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02/10/2020 | CANADA | N°2020CSC25

Canada | Canada, Cour suprême, 2 octobre 2020, Chandos Construction Ltd. c. Restructuration Deloitte Inc., 2020 CSC 25


COUR SUPRÊME DU CANADA
 
Référence : Chandos Construction Ltd. c. Restructuration Deloitte Inc., 2020 CSC 25

Appel entendu : 20 janvier 2020
Jugement rendu : 2 octobre 2020
Dossier : 38571


 
Entre :
Chandos Construction Ltd.
Appelante
 
et
 
Restructuration Deloitte Inc. en sa qualité de
syndic de faillite de Capital Steel Inc., une faillie
Intimée
 
- et -
 
Procureur général du Canada, Association canadienne des professionnels de
l’insolvabilité et de la réorganisation et Institut d’insolvabilité

du Canada
Intervenants
 
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côt...

COUR SUPRÊME DU CANADA
 
Référence : Chandos Construction Ltd. c. Restructuration Deloitte Inc., 2020 CSC 25

Appel entendu : 20 janvier 2020
Jugement rendu : 2 octobre 2020
Dossier : 38571

 
Entre :
Chandos Construction Ltd.
Appelante
 
et
 
Restructuration Deloitte Inc. en sa qualité de
syndic de faillite de Capital Steel Inc., une faillie
Intimée
 
- et -
 
Procureur général du Canada, Association canadienne des professionnels de
l’insolvabilité et de la réorganisation et Institut d’insolvabilité du Canada
Intervenants
 
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
 
Motifs de jugement :
(par. 1 à 46)

Le juge Rowe (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Brown, Martin et Kasirer)

Motifs dissidents :
(par. 47 à 139)

La juge Côté

 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

chandos construction c. restructuration deloitte
Chandos Construction Ltd.                                                                          Appelante
c.
Restructuration Deloitte Inc. en sa qualité de
syndic de faillite de Capital Steel Inc., une faillie                                             Intimée
et
Procureur général du Canada,
Association canadienne des professionnels
de l’insolvabilité et de la réorganisation et
Institut d’insolvabilité du Canada                                                            Intervenants
Répertorié : Chandos Construction Ltd. c. Restructuration Deloitte Inc.
2020 CSC 25
No du greffe : 38571.
2020 : 20 janvier; 2020 : 2 octobre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
                    Faillite et insolvabilité — Règle anti‑privation — Priorité des créances —Clause d’un contrat de sous‑traitance prévoyant l’octroi de frais à l’entrepreneur général en cas de faillite du sous‑traitant — Dépôt d’une cession de biens par le sous‑traitant avant l’achèvement des travaux — L’entrepreneur général a‑t‑il le droit de compenser les frais et de les soustraire du montant qu’il doit au sous‑traitant? — La règle anti‑privation existe‑t‑elle en common law? — Si oui, la clause est‑elle invalide en raison de la règle anti‑privation?
                    Chandos Construction Ltd. (« Chandos »), un entrepreneur général en construction, a conclu un contrat de sous‑traitance en construction avec Capital Steel Inc. (« Capital Steel »). La clause VII Q(d) du contrat de sous‑traitance prévoit que Capital Steel doit payer à Chandos 10 pour cent du prix du contrat de sous‑traitance à titre de frais pour les dérangements ou pour la surveillance des travaux advenant la faillite de Capital Steel. Lorsque cette dernière a procédé à une cession de ses biens avant de terminer son contrat de sous‑traitance avec Chandos, celle‑ci a soutenu qu’elle avait le droit de compenser les coûts qu’elle avait engagés pour terminer les travaux commencés par Capital Steel et de déduire 10 pour cent du prix du contrat de sous‑traitance, comme le prévoit la clause VII Q(d). Le syndic de faillite de Capital Steel a demandé des conseils et des directives quant à la validité de la clause VII Q(d). Le juge de première instance a conclu que la stipulation est une clause de dommages‑intérêts liquidés valide, mais la Cour d’appel a infirmé la décision.
                    Arrêt (la juge Côté est dissidente) : Le pourvoi est rejeté.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Brown, Rowe, Martin et Kasirer : La clause VII Q(d) est invalide en raison de la règle anti‑privation. Cette règle rend nulle toute stipulation d’un contrat qui prévoit qu’en cas d’insolvabilité (ou de faillite), la valeur des actifs à laquelle les créanciers de la personne insolvable auraient autrement accès est réduite, et place cette valeur entre les mains d’autres personnes.
                    La règle anti‑privation existait déjà dans la common law canadienne avant qu’il n’existe de loi fédérale en matière de faillite, et elle n’a été éliminée, ni par une décision de la Cour, ni par le Parlement. Les interventions du Parlement doivent être considérées comme codifiant graduellement certains aspects de la common law, plutôt que comme cherchant à écarter tous les principes de common law connexes. La règle anti‑privation empêche de contourner, au moyen de stipulations contractuelles, le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI »), puisqu’elle rend nulles les stipulations qui empêchent que des biens soient dévolus au syndic. Cela contribue à maximiser le recouvrement global pour tous les créanciers en conformité avec les priorités énoncées dans la LFI.
                    Le test applicable à la règle anti‑privation comporte deux volets : l’application de la clause pertinente est déclenchée par une insolvabilité ou une faillite, et la clause a pour effet de réduire la valeur de l’actif de la personne insolvable. Ce test est fondé sur les effets. La question sur laquelle il faut se pencher est celle de savoir si l’effet de la stipulation était de réduire la valeur de l’actif en cas de faillite, et non celle de savoir si l’intention des parties contractantes était raisonnable sur le plan commercial. L’adoption d’un test fondé sur l’objet aurait pour effet de créer des difficultés nouvelles plus grandes. Cela obligerait les tribunaux à déterminer l’intention des parties contractantes bien après les faits, nuirait à l’administration efficace des faillites d’entreprise et encouragerait les parties qui peuvent plausiblement prétendre être de bonne foi à s’accorder une préférence à l’encontre des autres créanciers en insérant de telles clauses dans leurs contrats. Cela serait en outre incompatible avec les principes généraux de liberté contractuelle — les parties ne négociant pas dans le but de protéger les intérêts de leurs créanciers en cas de faillite. Enfin, suivant une règle fondée sur l’objet, les créanciers non garantis recevraient encore moins que ce qu’ils reçoivent à l’heure actuelle. Une approche fondée sur les effets assure aux parties que les ententes contractuelles, en l’absence d’une stipulation prévoyant le retrait d’actifs en cas de faillite ou d’insolvabilité, seront généralement maintenues.
                    La clause VII Q(d) enfreint la règle anti‑privation et est donc nulle. Elle prévoit que, dans le cas où Capital Steel fait faillite, elle renonce à 10 pour cent du prix du contrat de sous‑traitance — ce qui constitue une violation directe et évidente de la règle anti‑privation. La clause ne peut être sauvegardée par les règles de la compensation, car celle‑ci ne s’applique qu’aux dettes ou aux réclamations exigibles. Elle s’applique aux dettes du failli qui n’ont pas été provoquées par la faillite, puisque la règle anti‑privation rend seulement inexigibles les réclamations fondées sur des privations déclenchées par une insolvabilité.
                    La juge Côté (dissidente) : Il y a accord avec les juges majoritaires que la règle anti‑privation est bien ancrée depuis longtemps dans la jurisprudence canadienne et qu’elle n’a été éliminée ni par la Cour ni par une loi. Toutefois, cette règle ne devrait pas s’appliquer aux transactions ou aux stipulations qui poursuivent un objectif commercial véritable. Comme la clause VII Q(d) poursuit un objectif commercial véritable, elle est exécutoire et n’enfreint pas la règle anti‑privation. L’ordonnance du juge de première instance devrait donc être rétablie.
                    La règle anti‑privation ne devrait pas s’appliquer aux transactions ou aux stipulations qui poursuivent un objectif commercial véritable, et ce, pour trois motifs. Premièrement, les tribunaux qui appliquent la règle anti‑privation au Canada ne se sont pas contentés de fonder leurs décisions sur une simple conclusion voulant qu’une transaction ou une stipulation ait pour effet de réduire la valeur de l’actif du failli — le lien qui relie la jurisprudence est la présence ou l’absence d’une finalité commerciale objective qui sous‑tend la privation. Dans les rares cas où l’examen de la question de l’objectif commercial véritable n’a pas été réalisé, il était facile d’en inférer l’absence des circonstances.
                    Deuxièmement, le recours à un test fondé sur l’objectif commercial véritable repose sur un fondement juridique valable. La règle anti‑privation s’appuie sur le principe de common law voulant que les accords conclus dans le but illégal de commettre une fraude ou de causer un préjudice à un tiers soient contraires à l’intérêt public. Par conséquent, il requiert une évaluation objective de l’intention des parties. En revanche, la règle du pari passu entraîne le recours à un test fondé sur les effets, car elle est fondée sur une prohibition implicite contenue dans la LFI qui s’applique indépendamment de l’intention des parties. La disposition de la LFI qui énonce la règle pari passu établit une règle de démarcation très nette selon laquelle toutes les réclamations établies dans la faillite sont acquittées au prorata. Ce libellé clair et précis de la loi appuie d’emblée la conclusion selon laquelle le législateur avait pour intention d’interdire à un débiteur de conclure un contrat avec des créanciers en vue de distribuer ses biens en cas de faillite d’une manière autre que celle prévue à l’art. 141 de la LFI.
                    La règle anti‑privation n’émane pas d’une interprétation forcée de l’art. 71 de la LFI. Or, même si la règle anti‑privation était une prohibition implicite contenue dans la LFI, il est un principe bien établi que la LFI n’accorde pas au syndic, à l’égard d’un bien du failli, un intérêt supérieur à celui qu’avait le failli avant la faillite. Conclure que l’art. 71 de la LFI convertit l’intérêt relatif du failli à l’égard d’un bien en intérêt absolu pour le syndic s’écarte de ce principe. Le contexte statutaire comprend de nombreuses dispositions prévoyant que les transactions commerciales de bonne foi sans lien de dépendance sont valides contre le syndic de l’actif du failli.
                    Troisièmement, en ce qui concerne l’intérêt public, les considérations qui ont été citées en appui au test fondé sur les effets ne suffisent pas à transcender l’importance de l’intérêt public opposé dans l’exécution des contrats. Même si la règle d’intérêt public émane des tribunaux, ceux‑ci doivent néanmoins faire preuve de prudence et tenir compte des politiques intégrées dans les lois comme le reflet des préoccupations de la société en matière d’intérêt public. Par conséquent, le fait que la règle anti‑privation soit issue de la common law n’empêche pas un tribunal de tenir compte de l’objectif du Parlement qui est de maximiser le recouvrement global pour tous les créanciers lorsqu’il se penche sur la façon de formuler la règle anti‑privation. Toutefois, les objectifs du Parlement doivent être évalués par rapport aux autres intérêts publics protégés par la common law au moment de décider de la meilleure façon de formuler la règle. La common law accorde beaucoup de poids à la liberté des parties contractantes dans la poursuite de leur intérêt personnel, et les considérations d’intérêt public qui ont été citées en appui au test fondé sur les effets ne suffisent pas à transcender l’importance de l’intérêt public opposé dans l’exécution des contrats.
                    Un test fondé purement sur les effets accorde trop peu de poids à la liberté contractuelle, à l’autonomie des parties et à la liberté d’action traditionnellement conférée par la common law en vue de la poursuite agressive d’intérêts personnels. Il pourrait également entraîner une incertitude considérable, car on introduirait une norme vague qui restreindrait indûment la portée de la règle anti‑privation. En revanche, un test subjectif fondé sur la finalité accorderait trop peu de poids à l’objectif du Parlement de maximiser le recouvrement global pour tous les créanciers. Un moyen terme, soit l’adoption d’un test objectif fondé sur la finalité commerciale véritable, est la meilleure solution pour respecter l’équilibre entre la liberté contractuelle, les intérêts des créanciers tiers et la certitude commerciale. La certitude dans les affaires commerciales est habituellement mieux servie en donnant effet aux contrats conclus librement, surtout lorsque les ententes en question poursuivent des fins commerciales et non un objectif illégal.
                    Par ailleurs, le fait d’appliquer un test fondé sur la finalité ou l’objectif commercial véritable n’exigerait pas une analyse considérablement plus détaillée des intentions des parties que celle associée au test fondé sur les effets. Qui plus est, même si les débiteurs ne sont pas motivés à protéger les intérêts de leurs créanciers lorsqu’ils traitent avec des tiers, un ensemble d’options s’offrent aux créanciers pour protéger leurs droits : le redressement en cas d’abus de droit, l’obligation de diligence des administrateurs, les diverses dispositions anti‑évitement de la LFI et des lois provinciales ainsi que la capacité des créanciers de négocier des protections contractuelles. Le Parlement occupe en outre aujourd’hui une grande partie du terrain qui relevait autrefois de la common law, ce qui diminue la nécessité d’avoir une règle anti‑privation générale. En effet, les nombreuses protections déjà prévues par les lois destinées à protéger les intérêts des créanciers remettent en question le besoin d’élargir la portée de la règle anti‑privation. Ces dispositions reflètent une préférence du Parlement pour le maintien de la validité des transactions commerciales de bonne foi, même lorsque celles‑ci ont pour effet de réduire l’ensemble de biens accessibles aux créanciers en cas de faillite.
                    En l’espèce, la clause VII Q(d) vise un objectif commercial véritable. Le rôle d’un entrepreneur général consiste essentiellement à superviser et à coordonner la construction d’un projet par différents sous‑traitants conformément au calendrier fixé. Il est évident que la faillite d’un sous‑traitant durant la construction du projet oblige l’entrepreneur général à réaffecter beaucoup de ressources administratives et de gestion. L’entrepreneur général a également à assumer des coûts administratifs et de gestion pour atténuer les répercussions dans toute la pyramide de ceux qui participent à la construction. Cela entraîne en outre des retards coûteux. Par conséquent, il est légitime de prévoir des frais pour les dérangements qu’il subit lorsque les travaux sont achevés par d’autres moyens. La clause VII Q(d) ne démontre aucune intention de la part de Chandos ou de Capital Steel d’éviter l’application des lois en matière de faillite ou de nuire aux créanciers de Capital Steel.
Jurisprudence
Citée par le juge Rowe
                    Distinction d’avec l’arrêt : Coopérants (Les), Société mutuelle d’assurance‑vie (Liquidateur de) c. Dubois, 1996 CanLII 242 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 900; arrêts mentionnés : Belmont Park Investments Pty. Ltd. c. BNY Corporate Trustee Services Ltd., [2011] UKSC 38, [2012] 1 A.C. 383; A.N. Bail Co. c. Gingras, 1982 CanLII 199 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 475; Canadian Imperial Bank of Commerce c. Bramalea Inc. (1995), 1995 CanLII 7262 (ON SC), 33 O.R. (3d) 692; In Re Hoskins and Hawkey, Insolvents (1877), 1 O.A.R. 379; Re Wetmore, [1924] 4 D.L.R. 66; Westerman (Bankrupt), Re, 1998 ABQB 946, 234 A.R. 371, inf. par 1999 ABQB 708, 275 A.R. 114; Re Knechtel Furniture Ltd. (1985), 56 C.B.R. (N.S.) 258; Re Frechette (1982), 1982 CanLII 2967 (QC CS), 138 D.L.R. (3d) 61; Aircell Communications Inc. (Trustee of) c. Bell Mobility Cellular Inc., 2013 ONCA 95, 14 C.B.R. (6th) 276; HGC c. IESO, 2019 ONSC 259; 1183882 Alberta Ltd. c. Valin Industrial Mill Installations Ltd., 2012 ABCA 62, 522 A.R. 285; Watson c. Mason (1876), 22 Gr. 574; Hobbs c. The Ontario Loan and Debenture Company (1890), 1890 CanLII 10 (SCC), 18 R.C.S. 483; Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157; Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306; Banque Royale du Canada c. Nord‑Américaine, cie d’assurance‑vie, 1996 CanLII 219 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 325; Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327; Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, 1995 CanLII 69 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 453; Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494; Watkins c. Olafson, 1989 CanLII 36 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 750; Borland’s Trustee c. Steel Brothers & Co., Limited, [1901] 1 Ch. 279; Holt c. Telford, 1987 CanLII 18 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 193.
Citée par la juge Côté (dissidente)
                    A.I. Enterprises Ltd. c. Bram Enterprises Ltd., 2014 CSC 12, [2014] 1 R.C.S. 177; Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633; Symes c. Canada, 1993 CanLII 55 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 695; Ludco Entreprises Ltée c. Canada, 2001 CSC 62, [2001] 2 R.C.S. 1082; Belmont Park Investments Pty. Ltd. c. BNY Corporate Trustee Services Ltd., [2011] UKSC 38, [2012] 1 A.C. 383; Hobbs c. The Ontario Loan and Debenture Company (1890), 1890 CanLII 10 (SCC), 18 R.C.S. 483; Ex parte Voisey (1882), 21 Ch. D. 442; Ex parte Williams (1877), 7 Ch. D. 138; Coopérants (Les), Société mutuelle d’assurance‑vie (Liquidateur de) c. Dubois, 1996 CanLII 242 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 900; A.N. Bail Co. c. Gingras, 1982 CanLII 199 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 475; British Eagle International Airlines Ltd. c. Cie Nationale Air France, [1975] 1 W.L.R. 758; In Re Hoskins and Hawkey, Insolvents (1877), 1 O.A.R. 379; Murphy, a Bankrupt (1803), 1 Ch. 44; Watson c. Mason (1876), 22 Gr. 574; Re Frechette (1982), 1982 CanLII 2967 (QC CS), 138 D.L.R. (3d) 61; Borland’s Trustee c. Steel Brothers & Co., Limited, [1901] 1 Ch. 279; Re Knechtel Furniture Ltd. (1985), 56 C.B.R. (N.S.) 258; Canadian Imperial Bank of Commerce c. Bramalea Inc. (1995), 1995 CanLII 7262 (ON SC), 33 O.R. (3d) 692; Aircell Communications Inc. (Trustee of) c. Bell Mobility Cellular Inc., 2013 ONCA 95, 14 C.B.R. (6th) 276; Westerman (Bankrupt), Re, 1998 ABQB 946, 234 A.R. 371, inf. par 1999 ABQB 708, 275 A.R. 114; R. c. Salituro, 1991 CanLII 17 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 654; Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., 2009 CSC 6, [2009] 1 R.C.S. 157; Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp., 2004 CSC 7, [2004] 1 R.C.S. 249; Higinbotham c. Holme (1812), 19 Ves. Jr. 88, 34 E.R. 451; In re Stephenson, [1897] 1 Q.B. 638; Whitmore c. Mason (1861), 2 J. & H. 204, 70 E.R. 1031; Ex parte Mackay (1873), L.R. 8 Ch. App. 643; Elford c. Elford (1922), 1922 CanLII 53 (SCC), 64 R.C.S. 125; Campbell River Lumber Co. c. McKinnon (1922), 1922 CanLII 28 (SCC), 64 R.C.S. 396; Zimmerman c. Letkeman, 1977 CanLII 196 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 1097; Giffen (Re), 1998 CanLII 844 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 91; Lefebvre (Syndic de), 2004 CSC 63, [2004] 3 R.C.S. 326; Flintoft c. Royal Bank of Canada, 1964 CanLII 89 (SCC), [1964] R.C.S. 631; Saulnier c. Banque royale du Canada, 2008 CSC 58, [2008] 3 R.C.S. 166; Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327; St. John Shipping Corp. c. Joseph Rank Ltd., [1957] 1 Q.B. 267; Still c. M.R.N. (C.A.), 1997 CanLII 6379 (CAF), [1998] 1 C.F. 549; Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69; Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494; In re Estate of Charles Millar, Deceased, 1937 CanLII 10 (SCC), [1938] R.C.S. 1; Fender c. St. John‑Mildmay, [1938] A.C. 1; Lomas c. JFB Firth Rixson Inc., [2010] EWHC 3372 (Ch.), [2011] 2 B.C.L.C. 120, conf. par [2012] EWCA Civ. 419, [2012] 2 All E.R. (Comm.) 1076; Watkins c. Olafson, 1989 CanLII 36 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 750; Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68, [2004] 3 R.C.S. 461; Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de Fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306; Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, [2016] 2 R.C.S. 23; BG Checo International Ltd. c. British Columbia Hydro and Power Authority, 1993 CanLII 145 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 12; Douez c. Facebook, Inc., 2017 CSC 33, [2017] 1 R.C.S. 751; Exportations Consolidated Bathurst Ltée c. Mutual Boiler and Machinery Insurance Co., 1979 CanLII 10 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 888.
Lois et règlements cités
Companies Act, 1948 (U.K.), 11 & 12 Geo. 6, c. 38, art. 302.
Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, c. C‑44, art. 241.
Loi sur la faillite, L.R.C. 1970, c. B‑3, art. 112.
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3, art. 65.1, 66.34, 71, 84.2, 95(1), 96(1), 97(1), (3), 99(1), 141.
Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, c. C‑36.
Doctrine et autres documents cités
Canada. Sénat. Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau : Examen de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, Ottawa, 2003.
Goode, Roy. « Perpetual Trustee and Flip Clauses in Swap Transactions » (2011), 127 L.Q.R. 1.
Grottenthaler, Margaret, and Elizabeth Pillon. « Financial Products and the Anti‑Forfeiture Principle » (2012), 1 J. Insolvency Inst. Canada 139.
Ho, Adrienne. « The Treatment of Ipso Facto Clauses in Canada » (2015), 61 R.D. McGill 139.
McCamus, John D. The Law of Contracts, 2nd ed., Toronto, Irwin Law, 2012.
Waddams, S.M. The Law of Contracts, 7th ed., Toronto, Thomson Reuters, 2017.
Westeinde, John. « Construction is “Risky Business” » (1988), 29 C.L.R. 119.
Wood, Roderick J. Bankruptcy and Insolvency Law, 2nd ed., Toronto, Irwin Law, 2015.
Wood, Roderick J. « Direct Payment Clauses and the Fraud Upon the Bankruptcy Law Principle : Re Horizon Earthworks Ltd. (Bankrupt) » (2014), 52 Alta. L.R. 171.
Worthington, Sarah. « Good Faith, Flawed Assets and the Emasculation of the UK Anti‑Deprivation Rule » (2012), 75 M.L.R. 112.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Rowbotham, Veldhuis et Wakeling), 2019 ABCA 32, 438 D.L.R. (4th) 195, 70 C.B.R. (6th) 1, 91 B.L.R. (5th) 1, [2019] A.J. No. 99 (QL), 2019 CarswellAlta 125 (WL Can.), qui a infirmé une décision du juge Nielsen, Cour du Banc de la Reine d’Alberta, Edmonton, No. 24‑2169632, 17 mars 2017. Pourvoi rejeté, la juge Côté est dissidente.
                    Darren Bieganek, c.r., et Ryan Quinlan, pour l’appelante.
                    Shauna N. Finlay et Victoria Merritt, pour l’intimée.
                    Zoe Oxaal, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
                    Ashley Taylor et Sinziana R. Hennig, pour l’intervenante l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation.
                    Sean F. Collins, Brandon Kain et Cassidy Thomson, pour l’intervenant l’Institut d’insolvabilité du Canada.
 
Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Brown, Rowe, Martin et Kasirer rendu par
 
                    Le juge Rowe —
[1]                              La présente cause porte sur une règle de common law (« règle anti‑privation ») qui a pour effet d’empêcher de contourner les régimes législatifs d’insolvabilité par voie contractuelle. Chandos Construction Ltd. (« Chandos ») a conclu un contrat de construction (« contrat de sous‑traitance ») avec Capital Steel Inc. (« Capital Steel »). Une stipulation du contrat de sous‑traitance prévoit que Chandos recevrait une somme d’argent advenant la faillite de Capital Steel, ce qui est arrivé. Il s’agit pour la Cour de déterminer si cette stipulation est invalide en raison de la règle anti‑privation.
[2]                              Je conclus que c’est le cas, essentiellement pour les motifs exprimés par les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Alberta. Par conséquent, le pourvoi est rejeté.
I.              Faits
[3]                              Chandos, un entrepreneur général en construction, a conclu un contrat de sous-traitance avec Capital Steel, un sous‑traitant. La valeur de ce contrat de sous‑traitance s’élevait à 1 373 300,47 $. La stipulation en litige est la clause VII Q, l’une des « Conditions » du contrat de sous-traitance :
        [traduction]
        Q Cessation des activités du sous‑traitant
        Dans le cas où le sous‑traitant devient insolvable, fait faillite, liquide ou distribue autrement ses actifs, permet la nomination d’un séquestre pour son entreprise, cesse d’exercer ses activités ou ferme ses chantiers :
(a)   le présent contrat de sous‑traitance est suspendu, mais peut être rétabli et maintenu si l’entrepreneur, le liquidateur ou le syndic de faillite du sous‑traitant et la caution, le cas échéant, s’entendent. Si aucune entente n’est conclue, le sous‑traitant est considéré comme ayant manqué à ses obligations et l’entrepreneur peut lui remettre un avis de défaut par écrit et procéder immédiatement à l’achèvement des travaux par d’autres moyens qu’il juge appropriés;
(b)   tous les coûts engagés par l’entrepreneur découlant de la suspension du présent contrat de sous‑traitance ou de l’achèvement des travaux par l’entrepreneur, plus une indemnisation raisonnable pour les frais généraux et le profit, sont payables par le sous‑traitant et/ou ses cautions;
(c)   l’entrepreneur peut retenir jusqu’à 20 % du prix du présent contrat de sous‑traitance jusqu’à ce que toutes les garanties et/ou toutes les périodes de garantie qui relèvent de la responsabilité du sous‑traitant soient expirées;
(d)   le sous‑traitant renonce à 10 % du prix du présent contrat de sous‑traitance en faveur de l’entrepreneur à titre de frais pour les dérangements liés à l’achèvement des travaux par d’autres moyens et/ou pour la surveillance des travaux durant la période de garantie.
      (d.a., p. 157)
[4]                              Cette stipulation prévoit quatre conséquences en cas d’insolvabilité, de faillite ou de cessation des activités de Capital Steel. Premièrement, la clause VII Q(a) prévoit que le contrat de sous‑traitance est suspendu et ne peut être rétabli que si le syndic de faillite et Chandos s’entendent. Deuxièmement, la clause VII Q(b) prévoit que Capital Steel doit payer à Chandos [traduction] « tous les coûts [. . .] découlant de la suspension » du contrat de sous‑traitance ou de l’achèvement des travaux par Chandos, plus une « indemnisation raisonnable pour les frais généraux et le profit ». Troisièmement, la clause VII Q(c) permet à Chandos de retenir certains fonds destinés à Capital Steel jusqu’à l’expiration de la garantie ou des périodes de garantie. Quatrièmement, la clause VII Q(d) prévoit que Capital Steel doit payer à Chandos 10 pour cent du prix du contrat de sous-traitance à titre de « frais pour les dérangements [. . .] et/ou pour la surveillance des travaux ».
[5]                              Lorsque Capital Steel a procédé à une cession de ses biens avant de terminer son contrat de sous‑traitance avec Chandos, Restructuration Deloitte Inc. a été nommée syndic de la faillite. À ce moment‑là, Chandos devait une somme de 149 618,39 $ à Capital Steel en application du contrat de sous‑traitance. Chandos a soutenu qu’elle avait le droit de déduire la somme de 22 800 $ — soit les coûts qu’elle avait engagés pour terminer les travaux commencés par Capital Steel —, de sorte qu’elle ne devait plus à celle‑ci que 126 818,39 $ (149 618,39 $ moins 22 800 $). Pour faire valoir cet argument, Chandos n’avait pas besoin de recourir à la clause VII Q puisqu’elle pouvait simplement invoquer les règles ordinaires de common law relatives aux dommages‑intérêts pour rupture de contrat et à la compensation, qui s’appliquent en matière de faillite aux termes du par. 97(3) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3 (« LFI »).
[6]                              Chandos a fait valoir qu’elle avait également le droit de déduire le montant qui lui était dû en cas de faillite suivant la clause VII Q(d), qui prévoit que Capital Steel doit renoncer à 10 pour cent du prix du contrat de sous-traitance en cas d’insolvabilité. Le prix du contrat de sous-traitance étant de 1 373 300,47 $, la clause VII Q(d) crée une dette de 137 330,05 $ payable par Capital Steel à Chandos. Si la clause VII Q(d) s’applique, cela veut dire que Chandos a une réclamation prouvable de 10 511,66 $ dans le cadre de la faillite plutôt qu’une dette de 126 818,39 $ envers Capital Steel.
[7]                              Face à ces arguments, le syndic a demandé des conseils et des directives à la Cour du Banc de la Reine quant à la validité de la clause VII Q(d).
II.           Jugements des juridictions d’instances inférieures
[8]                              Le juge de première instance a conclu que la stipulation est valide (Alta. Q.B., Edmonton, 242169632, 17 mars 2017). Selon lui, tant que celle‑ci ne vise pas à éviter l’effet des lois en matière de faillite, la règle anti‑privation n’empêche pas les parties contractantes de convenir que, en cas d’insolvabilité de l’une d’entre elles, l’autre peut réclamer des dommages‑intérêts liquidés. À son avis, en l’espèce, Chandos n’avait pas tenté d’éviter l’effet des lois en matière de faillite, et la stipulation était une clause de dommages‑intérêts liquidés (valide) et non une clause pénale (invalide).
[9]                              En appel, ayant conclu que la stipulation était invalide, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont infirmé la décision (2019 ABCA 32, 438 D.L.R. (4th) 195).
[10]                          La juge Rowbotham, écrivant au nom des juges majoritaires, a expliqué que la question de savoir si une stipulation est une clause établissant des dommages‑intérêts liquidés ou une clause pénale commande une analyse distincte de celle visant à savoir si la stipulation viole la règle anti‑privation. Une stipulation peut être invalide si elle viole la règle anti‑privation ou s’il s’agit d’une clause pénale inexécutoire.
[11]                          Dans ses motifs, la juge Rowbotham a procédé en trois étapes. D’abord, elle a fait l’historique de l’existence de longue date de la règle anti‑privation dans la jurisprudence canadienne. Ensuite, elle a conclu que la règle n’a été éliminée ni par des décisions subséquentes ni par des modifications législatives. Enfin, elle a jugé que le contenu de la règle doit rester tel qu’il est énoncé dans la jurisprudence canadienne, et qu’on doit s’abstenir d’adopter l’approche utilisée par la Cour suprême du Royaume‑Uni dans l’arrêt Belmont Park Investments Pty. Ltd. c. BNY Corporate Trustee Services Ltd., [2011] UKSC 38, [2012] 1 A.C. 383 (« Belmont Park », autrefois connu sous le nom « Perpetual Trustee »).
[12]                          Comme la juge Rowbotham l’a expliqué, il existe en common law deux règles distinctes qui invalident chacune les contrats touchant la distribution de l’actif en cas de faillite, même si on parlait autrefois dans les deux cas du « principe de fraude contre les lois en matière de faillite ». Ces règles ne sont pas autonomes; elles existent plutôt pour donner effet à une interdiction implicite dans les lois en matière de faillite. Premièrement, la règle du pari passu interdit les stipulations qui permettent à certains créanciers de recevoir plus que leur juste part. Il n’importe pas que l’application de la stipulation soit déclenchée par une insolvabilité ou une faillite, tant qu’elle modifie le plan de distribution après le début des procédures. Deuxièmement, la règle anti‑privation empêche des parties de s’entendre pour retirer de l’actif d’un failli certains biens qui auraient autrement été dévolus au syndic. Elle invalide les stipulations dont l’application [traduction] « est déclenchée par l’insolvabilité d’un débiteur et qui réduisent la valeur de son actif au détriment des créanciers » (par. 32). Autrement dit, même si les deux règles concernent l’obtention par les créanciers d’une part adéquate du gâteau, la règle anti‑privation porte sur la taille du gâteau tandis que la règle du pari passu porte sur la répartition de celui‑ci, peu importe sa taille (voir R. Goode, « Perpetual Trustee and Flip Clauses in Swap Transactions » (2011), 127 L.Q.R. 1, p. 4).
[13]                          La juge Rowbotham a conclu que les deux règles ont été appliquées dans la jurisprudence canadienne. Elle a cité l’arrêt A.N. Bail Co. c. Gingras, 1982 CanLII 199 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 475, par. 23, à titre d’application de la règle du pari passu, et les décisions suivantes à titre d’exemples d’application de la règle anti‑privation : Canadian Imperial Bank of Commerce c. Bramalea Inc. (1995), 1995 CanLII 7262 (ON SC), 33 O.R. (3d) 692 (« Bramalea »); In Re Hoskins and Hawkey, Insolvents (1887), 1 O.A.R. 379; Re Wetmore, [1924] 4 D.L.R. 66 (C.S.N.‑B. (div. app.)); Westerman (Bankrupt), Re, 1998 ABQB 946, 234 A.R. 371, inf. pour d’autres motifs 1999 ABQB 708, 275 A.R. 114; Re Knechtel Furniture Ltd. (1985), 56 C.B.R. (N.S.) 258 (C.S. Ont.); Re Frechette (1982), 1982 CanLII 2967 (QC CS), 138 D.L.R. (3d) 61 (C.S. Qué.); Aircell Communications Inc. (Trustee of) c. Bell Mobility Cellular Inc., 2013 ONCA 95, 14 C.B.R. (6th) 276, par. 10‑12; HGC c. IESO, 2019 ONSC 259, par. 100 (CanLII); 1183882 Alberta Ltd. c. Valin Industrial Mill Installations Ltd., 2012 ABCA 62, 522 A.R. 285 (motifs du juge McDonald, dissident).
[14]                          La juge Rowbotham n’a trouvé aucune affaire dans laquelle la règle anti‑privation a été éliminée. Elle a examiné l’arrêt Coopérants (Les), Société mutuelle d’assurance‑vie (Liquidateur de) c. Dubois, 1996 CanLII 242 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 900 (« Coopérants »), parce que, même s’il porte sur une stipulation dont l’application a été déclenchée par une liquidation, la Cour n’y a pas traité de la règle anti‑privation. Cela dit, elle a noté que rien n’indiquait que la stipulation en cause avait porté préjudice aux créanciers, de sorte que la règle anti‑privation ne se serait pas appliquée.
[15]                          La juge Rowbotham a également conclu qu’aucune modification législative n’a éliminé la règle anti‑privation, ni explicitement ni implicitement, comme c’est le cas lorsque le Parlement occupe le terrain quant à une question. Les seules modifications qui pourraient être pertinentes sont celles apportées à la LFI. Or, elles concernent un problème différent de celui visé par la règle anti‑privation : en effet, alors que cette dernière protège les créanciers, les modifications en question protègent les débiteurs.
[16]                          Une de ces modifications a été apportée lorsque le Parlement a adopté les art. 65.1 et 66.34 de la LFI. Ces dispositions invalident les stipulations dont l’application est déclenchée par une insolvabilité dans le contexte de la restructuration d’un débiteur commercial ou d’un débiteur consommateur. Le Parlement visait principalement à garantir que les débiteurs disposaient du temps nécessaire pour restructurer leurs affaires. Rien n’indique que ces dispositions législatives visaient à modifier la règle anti‑privation, qui a pour but de protéger les intérêts des créanciers.
[17]                          De même, lorsque le Parlement a adopté l’art. 84.2 de la LFI, il souhaitait protéger les débiteurs consommateurs contre les conséquences néfastes des stipulations dont l’application est déclenchée par une faillite et non à protéger des créanciers des effets d’un contrat entre le débiteur et un autre créancier.
[18]                          La juge Rowbotham a conclu que dans aucun de ces cas le Parlement n’a eu l’intention d’occuper le terrain relatif à la question en cause et d’éliminer la règle anti‑privation.
[19]                          Ensuite, la juge Rowbotham a examiné s’il y avait lieu de suivre l’approche adoptée par la Cour suprême du Royaume‑Uni relativement à la règle anti‑privation dans l’arrêt Belmont. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Royaume‑Uni a conclu que la règle ne s’applique pas aux [traduction] « opérations commerciales de bonne foi dont l’objectif prédominant ou l’un des objectifs principaux n’est pas de priver des parties impliquées dans la faillite de leurs biens » (par. 104).
[20]                          La juge Rowbotham a refusé de suivre l’arrêt Belmont. Elle a mentionné que le test fondé sur l’objet du contrat était contraire à celui fondé sur les effets appliqué par les tribunaux canadiens et que ce nouveau test avait été critiqué par des juristes britanniques, qui estiment qu’il contrecarre l’objet de la règle anti‑privation. La juge Rowbotham a ajouté qu’une partie susceptible de devenir insolvable n’a pas d’intérêt à s’opposer à une clause qui réduit la valeur de son actif en cas d’insolvabilité, car, dans une telle situation, la partie insolvable n’a plus d’intérêt à l’égard de cet actif.
[21]                          Enfin, la juge Rowbotham a appliqué la règle anti‑privation de common law à la clause VII Q(d). Elle a déterminé que l’application de cette clause est déclenchée en cas d’insolvabilité et que, en lui donnant effet, on réduit la valeur de l’actif du débiteur au détriment des créanciers. À son avis, la clause est donc invalide.
[22]                          Le juge Wakeling a rédigé des motifs dissidents. À son avis, la règle anti‑privation n’a jamais existé dans la common law canadienne ou, subsidiairement, elle a cessé d’exister après les modifications apportées à la LFI et à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, c. C‑36, en 2009. Même si la règle existait, il aurait adopté le test fondé sur l’objet établi dans l’arrêt Belmont. Chandos a repris ses conclusions devant la Cour. Le juge Wakeling aurait reformulé aussi la règle relative à la clause pénale. Étant donné mes conclusions concernant la règle anti‑privation, je n’aborderai pas la règle relative à la clause pénale.
III.        Questions en litige
[23]                          Dans le pourvoi dont nous sommes saisis, Chandos allègue que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont commis cinq erreurs :
(a)  ils ont mis l’accent sur le droit de la faillite plutôt que sur le droit contractuel;
(b)  ils n’ont pas abandonné la règle classique relative à la pénalité du droit contractuel;
(c)  ils ont conclu que la règle anti‑privation existe en common law;
(d) ils ont appliqué une règle anti‑privation fondée sur les effets;
(e)  ils n’ont pas examiné l’effet de la compensation.
[24]                          La première question se tranche facilement : le droit contractuel et le droit de la faillite s’appliquent conjointement, en l’occurrence par l’application de la règle anti‑privation. On peut également répondre à la deuxième question sommairement : si la stipulation est invalide pour une raison (la règle anti‑privation en droit de la faillite), il importe peu de savoir si elle est invalide pour d’autres raisons (la règle relative à la clause pénale en droit contractuel). J’examinerai les autres questions ci‑après.
IV.        L’existence de la règle anti‑privation en common law
[25]                          Je ne vois pas d’erreur dans la façon dont la juge Rowbotham a examiné la question de l’existence de la règle anti‑privation, puisque cette règle existe dans la common law canadienne et n’a été éliminée, ni par la Cour, ni par le Parlement.
[26]                          La juge Rowbotham a conclu à bon droit que les décisions qu’elle a citées appuyaient la règle anti‑privation. J’ajouterais les décisions Watson c. Mason (1876), 22 Gr. 574 (U.C. Ch.), et Hobbs c. The Ontario Loan and Debenture Company (1890), 1890 CanLII 10 (SCC), 18 R.C.S. 483, p. 502 (motifs du juge Strong), même si cette dernière date d’une période de l’histoire canadienne où il n’existait aucune loi fédérale en matière de faillite (R. J. Wood, Bankruptcy and Insolvency Law (2e éd. 2015), p. 33‑35).
[27]                          Aucune décision de notre Cour n’a éliminé la règle anti‑privation. L’arrêt Coopérants, comme la juge Rowbotham l’a indiqué, n’était pas une affaire portant sur la règle anti‑privation, car il n’y avait eu aucune privation (Coopérants, par. 43‑44).
[28]                          Le Parlement n’a pas non plus éliminé la règle anti‑privation. Comme la juge Rowbotham l’a observé, le Parlement n’a pas mis en œuvre les art. 65.1, 66.34 ou 84.2 de la LFI afin d’éliminer la règle anti‑privation : en effet, cette règle protège les tiers créanciers, tandis que les modifications apportées par le Parlement visent à protéger les débiteurs (voir la Bill C‑22: Clause by clause Analysis, cl. 87, art. 65.1 et cl. 89, art. 66.34, reproduite dans le recueil de sources du procureur général du Canada, onglet 4; Sénat, Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau : Examen de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (2003), p. 74‑75). Cet objectif de protection des débiteurs n’est pertinent que lorsqu’il existe encore un débiteur après la fin de la procédure. Cela est fréquent dans les situations de restructuration et après la faillite d’un particulier, mais toutefois rare dans les situations de faillite d’une société, puisque, typiquement, il ne reste plus d’actifs de la société une fois que tous les créanciers ont été payés.
[29]                          De plus, comme l’intervenant le procureur général du Canada l’a fait valoir, les interventions du Parlement doivent être considérées comme codifiant graduellement certains aspects de la common law, plutôt que comme cherchant à écarter tous les principes de common law connexes. Comme la Cour l’a noté à maintes reprises, il est présumé que le législateur n’a pas l’intention de modifier la common law existante à moins qu’il ne l’exprime clairement et sans ambiguïté (Parry Sound (District) Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157, par. 39; Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306, par. 29‑30).
[30]                          Effectivement, la disposition la plus pertinente de la LFI n’est pas l’art. 65.1, l’art. 66.34 ou l’art. 84.2, mais plutôt l’art. 71. Comme la Cour l’a reconnu dans l’arrêt Banque Royale du Canada c. Nord‑Américaine, cie d’assurance‑vie, 1996 CanLII 219 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 325, cette disposition prévoit que les biens du failli « passent et sont dévolus au syndic » (par. 44). Cela contribue à maximiser le « recouvrement global pour tous les créanciers », en conformité avec les priorités énoncées dans la LFI (Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327, par. 33; voir aussi Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, 1995 CanLII 69 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 453, par. 7‑9). La règle anti‑privation rend nulles les stipulations qui empêchent de faire passer des biens au syndic et qui contrecarrent ainsi l’objectif de l’art. 71 et le régime de la LFI. Cela permet de maximiser la valeur des actifs que le syndic peut remettre aux créanciers.
V.           Le contenu de la règle anti‑privation
[31]                          Comme le décrit la décision Bramalea, la règle anti‑privation rend nulle les stipulations qui, en cas d’insolvabilité, réduisent la valeur des actifs à laquelle les créanciers de la personne insolvable aurait autrement accès. Ce test comporte deux volets : premièrement, l’application de la clause pertinente doit être déclenchée par une insolvabilité ou une faillite; et, deuxièmement, la clause doit avoir pour effet de réduire la valeur de l’actif de la personne insolvable. C’est ce qu’on appelle à juste titre un test fondé sur les effets.
[32]                          Chandos soutient que la Cour devrait modifier la règle anti‑privation afin de suivre l’arrêt Belmont et adopter un test fondé sur l’objet. Comme je l’ai mentionné, dans l’arrêt Belmont, il a été conclu que la règle anti‑privation anglaise n’invalide pas les stipulations des [traduction] « ententes commerciales conclues de bonne foi dont l’objectif prédominant ou l’un des objectifs principaux n’est pas de priver certains acteurs concernés des biens d’une des parties en cas de faillite ». Selon Chandos, nous devrions suivre ce raisonnement, car c’est le maintien des ententes commerciales conclues de bonne foi qui permettrait le mieux d’établir le juste équilibre entre les considérations d’intérêt public et de contribuer à la stabilité commerciale. Elle soutient également que les effets secondaires d’une telle règle ne seraient pas si néfastes, car les créanciers non garantis ont tendance à recevoir peu dans les cas de faillite; en outre, les tribunaux seraient en mesure de déterminer qui a convenu d’une stipulation réduisant la valeur des actifs du débiteur de bonne foi pour des motifs commerciaux véritables. Aucun de ces arguments ne tient la route.
[33]                          L’objectif d’intérêt public en l’espèce n’est pas établi par la common law. Il a plutôt été établi par les lois. Dans ce contexte, le rôle de la common law se limite à choisir le moyen qui permet le mieux de mettre en œuvre le régime législatif adopté par le législateur. Par conséquent, lorsqu’un tribunal conclut que, en adoptant l’art. 71, le législateur avait l’intention que l’ensemble des biens d’un failli soit dévolu au syndic, il ne lui appartient pas de substituer à cette intention un objectif concurrent qui donnerait lieu à un résultat différent. À cet égard, je suis d’accord avec la professeure Worthington, lorsqu’elle écrit que [traduction] « [t]out évitement, qu’il soit intentionnel ou inéluctable, est assurément une fraude envers la loi » (« Good Faith, Flawed Assets and the Emasculation of the UK Anti‑Deprivation Rule » (2012), 75 M.L.R. 112, p. 121).
[34]                          En outre, je ne suis pas d’accord pour dire qu’adopter un test fondé sur l’objet créerait une stabilité commerciale. Au contraire, l’application d’un tel test obligerait les tribunaux à déterminer l’intention des parties contractantes bien après les faits, ce qui nuirait à l’administration efficace des faillites d’entreprise. Les parties ne peuvent pas savoir au moment de la conclusion d’un contrat si un tribunal, possiblement des années plus tard, jugera que leur contrat a été conclu de bonne foi pour des motifs commerciaux véritables. Cela entraînerait de l’incertitude au moment de la conclusion des contrats.
[35]                          La règle fondée sur les effets, telle qu’elle existe actuellement, est claire. Les tribunaux (et les parties commerciales) n’ont qu’à déterminer ce qui déclenche l’application de la clause et ses effets. Il est bien plus facile de déterminer l’effet d’une clause en cas de faillite que l’intention des parties contractantes. Une approche fondée sur les effets assure également aux parties que les ententes contractuelles, en l’absence d’une stipulation prévoyant le retrait d’actifs en cas de faillite ou d’insolvabilité, seront généralement maintenues. Le maintien d’un test fondé sur les effets est également compatible avec le test existant fondé sur les effets, reconnu dans l’arrêt Gingras, à la p. 487,  applicable à la règle du pari passu fondée sur l’art. 141 de la LFI (anciennement l’art. 112 de la Loi sur la faillite, L.R.C. 1970, c. B‑3), ainsi qu’avec le test fondé sur les effets établi aux art. 65.1, 66.34 et 84.2 de la LFI. Ces tests devraient rester cohérents afin d’éviter un dédoublement de procédures et des litiges complexes sur la question de savoir si la règle du pari passu ou la règle anti‑privation est déclenchée par une stipulation en particulier. Bien qu’il soit souvent facile de dire qu’une stipulation aura un effet sur le montant que touchera un créancier, la question de savoir si c’est parce qu’elle réduit la valeur de l’actif (violant ainsi la règle anti‑privation) ou parce qu’elle réattribue l’actif parmi les créanciers (violant ainsi la règle du pari passu) dépend de subtilités juridiques précises, et les litiges concernant de telles complexités peuvent être évités si les deux règles sont appliquées à la lumière d’un test fondé sur les effets.
[36]                          En outre, un test fondé sur l’intention encouragerait les parties qui peuvent plausiblement prétendre être de bonne foi à s’accorder une préférence à l’encontre des autres créanciers en insérant de telles clauses dans leurs contrats. Les parties seront souvent en mesure de fournir une justification commerciale pour expliquer l’existence des stipulations qui modifient les droits contractuels en cas d’insolvabilité de l’une d’entre elles, comme la protection contre le risque d’inexécution par un cocontractant. Un test fondé sur l’intention rendrait la règle inefficace, sauf dans les cas les plus évidents de contournement délibéré des lois en matière de faillite. Cela risquerait de nuire au régime législatif de la LFI.
[37]                          Il serait tout aussi mal avisé de se fonder sur des principes généraux de liberté contractuelle pour appuyer un test fondé sur l’intention. Certes, comme la Cour l’a noté dans l’arrêt Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, au par. 70, le droit des contrats en common law « accorde généralement beaucoup de poids à la liberté des parties contractantes dans la poursuite de leur intérêt personnel », or, par définition, après une cession de biens la partie insolvable n’a plus aucun intérêt. Comme la juge Rowbotham l’a mentionné, une partie susceptible de devenir insolvable n’a aucune raison de s’opposer à une clause qui réduit la valeur de son actif en cas de faillite. Les parties ne négocient pas dans le but de protéger les intérêts de leurs créanciers en cas de faillite. Les coûts de l’acceptation d’une telle clause ne sont assumés que par les créanciers non garantis de l’entreprise insolvable (lesquels n’ont pas de place à la table de négociation), tandis que les avantages ne reviennent qu’à l’entreprise pendant qu’elle est solvable.
[38]                          Enfin, bien qu’il puisse être vrai que les créanciers non garantis ont tendance à recevoir bien peu de nos jours, l’application d’une règle fondée sur l’objet aurait pour effet de leur en faire recevoir encore moins.
[39]                          En somme, Chandos n’a fait valoir aucune raison valable justifiant l’adoption d’un test fondé sur l’objet. À mon avis, adopter un tel test aurait pour effet de créer « des difficultés nouvelles plus grandes » comme celles contre lesquelles l’arrêt Watkins c. Olafson, 1989 CanLII 36 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 750, p. 762, nous met en garde. Comme l’a reconnu l’arrêt Bhasin, au par. 40, même s’il peut être approprié de modifier la common law canadienne afin d’apporter une plus grande certitude et une meilleure cohérence, ce n’est pas le cas lorsqu’une telle modification entraînerait de l’incertitude et de l’incohérence.
[40]                          Cela étant dit, nous devons reconnaître que la règle anti‑privation actuelle comporte des nuances. Par exemple, les stipulations contractuelles qui retirent certains biens de l’actif, sans pour autant réduire la valeur de ce dernier, peuvent ne pas violer la règle anti‑privation (voir l’arrêt Belmont, par. 160, motifs de lord Mance; Borland’s Trustee c. Steel Brothers & Co. Limited, [1901] 1 Ch. 279; voir aussi l’arrêt Coopérants). Il en va de même pour les stipulations dont l’effet est déclenché par autre chose qu’une insolvabilité ou une faillite. De plus, il n’y a pas de violation de la règle anti‑privation lorsque des parties commerciales se protègent contre l’insolvabilité d’un cocontractant en obtenant une garantie ou une assurance ou en exigeant une garantie d’un tiers.
[41]                          En somme, la Cour d’appel s’est penchée à juste titre sur la question de savoir si l’effet de la stipulation était de réduire la valeur de l’actif en cas de faillite plutôt que sur celle de savoir si l’intention des parties contractantes était raisonnable sur le plan commercial.
VI.        Application et effet de la compensation
[42]                          Cela nous amène à l’argument final de Chandos concernant l’effet de la compensation sur l’application de la règle anti‑privation en l’espèce. La compensation est autorisée par le par. 97(3) de la LFI :
      (3) Les règles de la compensation s’appliquent à toutes les réclamations produites contre l’actif du failli, et aussi à toutes les actions intentées par le syndic pour le recouvrement des créances dues au failli, de la même manière et dans la même mesure que si le failli était demandeur ou défendeur, selon le cas, sauf en tant que toute réclamation pour compensation est atteinte par les dispositions de la présente loi concernant les fraudes ou préférences frauduleuses.
Comme la Cour l’a décrit au par. 3 de l’arrêt Husky Oil, le par. 97(3) incorpore les règles provinciales de la compensation (issues de la common law et du droit civil) au régime fédéral en matière de faillite. La compensation est un moyen de défense opposable au paiement d’une créance. Elle a pour effet d’autoriser un créancier qui se trouve être également un débiteur à être colloqué plus favorablement qu’il ne le serait suivant l’ordre de priorité établi par la loi.
[43]                          La reconnaissance de la compensation par la LFI et la règle anti‑privation ne sont pas incompatibles. S’il est vrai que la compensation réduit la valeur des biens qui sont transférés au syndic pour redistribution, elle ne s’applique qu’aux dettes ou aux réclamations exigibles (voir, p. ex., Holt c. Telford, 1987 CanLII 18 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 193, p. 204‑206). La règle anti‑privation rend inexigibles les réclamations fondées sur des privations déclenchées par une insolvabilité. La combinaison des deux fait en sorte que la compensation s’applique aux dettes du failli qui n’ont pas été provoquées par la faillite.
[44]                          En l’espèce, la situation est très différente. Le texte introductif de la clause VII Q prévoit que son application est déclenchée [traduction] « [d]ans le cas où [Capital Steel] devient insolvable, fait faillite, liquide ou distribue autrement ses actifs ». Comme l’application de la clause a été déclenchée par une faillite, il y a ouverture à l’examen de la règle anti‑privation[1]. La clause VII Q(d) en soi prévoit une privation : « [Capital Steel] renonce à 10 % du prix du présent contrat de sous‑traitance en faveur de [Chandos] à titre de frais ». La stipulation a pour effet de créer une dette pour Capital Steel en faveur de Chandos, dette qui n’aurait pas existé, n’eût été l’insolvabilité. C’est cette « dette » créée par la clause VII Q(d) en raison de l’insolvabilité que Chandos cherche à « compenser » en la déduisant du montant qu’elle doit à Capital Steel. On peut difficilement imaginer une violation plus directe et évidente de la règle anti‑privation.
[45]                          En conséquence, je conclus que la clause VII Q(d) viole la règle anti‑privation et est donc nulle.
VII.     Conclusion
[46]                          Je rejetterais le pourvoi avec dépens devant toutes les cours.
 
Version française des motifs rendus par
 
                     La juge Côté —
I.              Introduction
[47]                          J’ai eu l’avantage de lire les motifs de mon collègue le juge Rowe et j’y souscris en bonne partie. Plus particulièrement, je conviens que la règle anti‑privation est bien ancrée depuis longtemps dans la jurisprudence canadienne et qu’elle n’a été éliminée ni par la Cour ni par une loi. Cependant, je souhaite exprimer une opinion différente sur un point de droit central pour l’issue du présent pourvoi. En bref, je suis d’avis que la règle anti‑privation ne devrait pas s’appliquer aux transactions ou aux stipulations qui poursuivent un objectif commercial véritable. Ma conclusion repose essentiellement sur trois motifs.
[48]                          Premièrement, d’après ma lecture de la jurisprudence, les tribunaux qui appliquent la règle anti‑privation au Canada ne se sont pas contentés de fonder leurs décisions sur une simple conclusion voulant qu’une transaction ou une stipulation ait pour effet de réduire la valeur de l’actif du failli. Comme je l’explique ci‑après, les tribunaux canadiens regardent au‑delà des effets de l’arrangement et vérifient si la privation poursuit un objectif commercial véritable.
[49]                          Deuxièmement, le recours à un test fondé sur l’objectif commercial véritable repose sur un fondement juridique valable. La règle anti‑privation tire son origine du principe de common law voulant que les accords conclus dans le but illégal de commettre une fraude ou de causer un préjudice à un tiers soient contraires à l’intérêt public. À l’inverse de la règle du pari passu, la règle anti‑privation ne devrait pas être considérée comme découlant d’une prohibition implicite contenue dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3 (« LFI »). Les différents fondements juridiques qui sous‑tendent la règle anti‑privation et la règle du pari passu expliquent donc pourquoi cette dernière s’applique indépendamment de l’intention des parties, tandis que la première tient compte des objectifs commerciaux véritables des parties.
[50]                          Troisièmement, en ce qui concerne l’intérêt public, les considérations qui ont été citées en appui au test fondé sur les effets ne suffisent pas à transcender l’importance de l’intérêt public opposé dans l’exécution des contrats. Un test fondé purement sur les effets accorde trop peu de poids à la liberté contractuelle, à l’autonomie des parties et à la liberté d’action traditionnellement conférée par la common law en vue de la poursuite aggressive d’intérêts personnels : voir A.I. Enterprises Ltd. c. Bram Enterprises Ltd., 2014 CSC 12, [2014] 1 R.C.S. 177, par. 31. En outre, le Parlement occupe aujourd’hui une grande partie du terrain qui relevait autrefois de la common law, ce qui diminue la nécessité d’avoir une règle anti‑privation générale. En effet, les nombreuses protections déjà prévues par les lois destinées à protéger les intérêts des créanciers remettent en question le besoin d’élargir la portée de la règle anti‑privation à cette même fin.
[51]                          Par conséquent, à l’instar du juge Wakeling, dissident en Cour d’appel, je suis d’avis que la règle anti‑privation ne s’applique pas aux transactions ou aux stipulations qui visent un objectif commercial véritable. Puisque le juge siégeant en cabinet (Alta. Q.B., Edmonton 24‑2169632, 17 mars 2017, d.a., p. 9‑10) et la Cour d’appel (2019 ABCA 32, 438 D.L.R. (4th) 195, par. 55 et 394‑397) ont conclu à l’unanimité que la stipulation en litige poursuivait un objectif commercial véritable, j’accueillerais le pourvoi et je rétablirais l’ordonnance rendue en première instance.
II.           Contexte
[52]                          Mon collègue fournit dans ses motifs un résumé utile des faits essentiels, auquel je trouve peu à redire. Je me contenterai de souligner quelques aspects importants des relations contractuelles en l’espèce.
[53]                          L’appelante, Chandos Construction Ltd., a retenu les services de la sous-traitante Capital Steel Inc. pour construire une importante structure en acier dans le cadre d’un projet de copropriétés à St. Albert, en Alberta (« contrat de sous‑traitance »). Le pourvoi porte sur la question de savoir si la clause VII Q(d) (« clause Q(d) ») du contrat de sous‑traitance — reproduite dans les motifs de mon collègue — enfreint la règle anti‑privation. Capital Steel a fourni une garantie selon laquelle elle s’engageait à réparer tout défaut dans ses travaux et tout dommage découlant d’un travail mal fait : clause III [traduction] « Garantie », d.a., p. 155. De plus, selon la clause VII G du contrat de sous‑traitance, Capital Steel s’est engagée à indemniser Chandos et à la dégager de toute responsabilité « relativement à toute réclamation, dépense, dette et cause d’action » et pour « toute perte ou tout dommage » causé, dans l’exécution du contrat de sous‑traitance, à Chandos ou au promoteur du projet immobilier par Capital Steel ou par un de ses sous‑traitants, employés, mandataires et titulaires de licences et de permis. Capital Steel assumait la même obligation d’indemniser à l’égard du promoteur.
[54]                          Le contrat à forfait conclu entre Chandos et le propriétaire‑promoteur, Boudreau Developments Ltd., prévoyait que Chandos serait [traduction] « aussi pleinement responsable à l’égard du propriétaire pour les actes et omissions » de ses sous‑traitants qu’elle l’était pour les « actes et omissions des personnes qu’elle emploie directement » : clause GC 3.7.1.3 (italique dans l’original). Chandos a également convenu qu’elle corrigerait rapidement, et à ses frais, les défauts apparaissant dans les travaux durant la période de garantie : clause GC 12.3.4. En outre, Chandos était tenue de corriger ou de payer les dommages découlant des corrections : clause GC 12.3.5.
III.        Questions en litige
[55]                          Les présents motifs visent à déterminer si la règle anti‑privation s’applique indépendamment des objectifs commerciaux véritables des parties.
[56]                          Les parties soulèvent par ailleurs la question de savoir si la clause Q(d) constitue une stipulation valide relative aux dommages‑intérêts liquidés ou une clause pénale non exécutoire. Le juge Nielsen, siégeant en son cabinet, a conclu qu’il s’agissait d’une disposition valide relative aux dommages-intérêts liquidés. Cette conclusion n’a pas été infirmée en appel et je ne vois aucune erreur de droit identifiable qui justifierait une intervention en appel. Je m’abstiendrai donc d’examiner cette question plus attentivement.
IV.        Analyse
A.           La règle anti‑privation ne s’applique pas lorsque la transaction ou la stipulation vise un objectif commercial véritable
[57]                          Avant de débuter l’analyse de la question de savoir si la jurisprudence concernant la règle anti‑privation a toujours inclus une notion d’objectif, je crois qu’il est utile d’énoncer clairement ce que je veux dire par « objectif commercial véritable ».
[58]                          L’examen que je propose est principalement objectif et est centré sur la présence ou l’absence d’un fondement commercial légitime pour justifier une transaction ou une stipulation. Une approche objective concorde bien avec l’approche adoptée dans un autre domaine du droit commercial important et connexe, soit l’interprétation contractuelle, où « le but de l’exercice consiste à déterminer l’intention objective des parties » : Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, par. 49. Elle concorde également avec l’approche adoptée par la Cour pour déterminer l’objectif des transactions commerciales dans les affaires de qualification fiscale. Comme la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Symes c. Canada, 1993 CanLII 55 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 695, p. 736 :
     Comme dans d’autres domaines du droit, lorsqu’il faut établir l’objet ou l’intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l’objet subjectif d’une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l’objet se manifeste objectivement, et l’objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances.
Voir aussi Entreprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62, [2001] 2 R.C.S. 1082, par. 54.
[59]                          Évidemment, une preuve démontrant l’absence de bonne foi subjective est pertinente dans un tel examen, mais les affirmations positives de bonne foi, bien qu’elles soient pertinentes, ne sont pas déterminantes. Les tribunaux qui appliquent la règle anti‑privation devraient tenir dûment compte (et ils le font) des manifestations objectives de l’intention des parties. Dans le cas de la règle anti‑privation, les termes des contrats qui les lient sont le principal moyen par lequel les parties manifestent objectivement leurs intentions. Par conséquent, on doit examiner attentivement les termes des contrats qui contreviendraient à la règle anti‑privation.
[60]                          J’ajoute que l’arrêt de principe anglais sur la règle anti‑privation adopte une approche similaire pour déterminer l’objectif de la transaction ou de la stipulation en litige : Belmont Park Investments Pty. Ltd. c. BNY Corporate Trustee Services Ltd., [2011] UKSC 38, [2012] 1 A.C. 383, par. 74‑79, motifs de lord Collins; et par. 151, motifs de lord Mance.
[61]                          Ayant ces considérations à l’esprit, je me tourne maintenant vers la question empirique de savoir si les tribunaux s’enquièrent de la présence ou de l’absence d’un tel objectif lorsqu’ils appliquent la règle anti‑privation.
(1)           Les tribunaux s’enquièrent de l’existence d’un objectif commercial véritable lorsqu’ils appliquent la règle anti‑privation
[62]                          Comme les tribunaux canadiens qui se sont penchés sur la règle anti‑privation ont souvent eu recours à la jurisprudence anglaise portant sur cette règle, je vérifierai d’abord si la jurisprudence anglaise a traditionnellement eu recours à un test fondé sur l’objectif commercial véritable. J’examinerai ensuite plus attentivement la jurisprudence canadienne afin de déterminer si les tribunaux canadiens se penchent sur la présence ou l’absence d’un objectif commercial véritable lorsqu’ils appliquent la règle anti‑privation.
(a)           La jurisprudence anglaise
[63]                          Je n’ai pas l’intention d’entreprendre un examen exhaustif de la règle anti‑privation anglaise dans les présents motifs. La Cour suprême du Royaume‑Uni s’est prêtée à un tel exercice dans le récent arrêt Belmont, et je ne peux espérer ajouter à son analyse exhaustive. Mes observations générales concernant la jurisprudence anglaise ne porteront donc que sur cet arrêt.
[64]                          L’intimée, Restructuration Deloitte Inc., a plaidé que l’arrêt Belmont a [traduction] « fait passer » la règle anti‑privation anglaise d’un test fondé sur l’effet à un test fondé sur l’objectif (m.i., par. 115). Selon moi, l’arrêt Belmont a plutôt reconnu que l’objectif a toujours été un élément constitutif de la règle anti‑privation anglaise. Lord Collins a effectué un examen exhaustif de la jurisprudence anglaise sur la règle anti‑privation : par. 58‑73. Il a constaté que, [traduction] « dans les cas où la règle a été appliquée, on relevait presque toujours le fait que la partie cherchant à profiter de la privation tentait d’éviter les règles en matière de faillite » : par. 75. En outre, dans les précédents anglais faisant autorité [traduction] « où il a été jugé que la règle anti‑privation ne s’appliquait pas, la bonne foi et l’objectif commercial de la transaction ont été des facteurs importants » : par. 77. Lord Collins a donc pu conclure que la jurisprudence anglaise représentait [traduction] « un corpus impressionnant relatant l’opinion de certains des juges les plus éminents selon qui, dans le cas de la règle anti‑privation, il devait y avoir une intention délibérée de contourner les lois en matière d’insolvabilité » : par. 78; voir aussi les motifs de lord Mance, par. 152‑153.
[65]                          Je considère que l’examen de la jurisprudence anglaise par lord Collins ainsi que les conclusions de droit qu’il en a tirées font autorité quant à la position du droit anglais sur la règle anti‑privation. Je ne saurais donc accepter que la reconnaissance, exprimée dans l’arrêt Belmont, de l’objectif comme élément constitutif de la règle anti‑privation soit aussi nouvelle que Deloitte le laisse entendre. En outre, comme je le démontre ci‑après, la jurisprudence canadienne relative à la règle anti‑privation appuie elle aussi la conclusion selon laquelle une exigence relative à l’objectif n’est pas une caractéristique nouvelle de la règle anti‑privation.
(b)           La jurisprudence canadienne
(i)            Jurisprudence de la Cour suprême du Canada
[66]                          Bien que le présent pourvoi soit la première occasion qu’a la Cour d’examiner pleinement et d’appliquer la règle anti‑privation, elle a déjà, à trois reprises, soit formulé des commentaires incidents sur ce domaine du droit, soit examiné des ententes contractuelles qui auraient été assujetties à la règle anti‑privation ou à la règle du pari passu si les contrats en question avaient été régis par la common law. D’après ma lecture, la jurisprudence de la Cour favorise le recours à un test fondé sur l’objectif commercial véritable lorsqu’il s’agit d’appliquer la règle anti‑privation.
[67]                          La Cour a eu l’occasion de formuler des commentaires incidents sur le principe de fraude contre les lois en matière de faillite dans l’arrêt Hobbs c. The Ontario Loan and Debenture Company (1890), 1890 CanLII 10 (SCC), 18 R.C.S. 483. Un contrat hypothécaire prévoyait que le créancier hypothécaire louait la propriété hypothéquée au débiteur hypothécaire et que le loyer équivalait aux paiements du capital prévus par le contrat. Il s’agissait de savoir si les droits créés par le bail étaient exécutoires contre un tiers créancier saisissant.
[68]                          Le juge en chef Ritchie (le juge Taschereau, plus tard juge en chef, souscrivant à ses motifs) a conclu qu’un faux bail prévu dans un contrat hypothécaire qui n’a pas pour but de créer une relation propriétaire‑locataire véritable est nul à l’égard des cessionnaires dans le cadre d’une faillite : p. 486‑489. Le juge Strong, plus tard juge en chef, a souscrit à cette position (avec l’appui du juge Fournier) : p. 502‑503 et 507. Ils n’étaient toutefois pas d’accord quant à l’issue de l’appel. Le juge en chef Ritchie a conclu à un arrangement de bonne foi, car aucune loi en matière de faillite n’était en vigueur. Le juge Strong a plutôt conclu à l’absence d’un tel arrangement, car le principe avait un vaste champ d’application qui allait au‑delà de la faillite : p. 485‑487 et 508‑509.
[69]                          La jurisprudence sur laquelle le juge en chef Ritchie et le juge Strong se sont fondés reposait sur le principe anglais de fraude contre les lois en matière de faillite. Le juge en chef Ritchie s’est appuyé fortement sur la décision rendue par la Cour d’appel de l’Angleterre dans l’arrêt Ex parte Voisey (1882), 21 Ch. D. 442 (C.A.), citant les motifs de lord Brett, qui a déclaré ce qui suit, aux p. 459 et 461 :
        [traduction]
        . . . Un contrat ne peut cesser d’être un contrat de bonne foi que si les parties n’avaient aucune intention de l’exécuter et s’il n’était qu’un moyen de contourner les lois en matière de faillite. Il ne s’agirait pas de ce que l’on appelle généralement une fraude, mais plutôt d’une fraude contre les lois en matière de faillite, c’est‑à‑dire une tentative de contourner ces lois en cas de faillite. Cela étant, cette tentative de contournement ou ce défaut de bonne foi à l’égard des lois en matière de faillite doit exister, à tout le moins, au moment de la conclusion du contrat. . .
        . . .
        . . . La question est de savoir si les parties ont véritablement et honnêtement conclu un contrat qu’elles avaient l’intention d’exécuter, qu’il y ait faillite ou non, ou s’il s’agit plutôt d’un contrat qu’elles avaient l’intention d’exécuter seulement afin de contourner les lois en matière de faillite.
[70]                          Le juge Strong s’est également fondé sur l’arrêt Ex parte Williams (1877), 7 Ch. D. 138 (C.A.), dont il a décrit la ratio decidendi comme établissant que [traduction] « toute disposition par laquelle un débiteur prévoit que ses biens seront distribués différemment de ce que prévoit la loi en cas de faillite ou d’insolvabilité est nulle » : p. 502. Bien qu’il ait noté que l’arrêt Williams avait peu de valeur en raison de l’absence de lois sur la faillite au Canada, le juge Strong a commenté favorablement les décisions anglaises qui ont suivi cet arrêt, y compris l’arrêt Voisey. D’après sa description du droit établi par ces précédents, s’il semble que la location prévue par le contrat hypothécaire n’est pas considérée comme un contrat de bonne foi par les parties et s’il s’agit plutôt d’un leurre ou d’une escroquerie, alors le bail est [traduction] « nul [. . .] à l’égard des cessionnaires dans le cadre d’une faillite » : p. 503. Le juge Strong a adopté ces principes, ajoutant qu’ils doivent s’appliquer bien au‑delà du contexte de la faillite afin de protéger les tiers plus généralement.
[71]                          L’opinion du juge Patterson est également digne de mention, car il a déclaré que le caractère exécutoire d’un bail entre le créancier hypothécaire et un tiers dépendait en partie de [traduction] « l’authenticité de la transaction » : p. 543. Il a mentionné que cette authenticité de la transaction « a habituellement été examinée en Angleterre dans le contexte du droit de la faillite » et, bien que le Canada n’ait pas eu de loi sur la faillite à cette époque, cela « ne voulait pas dire que l’intention derrière le bail devait être négligée » : p. 543.
[72]                          À mon avis, les motifs du juge en chef Ritchie et des juges Strong et Patterson indiquent que la Cour a approuvé, dans un obiter presque unanime, tant l’existence d’un principe général de fraude contre les lois en matière de faillite, même s’il s’avérait inapplicable à cette époque, que le test fondé sur l’objectif commercial véritable correspondant à ce principe.
[73]                          La Cour a examiné un ensemble de circonstances qui ressemblent à celles régies par la règle anti‑privation de common law dans l’arrêt Coopérants (Les), Société mutuelle d’assurance‑vie (Liquidateur de) c. Dubois, 1996 CanLII 242 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 900. M. Dubois et Les Coopérants étaient les copropriétaires indivis de deux immeubles situés à Laval, au Québec. Leurs intérêts dans les immeubles étaient régis par deux conventions qui prévoyaient une renonciation au droit de demander le partage des biens immeubles pour une période de 35 ans. Chaque convention prévoyait également que si l’une des parties présentait une demande judiciaire pour la nomination d’un liquidateur de ses biens, l’intérêt de cette partie dans l’immeuble devait être vendu à l’autre. Si les parties ne s’entendaient pas sur le prix, l’intérêt de la partie défaillante devait être vendu à l’autre partie à 75 pour cent de la juste valeur marchande, laquelle devait être établie sans égard au fait que l’immeuble était détenu en indivision. Subséquemment, Les Coopérants a présenté une demande judiciaire pour la nomination d’un liquidateur pour motif d’insolvabilité et M. Dubois a cherché à faire exécuter la clause de vente forcée prévue par leurs conventions.
[74]                          La Cour a conclu que le liquidateur était tenu de respecter la clause de vente forcée, car rien ne prouvait que la méthode prévue au contrat pour déterminer le prix de vente résultait en un prix inférieur à la juste valeur marchande et que la clause accordait à M. Dubois une « préférence injuste » : par. 41.
[75]                          Je conseille d’éviter un recours immodéré à l’arrêt Coopérants pour déterminer le contenu d’une règle de common law. Les contrats en cause étaient régis par le Code civil du Bas‑Canada et non par la common law, et les commentaires de la Cour concernant l’applicabilité de la clause portaient sur la façon dont un tribunal doit exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est aujourd’hui conféré par la Loi sur les liquidations et les restructurations, L.R.C. 1985, c. W‑11. L’arrêt Coopérants est néanmoins crucial puisqu’il a reconnu l’importance d’exécuter les conventions qui reflètent un objectif commercial véritable. La Cour a noté que la clause dont il était question créait l’obligation de vendre un bien unique, non fongible et indivisible à l’égard duquel M. Dubois, en tant que copropriétaire, avait un intérêt particulier. Elle a également observé que les conventions dans lesquelles se trouvait la clause comportaient des obligations réciproques pour les deux copropriétaires qui nécessitaient une continuité dans le temps. Elle a indiqué qu’« [i]l y a intérêt à respecter de tels contrats et à assurer leur stabilité dans la mesure du possible » : par. 38. Par conséquent, la Cour a reconnu que la clause en litige visait un objectif commercial véritable que les tribunaux doivent s’efforcer de respecter, même si cela accorde une préférence à certains créanciers plutôt qu’à d’autres.
[76]                          Enfin, la Cour a examiné un ensemble de circonstances ressemblant à celles régies par la règle du pari passu dans l’arrêt A.N. Bail Co. c. Gingras, 1982 CanLII 199 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 475. Un contrat conclu entre un entrepreneur général et un sous‑entrepreneur autorisait l’entrepreneur général à payer directement les fournisseurs du sous‑entrepreneur pour les obligations liées au projet de construction. Le sous‑entrepreneur a entamé une procédure de faillite et l’entrepreneur général s’est prévalu de la disposition contractuelle pour payer un des fournisseurs du sous‑entrepreneur, qui était un créancier de ce dernier. La Cour a conclu que, dans le contexte d’une faillite, de tels contrats ne peuvent être utilisés pour supplanter le régime de distribution pari passu prévu par la LFI. Et cela, malgré la bonne foi de l’entrepreneur général.
[77]                          L’arrêt Gingras est compatible avec l’approche anglaise de la règle du pari passu. La Chambre des lords a conclu, dans l’arrêt British Eagle International Airlines Ltd. c. Cie Nationale Air France, [1975] 1 W.L.R. 758 (H.L.), que la règle du pari passu s’applique lorsque l’effet d’un contrat sera d’entraîner une distribution des biens d’un failli à ses créanciers différente de celle prévue par les lois en matière de faillite, et ce, en dépit des objectifs commerciaux légitimes des parties. Cependant, comme je l’explique en détail, cela ne veut pas dire que la règle anti‑privation doive entraîner le recours à un test similaire fondé sur les effets. Clairement, la Cour suprême du Royaume‑Uni n’a pas considéré que l’affaire British Eagle l’empêchait de conclure que la règle anti‑privation anglaise comprend une notion d’objectif commercial véritable : Belmont. Par conséquent, je considère que l’affaire Gingras ne nie pas l’existence d’un test fondé sur l’objectif commercial véritable auquel il faut recourir pour l’application de la règle anti‑privation.
[78]                          En résumé, les arrêts Hobbs et Coopérants énoncent des obiter dicta importants qui évoquent un test fondé sur l’objectif commercial véritable auquel il faut recourir pour l’application de la règle anti‑privation de common law. L’arrêt Gingras ne contredit pas ces obiter dicta ni ne s’écarte du droit anglais, tel qu’il a été énoncé dans les affaires Belmont et British Eagle. Je suis donc d’avis que la jurisprudence de la Cour favorise le recours à un test fondé sur l’objectif commercial véritable des parties pour l’application de la règle anti‑privation — quoique, je le précise, la Cour ne se soit pas liée par le principe de stare decisis à cet égard. Mon examen empirique doit donc reposer sur la jurisprudence des tribunaux qui ont appliqué la règle anti‑privation de common law.
(ii)         Jurisprudence de la Cour supérieure et de la Cour d’appel
[79]                          D’après ma lecture de la jurisprudence, les tribunaux qui ont appliqué la règle anti‑privation au Canada ne se sont pas contentés de fonder leurs décisions sur une simple conclusion voulant qu’une transaction ou une stipulation ait pour effet de réduire la valeur de l’actif du failli. Comme je l’explique ci‑après, les tribunaux ont regardé au‑delà des effets du contrat et ont vérifié si la privation poursuivait un objectif commercial véritable. Dans les rares cas où cet examen n’a pas été réalisé, il était facile d’inférer des circonstances l’absence d’un objectif commercial véritable. Ces observations me mènent à conclure que la notion d’objectif commercial véritable est bien ancrée dans le droit canadien.
[80]                          Dans l’arrêt In Re Hoskins and Hawkey, Insolvents (1877), 1 O.A.R. 379 (C.A.), la Cour d’appel de l’Ontario a appliqué la règle anti‑privation à un bail qui prévoyait que si le locataire devenait insolvable, le loyer de l’année en cours de même que celui de l’année suivante devait tout de même être payé. Le propriétaire a soutenu que le loyer de l’année additionnelle servait d’indemnisation pour sa perte de locataire. Si le test que la cour a appliqué n’avait été axé que sur les effets de la stipulation, elle n’aurait pas eu à aborder cet argument. Or, elle l’a fait. La cour a rejeté l’argument du propriétaire, mentionnant qu’il était [traduction] « infirmé par le fait que le départ d’un locataire devenu insolvable entraîne un avantage plutôt qu’une perte » pour le propriétaire : p. 384. À la p. 385, la Cour d’appel a cité avec approbation la décision rendue par le lord chancelier Redesdale dans l’arrêt Murphy, a Bankrupt (1803), 1 Ch. 44, p. 49, qui est souvent cité au Canada :
        [traduction]
        [L]a question est de savoir si une personne peut être autorisée à prouver sa réclamation à titre de créancier en se fondant sur un instrument créé aux fins d’annuler l’effet des lois en matière de faillite lorsque le seul fondement de la réclamation est un instrument conclu dans le but d’accorder un droit contre les créanciers, qui n’existerait pas contre le failli s’il était solvable. Dans toutes les affaires examinées en Angleterre, il a été conclu qu’il s’agissait d’une fraude contre les lois en matière de faillite qu’il est impossible d’appuyer. . . [Je souligne.]
[81]                          Appliquant l’arrêt Murphy, la Cour d’appel a conclu que la stipulation prévoyant le paiement au propriétaire d’un loyer pour une année additionnelle était invalide. Essentiellement, elle a jugé qu’il n’existait pas d’objectif commercial légitime pouvant justifier que le propriétaire reçoive ce qui serait en réalité le paiement à titre gratuit d’une année supplémentaire de loyer après la fin du bail.
[82]                          La même Cour d’appel a appliqué la règle anti‑privation pour annuler une entente dans l’arrêt Watson c. Mason (1876), 22 Gr. 574 (U.C. Ch.). Une société de personnes et les créanciers d’une entreprise insolvable ont conclu une entente qui permettait à la société de personnes d’acheter les actifs de l’entreprise, et qui prévoyait qu’en cas d’insolvabilité, la société devrait aux créanciers le reste des dettes impayées de l’entreprise. Le juge Burton (plus tard juge en chef) a conclu qu’aucun précédent n’appuyait la validité d’une entente [traduction] « alors que l’unique fondement de la réclamation est un instrument conçu dans le but d’accorder un droit contre les créanciers » : p. 588 (je souligne). Le juge Patterson (alors membre de la Cour d’appel) a mentionné que rien ne prouvait que la société de personnes avait payé un prix réduit pour les actifs en échange de cette contrepartie, et le juge Burton était d’avis que la société de personnes avait payé la valeur complète des actifs, ce qui transformait le paiement éventuel des dettes en un avantage concédé essentiellement à titre gratuit. Si je combine ces commentaires avec l’approbation par plusieurs juges de citations de décisions anglaises faisant référence à l’intention ou à l’objectif (p. 583‑584, p. ex.), je comprends que la cour a conclu qu’il n’y avait aucun intérêt commercial légitime à faire assumer la dette d’une autre entreprise par la société de personnes, devenue insolvable, alors que cette société avait déjà convenu de payer aux créanciers la pleine valeur des biens de l’entreprise.
[83]                          Le juge Meyer a aussi appliqué la règle anti‑privation dans la décision Re Frechette (1982), 1982 CanLII 2967 (QC CS), 138 D.L.R. (3d) 61 (C.S. Qué.). Le failli était un actionnaire d’une société privée. La convention entre actionnaires prévoyait un droit de premier refus si l’un des actionnaires décidait de céder volontairement ses parts à un tiers, ainsi qu’un droit d’acheter la part de tout actionnaire ayant fait faillite. Cette entente prévoyait également que le prix à payer pour les parts d’un failli obtenues lors d’une vente forcée devait être de 80 pour cent du prix qui serait autrement payé si les parts étaient vendues volontairement au moyen du droit de premier refus.
[84]                          Le juge Meyer a conclu que la stipulation exigeant la vente des parts du failli pour 80 pour cent de leur valeur était contraire à l’intérêt public. Il est parvenu à cette conclusion parce qu’il a jugé que la stipulation accordait aux actionnaires une réduction spéciale du prix à payer pour les parts de l’actionnaire failli. Si la règle qu’il a appliquée ne s’intéressait qu’aux effets de la stipulation sur la faillite, il aurait pu terminer son analyse à cette étape. Mais il a poursuivi en examinant la raison pour laquelle les actionnaires avaient conclu l’entente.
[85]                          Bien que le juge Meyer ait accepté que le rabais de 20 pour cent puisse avoir été convenu de bonne foi, il a jugé qu’il s’agissait essentiellement d’un avantage gratuit accordé par les associés les uns aux autres. En effet, il a comparé cet avantage à un [traduction] « cadeau » : p. 69. Il a observé que « la cour ne disposait d’aucune preuve démontrant l’existence d’une contrepartie pour ce rabais, à part le désir d’accorder un avantage à un autre actionnaire en cas de faillite » : par. 20. Cette conclusion revient à dire que la stipulation ne reposait sur aucun intérêt commercial objectivement vérifiable. Le désir de faire des cadeaux à des amis n’est tout simplement pas un intérêt commercial légitime que le droit devrait protéger au détriment des intérêts des créanciers tiers en cas de faillite. Enfin, je constate que le juge Meyer a cité et invoqué la décision anglaise Borland’s Trustee c. Steel Brothers & Co., Limited, [1901] 1 Ch. 279, dont j’examinerai l’importance ci‑après en analysant une autre décision canadienne.
[86]                          Le juge Saunders a examiné la règle anti‑privation dans la décision Re Knechtel Furniture Ltd. (1985), 56 C.B.R. (N.S.) 258 (C.S. Ont.). La faillie, Knechtel Furniture, avait un régime de retraite pour ses employés. Celui‑ci a été liquidé, avec un surplus de 471 300 $ après que tous les bénéficiaires eurent été totalement payés conformément aux modalités du régime, lorsque la compagnie a fait faillite. Selon le régime, en cas de cessation, tout surplus devait être payé à la compagnie, mais si celle‑ci avait fait faillite ou était devenue insolvable, il devait être distribué aux bénéficiaires. Le syndic de faillite de la compagnie a fait valoir que la clause qui accordait aux bénéficiaires un droit au surplus était contraire à l’intérêt public.
[87]                          Les bénéficiaires ont soutenu que la stipulation n’avait pas été incluse dans le but de contrecarrer le droit des créanciers de la faillie. Ils ont fait valoir qu’elle visait à accorder des avantages supplémentaires aux employés qui subiraient probablement de grandes difficultés si le régime était liquidé après la faillite de l’entreprise. Autrement dit, ils ont prétendu que la stipulation visait un objectif commercial véritable. Le juge Saunders a rejeté cet argument, non pas parce qu’il l’a jugé non pertinent pour son analyse, mais parce qu’il a estimé qu’il était [traduction] « difficile de voir pourquoi les difficultés auraient nécessairement été moindres si le régime avait été liquidé lorsque Knechtel était solvable » : p. 264. Autrement dit, il n’a pas accepté l’argument selon lequel il y avait un intérêt commercial légitime à accorder aux bénéficiaires ce qui équivaudrait à des prestations gratuites. Il a observé que les bénéficiaires avaient déjà reçu la totalité des prestations auxquelles ils avaient droit en vertu du régime et que, si celui-ci avait été liquidé alors que l’entreprise était solvable, les bénéficiaires n’auraient pas eu droit au surplus. Puisque l’application de la stipulation aurait pour effet de réaffecter les fonds qui auraient autrement fait partie de l’actif de la faillie, la stipulation était contraire à l’intérêt public.
[88]                          La règle anti‑privation a aussi été examinée par le juge Blair (plus tard juge de la Cour d’appel) dans la décision Canadian Imperial Bank of Commerce c. Bramalea Inc. (1995), 1995 CanLII 7262 (ON SC), 33 O.R. (3d) 692 (C.J. (div. gén.)). Bramalea et la CIBC étaient parties à un contrat de société conclu dans le but de construire et d’exploiter un centre commercial. Une des stipulations de l’entente prévoyait qu’en cas d’insolvabilité de l’un des associés, l’associé solvable pouvait acheter la participation de l’associé insolvable au prix le moins élevé entre la valeur comptable et la juste valeur marchande. Bramalea a entamé une procédure de faillite, et la banque a tenté d’exercer son droit prévu au contrat de société. La valeur comptable de la participation de Bramalea était évaluée à 200 000 $ et la preuve tendait à démontrer que la juste valeur marchande pouvait dépasser la valeur comptable d’un montant aussi élevé que 2 000 000 à 3 000 000 de dollars. La clause aurait donc accordé à la banque un rabais plutôt ahurissant sur la valeur de la participation de Bramalea dans la société. Le juge Blair n’a expressément ni accepté ni rejeté les montants invoqués pour la juste valeur marchande, mais a conclu que la différence de prix était [traduction] « plus que minime » : p. 694.
[89]                          Le juge Blair a déclaré qu’il [traduction] « ressortait clairement des clauses du contrat de société elles‑mêmes que les parties envisageaient un transfert de la participation dans la société de l’un des associés à l’autre uniquement en cas d’insolvabilité du premier, à un prix moins élevé que ce que l’on aurait obtenu pour cette participation sur le marché » : p. 695. Ainsi, bien qu’il se soit efforcé de souligner que rien n’indiquait la présence d’une intention frauduleuse ou malhonnête dans cette affaire, il a observé que les parties voulaient vendre un actif à un prix sous‑évalué. Par conséquent, il a conclu que la clause était contraire à l’intérêt public. Donc, bien que le juge Blair ne se soit pas expressément penché sur la question de savoir si la stipulation avait une finalité commerciale objective, il a manifestement tenté de trouver une finalité objective.
[90]                          De plus, je considère que la déclaration du juge Blair selon laquelle la règle englobe [traduction] l’« effet frauduleux » veut seulement dire qu’il n’est pas nécessaire de démontrer une intention subjective de commettre une fraude contre les créanciers du failli pour que la règle anti‑privation s’applique : p. 694. Dans l’arrêt Belmont, lord Mance a expliqué que les mentions dans la jurisprudence de [traduction] « fraude » contre les lois en matière de faillite ne visent pas la fraude « au sens strict » ni les conduites « moralement scandaleuses » : par. 151. Lord Brett s’est également prononcé clairement en ce sens à la p. 459 de l’arrêt Voisey. En conséquence, il n’est pas nécessaire de démontrer une intention malhonnête subjective ou une tromperie. Toutefois, lord Mance, au par. 151 de l’arrêt Belmont et lord Brett, à la p. 461 de l’arrêt Voisey, ont tous les deux conclu que la règle anti‑privation exigeait d’évaluer si la transaction poursuivait un objectif légitime. Je ne vois rien de contradictoire à décider que la preuve d’une tromperie ou d’un acte malhonnête ou répréhensible n’est pas nécessaire, tout en concluant que la règle anti‑privation ne s’applique pas aux transactions ou aux stipulations qui visent un objectif commercial véritable. Je ne considère donc pas les commentaires du juge Blair concernant la [traduction] « fraude dans l’effet » comme étant incompatibles avec le point de vue que j’avance.
[91]                          En outre, le juge Blair, à la p. 695, comme le juge Meyer dans l’affaire Frechette, à la p. 68, a cité directement la décision anglaise Borland où le juge Farwell a déclaré ce qui suit dans le contexte d’une convention d’achat d’actions :
        [traduction]
        Si j’en arrivais à la conclusion que l’une de ces stipulations obligeait quiconque à vendre ses parts en cas de faillite à un prix moins élevé que celui qu’il ou elle aurait autrement obtenu, cette disposition serait incompatible avec le droit de la faillite. . . [p. 291]
Toutefois, on peut se demander si cette incompatibilité découlerait du fait que la disposition constituerait un effet privatif, malgré la bonne foi des parties, ou si la vente à un prix sous‑évalué nuirait à la prétention des parties voulant qu’elles aient rédigé la stipulation de façon à servir des intérêts commerciaux légitimes. Je crois que la dernière supposition constitue une meilleure interprétation des motifs du juge Farwell dans la décision Borland, que j’examinerai sans plus tarder.
[92]                          M. Borland était actionnaire d’une entreprise privée qui conduisait ses activités en Birmanie. Les statuts constitutifs de l’entreprise prévoyaient que chaque actionnaire [traduction] « avait le droit de continuer à détenir ses actions ou celles des autres actionnaires jusqu’à sa mort, ou jusqu’à ce qu’il les transfère volontairement ou jusqu’à ce qu’il fasse faillite » : p. 281. M. Borland ayant été déclaré failli, l’entreprise a tenté de l’obliger à vendre ses actions. Le syndic de faillite de M. Borland s’est opposé à la vente, faisant valoir que la stipulation constituait une fraude contre les lois en matière de faillite.
[93]                          Le juge Farwell a conclu que la disposition des statuts constitutifs relative à la vente forcée n’était pas contraire à l’intérêt public. Il a jugé qu’elle y avait été ajoutée [traduction] « de bonne foi » et constituait une « entente équitable aux fins des activités de l’entreprise » : p. 291. Il a constaté qu’il était difficile d’évaluer les actions parce qu’elles étaient assorties de plusieurs clauses restrictives qui « empêchaient d’en établir la valeur marchande ». Le juge Farwell a ajouté que le prix offert par l’entreprise représentait vraisemblablement la juste valeur des actions étant donné qu’il était essentiellement impossible de les évaluer. Le même prix s’appliquait à tous les actionnaires ainsi qu’à la vente des actions dans le cadre d’une faillite et en dehors de celle‑ci.
[94]                          C’est dans ce contexte que le juge Farwell a formulé le commentaire qu’a cité le juge Blair dans la décision Bramalea. Cependant, étant donné l’observation du juge Farwell selon laquelle il était essentiellement impossible d’établir la valeur des actions, sa conclusion quant à l’inapplicabilité de la règle anti‑privation reposait davantage sur son impression que l’entente visait un objectif commercial véritable que sur l’établissement d’un principe fixe selon lequel l’absence de preuve démontrant une privation est déterminante eu égard à l’application de la règle : voir A. Ho, « The Treatment of Ipso Facto Clauses in Canada » (2015), 61 R.D. McGill 139, p. 161. Par conséquent, dans la mesure où les décisions Bramalea et Frechette ont suivi la décision Borland, elles l’ont fait soit sur la base d’une mauvaise interprétation, soit, et c’est l’interprétation que je privilégie, parce qu’il est implicite dans les motifs de ces jugements que la règle anti‑privation ne s’applique pas aux ententes commerciales véritables.
[95]                          La Cour d’appel de l’Ontario s’est fondée sur la décision Bramalea pour invalider une stipulation dans l’arrêt Aircell Communications Inc. (Trustee of) c. Bell Mobility Cellular Inc., 2013 ONCA 95, 14 C.B.R. (6th) 276. Aircell et Bell étaient parties à un contrat de concessionnaire indépendant qui prévoyait que Bell pouvait résilier le contrat moyennant un préavis si Aircell ne payait pas à Bell ses achats d’inventaire. Ce contrat prévoyait également qu’en cas de résiliation du contrat pour des motifs précisés, les obligations de Bell relatives au paiement de commissions [traduction] « pren[draient] fin immédiatement » : par. 8. En raison de difficultés financières, Aircell n’a pas fait certains paiements et a entamé des procédures de faillite. Elle devait à Bell 64 000 $ pour des articles en inventaire, tandis que Bell a retenu des commissions s’élevant à 188 981 $ qu’elle devait à Aircell. Comme Bell avait droit à une compensation en application de la LFI, le syndic d’Aircell a intenté un recours contre Bell afin de recouvrer seulement la différence entre les commissions retenues par Bell et les sommes qu’Aircell devait à cette dernière. La Cour d’appel a conclu que la clause prévoyait un [traduction] « profit inattendu [. . .] pour Bell » : par. 12. Appliquant la décision Bramalea, la Cour d’appel a conclu que la clause était non exécutoire parce qu’elle était contraire à l’intérêt public.
[96]                          La Cour d’appel a décrit le test établi dans la décision Bramalea comme étant essentiellement fondé sur les effets. Cependant, comme l’indique mon analyse de cette décision, il s’agit d’une simplification à outrance des motifs du juge Blair. De plus, et j’admets que la Cour d’appel n’a pas examiné cette affaire sur ce fondement, le fait qu’elle décrive l’effet de la clause comme un [traduction] « profit inattendu » indique implicitement que cette clause était offensante non seulement parce qu’elle réduisait l’actif d’Aircell, mais aussi parce qu’aucun fondement commercial légitime en matière de faillite ne permettait à Bell de retenir les paiements qui dépassaient la dette d’Aircell envers elle. Selon moi, l’arrêt Aircell n’est donc pas incompatible avec mon approche.
[97]                          La règle anti‑privation a été examinée par le registraire des faillites Quinn dans la décision Westerman (Bankrupt), Re, 1998 ABQB 946, 234 A.R. 371, inf. pour d’autres motifs, 1999 ABQB 708, 275 A.R. 114. Le failli était partie à un contrat de société qui prévoyait qu’un associé failli pouvait être exclu de la société de personnes et que cette dernière ne serait alors tenue de verser à l’associé failli que 50 pour cent de son compte de capital. Le registraire Quinn a conclu que le fait de permettre à la société de personnes de s’attribuer 50 pour cent du compte de capital du failli confèrerait une préférence injuste à la société, car toutes les pertes subies par celle‑ci à la suite de la faillite étaient [traduction] « purement spéculatives ». Il a donc conclu que la société de personnes n’avait pas le droit de retenir les fonds. Puisque le registraire Quinn n’a pas abordé l’objectif commercial qui sous‑tendait la stipulation, il semble qu’aucun objectif commercial n’ait été porté à son attention. Comme la stipulation avait pour effet de priver le compte de capital de l’associé de 50 pour cent de sa valeur en cas de faillite, aucune finalité commerciale objective n’était manifeste. Je considère donc que l’arrêt Westerman n’est pas un précédent qui réfute ma lecture de la jurisprudence.
[98]                          Dans ses motifs, le registraire Quinn a exprimé l’opinion selon laquelle l’arrêt Coopérants était incompatible avec les décisions Bramalea, Knetchel et Frechette. Toutefois, comme l’analyse qui précède le démontre, le lien qui relie les affaires canadiennes est la présence ou l’absence d’une finalité commerciale objective qui sous‑tend les contrats examinées. Il y avait une telle finalité dans l’affaire Coopérants, mais non dans les affaires Bramalea, Knetchel et Frechette. En outre, il ressort des analyses menées dans ces quatre décisions que les juges, au lieu de s’en tenir à la question de savoir si les stipulations en litige avaient pour effet de retirer des biens de l’actif des débiteurs, se sont enquis de la légitimité des intentions exprimées par ces stipulations. C’est aussi le cas de l’arrêt Hoskins, et sans doute de l’arrêt Watson. Par ailleurs, les précédents plus récents qui ont appliqué la règle et qui n’ont pas abordé expressément la question de l’intention des parties — Westerman et Aircell — ne s’opposent pas à ma lecture de la jurisprudence, car ils n’expriment aucune intention de s’éloigner des précédents et les faits en cause démontraient une absence d’objectif commercial légitime.
[99]                          Dans les décisions des tribunaux d’instances inférieures qui en ont traité, il a été jugé que la règle anti‑privation ne s’appliquait pas lorsque la stipulation en cause poursuivait un objectif commercial véritable. Lorsque j’examine cette jurisprudence à la lumière des arrêts Hobbs et Coopérants, j’arrive à la conclusion que la notion d’objectif commercial véritable est bien ancrée dans le droit canadien. Je ne peux donc accepter la position de mon collègue selon laquelle l’adoption d’un test fondé sur l’objectif commercial véritable constituerait une modification du droit existant : motifs du juge Rowe, par. 32 et 39. Avec égards, c’est l’adoption par mon collègue d’un test uniquement fondé sur les effets qui représente une rupture par rapport au passé. Déclarer la règle anti‑privation inapplicable en l’absence d’un objectif commercial véritable reviendrait à reconnaître le droit tel qu’il a toujours été, tel qu’il nous a été légué par les opinions raisonnées des juristes qui nous ont précédés.
[100]                     Bien entendu, les règles de droit pourraient être progressivement modifiées pour s’éloigner de cette position. Les tribunaux peuvent adapter la common law lorsqu’ils le jugent nécessaire pour l’ajuster à la dynamique et à l’évolution du tissu social : voir R. c. Salituro, 1991 CanLII 17 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 654. À mon avis, lorsque les tribunaux envisagent d’introduire de telles innovations dans la common law, ils doivent fonder leur décision sur des principes juridiques solides et des considérations d’ordre public impératives. Ainsi, j’examinerai maintenant s’il existe un fondement juridique valable pour établir une distinction entre la règle du pari passu, avec son test fondé sur les effets, et la règle anti‑privation, avec son test traditionnellement fondé sur l’objectif.
(2)           Il existe un fondement juridique valable pour établir une distinction entre la règle anti‑privation et la règle du pari passu
[101]                     Mon collègue justifie le choix d’un test fondé sur les effets pour l’application de la règle anti‑privation notamment parce qu’il s’harmoniserait avec le test applicable à la règle du pari passu : motifs du juge Rowe, par. 35. Or, à mon avis, il existe un fondement juridique valable pour établir une distinction entre les deux règles : la règle anti‑privation repose sur un principe d’intérêt public de common law, tandis que la règle du pari passu repose sur une prohibition implicite contenue dans la LFI.
[102]                     La règle anti‑privation et la règle du pari passu font partie d’une doctrine de common law plus générale établie depuis longtemps selon laquelle une entente contraire à l’intérêt public peut être jugée inexécutoire et annulée en conséquence : S. M. Waddams, The Law of Contracts (7e éd. 2017), par. 562. Cette doctrine de l’intérêt public comprend au moins deux volets : 1) l’intérêt public issu de la common law; 2) l’intérêt public d’origine statutaire : Waddams, par. 566. Le volet de common law vise les ententes annulées parce que les tribunaux craignent qu’une considération d’intérêt public l’emporte sur l’intérêt public général à l’égard de l’exécution des contrats : p. ex., Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., 2009 CSC 6, [2009] 1 R.C.S. 157, par. 15‑20. Le volet statutaire vise les ententes annulées parce qu’elles sont expressément ou implicitement interdites par une loi : Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp., 2004 CSC 7, [2004] 1 R.C.S. 249, par. 20‑26. D’après ma lecture de la jurisprudence, la règle anti‑privation relève du volet de common law de la doctrine de l’intérêt public qui interdit les ententes conclues dans le but de commettre une fraude ou de causer autrement un préjudice à un tiers. Ma conclusion repose sur les deux observations suivantes à propos de la jurisprudence.
[103]                     Ma première observation concerne les origines de la règle. Les vieux précédents anglais qui sous‑tendent la règle anti‑privation canadienne décrivaient systématiquement les ententes en cause comme étant frauduleuses, malhonnêtes ou évasives : voir Belmont, par. 74‑79, motifs de lord Collins; Ho, p. 151‑152; R. J. Wood, « Direct Payment Clauses and the Fraud Upon the Bankruptcy Law Principle: Re Horizon Earthworks Ltd. (Bankrupt) » (2014), 52 Alta L.R. 171, p. 175. Dans la décision Higinbotham c. Holme (1812), 19 Ves. Jr. 88, 34 E.R. 451, à la p. 453, le lord chancelier Eldon a conclu qu’une stipulation [traduction] « adoptée dans le but exprès de soustraire l’affaire à l’application des lois en matière de faillite » constitue « une fraude directe contre les lois en matière de faillite ». Le juge Vaughan Williams a conclu pour sa part, dans la décision In re Stephenson, [1897] 1 Q.B. 638, p. 640, qu’une entente selon laquelle l’intérêt d’un débiteur à l’égard d’un bien serait établi au moment de sa faillite est [traduction] « la preuve d’une intention de commettre une fraude contre [ses] créanciers ». Dans le jugement Whitmore c. Mason (1861), 2 J. & H. 204, 70 E.R. 1031, à la p. 1035, le vice‑chancelier Wood a déclaré que [traduction] « personne ne peut être autorisé à retirer un avantage d’un contrat qui constitue une fraude contre les lois en matière de faillite ». Dans le jugement Ex parte Mackay (1873), L.R. 8 Ch. App. 643, p. 647, lord James a décrit le contrat qu’il a annulé comme étant [traduction] « une tentative évidente d’éviter l’application des lois en matière de faillite »; voir aussi Voisey¸ motifs de lord Brett et Murphy, motifs de lord chancelier Redesdale, tous les deux précitées. Les plus vieux précédents canadiens Hobbs, Hoskins et Watson vont dans le même sens.
[104]                     Le raisonnement adopté par ces tribunaux semble avoir reposé sur une crainte que les ententes en cause aient visé un objectif illégal s’apparentant à de la fraude, et non sur une conclusion qu’elles étaient implicitement interdites par une loi. Les premiers tribunaux de common law ayant appliqué la règle devaient faire une analogie entre l’intérêt public sur lequel ils fondaient leur décision et une catégorie établie, et les lois moins sophistiquées en matière d’insolvabilité en vigueur à l’époque n’offraient pas de fondement permettant d’invalider de tels contrats. À mon avis, c’est pour cette raison que la jurisprudence est empreinte de références à la « fraude » et à des notions similaires.
[105]                     Ma prochaine observation concerne le mode de raisonnement dans les décisions relatives à la règle anti‑privation. Si cette règle était fondée sur une prohibition implicite contenue dans la loi sur la faillite pertinente, on pourrait s’attendre à ce que tant la jurisprudence anglaise que la jurisprudence canadienne examinent l’intention législative du Parlement tel qu’elle ressort du libellé de la loi en cause : voir J. D. McCamus, The Law of Contracts (2e éd. 2012), p. 457 et 486. Or, ma revue des décisions en question illustre que les tribunaux qui ont envisagé l’application de la règle anti‑privation ont toujours cité les principes et les politiques exposés dans la jurisprudence en accordant peu ou pas d’importance au libellé de la loi pertinente en vigueur. Par conséquent, la règle relève davantage de la nature d’un intérêt public envisagé par les tribunaux que d’une prohibition implicite contenue dans les diverses lois sur l’insolvabilité qui ont été adoptées et révisées à travers les siècles au cours desquels cette règle a existé de part et d’autre de l’Atlantique. À cet égard, il faut se rappeler que la Cour a adopté les vieux précédents anglais et en a ensuite élargi la portée aux affaires ne relevant pas du domaine de la faillite dans l’arrêt Hobbs, et ce, malgré le fait qu’à cette époque, il n’existait aucune loi sur la faillite au Canada. À mon avis, cela donne à penser que l’intérêt public émane des tribunaux.
[106]                     Compte tenu de ces deux observations, je suis d’avis que la règle anti‑privation relève du volet de common law de la doctrine de l’intérêt public, qui interdit les ententes conclues dans le but de commettre une fraude ou de causer autrement un préjudice à un tiers : voir McCamus, p. 456; Elford c. Elford (1922), 1922 CanLII 53 (SCC), 64 R.C.S. 125; Campbell River Lumber Co. c. McKinnon (1922), 1922 CanLII 28 (SCC), 64 R.C.S. 396; Zimmerman c. Letkeman, 1977 CanLII 196 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 1097.
[107]                     Mon collègue semble être d’avis que la règle anti‑privation relève du volet statutaire de la doctrine de l’intérêt public : motifs du juge Rowe, par. 30. Avec égards, la disposition sur laquelle il se fonde, soit l’art. 71 de la LFI, est toutefois loin d’être claire à cet égard. Aux termes de l’art. 71, le failli cesse d’être habile à céder ou à aliéner ses biens uniquement au moment où l’ordonnance de faillite est rendue ou lorsqu’une cession est produite. Il ne ressort pas clairement de ce libellé que cette disposition a un effet quelconque sur la validité d’une entente conclue avant ce moment. Cette ambiguïté est particulièrement apparente pour ce qui est des ententes qui ont qualifié l’intérêt du failli à l’égard d’un bien dès le début, comme c’est le cas de la condition Q du contrat de sous‑traitance. Il est un principe bien établi que la LFI n’accorde pas au syndic, à l’égard d’un bien du failli, un intérêt supérieur à celui qu’avait le failli avant la faillite : Giffen (Re), 1998 CanLII 844 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 91, par. 50; Lefebvre (Syndic de), 2004 CSC 63, [2004] 3 R.C.S. 326, par. 37; Flintoft c. Royal Bank of Canada, 1964 CanLII 89 (SCC), [1964] S.C.R. 631, p. 634. Le syndic « prend simplement la place » du failli et prend possession de l’actif « avec tous ses défauts » : Saulnier c. Banque Royale du Canada, 2008 CSC 58, [2008] 3 R.C.S. 166, par. 50. Avec égards, l’approche adoptée par mon collègue s’écarte de ce principe, car, dans les faits, elle conclut que l’art. 71 convertit l’intérêt relatif du failli à l’égard d’un bien en intérêt absolu pour le syndic. Même si la common law peut restreindre la liberté des parties de qualifier l’intérêt d’une partie en cas d’insolvabilité, rien dans le libellé de l’art. 71 ne reflète une telle intention.
[108]                     Le portrait de la situation n’est pas plus clair si l’on considère le contexte statutaire, qui comprend de nombreuses dispositions prévoyant que les transactions commerciales de bonne foi — même les transferts de biens à un prix sous‑évalué — sont valides contre un syndic de faillite : LFI, par. 95(1), 96(1), 97(1) et 99(1). Ainsi, il semblerait que l’objectif du Parlement de maximiser « le recouvrement global pour tous les créanciers » n’avait pas pour but d’être réalisé aux dépens de toutes les ententes conclues de bonne foi qui font obstacle à cet objectif : Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327, par. 33. Donc, à tout le moins, l’art. 71 est ambigu.
[109]                     Les tribunaux qui appliquent le volet statutaire de la doctrine de l’intérêt public [traduction] « ne devraient pas s’empresser de considérer qu’un contrat va à l’encontre de la loi, et ne devraient le faire que lorsque l’intention en ce sens est passablement évidente » : St. John Shipping Corp. c. Joseph Rank Ltd., [1957] 1 Q.B. 267, p. 289. Examiner la question sous un autre angle entraînerait une incertitude considérable dans les affaires commerciales étant donné l’énorme quantité de lois en vigueur de nos jours. En effet, l’approche moderne relative au volet statutaire de la doctrine de l’intérêt public consiste à assouplir la doctrine classique en permettant l’exécution de contrats dans les cas appropriés, même lorsqu’ils contreviennent aux dispositions d’une loi : Still c. M.R.N. (C.A.), 1997 CanLII 6379 (CAF), [1998] 1 C.F. 549, par. 37; Transport North American, par. 19‑26. Par conséquent, la meilleure approche, à mon avis, consiste à traiter la règle anti‑privation comme relevant du volet de common law de la doctrine de l’intérêt public plutôt que d’adopter une interprétation forcée de l’art. 71 de la LFI.
[110]                     Par contraste avec l’art. 71, la disposition pari passu de la LFI, l’art. 141, établit une règle de démarcation très nette selon laquelle « toutes les réclamations établies dans la faillite sont acquittées au prorata » : art. 141. Il s’agit de la disposition sur laquelle la Cour a fondé sa décision dans l’arrêt Gingras et elle est essentiellement semblable à l’art. 302 de la Companies Act, 1948 (U.K.), 11 & 12 Geo. 6, c. 38, sur laquelle lord Cross s’est fondé dans l’arrêt British Eagle. Ce libellé clair et précis de la loi appuie d’emblée la conclusion selon laquelle le législateur avait pour intention d’interdire à un débiteur de conclure un contrat avec des créanciers en vue de distribuer ses biens en cas de faillite d’une manière autre que celle prévue à l’art. 141. La règle du pari passu relève donc du volet statutaire de la doctrine de l’intérêt public.
[111]                     En somme, la différence entre les tests applicables à la règle du pari passu et à la règle anti‑privation s’explique par la nature juridique différente des deux règles. La première est fondée sur une prohibition implicite contenue dans la LFI qui s’applique indépendamment de l’intention des parties, tandis que la seconde tire son origine du principe d’intérêt public de common law qui interdit les ententes conclues à des fins illégales : voir Still, par. 22. Par conséquent, il existe un fondement juridique valable qui justifie le recours à des tests différents pour l’application des deux règles.
[112]                     Il reste toutefois à examiner s’il existe suffisamment de considérations d’intérêt public pour justifier que l’on s’écarte du test de la finalité commerciale objective applicable à la règle anti‑privation.
(3)           Le poids des considérations d’intérêt public fait pencher la balance vers le test fondé sur l’objectif commercial véritable plutôt que vers le test fondé sur les effets
[113]                     Le fait que la règle anti‑privation découle de la common law ne l’empêche pas de s’appliquer en même temps que la LFI ni de concourir à l’atteinte des objectifs législatifs du Parlement. Bien que le volet de common law et le volet statutaire de la doctrine de l’intérêt public soient distincts, ils ne constituent pas des compartiments étanches. Les tribunaux qui appliquent le volet de common law font preuve de prudence en tenant compte des politiques intégrées dans les lois comme le reflet des préoccupations de la société en matière d’intérêt public : Waddams, par. 566. Par conséquent, le fait que la règle anti‑privation soit issue de la common law n’empêche pas un tribunal de tenir compte de l’objectif du Parlement qui est de maximiser le recouvrement global pour tous les créanciers lorsqu’il se penche sur la façon de formuler la règle anti‑privation. Cela veut toutefois dire que les objectifs du Parlement doivent être évalués par rapport aux autres intérêts publics protégés par la common law au moment de décider de la meilleure façon de formuler la règle.
[114]                     Il peut sembler que mon collègue et moi ne soyons pas d’accord sur ce point. Or, à mon avis, les différences dans nos approches découlent de notre désaccord sur la nature juridique de la règle anti‑privation : motifs du juge Rowe, par. 33. Si je partageais l’avis de mon collègue selon lequel la règle anti‑privation devrait être comprise comme une prohibition statutaire implicite, je n’aurais aucune hésitation à convenir que l’enquête devrait être plus étroitement axée sur la sélection du test qui donne le mieux effet à l’intention législative du Parlement. Toutefois, je considère la règle anti‑privation comme une règle d’intérêt public émanant des tribunaux et, par conséquent, mon approche est éclairée tant par les objectifs politiques du Parlement que par les autres intérêts et valeurs protégés par la common law.
[115]                     La règle générale est celle de la liberté contractuelle et elle ne peut être écartée que par « une considération d’ordre public prépondérante [. . .] qui l’emporte sur le très grand intérêt public lié à l’application des contrats » : Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69, par. 123 (le juge Binnie, dissident, mais pas sur ce point). Par conséquent, j’aborde la question de l’intérêt public comme celle de savoir lequel entre le test fondé sur les effets préconisé par mon collègue et le test fondé sur l’objectif commercial véritable confirmé à mon avis par la jurisprudence reflète le mieux le point où l’intérêt public visé par la règle anti‑privation l’emporte sur l’intérêt public à l’égard de l’exécution des contrats. J’estime que ce point est atteint dans les cas où la privation touchant l’actif de la faillite ne répond à aucune finalité commerciale légitime et objectivement vérifiable.
[116]                     La common law « accorde [. . .] beaucoup de poids à la liberté des parties contractantes dans la poursuite de leur intérêt personnel » : Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, par. 70. Elle accepte même qu’ « une partie [puisse] parfois causer une perte à une autre partie [. . .] dans la poursuite légitime d’intérêts économiques personnels » : par. 70. À mon avis, un test fondé uniquement sur les effets accorde trop peu de poids à la liberté contractuelle, à l’autonomie des parties et à la liberté d’action que la common law confère traditionnellement en vue de la poursuite agressive d’intérêts personnels : voir A.I. Enterprises, par. 31, citant C. Sappideen et P. Vines, eds., Fleming’s The Law of Torts (10e éd. 2011), par. 30.120. Par contre, l’adoption d’un test purement subjectif pourrait entraîner une incertitude considérable, car on introduirait une norme vague qui restreindrait indûment la portée de la règle anti‑privation. Un test subjectif fondé sur la finalité accorderait trop peu de poids à l’objectif du Parlement de maximiser le recouvrement global pour tous les créanciers. C’est pourquoi, à mon avis, la meilleure solution pour respecter l’équilibre entre la liberté contractuelle, les intérêts des créanciers tiers et la certitude commerciale consisterait à adopter un test objectif fondé sur la finalité commerciale véritable.
[117]                     Mon collègue craint qu’un test fondé sur l’objectif ou la finalité rende la règle anti‑privation inefficace parce qu’elle ne s’appliquerait que dans les cas les plus évidents : motifs du juge Rowe, par. 36. Pourtant, comme je l’ai démontré dans mon examen de la jurisprudence canadienne, il n’existe aucune décision appliquant la règle anti‑privation dans laquelle l’absence d’un objectif commercial véritable n’a pu être dégagée des circonstances objectives du dossier. En effet, la majorité des tribunaux qui ont appliqué la règle ont examiné les fins objectives de la stipulation plutôt que de simplement fonder leur décision sur ses effets. Je ne suis donc pas d’accord pour dire que le fait de retenir la notion de fins objectives « risquerait de nuire au régime législatif de la LFI » : motifs du juge Rowe, par. 36. En outre, la jurisprudence de la Cour établit que la doctrine de l’intérêt public [traduction] « ne doit être invoquée que dans les cas clairs » : In re Estate of Charles Millar, Deceased, 1937 CanLII 10 (SCC), [1938] S.C.R. 1, p. 7, citant Fender c. St. John‑Mildmay, [1938] A.C. 1, p. 12. Une portée plus restreinte pour la règle anti‑privation est donc compatible avec la jurisprudence de la Cour sur la doctrine de l’intérêt public. Elle va également dans le même sens que la tendance moderne observée dans la jurisprudence anglaise qui consiste à restreindre plutôt qu’à élargir la portée de la règle : Lomas c. JFB Firth Rixson Inc., [2010] EWHC 3372 (Ch.), [2011] 2 B.C.L.C. 120, par. 96, conf. par [2012] EWCA Civ. 419, [2012] 2 All E.R. (Comm.) 1076.
[118]                     Mon collègue soutient également que le test fondé sur les effets est compatible avec les dispositions ipso facto de style américain de la LFI : motifs du juge Rowe, par. 35. Ces dispositions ipso facto établissent que nul ne peut, au seul motif de l’insolvabilité d’une personne, résilier ou modifier un contrat, ni se prévaloir d’une clause de déchéance du terme : LFI, art. 84.2 (faillites de personnes physiques), art. 65.1 (propositions d’entreprises), art. 66.34 (propositions de débiteurs consommateurs). Je ne considère pas ces dispositions ipso facto comme étant analogues à un test fondé sur les effets parce qu’elles s’appliquent aux stipulations dont l’application est déclenchée par l’insolvabilité, quels que soient les effets de ces stipulations. Il est plus exact de décrire le test appliqué par ces dispositions comme un test fondé sur les éléments déclencheurs plutôt qu’un test fondé sur les effets. De plus, comme le juge Rowe l’observe, les dispositions législatives ipso facto ont été adoptées à une fin différente de celles visées par la règle anti‑privation : motifs du juge Rowe, par. 28. Les dispositions ipso facto visent à protéger les débiteurs; la règle anti‑privation, à l’inverse, protège les créanciers. Je considère donc que ces dispositions ne sont pas des énoncés d’intérêt public pertinents pour la question en cause en l’espèce.
[119]                     S’il faut tenir compte des politiques énoncées dans la LFI, la Cour devrait aussi tenir compte de la politique du Parlement favorable à la validité des transactions commerciales de bonne foi faites en l’absence d’un lien de dépendance même lorsque celles-ci ont pour effet de procurer à un créancier une préférence sur un autre créancier ou de réduire la valeur de l’actif du failli : al. 95(1)(a) et par. 96(1) et 97(3). En outre, la « bonne foi » continue de jouer un rôle dans le maintien de la validité des transactions protégées qui surviennent après l’ouverture de la faillite : par. 97(1) et 99(1). À mon avis, ces dispositions reflètent une préférence du Parlement pour le maintien de la validité des ententes commerciales de bonne foi, même lorsque celles‑ci ont pour effet de réduire l’ensemble de biens accessibles aux créanciers en cas de faillite. Effectivement, ce serait [traduction] « une dérogation importante au principe du droit de la faillite que d’annuler les transactions visant un objectif commercial valide par application mécanique d’un principe général », comme le test fondé sur les effets favorisé par mon collègue : M. Grottenthaler et E. Pillon, « Financial Products and the Anti‑Forfeiture Principle » (2012), 1 Rev. Inst. d’insolvabilité du Canada 139. À cet égard, je conviens avec mon collègue que les tribunaux devraient être très attentifs aux politiques que le Parlement a adoptées par voie législative et s’abstenir de faire évoluer la common law d’une manière qui créerait « des difficultés nouvelles plus grandes » : motifs du juge Rowe, par. 33 et 39, citant Watkins c. Olafson, 1989 CanLII 36 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 750, p. 762. Toutefois, c’est l’adoption d’un test fondé sur les effets plutôt que le test traditionnel fondé sur l’objectif ou la finalité qui porte atteinte à ces principes dans le présent pourvoi.
[120]                     Mon collègue est également d’avis qu’un test fondé sur l’objectif ou la finalité crée une incertitude au moment de conclure le contrat, car les parties ne peuvent pas savoir si un tribunal acceptera leurs motifs commerciaux de bonne foi : motifs du juge Rowe, par. 34. Or, comme le test fondé sur la finalité commerciale véritable est un test objectif, la finalité ressort des circonstances objectives qui prévalaient au moment de la conclusion du contrat et peut donc être déterminée aussi facilement que des effets peuvent l’être lors de l’application du test fondé sur les effets. Les deux normes procurent donc le même degré de clarté. Par ailleurs, la certitude dans les affaires commerciales est habituellement mieux servie en donnant effet aux contrats conclus librement plutôt qu’en les invalidant, surtout lorsque les ententes en question poursuivent des fins commerciales et non un objectif illégal.
[121]                     Je ne suis pas non plus d’accord avec le point de vue de mon collègue selon lequel le fait d’appliquer un test fondé sur la finalité ou l’objectif commercial véritable exigerait une analyse considérablement plus détaillée des intentions des parties que celle associée au test fondé sur les effets : motifs du juge Rowe, par. 34. Une évaluation objective de la finalité est inévitable dans les deux cas. Tout comme c’est le cas en appliquant le test fondé sur l’objectif, l’examen des effets d’une stipulation lors de l’application du test fondé sur les effets exigerait une interprétation de l’entente contractuelle contestée. L’interprétation d’un contrat requiert une évaluation objective de l’intention des parties : Sattva, par. 49. De plus, un test qui oblige un tribunal à évaluer la bonne foi des parties n’a rien de nouveau dans le domaine du droit commercial, particulièrement à la lumière de la reconnaissance par la Cour d’un principe directeur général d’exécution de bonne foi des contrats en common law : Bhasin, par. 33.
[122]                     Enfin, mon collègue fait valoir que la règle anti‑privation devrait entraîner le recours à un test fondé sur les effets afin de mieux protéger les intérêts des créanciers, car les débiteurs ne sont pas motivés à protéger les intérêts de leurs créanciers lorsqu’ils traitent avec des tiers : motifs du juge Rowe, par. 37. Il faut cependant tenir compte de l’ensemble des options qui s’offrent aux créanciers pour protéger leurs droits. Par exemple, la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, c. C‑44, incorpore à l’art. 241 ce que la Cour décrit comme « un recours aussi général en cas d’abus de droit » prévoyant un « mécanisme qui permet aux créanciers d’obtenir la protection de leurs intérêts en cas de conduite préjudiciable des administrateurs » : Magasins à rayons People inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68, [2004] 3 R.C.S. 461, par. 51; voir aussi par. 48‑50. Je suis d’avis que le redressement en cas d’abus de droit, l’obligation de diligence des administrateurs, les diverses dispositions anti‑évitement de la LFI et des lois provinciales ainsi que la capacité des créanciers de négocier des protections contractuelles sont des moyens qui permettent d’atténuer la perception qu’il soit nécessaire d’élargir la portée de la règle anti‑privation.
[123]                     En conclusion, je ne suis pas convaincue que les considérations d’intérêt public soulevées par mon collègue surpassent en importance l’intérêt public opposé dans l’exécution des contrats. Il existe un fondement jurisprudentiel solide pour conclure que la règle anti‑privation a toujours compris une notion d’objectif commercial véritable au Canada de même qu’un fondement juridique valable pour maintenir cette caractéristique distincte de la règle anti‑privation que ne comporte pas la règle du pari passu. Je conclurais donc que la règle anti‑privation ne s’applique pas aux transactions ou aux stipulations ayant une finalité commerciale légitime et objectivement vérifiable.
B.            Le paragraphe (d) de la condition Q vise un objectif commercial véritable
[124]                     Le juge Nielsen a conclu que la clause Q(d) constituait une véritable estimation anticipée des dommages‑intérêts. Il a noté que Chandos aurait à assumer des coûts administratifs et de gestion en raison de la faillite de Capital Steel et qu’elle courrait des risques en lien avec les dettes futures de Capital Steel. Il a ajouté que la stipulation ne constituait pas une tentative par les parties de se soustraire aux lois en matière de faillite. Il a donc conclu que la clause Q(d) visait un objectif commercial véritable. Cette conclusion n’a pas été infirmée en appel, car la Cour d’appel a jugé à l’unanimité que la clause Q(d) visait bel et bien des [traduction] « intérêts commerciaux légitimes » : par. 55 et 394‑397. L’application de la règle anti‑privation dans cet appel pouvait donc être abordée selon la norme de contrôle.
[125]                     Cependant, Deloitte demande instamment une interprétation différente du contrat de sous‑traitance qui, si elle est convaincante, pourrait remettre en question la conclusion de fait du juge Nielsen. Deloitte soutient que la clause Q(d) accorde à Chandos une somme offerte essentiellement à titre gratuit ou qui fait du moins double emploi, puisque la clause Q(b) vise tous les coûts qui incombent à Chandos en raison de la faillite de Capital Steel. En conséquence, Deloitte fait valoir que les frais de 10 pour cent prévus à la clause Q(d) s’ajoutent à l’indemnisation complète de Chandos prévue à la clause Q(b).
[126]                     Un des problèmes auxquels Deloitte fait face est que l’interprétation d’un contrat constitue généralement une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante : Sattva, par. 50; Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306, par. 21‑24. Il existe une exception qui permet d’appliquer la norme de la décision correcte lorsqu’il est question d’un « contrat type, que l’interprétation en litige a valeur de précédent et que l’exercice d’interprétation ne repose sur aucun fondement factuel significatif qui est propre aux parties concernées » : Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, [2016] 2 R.C.S. 23, par. 24. Bien que l’on nous ait dit que le contrat de sous‑traitance est un contrat type, rien ne donne à penser qu’il soit largement utilisé dans l’industrie de la construction ou que l’interprétation de la clause VII Q ait valeur de précédent. Il n’est donc pas évident que l’interprétation du contrat de sous‑traitance relève de l’exception Ledcor. Je ne tire cependant aucune conclusion ferme sur la question, car, même si je tiens pour acquis, sans en décider, que l’interprétation du contrat de sous‑traitance peut être assujettie à la norme de la décision correcte, je ne suis pas convaincue par l’interprétation de la clause VII Q proposée par Deloitte.
(1)           La clause VII Q ne permet pas un double recouvrement
[127]                     La question prédominante en ce qui concerne l’interprétation d’un contrat est de discerner l’intention objective des parties et la portée de leur entente. Le tribunal doit « interpréter le contrat dans son ensemble, en donnant aux mots y figurant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de la conclusion du contrat » : Sattva, par. 47.
[128]                     La clause Q(b) prévoit que Chandos peut recouvrer auprès de Capital Steel [traduction] « tous les coûts [. . .] découlant de la suspension du présent contrat de sous‑traitance ou de l’achèvement des travaux par l’entrepreneur, plus une indemnisation raisonnable pour les frais généraux et le profit ». À première vue, cela semble établir un cadre très général pour le recouvrement. La clause Q(d) ajoute cependant une certaine ambiguïté parce qu’elle prévoit que Capital Steel « renonce à 10 % du prix du présent contrat de sous‑traitance en faveur de l’entrepreneur à titre de frais pour les dérangements liés à l’achèvement des travaux par d’autres moyens et/ou pour la surveillance des travaux durant la période de garantie ». On pourrait présumer que les éléments précis mentionnés à la clause Q(d) relèvent également de la condition générale énoncée à la clause Q(b). La condition Q, alors, permet‑elle à Chandos le double recouvrement des sommes auprès de Capital Steel ? Je réponds par la négative, et ce, pour trois raisons.
[129]                     Premièrement, il est évident d’après le sens ordinaire et grammatical des mots utilisés à la clause Q(b) que les sujets visés sont différents de ceux visés à la clause Q(d). La clause Q(b) est axée sur ce qu’il en coûte à Chandos pour terminer la structure en acier commencée par Capital Steel. En revanche, la clause Q(d) s’applique une fois les travaux achevés, et concerne notamment les frais découlant de l’obligation qu’a Chandos de surveiller les travaux de Capital Steel durant la période de garantie. De plus, la clause Q(b) s’applique aux coûts engagés par Chandos à la suite de la suspension du contrat de sous‑traitance, tandis que la clause Q(d) vise les dérangements subis par elle lorsque les travaux sont achevés par d’autres moyens, ce qui l’oblige à réaffecter des ressources administratives et de gestion considérables en plus de réattribuer les risques qui étaient assumés dans le cadre du contrat de sous‑traitance (p. ex., la condition G, [traduction] « Indemnisation »). Par conséquent, les sujets visés par la clause Q(d) se quantifient difficilement en termes pécuniaires et les parties se sont donc entendues au préalable sur une évaluation des dommages‑intérêts, en laissant la clause Q(b) prévoir les coûts plus directs et quantifiables.
[130]                     Deuxièmement, si le sens ordinaire et grammatical ne règle pas la question, il y a un conflit apparent entre la clause Q(b) et la clause Q(d). « [L]orsqu’il y a apparence de conflit entre une condition générale et une condition explicite, elles peuvent être conciliées si l’on considère que les parties ont voulu que la condition générale ne s’applique pas à l’objet de la condition spécifique » : BG Checo International Ltd. c. British Columbia Hydro and Power Authority, 1993 CanLII 145 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 12, p. 24; Douez c. Facebook, Inc., 2017 CSC 33, [2017] 1 R.C.S. 751, par. 46. Ainsi, les motifs généraux du recouvrement prévu à la clause Q(b) ne doivent pas être interprétés comme s’appliquant aux questions spécifiques que sont les [traduction] « dérangements liés à l’achèvement des travaux par d’autres moyens » et la « surveillance des travaux durant la période de garantie » prévues à la clause Q(d).
[131]                     Troisièmement, un tribunal peut s’écarter du sens ordinaire des mots si une interprétation littérale entraînait un résultat irréaliste ou absurde sur le plan commercial : Exportations Consolidated‑Bathurst Ltée c. Mutual Boiler and Machinery Insurance Co., 1979 CanLII 10 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 888, p. 901. À mon avis, permettre un double recouvrement par l’application de la clause Q(b) serait irréaliste et impraticable sur le plan commercial. Par conséquent, la clause Q(b) doit être interprétée de manière à éviter une telle absurdité.
[132]                     Pour ces motifs, je ne partage pas l’interprétation que Deloitte propose pour la condition Q. Les frais de 10 pour cent prévus à la clause Q(d) ne constituent pas un dédoublement des montants qui peuvent découler de l’application de la clause Q(b). La conclusion du juge Nielsen selon laquelle la clause Q(d) vise un objectif commercial véritable n’est donc pas contestée. Néanmoins, il vaut la peine d’explorer brièvement le fondement commercial objectif de la stipulation afin de démontrer pourquoi il est important que la loi donne effet à une telle clause.
(2)           Le paragraphe (d) de la condition Q favorise un intérêt commercial légitime et objectivement vérifiable
[133]                     À mon avis, le fait que le contrat de sous‑traitance prévoyait des obligations continues incombant à Capital Steel qui n’avaient pas été exécutées au moment de sa faillite est important. La faillite d’une partie ayant une obligation non exécutée ou continue au titre d’un contrat est susceptible d’entraîner par la force des choses une réorganisation commerciale des droits afin de protéger les intérêts légitimes de l’autre partie, car la faillite est susceptible de nuire à la garantie dont bénéficie cette dernière quant à la poursuite des travaux, ou encore de modifier la répartition des risques prévue au contrat : Grottenthaler et Pillon; voir aussi Lomas (2010), par. 108‑110; Lomas (2012), par. 88‑91. Il y a donc amplement de motifs commerciaux légitimes pour réorganiser les droits contractuels dans de telles circonstances.
[134]                     Le contrat de sous‑traitance a ceci d’important qu’il a créé une relation générale entrepreneur‑sous‑traitant entre deux parties qui travaillent dans l’industrie de la construction. Cette industrie fonctionne habituellement selon une structure pyramidale où le propriétaire ou promoteur se trouve en haut de la pyramide, l’entrepreneur général ou les entrepreneurs à l’échelon d’en dessous, les sous‑traitants encore plus bas et ainsi de suite si les sous‑traitants ont eux‑mêmes des sous‑traitants : J. Westeinde, « Construction is ‘Risky Business’ » (1988), 29 C.L.R. 119. Habituellement, les paiements se font du haut vers le bas de la pyramide une fois que les travaux ont été exécutés. Ainsi, l’insolvabilité d’un sous‑traitant durant la construction du projet peut avoir des répercussions importantes dans l’ensemble de la structure, entraîner des retards coûteux et modifier fondamentalement la répartition des risques créés par le réseau de relations contractuelles nécessaires à la réalisation du projet.
[135]                     Capital Steel avait des obligations importantes en vertu du contrat de sous‑traitance qui n’étaient pas encore exécutées au moment de sa faillite. Elle avait accepté de [traduction] « réparer tout défaut dans ses travaux et tout dommage découlant d’un travail mal fait ou d’un équipement défectueux » qu’elle fournissait : clause III. La durée de cette garantie correspondait à la période mentionnée dans le contrat à forfait, soit un an à compter de la date de l’achèvement substantiel : clause GC 12.3.1. Cependant, Capital Steel a fait faillite avant même d’avoir terminé les travaux qu’elle devait exécuter selon le contrat de sous‑traitance, et donc bien avant la date de l’achèvement substantiel de l’ensemble du projet. Le contrat de sous‑traitance était donc toujours exécutoire au moment de la faillite de Capital Steel.
[136]                     En l’espèce, la faillite de Capital Steel exposait Chandos à des risques importants dans le cadre du contrat à forfait. Dans ce dernier, Chandos avait accepté d’être [traduction] « aussi pleinement responsable à l’égard du propriétaire pour les actes et omissions » de Capital Steel, ou d’un sous‑traitant qui remplacerait cette dernière, qu’elle l’était pour les « actes et omissions des personnes qu’elle employait directement » : clause GC 3.7.1.3 (italique dans l’original). Chandos avait également accepté de corriger rapidement, et à ses frais, les défauts apparaissant dans les travaux durant la période de garantie : clause GC 12.3.4. En outre, elle devait corriger ou payer les dommages découlant de ces corrections : clause GC 12.3.5. En raison de sa faillite, Capital Steel n’a pu surveiller ou corriger ses travaux durant la période de garantie. Chandos a donc dû le faire ou assumer la responsabilité à l’égard du propriétaire conformément au contrat à forfait. Par conséquent, l’imposition de frais pour la surveillance des travaux durant la période de garantie est légitime.
[137]                     Le rôle d’un entrepreneur général consiste essentiellement à superviser et à coordonner la construction d’un projet par différents sous‑traitants conformément au calendrier fixé. Il est évident que la faillite d’un sous‑traitant durant la construction du projet oblige l’entrepreneur général à réaffecter beaucoup de ressources administratives et de gestion pour réagir à la situation, par exemple en cherchant un autre sous‑traitant qui est prêt à terminer les travaux déjà partiellement exécutés par une autre entreprise. L’entrepreneur général a également à assumer des coûts administratifs et de gestion pour atténuer les répercussions dans toute la pyramide. Sans aucun doute, cela entraîne des retards coûteux. Par conséquent, il est aussi légitime de prévoir des frais pour les dérangements liés à l’achèvement des travaux par d’autres moyens.
[138]                     Quant au montant de ces frais, qui représente 10 pour cent du prix du contrat de sous‑traitance, le juge Nielsen a tiré la conclusion de fait qu’il s’agissait d’une véritable estimation anticipée des dommages‑intérêts et je me contenterai de souscrire à sa conclusion : d.a., p. 9‑10. À mon avis, il ne s’agit pas d’un montant extravagant compte tenu de l’importance de la charpente d’acier requise pour le projet, de la valeur totale du contrat à forfait qui s’élève à 56 852 453,45 $ et du fait que les risques réattribués à Chandos en raison de la faillite de Capital Steel étaient susceptibles d’être difficiles à définir en termes pécuniaires. Je ne vois dans la clause Q(d) aucune intention de la part de Chandos ou de Capital Steel d’éviter l’application des lois en matière de faillite ou de nuire aux créanciers de Capital Steel. La clause Q(d) poursuit donc un objectif commercial véritable.
V.           Conclusion
[139]                     Comme la clause Q(d) poursuit un objectif commercial véritable, je disposerais du pourvoi en concluant que de telles stipulations n’enfreignent pas la règle anti‑privation. Je conclus donc que la clause Q(d) est exécutoire contre le syndic de faillite de Capital Steel. En conséquence, j’accueillerais le pourvoi et je rétablirais l’ordonnance originale rendue en première instance.
 
                    Pourvoi rejeté avec dépens devant toutes les cours, la juge Côté est dissidente.
                    Procureurs de l’appelante : Duncan Craig, Edmonton.
                    Procureurs de l’intimée : Reynolds Mirth Richards & Farmer, Edmonton.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Ottawa.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation : Stikeman Elliott, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenant l’Institut d’insolvabilité du Canada : McCarthy Tétrault, Toronto.

[1]  La question de savoir si la clause VII Q(d) aurait été exécutoire si Capital Steel avait cessé ses activités dans d’autres circonstances n’est pas celle dont nous sommes saisis et n’est pas pertinente en l’espèce (Aircell, par. 12).


Synthèse
Référence neutre : 2020CSC25 ?
Date de la décision : 02/10/2020

Parties
Demandeurs : Chandos Construction Ltd.
Défendeurs : Restructuration Deloitte Inc.
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 2 octobre 2020, Chandos Construction Ltd. c. Restructuration Deloitte Inc., 2020 CSC 25


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2020-10-02;2020csc25 ?

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