La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/10/2004 | CANADA | N°2004_CSC_68

Canada | Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68 (29 octobre 2004)


Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, [2004] 3 R.C.S. 461, 2004 CSC 68

DANS L’AFFAIRE DE la faillite de Peoples Department Stores

Inc./Magasins à rayons Peoples inc.

Caron Bélanger Ernst & Young Inc., en sa qualité de syndic de

la faillite de Peoples Department Stores Inc./Magasins à rayons

Peoples inc. Appelante

c.

Lionel Wise, Ralph Wise et Harold Wise Intimés

et

Chubb du Canada, Compagnie d’assurance Intimée

Répertorié : Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise

Référence

neutre : 2004 CSC 68.

No du greffe : 29682.

2004 : 11 mai; 2004 : 29 octobre.

Présents : Les juges Iacobucci*, Major, Bastarac...

Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, [2004] 3 R.C.S. 461, 2004 CSC 68

DANS L’AFFAIRE DE la faillite de Peoples Department Stores

Inc./Magasins à rayons Peoples inc.

Caron Bélanger Ernst & Young Inc., en sa qualité de syndic de

la faillite de Peoples Department Stores Inc./Magasins à rayons

Peoples inc. Appelante

c.

Lionel Wise, Ralph Wise et Harold Wise Intimés

et

Chubb du Canada, Compagnie d’assurance Intimée

Répertorié : Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise

Référence neutre : 2004 CSC 68.

No du greffe : 29682.

2004 : 11 mai; 2004 : 29 octobre.

Présents : Les juges Iacobucci*, Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps et Fish.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [2003] R.J.Q. 796, 224 D.L.R. (4th) 509, 41 C.B.R. (4th) 225, [2003] J.Q. no 505 (QL), qui a infirmé une décision de la Cour supérieure (1998), 23 C.B.R. (4th) 200, [1998] J.Q. no 3571 (QL). Pourvoi rejeté.

Gerald F. Kandestin, Gordon Kugler et Gordon Levine, pour l’appelante.

Éric Lalanne et Martin Tétreault, pour les intimés Lionel Wise, Ralph Wise et Harold Wise.

Ian Rose et Odette Jobin‑Laberge, pour l’intimée Chubb du Canada, Compagnie d’assurance.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Les juges Major et Deschamps —

I. Introduction

1 La principale question soulevée par le présent pourvoi est de savoir si les administrateurs d’une société ont, envers les créanciers de la société, une obligation fiduciaire comparable à l’obligation que leur impose la loi à l’égard de la société. Pour les motifs qui suivent, nous concluons que les administrateurs ont envers les créanciers une obligation de diligence, mais cette obligation ne s’élève pas au niveau d’une obligation fiduciaire. Nous souscrivons au dispositif de la Cour d’appel du Québec. Le pourvoi est donc rejeté.

2 En raison de la faillite, au milieu des années 1990, de deux importantes chaînes de magasins de détail de l’Est du Canada, Wise Stores Inc. (« Wise ») et sa filiale à part entière, les Magasins à rayons Peoples Inc. (« Peoples »), de nombreuses créances de Peoples sont demeurées insatisfaites. Caron Bélanger Ernst & Young Inc., le syndic à la faillite de Peoples (« syndic »), a intenté une action contre les administrateurs de Peoples. Pour statuer sur les réclamations du syndic, il convient de déterminer l’étendue des obligations envers les créanciers qu’impose aux administrateurs le par. 122(1) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, ch. C‑44 (« LCSA »). Nous devons également préciser l’objet et la portée de l’art. 100 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B‑3 (« LFI »).

3 À notre avis, il n’a pas été démontré que les administrateurs de Peoples ont manqué à l’obligation fiduciaire ou à l’obligation de diligence qu’impose le par. 122(1) de la LCSA. Pour ce qui est de l’argument du syndic concernant l’art. 100 de la LFI, nous concluons comme la Cour d’appel que la contrepartie reçue dans le cadre des transactions contestées n’était pas « manifestement » inférieure à la juste valeur du marché. La réclamation fondée sur la LFI est rejetée pour ce motif.

II. Contexte

4 Wise a été fondée en 1930 par Alex Wise et était à l’origine un petit magasin de vêtements sur la rue St‑Hubert, à Montréal. En 1992, l’entreprise avait élargi ses activités par sa croissance interne et des acquisitions. Elle exploitait 50 magasins dont les ventes annuelles s’élevaient à environ 100 millions de dollars et elle avait été inscrite à la Bourse de Montréal en 1986. Ses magasins se trouvaient pour la plupart dans des régions urbaines du Québec. Les trois fils du fondateur, Lionel, Ralph et Harold Wise (« frères Wise »), étaient actionnaires majoritaires, dirigeants et administrateurs de Wise. Ensemble, ils contrôlaient 75 pour 100 des actions ordinaires de l’entreprise.

5 En 1992, Peoples poursuivait déjà ses activités commerciales, sous une forme ou une autre, depuis 78 ans sans interruption. Elle était une division non constituée en société de Marks & Spencer Canada Inc. (« M & S ») jusqu’en 1991, année de sa constitution en société distincte. M & S était elle‑même une filiale à part entière de la grande société britannique Marks & Spencer plc. (« M & S plc. »). Les 81 magasins de Peoples se trouvaient plutôt dans des régions rurales, de l’Ontario à Terre‑Neuve. Les ventes annuelles de Peoples s’élevaient à environ 160 millions de dollars, mais avec des pertes annuelles d’environ 10 millions de dollars, l’entreprise se trouvait en difficulté financière.

6 Wise et Peoples étaient en concurrence avec d’autres chaînes comme Canadian Tire, Greenberg, Hart, K‑Mart, M‑Stores, Metropolitan Stores, Rossy, Woolco et Zellers. Au début des années 1990, la concurrence dans le secteur de la vente au détail dans l’Est du Canada était féroce. En 1992, M‑Stores a fait faillite. En 1994, Greenberg et Metropolitan Stores ont fait faillite à leur tour. En 1994, l’arrivée sur le marché canadien de Wal‑Mart, qui a acquis de Woolworth Canada Inc. plus de 100 magasins du détaillant Woolco au Canada, a soumis les commerces de vente au détail à une concurrence encore plus forte.

7 Dès 1988, Lionel Wise, l’aîné des trois frères et le vice‑président exécutif de Wise, s’était montré intéressé à acheter de M & S la chaîne Peoples dont les activités étaient en déclin. Au départ, M & S ne partageait pas l’intérêt de Wise pour la vente, mais à la fin de 1991, M & S plc., la société mère britannique de M & S, avait décidé de mettre fin à toutes ses activités commerciales au Canada. M & S a alors constitué ses trois divisions canadiennes en sociétés distinctes pour en faciliter la vente.

8 Cette nouvelle volonté de vendre coïncide avec le désir manifesté auparavant par Wise d’acquérir sa grande rivale. Même si elle avait d’abord espéré vendre Peoples au comptant à une large entreprise jouissant d’une solide situation financière, M & S en est incapable. Par conséquent, elle amorce des négociations avec des représentants de Wise. Une convention formelle d’achat d’actions est rédigée au début de 1992 et signée en juin 1992, la date limite d’exécution étant fixée au 16 juillet 1992.

9 Afin d’acheter de M & S toutes les actions émises et en circulation de Peoples, Wise constitue la société 2798832 Canada Inc. L’acquisition des actions, pour une somme de 27 millions de dollars, est faite entièrement par emprunt. Une réduction de 30 pour 100 est accordée à l’égard de la partie du prix d’achat attribuable au coût des stocks. La réduction a pour but de permettre l’injection de capitaux dans Peoples au cours de l’exercice financier suivant la vente et d’utiliser certaines des pertes fiscales accumulées au cours des années précédentes.

10 Le versement initial dû à M & S à la signature, soit 5 millions de dollars, est emprunté à la Banque Toronto Dominion (« Banque TD »). Suivant les modalités de la convention d’achat d’actions, le reliquat de 22 millions de dollars du prix d’achat est dû à M & S et son remboursement échelonné sur une période de huit ans. Aux termes de la convention d’achat d’actions, Wise garantit solidairement toutes les obligations de 2798832 Canada Inc.

11 Afin de protéger ses intérêts, M & S prend les actifs de Peoples en garantie (sous réserve d’une priorité de rang en faveur de la Banque TD) et négocie des conditions strictes concernant la gestion financière et l’exploitation de la société. Notamment, 2798832 Canada Inc. et Wise ont l’obligation de maintenir des ratios financiers précis et Peoples n’est pas autorisée à fournir d’aide financière à Wise. De plus, la convention prévoit que Peoples ne peut fusionner avec Wise avant le paiement intégral du prix d’achat. Cette interdiction a vraisemblablement pour but d’inciter Wise à se refinancer et à payer le plus tôt possible le reliquat du prix d’achat afin d’écarter les conditions strictes qui lui sont imposées dans la convention d’achat d’actions.

12 Le 31 janvier 1993, 2798832 Canada Inc. est fusionnée avec Peoples. La nouvelle entité conserve la dénomination sociale de Peoples. Comme 2798832 Canada Inc. était une filiale à part entière de Wise au moment de la fusion, la nouvelle entité Peoples devient une filiale de Wise qui en a aussi le contrôle. Les trois frères Wise sont les seuls administrateurs de Peoples.

13 Après l’acquisition, Wise avait tenté de rationaliser ses opérations en regroupant les diverses opérations de Wise et de Peoples qui se chevauchaient et en exploitant les deux entreprises comme un seul groupe. Le regroupement des services de la gestion, de la comptabilité, de la publicité et des achats des deux sociétés a été achevé à l’automne 1993. En raison de ces changements, de nombreux employés de Wise travaillaient pour les deux entreprises mais étaient payés par Wise uniquement. La preuve en première instance a démontré qu’en raison des pertes fiscales reportées de Peoples, il était avantageux pour le groupe que Wise engage davantage de dépenses, ce qui permettrait, si le groupe était rentable dans l’ensemble, d’augmenter ses bénéfices après impôt. Presque dès le début, l’exploitation en commun de Wise et de Peoples s’est avérée difficile. Au lieu de la synergie attendue, la consolidation a engendré la confusion.

14 Après l’acquisition, le nombre total d’acheteurs des deux sociétés est diminué d’environ la moitié. La politique d’approvisionnement oblige alors les acheteurs à traiter simultanément avec les fournisseurs pour le compte de Peoples et de Wise, ce qui double presque leurs tâches administratives. Des factures distinctes sont nécessaires pour les achats faits au nom de Wise et ceux faits au nom de Peoples. Ces factures doivent être inscrites séparément et faire l’objet d’un suivi et d’un paiement distincts.

15 Les stocks font aussi l’objet d’une inscription et d’un suivi distincts dans le système. Toutefois, les stocks de chacune des sociétés sont manipulés et entreposés, souvent sans être séparés, dans des entrepôts communs. L’entrepôt principal de Peoples, situé rue Cousens à Ville St‑Laurent, a été conservé et utilisé par les deux entreprises. Il y a beaucoup d’activité à l’entrepôt Cousens parce qu’il s’agit du principal centre de distribution par les deux chaînes. L’entrepôt est ouvert 18 heures par jour et 150 personnes, y travaillant sur deux quarts, s’occupent de la manutention d’environ 30 000 boîtes quotidiennement sur 20 quais de chargement. L’activité y est intense.

16 Rapidement, la tenue d’une comptabilité parallèle, conjuguée à l’entreposage en commun des marchandises, crée de graves problèmes tant pour Wise que pour Peoples. L’emplacement des marchandises dans l’entrepôt ne reflète pas toujours l’état des stocks indiqué dans le système. Les marchandises d’une société sont souvent mêlées aux marchandises de l’autre et confondues avec celle‑ci. En conséquence, les fiches de stocks des deux sociétés sont de plus en plus inexactes. Un inventaire manuel des marchandises est effectué pour essayer de corriger la situation, sans grand succès. Les livraisons aux magasins de Wise et de Peoples sont souvent perturbées et en retard. La situation, déjà intolérable, empire.

17 En octobre 1993, Lionel Wise consulte David Clément, vice‑président à l’administration et aux finances de Wise (et, après l’acquisition, de Peoples) pour tenter de trouver une solution. Au mois de janvier 1994, Clément recommande aux trois frères Wise, qui acceptent, de mettre en œuvre une politique d’approvisionnement commun (« nouvelle politique ») en vertu de laquelle les deux entreprises se partageront la responsabilité des achats. Peoples s’occupera de tous les achats auprès de fournisseurs en Amérique du Nord et Wise, pour sa part, se chargera de tous les achats faits outre‑mer. Peoples transférera ensuite à Wise les marchandises achetées pour Wise et lui en réclamera le prix, et vice versa. La nouvelle politique entre en vigueur le 1er février 1994. C’est cet arrangement qui fera plus tard l’objet de critiques de la part de certains créanciers et du juge de première instance.

18 Environ 82 pour 100 de la totalité des marchandises de Wise et de Peoples sont achetées auprès de fournisseurs nord‑américains, de sorte qu’inévitablement, Peoples doit consentir à Wise un important crédit commercial. La nouvelle politique est connue des administrateurs, mais elle n’est pas formellement consignée par écrit ni approuvée lors d’une réunion du conseil d’administration ou par une résolution de celui‑ci.

19 Le 27 avril 1994, Lionel Wise expose en détail la nouvelle politique lors d’une réunion du comité de vérification de Wise. Un associé principal de Coopers & Lybrand représente M & S au conseil d’administration de Wise et est aussi membre du comité de vérification. Il est présent à la réunion du 27 avril et ne s’oppose pas à la nouvelle politique lorsqu’elle est présentée.

20 En juin 1994, les états financiers préparés pour indiquer la situation financière de Peoples le 30 avril 1994 révèlent que Wise doit plus de 18 millions de dollars à Peoples. De cette somme, un montant d’environ 14 millions de dollars résulte d’un transfert fictif des stocks qui ont été retournés après la fin de la période. Inquiète de la situation, M & S amorce une enquête à l’issue de laquelle elle exige l’abandon de la nouvelle politique d’approvisionnement. Wise accepte de se plier à l’exigence de M & S, mais elle indique que l’ancienne politique d’approvisionnement ne peut pas être rétablie immédiatement. Une entente prévoyant que la nouvelle politique sera abandonnée le 31 janvier 1995 est signée le 27 septembre 1994, avec effet rétroactif au 21 juillet 1994. L’entente prévoit aussi que les stocks et les registres des deux sociétés seront séparés et que la somme due à Peoples par Wise ne dépassera pas 3 millions de dollars.

21 À l’issue des négociations, M & S accepte aussi que la somme à laquelle la Banque TD a droit en priorité soit portée à 15 millions de dollars et qu’un nouvel échéancier de remboursement du reliquat du prix d’achat dû à M & S soit établi. Les parties acceptent de revoir l’échéancier de façon à prévoir 37 versements mensuels à partir de juillet 1995. Chacun des frères Wise fournit aussi à M & S une garantie personnelle de 500 000 $.

22 En septembre 1994, constatant la situation financière précaire des sociétés et la compétitivité dans le secteur de la vente au détail, la Banque TD annonce son intention de cesser de faire affaire avec Wise et Peoples à la fin de décembre 1994. Toutefois, à la suite de négociations, elle prolonge son soutien financier jusqu’à la fin de juillet 1995. Les frères Wise s’engagent à fournir des garanties personnelles en faveur de la Banque TD, mais ils ne donnent pas suite à cet engagement.

23 En décembre 1994, trois jours après la présentation par les frères Wise d’états financiers indiquant des résultats décevants pour le troisième trimestre de Peoples, M & S engage des procédures de faillite contre Wise et Peoples. Un avis d’intention de faire une proposition est déposé au nom de Peoples le même jour. Peoples accepte néanmoins plus tard la requête présentée par M & S, et Wise et Peoples sont déclarées en faillite le 13 janvier 1995, avec effet rétroactif au 9 décembre 1994. Le même jour, M & S accorde à chacun des frères Wise mainlevée de leurs garanties personnelles. Au lieu de tenter de réaliser les garanties personnelles, il semble que M & S préférait que la requête en faillite ne soit pas contestée.

24 Les biens de Wise et de Peoples sont suffisants pour rembourser entièrement la Banque TD, pour payer le reliquat du prix de vente dû à M & S et pour payer la presque totalité des créances des locateurs. La grande majorité des créances impayées sont celles de fournisseurs.

25 Après la faillite, le syndic de Peoples présente contre les frères Wise une requête dans laquelle il prétend que ces derniers ont privilégié les intérêts de Wise plutôt que ceux de Peoples au détriment des créanciers de Peoples, en contravention des obligations que le par. 122(1) de la LCSA leur imposait en tant qu’administrateurs. Le syndic soutient aussi que, au cours de l’année ayant précédé la faillite, les frères Wise étaient des parties intéressées aux transactions en vertu desquelles des biens avaient été transférés pour une contrepartie manifestement inférieure à la juste valeur du marché au sens de l’art. 100 de la LFI.

26 Se fondant sur l’art. 2501 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« C.c.Q. »), le syndic désigne la Compagnie d’assurance Chubb du Canada (« Chubb »), qui avait assuré les administrateurs de Wise et de ses filiales, à titre de codéfenderesse des frères Wise.

27 Invoquant des décisions rendues au Royaume‑Uni, en Australie et en Nouvelle‑Zélande, le juge Greenberg statue en première instance que l’obligation fiduciaire et l’obligation de diligence énoncées au par. 122(1) de la LCSA s’imposaient aussi à l’égard des créanciers d’une société lorsque celle‑ci est insolvable ou au bord de l’insolvabilité. Il conclut que c’est au moment où l’entreprise était au bord de l’insolvabilité que les frères Wise, en leur qualité d’administrateurs de Peoples, ont appliqué une politique corporative qui touchait les deux sociétés et qui était préjudiciable aux intérêts des créanciers de Peoples. Les frères Wise sont donc jugés responsables et des dommages‑intérêts de 4,44 millions de dollars sont accordés au syndic. Comme elle avait assuré les administrateurs, Chubb est elle aussi jugée responsable. Le juge Greenberg examine également les moyens subsidiaires fondés sur la LFI qu’avait avancés le syndic et il conclut que les frères Wise doivent être tenus responsables du paiement de la somme de 4,44 millions de dollars sur le fondement de ces mêmes moyens. Toutes les parties interjettent appel.

28 La Cour d’appel du Québec, par la décision du juge Pelletier avec l’accord du juge en chef Robert et du juge Nuss, accueille les appels de Chubb et des frères Wise : [2003] R.J.Q. 796. La cour exprime sa réticence à assimiler, comme l’a fait le juge Greenberg, les intérêts des créanciers aux intérêts supérieurs de la société lorsque celle‑ci est insolvable ou est au bord de l’insolvabilité, précisant que l’opportunité d’une telle innovation en droit est une question de politique générale qui doit être laissée à l’appréciation du législateur plutôt qu’à celle des tribunaux. Examinant la réclamation faite par le syndic en vertu de l’art. 100 de la LFI, le juge Pelletier statue que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que les sommes dues par Wise à Peoples à l’égard des marchandises [traduction] « n’ont pas été recouvrées et n’étaient pas recouvrables » (par. 126). Il juge que la contrepartie des transactions effectuées représentait environ 94 pour 100 de la juste valeur du marché et il n’est pas convaincu que l’on puisse affirmer que cet écart était « manifestement » inférieur à la juste valeur du marché. De plus, il n’accepte pas le sens large donné par le juge de première instance aux termes « ayant intérêt ». Le juge Pelletier refuse d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 100(2) de la LFI et d’accorder un jugement favorable au syndic. Concluant que la responsabilité des frères Wise n’est pas engagée, il accueille l’appel en ce qui a trait à Chubb.

III. Analyse

29 Il convient tout d’abord de reconnaître que, suivant l’art. 300 C.c.Q. et l’art. 8.1 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, le droit civil constitue une source de droit complétant les lois fédérales comme la LCSA. Comme la LCSA n’autorise pas les créanciers à poursuivre directement les administrateurs pour manquement à leurs obligations, il faut se reporter au C.c.Q. pour déterminer la façon de mettre en œuvre au Québec les droits trouvant leur fondement dans une loi fédérale et, plus spécifiquement, la façon d’harmoniser le par. 122(1) de la LCSA et les principes de la responsabilité civile : voir R. Crête et S. Rousseau, Droit des sociétés par actions : principes fondamentaux (2002), p. 58.

30 En l’espèce, notre Cour est appelée à trancher la question de savoir si les administrateurs ont des obligations envers les créanciers. Les créanciers n’ont pas exercé leurs droits par voie d’une action oblique ni par voie d’une demande de redressement pour abus de droit fondée sur la LCSA. Le syndic, représentant les intérêts des créanciers, a plutôt poursuivi les administrateurs en alléguant un manquement aux obligations que leur impose le par. 122(1) de la LCSA. La qualité du syndic d’engager les poursuites n’a pas été remise en question.

31 La principale fonction des administrateurs est indiquée au par. 102(1) de la LCSA :

102. (1) Sous réserve de toute convention unanime des actionnaires, les administrateurs gèrent les affaires commerciales et les affaires internes de la société ou en surveillent la gestion.

Pour ce qui est des dirigeants, l’art. 121 de la LCSA prévoit que leurs pouvoirs leurs sont délégués par les administrateurs :

121. Sous réserve des statuts, des règlements administratifs ou de toute convention unanime des actionnaires, il est possible, au sein de la société :

a) pour les administrateurs, de créer des postes de dirigeants, d’y nommer des personnes pleinement capables, de préciser leurs fonctions et de leur déléguer le pouvoir de gérer les activités commerciales et les affaires internes de la société, sauf les exceptions prévues au paragraphe 115(3);

b) de nommer un administrateur à n’importe quel poste;

c) pour la même personne, d’occuper plusieurs postes.

Bien que l’on dise souvent que les actionnaires sont propriétaires de l’entreprise, l’art. 102 de la LCSA prévoit que, sous réserve d’une convention unanime des actionnaires, ce ne sont pas les actionnaires mais les administrateurs élus par les actionnaires qui sont chargés de sa gestion. Cette nette démarcation entre les rôles respectifs des actionnaires et des administrateurs est bien antérieure à l’adoption de la LCSA en 1975 : voir Automatic Self‑Cleansing Filter Syndicate Co. c. Cuninghame, [1906] 2 Ch. 34 (C.A.); voir aussi l’art. 311 C.c.Q.

32 Le paragraphe 122(1) de la LCSA impose deux obligations distinctes aux administrateurs et aux dirigeants dans la gestion ou la surveillance de la gestion de l’entreprise :

122. (1) Les administrateurs et les dirigeants doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, agir :

a) avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société;

b) avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente.

La première obligation a été, en l’espèce, appelée « obligation fiduciaire », une notion que décrit mieux l’expression « devoir de loyauté ». Pour éviter toute confusion, nous utiliserons parfois l’expression « obligation fiduciaire prévue par la loi » pour désigner l’obligation prévue à la LCSA. Cette obligation impose aux administrateurs et aux dirigeants le devoir d’agir avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société. La deuxième obligation est communément appelée « obligation de diligence ». De manière générale, elle impose aux administrateurs et aux dirigeants l’obligation légale de faire preuve de diligence dans la gestion et la surveillance de la gestion des affaires de la société.

33 Le juge de première instance n’a ni appliqué ni examiné séparément les deux obligations imposées aux administrateurs par le par. 122(1). Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel, le juge de première instance semble avoir confondu ces deux obligations. Il s’agit en réalité de deux obligations distinctes visant des fins différentes. C’est pourquoi nous les examinerons séparément dans les présents motifs.

A. L’obligation fiduciaire prévue par la loi : l’al. 122(1)a) de la LCSA

34 Les administrateurs et les dirigeants des sociétés sont investis d’un pouvoir considérable en matière de déploiement et de gestion des ressources financières, humaines et matérielles. Dans le cas des administrateurs de sociétés constituées en vertu de la LCSA, ce pouvoir trouve sa source à l’art. 102 de la Loi. Dans le cas des dirigeants, il s’agit des pouvoirs qui leur sont délégués par les administrateurs. Lorsqu’ils décident d’investir dans une société, de lui consentir un prêt ou de faire autrement affaire avec celle‑ci, les actionnaires et les créanciers cèdent le contrôle de leurs actifs à la société et, par conséquent, à ses administrateurs et à ses dirigeants et s’attendent à ce qu’ils utilisent les ressources de la société pour prendre des décisions d’affaires raisonnables qui profiteront à la société.

35 En vertu de l’obligation fiduciaire prévue par la loi, les administrateurs et les dirigeants doivent agir avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société. Ils doivent respecter la confiance qui leur a été accordée et gérer les actifs qui leur sont confiés de manière à réaliser les objectifs de la société. Ils doivent éviter les conflits d’intérêts avec la société. Ils ne doivent pas profiter du poste qu’ils occupent pour tirer un avantage personnel. Ils doivent préserver la confidentialité des renseignements auxquels leurs fonctions leur donnent accès. Les administrateurs et les dirigeants doivent servir la société de manière désintéressée et avec loyauté et intégrité : voir K. P. McGuinness, The Law and Practice of Canadian Business Corporations (1999), p. 715.

36 La notion d’obligation fiduciaire de la common law a été examinée dans l’arrêt K.L.B. c. Colombie‑Britannique, [2003] 2 R.C.S. 403, 2003 CSC 51. Dans cet arrêt concernant la relation entre l’État et des enfants en foyer d’accueil, notre Cour à la majorité a souscrit aux motifs de la juge en chef McLachlin qui a affirmé ce qui suit aux par. 40-41 et 49 :

Les obligations fiduciaires prennent naissance dans divers contextes, notamment dans le contexte des fiducies expresses, dans celui des relations caractérisées par un pouvoir discrétionnaire et par un lien de confiance, ainsi que dans celui des responsabilités particulières qui incombent à l’État concernant les droits des Autochtones. . .

Quel serait [. . .] le contenu de l’obligation fiduciaire si on devait [. . .] l’interpréter comme une obligation de droit privé découlant simplement de la relation entre le surintendant et les enfants en foyer d’accueil, caractérisée par un pouvoir discrétionnaire et par un lien de confiance? Dans l’arrêt Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, le juge La Forest a souligné aux p. 646‑647 que certains éléments communs se dégageaient des obligations fiduciaires issues des relations caractérisées par un pouvoir discrétionnaire et par un lien de confiance, notamment la loyauté et « l’obligation d’éviter les conflits de devoirs ou d’intérêts et celle de ne pas faire de profits aux dépens du bénéficiaire ». Il a cependant fait remarquer que « [l]a nature particulière de cette obligation peut varier selon les rapports concernés » (p. 646). . .

. . .

Le souci de promouvoir l’intérêt supérieur de l’enfant se trouve à la base de la relation fiduciaire des parents, comme l’a souligné le juge La Forest dans M. (K.) c. M. (H.), précité, p. 65. Mais l’obligation qui leur incombe est celle d’agir en toute loyauté et de ne pas faire passer leurs propres intérêts ou ceux d’autres personnes avant ceux de l’enfant, en abusant de sa confiance. [. . .] Le parent qui, recherchant son propre profit, abuse de son influence sur l’enfant relativement à des questions financières fait passer ses intérêts avant ceux de l’enfant, en abusant de sa confiance. Cela vaut également pour le parent qui exploite un enfant afin d’assouvir ses désirs sexuels ou pour celui qui, voulant préserver sa tranquillité et celle de la famille, ferme les yeux sur les abus commis par son conjoint. Comme la Cour d’appel l’a dit en l’espèce, il n’est pas nécessaire que le parent soit motivé consciemment par le désir de réaliser un bénéfice ou de tirer un avantage personnel; il n’est pas non plus nécessaire qu’il préfère ses intérêts, plutôt que ceux d’un tiers, à ceux de l’enfant. Il s’agit plutôt d’un manque de loyauté — de faire passer les intérêts d’autres personnes avant ceux de l’enfant, en abusant de sa confiance. La négligence, même grave, ne saurait engager la responsabilité fiduciaire des parents si elle n’implique pas d’abus de confiance en ce sens. [Nous soulignons.]

37 L’élément qu’il convient d’examiner en l’espèce est la « nature particulière » de l’obligation fiduciaire découlant des rapports entre les administrateurs et les sociétés en vertu de la LCSA.

38 Il est bien établi en droit que l’obligation fiduciaire à laquelle sont tenus les administrateurs et les dirigeants leur impose des obligations strictes : voir Canadian Aero Service Ltd. c. O’Malley, [1974] R.C.S. 592, p. 609‑610, le juge Laskin (plus tard Juge en chef), où il a été décidé que les administrateurs et les dirigeants peuvent même être tenus de rendre compte à la société des profits qu’ils ont réalisés sans que ce soit aux dépens de la société :

Le fait qu’une personne retire un profit aux dépens d’une compagnie alors qu’elle en est un administrateur, constitue de toute évidence un motif valable sur lequel fonder une obligation de rendre compte. Et pourtant, il peut exister des situations où un profit doit être restitué, bien qu’il n’ait pas été acquis aux dépens de la compagnie, pour le motif qu’un administrateur ne doit pas avoir le droit de se servir de sa position comme telle aux fins de faire un profit, même si la compagnie n’avait pas la faculté, à cause, par exemple, d’une incapacité légale, de participer à l’opération. Une situation analogue, qui toutefois ne mettait pas en cause un administrateur, se retrouve à toutes fins utiles dans l’arrêt Phipps v. Boardman [[1967] 2 A.C. 46], où on a aussi souscrit à l’avis que l’obligation de rendre compte n’est pas subordonnée à la preuve d’un conflit réel d’intérêts et d’obligations. L’arrêt Industrial Development Consultants Ltd. v. Cooley [[1972] 2 All E.R. 162], un jugement émanant d’une cour de première instance, est un autre exemple assez récent d’une obligation de rendre compte lorsque la compagnie elle‑même n’a pas réussi à obtenir un contrat d’affaires et ne pouvait donc pas être considérée comme ayant été privée d’une occasion d’affaires. Dans cette dernière affaire, l’administrateur délégué à l’exécutif, à qui on avait permis de démissionner parce qu’il s’était faussement déclaré malade, a par la suite obtenu le contrat en son nom personnel. Cette affaire‑là met aussi en évidence la situation où un administrateur donne sa démission après avoir décidé de s’approprier le contrat d’affaires refusé à sa compagnie et où il fait effectivement accepter sa démission sans révéler son intention. [Nous soulignons.]

Dans « The Propriety of Profitmaking : Fiduciary Duty and Unjust Enrichment » (2000), 58 R.D.U.T. 185, p. 204‑205, J. Brock présente des raisons convaincantes d’exiger que les administrateurs rendent compte des profits qu’ils réalisent grâce au poste qu’ils occupent, même si ces profits n’ont pas été réalisés aux dépens de la société.

39 Cependant, il n’est pas obligatoire que les administrateurs et les dirigeants évitent dans tous les cas les gains personnels résultant directement ou indirectement de la surveillance ou de la gestion intègre et de bonne foi de la société. Dans bien des cas, les intérêts des administrateurs et des dirigeants coïncident par hasard mais légitimement avec ceux de la société. Si les administrateurs et les dirigeants sont aussi actionnaires, comme c’est souvent le cas, leur situation s’améliorera automatiquement en même temps que la situation financière de la société. Il en sera de même de la rémunération que les sociétés versent à leurs administrateurs et dirigeants. S’il est raisonnable, cet avantage, même s’il est versé par la société, n’entraîne habituellement pas la violation de leur obligation fiduciaire. Par conséquent, toutes les circonstances peuvent faire l’objet d’un examen minutieux pour déterminer si les administrateurs et les dirigeants ont agi avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société.

40 À notre avis, le juge de première instance ayant conclu qu’il n’y a eu ni fraude ni malhonnêteté de la part des frères Wise lorsqu’ils ont tenté de régler les problèmes d’approvisionnement de plus en plus graves de Peoples et de Wise, il est impossible de conclure qu’ils ont manqué à leur obligation fiduciaire. Le juge Greenberg a dit ce qui suit :

[traduction] Nous nous empressons d’ajouter qu’en l’espèce, les frères Wise n’ont tiré aucun avantage personnel direct de la nouvelle politique d’approvisionnement commun même si, en tant qu’actionnaires majoritaires de Wise Stores, ils en ont tiré un avantage indirect. De plus, comme l’ont reconnu les autres parties à l’instance, il n’y a eu ni malhonnêteté ni fraude de leur part lorsqu’ils ont décidé d’appliquer la nouvelle politique d’approvisionnement.

((1998), 23 C.B.R. (4th) 200, par. 183)

La Cour d’appel s’est fortement appuyée sur cette conclusion du juge de première instance, tout comme nous d’ailleurs. Au paragraphe 84, le juge Pelletier a dit ce qui suit :

À l’égard du devoir de loyauté, je rappelle que les frères n’étaient animés que du désir de solutionner le problème de gestion des inventaires, qui affectait tout autant les opérations de Peoples Inc. que celles de Wise. Voilà donc une motivation qui s’inscrit dans la poursuite des intérêts de la société au sens de l’article 122(1)a) L.C.S.A. et qui ne prête le flanc à aucun reproche justifié.

41 Comme nous l’avons expliqué précédemment, il est indubitable que Peoples et Wise étaient aux prises avec un grave problème de gestion des stocks. Les frères Wise ont examiné le problème et ont mis en application une politique qui, espéraient‑ils, permettrait de le régler. En l’absence d’éléments de preuve de l’existence d’un intérêt personnel ou d’une fin illégitime de la nouvelle politique, et compte tenu de la preuve d’une volonté de faire de Wise et de Peoples de « meilleures » entreprises, nous concluons que les administrateurs n’ont pas manqué à leur obligation fiduciaire énoncée à l’al. 122(1)a) de la LCSA. Voir la décision 820099 Ontario Inc. c. Harold E. Ballard Ltd. (1991), 3 B.L.R. (2d) 123 (C. Ont. (Div. gén.)) (conf. par (1991), 3 B.L.R. (2d) 113 (C. div. Ont.)), dans laquelle le juge Farley a fait remarquer à juste titre, à la p. 171, qu’en réglant un différend entre actionnaires majoritaires et actionnaires minoritaires, il est prudent pour les administrateurs et les dirigeants d’agir de manière à faire de la société une [traduction] « meilleure entreprise ».

42 Le présent pourvoi ne porte pas sur l’obligation non prévue par la loi qui incombe aux administrateurs à l’égard des actionnaires. Il concerne uniquement les obligations légales que leur impose la LCSA. Pour ce qui est de l’obligation fiduciaire prévue par la loi, il est évident qu’il ne faut pas interpréter l’expression « au mieux des intérêts de la société » comme si elle signifiait simplement « au mieux des intérêts des actionnaires ». D’un point de vue économique, l’expression « au mieux des intérêts de la société» s’entend de la maximisation de la valeur de l’entreprise : voir E. M. Iacobucci, « Directors’ Duties in Insolvency : Clarifying What Is at Stake » (2003), 39 Rev. can. dr. comm. 398, p. 400‑401. Les tribunaux reconnaissent toutefois depuis longtemps que divers autres facteurs peuvent servir à déterminer les éléments dont les administrateurs devraient tenir compte dans une gestion judicieuse au mieux des intérêts de la société. Par exemple, dans l’affaire Teck Corp. c. Millar (1972), 33 D.L.R. (3d) 288 (C.S.C.‑B.), le juge Berger a dit ce qui suit à la p. 314 :

[traduction] Une théorie classique auparavant incontestable doit être abandonnée devant l’évidence des faits de la vie moderne. C’est effectivement ce qui s’est passé. Si, aujourd’hui, les administrateurs d’une société devaient tenir compte des intérêts de ses employés, nul n’alléguerait que, ce faisant, ils n’ont pas agi de bonne foi dans l’intérêt de la société elle‑même. De même, si les administrateurs devaient tenir compte des répercussions pour la collectivité d’une politique que l’entreprise a l’intention d’appliquer et ne pouvaient, en conséquence, s’en tenir à cette politique, on ne saurait dire qu’ils n’ont pas tenu compte de bonne foi des intérêts des actionnaires.

Je suis conscient que les administrateurs manqueraient à leur devoir s’ils faisaient totalement abstraction des intérêts des actionnaires d’une société afin de conférer un avantage à ses employés : Parke c. Daily News Ltd., [1962] Ch. 927. Cependant, s’ils tiennent dûment compte des autres intérêts qui ne sont pas strictement ceux des actionnaires de la société, il ne sera pas possible, à mon avis, de les accuser d’avoir manqué à leur obligation fiduciaire envers la société.

Dans la décision Re Olympia & York Enterprises Ltd. and Hiram Walker Resources Ltd. (1986), 59 O.R. (2d) 254 (C. div.), la cour a approuvé à la p. 271 la décision Teck, précitée. Nous considérons qu’il est juste d’affirmer en droit que, pour déterminer s’il agit au mieux des intérêts de la société, il peut être légitime pour le conseil d’administration, vu l’ensemble des circonstances dans un cas donné, de tenir compte notamment des intérêts des actionnaires, des employés, des fournisseurs, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et de l’environnement.

43 Les changements qui se produisent naturellement dans les intérêts en cause en fonction des succès et des échecs d’une entreprise n’ont cependant aucune incidence sur le contenu de l’obligation fiduciaire énoncée à l’al. 122(1)a) de la LCSA. Les administrateurs et les dirigeants ont en tout temps leur obligation fiduciaire envers la société. Les intérêts de la société ne doivent pas se confondre avec ceux des actionnaires, avec ceux des créanciers ni avec ceux de toute autre partie intéressée.

44 Les intérêts des actionnaires, ceux des créanciers et ceux de la société peuvent concorder et vont concorder si l’entreprise est rentable, dispose de capitaux suffisants et a de bonnes perspectives de croissance. La situation pourra toutefois être différente si la société commence à avoir des difficultés financières. Les droits résiduels des actionnaires perdront généralement toute valeur si une société est déclarée en faillite. Au moment de la faillite, les administrateurs de la société en cèdent le contrôle à un syndic qui gère les actifs de la société au profit des créanciers.

45 En l’absence de faillite comme telle, lorsque la société approche ce qu’on appelle le — bord de l’insolvabilité —, les droits résiduels des actionnaires seront presque épuisés. Alors que les actionnaires pourraient préférer que les administrateurs cherchent des solutions de rechange à risque et à potentiel de rendement très élevés afin de maximiser leurs droits résiduels éventuels, les créanciers, en de telles circonstances, pourraient préférer que les administrateurs adoptent une stratégie plus prudente afin de maximiser la valeur de leurs créances par rapport aux actifs de la société.

46 L’obligation fiduciaire des administrateurs reste la même lorsqu’une société se trouve dans la situation que décrit l’expression nébuleuse « au bord de l’insolvabilité ». Cette expression n’a pas été définie; elle ne peut être définie et n’a aucune signification en droit. Elle vise manifestement à illustrer une détérioration de la stabilité financière de la société. Dans l’évaluation des mesures prises par les administrateurs, il est évident que toute tentative faite avec intégrité et de bonne foi pour redresser la situation financière de la société aura, si elle réussit, conservé une valeur pour les actionnaires tout en améliorant la situation des créanciers. En cas d’échec, on ne pourra y voir un manquement à l’obligation fiduciaire prévue par la loi.

47 Pour une analyse des intérêts et de la motivation variables des actionnaires et des créanciers, voir W. D. Gray, « Peoples v. Wise and Dylex : Identifying Stakeholder Interests upon or near Corporate Insolvency — Stasis or Pragmatism? » (2003), 39 Rev. can. dr. comm. 242, p. 257; E. M. Iacobucci et K. E. Davis, « Reconciling Derivative Claims and the Oppression Remedy » (2000), 12 S.C.L.R. (2d) 87, p. 114. Pour concilier ces intérêts opposés, il incombe aux administrateurs d’agir avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société. En utilisant leurs compétences au profit de la société lorsqu’elle a des difficultés financières, les administrateurs doivent essayer d’agir au mieux des intérêts de la société en créant une « meilleure » société, et éviter de favoriser les intérêts d’un groupe d’intéressés en particulier. Si les intéressés ne peuvent invoquer l’obligation fiduciaire prévue par la loi (le devoir de loyauté déjà mentionné) pour poursuivre les administrateurs qui auraient négligé leurs intérêts, d’autres moyens s’offrent à eux.

48 Le régime juridique applicable au Canada aux parties intéressées est unique en son genre. Les créanciers ne constituent qu’une catégorie de parties intéressées, mais leurs intérêts sont protégés de nombreuses manières. Certaines mesures sont particulières, par exemple en cas de fusion : art. 185 de la LCSA. D’autres visent un large éventail de situations. Le redressement prévu en cas d’abus de droit à l’al. 241(2)c) de la LCSA et les dispositions similaires des lois provinciales sur les sociétés accordent aux créanciers les droits les plus étendus dans tous les ressorts de common law : voir D. Thomson, « Directors, Creditors and Insolvency : A Fiduciary Duty or a Duty Not to Oppress? » (2000), 58 R.D.U.T. 31, p. 48. Un auteur considère que le recours en cas d’abus de droit est [traduction] « le recours le plus général, le plus complet et le plus vaste de tous les pays de common law qui soit offert aux actionnaires » : S. M. Beck, « Minority Shareholders’ Rights in the 1980s », dans Corporate Law in the 80s (1982), 311, p. 312. Beck traitait alors des recours offerts aux actionnaires, mais ses observations s’appliquent également aux recours offerts aux créanciers.

49 Le fait que les intérêts des créanciers deviennent de plus en plus importants au fur et à mesure que les finances de la société se détériorent peut être valable et pertinent, par exemple, lorsqu’un tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire d’accorder à une partie la qualité de « plaignant » en vertu de l’al. 238d) de la LCSA parce qu’elle est la personne qui « a qualité » pour présenter une action oblique au nom d’une société en vertu des art. 239 et 240 de la LCSA, ou pour présenter une demande de redressement pour abus de droit en vertu de l’art. 241 de la LCSA.

50 L’alinéa 241(2)c) autorise un tribunal à accorder un redressement si

. . . la société ou l’une des personnes morales de son groupe [. . .] abuse des droits des détenteurs de valeurs mobilières, créanciers, administrateurs ou dirigeants, ou, se montre injuste à leur égard en leur portant préjudice ou en ne tenant pas compte de leurs intérêts :

. . .

c) soit par la façon dont ses administrateurs exercent ou ont exercé leurs pouvoirs.

La personne qui demande un redressement en cas d’abus de droit doit, de l’avis du tribunal, être visée par la définition de « plaignant » que l’on trouve à l’art. 238 de la LCSA :

a) Le détenteur inscrit ou le véritable propriétaire, ancien ou actuel, de valeurs mobilières d’une société ou de personnes morales du même groupe;

b) tout administrateur ou dirigeant, ancien ou actuel, d’une société ou de personnes morales du même groupe;

c) le directeur;

d) toute autre personne qui, d’après un tribunal, a qualité pour présenter les demandes visées à la présente partie.

Les créanciers qui ne sont pas détenteurs de valeurs mobilières au sens de l’al. a) peuvent donc solliciter un redressement en cas d’abus de droit en vertu de l’al. d) en demandant au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour leur conférer la qualité de « plaignant ».

51 L’article 241 de la LCSA prévoit un mécanisme qui permet aux créanciers d’obtenir la protection de leurs intérêts en cas de conduite préjudiciable des administrateurs. À notre avis, l’existence d’un recours aussi général en cas d’abus de droit remet en cause l’utilité apparente d’étendre aux créanciers l’obligation fiduciaire imposée aux administrateurs par l’al. 122(1)a) de la LCSA.

52 La Cour d’appel a indiqué, aux par. 99 et 100, que selon l’arrêt 373409 Alberta Ltd. (Séquestre de) c. Banque de Montréal, [2002] 4 R.C.S. 312, 2002 CSC 81, notre Cour considère que les intérêts des créanciers n’ont aucune incidence sur l’appréciation de la conduite des administrateurs. Cependant, dans cette affaire, le séquestre faisait valoir les droits de la société et non ceux des créanciers; par conséquent, cette décision ne s’applique pas au présent pourvoi. L’arrêt 373409 Alberta concernait une action intentée par le séquestre au nom de la société contre une banque pour délit de détournement. L’unique actionnaire, administrateur et directeur de 373409 Alberta Ltd., qui était aussi l’unique actionnaire, administrateur et directeur d’une autre société, Legacy Holdings Ltd., avait déposé un chèque payable à l’ordre de 373409 Alberta Ltd. au compte de Legacy. Même s’il a été reconnu, au par. 22, que le détournement des fonds de 373409 Alberta Ltd. au bénéfice de Legacy « peut fort bien avoir été préjudiciable aux créanciers de [373409 Alberta Ltd.] » (dont aucun n’était partie à l’action), aucune fraude n’avait été commise envers la société elle‑même et la banque, qui avait été dûment autorisée, n’avait pas détourné injustement le chèque en se conformant aux instructions données quant au dépôt. Les obligations que la loi impose aux administrateurs n’étaient pas en litige et n’ont pas été examinées, et aucune évaluation des droits des créanciers n’a été faite. Avec égards, l’interprétation large qu’a donnée le juge Pelletier à l’arrêt 373409 Alberta n’était pas fondée.

53 Compte tenu de la possibilité d’un recours en cas d’abus de droit, en plus de l’action fondée sur l’obligation de diligence, qui est analysée ci‑après, les parties intéressées peuvent exercer des recours efficaces. Il n’est pas nécessaire d’interpréter les intérêts des créanciers comme étant visés par l’obligation prévue à l’al. 122(1)a) de la LCSA. En outre, dans les circonstances du présent pourvoi, les frères Wise n’ont pas manqué à l’obligation fiduciaire que leur impose la loi envers la société.

B. L’obligation de diligence prévue par la loi : l’al. 122(1)b) de la LCSA

54 Tel qu’indiqué précédemment, la LCSA n’offre aux créanciers aucun recours exprès contre les administrateurs pour manquement à leurs obligations, et le C.c.Q. est employé à titre de droit supplétif.

55 Au Québec, les administrateurs sont tenus responsables envers les créanciers de leurs obligations contractuelles ou extracontractuelles. Il y a responsabilité contractuelle lorsque l’administrateur garantit personnellement une obligation contractuelle de la société. Sa responsabilité est aussi retenue lorsque l’administrateur agit personnellement de manière à engager sa responsabilité extracontractuelle. Voir P. Martel, « Le “voile corporatif” — l’attitude des tribunaux face à l’article 317 du Code civil du Québec » (1998), 58 R. du B. 95, p. 135‑136; Brasserie Labatt ltée c. Lanoue, [1999] J.Q. no 1108 (QL) (C.A.), le juge Forget, par. 29. Il est évident que les frères Wise ne peuvent être tenus responsables contractuellement puisqu’ils n’ont pas garanti les dettes en litige en l’espèce. Il reste à examiner la responsabilité extracontractuelle.

56 Pour déterminer s’il y a responsabilité extracontactuelle dans le présent pourvoi, il faut se reporter à l’art. 1457 C.c.Q. :

Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde. [Nous soulignons.]

Trois éléments de l’art. 1457 C.c.Q. sont pertinents à l’intégration, dans les principes de la responsabilité extracontractuelle, de l’obligation de diligence de l’administrateur : la personne à qui incombe l’obligation (— —t—oute personne —), le bénéficiaire de l’obligation (— autrui —) et le manquement qui engage la responsabilité (— règles de conduite —). L’expression « [t]oute personne » englobe manifestement les administrateurs et les dirigeants. De même, le mot — autrui — peut comprendre les créanciers. L’article 1457 C.c.Q. a une portée étendue et on lui a donné un sens large et inclusif. Voir l’arrêt Regent Taxi & Transport Co. c. Congrégation des Petits Frères de Marie, [1929] R.C.S. 650, le juge en chef Anglin, p. 655 (infirmé pour d’autres motifs, [1932] 2 D.L.R. 70 (C.P.)) :

[traduction] . . . il est très dangereux de restreindre la portée apparente de l’art. 1053 du C.c. [maintenant l’art. 1457] car cela pourrait inévitablement entraîner le rejet des demandes les mieux fondées; nombreux seraient les actes répréhensibles pour lesquels il n’existerait pas de recours.

Dans les arrêts Lister c. McAnulty, [1944] R.C.S. 317, et Hôpital Notre‑Dame de l’Espérance c. Laurent, [1978] 1 R.C.S. 605, notre Cour a aussi confirmé cette interprétation large et a considéré qu’elle était constante.

57 Il est possible d’intégrer harmonieusement cette interprétation au texte de la LCSA. En fait, contrairement à l’énoncé de l’obligation fiduciaire prévue par l’al. 122(1)a) de la LCSA, qui précise que les administrateurs et les dirigeants doivent agir au mieux des intérêts de la société, l’énoncé de l’obligation de diligence figurant à l’al. 122(1)b) de la LCSA ne précise pas une personne identifiable qui serait bénéficiaire de l’obligation. L’alinéa prévoit plutôt que « [l]es administrateurs et les dirigeants doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, agir [. . .] avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente. » Ainsi, le bénéficiaire de l’obligation de diligence est identifié de façon beaucoup plus générale et il semble évident qu’il faut y inclure les créanciers. Cette solution est clairement conforme à l’interprétation que le droit civil donne au mot « autrui ». Par conséquent, si un bris de l’obligation de diligence, le lien de causalité** et les dommages sont établis, les créanciers peuvent avoir recours à l’art. 1457 pour faire valoir leurs droits. La seule question qu’il reste maintenant à examiner est donc celle des « règles de conduite » susceptibles de mettre en cause la responsabilité extracontractuelle. Sur ce point, l’art. 1457 est clair.

58 Le premier paragraphe de l’art. 1457 n’énonce pas la norme de conduite. Il incorpore plutôt par renvoi l’al. 122(1)b) de la LCSA. L’obligation de diligence prévue par la loi est un « devoir de respecter [une] règl[e] de conduite qui, suivant [. . .] la loi, s’impos[e] à [eux], de manière à ne pas causer de préjudice à autrui ». Ainsi, pour déterminer si les frères Wise peuvent être tenus responsables, seule la LCSA est pertinente. Il est donc nécessaire de rappeler les exigences de l’obligation de diligence prévue à l’al. 122(1)b) de la LCSA.

59 La common law reconnaît depuis longtemps le principe suivant lequel les administrateurs sont tenus à une obligation de diligence. Cette obligation est cependant plus exigeante depuis qu’elle est accentuée par la loi. Les arrêts Dovey c. Cory, [1901] A.C. 477 (H.L.), In re Brazilian Rubber Plantations and Estates, Ltd., [1911] 1 Ch. 425, et In re City Equitable Fire Insurance Co., [1925] 1 Ch. 407 (C.A.), comptent parmi les décisions anglaises les plus anciennes à l’origine de l’obligation de diligence. Essentiellement, selon ces décisions, la norme de diligence était une norme subjective plutôt souple. La common law exigeait que les administrateurs évitent les fautes grossières eu égard aux affaires de la société et prévoyait qu’ils devaient être jugés suivant leurs compétences, leurs connaissances et leurs aptitudes personnelles. Selon McGuinness, op. cit., p. 776, [traduction] « [c]ompte tenu de la jurisprudence dans ce domaine et des principales normes de compétence dans le commerce en général, il est assez évident que la common law n’exigeait pas que les administrateurs possèdent des compétences spéciales en affaires ou un sens particulier des affaires. »

60 Le rapport de 1971 intitulé Propositions pour un nouveau droit des corporations commerciales canadiennes (1971) (« Rapport Dickerson ») fut l’aboutissement des travaux d’un comité présidé par R. W. V. Dickerson qui fut chargé, par le gouvernement fédéral, d’examiner s’il était nécessaire d’adopter une nouvelle loi fédérale sur les sociétés par actions. Ce rapport a précédé de quatre ans l’adoption de la LCSA et il a influencé la forme que celle‑ci a finalement prise.

61 La norme recommandée dans le Rapport Dickerson était objective, obligeant les administrateurs et les dirigeants à se conformer à la norme de la « personne raisonnablement prudente » (vol. II, p. 81) :

9.19

(1) Dans l’exercice de ses pouvoirs et l’accomplissement de ses obligations tout administrateur et tout fonctionnaire d’une corporation doit

. . .

b) exercer le soin, la diligence et de l’habileté d’une personne raisonnablement prudente.

Le rapport expliquait la distinction entre l’obligation de diligence proposée et l’obligation de diligence reconnue par la common law (vol. I, p. 92) :

242. La formulation de l’obligation de soin, de diligence et d’habileté à laquelle les administrateurs sont tenus, représente une tentative de hausser le standard de conduite présentement exigé d’eux. Le changement principal modifie la loi actuelle qui semble exiger que l’administrateur fasse preuve du degré de soin, de diligence et d’habileté auquel on pourrait raisonnablement s’attendre de lui, eu égard à sa connaissance et à son expérience (Re City Equitable Fire Insurance Co. (1925) Ch. 425). L’article 9.19(1)b) lui impose l’obligation de se comporter en homme raisonnablement prudent. L’expérience récente ayant démontré que le standard de conduite généralement reconnu par la loi pour des administrateurs est fort bas, nous avons songé à le rehausser considérablement. Nous sommes conscients du fait que hausser ces standards peut faire hésiter certaines personnes à accepter un poste d’administrateur. La justesse de cet argument n’a pas été démontrée et nous le croyons spécieux. L’obligation imposée par l’article 9.19(1)b) est exactement la même que celle imposée par la common law à tout professionnel. Il n’y a pourtant pas de signes que cela a tari la source des avocats, comptables, architectes, chirurgiens ou autres. De plus c’est de toute façon un bien piètre réconfort pour un actionnaire de savoir qu’il existe un vaste réservoir de personnes de compétence très moyenne qui, d’après la loi actuelle, ont la charge de gérer son investissement. [Nous soulignons.]

62 Le texte de l’al. 122(1)b) de la LCSA qui énonce l’obligation de diligence reprend presque mot à mot celui que propose le Rapport Dickerson. La principale différence réside dans le fait que la version qui a été adoptée comprend les mots « en pareilles circonstances », ce qui modifie la norme légale en exigeant qu’il soit tenu compte du contexte dans lequel une décision donnée a été prise. Le législateur n’a pas introduit un élément subjectif relatif à la compétence de l’administrateur, mais plutôt un élément contextuel dans la norme de diligence prévue par la loi. Il est clair que l’al. 122(1)b) est plus exigeant à l’égard des administrateurs et des dirigeants que la norme traditionnelle de diligence prévue par la common law et expliquée, par exemple, dans la décision Re City Equitable Fire Insurance, précitée.

63 Dans l’arrêt Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124, par. 41, le juge Robertson de la Cour d’appel fédérale a décrit la norme de diligence énoncée à l’al. 122(1)b) de la LCSA comme étant une norme « objective subjective ». Même s’il portait sur l’interprétation d’une disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu, cet arrêt est pertinent en l’espèce parce que le libellé de la disposition établissant la norme de diligence est identique à celui de l’al. 122(1)b) de la LCSA. Nous estimons pour notre part que le fait, pour le juge Robertson, de qualifier la norme par l’expression « objective subjective » peut semer la confusion. Nous préférons la décrire comme une norme objective. Ainsi, il devient évident que dans le cas de l’obligation de diligence prévue à l’al. 122(1)b), ce sont les éléments factuels du contexte dans lequel agissent l’administrateur ou le dirigeant qui sont importants, plutôt que les motifs subjectifs de ces derniers, qui sont l’objet essentiel de l’obligation fiduciaire prévue à l’al. 122(1)a) de la LCSA.

64 La méthode contextuelle dictée par l’al. 122(1)b) de la LCSA fait ressortir non seulement les faits primaires mais elle permet aussi qu’il soit tenu compte des conditions socio‑économiques existantes. L’apparition de normes plus strictes force les sociétés à améliorer la qualité des décisions des conseils d’administration. L’établissement de règles de régie d’entreprise devrait servir de bouclier protégeant les administrateurs contre les allégations de manquement à leur obligation de diligence. Toutefois, même en présence de règles de régie d’entreprise, les décisions des administrateurs peuvent parfois prêter le flanc aux critiques de tiers. En ce qui concerne les mesures prises pour assurer le respect de l’obligation de diligence, les tribunaux canadiens, tout comme ceux des États‑Unis, du Royaume‑Uni, de l’Australie et de la Nouvelle‑Zélande, ont eu tendance à tenir compte du fait que les administrateurs et les dirigeants ont souvent, en matière commerciale, des connaissances que ne possèdent pas les tribunaux. De nombreuses décisions prises dans le cours des activités d’une entreprise sont raisonnables et justifiables au moment où elles sont prises, même si elles ont éventuellement conduit à un échec. Les décisions d’affaires doivent parfois être prises dans un contexte où les renseignements sont incomplets, les enjeux sont élevés et la situation est pressante. On pourrait être tenté de considérer à la lumière de renseignements qui deviennent disponibles ultérieurement que des décisions d’affaires qui n’ont pas abouti étaient déraisonnables ou imprudentes. En raison de ce risque d’examen a posteriori, les tribunaux canadiens ont élaboré à l’égard des décisions d’affaires une règle de retenue appelée, suivant la terminologie employée aux États‑Unis, la « règle de l’appréciation commerciale ».

65 Dans l’arrêt Maple Leaf Foods Inc. c. Schneider Corp. (1998), 42 O.R. (3d) 177, la juge Weiler de la Cour d’appel de l’Ontario a dit ce qui suit, à la p. 192 :

[traduction] Tels qu’ils ont évolué, le droit applicable en Ontario et celui applicable au Delaware ont une exigence commune, savoir que le tribunal doit être convaincu que les administrateurs ont agi de façon raisonnable et équitable. Le tribunal examine si les administrateurs ont pris une décision raisonnable et non pas la meilleure décision. Dès lors que la décision prise conserve un caractère raisonnable, le tribunal ne devrait pas substituer son avis à celui du conseil, même si les événements ultérieurs peuvent avoir jeté le doute sur la décision du conseil. Dans la mesure où les administrateurs ont choisi l’une des diverses solutions raisonnables qui s’offraient, la retenue est de mise à l’égard de la décision du conseil. Cette retenue à l’égard de la décision du conseil est ce qu’on appelle la « règle de l’appréciation commerciale ». Il importe peu que les administrateurs aient écarté d’autres transactions, sauf si on peut démontrer que l’une de ces autres transactions pouvait effectivement être réalisée et était manifestement plus avantageuse pour l’entreprise que celle qui a été choisie. [Nous soulignons; italiques dans l’original; renvois omis.]

66 Pour obtenir gain de cause lorsqu’il conteste une décision d’affaires, le demandeur doit établir que les administrateurs ont manqué à leur obligation de diligence et ce, d’une manière qui lui a causé un préjudice : W. T. Allen, J. B. Jacobs et L. E. Strine, Jr., « Function Over Form : A Reassessment of Standards of Review in Delaware Corporation Law » (2001), 26 Del. J. Corp. L. 859, p. 892.

67 On ne considérera pas que les administrateurs et les dirigeants ont manqué à l’obligation de diligence énoncée à l’al. 122(1)b) de la LCSA s’ils ont agi avec prudence et en s’appuyant sur les renseignements dont ils disposaient. Les décisions prises doivent constituer des décisions d’affaires raisonnables compte tenu de ce qu’ils savaient ou auraient dû savoir. Lorsqu’il s’agit de déterminer si les administrateurs ont manqué à leur obligation de diligence, il convient de répéter que l’on n’exige pas d’eux la perfection. Les tribunaux ne doivent pas substituer leur opinion à celle des administrateurs qui ont utilisé leur expertise commerciale pour évaluer les considérations qui entrent dans la prise de décisions des sociétés. Ils sont toutefois en mesure d’établir, à partir des faits de chaque cas, si l’on a exercé le degré de prudence et de diligence nécessaire pour en arriver à ce qu’on prétend être une décision d’affaires raisonnable au moment où elle a été prise.

68 Le syndic prétend que les frères Wise ont manqué à l’obligation de diligence que leur impose l’al. 122(1)b) de la LCSA en instaurant la nouvelle politique d’approvisionnement au détriment des créanciers de Peoples. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, nous convenons avec la Cour d’appel que l’instauration de la nouvelle politique était une décision d’affaires raisonnable qui a été prise en vue de corriger un problème d’ordre commercial grave et urgent dans un cas où il n’existait peut‑être aucune solution. En concluant que la nouvelle politique avait inexorablement entraîné le déclin et la faillite de Peoples, le juge de première instance a mal interprété les faits et a commis une erreur manifeste et dominante.

69 Comme l’a fait remarquer le juge Pelletier, de nombreux facteurs, outre la nouvelle politique, ont contribué plus directement à la faillite de Peoples. Les pertes annuelles de Peoples, pendant qu’elle était exploitée par M & S, s’élevaient à 10 millions de dollars. Wise, qui était à peine rentable et à peine solvable avec des ventes annuelles de 100 millions de dollars (contre 160 millions de dollars pour Peoples), avait espéré accroître la rentabilité de sa nouvelle acquisition. Étant donné qu’il s’agissait d’une acquisition réalisée entièrement par emprunt, si Wise et Peoples voulaient que leurs efforts soient couronnés de succès, il devait y avoir une amélioration considérable de la rentabilité de Peoples. Malheureusement pour Wise et Peoples, la concurrence dans le marché de la vente au détail dans l’Est du Canada était devenue féroce au début des années 1990, une tendance qui s’est poursuivie avec l’arrivée de Wal-Mart en 1994. Aux paragraphes 153 et 155, le juge Pelletier a dit ce qui suit :

En réalité, c’est la présence de cette conjoncture financière particulièrement défavorable aux deux sociétés qui a provoqué leur chute et c’est M. & S. qui, pour la protection de ses intérêts propres, a sonné la charge en décembre, jugeant à tort ou à raison que la situation de Peoples Inc. ne pouvait qu’empirer avec le temps. Il saute aux yeux que la faillite est survenue au moment le plus propice aux intérêts de M. & S., lorsque les inventaires étaient élevés et les fournisseurs impayés. M. & S. a d’ailleurs récupéré la totalité du reliquat dû sur le prix de vente de même que la presque totalité de ses autres créances.

. . .

. . . le premier juge ne tient pas compte du fait que les frères n’ont retiré aucun avantage direct de la transaction attaquée, qu’ils étaient de bonne foi et que leur intention véritable consistait à rechercher une solution au sérieux problème de gestion d’inventaire auquel chacune des deux sociétés était confrontée. En raison d’une erreur d’appréciation, il ignore aussi que Peoples Inc. a reçu une contrepartie importante pour les biens qu’elle a livrés à Wise. Je note enfin que le geste à l’origine de la condamnation, en l’occurrence, l’adoption du nouveau système d’approvisionnement commun, n’a pas le caractère de gravité que lui attribue le premier juge et que, contrairement à la perception qu’il exprime, ce geste n’a pas non plus été la véritable cause de la faillite de Peoples Inc. [Nous soulignons.]

70 Les frères Wise ont traité la mise en œuvre de la nouvelle politique comme une décision prise dans le cours normal des activités de l’entreprise et, même si aucune entente formelle ne constatait l’arrangement, les transferts des stocks étaient consignés mensuellement. Bien qu’on puisse penser qu’il s’agit d’une pratique commerciale peu rigoureuse, dès l’automne 1993, Wise avait déjà, en pratique, intégré plusieurs des services des deux sociétés. Légalement, il s’agissait de deux entités distinctes. Toutefois, l’avenir financier des deux sociétés était inextricablement lié. Dans les circonstances, les frères Wise n’avaient, au plan financier, aucun avantage à privilégier les intérêts de Wise au détriment de ceux de Peoples. En fait, vu les pertes fiscales que Peoples avait reportées, les deux sociétés avaient toutes les raisons de s’assurer de la rentabilité de Peoples afin de réduire leurs dettes fiscales combinées.

71 Les frères Wise auraient peut‑être, compte tenu de la situation difficile à l’époque de l’instauration de la nouvelle politique, pu être plus minutieux dans leur recherche d’une solution aux épineux problèmes de gestion des stocks. Mais, comme la Cour d’appel, nous ne sommes pas convaincus que l’adoption de la nouvelle politique ait contrevenu à l’obligation de diligence énoncée à l’al. 122(1)b) de la LCSA. Les administrateurs ne peuvent pas être tenus responsables pour manquement à leur obligation de diligence à l’égard des créanciers de Peoples.

72 La Cour d’appel s’est appuyée sur deux autres dispositions de la LCSA qui, selon elle, pourraient empêcher de conclure que les frères Wise ont manqué à leur obligation de diligence; il s’agit du par. 44(2) et du par. 123(4).

73 L’article 44 de la LCSA, qui était en vigueur à l’époque des transactions contestées mais qui a été abrogé depuis, autorisait une filiale à part entière à fournir une aide financière à sa société mère :

44. (1) Sauf dans les limites prévues au paragraphe (2), il est interdit à la société ou aux sociétés de son groupe de fournir une aide financière même indirecte, notamment sous forme de prêt ou de caution :

. . .

(2) La société peut accorder une aide financière, notamment sous forme de prêt ou de caution :

. . .

c) à sa société mère, si elle lui appartient en toute propriété;

74 Même s’il restreignait la portée de l’interdiction prévue au par. 44(1), l’ancien par. 44(2) ne faisait pas disparaître les obligations imposées aux administrateurs par le par. 122(1) de la LCSA. La Cour d’appel a conclu à tort que le par. 44(2) servait à légitimer de façon générale l’aide financière fournie par une filiale à part entière à sa société mère. À notre avis, il incombe aux administrateurs et aux dirigeants d’exercer leurs pouvoirs conformément aux obligations qu’impose le par. 122(1).

75 Bien qu’il autorisait certaines formules d’aide financière entre sociétés, le par. 44(2) ne permet pas de soustraire les administrateurs et les dirigeants à leur responsabilité éventuelle en vertu du par. 122(1) pour toute aide financière fournie par une filiale à sa société mère.

76 Face au grave problème de gestion des stocks, les frères Wise ont demandé conseil au vice‑président aux finances, David Clément. Ils ont fait valoir comme argument additionnel qu’en retenant la solution proposée par M. Clément, ils se sont fiés de bonne foi au jugement d’une personne dont la profession permettait d’accorder foi à sa déclaration, conformément au moyen de défense prévu à l’al. 123(4)b) (maintenant le par. 123(5)) de la LCSA. La Cour d’appel a retenu cet argument. Nous ne sommes pas d’accord avec celle‑ci.

77 L’utilité d’une disposition telle que l’al. 123(4)b) tient à ce que les administrateurs ne peuvent connaître à fond toutes les facettes des entreprises qu’ils gèrent ou dont ils surveillent la gestion. À l’époque pertinente, le par. 123(4) prévoyait ce qui suit :

123. . . .

. . .

(4) N’est pas engagée, en vertu des articles 118, 119 ou 122, la responsabilité de l’administrateur qui s’appuie de bonne foi sur :

a) des états financiers de la société reflétant équitablement sa situation, d’après l’un de ses dirigeants ou d’après le rapport écrit du vérificateur;

b) les rapports des personnes dont la profession permet d’accorder foi à leurs déclarations, notamment les avocats, comptables, ingénieurs ou estimateurs.

78 Même si M. Clément était titulaire d’un baccalauréat en commerce et qu’il avait 15 ans d’expérience en administration et en finance chez Wise, cette expérience ne correspond pas au degré de professionnalisme requis pour que les administrateurs puissent invoquer les conseils reçus de lui pour faire échec à une poursuite fondée sur l’obligation de diligence. Les groupes de professionnels désignés à l’al. 123(4)b) sont les avocats, les comptables, les ingénieurs et les estimateurs. Monsieur Clément n’était pas comptable, ses activités n’étaient pas réglementées par une organisation professionnelle et il n’avait pas lui‑même souscrit à une police d’assurance‑responsabilité professionnelle. On ne saurait conclure qu’en raison de son titre de vice‑président aux finances, M. Clément était une personne « dont la profession permet d’accorder foi à [ses] déclarations ». Il convient de signaler que c’est le mot « profession » et non le mot « poste » qui est utilisé. Monsieur Clément était un simple employé non professionnel de Wise. C’est à la lumière de ces faits qu’il convient d’analyser son appréciation de l’opportunité de la solution proposée aux problèmes de gestion des stocks. Même si nous admettions, pour les fins de la discussion, que M. Clément était mieux en mesure que les frères Wise d’élaborer un plan destiné à régler les problèmes de gestion des stocks, cela ne suffirait pas. Par conséquent, nous estimons que les frères Wise ne peuvent faire valoir avec succès le moyen de défense prévu à l’al. 123(4)b) de la LCSA mais doivent s’appuyer sur les autres moyens de défense invoqués.

C. La réclamation fondée sur l’art. 100 de la LFI

79 Le syndic a également fondé sur l’art. 100 de la LFI sa réclamation contre les frères Wise. Selon cet article :

100. (1) Le tribunal peut, sur demande du syndic, enquêter pour déterminer si le failli qui a vendu, acheté, loué, engagé, fourni ou reçu des biens ou services au moyen d’une transaction révisable, au cours de la période allant du premier jour de l’année précédant l’ouverture de la faillite jusqu’à la date de la faillite inclusivement, a donné ou reçu, selon le cas, une juste valeur du marché en contrepartie des biens ou services.

(2) Lorsque le tribunal, dans des instances en vertu du présent article, constate que la contrepartie donnée ou reçue par le failli dans la transaction révisable était manifestement supérieure ou inférieure à la juste valeur du marché des biens ou services sur lesquels portait la transaction, il peut accorder au syndic un jugement contre l’autre partie à la transaction ou contre toute autre personne ayant intérêt à la transaction avec le failli ou contre toutes ces personnes, pour la différence entre la contrepartie réellement donnée ou reçue par le failli et la juste valeur du marché, telle qu’elle est déterminée par le tribunal, des biens ou services sur lesquels porte la transaction.

80 Cette disposition comporte deux éléments principaux. Premièrement, le par. (1) exige que la transaction soit effectuée au cours de l’année précédant la date de la faillite. Deuxièmement, le par. (2) exige que la contrepartie donnée ou reçue par le failli soit « manifestement supérieure ou inférieure » à la juste valeur marchande des biens en cause.

81 Le mot « peut » est utilisé tant au par. 100(1) qu’au par. 100(2) de la LFI relativement à la compétence du tribunal. Dans Standard Trustco Ltd. (Trustee of) c. Standard Trust Co. (1995), 26 O.R. (3d) 1, la Cour d’appel de l’Ontario a statué à la majorité que, même si les conditions préalables nécessaires sont remplies, l’exercice du pouvoir d’enquêter sur la transaction prévu au par. 100(1) et du pouvoir d’accorder un jugement prévu au par. 100(2) est discrétionnaire. Les principes d’équité encadrent l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Nous souscrivons à cette décision.

82 Au sujet du par. 100(2) de la LFI, dans Standard Trustco, précité, p. 23, la juge Weiler a donné les explications suivantes :

[traduction] Lorsque la méthode contextuelle est retenue, il est évident que, même si les conditions prévues par l’article sont remplies, le tribunal n’est pas tenu d’accorder un jugement. Le tribunal exerce un pouvoir discrétionnaire résiduel. Suivant la méthode contextuelle, la bonne foi des parties, le but de la transaction et l’échange d’une contrepartie représentant la juste valeur du marché sont des éléments importants pour déterminer s’il y a lieu d’exercer ce pouvoir discrétionnaire.

Nous sommes d’accord avec la juge Weiler et nous adoptons sa position; toutefois, le présent pourvoi ne porte pas sur le pouvoir discrétionnaire d’imposer ultimement une responsabilité. À notre avis, la Cour d’appel ne s’est pas ingérée dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance en examinant les faits et en concluant à l’existence d’une erreur manifeste et dominante.

83 Au cours de l’année qui a précédé la faillite, Peoples a transféré à Wise des marchandises pour lesquelles, selon le syndic, Peoples n’a pas reçu de contrepartie représentant la juste valeur du marché. Les transactions en cause concernaient principalement les transferts effectués en prévision de la période occupée que constitue le temps des Fêtes. Vu le lien de dépendance entre Wise et Peoples, sa filiale à part entière, il n’y a aucun doute que ces transferts de stocks auraient pu constituer des transactions révisables.

84 Nous estimons comme la Cour d’appel qu’il ne faut pas se contenter d’examiner les derniers transferts. En toute équité, il convient d’analyser les transactions effectuées au cours de toute la période de février à décembre 1994, soit la période pendant laquelle la nouvelle politique était appliquée.

85 Selon l’arrêt Skalbania (Trustee of) c. Wedgewood Village Estates Ltd. (1989), 37 B.C.L.R. (2d) 88 (C.A.), le critère permettant de déterminer si la différence entre la contrepartie et sa juste valeur marchande est « manifestement supérieure ou inférieure » n’est pas de savoir si la différence est manifeste pour les parties au moment de la transaction, mais plutôt si elle l’est pour le tribunal eu égard à tous les facteurs pertinents. Il s’agit d’une méthode judicieuse. Dans cette affaire, une différence de 1,18 million de dollars entre la juste valeur du marché et la contrepartie reçue par le failli a été jugée manifeste, la juste valeur du marché étant de 6,6 millions de dollars, ce qui laissait un écart de plus de 17 pour 100. Bien qu’aucun pourcentage particulier ne soit fixé pour déterminer ce qui constitue une différence manifeste, le pourcentage de différence constitue un facteur.

86 Pour ce qui est des autres facteurs qui seraient pertinents à cette décision, le tribunal peut examiner notamment les facteurs suivants : la preuve de la marge d’erreur dans l’évaluation du type de biens en cause; les évaluations qui ont été faites des biens en cause et la preuve de la croyance sincère des parties en ce qui a trait à la valeur de ces biens; les autres éléments présentés en preuve par les parties pour expliquer la différence entre la contrepartie obtenue et la juste valeur du marché : voir L. W. Houlden et G. B. Morawetz, Bankruptcy and Insolvency Law of Canada (3e éd. (feuilles mobiles)), vol. 2, p. 4‑114.1.

87 Pendant la période d’application de la nouvelle politique, Peoples a transféré à Wise des stocks d’une valeur de 71,54 millions de dollars. À la date de la faillite, elle avait reçu de Wise des biens ou des sommes s’élevant à 59,5 millions de dollars. Comme nous l’avons expliqué précédemment, le juge de première instance a ramené la différence à un solde de 4,44 millions de dollars après avoir tenu compte, notamment, de la nouvelle répartition des frais généraux et administratifs et des rajustements nécessaires découlant des transferts par Wise à Peoples des stocks importés. Aucune des parties n’a contesté ces chiffres devant notre Cour. Nous sommes d’accord avec la Cour d’appel qui a fait remarquer que ces conclusions contredisent directement ce qu’a dit le juge de première instance, savoir que Peoples n’avait reçu aucune contrepartie pour les transferts de stocks puisque les comptes recevables [traduction] « n’ont pas été recouvrés et n’étaient pas recouvrables » de Wise. Comme le juge Pelletier, nous estimons que la conclusion du juge de première instance à cet égard était une erreur manifeste et dominante et nous souscrivons au point de vue de la Cour d’appel.

88 Nous ne sommes pas convaincus que, compte tenu de toutes les circonstances de la présente espèce, un écart d’un peu plus de 6 pour 100 entre la juste valeur du marché et la contrepartie reçue constitue une différence « manifeste » au sens du par. 100(2) de la LFI. Par conséquent, nous statuons que la réclamation du syndic fondée sur la LFI échoue également.

89 Le paragraphe 100(2) de la LFI autorise le tribunal à accorder un jugement non seulement contre l’autre partie à la transaction, mais aussi contre une partie non contractante « ayant intérêt » à la transaction. Comme nous avons conclu que la contrepartie reçue dans les transactions contestées n’était pas « manifestement inférieure » à la juste valeur du marché, il est inutile d’examiner si les frères Wise auraient eu un « intérêt » à la transaction qui permettrait de conclure à leur responsabilité en vertu du par. 100(2). Quoi qu’il en soit, le désaccord entre le juge de première instance et la Cour d’appel sur l’interprétation des mots « ayant intérêt » au par. 100(2) de la LFI justifie les observations suivantes.

90 En l’espèce, le juge de première instance n’a pas hésité à conclure que les frères Wise avaient un intérêt à la transaction au sens du par. 100(2). Cependant, le juge Pelletier a privilégié une interprétation stricte en concluant que les frères Wise n’avaient pas intérêt aux transactions. Il a dit ce qui suit au par. 136 :

Le législateur me semble avoir voulu prévoir le cas où c’est une personne autre que le cocontractant du failli qui, en réalité, encaisse tout ou partie du bénéfice résultant de l’absence d’équivalence entre les contreparties respectives.

Pour justifier cette exigence d’un avantage direct, le juge Pelletier a mentionné le texte français où l’on utilise l’expression « ayant intérêt ». Même s’il a admis que les frères intimés ont, en leur qualité d’actionnaires de Wise, tiré un avantage indirect des transferts de stocks, le juge Pelletier a conclu que cet avantage était trop éloigné pour qu’ils aient eu un « intérêt » aux transactions (par. 140‑141).

91 L’article 100 de la LFI a principalement pour objet d’annuler les effets d’une transaction qui a diminué la valeur des actifs d’un failli. Il est logique d’adopter une conception plus large des termes « ayant intérêt » pour éviter qu’une personne qui pourrait tirer un avantage indirect au détriment des créanciers du failli puisse contrecarrer l’objet réparateur de cette disposition. Il convient de donner aux termes « ayant intérêt » un sens large afin qu’ils s’appliquent aux personnes qui tirent un avantage direct ou indirect d’une transaction tout en sachant que la contrepartie est inférieure à la juste valeur du marché. À notre avis, ce raisonnement est particulièrement pertinent lorsque les personnes qui touchent un avantage sont les instigatrices de la transaction.

92 Conclure qu’une personne a « intérêt » à la transaction révisable ne signifie évidemment pas que le tribunal exercera son pouvoir discrétionnaire pour rendre une ordonnance réparatrice contre cette personne. Pour conclure à la responsabilité de cette personne, il doit être démontré que la transaction est effectuée a) au cours de l’année précédente, b) en échange d’une contrepartie manifestement supérieure ou inférieure à la juste valeur du marché, c) au su de la personne en cause, et d) d’une manière qui a permis à la personne de tirer un avantage direct ou indirect. De plus, après avoir examiné le contexte et tous les facteurs ci‑dessus, le juge doit conclure qu’il y a lieu dans ce cas d’imposer une responsabilité à la personne. Compte tenu de ces conditions et du pouvoir discrétionnaire exercé par le juge, nous concluons qu’une interprétation large des termes « ayant intérêt » s’impose.

IV. Dispositif

93 Pour les motifs qui précèdent, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens en faveur des intimés.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante : Kugler Kandestin, Montréal.

Procureurs des intimés Lionel Wise, Ralph Wise et Harold Wise : de Grandpré Chait, Montréal.

Procureurs de l’intimée Chubb du Canada, Compagnie d’assurance : Lavery, de Billy, Montréal.

* Le juge Iacobucci n’a pas pris part au jugement.

** Voir Erratum [2005] 1 R.C.S. iv


Synthèse
Référence neutre : 2004 CSC 68 ?
Date de la décision : 29/10/2004
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté. Les frères Wise n’ont pas manqué aux obligations que leur imposait le par. 122(1) de la LCSA, et les transactions attaquées n’étaient pas contraires à l’art. 100 de la LFI

Analyses

Sociétés - Administrateurs et dirigeants - Obligation de fiduciaire et obligation de diligence - Administrateurs d’une société faillie poursuivis par le syndic - Administrateurs accusés par le syndic de manquement à leur obligation de fiduciaire et à leur obligation de diligence - Les administrateurs ont‑ils une obligation de fiduciaire et une obligation de diligence envers les créanciers de la société? - Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, ch. C‑44, art. 122(1).

Faillite et insolvabilité - Transactions révisables - Transfert d’actifs entre la filiale à part entière et la société mère - Faillite de la filiale à part entière et de la société mère - Administrateurs de la société mère poursuivis par le syndic de la filiale à part entière - Allégation par le syndic que certaines transactions sont révisables - La contrepartie reçue dans les transactions attaquées est‑elle manifestement inférieure à la juste valeur du marché? - Les administrateurs étaient‑ils des parties intéressées dans les transactions? - Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B‑3, art. 100.

Wise Stores Inc. (« Wise ») a acquis de Marks & Spencer Canada Inc. (« M & S ») les Magasins à rayons Peoples Inc. (« Peoples »). L.W., R.W. et H.W. (les « frères Wise ») étaient actionnaires majoritaires, dirigeants et administrateurs de Wise, et les seuls administrateurs de Peoples. En raison des conditions imposées par M & S, Peoples ne pouvait fusionner avec Wise avant le paiement intégral du prix d’achat. Presque dès le début, l’exploitation en commun de Wise et de Peoples s’est avérée difficile. La tenue d’une comptabilité parallèle, conjuguée à l’entreposage en commun des marchandises, a causé de graves problèmes aux deux sociétés. En conséquence, les fiches de stocks des deux sociétés sont devenues de plus en plus inexactes. La situation, déjà intolérable, a empiré. L.W. a consulté le vice‑président à l’administration et aux finances de Wise et Peoples pour tenter de trouver une solution. Sur sa recommandation, les frères Wise ont accepté de mettre en œuvre une politique d’approvisionnement commun en vertu de laquelle les deux entreprises se partageraient la responsabilité des achats. Peoples s’occuperait de tous les achats auprès de fournisseurs en Amérique du Nord et Wise, pour sa part, se chargerait de tous les achats faits outre‑mer. Peoples transférerait ensuite à Wise les marchandises achetées pour Wise et lui en réclamerait le prix, et vice versa. La nouvelle politique est entrée en vigueur le 1er février 1994. Avant la fin de l’année, Wise et Peoples ont été déclarées en faillite. Le syndic de Peoples a présenté contre les frères Wise une requête dans laquelle il a prétendu que ces derniers avaient privilégié les intérêts de Wise plutôt que ceux de Peoples au détriment des créanciers de Peoples, en contravention des obligations que le par. 122(1) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (« LCSA ») leur imposait en tant qu’administrateurs. Le syndic a soutenu aussi que, au cours de l’année ayant précédé la faillite, les frères Wise étaient des parties intéressées aux transactions en vertu desquelles des biens de Peoples avaient été transférés à Wise pour une contrepartie manifestement inférieure à la juste valeur du marché au sens de l’art. 100 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI »). En première instance, le juge a conclu que les frères Wise étaient responsables en regard des deux moyens invoqués. La Cour d’appel a infirmé cette décision.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté. Les frères Wise n’ont pas manqué aux obligations que leur imposait le par. 122(1) de la LCSA, et les transactions attaquées n’étaient pas contraires à l’art. 100 de la LFI.

L’obligation fiduciaire prévue à l’al. 122(1)a) de la LCSA impose aux administrateurs et aux dirigeants le devoir d’agir avec intégrité et de bonne foi aux mieux des intérêts de la société. En l’espèce, le juge de première instance a conclu qu’il n’y a eu ni fraude ni malhonnêteté de la part des frères Wise lorsqu’ils ont tenté de régler les problèmes d’approvisionnement de plus en plus graves de Peoples et de Wise. Les frères Wise ont examiné le grave problème de gestion des stocks et ont mis en application une politique d’approvisionnement commun qui, espéraient‑ils, permettrait de le régler. En l’absence d’éléments de preuve de l’existence d’un intérêt personnel ou d’une fin illégitime de la nouvelle politique, et compte tenu de la preuve d’une volonté de faire de Wise et de Peoples de « meilleures » entreprises, les administrateurs n’ont pas manqué à leur obligation fiduciaire énoncée à l’al. 122(1)a). On ne peut conclure à un tel manquement en cas d’échec d’une tentative faite avec intégrité et de bonne foi pour redresser la situation financière d’une société. L’obligation fiduciaire reste la même lorsqu’une société se trouve dans la situation que décrit l’expression nébuleuse « au bord de l’insolvabilité ». Ils ont en tout temps leur obligation fiduciaire envers la société, et les intérêts de la société ne doivent pas se confondre avec ceux des actionnaires, avec ceux des créanciers ni avec ceux de toute autre partie intéressée. Il n’est pas nécessaire d’interpréter les intérêts des créanciers comme étant visés par l’obligation prévue à l’al. 122(1)a) compte tenu de la possibilité, en vertu de la LCSA, d’un recours en cas d’abus de droit (al. 241(2)c)), en plus de l’action fondée sur l’obligation de diligence (al. 122(1)b)).

On ne considérera pas que les administrateurs et les dirigeants ont manqué à l’obligation de diligence énoncée à l’al. 122(1)b) de la LCSA s’ils ont agi avec prudence et en s’appuyant sur les renseignements dont ils disposaient. La norme de diligence est une norme objective. Les décisions des administrateurs et des dirigeants doivent constituer des décisions d’affaires raisonnables compte tenu de toutes les circonstances, notamment les conditions socio‑économiques existantes, qu’ils connaissaient ou auraient dû connaître. Si les tribunaux ne doivent pas substituer leur opinion à celle des administrateurs qui ont utilisé leur expertise commerciale pour évaluer les considérations qui entrent dans la prise de décisions des sociétés, ils sont toutefois en mesure d’établir, à partir des faits de chaque cas, si l’on a exercé le degré de prudence et de diligence nécessaire pour en arriver à ce qu’on prétend être une décision d’affaires raisonnable au moment où elle a été prise. En l’espèce, en adoptant la politique d’approvisionnement commun, les administrateurs n’ont pas contrevenu à leur obligation de diligence à l’égard des créanciers de Peoples. L’instauration de la nouvelle politique était une décision d’affaires raisonnable qui a été prise en vue de corriger un problème d’ordre commercial grave et urgent dans un cas où il n’existait peut‑être aucune solution. En concluant que la nouvelle politique avait inexorablement entraîné le déclin et la faillite de Peoples, le juge de première instance a mal interprété les faits et a commis une erreur manifeste et dominante. De nombreux facteurs, outre la nouvelle politique, ont contribué plus directement à la faillite de Peoples.

Le paragraphe 44(2) de la LCSA qui s’appliquait à l’époque (abrogé depuis) ne permet pas de soustraire les administrateurs et les dirigeants à leur responsabilité éventuelle en vertu du par. 122(1) pour toute aide financière fournie par une filiale à sa société mère. Les frères Wise ne peuvent non plus faire valoir avec succès qu’ils s’appuyaient de bonne foi sur l’opinion du vice‑président aux finances comme le prévoit l’al. 123(4)b) de la LCSA. Le vice‑président était un employé non professionnel et n’était membre d’aucun des groupes de professionnels désignés à l’al. 123(4)b). Il n’était pas un comptable, ses activités n’étaient pas réglementées par une organisation professionnelle et il n’avait pas lui‑même souscrit d’assurance‑responsabilité professionnelle.

La réclamation du syndic fondée sur l’art. 100 de la LFI doit échouer. Les transactions en cause sont celles qui ont été effectuées au cours de la période de février à décembre 1994 pendant laquelle la nouvelle politique d’approvisionnement était appliquée. Compte tenu de toutes les circonstances de la présente espèce, un écart d’un peu plus de 6 pour 100 entre la juste valeur du marché et la contrepartie reçue ne constitue pas une différence manifeste.

Si, compte tenu de cette conclusion, il est inutile d’examiner si les frères Wise auraient eu un « intérêt » à la transaction, le désaccord entre le juge de première instance et la Cour d’appel sur l’interprétation des mots « ayant intérêt » au par. 100(2) de la LFI justifie les observations qui suivent. Puisque l’objet réparateur de cette disposition est d’annuler les effets d’une transaction qui a diminué la valeur des actifs d’un failli, il convient de donner aux termes « ayant intérêt » un sens large afin qu’ils s’appliquent aux personnes qui tirent un avantage direct ou indirect d’une transaction tout en sachant que la contrepartie est inférieure à la juste valeur du marché. Ce raisonnement est particulièrement pertinent lorsque les personnes qui touchent un avantage sont les instigatrices de la transaction.


Parties
Demandeurs : Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de)
Défendeurs : Wise

Références :

Jurisprudence
Arrêt appliqué : 373409 Alberta Ltd. (Séquestre de) c. Banque de Montréal, [2002] 4 R.C.S. 312, 2002 CSC 81
arrêts approuvés : Re Olympia & York Enterprises Ltd. and Hiram Walker Resources Ltd. (1986), 59 O.R. (2d) 254
Standard Trustco Ltd. (Trustee of) c. Standard Trust Co. (1995), 26 O.R. (3d) 1
arrêts mentionnés : Automatic Self‑Cleansing Filter Syndicate Co. c. Cuninghame, [1906] 2 Ch. 34
K.L.B. c. Colombie‑Britannique, [2003] 2 R.C.S. 403, 2003 CSC 51
Canadian Aero Service Ltd. c. O’Malley, [1974] R.C.S. 592
820099 Ontario Inc. c. Harold E. Ballard Ltd. (1991), 3 B.L.R. (2d) 113, conf. par (1991), 3 B.L.R. (2d) 123
Teck Corp. c. Millar (1972), 33 D.L.R. (3d) 288
Brasserie Labatt ltée c. Lanoue, [1999] J.Q. no 1108 (QL)
Regent Taxi & Transport Co. c. Congrégation des Petits Frères de Marie, [1929] R.C.S. 650, inf. par [1932] 2 D.L.R. 70
Lister c. McAnulty, [1944] R.C.S. 317
Hôpital Notre‑Dame de l’Espérance c. Laurent, [1978] 1 R.C.S. 605
Dovey c. Cory, [1901] A.C. 477
In re Brazilian Rubber Plantations and Estates, Ltd., [1911] 1 Ch. 425
In re City Equitable Fire Insurance Co., [1925] 1 Ch. 407
Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124
Maple Leaf Foods Inc. c. Schneider Corp. (1998), 42 O.R. (3d) 177
Skalbania (Trustee of) c. Wedgewood Village Estates Ltd. (1989), 37 B.C.L.R. (2d) 88.
Lois et règlements cités
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 300, 311, 1457, 2501.
Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, ch. C‑44, art. 44(1) [abr. 2001, ch. 14, art. 26], (2) [idem], 102(1) [rempl. idem, art. 35], 121 [mod. idem, art. 49], 122(1) [mod. 1994, ch. 24, art. 13], 123(4) [maintenant 123(5)], 185, 238, 239, 240, 241 [mod. 2001, ch. 14, art. 117].
Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, art. 8.1.
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B‑3, art. 100(1) [rempl. 1997, ch. 12, art. 81], (2).
Doctrine citée
Allen, William T., Jack B. Jacobs and Leo E. Strine, Jr. « Function Over Form : A Reassessment of Standards of Review in Delaware Corporation Law » (2001), 26 Del. J. Corp. L. 859.
Beck, Stanley M. « Minority Shareholders’ Rights in the 1980s ». In Corporate Law in the 80s, Special Lectures of the Law Society of Upper Canada. Don Mills, Ont. : Richard De Boo, 1982, 311.
Brock, Jason. « The Propriety of Profitmaking : Fiduciary Duty and Unjust Enrichment » (2000), 58 R.D.U.T. 185.
Crête, Raymonde, et Stéphane Rousseau. Droit des sociétés par actions : principes fondamentaux. Montréal : Thémis, 2002.
Dickerson, Robert W. V., John L. Howard et Leon Getz. Propositions pour un nouveau droit des corporations commerciales canadiennes, vol. I et II. Ottawa : Information Canada, 1971.
Gray, Wayne D. « Peoples v. Wise and Dylex : Identifying Stakeholder Interests upon or near Corporate Insolvency — Stasis or Pragmatism? » (2003), 39 Rev. can. dr. comm. 242.
Houlden, L. W., and G. B. Morawetz. Bankruptcy and Insolvency Law of Canada, vol. 2, 3rd ed. Toronto : Carswell, 1989 (loose‑leaf updated 2003, release 9).
Iacobucci, Edward M. « Directors’ Duties in Insolvency : Clarifying What Is at Stake » (2003), 39 Rev. can. dr. comm. 398.
Iacobucci, Edward M., and Kevin E. Davis. « Reconciling Derivative Claims and the Oppression Remedy » (2000), 12 S.C.L.R. (2d) 87.
Martel, Paul. « Le “voile corporatif” — l’attitude des tribunaux face à l’article 317 du Code civil du Québec » (1998), 58 R. du B. 95.
McGuinness, Kevin Patrick. The Law and Practice of Canadian Business Corporations. Toronto : Butterworths, 1999.
Thomson, David. « Directors, Creditors and Insolvency : A Fiduciary Duty or a Duty Not to Oppress? » (2000), 58 R.D.U.T. 31.

Proposition de citation de la décision: Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68 (29 octobre 2004)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2004-10-29;2004.csc.68 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award