécution prises par le BOF comprenaient la saisie‑arrêt des prestations de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail et des remboursements d’impôt sur le revenu fédéral de M. Colucci, la suspension de son permis de conduire et de son passeport canadien, la délivrance d’un bref de saisie‑exécution et le signalement à l’agence d’évaluation du crédit.
[14]                        En novembre 2016, M. Colucci a présenté une motion en modification. Il a sollicité des ordonnances modifiant rétroactivement la pension alimentaire pour enfants à la date d’entrée en vigueur des Lignes directrices (le 1er mai 1997) et [traduction] « [f]ixant l’arriéré de la pension alimentaire pour enfants, s’il en est, et déterminant les versements imputables à cet arriéré en fonction de [son] revenu » (d.a., vol. II, p. 4). Il a en outre demandé que « tout arriéré de pension alimentaire [. . .] soit non seulement fixé, mais que les versements imputables à cet arriéré soient fixés en fonction de [sa] capacité de payer » (p. 10).
[15]                        Au cours de l’instance, M. Colucci a finalement révélé où il était pendant toutes ces années. Il a dit avoir déménagé aux États‑Unis en 2000 et y avoir travaillé jusqu’en 2005. Il affirme avoir gagné environ 25 000 $ US annuellement durant ces années. En 2005, il est retourné en Italie pour prendre soin de sa mère jusqu’au décès de celle‑ci en 2008. Il déclare avoir gagné, de 2005 à 2008, entre 3 000 € et 4 000 € par année, à l’exception de 2007, où il a gagné 19 000 €. Peu de temps après le décès de sa mère, il a reçu la somme de 15 000 € en héritage. Il dit avoir utilisé ces fonds pour subvenir à ses besoins jusqu’en 2016, année où il est rentré au Canada. En 2016, M. Colucci a reçu une somme additionnelle de 15 000 € provenant de la vente de la maison de sa mère. Il a droit à une autre somme de 15 000 € de la vente, qu’il devait recevoir le 31 août 2019.
[16]                        Monsieur Colucci a fourni peu de documents ou de renseignements financiers au soutien de ces allégations. Dans son affidavit, il s’est appuyé en grande partie sur des affirmations non corroborées concernant les endroits où il a travaillé et sa rémunération, ce qui rend extrêmement difficile la tâche de déterminer avec exactitude son revenu pour les années pertinentes. Monsieur Colucci affirme être incapable de fournir des déclarations de revenus pour les années 2000 à 2015. Il dit ne pas pouvoir obtenir de déclarations de revenus de l’Internal Revenue Service pour les années où il travaillait aux États‑Unis, en partie parce qu’il [traduction] « n’a pas de passeport canadien [. . .] et pourrait être interdit de retour » s’il se rend en personne pour obtenir les déclarations (d.a., vol. II, p. 59). Il dit avoir seulement été rémunéré en espèces pour son travail effectué entre 2007 et 2015 et « ne pas avoir produit de déclaration de revenus » (ibid.). Monsieur Colucci n’offre aucune autre explication justifiant l’absence de déclarations de revenus pour ces années. Il explique ne pas avoir produit de déclaration de revenus en 2017 parce qu’il ne voulait pas que les autorités effectuent une saisie‑arrêt de son remboursement d’impôt.
III.         Historique judiciaire
A.           Cour supérieure de justice de l’Ontario, 2018 ONSC 6627 (le juge Hockin)
[17]                        Dans de brefs motifs, le juge de la motion a statué qu’il y avait eu un changement de situation important lorsque les Lignes directrices ont été adoptées en mai 1997, donnant à M. Colucci le droit à un rajustement rétroactif de son obligation alimentaire envers les enfants à compter de cette date. Le juge de la motion s’est appuyé sur les principes tirés de la décision Corcios c. Burgos, 2011 ONSC 3326, par. 40 (CanLII), pour attribuer à M. Colucci un revenu en fonction du salaire minimum de l’Ontario pour les deux années ayant précédé son départ vers les États‑Unis et pour six des années qu’il avait passées en Italie. Cependant, le juge de la motion n’a pas appliqué les facteurs énoncés dans la décision Corcios pour déterminer si une réduction de l’arriéré était justifiée.
[18]                        Après avoir conclu à un changement de situation important, le juge de la motion a simplement effectué un calcul mathématique. En fonction du revenu attribué à M. Colucci pour les années 1997 à 2012, le juge de la motion a rétroactivement réduit les obligations alimentaires de M. Colucci envers ses enfants, réduisant de fait l’arriéré dû, le faisant passer d’environ 170 000 $ à 41 642 $. Le juge de la motion a conclu que cette modification était justifiée afin d’harmoniser l’arriéré de pension alimentaire pour enfants avec les principes découlant des Lignes directrices, en particulier les montants figurant dans les tables (qui ont été mis en œuvre un an après l’ordonnance de divorce), et afin de refléter les changements, soit la baisse de revenu de M. Colucci, au cours de la période où l’arriéré s’accumulait (par. 14‑15).
[19]                        Les versements prospectifs imputables à l’arriéré ont été fixés à 425 $ par mois en fonction du revenu actuel déclaré de M. Colucci. Celui‑ci a en outre été condamné à payer à Mme Colucci la somme de 15 000 € dès la réception du produit de la vente de la maison de sa mère. Il devait recevoir l’argent le 31 août 2019. À la date de l’audience devant la Cour, ce montant n’avait pas encore été payé à Mme Colucci.
[20]                        Le juge de la motion n’a pas fait mention des facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S., renvoyant à cet arrêt seulement pour souligner que [traduction] « la règle dite [des trois ans] ne s’applique pas » (par. 20). Cette règle est une présomption établie dans l’arrêt D.B.S. portant qu’une augmentation rétroactive de la pension alimentaire ne doit pas remonter à plus de trois ans avant que le parent créancier ait donné un avis formel de la demande de modification fondée sur l’art. 17 de la Loi sur le divorce. Le juge de la motion a ajouté ce qui suit :
                    [traduction] Il ne s’agit pas d’une ordonnance alimentaire rétroactive, mais d’un cas où l’arriéré s’est accumulé et doit être rajusté. Quoi qu’il en soit, il serait erroné de limiter le calcul eu égard à la défaillance de [M. Colucci]. [par. 20]
B.            Cour d’appel, 2019 ONCA 561, 26 R.F.L. (8th) 259 (les juges Brown, Roberts et Zarnett)
[21]                        Madame Colucci a interjeté appel de l’ordonnance du juge de la motion en invoquant trois moyens : (1) le juge de la motion n’aurait pas appliqué les principes relatifs à la modification rétroactive établis dans les décisions D.B.S. et Gray c. Rizzi, 2016 ONCA 152, 129 O.R. (3d) 201, afin d’évaluer l’opportunité de réduire l’arriéré en l’espèce; (2) le juge de la motion n’aurait pas appliqué la règle des trois ans; et (3) le juge de la motion aurait attribué à tort un revenu à M. Colucci (par. 13).
[22]                        Au nom de la cour, la juge Roberts a conclu que même si l’adoption des Lignes directrices constituait un changement de situation, le juge de la motion avait eu tort de conclure que M. Colucci avait droit à une modification rétroactive remontant à 1997 [traduction] « de plein droit » (par. 14). Le juge de la motion a aussi eu tort de distinguer la présente affaire de l’arrêt D.B.S. et de ne pas suivre l’arrêt Gray. La juge Roberts a affirmé ce qui suit :
                    [traduction] Alors que l’arrêt [D.B.S.] portait sur une demande d’augmentation rétroactive de la pension alimentaire, les facteurs formulés par la Cour suprême étaient censés servir de principes généraux applicables, avec les adaptations qui s’imposent, aux modifications rétroactives de la pension alimentaire qui réduiraient le montant de la pension alimentaire pour enfants. [par. 15]
[23]                        Conformément à ces observations, la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt Gray, a adapté les quatre facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S. aux demandes de réduction ou d’annulation de l’arriéré de pension alimentaire pour enfants, ainsi que la règle selon laquelle la modification doit remonter à la date de l’information réelle, à moins que cette date remonte à plus de trois ans avant l’avis formel (motifs de la C.A., par. 15‑18).
[24]                        La juge Roberts a fait remarquer que, étant donné que M. Colucci n’avait pas communiqué les renseignements financiers complets et exacts, la cour n’était pas en mesure de déterminer s’il sollicitait une réparation sur le fondement de son incapacité actuelle de payer l’arriéré ou sur le fondement d’un changement de situation financière ayant une incidence sur sa capacité de s’acquitter de ses obligations à leur échéance. Toutefois, le résultat est le même dans les deux scénarios (par. 28).
[25]                        En ce qui concerne le deuxième scénario, soit celui de la nouvelle situation en raison du revenu moindre, le juge de la motion aurait dû appliquer les facteurs énoncés dans les décisions Corcios/Gray (motifs de la C.A., par. 22‑23). Appliquant ces facteurs, la Cour d’appel a conclu que M. Colucci ne s’était pas [traduction] « acquitté de son fardeau d’expliquer son omission importante de verser la pension alimentaire ainsi que le temps extraordinairement long qu’il a mis avant de présenter sa demande de modification » (par. 31). Sa conduite répréhensible de « parent débiteur récalcitrant » (par. 30) et le fait d’avoir omis de produire des documents et présenté de façon inexacte la succession de sa mère, en plus des difficultés vécues par ses filles (y compris une dette d’études considérable), militaient contre la modification de l’ordonnance alimentaire pour enfants remontant à plus de trois ans de la date de l’information réelle, c’est‑à‑dire le 17 novembre 2016, date de présentation de la motion en modification (par. 27‑32). Comme cette date n’a aucune incidence sur le montant de l’arriéré accumulé jusqu’en 2012, aucune réduction de l’arriéré n’a été autorisée (par. 34‑36).
[26]                        De plus, la Cour d’appel a souligné que M. Colucci avait manqué à son obligation continue de communiquer l’intégralité des documents et des renseignements financiers (par. 32) et avait omis de produire des éléments de preuve fiables de son incapacité de payer pendant que l’arriéré s’accumulait (par. 31).
IV.         Questions en litige
[27]                        Le présent pourvoi soulève deux questions : premièrement, quel est le cadre d’analyse qui permet de trancher les demandes sollicitant la réduction rétroactive d’une pension alimentaire pour enfants en application de l’art. 17 de la Loi sur le divorce et, deuxièmement, quel est le cadre d’analyse qu’il convient d’appliquer lorsque le parent débiteur sollicite l’annulation de l’arriéré d’une pension alimentaire pour enfants en application de l’art. 17 sur le fondement d’une incapacité de payer actuelle et continue?
V.           Analyse
[28]                        Bien que les enfants doivent autant que possible être mis à l’abri des conséquences économiques d’un divorce, le régime fédéral des pensions alimentaires pour enfants prévoit que la famille dans son ensemble — y compris l’enfant —partagera les hauts et les bas du revenu du parent débiteur, tout comme elle le faisait avant la séparation. Parce que la pension alimentaire pour enfants versée en application de la Loi sur le divorce est liée au revenu du parent débiteur et que le revenu tend à fluctuer, une ordonnance ou une entente alimentaire au profit d’un enfant tient compte de la situation précise existant au moment où elle est rendue et n’est jamais définitive (D.B.S., par. 64; D.B.S. c. S.R.G., 2005 ABCA 2, 361 A.R. 60 (« D.B.S. (C.A.) »), par. 100; Brear c. Brear, 2019 ABCA 419, 97 Alta. L.R. (6th) 1, par. 20, la juge Pentelechuk). Il existe divers mécanismes juridiques, administratifs et axés sur le consentement servant à modifier périodiquement les ordonnances alimentaires au profit des enfants afin de les faire concorder aux réalités financières.
[29]                        L’article 17 de la Loi sur le divorce est l’un de ces mécanismes. Il prévoit qu’un tribunal, sur demande, « peut rendre une ordonnance qui modifie, annule ou suspend, rétroactivement ou pour l’avenir, une ordonnance alimentaire ou telle de ses dispositions » (al. 17(1)a)). Comme l’indique le libellé, l’art. 17 confère un large pouvoir discrétionnaire au juge qui « peut » — sans y être tenu — modifier, annuler ou suspendre une ordonnance pour l’avenir, le passé ou les deux. La Loi sur le divorce confère expressément d’aussi larges pouvoirs parce que les tribunaux ont besoin d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour répondre à la multiplicité de situations factuelles produites par le comportement humain.
[30]                        L’expérience nous enseigne qu’il y a trois principales catégories de demandes de réparation rétroactive en application de l’art. 17, dont chacune possède son propre ensemble de considérations :
1.   Le parent créancier demande une augmentation rétroactive de la pension alimentaire en raison d’un changement de situation antérieur, celui‑ci étant habituellement une augmentation du revenu du parent débiteur. Dans de telles situations, le revenu du parent débiteur est sous‑estimé dans l’ordonnance ou l’entente existante.
2.   Le parent débiteur demande une réduction rétroactive de la pension alimentaire en raison d’un changement de situation antérieur. Le changement typique est une diminution du revenu qui a une incidence sur la capacité du parent débiteur de faire les versements à échéance. Dans de telles situations, le revenu du parent débiteur est surestimé dans l’ordonnance ou l’entente.
3.   Le parent débiteur demande l’annulation ou la suspension de l’arriéré en raison d’une incapacité actuelle et future de payer, plutôt que d’un changement de situation antérieur.
[31]                        Monsieur Colucci sollicite deux formes de réparation en vertu de l’art. 17. Il invoque la deuxième catégorie lorsqu’il demande à la Cour de remonter à la date d’entrée en vigueur des Lignes directrices en 1997 et de réduire son obligation alimentaire pour qu’elle corresponde au revenu qu’il affirme avoir touché pour chacune des années pendant lesquelles la pension alimentaire pour enfants était payable, jusqu’en 2012. Dans sa motion en modification et devant la Cour d’appel, il semble aussi avoir sollicité l’annulation de la totalité ou d’une partie du montant qu’il aurait dû payer parce que selon lui, il est incapable de payer ne serait‑ce qu’un montant réduit. Cette demande fait partie de la troisième catégorie de cas.
[32]                        Dans la présente partie, je commence par énoncer les principes fondamentaux du droit en matière de soutien alimentaire au profit des enfants établis dans les Lignes directrices et dans l’arrêt D.B.S., lesquels doivent sous‑tendre et guider la manière dont les tribunaux abordent la modification de la pension alimentaire pour enfants et l’annulation de l’arriéré. Il ressortira de cette analyse que la pierre angulaire du régime de pensions alimentaires pour enfants est la communication des renseignements financiers. Par conséquent, avant de passer au cadre d’analyse applicable en vertu de l’art. 17, j’examinerai l’importance de la communication, un sujet que l’on retrouvera tout au long de l’analyse qui suit.
A.           Principes fondamentaux des Lignes directrices et de l’arrêt D.B.S.
[33]                        La pension alimentaire pour enfants sous le régime de la Loi sur le divorce est déterminée conformément aux Lignes directrices, qui ont force obligatoire en tant que texte législatif subordonné pris en application de l’art. 26.1 de la Loi sur le divorce. Les Lignes directrices établissent les objectifs, les principes et les dispositions qui régissent toutes les demandes de pension alimentaire pour enfants et les jugements rendus en application de la Loi sur le divorce à ce chapitre. L’article premier des Lignes directrices énonce quatre objectifs prépondérants qu’il faut garder à l’esprit dans toute instance en matière de pension alimentaire pour enfants à laquelle s’appliquent les Lignes directrices :
a)   établir des normes équitables en matière de soutien alimentaire des enfants afin de leur permettre de continuer de bénéficier des ressources financières des époux après leur séparation;
b)   réduire les conflits et les tensions entre époux en rendant le calcul du montant des ordonnances alimentaires plus objectif;
c)   améliorer l’efficacité du processus judiciaire en guidant les tribunaux et les époux dans la détermination du montant de telles ordonnances et en favorisant le règlement des affaires;
d)   assurer un traitement uniforme des époux et enfants qui se trouvent dans des situations semblables les unes aux autres.
[34]                        L’adoption des Lignes directrices en 1997 représente une transformation du droit canadien en matière de soutien alimentaire pour enfants, lequel est passé d’une approche axée sur les besoins à une approche établissant clairement le droit de l’enfant à des aliments à proportion du revenu du parent débiteur (D.B.S., par. 42‑45). Les Lignes directrices reposent sur le principe selon lequel « l’obligation financière de subvenir aux besoins des enfants à charge est commune aux époux et [. . .] elle est répartie entre eux selon leurs ressources respectives permettant de remplir cette obligation » (Loi sur le divorce, par. 26.1(2)). L’article 3 des Lignes directrices prévoit qu’en règle générale, le montant de la pension alimentaire pour enfants est déterminé conformément à la table applicable prévue à l’annexe I. Indépendamment des ententes de garde partagée, les tables permettent généralement aux parents et aux tribunaux de calculer le montant dû de la pension alimentaire pour enfants en fonction de deux chiffres seulement : le revenu du parent débiteur et le nombre d’enfants à charge. (En ce qui concerne les frais visés à l’art. 7 des Lignes directrices, le revenu du parent créancier est aussi pertinent.) Le montant de la pension alimentaire pour enfants est déterminé uniquement en fonction du revenu parental, et non des besoins de l’enfant (à moins que le revenu du parent débiteur soit supérieur à 150 000 $) (art. 4).
[35]                        Toutes les provinces et tous les territoires ont un équivalent des Lignes directrices ou ont adopté les Lignes directrices fédérales permettant de déterminer la pension alimentaire pour enfants en application des textes législatifs provinciaux en matière de droit de la famille. Bien entendu, les provinces peuvent déroger à l’approche prévue dans les Lignes directrices fédérales, puisque la pension alimentaire pour enfants qui n’est pas accessoire au divorce relève de la compétence des provinces (D.B.S., par. 49 et 53).
[36]                        Prenant comme point de départ le changement important qu’ont introduit les Lignes directrices, l’arrêt D.B.S. a été une décision de principe dans laquelle la Cour s’est penchée sur quatre cas où des parents créanciers avaient présenté une demande de pension alimentaire rétroactive pour enfants. La Cour a confirmé les principes établis depuis longtemps selon lesquels l’enfant a droit aux aliments et les parents ont une obligation financière envers leurs enfants dès la naissance, laquelle se poursuit après la séparation (D.B.S., par. 37‑38; voir aussi MacMinn c. MacMinn (1995), 1995 CanLII 6247 (AB CA), 174 A.R. 261 (C.A.), par. 15; Hunt c. Smolis‑Hunt, 2001 ABCA 229, 97 Alta. L.R. (3d) 238, par. 17; Paras c. Paras, 1970 CanLII 370 (ON CA), [1971] 1 O.R. 130 (C.A.), p. 134). La Cour a expliqué en outre qu’à l’époque des Lignes directrices, le parent débiteur est toujours soumis à une obligation juridique indépendante de verser une pension alimentaire pour enfants proportionnelle à son revenu, et ce, indépendamment de toute ordonnance judiciaire (D.B.S., par. 68).
[37]                        Avant l’arrêt D.B.S., certains tribunaux n’avaient pas encore surmonté leur réticence à rendre une ordonnance alimentaire rétroactive, qui caractérisait l’époque antérieure aux Lignes directrices. Afin d’obtenir une pension alimentaire rétroactive pour la période précédant l’introduction de l’instance formelle, le parent créancier devait généralement faire la preuve de circonstances exceptionnelles ou, à tout le moins, démontrer qu’il s’agissait [traduction] d’« [une] situation qui s’y prête » (C. Davies, « Retroactive Child Support : the Alberta Trilogy » (2005), 24 C.F.L.Q. 1, p. 8; Whitton c. Shippelt, 2001 ABCA 307, 23 R.F.L. (5th) 437, par. 19). Dans l’arrêt D.B.S., la Cour a franchi une étape décisive dans l’époque des Lignes directrices en soulignant que l’ordonnance rétroactive de pension alimentaire pour enfants « ne peut [. . .] simplement être considérée comme une ordonnance exceptionnelle rendue dans des circonstances exceptionnelles » (par. 5). Lorsque le parent débiteur voit son revenu augmenter, mais qu’il continue de verser la pension conformément à une ordonnance judiciaire existante, il ne s’acquitte pas entièrement de l’obligation juridique indépendante de verser des aliments à proportion de son revenu. L’arrêt D.B.S. a confirmé qu’une augmentation rétroactive de la pension alimentaire dans de telles circonstances n’est donc « pas vraiment rétroactiv[e] », mais « fait [plutôt] respecter une obligation dont le parent débiteur aurait dû s’acquitter » (par. 67‑68; voir aussi par. 69).
[38]                        Les juges majoritaires dans l’arrêt D.B.S. ont conclu qu’une augmentation rétroactive de la pension alimentaire ne conviendra pas toujours (par. 95). Le tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider s’il est même opportun de prononcer une ordonnance rétroactive, et la date à laquelle elle doit remonter. Le juge Bastarache a énoncé quatre facteurs qui guident l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal : a) le fait que le parent créancier a tardé à demander l’ordonnance alimentaire; b) le comportement du parent débiteur; c) la situation de l’enfant; et d) les difficultés que pourrait causer une ordonnance rétroactive. La Cour a récemment examiné ces facteurs dans l’arrêt Michel c. Graydon, 2020 CSC 24 (par. 29, le juge Brown; par. 111‑126, la juge Martin).
[39]                        Dans l’arrêt D.B.S., les juges majoritaires ont statué que lorsqu’il convient d’accorder une augmentation rétroactive de la pension alimentaire pour enfants, la date de rétroactivité doit généralement être la date de l’« information réelle » (par. 118). Dans ce contexte, disent‑ils, l’« information réelle » exige simplement que le parent créancier « abord[e] » le sujet d’une augmentation de la pension alimentaire pour enfants (par. 121). Cependant, les juges majoritaires de la Cour ont souligné qu’il faut encourager les parents créanciers à faire progresser les discussions après avoir donné l’information réelle. À cette fin, ils ont conclu que les ordonnances rétroactives ne doivent généralement pas remonter à plus de trois ans avant la date de l’avis formel. C’est ce qu’on appelle la « règle des trois ans », bien qu’il ne s’agisse que d’une présomption.
[40]                        Exprimant une réserve importante à ces règles générales, le juge Bastarache a ajouté qu’il y a parfois lieu de faire rétroagir l’ordonnance à la date d’augmentation du revenu du parent débiteur, particulièrement lorsque le parent débiteur s’est comporté « de manière répréhensible » (par. 124). L’omission du parent débiteur de signaler des augmentations importantes de son revenu fait partie de ces comportements répréhensibles. Au par. 124, le juge Bastarache a affirmé ce qui suit :
                    Ne pas signaler un changement de situation important — y compris une augmentation du revenu susceptible de modifier le montant de la pension alimentaire versée pour l’enfant — est en soi répréhensible. L’existence d’un tel comportement répréhensible fera en sorte que la date de rétroactivité présumée corresponde à celle où la situation a sensiblement changé. Le parent débiteur ne peut se servir de son accès privilégié aux renseignements pour justifier une pension alimentaire insuffisante.
[41]                        Depuis l’arrêt D.B.S., divers tribunaux ont admis et appliqué le principe selon lequel l’omission de signaler une augmentation de revenu est un comportement répréhensible qui justifie une modification remontant à la date du changement (C. (M.) c. O. (J.), 2017 NBCA 15, 93 R.F.L. (7th) 59, par. 37; Goulding c. Keck, 2014 ABCA 138, 42 R.F.L. (7th) 259, par. 44; Brear, par. 74, la juge Pentelechuk; Burchill c. Roberts, 2013 BCCA 39, 41 B.C.L.R. (5th) 217, par. 29‑30; Greene c. Greene, 2010 BCCA 595, 12 B.C.L.R. (5th) 330, par. 73; Carlaw c. Carlaw, 2009 NSSC 428, 299 N.S.R. (2d) 1, par. 23‑25; Damphouse c. Damphouse, 2020 ABQB 101, par. 72 (CanLII)). La notion de « comportement répréhensible », selon le sens qui lui a été donné dans la jurisprudence, ne se limite pas aux cas les plus flagrants de tromperie ou d’évitement intentionnel, comme en l’espèce. Elle peut également englober les cas de simple passivité et les cas [traduction] « où l’on choisit la voie de la facilité » (Burchill, par. 30).
[42]                        Plus récemment, dans l’arrêt Michel, mon collègue le juge Brown (s’exprimant au nom de la Cour sur ce point) a confirmé que « la date d’information réelle n’est pas pertinente dans les cas où le parent débiteur s’est comporté de façon répréhensible (sans égard au degré de répréhensibilité de son comportement) », ce qui comprend la non‑communication de renseignements importants (par. 36; voir aussi par. 33). Les parents débiteurs sont « assujettis à une obligation de communication franche et complète » (par. 33). Lorsque le parent débiteur ne s’acquitte pas de cette obligation et n’informe pas le parent créancier en cas d’augmentations de son revenu, une ordonnance rétroactive « sera généralement indiquée », parce que la non‑communication « élimine [. . .] tout besoin de protéger l’intérêt [du parent débiteur] à jouir de la certitude en ce qui a trait à ses obligations alimentaires envers l’enfant » (par. 32 et 34).
[43]                        En pratique, donc, la date de rétroactivité est fréquemment ajustée pour concorder avec la date de l’augmentation importante du revenu, malgré la règle énoncée dans l’arrêt D.B.S. voulant qu’il faille « généralement » faire remonter la modification à la date de l’information réelle (par. 118). Il serait [traduction] « indéfendable de prétendre qu’un parent qui n’a pas communiqué ses renseignements financiers puisse présumer que le montant qu’il verse est adéquat du fait que le parent créancier n’a pas présenté de demande en justice » (Brear, par. 74, la juge Pentelechuk). Qui plus est, même lorsque le parent débiteur a signalé des augmentations de revenu, les facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S. peuvent justifier de faire remonter une augmentation rétroactive de la pension alimentaire à la date où le revenu a changé.
[44]                        En statuant qu’il convient « généralement » de privilégier la date d’information réelle, l’arrêt D.B.S. représentait en quelque sorte un compromis entre le régime antérieur aux Lignes directrices — qui faisait appel à des notions axées sur le parent débiteur, comme le manque de diligence et la mise en réserve — et l’époque des Lignes directrices, axées sur l’enfant. À l’époque antérieure aux Lignes directrices, l’avis était considéré comme important parce qu’il était jugé injuste de surprendre les parents débiteurs avec une ordonnance rétroactive, alors qu’ils ne pouvaient connaître l’étendue de leur obligation alimentaire envers l’enfant tant qu’elle n’était pas déterminée par le tribunal (D.B.S. (C.A.), par. 79). Après l’entrée en vigueur des Lignes directrices, les parents connaissaient l’existence et l’étendue de leurs obligations, mais les tribunaux ont continué à se montrer réticents à prononcer des ordonnances rétroactives, et des notions antérieures aux Lignes directrices, comme les avis et le manque de diligence, ont continué à avoir une certaine influence. Ce contexte aide à comprendre la réticence des juges majoritaires dans l’arrêt D.B.S. à modifier en cours de route les règles applicables aux parents débiteurs. Cependant, depuis l’arrêt D.B.S., les attentes des parents débiteurs et à l’égard de ceux‑ci ont évolué. Les Lignes directrices et l’art. 17 de la Loi sur le divorce sont clairs et l’arrêt D.B.S. a lui‑même avisé les parents débiteurs qu’ils doivent payer une pension alimentaire plus élevée dans la mesure de l’augmentation de leur revenu et que cette obligation peut être exécutée après le fait.
[45]                        Vu l’approche actuelle à l’égard du comportement répréhensible et l’omniprésence des cas de non‑communication, il pourrait être nécessaire, dans une affaire ultérieure, de revoir la date de rétroactivité présumée dans les cas où le parent créancier sollicite une modification rétroactive qui tient compte des augmentations du revenu du parent débiteur. Une présomption en faveur d’une modification de la pension alimentaire remontant à la date de l’augmentation du revenu refléterait mieux le désavantage du parent créancier au titre de l’information et éliminerait ce qui incite les parents débiteurs à ne pas communiquer les renseignements ou à verser un montant insuffisant de pension alimentaire dans l’espoir que le statu quo sera maintenu. Une telle présomption concorderait avec les autres principes fondamentaux de la pension alimentaire pour enfants et renforcerait le principe voulant que les parents débiteurs partagent le fardeau de faire en sorte que l’enfant reçoive une pension alimentaire appropriée.
[46]                        Dans l’arrêt D.B.S., la Cour a en outre souligné trois intérêts qui doivent être mis en balance pour atteindre un juste résultat dans les affaires de modification rétroactive : d’abord et avant tout, l’intérêt de l’enfant à recevoir la pension alimentaire appropriée à laquelle il a droit; deuxièmement, l’intérêt des parties et de l’enfant à bénéficier de la certitude et de la prévisibilité; troisièmement, le besoin de souplesse pour que le résultat soit juste en cas de fluctuations du revenu du parent débiteur (D.B.S., par. 2, 74 et 96; voir aussi Templeton c. Nuttall, 2018 ONSC 815, par. 43 (CanLII); Contino c. Leonelli‑Contino, 2005 CSC 63, [2005] 3 R.C.S. 217, par. 33). L’intérêt de l’enfant à bénéficier de normes équitables en matière de soutien alimentaire à proportion du revenu du parent débiteur est l’intérêt fondamental auquel toutes les règles et tous les principes doivent céder le pas. Un résultat juste qui protège adéquatement cet intérêt penchera parfois vers la préservation de la certitude, parfois vers la souplesse.
[47]                        Outre les principes fondamentaux établis dans les Lignes directrices et dans l’arrêt D.B.S., le cadre d’analyse applicable à une réduction de la pension alimentaire pour enfants doit prendre en compte l’asymétrie qui existe entre les parties au titre de l’information et, en conséquence, la nécessité que le parent débiteur effectue une communication franche et complète de son revenu. C’est sur ce point que je vais maintenant me pencher.
B.            Favoriser la communication complète et en temps utile
[48]                        En raison du fait que les tribunaux appliquent les Lignes directrices et l’arrêt D.B.S. depuis de nombreuses années, il est devenu évident à quel point le régime de soutien alimentaire des enfants, y compris les modifications visées à l’art. 17, dépend de la communication adéquate, exacte et en temps utile des renseignements financiers. Le rôle central de la communication dans le domaine des pensions alimentaires pour enfants est reconnu dans de nombreuses décisions qui ont précédé et suivi l’arrêt D.B.S. (voir, p. ex., Shamli c. Shamli, 2004 CanLII 45956 (C.S.J. Ont.), par. 8; Hietanen c. Hietanen, 2004 BCSC 306, 7 R.F.L. (6th) 67, par. 11; Gray, par. 63; M.K.R. c. J.A.R., 2015 NBCA 73, 443 R.N.‑B. (2e) 313, par. 14 et 20; Francis c. Terry, 2004 NSCA 118, 227 N.S.R. (2d) 99, par. 9; Goulding, par. 44). En termes simples, la communication est l’élément central sur lequel repose un soutien alimentaire des enfants équitable et les critères juridiques pertinents doivent favoriser la communication en temps utile des renseignements nécessaires.
[49]                        Le rôle capital de la communication n’a rien d’étonnant, puisque le principe qui sous‑tend les Lignes directrices est que « l’obligation alimentaire comme telle fluctue en fonction du revenu du parent débiteur » (D.B.S., par. 45). La structure des Lignes directrices crée ainsi une asymétrie au titre de l’information entre les parties. Dans un régime qui rattache la pension alimentaire au revenu du parent débiteur, c’est ce dernier qui connaît et qui contrôle les renseignements nécessaires au calcul du montant approprié de la pension alimentaire. Le parent créancier n’a pas accès à ces renseignements, sauf dans la mesure où le parent débiteur choisit de les communiquer ou y est contraint. Il serait donc illogique, injuste et contraire à l’intérêt de l’enfant d’imposer au parent créancier la responsabilité exclusive de s’assurer que le parent débiteur s’acquitte en tout temps de son obligation alimentaire.
[50]                        Voilà pourquoi la communication franche par le parent débiteur des renseignements sur son revenu est le fondement du régime de soutien alimentaire des enfants. Dans l’arrêt Roberts c. Roberts, 2015 ONCA 450, 65 R.F.L. (7th) 6, la Cour d’appel a décrit l’obligation de communiquer les renseignements financiers comme [traduction] « [l]’obligation la plus fondamentale en droit de la famille » (par. 11). L’omission du parent débiteur de communiquer l’intégralité des renseignements en temps utile et de façon proactive sape les politiques qui sous‑tendent le régime du droit de la famille et [traduction] « les processus qui ont été soigneusement conçus pour réaliser ces objectifs de politique générale » (Leitch c. Novac, 2020 ONCA 257, 150 O.R. (3d) 587, par. 44). Sans communication adéquate, le système ne peut tout simplement pas fonctionner, et il serait impossible d’atteindre l’objectif d’établir des normes équitables en matière de soutien alimentaire au profit des enfants qui feraient en sorte que ceux‑ci profitent des moyens des deux parents (Michel, par. 32, le juge Brown; Brear, par. 19, la juge Pentelechuk).
[51]                        La communication franche et complète est également une condition préalable à la négociation de bonne foi. Sans elle, les parties ne sont pas sur un pied d’égalité, qui est nécessaire pour prendre des décisions éclairées et régler par voie extrajudiciaire les différends portant sur la pension alimentaire pour enfants. Le fait d’inciter le parent débiteur à communiquer les renseignements de façon proactive contribue à mener à bien les objectifs — énoncés à l’article premier des Lignes directrices — de réduire les conflits entre les parties et de favoriser le règlement des affaires.
[52]                        En lien avec ces réalités, les tribunaux reconnaissent de plus en plus que l’obligation du parent débiteur de communiquer les renseignements sur son revenu est un corollaire de l’obligation légale de verser une pension alimentaire à proportion de son revenu (Brear, par. 19 et 69, la juge Pentelechuk; Roseberry c. Roseberry, 2015 ABQB 75, 13 Alta. L.R. (6th) 215, par. 63; Cunningham c. Seveny, 2017 ABCA 4, 88 R.F.L. (7th) 1, par. 21 et 26). Comme l’a expliqué le juge Brown, s’exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt Michel, les parents débiteurs « sont assujettis à une obligation de communication franche et complète — une obligation comparable à celle qui se présente dans les négociations matrimoniales » (par. 33, renvoyant à l’arrêt Rick c. Brandsema, 2009 CSC 10, [2009] 1 R.C.S. 295, par. 47‑49). Les tribunaux et les législateurs ont aussi mis en œuvre divers mécanismes pour encourager, voire exiger, la communication régulière continue par le parent débiteur des renseignements à jour sur son revenu, en plus d’outils pour faire avancer l’instance en cas de non‑communication. Ces mécanismes comprennent l’attribution d’un revenu aux parents débiteurs qui n’ont pas fait une communication adéquate, la radiation d’actes de procédure, les inférences défavorables et la condamnation aux dépens. En favorisant la communication en temps utile, ces outils réduisent la probabilité que le parent créancier soit obligé de s’adresser aux tribunaux à plusieurs reprises pour obtenir la communication des renseignements.
[53]                        Dans la foulée de l’arrêt D.B.S., les avocats et les tribunaux ont en outre commencé à mettre en œuvre [traduction] « des stratégies proactives visant à éviter les débats fastidieux et contradictoires liés à la question de savoir s’il y a lieu de “demander” plutôt que de “signaler” les augmentations de revenu », tel le recours aux obligations de communication annuelle obligatoire dans les ordonnances de pension alimentaire pour enfants en Alberta et en Ontario (M. L. Gordon, « An Update on Retroactive Child and Spousal Support : Five Years after S. (D.B.) v. G. (S.R.) » (2012), 31 C.F.L.Q. 71, p. 72; voir aussi Sawatzky c. Sawatzky, 2018 MBCA 102, 428 D.L.R. (4th) 247, par. 58; Roseberry, par. 64). En Ontario, le législateur a fait écho à cette tendance en modifiant les lignes directrices pour qu’elles comprennent une obligation incombant aux parents débiteurs de communiquer annuellement les renseignements sur leur revenu sans que le parent créancier n’ait à le demander (Lignes directrices sur les aliments pour les enfants, Règl. de l’Ont. 391/97, par. 24.1(1)). De même, en Colombie‑Britannique, le par. 5(1) de la Family Law Act, S.B.C. 2011, c. 25, impose une obligation générale de communiquer [traduction] « les renseignements complets et exacts » aux fins de régler les différends en droit de la famille.
[54]                        En accord avec ces avancées, l’exercice du pouvoir discrétionnaire des tribunaux et l’établissement de normes juridiques au titre de l’art. 17 de la Loi sur le divorce doivent favoriser la communication des renseignements financiers et ne récompenser d’aucune façon ceux qui, à tort, tairaient, cacheraient ou présenteraient de façon inexacte les renseignements qu’ils auraient dû partager. La communication proactive des changements du revenu est la première étape pour faire en sorte que les obligations alimentaires envers les enfants se rattachent au revenu du parent débiteur au gré de ses fluctuations. La communication inadéquate engendre [traduction] « une accumulation de demandes de pension alimentaire [rétroactive] » (Roseberry, par. 61). De fait, s’il y avait communication complète, franche et régulière, l’arriéré de longue date — comme celui de M. Colucci — serait chose rare.
C.            Le cadre d’analyse applicable
[55]                        Au sein du cadre d’analyse applicable à la modification de la pension alimentaire pour enfants et à l’annulation de l’arriéré, le pouvoir discrétionnaire du tribunal doit être structuré de manière à protéger l’intérêt de l’enfant à recevoir la pension alimentaire appropriée auquel l’enfant a droit. Parallèlement à cet intérêt prépondérant, il doit y avoir un juste équilibre entre la certitude et la souplesse pour arriver à un résultat approprié, compte tenu des fluctuations du revenu du parent débiteur et des circonstances particulières de chaque cas. Qui plus est, le cadre d’analyse au titre de l’art. 17 doit promouvoir la communication en temps utile des renseignements exacts, ce qui favorise la négociation égalitaire et des règlements équitables, puisque le parent débiteur « a toutes les cartes en main » lorsqu’il s’agit de la pension alimentaire pour enfants (Michel, par. 32, le juge Brown). Avant tout, « l’objectif ultime doit être de faire en sorte que l’enfant bénéficie de ce qui lui est dû au moment où il lui est dû. Tout ce qui peut inciter le parent débiteur à se soustraire à ses obligations doit être écarté » (D.B.S., par. 4). Les parents débiteurs ne devraient pas se retrouver en meilleure position, sur le plan juridique, s’ils ne versent pas la pension alimentaire pour enfants dont ils sont redevables en vertu de la loi; et ils ne devraient pas non plus recevoir quelque bénéfice ou avantage du fait qu’ils ne communiquent pas leur situation financière véritable ou qu’ils communiquent les renseignements la veille de l’audience.
[56]                        En fonction de ces principes directeurs, je vais d’abord énoncer le cadre d’analyse applicable à la demande du parent débiteur sollicitant une réduction rétroactive de la pension alimentaire en raison d’un changement important de situation. J’expliquerai ensuite le cadre d’analyse applicable lorsque le parent débiteur sollicite l’annulation de l’arriéré en raison de son incapacité actuelle de payer, plutôt que d’un changement de situation antérieur.
(1)         La réduction rétroactive lorsque l’ordonnance antérieure surestime le revenu du parent débiteur
[57]                        Cette catégorie de cas vise les situations où le parent débiteur a connu une baisse importante de revenu qui a eu une incidence sur sa capacité de faire des versements à échéance. Le parent débiteur fera valoir qu’il devait en fait au parent créancier un montant moindre au titre des Lignes directrices que le montant payable au titre d’une ordonnance ou d’une entente préexistante, ce qui nécessiterait donc un nouveau calcul du montant exigible pour les années passées en fonction du revenu réel du parent débiteur, du nombre d’enfants à charge pendant ces années et des montants figurant dans les tables. Une réduction de revenu est une réalité malheureuse et bien trop fréquente pour plusieurs familles. Tout cadre d’analyse élaboré pour prendre en compte les modifications rétroactives de la pension alimentaire pour enfants en réponse à une réduction du revenu du parent débiteur doit traiter équitablement d’une vaste gamme de situations factuelles, allant des parents débiteurs qui ont diligemment payé le bon montant jusqu’à ce qu’ils perdent leur emploi ou connaissent des jours difficiles, à ceux qui n’ont pas tenté de s’acquitter de leurs responsabilités et qui sont absents, intentionnellement sous‑employés ou constamment défaillants.
[58]                        Dans la présente section, je discute d’abord de la condition préliminaire à laquelle doit satisfaire le parent débiteur pour avoir droit à une réduction rétroactive au titre de l’art. 17, soit l’obligation de démontrer un changement de situation qui justifierait la modification du montant de la pension alimentaire pour enfants. Je concilie ensuite les courants jurisprudentiels divergents concernant ce qui se passe lorsque cette condition préliminaire est respectée, et je retiens l’approche fondée sur une présomption qui laisse place à un pouvoir discrétionnaire judiciaire s’articulant autour des facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S. Conformément à cette approche, dès que le parent débiteur a satisfait au critère préliminaire de démontrer un changement de situation, une présomption s’applique en faveur de la modification de la pension alimentaire remontant à la date de l’information réelle, jusqu’à trois ans avant l’avis formel. J’explique ce que signifie l’information réelle et pourquoi il s’agit d’une date présumée qui convient dans cette catégorie de cas. J’analyse ensuite comment les facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S. peuvent être adaptés aux réductions rétroactives en tranchant la question de savoir s’il y a lieu de déroger à la date présumée de rétroactivité. Enfin, j’aborde la question du montant, la dernière étape de l’analyse, qui oblige le tribunal à calculer le juste montant de la pension alimentaire conformément aux Lignes directrices.
(a)           La condition préliminaire de changement de situation
[59]                        Comme tout demandeur qui sollicite une modification rétroactive au titre de l’art. 17 de la Loi sur le divorce, le parent débiteur qui sollicite une modification rétroactive à la baisse doit d’abord démontrer un changement de situation antérieur, comme le prescrit le par. 17(4). L’article 14 des Lignes directrices énumère les situations qui constituent un changement de situation pour l’application de ce paragraphe, notamment l’entrée en vigueur des Lignes directrices (al. 14c)). Un changement de situation peut également comprendre un changement qui, s’il avait été connu à l’époque, se serait vraisemblablement traduit par des dispositions différentes, comme une baisse de revenu (Lignes directrices, al. 14a); Willick c. Willick, 1994 CanLII 28 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 670, p. 688; Gray, par. 39).
[60]                        C’est à la partie qui sollicite une réduction rétroactive qu’incombe le fardeau de démontrer qu’il y a eu changement de situation (Punzo c. Punzo, 2016 ONCA 957, 90 R.F.L. (7th) 304, par. 26; Templeton, par. 33). Dans certains cas, cela peut être relativement simple : par exemple, en établissant que les enfants n’ont plus légalement droit aux aliments parce qu’ils ne sont plus des enfants à charge.
[61]                        Le plus souvent, la demande de modification rétroactive sera fondée sur un changement important de revenu. Pour satisfaire à la condition préliminaire, la baisse de revenu doit être substantielle et avoir une certaine continuité, et elle doit être réelle et ne pas découler d’un choix (Willick, p. 687‑688; Earle c. Earle, 1999 CanLII 6914 (C.S. C.‑B.), par. 27; MacCarthy c. MacCarthy, 2015 BCCA 496, 380 B.C.A.C. 102, par. 58, citant Earle; L.M.P. c. L.S., 2011 CSC 64, [2011] 3 R.C.S. 775, par. 33; Gray, par. 39; Brown c. Brown, 2010 NBCA 5, 353 R.N.‑B. (2e) 323 (« Brown »), par. 2; Templeton, par. 35). Les changements de peu d’importance ou de courte durée ne sont pas suffisants pour justifier une modification (Templeton, par. 35). De cette façon, l’examen préliminaire assure aux parties et à l’enfant un certain sentiment de certitude et de prévisibilité, tout en permettant de la souplesse en réponse aux changements de revenu du parent débiteur.
[62]                        Le parent débiteur doit avoir communiqué suffisamment d’éléments de preuve fiables pour que le tribunal puisse déterminer quand son revenu a baissé et de combien, et apprécier si le changement était substantiel, de longue durée et ne découlait pas d’un choix. La décision de réduire rétroactivement la pension alimentaire ne peut être prise que sur le fondement de [traduction] « renseignements fiables, exacts et complets » (Earle, par. 28). Le parent débiteur ne peut demander au tribunal de tirer des conclusions relatives au revenu qui sont contraires aux intérêts du parent créancier, [traduction] « tout en dissimulant derrière un mur protecteur des renseignements qui sont pertinents pour la détermination du revenu » (Templeton, par. 67; voir aussi Tougher c. Tougher, 1999 ABQB 552, par. 14‑15 (CanLII); Terry, par. 9).
[63]                        Bien entendu, le parent débiteur à qui un revenu a été attribué au départ en raison du fait que les renseignements sur son revenu n’ont pas été initialement communiqués ne peut prétendre par la suite qu’un changement de situation se produit lorsqu’il ou elle produit ultérieurement la bonne documentation indiquant que le revenu attribué était plus élevé que le montant figurant dans les tables correspondant à son revenu réel. Le parent débiteur ne peut pas invoquer la communication tardive de son propre fait en tant que changement de situation au soutien d’une ordonnance modificative (Gray, par. 33‑34). Cela [traduction] « irait à l’encontre de l’objectif même de l’attribution du revenu » et aurait pour effet de « dissuader les parents débiteurs de participer au processus judiciaire initial » (Trang c. Trang, 2013 ONSC 1980, 29 R.F.L. (7th) 364, par. 53).
(b)         Concilier les courants jurisprudentiels opposés quant à l’application de l’arrêt D.B.S.
[64]                        À supposer que la condition préliminaire du changement de situation est remplie, les parties ne s’entendent pas sur deux questions cruciales : comment décider de l’opportunité même d’accorder une réparation rétroactive, et jusqu’où le tribunal doit‑il remonter lorsqu’il modifie un montant accordé par une ordonnance antérieure.
[65]                        Pour répondre à ces questions, chaque partie invoque un des deux courants jurisprudentiels divergents postérieurs à l’arrêt D.B.S. concernant les réductions rétroactives de la pension préliminaire pour enfants. Selon M. Colucci, le parent débiteur qui satisfait à la condition préalable a droit à une réduction rétroactive sans égard aux facteurs contextuels. Cette thèse correspond à l’approche adoptée dans l’arrêt Brown, où la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a conclu que l’arrêt D.B.S. ne s’appliquait aucunement aux arriérés, vu les commentaires du juge Bastarache aux par. 1 et 98 de cet arrêt (dont il sera question plus loin). Suivant le critère retenu dans l’arrêt Brown, le tribunal ne se demande que s’il y a eu un changement de situation important depuis le prononcé de l’ordonnance originale et, dans l’affirmative, ce qu’aurait dû être le montant approprié de la pension alimentaire pour enfants en application des Lignes directrices. À cet égard, le critère retenu dans l’arrêt Brown est un critère [traduction] « sans égard à la faute » (M.W. c. K.T., 2019 NLSC 14, 19 R.F.L. (8th) 51, par. 43).
[66]                        Madame Colucci invoque le courant jurisprudentiel découlant des arrêts Corcios/Gray, qui a adapté les facteurs contextuels énoncés dans l’arrêt D.B.S. aux demandes visant à réduire rétroactivement la pension alimentaire. Suivant le cadre d’analyse découlant des arrêts Corcios/Gray, le tribunal peut tenir compte de ces facteurs pour décider si une réduction rétroactive est appropriée, pour fixer la date de rétroactivité et, parfois, pour fixer le montant à payer (Gray, par. 60; Templeton, par. 49‑50). Reflétant l’arrêt D.B.S., l’approche découlant des arrêts Corcios/Gray établit une règle générale faisant remonter la modification à la date à laquelle le parent débiteur a réellement informé le parent créancier de son intention de solliciter une réduction sur le fondement d’une nouvelle situation, jusqu’à un maximum présumé de trois ans avant la date de présentation de l’avis formel (Gray, par. 61). La Cour d’appel a adopté l’approche découlant des arrêts Corcios/Gray en l’espèce.
[67]                        À mon avis, ces deux courants jurisprudentiels ont quelque chose à offrir. Celui de l’arrêt Brown offre la simplicité et la prévisibilité. Toutefois, il fait abstraction de l’intérêt du parent créancier et de l’enfant à bénéficier de la certitude, et ne fait rien pour inciter le parent débiteur à signaler au parent créancier les changements à son revenu. Qui plus est, le cadre établi dans l’arrêt Brown est incompatible avec le libellé discrétionnaire de l’art. 17 de la Loi sur le divorce, lequel prévoit que le tribunal « peut » modifier rétroactivement une ordonnance alimentaire. Suivant l’approche établie dans l’arrêt Brown, le tribunal doit modifier l’ordonnance dès lors que le parent débiteur a établi qu’il y avait eu changement à sa situation, et doit faire remonter la modification à la date du changement. Le cadre établi dans l’arrêt Brown fait également en sorte qu’il est beaucoup plus facile pour le parent débiteur d’obtenir une réduction rétroactive qu’il ne l’est pour le parent créancier d’obtenir une augmentation rétroactive, une lacune qui est encore plus injuste lorsqu’on la considère à la lumière du désavantage, au titre de l’information, du parent créancier. Cette lacune compromet la réalisation de l’objectif de l’article premier des Lignes directrices, qui consiste à assurer un traitement uniforme des époux se trouvant dans des situations semblables. Il s’agit de déficiences graves qui font obstacle au règlement équitable selon les faits de chaque affaire.
[68]                        Le cadre d’analyse découlant des arrêts Corcios/Gray atténue ces déficiences en adaptant l’arrêt D.B.S. au contexte de la réduction, privilégiant la date d’information réelle comme date de rétroactivité par défaut et permettant l’ajustement de la date de rétroactivité en fonction de facteurs contextuels. Le problème, toutefois, tient à ce que l’arrêt Gray exige que les tribunaux examinent de multiples facteurs en rapport avec trois questions différentes (l’opportunité d’une ordonnance rétroactive, la date à laquelle elle devrait remonter et le montant auquel elle devrait correspondre) (Gray, par. 60). Il en résulte souvent de la confusion et une complexité excessive : les questions se mélangent, les facteurs se confondent et la superposition du pouvoir discrétionnaire aux diverses étapes de l’analyse se fait au détriment de la prévisibilité et de la transparence. Cette complexité rend le cadre moins utile pour les plaideurs en droit de la famille, dont un nombre croissant sont non représentés (Morwald‑Benevides c. Benevides, 2019 ONCA 1023, 148 O.R. (3d) 305, par. 19).
[69]                        De plus, un cadre d’analyse qui comporte l’application d’un pouvoir discrétionnaire multifactoriel à multiples étapes de l’analyse est moins utile comme point d’ancrage pour les négociations et le règlement de questions liées à la pension alimentaire pour enfants. Il existe une tendance en droit de la famille à s’éloigner d’une culture de confrontation pour se rapprocher d’une culture de négociation dans les litiges (voir, p. ex., D. Martinson et M. Jackson, « Family Violence and Evolving Judicial Roles : Judges as Equality Guardians in Family Law Cases » (2017), 30 Rev. can. d. fam. 11, p. 22; D. M. Sowter, « Advocacy in Non‑Adversarial Family Law : A Recommendation for Revision to the Model Code » (2018), 35 Windsor Y.B. Access Just. 401, p. 402; P. J. Dalphond et A. Nag, « Enfin une réforme de la Loi sur le divorce » (2019), 78 R. du B. 255, p. 312 et suiv.). Outre le fait que les Lignes directrices ont pour objectif de favoriser le règlement des affaires, de récentes modifications apportées à la Loi sur le divorce reflètent cette évolution en obligeant les parties, dans les cas qui s’y prêtent, à tenter de régler les différends en droit de la famille au moyen de mécanismes de règlement des différends familiaux (art. 7.3). Les parents devraient être encouragés — lorsqu’il n’y a pas de violence familiale ou de déséquilibres de pouvoir importants — à régler eux‑mêmes leurs différends en dehors de la structure judiciaire, et les règles de droit doivent être claires et accessibles de manière à ce qu’ils puissent arriver à des ententes équitables. Un règlement négocié permet non seulement d’économiser des ressources, mais il réduit aussi le besoin des parties d’avoir recours aux tribunaux par la suite grâce à la relation moins acrimonieuse qui sera établie entre elles (N. Bala, « Reforming Family Dispute Resolution in Ontario : Systemic Changes and Cultural Shifts », dans M. Trebilcock, A. Duggan et L. Sossin, dir., Middle Income Access to Justice (2012), 271, p. 286‑287). 
[70]                        Pour qu’une culture de négociation soit possible, le cadre d’analyse fondé sur l’art. 17 de la Loi sur le divorce doit fournir aux parties une assise à leurs efforts visant à régler elles‑mêmes l’affaire. Un cadre qui favorise la communication en temps utile et qui structure le pouvoir discrétionnaire du tribunal au moyen de présomptions claires et simples fournira un solide point de départ aux négociations entre les parties.
[71]                        Par conséquent, un cadre d’analyse simplifié qui retient les avantages de l’approche de l’arrêt Brown et de celle des arrêts Corcios/Gray, tout en éliminant leurs inconvénients, est à privilégier. Pour favoriser la clarté, la simplicité et la prévisibilité, l’analyse doit être centrée sur une seule présomption concernant la date de rétroactivité. Dès que le demandeur établit un changement de situation, il y a présomption que la pension alimentaire sera modifiée rétroactivement à compter d’une certaine date (c.‑à‑d. celle de l’information réelle, jusqu’à trois ans avant l’avis formel). Les facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S. sont donc orientés principalement vers une seule question : le tribunal doit‑il déroger à la date de rétroactivité présumée pour atteindre un résultat équitable? C’est à l’égard de cette question seulement que les facteurs du retard à présenter une demande, du comportement du parent débiteur, de la situation de l’enfant et des difficultés éventuelles entrent en compte.
[72]                        Il n’est donc plus nécessaire de se demander en premier lieu si une réparation rétroactive est justifiée de façon générale, des facteurs contextuels servant à la fois à orienter cet examen préliminaire et à trancher la question de savoir jusqu’où la réparation rétroactive doit remonter. Déjà dans la jurisprudence, cette question préliminaire a souvent été confondue avec la question de savoir jusqu’où doit remonter toute ordonnance rétroactive, remettant en question l’utilité de s’interroger d’abord sur l’opportunité générale d’une réparation rétroactive. Par exemple, même si le cadre d’analyse dans l’arrêt Corcios commandait une étape distincte consistant à se demander s’il convient même d’accorder une réparation rétroactive, le tribunal n’a pas dissocié cette question préliminaire de l’examen de la question de savoir jusqu’où la réparation rétroactive doit remonter. Le fait de passer directement à une date présumée simplifie l’analyse et accroît l’équité et la prévisibilité pour les parties.
[73]                        Pour assurer la cohérence et le traitement égalitaire, il convient d’appliquer cette même approche fondée sur une présomption dans tous les contextes de modification rétroactive, notamment lorsque le parent créancier présente une demande d’augmentation rétroactive fondée sur l’art. 17. Il ne serait pas juste que le parent débiteur qui demande une réduction bénéficie d’une présomption dont ne peut se prévaloir le parent créancier qui demande une augmentation, d’autant plus que dans bien des cas, une demande d’augmentation rétroactive de la pension alimentaire sera opposée à la demande de réduction rétroactive dans la même instance, ou vice versa. Par conséquent, le parent créancier n’est plus tenu d’établir, à titre préliminaire, qu’une ordonnance rétroactive est appropriée sur le fondement des facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S. Dès lors qu’une augmentation du revenu du parent débiteur a été établie, la seule question est de savoir jusqu’où la pension alimentaire rétroactive doit remonter. Il n’y a aucune injustice si l’on omet l’examen de la pertinence générale de la pension alimentaire rétroactive pour enfants, puisque les craintes selon lesquelles les parents débiteurs seront pris au dépourvu par des changements après le fait sont entièrement levées par le renvoi exprès aux modifications rétroactives dans le libellé de l’art. 17, par la façon dont fonctionnent les Lignes directrices et par le fait que les motifs de la Cour dans l’arrêt D.B.S. ont été prononcés il y a plus de quinze ans.
[74]                        Par conséquent, lorsqu’un changement important antérieur du revenu du parent débiteur est établi, le montant énoncé dans l’ordonnance alimentaire au profit des enfants ne reflète plus la teneur de l’obligation juridique de celui‑ci de verser une pension alimentaire qui correspond aux montants figurant dans les tables. La seule question est de savoir quelle réparation découle de ce fait juridique. Dans le contexte d’une réduction, la présomption qui consiste à faire remonter la modification à la date d’information réelle, jusqu’à trois ans avant l’avis formel, aide le tribunal à répondre à cette question. Il demeurera vrai, suivant cette approche, que toutes les demandes ne donneront pas lieu à des modifications rétroactives, mais il s’agira de savoir si un changement de situation important a été prouvé et la date à laquelle doit remonter la modification rétroactive.
[75]                        Cela veut dire que je rejette l’argument de M. Colucci, fondé sur l’arrêt Brown, selon lequel les facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S. ne jouent aucun rôle dans les demandes de réduction rétroactive. Il soutient que le par. 98 de l’arrêt D.B.S. fait autorité, et qu’il établit que les facteurs énoncés dans cet arrêt ne s’appliquent pas à l’arriéré. Au par. 98, le juge Bastarache a écrit ce qui suit :
                    . . . [ces éléments] ne sont pas censés entrer en ligne de compte lorsqu’il y a des arriérés. Dans ce cas, le parent débiteur ne peut prétendre que la mesure demandée irait à l’encontre de la certitude et de la prévisibilité dont il est censé bénéficier. En effet, s’il y a des arriérés, cet élément milite en faveur de la solution contraire. Aucune analogie ne peut être faite avec les présents pourvois.
[76]                        À mon avis, ce passage ne permet pas de soutenir que les facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S. n’ont aucune pertinence lorsque le parent débiteur sollicite une réduction rétroactive fondée sur un changement de situation. Le juge Bastarache soulignait plutôt que l’équilibre entre la certitude et la souplesse est très différent selon qu’il s’agit d’une demande d’augmentation ou d’une demande de réduction. Ces intérêts militeront dans des sens différents selon qu’il s’agit du parent créancier ou du parent débiteur qui sollicite une modification rétroactive de la pension alimentaire. Ce point exige d’autres éclaircissements, car il sera pertinent quant à la manière dont l’information réelle doit être définie dans les contextes d’augmentation et de réduction.
[77]                        Dans le cadre d’une demande d’augmentation rétroactive, le parent créancier recherche la souplesse d’une ordonnance rétroactive qui englobera le revenu plus élevé du parent débiteur, afin d’obtenir le versement du juste montant de la pension alimentaire pour enfants. C’est le parent débiteur qui a un certain intérêt à bénéficier de la certitude et de la prévisibilité que procure une ordonnance du tribunal ou une entente existante (D.B.S., par. 63). Cependant, cet intérêt est fortement restreint par le principe de l’époque des Lignes directrices selon lequel toute augmentation du revenu se traduit par une augmentation de la pension alimentaire. Le parent débiteur ne peut pas raisonnablement s’attendre à ce que ses obligations alimentaires envers ses enfants demeurent statiques s’il connaît une augmentation importante de son revenu. Compte tenu de la structure des Lignes directrices, la seule véritable « certitude » face aux fluctuations de revenu est que le parent débiteur est tenu de payer le montant figurant dans les tables en fonction de son revenu réel. Qui plus est, le parent débiteur qui doit des arriérés ne peut échapper à une augmentation rétroactive en invoquant son intérêt à bénéficier de la certitude, car il ne peut prétendre s’être appuyé sur l’ordonnance pour organiser ses affaires (Gray, par. 51; MacEachern c. Bell, 2019 ONSC 4720, 33 R.F.L. (8th) 68, par. 89).
[78]                        Inversement, dans une demande de réduction rétroactive, comme il est indiqué dans l’arrêt D.B.S., par. 98, l’intérêt à bénéficier de la certitude appartient au parent créancier et à l’enfant, alors que l’intérêt à bénéficier de la souplesse appartient au parent débiteur. Selon les Lignes directrices, le parent débiteur n’est tenu de payer la pension alimentaire pour enfants qu’à proportion de son revenu, mais une réduction rétroactive de la pension alimentaire se traduit par une perturbation de la certitude dont bénéficient l’enfant et le parent créancier. Ce dernier est en droit de s’attendre à ce que l’ordonnance existante soit respectée, à moins qu’on lui fournisse une preuve raisonnable qu’un changement pertinent de la situation du parent débiteur s’est produit. Encore une fois, le parent débiteur dispose des renseignements pertinents et sait quand il y a eu une diminution de revenu. Il y va de son intérêt de se servir de ces renseignements pour aviser le parent créancier du changement de situation et pour prendre des mesures visant à modifier formellement l’ordonnance alimentaire au profit de l’enfant.
[79]                        À mon avis, le rôle du par. 98 de l’arrêt D.B.S. est de cerner ces différences importantes, qui exigent une mise en balance distincte des intérêts selon qu’il s’agit d’une demande de réduction ou d’augmentation rétroactive. Le paragraphe 98 n’empêche pas notre Cour d’employer les quatre facteurs énoncés dans cet arrêt, avec les modifications qui s’imposent, comme faisant partie d’un cadre d’analyse unifié pour régir les demandes de modifications à la hausse ou à la baisse présentées en vertu de l’art. 17. D’ailleurs, il y a de bonnes raisons de le faire, puisque les facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S. aideront le tribunal à apprécier l’équité de l’affaire et à établir un juste équilibre entre la certitude, la souplesse et le droit de l’enfant au soutien alimentaire en fonction du revenu du parent débiteur.
(c)           La date de rétroactivité présumée
[80]                        Même avant que les facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S. entrent en jeu, le choix de la date de rétroactivité présumée a lui‑même pour but d’établir un équilibre préliminaire entre ces intérêts opposés. Bien qu’il puisse être nécessaire de revoir, pour les raisons énoncées précédemment, la solution généralement préconisée dans les affaires d’augmentation, soit de retenir la date de l’information réelle comme date présumée, dans le cas des réductions rétroactives, cette date présumée reflète bien le désavantage du parent créancier au titre de l’information, et représente une mise en balance équitable de la certitude et de la souplesse. Par conséquent, dès lors que le parent débiteur établit qu’il y a eu changement de situation, une présomption prend naissance en faveur de la modification de la pension alimentaire remontant à la date de l’information réelle, jusqu’à trois ans avant l’avis formel.
[81]                        Dans la présente partie, j’explique pourquoi cette présomption établit le juste équilibre entre les intérêts pertinents; ce qu’on entend par « information réelle » dans les affaires de réduction de la pension alimentaire; le rôle que joue la règle des trois ans; et la date de rétroactivité appropriée lorsqu’il n’y a pas eu information réelle par le parent débiteur.
(i)            La raison justifiant l’adoption de la date d’information réelle comme date de rétroactivité présumée dans les affaires de réduction de la pension alimentaire
[82]                        Dans les affaires de réduction de la pension alimentaire, la présomption selon laquelle celle‑ci sera réduite rétroactivement à la date d’information réelle établit un juste équilibre entre l’intérêt de l’enfant et du parent créancier à bénéficier de la certitude et l’intérêt du parent débiteur à bénéficier de la souplesse. Bien que le parent créancier soit censé savoir que le soutien alimentaire, à l’époque des Lignes directrices, varie en fonction du revenu du parent débiteur, il est désavantagé sur le plan de l’information. En l’absence d’une communication adéquate du parent débiteur indiquant une baisse de revenu qui est durable et réelle, le parent créancier peut s’appuyer sur l’ordonnance du tribunal ou sur l’entente (H.G.S. c. J.R.M., 2018 ABQB 892, 16 R.F.L. (8th) 404, par. 87). Comme l’a affirmé la Cour d’appel en l’espèce, [traduction] « le montant de la pension alimentaire prévu dans l’ordonnance ou l’entente antérieure aura fait partie du budget du parent créancier et le créancier alimentaire assumera souvent des obligations financières en fonction du maintien de la pension alimentaire énoncée dans l’ordonnance » (par. 26).
[83]                        Une réduction rétroactive équivaut à moins d’argent, une possible compensation et même un remboursement du parent créancier au parent débiteur. Cela fait intervenir et accroît l’intérêt à bénéficier de la certitude qu’ont l’enfant et le parent créancier, qui ont compté sur l’ordonnance antérieure du tribunal. Il sera généralement plus difficile de s’ajuster à la réception d’un montant moindre plutôt que d’un montant accru de soutien alimentaire, ce qui augmente la probabilité de difficultés et la gravité de celles‑ci. Les personnes qui ont des revenus plus faibles seront moins en mesure de composer avec des événements financiers défavorables.
[84]                         L’intérêt de l’enfant se situe dans la prévisibilité et la stabilité des finances du ménage. Les Lignes directrices prévoient qu’une baisse du revenu du parent débiteur peut entraîner une baisse du niveau de vie de l’enfant, tout comme si les parents faisaient encore vie commune. Toutefois, le parent débiteur doit rapidement communiquer de tels changements au parent créancier, tout comme il le ferait s’ils ne s’étaient pas séparés, et demander que les modalités de l’ordonnance ou de l’entente soient modifiées pour rétablir la certitude des ententes relatives au soutien alimentaire des enfants conclues par les parties. Cela fait en sorte que l’enfant subit le moins possible d’effets de la séparation des parents et continue de bénéficier d’une pension alimentaire prévisible et régulière du parent débiteur. On peut présumer qu’une baisse de la pension alimentaire aura des effets préjudiciables sur l’enfant, mais la communication continue atténue ces effets et protège l’intérêt de l’enfant dans toute la mesure possible. Pour ces raisons, en l’absence d’information réelle concernant une baisse du revenu du parent débiteur, il faut accorder la priorité à la certitude et la prévisibilité pour l’enfant plutôt qu’à l’intérêt du parent débiteur à bénéficier de la souplesse.
[85]                        L’intérêt du parent débiteur à bénéficier de la souplesse passe à l’avant‑plan dès lors qu’il y a information réelle (H.G.S., par. 82). Par conséquent, en faisant de la date d’information réelle la date de rétroactivité présumée, le cadre d’analyse assure amplement de souplesse pour le parent débiteur. La présomption procure en outre au parent débiteur la certitude que tout changement important de revenu doit être signalé. Non seulement le parent débiteur est celui qui connaît sa propre situation financière, mais il contrôle aussi la date à laquelle il communique ces renseignements. Le parent débiteur a donc le contrôle sur la date de l’information réelle et la date de rétroactivité.
(ii)         L’information réelle
[86]                        Ce que constitue l’« information réelle » doit s’apprécier à la lumière de l’asymétrie au titre de l’information entre les parties et du rôle que jouent la certitude, la souplesse et l’intérêt de l’enfant dans les affaires de réduction rétroactive de la pension alimentaire. Dans l’arrêt D.B.S., la Cour a statué que lorsque le parent créancier sollicite une augmentation rétroactive, il y aura eu information réelle par le simple fait qu’il a abordé le sujet d’une augmentation éventuelle (par. 121). Ce critère peu exigeant se justifiait par le désavantage du parent créancier au titre de l’information. Qu’il y ait eu ou non information réelle de la part du parent créancier, le parent débiteur savait à quel moment son propre revenu a augmenté et il est censé savoir qu’un revenu plus élevé signifie une pension alimentaire plus élevée.
[87]                        En revanche, dans le contexte d’une réduction, l’expérience enseigne qu’il ne suffit pas que le parent débiteur aborde simplement le sujet d’une réduction de la pension alimentaire avec le parent créancier. Le parent débiteur qui sollicite une réduction rétroactive a un avantage sur le plan de l’information. La date de rétroactivité présumée doit inciter le parent débiteur à communiquer de façon continue avec le parent créancier et à agir avec une célérité raisonnable pour officialiser une réduction par voie d’ordonnance judiciaire ou de modification à une entente préexistante. Le moment où la communication est faite et l’étendue de celle‑ci seront des considérations cruciales dans l’appréciation des questions de savoir s’il y a eu information réelle et, le cas échéant, à quel moment, ainsi que s’il y a lieu de déroger à la date de rétroactivité présumée.
[88]                        En conséquence, dans les affaires de réduction de la pension alimentaire, les tribunaux ont reconnu que l’information réelle devait être accompagnée d’une [traduction] « preuve raisonnable » suffisante pour permettre au parent créancier « d’évaluer la situation d’une façon indépendante et concrète et d’y donner suite comme il se doit » (Gray, par. 62, citant Corcios, par. 55; Templeton, par. 51). Cela fait en sorte que l’information réelle constitue un point de départ réaliste pour les négociations et permet au parent créancier d’ajuster ses attentes, d’apporter les changements nécessaires à son train de vie et à ses dépenses et de prendre des décisions éclairées (Hrynkow c. Gosse, 2017 ABQB 675, par. 13 (CanLII); Hodges c. Hodges, 2018 ABCA 197, par. 10 (CanLII)).
[89]                        Dans certains cas, comme lorsque le parent débiteur est incarcéré ou a un problème de santé grave, une communication claire peut être suffisante pour satisfaire aux exigences de l’information réelle. Dans d’autres cas, il se peut que le parent débiteur n’ait pas accès à tous les renseignements sur son revenu au moment où il avise le parent créancier. Il doit alors fournir une preuve du changement de situation en obtenant et en communiquant rapidement les documents disponibles, comme ceux qui font état d’un nouvel emploi, d’une réduction de salaire ou d’une cessation d’emploi. Même lorsque le parent débiteur diligent croit de bonne foi qu’une réduction de revenu sera temporaire, la façon la plus prudente d’agir consiste néanmoins à communiquer le changement au parent créancier et à fournir les renseignements qui corroborent le changement de situation allégué.
[90]                        Après avoir communiqué un changement et fourni les documents disponibles, le parent débiteur demeure tenu à [traduction] « une obligation continue d’entretenir un véritable dialogue avec le parent créancier, d’informer celui‑ci de changements à sa situation susceptibles d’avoir une incidence sur sa capacité de verser la pension alimentaire et de communiquer volontairement les renseignements pertinents, de sorte que le parent créancier puisse continuer à évaluer de façon indépendante la situation et réagir comme il se doit » (Templeton, par. 52). Le non‑respect de cette obligation peut avoir une incidence sur la période de rétroactivité lorsque le tribunal applique les facteurs discrétionnaires énoncés dans l’arrêt D.B.S. Qui plus est, le fait que le parent créancier ait réellement informé le parent débiteur d’un changement initial à son revenu n’équivaudra pas à l’avoir réellement informé de changements subséquents (Corcios, par. 55).
(iii)        La règle des trois ans
[91]                        Même dans les cas où il y a dûment eu information réelle par le parent débiteur, la période de rétroactivité est présumée ne pas remonter à plus de trois ans avant la date de l’avis formel. Cette présomption de rétroactivité de trois ans a été établie par les juges majoritaires dans l’arrêt D.B.S. pour inciter les parents créanciers qui sollicitent une modification rétroactive à faire progresser les discussions et pour protéger les intérêts du parent débiteur à bénéficier de la certitude (par. 123).
[92]                        Cette règle de trois ans a été appliquée pour des raisons analogues dans le contexte de la réduction rétroactive, comme l’a fait la Cour d’appel en l’espèce (par. 27; voir aussi Corcios, par. 55; Gray, par. 61; H.G.S., par. 94‑95 et 105‑108). L’asymétrie au titre de l’information entre les parties signifie que dans bien des cas, le parent créancier n’aura pas les renseignements qu’il lui faut pour savoir si le changement de situation communiqué par le parent débiteur à la date d’information réelle correspond toujours à la situation de ce dernier. En conséquence, une longue « période d’inaction pourra de nouveau conforter le parent [créancier] dans sa certitude » (D.B.S., par. 123). Plus le délai est long, plus le parent créancier se fiera à l’ordonnance non contestée et à la certitude qu’elle lui procure (Brown c. Barber, 2016 ABQB 687, 85 R.F.L. (7th) 401 (« Barber »), par. 35).
[93]                        La limite de trois ans censée s’appliquer donne aux parties le temps de négocier, mais reconnaît que le parent débiteur doit introduire une instance en temps utile si les négociations échouent afin de protéger les intérêts de l’enfant et du parent créancier à bénéficier de la certitude (Corcios, par. 55). Il ne faut pas encourager les parents débiteurs à attendre qu’un organisme d’exécution prenne des mesures à l’égard d’une ordonnance pour présenter une demande de modification. De plus, comme le soulignent les intervenants West Coast Legal Education and Action Fund Association et le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, compte tenu de l’omniprésence des communications insuffisantes en droit de la famille, les parents créanciers ont souvent de bonnes raisons de douter du caractère adéquat des renseignements fournis lors de l’information réelle. Les différends qui peuvent s’ensuivre à propos de la communication et du revenu du parent débiteur ne peuvent être réglés que dans le cadre d’une instance formelle, et celle‑ci doit être introduite en temps utile afin de rétablir la certitude des ententes relatives au soutien alimentaire des enfants conclues par les parties.
[94]                        La limite de trois ans censée s’appliquer se justifie également par des préoccupations liées à la preuve. Une preuve fiable est nécessaire pour déterminer le revenu du parent débiteur. La meilleure preuve du revenu ou de la capacité de gagner un revenu est généralement plus facile à obtenir à une date rapprochée de celle où le revenu est gagné (Janik c. Drotlef, 2018 ONCJ 287, par. 230 (CanLII)). Si le parent débiteur tarde à présenter une demande, il peut devenir plus difficile de produire une documentation fiable et complète sur le revenu. Cette situation obligerait le parent créancier et le tribunal à combler les lacunes par des conjectures, des inférences défavorables et l’attribution d’un revenu. Il faut encourager la communication et la présentation en temps utile de demandes de modification de la pension alimentaire afin de préserver l’équité procédurale pour le parent créancier, et afin de faire en sorte que le tribunal ait accès aux renseignements nécessaires pour établir si un changement de situation important s’est produit et quantifier la pension alimentaire. La période de trois ans donne amplement de temps. Le législateur pourrait intervenir pour régler ces préoccupations en imposant un délai plus long ou plus court de prescription s’appliquant par présomption. Par exemple, au Québec, « lorsque les arrérages sont dus depuis plus de six mois, le débiteur ne peut être libéré de leur paiement que s’il démontre qu’il lui a été impossible d’exercer ses recours pour obtenir une révision du jugement fixant la pension alimentaire » (Code civil du Québec, art. 596 al. 2).
(iv)        Lorsqu’il n’y a pas eu information réelle
[95]                        Lorsqu’il n’y a pas eu information réelle avant l’introduction de l’instance, la date à laquelle remonte la modification sera généralement la date de l’avis formel. Toutefois, ce résultat n’est pas automatique. La communication demeure un facteur pertinent. Par exemple, si trois ans se sont écoulés depuis la signification d’une motion en modification au parent créancier, mais qu’une communication franche et complète n’a été fournie que la veille de l’audience, le parent débiteur ne devrait généralement pas bénéficier d’une réduction pour la période entre la date de l’avis formel et celle de la communication. Le parent débiteur ne devrait pas être récompensé pour avoir manqué aux obligations de communication que lui imposent les Lignes directrices, les règles du tribunal et d’autres textes législatifs. Une communication déficiente ou trompeuse prive les parties d’une occasion de négocier entre la date de l’avis formel et l’audience. Toutefois, si le parent débiteur peut donner une bonne raison expliquant la communication tardive, le tribunal peut faire remonter la modification à la date de l’avis formel, malgré cette communication tardive. Les parents débiteurs aux prises avec de telles difficultés doivent être prêts à présenter des éléments de preuve de leurs efforts visant à obtenir les documents pertinents en temps utile.
(d)         Le pouvoir discrétionnaire de déroger à la présomption : les quatre facteurs de l’arrêt D.B.S.
[96]                        Le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire de déroger à la présomption d’application de la date de rétroactivité présumée lorsque le résultat serait injuste par ailleurs dans les circonstances d’un cas donné. Dans la présente partie, j’analyse comment les facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S. — adaptés au contexte de la réduction rétroactive — aident le tribunal à atteindre une juste pondération des trois intérêts en jeu, à savoir l’intérêt de l’enfant à bénéficier de normes équitables en matière de soutien alimentaire, l’intérêt du parent débiteur à bénéficier de la souplesse et l’intérêt de l’enfant et du parent créancier à bénéficier de la certitude. Il n’existe pas de formule figée; aucun de ces facteurs n’est déterminant et ils doivent être considérés dans leur ensemble (D.B.S., par. 99).
(i)            Une raison compréhensible justifiant le retard
[97]                        Le premier facteur consiste à se demander si le retard du parent débiteur à réellement informer le parent créancier ou à solliciter une réparation devant les tribunaux s’explique par une raison compréhensible. Les juges sont bien placés pour apprécier si les raisons du retard invoquées expliquent la mesure d’inactivité du parent débiteur. Lorsque le parent débiteur a une telle raison, l’équité peut militer en faveur de l’imposition d’une date de rétroactivité qui remonte à une date précédant la date d’information réelle ou de la non‑application de la limite de trois ans.
[98]                        Les raisons compréhensibles justifiant un retard peuvent comprendre les problèmes de santé ou d’autres difficultés qui empêchent le parent débiteur de composer avec la situation, ou la réticence à perturber une relation parent‑enfant fragile (D. Smith, « Retroactive Child Support — An Update » (2007), 26 C.F.L.Q. 209, p. 239). Il se peut aussi que le parent débiteur ne dispose pas des moyens financiers ou émotifs pour agir (Brown, par. 34).
[99]                        Dans certains cas, le comportement du parent créancier pourrait jouer un rôle, par exemple lorsque celui‑ci menace de priver le parent débiteur de son droit de visite ou emploie d’autres tactiques pour le dissuader de solliciter une réduction de la pension alimentaire. Pour que l’intérêt de l’enfant soit protégé, le comportement du parent créancier n’est un facteur important que si ce dernier a connaissance du changement de situation du parent débiteur et a donc été en mesure de prévoir une réduction éventuelle du soutien alimentaire. Les tribunaux doivent en outre prendre garde de faire la distinction entre la mauvaise foi du parent créancier et les situations où le comportement de celui‑ci résulte de craintes pour la sécurité découlant d’antécédents de violence familiale.
[100]                     Le fait que le parent créancier ait tardé à exécuter l’arriéré n’est pas pertinent dans l’analyse (Haisman c. Haisman (1994), 1994 ABCA 249 (CanLII), 157 A.R. 47 (C.A.), par. 46; Templeton, par. 48). Les tribunaux doivent garder à l’esprit que l’arriéré de pension alimentaire pour enfants est une dette. Suivant les principes généraux du droit régissant les relations entre débiteurs et créanciers, il appartient au parent débiteur d’aller trouver le parent créancier et de le payer, et les dettes ne sont pas remises en raison du seul passage du temps en l’absence d’un délai de prescription prévu par la loi (Brown, par. 33).
(ii)         Le comportement du parent débiteur
[101]                     Le deuxième facteur est le comportement du parent débiteur. Le comportement répréhensible désigne tout comportement qui a [traduction] « pour effet de favoriser les intérêts [du parent débiteur] au détriment du droit de l’enfant au soutien alimentaire » (Goulding, par. 44 (en italique dans l’original); voir aussi D.B.S., par. 106). Les intentions subjectives du parent débiteur sont rarement pertinentes (Goulding, par. 44).
[102]                     Les efforts déployés par le parent débiteur pour communiquer seront souvent des considérations importantes dans l’appréciation du comportement de ce dernier dans le contexte d’une demande de réduction rétroactive de la pension alimentaire. Par exemple, s’il y a eu information réelle par le parent débiteur, mais que celui‑ci omet de communiquer des renseignements sur une base continue après la date d’information réelle, le silence du parent débiteur peut militer en faveur d’une période de rétroactivité plus courte. Inversement, si plus de trois ans se sont écoulés entre la date d’information réelle et la date de l’avis formel, il se peut que le tribunal envisage de ne pas appliquer la règle des trois ans si le parent débiteur a fait des efforts continus pour communiquer avec le parent créancier et engager un dialogue avec lui.
[103]                     Le tribunal peut également se demander si le parent débiteur a fait des paiements volontaires applicables à l’arriéré, s’il a continué de payer en fonction de sa capacité, s’il a collaboré avec les organismes d’exécution et s’il s’est montré disposé à subvenir aux besoins de l’enfant plutôt que de se soustraire à ses obligations alimentaires envers lui (voir DiFrancesco c. Couto (2001), 2001 CanLII 8613 (ON CA), 56 O.R. (3d) 363 (C.A.), par. 25). Il va sans dire qu’une personne assujettie à une ordonnance alimentaire au profit d’un enfant est tenue [traduction] « de s’y conformer jusqu’à ce que l’ordonnance cesse d’avoir effet », et ce principe est maintenant expressément consacré dans la Loi sur le divorce, comme l’indique l’expression introductive « [i]l est entendu que » (art. 7.5). Les efforts véritables déployés par le parent débiteur pour continuer à payer dans la mesure de ses moyens témoigneront de sa bonne foi et de sa volonté de subvenir aux besoins de l’enfant.
(iii)        La situation de l’enfant
[104]                     La situation de l’enfant est le troisième facteur. Si l’enfant a connu des difficultés ou s’il est dans le besoin, ce facteur milite en faveur d’une période de rétroactivité plus courte.
[105]                     Une autre considération pertinente est celle de savoir si la réduction rétroactive donnerait lieu à une ordonnance obligeant le parent créancier à rembourser des prestations alimentaires pour rectifier un trop‑payé. Le cadre d’application de l’art. 17 de la Loi sur le divorce ne doit pas pénaliser les parents débiteurs qui ont continué de payer le plein montant de la pension alimentaire conformément à une ordonnance ou une entente après avoir connu une baisse de revenu. Toutefois, un remboursement ou une compensation est susceptible de causer des difficultés à l’enfant et au parent créancier. Par conséquent, lorsque le remboursement est une possibilité, il est encore plus important que le parent débiteur avise rapidement le parent créancier de la réduction de son revenu — en lui communiquant les renseignements qui lui permettent d’évaluer concrètement l’ampleur de tout remboursement futur éventuel — et procède avec diligence raisonnable pour solliciter une modification officielle (Corcios, par. 55; Gray, par. 60; voir aussi Fleury c. Fleury, 2009 ABCA 43, 448 A.R. 92, par. 32).
[106]                     Dans les cas où un trop‑payé est allégué, il sera rarement approprié, en raison du fait que le parent créancier n’avait pas été informé, de réduire rétroactivement la pension alimentaire à partir d’une date antérieure à celle où le parent créancier aurait pu s’attendre à ce que les versements de la pension alimentaire pour enfants reçus du parent débiteur doivent être remboursés ultérieurement. Cette approche protège l’intérêt de l’enfant ainsi que l’intérêt du parent créancier à bénéficier de la certitude, tout en permettant au parent débiteur qui a trop payé de demander une réduction rétroactive, pourvu que le parent créancier en ait été dûment avisé et informé.
(iv)        Les difficultés
[107]                     Le dernier facteur correspond aux difficultés causées au parent débiteur si la période de rétroactivité n’est pas allongée au‑delà de la date présumée. Le parent débiteur doit présenter des éléments de preuve pour [traduction] « établir des faits concrets » permettant de conclure qu’il subira des difficultés (Goulding, par. 57). De simples affirmations ne suffisent pas (ibid.). Le parent débiteur doit aussi brosser un tableau complet de sa situation financière, ce qui comprend son revenu, son actif et ses dettes. Par exemple, en l’espèce, l’évaluation des difficultés exige l’examen non seulement du revenu actuel de M. Colucci et de sa capacité future de gain, mais aussi des sommes d’argent qu’il a reçues de la succession de sa mère et de tout autre actif, le cas échéant.
[108]                     Une démonstration de l’existence de difficultés ne justifie pas automatiquement que l’on déroge à la date de rétroactivité présumée. Les difficultés revêtent une importance bien moindre lorsqu’elles sont causées par la propre omission déraisonnable du parent débiteur de communiquer adéquatement les renseignements au parent créancier et de l’aviser de sa situation (D.B.S., par. 116). Les difficultés causées au parent débiteur doivent également être considérées dans le contexte de celles causées au parent créancier et à l’enfant si le tribunal allongeait la période de la réduction rétroactive (Goulding, par. 56). Il s’agit d’une évaluation holistique et relative (Michel, par. 100, la juge Martin).
(e)           Le montant et les conditions de l’ordonnance modificative
[109]                     Si une modification rétroactive est appropriée, le montant est régi par le régime législatif applicable à l’ordonnance (D.B.S., par. 126). En l’espèce, ce sont les Lignes directrices qui s’appliquent pour la détermination du montant de la pension alimentaire. Les Lignes directrices confèrent une certaine latitude pour l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, par exemple lorsqu’il y a difficultés excessives au sens de l’art. 10. Comme dans le contexte prospectif, le tribunal peut aussi attribuer un revenu en application de l’art. 19 des Lignes directrices, par exemple lorsque le parent débiteur a choisi d’être sous‑employé ou a déduit de façon déraisonnable des dépenses de son revenu. Le comportement répréhensible du parent débiteur peut être pris en compte dans le calcul des intérêts ou des dépens (Michel, par. 119, la juge Martin).
[110]                     Une communication franche et complète est nécessaire en vue de quantifier le montant approprié de la pension alimentaire pour la période de rétroactivité, tout comme elle le serait lorsqu’on quantifie le soutien alimentaire pour l’avenir (Brown, par. 20). Il appartient au parent débiteur de démontrer la mesure dans laquelle son revenu a diminué au cours de la période de rétroactivité (Templeton, par. 65). Si le parent débiteur ne fournit pas tous les éléments de preuve pertinents dont le tribunal a besoin pour apprécier pleinement son revenu véritable au cours d’une partie de la période de rétroactivité, le tribunal peut tirer une inférence défavorable à celui‑ci (Templeton, par. 67). Le parent débiteur doit en outre faire la communication complète de sa situation financière actuelle s’il sollicite un plan de versements périodiques ou une suspension temporaire en raison de difficultés.
[111]                     Enfin, bien que le cadre mentionné plus tôt facilite le règlement équitable des différends après le fait, les parties, les avocats et les tribunaux doivent garder à l’esprit les pratiques exemplaires conçues pour écarter la nécessité d’avoir recours aux tribunaux. Compte tenu de la fréquence des fluctuations de revenu, la solution à privilégier — en l’absence de violence familiale — est un nouveau calcul annuel de la pension alimentaire pour enfants en fonction des renseignements à jour communiqués sur le revenu. Certaines provinces offrent un service administratif de nouveau calcul (voir, p. ex., la Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, c. F.3, par. 39.1(2)) ou des services gratuits de médiation familiale si les parties ne s’entendent pas sur une modification de la pension alimentaire à la suite d’un changement de revenu du parent débiteur (voir, p. ex., les conseillers en justice familiale en Colombie‑Britannique : Family Law Act, art. 10).
[112]                     Lorsqu’une demande fondée sur l’art. 17 de la Loi sur le divorce devient nécessaire parce que les parties n’ont pas recalculé régulièrement la pension alimentaire, les tribunaux devraient envisager d’inclure une modalité dans l’ordonnance pour écarter la nécessité de futures demandes rétroactives. Le tribunal pourrait inclure une modalité obligeant les parties dont les renseignements sur le revenu sont nécessaires pour établir le montant de la pension alimentaire à s’informer rapidement l’une l’autre de changements de revenu et à s’échanger annuellement les renseignements indiqués au par. 21(1) des Lignes directrices (voir, p. ex., Corcios, par. 76; Burchill, par. 64). Le tribunal pourrait en outre envisager une modalité prévoyant que les parties devront recalculer annuellement la pension alimentaire et que, si elles sont incapables de s’entendre, elles pourront s’adresser au tribunal pour la détermination du montant payable (D.B.S. (C.A.), par. 94; N. Bakht et al., « D.B.S. v. S.G.R. : Promoting Women’s Equality through the Automatic Recalculation of Child Support » (2006), 18 R.F.D. 535, p. 556).
(f)            Résumé
[113]                     En résumé, lorsque le parent débiteur présente une demande fondée sur l’art. 17 de la Loi sur le divorce sollicitant la réduction rétroactive de la pension alimentaire pour enfants, l’analyse qui suit s’applique :
(1)   Le parent débiteur doit satisfaire à la condition préliminaire qui consiste à établir qu’il y a eu un changement important antérieur à sa situation. Il appartient au parent débiteur de démontrer une baisse substantielle de revenu qui a une certaine continuité, et qui est réelle et ne procède pas d’un choix.
(2)   Dès qu’un changement de situation important est établi, une présomption prend naissance en faveur d’une réduction rétroactive de la pension alimentaire pour enfants remontant à la date à laquelle le parent débiteur a réellement informé le parent créancier, jusqu’à trois ans avant l’avis formel de la demande de modification. Dans le contexte d’une réduction, l’information réelle exige une communication claire du changement de situation, accompagnée de tous les documents disponibles nécessaires pour corroborer le changement et permettre au parent créancier de bien évaluer la situation.
(3)   Lorsque le parent débiteur n’a pas réellement informé le parent créancier, la pension alimentaire pour enfants doit généralement être modifiée à compter de la date de l’avis formel, ou d’une date subséquente lorsque le parent débiteur a tardé à faire une communication complète au cours de l’instance.
(4)   Le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire de déroger à la date de rétroactivité présumée lorsque le résultat serait par ailleurs injuste. Les facteurs énoncés dans l’arrêt D.B.S. (adaptés au contexte de la réduction) orientent cet exercice du pouvoir discrétionnaire. Ces facteurs sont les suivants : (i) le retard du parent débiteur à solliciter une réduction s’explique par une raison compréhensible; (ii) le comportement du parent débiteur; (iii) la situation de l’enfant; (iv) les difficultés causées au parent débiteur si la pension alimentaire n’est pas réduite (considérées dans le contexte des difficultés causées à l’enfant et au parent créancier si la pension alimentaire est réduite). Les efforts du parent débiteur pour payer ce qu’il peut et pour communiquer les renseignements sur son revenu de manière continue seront souvent une considération essentielle en ce qui concerne le facteur du comportement du parent débiteur.
(5)   Enfin, lorsque le tribunal a conclu qu’il y a lieu de réduire rétroactivement la pension alimentaire à compter d’une date donnée, la réduction doit être quantifiée. Le juste montant de pension alimentaire pour chaque année depuis la date de rétroactivité doit être calculé conformément aux Lignes directrices.
[114]                     Il est aussi utile de résumer les principes qui s’appliquent maintenant aux affaires où le parent créancier présente une demande fondée sur l’art. 17 sollicitant l’augmentation rétroactive de la pension alimentaire pour enfants :
(1)   Le parent créancier doit satisfaire à la condition préliminaire qui consiste à établir qu’il y a eu un changement important antérieur à sa situation. Bien qu’il incombe à celui‑ci de démontrer qu’il y a eu augmentation substantielle de revenu, le défaut du parent débiteur de communiquer les renseignements financiers pertinents autorise le tribunal à attribuer un revenu, radier des actes de procédure, tirer des inférences défavorables et condamner aux dépens. Il n’est pas nécessaire que le parent créancier présente de multiples demandes de communication au tribunal pour que celui‑ci ait ces pouvoirs.
(2)   Dès qu’un changement de situation important est établi, une présomption s’applique en faveur d’une augmentation rétroactive de la pension alimentaire pour enfants remontant à la date à laquelle le parent créancier a réellement informé le parent débiteur de la demande d’augmentation, jusqu’à trois ans avant l’avis formel de la demande de modification. Dans le contexte d’une augmentation, en raison de l’asymétrie au titre de l’information entre les parties, l’information réelle exige seulement que le parent créancier ait abordé le sujet d’une augmentation avec le parent débiteur.
(3)   Lorsque le parent créancier n’a pas réellement informé le parent débiteur, la pension alimentaire pour enfants doit généralement être augmentée à compter de la date de l’avis formel.
(4)   Le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire de déroger à la date de rétroactivité présumée lorsque le résultat serait par ailleurs injuste. Les facteurs de l’arrêt D.B.S. continuent d’orienter cet exercice du pouvoir discrétionnaire, comme il est décrit dans l’arrêt Michel. Si le parent débiteur a omis de communiquer une augmentation importante de revenu, cette omission constitue un comportement répréhensible et la date de rétroactivité sera généralement la date de l’augmentation du revenu.
(5)   Lorsque le tribunal a conclu que la pension alimentaire doit être augmentée rétroactivement à compter d’une date donnée, l’augmentation doit être quantifiée. Le juste montant de pension alimentaire pour chaque année depuis la date de rétroactivité doit être calculé conformément aux Lignes directrices.
(g)         Application à la présente affaire
[115]                     Les ordonnances alimentaires commandent la déférence en appel. Sauf s’il y a une erreur ou une question de droit isolable, une erreur manifeste et déterminante, ou une erreur fondamentale dans la qualification ou l’interprétation de la preuve, une cour d’appel ne doit pas s’ingérer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance (Brandsema, par. 30).
[116]                     En l’espèce, je suis du même avis que la Cour d’appel, c’est‑à‑dire que le juge de la motion a commis une erreur de principe. Au lieu de soupeser l’intérêt du parent débiteur à bénéficier de la souplesse par rapport aux intérêts de l’enfant et du parent créancier, le juge de la motion a conclu que l’entrée en vigueur des Lignes directrices constituait un changement de situation qui [traduction] « conférait de plein droit à [M. Colucci] le droit à une modification et au calcul en fonction des montants figurant dans les tables et de sa baisse de revenu » (motifs du juge de la motion, par. 15 (je souligne)). Même si le juge de la motion ne disposait pas des présents motifs, cette conclusion était incompatible avec les principes qui sous‑tendent les Lignes directrices et le cadre décrit ci‑dessus.
[117]                     Le juge de la motion a eu raison de conclure que l’entrée en vigueur des Lignes directrices constituait un changement de situation visé à l’al. 14c). Bien que ce changement juridique permette de franchir l’étape de la condition préliminaire, il n’écarte pas la nécessité d’obtenir la preuve des gains de M. Colucci dans les années qui ont suivi l’entrée en vigueur des Lignes directrices. Sans renseignements fiables et complets sur le revenu, le tribunal ne peut recalculer la pension alimentaire pour les années qui ont suivi conformément aux Lignes directrices. En conséquence, l’omission de M. Colucci de présenter une preuve adéquate de son revenu depuis 2000 porte un coup fatal à sa demande. Même s’il présentait une preuve suffisante de son revenu de 1997 à 2000, la règle des trois ans s’applique, comme nous le verrons plus loin.
[118]                     En plus de l’entrée en vigueur des Lignes directrices, M. Colucci a aussi invoqué des baisses substantielles de son revenu après l’entrée en vigueur des Lignes directrices comme justification d’une réduction rétroactive du montant de la pension alimentaire. Cependant, dans la mesure où il invoque des baisses de revenu, sa communication déficiente, la preuve inadéquate et l’insuffisance des renseignements communiqués portent un coup fatal à sa demande : non seulement il n’a pas prouvé une baisse de revenu, mais il ne peut faire état d’aucune mesure qui constitue une information réelle. La Cour d’appel a rejeté à juste titre l’argument selon lequel ses obligations alimentaires envers ses enfants devaient être modifiées rétroactivement à compter d’avril 1998, alors qu’il avait demandé à Mme Colucci, par l’entremise de son avocat, une réduction de la pension alimentaire payable pour enfants en raison d’une diminution alléguée de son revenu.
[119]                     Il ne suffit pas qu’un parent débiteur se trouvant dans la situation de M. Colucci informe le parent créancier que son revenu a baissé sans prendre d’autres mesures. Après que Mme Colucci a refusé de modifier la pension alimentaire en 1998, M. Colucci [traduction] « n’a produit aucun élément de preuve de sa nouvelle situation financière et il n’a pas, après sa demande initiale de réduction en 1998, entrepris d’autres négociations ni démarches de médiation ou instance judiciaire » (motifs de la C.A., par. 34). Il a plutôt coupé la communication et n’a rien fait jusqu’à ce qu’il introduise la présente instance en 2016. Puisque M. Colucci n’a pas fourni de preuve raisonnable pour permettre au parent créancier de bien évaluer la situation, sa demande n’équivalait pas à une information réelle. Qui plus est, la demande formulée en 1998 ne pouvait pas constituer un avis des baisses plus considérables de son revenu après que la demande initiale ait été faite. Le parent débiteur qui connaît de telles fluctuations de revenu doit continuer à dûment communiquer les changements subséquents pour permettre au parent créancier de planifier en conséquence.
[120]                     Étant donné que M. Colucci n’a pas réellement informé le parent créancier avant que l’arriéré cesse de s’accumuler en 2012, la présomption énoncée ci‑dessus mène à la conclusion qu’il n’a pas droit à une réduction rétroactive de ses obligations alimentaires envers ses enfants. Même si M. Colucci avait réellement informé Mme Colucci en 1998, la limite présumée de trois ans s’appliquerait. L’application de cette règle ferait obstacle à toute réduction rétroactive, étant donné que ses enfants n’avaient plus droit à une pension alimentaire à compter de 2012 et qu’il avait donné un avis formel en 2016. L’application des facteurs de l’arrêt D.B.S. ne permettrait pas non plus d’établir une période de rétroactivité plus longue. De fait, s’il avait été nécessaire de trancher cette question, tous les facteurs, en particulier celui du comportement du parent débiteur, militeraient en faveur d’une période de rétroactivité plus courte. Le parent débiteur ne peut aviser l’autre parent et ensuite disparaître. La Cour d’appel a fait remarquer avec justesse que lorsque les parties étaient incapables d’arriver à une entente sur un montant réduit de soutien alimentaire, [traduction] « il incombait à [M. Colucci] d’introduire une instance en temps utile » (par. 34). Au lieu de cela, il a « déraisonnablement omis de faire quoi que ce soit pendant 18 ans » (ibid.).
[121]                     Monsieur Colucci a fait valoir qu’il n’avait pas introduit de motion en 1998 parce qu’il n’avait pas les moyens financiers de le faire. Toutefois, le manque d’argent ne saurait justifier son omission de produire une preuve raisonnable du changement de revenu qu’il a invoqué au moment de sa demande, ou son omission subséquente de communiquer, de négocier ou de solliciter un changement pendant 18 ans.
[122]                     De plus, M. Colucci n’a fait que peu de versements volontaires pendant cette période, voire aucun, et n’a fait montre d’aucune volonté de subvenir aux besoins des enfants, qui ont connu des difficultés en raison de son défaut de satisfaire à ses obligations. Son comportement témoigne d’efforts de mauvaise foi visant à se soustraire à l’exécution d’une ordonnance judiciaire. Il n’a pas informé le parent créancier ou le BOF lorsqu’il a quitté le Canada et ne les a pas informés des endroits où il se trouvait ou de son revenu pendant la durée de son absence (motifs de la C.A., par. 8). Le BOF a pris un certain nombre de mesures qui n’ont pas réussi à amener M. Colucci à respecter ses obligations volontairement, notamment une saisie‑arrêt sur des prestations et la suspension de son passeport et de son permis de conduire. Le BOF n’a pu recouvrer que des sommes limitées au moyen de ces mécanismes d’exécution. Madame Colucci a donc dû assumer seule le fardeau financier d’élever les enfants et de subvenir à leurs besoins (par. 30). En outre, les filles ont contracté une dette considérable en raison de leurs études postsecondaires (ibid.).
[123]                     Monsieur Colucci a tourné le dos à ses obligations alimentaires et à une ordonnance du tribunal lorsqu’il a rompu la communication et [traduction] « a pris la fuite aux États‑Unis et en Italie sans laisser de trace » (motifs de la C.A., par. 31). Il n’est sorti de l’ombre qu’une fois rentré au Canada et a fait l’objet de mesures d’exécution prises par le BOF, notamment la saisie‑arrêt éventuelle de son salaire. Monsieur Colucci ne peut pas maintenant chercher à éviter les conséquences de ses gestes. S’écarter de la date de rétroactivité présumée et accorder une réduction rétroactive dans ces circonstances reviendrait à approuver tacitement ce type de comportement, ce qui est contraire à l’intérêt de l’enfant. Comme l’a affirmé le juge Carey, [traduction] « le fait que [M. Colucci] se soit rendu à l’âge de 62 ans sans avoir payé un dollar volontairement ne doit pas être récompensé » (Colucci c. Colucci, 2018 ONSC 4868, par. 4; voir aussi par. 2‑3).
[124]                     Par ailleurs, M. Colucci a continué d’éviter ses obligations alimentaires envers ses enfants en présentant de manière inexacte sa situation financière et en manquant à son obligation continue de faire la communication complète des documents et des renseignements financiers, même au cours de la présente instance (motifs de la C.A., par. 32). Ainsi, la présente affaire fournit un exemple du type de communication inadéquate qui justifierait un refus de faire remonter la modification à la date de l’avis formel. Monsieur Colucci n’a pas fourni ses déclarations fiscales ni aucune autre preuve documentaire de son revenu pour les années 2000 à 2015, et la plupart des quelques communications qu’il a faites ont été fournies bien après qu’il eut introduit la motion en modification. La documentation concernant la succession de sa mère n’a été produite que plus d’un an plus tard et, même alors, elle était en italien seulement. L’information sur son revenu pour 2016 et 2017 n’a été fournie qu’en juillet 2018. De plus, M. Colucci a caviardé le nom de son employeur de son feuillet T4 et n’a pas produit de déclaration fiscale en 2017 afin d’éviter la saisie‑arrêt de son salaire et de son remboursement d’impôt, préférant renoncer entièrement au remboursement plutôt que celui‑ci soit imputé à ses obligations alimentaires envers ses enfants. Il a également omis de payer à Mme Colucci la somme de 15 000 € que le juge de la motion lui avait ordonné de payer, même s’il avait reçu les fonds réservés provenant de la succession de sa mère.
[125]                     Quelques mots sur le recalcul de la pension alimentaire et l’attribution du revenu. Monsieur Colucci a soutenu que le juge de la motion devait être satisfait des renseignements financiers qui lui avaient été présentés, puisqu’il s’est appuyé sur ces renseignements en recalculant l’obligation alimentaire de M. Colucci et en concluant qu’il convenait d’attribuer le salaire minimum à M. Colucci pour certaines années en raison de son sous‑emploi.
[126]                     Je suis d’accord avec Mme Colucci pour dire qu’il était problématique que le juge de la motion s’appuie sur la communication limitée de renseignements financiers de M. Colucci pour recalculer la pension alimentaire et exercer son pouvoir discrétionnaire d’attribuer un revenu. Mis à part les affirmations qu’a faites M. Colucci lui‑même en ce qui concerne les époques où il a travaillé et le montant de sa rémunération, il n’y avait aucune preuve objective ou convaincante à l’appui de son revenu allégué pour 2000 à 2015. Le juge de la motion a essentiellement cru sur parole M. Colucci, lui attribuant un revenu sur le fondement de son affirmation selon laquelle il avait touché une rémunération nettement inférieure au salaire minimum pendant certaines années et en recalculant la pension alimentaire en fonction du revenu qu’il prétendait avoir touché pour les autres années.
[127]                     La présente affaire met en évidence un des problèmes qu’engendrent les demandes tardives de réduction rétroactive de pensions alimentaires : avec le passage des années, il devient plus difficile de produire des renseignements fiables sur le revenu, comme des déclarations fiscales. Par exemple, M. Colucci affirme avoir été incapable d’obtenir ses déclarations fiscales de l’Internal Revenue Service pour les années où il a travaillé aux États‑Unis. Le parent débiteur ne peut pas invoquer le passage du temps pour excuser une communication incomplète lorsqu’il demande enfin une modification rétroactive. Il serait injuste que le parent créancier et les enfants aient à combler les lacunes de la communication du parent débiteur par des hypothèses qui jouent contre eux. De plus, une telle approche encouragerait le parent débiteur à fournir une communication inadéquate dans l’espoir que le tribunal accepte ses affirmations ou attribue un revenu inférieur à celui qu’il a effectivement touché.
[128]                     En outre, il est difficile de contester des renseignements vagues ou incomplets lors d’un contre‑interrogatoire. Comme M. Colucci n’avait pas produit de documents justifiant le revenu qu’il allègue avoir gagné de 2000 à 2015, il n’y aurait eu aucun document à l’égard duquel il aurait pu être contre‑interrogé au sujet de ces années, rendant la démarche futile. On ne peut s’attendre à ce que le parent créancier engage un juricomptable ou un enquêteur pour mettre à jour les renseignements financiers nécessaires afin de contre‑interroger efficacement le parent débiteur, ou de contester la prétention de celui‑ci portant qu’il ne faudrait lui attribuer que le salaire minimum lorsqu’on conclut au sous‑emploi. Une telle attente est d’autant plus irréaliste dans une situation où, comme en l’espèce, le parent débiteur a quitté le pays et a cessé de faire des versements, le parent créancier se retrouvant à peiner à s’occuper des enfants et à subvenir à leurs besoins.
[129]                     On rappelle aux parents débiteurs que c’est à eux qu’appartient le fardeau d’établir qu’une réduction rétroactive est justifiée sur le fondement d’une preuve fiable, et que les parties au litige sont soumises à une obligation générale de communiquer tous les renseignements qui sont pertinents et importants quant à l’affaire (Kinsella c. Mills, 2020 ONSC 4785, 44 R.F.L. (8th) 1, par. 166). En l’espèce, il y a eu manquement à l’obligation de communiquer des renseignements importants et le parent débiteur ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve. Monsieur Colucci ne peut s’attendre à ce qu’un tribunal accorde une réparation qui est préjudiciable au parent créancier et à ses enfants alors qu’il tient des renseignements et des documents importants à l’abri du regard du tribunal et du parent créancier.
[130]                     Enfin, bien qu’il n’ait pas présenté de demande de remboursement au juge de la motion, M. Colucci a soutenu avoir payé en trop la somme de 2 310,90 $ au titre de la pension alimentaire pour enfants en fonction du revenu qu’il déclare avoir touché et des montants figurant dans les tables. Même s’il avait fourni une communication appropriée des renseignements financiers à l’appui de ce calcul, l’absence de toute communication des changements de situation qu’il allègue serait un élément militant fortement contre tout remboursement de la part de Mme Colucci.
[131]                     En conclusion, M. Colucci n’a pas droit à une réparation fondée sur une réduction de revenu. Il n’a pas réellement informé Mme Colucci de son intention de solliciter une réduction de la pension alimentaire, ni en 1998 ni en aucun temps avant que ses filles cessent d’être des enfants à charge en 2012. Même s’il avait réellement informé Mme Colucci en 1998, la limite présumée de trois ans s’applique. Les facteurs de l’arrêt D.B.S. ne justifient pas une période de rétroactivité plus longue. Puisque M. Colucci a présenté sa motion en modification en 2016, quatre ans après la cessation de son obligation alimentaire et de l’accumulation de l’arriéré, l’application de la limite de trois ans empêche la modification rétroactive du montant de la pension alimentaire exigible au titre de l’ordonnance antérieure.
[132]                     Je vais maintenant examiner le scénario où un parent débiteur qui a pris du retard dans ses paiements sollicite l’annulation complète ou partielle de l’arriéré au titre de l’art. 17 en raison d’une incapacité actuelle et continue de payer. Monsieur Colucci a invoqué l’incapacité de payer comme moyen subsidiaire d’obtenir réparation dans sa motion en modification, et ce moyen a été brièvement abordé par la Cour d’appel (par. 9, 28 et 31) et il a été analysé dans les observations écrites que Mme Colucci a présentées à notre Cour. La question de savoir si les tribunaux peuvent ordonner, en vertu de l’art. 17, une annulation de l’arriéré en raison d’une incapacité actuelle de payer, comme il était question dans l’arrêt Brown, n’a pas été soulevée devant nous et nous ne l’aborderons pas.
(2)         Annulation de l’arriéré lorsque l’ordonnance antérieure correspond au revenu du parent débiteur
(a)           La présomption : aucune annulation à moins que le parent débiteur établisse une incapacité actuelle et future de payer
[133]                     Bien que les demandes d’annulation soulèvent des considérations différentes de celles que soulèvent les demandes de réduction rétroactive de la pension alimentaire fondées sur un changement de situation, en pratique, les deux se présentent souvent ensemble. Alors qu’un parent débiteur peut simplement demander la remise de l’arriéré sur le fondement d’une incapacité actuelle et continue de payer, sans contester la justesse de l’ordonnance sous‑jacente, les demandes d’annulation se présenteront normalement lorsque la demande de réduction rétroactive de l’arriéré est rejetée ou ne donne lieu qu’à une réduction partielle de l’arriéré (voir, p. ex., Templeton, par. 39; H.G.S., par. 113).
[134]                     Dans cette catégorie de cas, l’ordonnance ou l’entente alimentaire antérieure au profit d’un enfant correspond au revenu du parent débiteur. L’arriéré reflète avec exactitude le montant de la pension alimentaire qu’aurait dû payer le parent débiteur en application des Lignes directrices, une fois que toutes les considérations, y compris toute demande fondée sur les difficultés occasionnées présentée en vertu de l’art. 10, ont été établies. Autrement dit, l’arriéré représente des sommes qui auraient pu être payées au moment où les paiements devenaient exigibles, mais qui ne l’ont pas été. La demande d’annulation du parent débiteur est donc une forme de demande « pour difficultés », qui ne repose sur aucun changement de situation justifiant une réduction rétroactive de l’obligation alimentaire (Barber, par. 15‑16; Brown, par. 43).
[135]                     Il s’ensuit que, dans cette troisième catégorie de cas, la capacité financière continue du parent débiteur est le seul facteur pertinent. Le parent débiteur doit donc fournir suffisamment d’éléments de preuve fiables pour permettre au tribunal d’évaluer sa situation financière actuelle et prospective, y compris ses perspectives d’emploi, et ses actifs, pensions, héritages ou autres sources potentielles de sa capacité future de payer.
[136]                     Les tribunaux ont adopté une approche très restrictive quant à la possibilité d’accorder l’annulation ou la suspension de la pension alimentaire pour enfants fondée seulement sur l’incapacité actuelle et continue de payer (voir, p. ex., Haisman, par. 26‑27; Gray, par. 58; C.L.W. c. S.V.W., 2017 ABCA 121, par. 30 (CanLII); Punzo, par. 46; Blanchard c. Blanchard, 2019 ABCA 53, par. 32 (CanLII); S.A.L. c. B.J.L., 2019 ABCA 350, 31 R.F.L. (8th) 299, par. 12; Semancik c. Saunders, 2011 BCCA 264, 19 B.C.L.R. (5th) 219, par. 25; Mayotte c. Salthouse (1997), 1997 ABCA 145 (CanLII), 29 R.F.L. (4th) 38 (C.A. Alb.), par. 2; Heiden c. British Columbia (Director of Maintenance Enforcement) (1995), 1995 CanLII 1415 (BC CA), 16 B.C.L.R. (3d) 48 (C.A.), par. 10 et 13). Ces décisions mettent en évidence que le pouvoir discrétionnaire du tribunal d’accorder une réparation dans ce contexte est limité.
[137]                     Une telle approche stricte quant à l’annulation et la suspension de l’arriéré fondée sur l’incapacité actuelle de payer est justifiée. Les intérêts du parent créancier et de l’enfant à bénéficier de la certitude et de la prévisibilité sont primordiaux, puisque le parent débiteur a fait défaut de respecter une ordonnance du tribunal ou une entente sans [traduction] « excuse justifiant le non‑paiement de la pension alimentaire à son échéance » (Templeton, par. 47). L’intérêt de l’enfant à bénéficier de normes équitables en matière de soutien alimentaire est miné lorsque le parent débiteur détourne la pension alimentaire; dans de telles situations, [traduction] « l’enfant se trouve en fait à subventionner le niveau de vie bonifié du parent débiteur » (Walsh c. Walsh (2004), 2004 CanLII 36110 (ON CA), 69 O.R. (3d) 577 (C.A.), par. 25, motifs supplémentaires dans (2004), 2004 CanLII 24259 (ON CA), 6 R.F.L. (6th) 432). Le parent débiteur, en revanche « ne peut prétendre que la mesure demandée irait à l’encontre de la certitude et de la prévisibilité dont il est censé bénéficier » (D.B.S., par. 98).
[138]                     Par conséquent, dans cette troisième catégorie de cas, le parent débiteur doit renverser la présomption contre l’annulation de quelque partie que ce soit de l’arriéré. La présomption ne sera repoussée que lorsque le parent débiteur établit, selon la prépondérance des probabilités, que — même avec des modalités de paiement souples — il ne peut pas, et ne pourra jamais, payer l’arriéré (Earle, par. 26; Corcios, par. 55; Gray, par. 58). L’incapacité actuelle de payer n’écarte pas, en soi, l’éventualité d’une capacité future de payer, bien qu’elle puisse justifier une suspension temporaire de l’arriéré (Haisman, par. 26). Cette présomption fait en sorte que l’annulation est utilisée en dernier recours seulement lorsque la suspension ou d’autres options de paiement novatrices ne conviennent pas pour réparer le préjudice que subit le parent débiteur. Elle incite aussi les parents débiteurs à respecter leurs obligations alimentaires, plutôt que de laisser l’arriéré s’accumuler dans l’espoir que les tribunaux accorderont une réparation si le montant devient suffisamment important. L’arriéré constitue [traduction] « une dette valable qui doit être acquittée, au même titre que toute autre obligation financière », que le montant de cette obligation soit élevé ou non (Bakht et al., p. 550).
[139]                     Tandis qu’il est question de l’annulation des arriérés, mentionnons que le libellé de l’art. 17 de la Loi sur le divorce indique clairement que ce qu’il autorise est l’annulation de l’ordonnance judiciaire sous‑jacente ou d’une modalité de l’ordonnance qui a donné lieu aux obligations non respectées. En conséquence, une demande d’annulation de l’arriéré revient à demander au tribunal d’annuler une ordonnance judiciaire existante et juste, de la remplacer par une autre et de remettre ce qui est par ailleurs une dette légalement exigible. L’idée que la pension alimentaire pour enfants ne doit pas attirer une plus grande indulgence que les autres dettes est renforcée par l’éventail de régimes d’exécution des ordonnances de pensions alimentaires qui existent partout au pays pour faire respecter les obligations alimentaires envers les enfants. Les gouvernements de chaque province et territoire ont établi des programmes administratifs d’exécution des ordonnances de pensions alimentaires (comme le BOF de l’Ontario) pour gérer les ordonnances alimentaires au profit des enfants et aider à faire en sorte que les enfants reçoivent la pension alimentaire qui leur est due au titre d’ordonnances judiciaires, notamment au moyen de la prise de mesures d’exécution comme la saisie‑arrêt de salaires et la suspension de permis de conduire (voir, p. ex., la Loi de 1996 sur les obligations familiales et l’exécution des arriérés d’aliments, L.O. 1996, c. 31). De plus, une ordonnance de libération rendue sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3, al. 178(1)c), ne libère pas le failli de l’arriéré de pension alimentaire pour enfants; ces dettes se voient accorder un rang prioritaire, et ce, même lorsque la possibilité de repartir à zéro est une considération de principe opposée (voir Brown, par. 42; St‑Jules c. St‑Jules, 2012 NSCA 97, 321 N.S.R. (2d) 133, par. 50). Par conséquent, l’art. 17 de la Loi sur le divorce ne doit pas servir à réduire ou à annuler l’arriéré trop facilement, puisque cela minerait la reconnaissance et l’exécution d’obligations juridiques sérieuses.
[140]                     Le tribunal dispose d’un éventail d’options lorsqu’il fait face à une situation où il est établi que le parent débiteur éprouve des difficultés. Le refus du tribunal d’annuler l’arriéré ne signifie pas que le parent débiteur doit payer sur‑le‑champ la totalité de l’arriéré (Earle, par. 24). Si le tribunal conclut que la situation financière du parent débiteur engendrera des difficultés à rembourser l’arriéré, il doit d’abord se demander si la difficulté peut être atténuée par une ordonnance prévoyant la suspension temporaire, des versements périodiques ou d’autres options de paiement novatrices (Haisman c. Haisman (1993), 1993 CanLII 6988 (AB KB), 7 Alta. L.R. (3d) 157 (B.R.) (« Haisman (B.R.) »), par. 32‑33, inf. pour d’autres motifs par (1994), 1994 ABCA 249 (CanLII), 157 A.R. 47 (C.A.); Templeton, par. 47; Brown, par. 44). Les programmes d’exécution des ordonnances de pensions alimentaires peuvent en outre permettre au parent débiteur d’adopter un plan de paiement raisonnable lorsqu’il a accumulé un arriéré et qu’il a de la difficulté à faire les paiements à échéance (voir, p. ex., la Loi sur l’obligation alimentaire, C.P.L.M., c. F20, par. 56.2(2) et (3); J. D. Payne et M. A. Payne, Child Support Guidelines in Canada, 2020 (2020), p. 476). Après tout, on ne peut pas demander l’impossible — lorsque le parent débiteur est véritablement incapable de faire des versements imputables à l’arriéré, [traduction] « les modalités d’exécution que pourraient établir le parent créancier et le tribunal ne sont d’aucune utilité pratique » (Brown, par. 44).
[141]                     Bien que la présomption en faveur de l’exécution de l’arriéré puisse être repoussée dans ces [traduction] « circonstances inhabituelles » (Gray, par. 53), la norme doit demeurer rigoureuse. L’annulation de l’arriéré sur le seul fondement de l’incapacité financière actuelle ne doit pas être ordonnée à la légère. Elle doit être utilisée en dernier recours dans des cas exceptionnels, comme lorsque le parent débiteur subit une [traduction] « blessure catastrophique » (Gray, par. 53, citant Tremblay c. Daley, 2012 ONCA 780, 23 R.F.L. (7th) 91). Je partage l’opinion de Mme Colucci portant que la possibilité d’obtenir l’annulation deviendrait autrement une [traduction] « invitation ouverte à éviter intentionnellement ses obligations légales » (Haisman (B.R.), par. 18, citant Schmidt c. Schmidt (1985), 1985 CanLII 3777 (MB KB), 46 R.F.L. (2d) 71 (B.R. Man.), p. 73; m.i., par. 57). En termes simples, combien de parents débiteurs paieraient intégralement les montants à échéance s’ils peuvent s’attendre à payer moins plus tard? La règle ne doit pas permettre aux parents débiteurs de laisser courir leurs obligations ou de contourner les régimes légaux d’exécution qui reconnaissent l’arriéré de pensions alimentaires pour enfants comme une dette à prendre au sérieux, ni les inciter à le faire.
(b)         Application au présent pourvoi
[142]                     Dans la mesure où M. Colucci invoque son incapacité actuelle de payer en l’espèce, son omission de présenter une preuve adéquate de sa situation financière porterait un coup fatal à toute demande d’annulation de l’arriéré. Comme l’a affirmé la Cour d’appel, M. Colucci n’a pas fourni une communication complète et exacte de son revenu et de son actif et il a continué à présenter de façon inexacte sa situation financière au cours de l’instance, notamment à l’égard de son héritage provenant de la succession de sa mère (par. 28 et 31‑32). Par conséquent, il ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir qu’il était incapable de payer actuellement ou à l’avenir, même avec des modalités de paiement souples.
VI.         Dispositif
[143]                     Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
 
                    Pourvoi rejeté avec dépens.
                    Procureurs de l’appelant : Gordner Law Firm, Windsor.
                    Procureurs de l’intimée : Goldhart & Associates, Toronto.
                    Procureurs des intervenants West Coast Legal Education and Action Fund Association et le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes : Power Law, Vancouver.
                    Procureurs de l’intervenant Canada sans pauvreté : Teshebaeva Henderson, Ottawa.

[1]  « child support » : Comme mentionné dans l’arrêt Michel c. Graydon, 2020 CSC 24, alors que l’expression anglaise « child support » est très largement utilisée pour décrire pratiquement toutes les situations visées par cette notion, plusieurs termes différents — certains spécifiques (pension alimentaire), d’autres généraux (aliments, prestation alimentaire, soutien alimentaire) — sont utilisés en français dans les textes législatifs et doctrinaux sur la question. C’est pourquoi différents termes sont utilisés dans la version française de mes motifs.
[2]  « best interests of the child » : Alors que l’expression « best interests of the child » est uniformément utilisée en anglais, différentes expressions sont utilisées en français dans les textes de loi pertinents au Canada. Puisque le présent pourvoi concerne la Loi sur le divorce, j’utiliserai l’expression retenue dans cette loi, c’est-à-dire « intérêt de l’enfant ». Par souci d’uniformité, j’utiliserai également cette expression lorsque je mentionnerai ce principe de façon générale dans la version française de mes motifs.


Synthèse
Référence neutre : 2021CSC24 ?
Date de la décision : 04/06/2021

Analyses

enfants ; revenus ; pensions alimentaires ; parents débiteurs ; parties ; arriérés ; réductions rétroactives ; application ; tribunaux ; lignes directrices ; situations ; avis formel ; annulation ; bénéficier ; communications ; information réelle


Parties
Demandeurs : Colucci
Défendeurs : Colucci
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 4 juin 2021, Colucci c. Colucci, 2021 CSC 24


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2021-06-04;2021csc24 ?

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