Lefebvre (Syndic de); Tremblay (Syndic de), [2004] 3 R.C.S. 326, 2004 CSC 63
Services DaimlerChrysler Canada Inc. Appelante
c.
Jean-François Lebel Intimé
et entre
GMAC Location Limitée Appelante
c.
Raymond Chabot Inc. Intimée
Répertorié : Lefebvre (Syndic de); Tremblay (Syndic de)
Référence neutre : 2004 CSC 63.
Nos du greffe : 29770, 29780.
2004 : 20 avril; 2004 : 28 octobre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie et LeBel.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [2003] R.J.Q. 819, 229 D.L.R. (4th) 697, [2003] J.Q. no 2304 (QL), qui a confirmé un jugement de la Cour supérieure, [2001] R.J.Q. 2679, [2001] J.Q. no 5074 (QL). Pourvoi accueilli.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [2003] J.Q. no 2305 (QL), qui a confirmé un jugement de la Cour supérieure, [2001] J.Q. no 3446 (QL). Pourvoi accueilli.
Yves Lacroix et Gary Makila, pour l’appelante Services DaimlerChrysler Canada Inc.
Hugues La Rue, pour l’appelante GMAC Location Limitée.
Martin P. Jutras, pour l’intimé Jean-François Lebel.
Personne n’a comparu pour l’intimée Raymond Chabot Inc.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Le juge LeBel —
I. Introduction
1 Les deux pourvois soulèvent un problème semblable : le locateur à long terme d’un véhicule automobile peut-il opposer son droit de propriété au syndic à la faillite du locataire, malgré son défaut de publier ses droits au Registre des droits personnels et réels mobiliers (« RDPRM ») dans le délai prescrit par le Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64? Ces appels ont été entendus en même temps qu’une troisième affaire qui porte sur un contrat de vente à tempérament et qui soulève la question de l’opposabilité de la réserve de propriété du vendeur au syndic à la faillite de l’acquéreur (Ouellet (Syndic de), [2004] 3 R.C.S. 348, 2004 CSC 64). Des motifs distincts sont déposés dans ce dossier.
2 Dans les deux cas qui nous intéressent, la Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec ont conclu que le droit de propriété du locateur n’était pas opposable au syndic, faute de publication en temps utile. Pour les raisons que j’expose plus loin, je suis d’opinion que ce droit de propriété justifie la revendication entre les mains du syndic et lui est opposable. À mon avis, dans le contexte des faits de ces affaires, le syndic ne peut être considéré comme un tiers à l’égard des appelantes, qui peuvent exercer valablement les droits de suite et de revendication que leur confère leur qualité de propriétaires des biens loués. J’accueillerais en conséquence ces deux pourvois, afin de faire droit aux conclusions en revendication des appelantes.
II. L’origine des litiges
A. Services DaimlerChrysler Canada Inc.
3 Dans ce dossier, Alfred Lefebvre a loué un véhicule Dodge Dakota d’un concessionnaire automobile, la compagnie Jules Baillot et Fils Ltée. Le bail mobilier d’une durée de 36 mois est intervenu le 19 avril 1999. À la même date, le concessionnaire a cédé le contrat de bail à l’appelante qui est maintenant connue sous le nom de Services DaimlerChrysler Canada Inc. (« DaimlerChrysler »). Au moment de la conclusion du bail, l’art. 1852 C.c.Q. exigeait depuis 1998 la publication au RDPRM des droits résultant des baux mobiliers. Cette publication n’a été faite que le 24 novembre 2000. Ce retard se trouve à l’origine du présent litige.
4 En effet, Alfred Lefebvre fait cession de ses biens le 1er novembre 2000, alors qu’il est toujours locataire du véhicule Dodge Dakota et l’intimé, Jean‑François Lebel, est nommé syndic. Le 24 novembre 2000, DaimlerChrysler lui transmet une preuve de réclamation, selon l’art. 81 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3 (« L.F.I. »), afin d’être mise en possession du véhicule dont elle demeure propriétaire. Le même jour, elle publie ses droits au RDPRM, tel qu’indiqué plus haut.
5 Le 5 décembre 2000, le syndic informe DaimlerChrysler qu’il conteste sa réclamation. Selon lui, le contrat lui est inopposable, parce que publié tardivement. En conséquence, il refuse de remettre le véhicule à DaimlerChrysler. Celle-ci dépose alors devant la Cour supérieure du Québec une requête en appel de cette décision. Dans cette procédure, elle demande que soient reconnues la validité de son droit de propriété et son opposabilité au syndic.
B. GMAC Location Limitée
6 Dans cette affaire, le 28 septembre 1998, Martin Tremblay loue une automobile de marque Cavalier d’un concessionnaire automobile, Marlin Chevrolet-Oldsmobile Inc., pour un terme de 36 mois. Le même jour, le concessionnaire cède le contrat à l’appelante, GMAC Location Limitée (« GMAC »). La publication des droits créés par ce bail n’a lieu que le 9 janvier 2001. Le 13 décembre 2000, le locataire reçoit un avis de reprise de possession suivant l’art. 150.14 de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P-40.1. Le 14 décembre 2000, M. Tremblay fait faillite. L’intimée, Raymond Chabot Inc., est nommée syndic. Le 15 décembre 2000, GMAC lui transmet une preuve de réclamation suivant l’art. 81 L.F.I. et demande à être mise en possession du véhicule.
7 Invoquant le défaut de publication en temps utile au RDPRM, le syndic réplique par un avis de contestation de la preuve de réclamation, dans lequel il prétend que les droits de GMAC ne lui sont pas opposables. Le 17 janvier 2001, GMAC signifie une requête en appel devant la Cour supérieure, en vue de faire reconnaître ses droits de propriétaire du véhicule et d’en reprendre possession. Pendant le cours de cet appel, les parties s’entendent pour faire vendre le véhicule et entiercer le produit de la vente.
III. Historique judiciaire
A. Cour supérieure
(1) DaimlerChrysler
8 La juge Trudel entend la requête en appel de DaimlerChrysler. Au départ, elle concède à celle-ci que le droit de propriété du locateur ne constitue pas à proprement parler un droit résultant du bail. Les principaux droits créés sont le droit du locateur de recevoir le loyer et celui du locataire d’utiliser le véhicule. Toutefois, s’appuyant sur l’arrêt Giffen (Re), [1998] 1 R.C.S. 91, dont elle estime les principes applicables en droit québécois, elle exprime l’opinion que les règles relatives à la publicité des droits au Québec et l’obligation désormais faite au locateur de publier au RDPRM les droits résultant du bail à long terme d’un véhicule automobile rendent le bail non publié inopposable au syndic à la faillite du locataire. En effet, le droit à la reprise de possession en cas de faillite — définie comme une situation de défaut au bail — doit être traité comme un droit résultant du contrat de location. Ce droit est visé par l’art. 1852 C.c.Q. Le défaut de publication permet donc au syndic de refuser de remettre le bien à son propriétaire et lui permet d’en disposer au profit de la faillite. La juge Trudel rejette donc la requête de l’appelante : [2001] R.J.Q. 2679.
(2) GMAC
9 GMAC ne réussit pas mieux que DaimlerChrysler devant la Cour supérieure. Le juge Boisvert reconnaît certes que le droit de propriété de GMAC ne résulte pas du contrat de location. Cependant, s’appuyant sur l’arrêt Giffen, il conclut que, depuis l’entrée en vigueur de l’art. 1852 C.c.Q., le droit de revendication ne peut plus être opposé au syndic de faillite lorsque la publication des droits résultant du bail n’a pas été faite dans les délais prévus. Le juge Boisvert rejette donc la requête en appel de GMAC, puisqu’elle n’a pas publié ses droits en temps utile : [2001] J.Q. no 3446 (QL).
B. Cour d’appel du Québec (les juges Beauregard, Dussault et Thibault)
10 Une même formation de la Cour d’appel du Québec a entendu les appels de DaimlerChrysler et de GMAC. Dans ces deux dossiers, la Cour d’appel a déposé des motifs communs et conclu, à la majorité, au rejet des prétentions des propriétaires des biens, déclarant leurs droits inopposables au syndic de faillite : [2003] R.J.Q. 819 et [2003] J.Q. no 2305 (QL). La juge Thibault a rédigé l’opinion principale, à laquelle le juge Dussault a concouru dans des motifs distincts. Ils ont tous deux conclu au rejet des pourvois des appelantes. Le juge Beauregard a rédigé des motifs dissidents qui reconnaissent l’opposabilité du droit de propriété du locateur au syndic, en dépit du défaut de publication des droits résultant des baux mobiliers en cause.
11 Les opinions des juges majoritaires confirment un courant de jurisprudence qui s’est établi à la Cour d’appel du Québec, depuis les arrêts Massouris (Syndic de), [2002] R.J.Q. 901, et Mervis (Syndic de), [2002] R.J.Q. 2268, qui traitent de l’effet du défaut de publication des contrats de location ou des contrats de vente avec réserve de propriété relatifs à des biens mobiliers sur l’opposabilité du droit de propriété au syndic et qui lui reconnaissent le statut de tiers à l’égard du propriétaire des biens.
12 La juge Thibault admet que les règles classiques du droit civil reconnaissent le droit du propriétaire d’un bien meuble de le revendiquer à son possesseur, sans plus de formalités. Toutefois, dans le cas de la location à long terme ou des ventes à tempérament de véhicules routiers, elle s’appuie sur les arrêts Massouris et Mervis, pour conclure que le législateur québécois a voulu modifier ces règles traditionnelles. Dans ces cas, pour éviter la constitution de sûretés occultes, il a imposé une obligation de publication et il a voulu traiter la réserve de propriété stipulée, à son avis, dans le bail comme une sûreté. Quant aux baux de véhicules à long terme, le texte de l’art. 1852 C.c.Q. édicte clairement ce nouveau principe auquel les tribunaux doivent donner effet. Le syndic, placé dans la position juridique d’un tiers pour l’application de l’art. 1852 C.c.Q., peut donc contester, au nom de l’ensemble des créanciers, la garantie que voulait se réserver le créancier propriétaire. En conséquence, à son avis, les appelantes ne peuvent exercer leur droit de revendication auprès des syndics à la faillite de leurs locataires. Le juge Dussault conclut de la même façon. Selon lui, la réserve de propriété, en vertu d’un bail ou d’un contrat de vente à tempérament, aurait été assimilée implicitement à une sûreté par le législateur.
13 L’opinion du juge Beauregard exprime un désaccord fondamental avec les motifs de ses collègues. À son avis, d’abord, des distinctions s’imposent avec l’arrêt Giffen. Contrairement au Code civil du Québec, la législation de la Colombie‑Britannique prévoyait en effet que le bail d’un véhicule d’une durée de plus d’un an était assimilé à une sûreté et, qu’en cas de non-publication, il devait être traité comme une sûreté imparfaite. D’après lui, les dispositions relatives à la publication des baux à long terme et des ventes à tempérament ne modifient pas les principes fondamentaux du droit civil et, en particulier, la distinction essentielle entre le droit de propriété, d’une part, et les sûretés, d’autre part. Le droit de propriété n’a pas à être publié. S’il n’est pas opposable à certains tiers acquéreurs identifiés par le Code civil du Québec, le syndic de faillite n’est pas l’un d’eux. La faillite ne lui confère pas plus de droits à l’égard du propriétaire du bien que le failli n’en possédait et il ne peut s’opposer à la revendication par les appelantes, donc le juge Beauregard aurait accueilli les pourvois et reconnu les droits.
14 Par la suite, les appelantes ont été autorisées à se pourvoir devant notre Cour. Dans l’affaire GMAC, le syndic intimé n’a pas participé au débat devant notre Cour, s’en remettant à la justice. Dans le dossier DaimlerChrysler, l’intimé a contesté activement l’appel sous tous ses aspects.
IV. Dispositions législatives pertinentes
15 Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64
1852. Les droits résultant du bail peuvent être publiés.
Sont toutefois soumis à la publicité les droits résultant du bail d’une durée de plus d’un an portant sur un véhicule routier ou un autre bien meuble déterminés par règlement, ou sur tout bien meuble requis pour le service ou l’exploitation d’une entreprise, sous réserve, en ce dernier cas, des exclusions prévues par règlement; l’opposabilité de ces droits est acquise à compter du bail s’ils sont publiés dans les quinze jours. Le bail qui prévoit une période de location d’un an ou moins est réputé d’une durée de plus d’un an lorsque, par l’effet d’une clause de renouvellement, de reconduction ou d’une autre convention de même effet, cette période peut être portée à plus d’un an.
La cession des droits résultant du bail est admise ou soumise à la publicité, selon que ces droits sont eux‑mêmes admis ou soumis à la publicité.
2941. La publicité des droits les rend opposables aux tiers, établit leur rang et, lorsque la loi le prévoit, leur donne effet.
Entre les parties, les droits produisent leurs effets, encore qu’ils ne soient pas publiés, sauf disposition expresse de la loi.
V. Analyse
A. Les questions en litige
16 Les dossiers que nous étudions soulèvent des problèmes d’interaction entre le droit civil québécois et la législation fédérale sur la faillite et l’insolvabilité. Il nous faut examiner la qualification juridique de certains droits réels mobiliers créés en vertu du Code civil du Québec ainsi que le rôle et les pouvoirs du syndic de faillite à l’égard de leur exercice. Cette partie de l’analyse nous oblige à revenir sur l’interprétation des dispositions du Code civil du Québec, notamment de l’art. 1852 C.c.Q., pour déterminer si le syndic peut être considéré comme un tiers à l’égard du locateur pour l’application de cette disposition. Dans ce contexte, on examinera d’abord la nature des droits en cause ainsi que l’étendue et l’effet de l’obligation de publication au RDPRM. Ensuite, on passera à l’étude de la position du syndic, pour déterminer s’il peut opposer le défaut de publication des droits au locateur des biens mobiliers. En somme, le locateur à long terme de véhicules automobiles détient-il des droits assimilables à une sûreté? Ceux‑ci doivent-ils être publiés? Le syndic se trouve-t-il dans la situation d’un tiers et peut-il lui opposer le défaut de publication de ses droits pour faire échec à la revendication du bien?
B. Les prétentions des parties
17 Les appelantes défendent une position commune dans ces pourvois. Leurs moyens se résument en quelques propositions. Tout d’abord, la conclusion d’un contrat de location à long terme ne réduit pas le droit de propriété du locateur à une simple sûreté. Le droit du locateur demeure un droit de propriété, qui ne résulte pas du bail, au sens de l’art. 1852 C.c.Q. Ce droit de propriété n’est donc pas assujetti à l’obligation de publication, puisque seuls les droits résultant du bail doivent être publiés. Le défaut de publication ne rend la revendication impossible qu’à l’égard des tiers. En raison de la nature de son rôle à l’égard des biens du failli et de la nature de sa saisine en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, le syndic ne peut être considéré comme un tiers vis-à-vis le bailleur. Il n’a pas plus de droits que le failli sur le bien loué, comme il n’en aurait d’ailleurs pas plus en vertu de l’art. 1749 C.c.Q. sur le bien qui fait l’objet d’une réserve de propriété, à la suite d’une vente à tempérament. Le défaut de publication du bail n’opère pas un transfert de propriété et le syndic ne peut opposer le défaut de publication à la revendication du locateur. Dans ce contexte, on ne peut considérer que l’arrêt Giffen trouve application. En effet, dans cette affaire, la législation de la Colombie-Britannique prévoyait l’inopposabilité au syndic ou aux créanciers du bail de véhicule automobile non publié, en traitant ce bail comme une sûreté, alors que le droit civil du Québec n’attache pas de telles conséquences au défaut de publication à l’égard du syndic de faillite.
18 Selon l’intimé dans le dossier DaimlerChrysler, les principes qui se dégagent de l’arrêt Giffen s’appliquent. Comme en Colombie-Britannique, le législateur québécois a imposé la publication comme une condition nécessaire de l’opposabilité des droits aux tiers, parmi lesquels se trouve le syndic à la faillite du locataire. À son avis, la décision prise par la Cour d’appel d’assimiler le bail et les droits qu’il reconnaît ou crée à une sûreté assujettie à la publication correspond aux exigences de la vie commerciale et à l’intention du législateur. Celui‑ci édicte clairement l’obligation de publication comme condition de l’opposabilité du bail aux tiers.
C. Le contexte législatif : la réforme du droit des sûretés lors de l’entrée en vigueur du Code civil du Québec
19 La discussion des thèses défendues par les parties exige au préalable de brèves remarques sur l’aménagement du droit des sûretés en droit civil québécois, à la suite de l’entrée en vigueur du Code civil du Québec, en 1994. En parallèle, un rappel de quelques notions fondamentales de droit des biens paraît utile pour définir la nature des problèmes en cause, qualifier correctement les droits des parties et apprécier la validité des solutions proposées pour résoudre les difficultés que posent ces dossiers.
20 L’entrée en vigueur du Code civil du Québec a marqué une étape importante dans l’évolution du droit des sûretés réelles du Québec (L. Payette, Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec (2e éd. 2001)). Le législateur a alors réorganisé cette partie du droit civil. Il l’a désormais structurée principalement autour d’un type de sûreté, l’hypothèque, applicable aux biens mobiliers ou immobiliers, bien qu’il ait aussi reconnu un autre type de droit, la priorité, pour protéger certains types de créances, comme le prévoit l’art. 2647 C.c.Q. (Voir Payette, op. cit., p. 2-3 et 59.) Cette solution écartait la présomption d’hypothèque recommandée par l’Office de révision du Code civil qui aurait englobé toutes les formes de sûretés, y compris les « sûretés-propriétés » dans le seul concept d’hypothèque (Rapport sur le Code civil du Québec (1978), vol. II, t. 1, p. 431-435). Cette proposition avait en effet soulevé de fortes objections et de nombreuses critiques. (Voir Payette, op. cit., p. 60‑64; R. A. Macdonald, « Faut-il s’assurer qu’on appelle un chat un chat? Observations sur la méthodologie législative à travers l’énumération limitative des sûretés, “la présomption d’hypothèque” et le principe de “l’essence de l’opération” », dans Mélanges Germain Brière (1993), 527; voir aussi Commentaires du ministre de la Justice (1993), t. II, p. 1654.) Ainsi, au lieu d’accepter d’organiser le droit des sûretés réelles autour de ce concept de présomption d’hypothèque, le législateur québécois a mis en place un régime simplifié et unifié de sûretés, qui maintenait toutefois la distinction fondamentale entre les notions de sûreté et de propriété dans le domaine de la constitution et de la mise en œuvre des garanties réelles.
21 Cette distinction entre sûreté et droit de propriété constitue d’ailleurs toujours un élément fondamental de la classification des droits réels en droit des biens dans le Code civil du Québec. Droit réel fondamental, conférant en principe la maîtrise juridique complète d’un bien, le droit de propriété se distingue des droits réels accessoires que sont les sûretés telles que l’hypothèque. Un auteur qualifie ces dernières de « droits réels de garantie », portant sur la valeur pécuniaire plus que sur la matérialité d’une chose, destinés à compléter un autre droit, en le garantissant ou en assurant le paiement d’une créance (P.-C. Lafond, Précis de droit des biens (1999), p. 192).
22 Dans ce contexte, parallèlement à la réforme du droit des sûretés, la codification de 1994 apportait des modifications importantes au régime de la publicité des droits. Tout en révisant substantiellement les règles gouvernant la publicité foncière, le législateur prévoyait la création du RDPRM. L’établissement de ce registre voulait porter remède à des vices sérieux du régime antérieur, marqué par la diversité et le caractère souvent occulte des sûretés, à cause de l’absence d’un mécanisme général de publication, qui le rendait dangereux pour la sécurité juridique des transactions relatives à de nombreuses catégories de biens meubles. Un objectif fondamental de la mise sur pied de cette institution était de rendre publiques les sûretés créées sur des biens meubles selon les règles du nouveau Code civil du Québec. (Voir D.‑C. Lamontagne, avec la collaboration de P. Duchaine, La publicité des droits (3e éd. 2001), p. 301.) Comme dans le cas de la publicité foncière, ainsi que le prévoit l’art. 2941 C.c.Q., la publication ne vise pas à effectuer des transferts de propriété, mais, en règle générale, à rendre les droits visés par la faculté ou l’obligation de publication opposables aux tiers. (Voir Lamontagne et Duchaine, op. cit., p. 31-32.)
23 Lors de son entrée en vigueur en 1994, le Code civil du Québec n’imposait pas encore l’obligation de publier au RDPRM les droits découlant des baux à long terme de véhicules routiers. Cette obligation n’a été introduite qu’en 1998, par une modification apportée à l’art. 1852 C.c.Q., par l’art. 8 de la Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives relativement à la publicité des droits personnels et réels mobiliers et à la constitution d’hypothèques mobilières sans dépossession, L.Q. 1998, ch. 5. Cette nouvelle disposition exigeait désormais la publication de ces droits comme condition de leur opposabilité aux tiers, afin de faciliter le commerce des biens meubles. Elle s’appliquait à l’égard des baux en cours lors de son entrée en vigueur. Les articles 6 et 7 de la même loi instituaient aussi des obligations de publication à l’égard du crédit-bail et des réserves de propriété prévues par les contrats de vente à tempérament, en modifiant les art. 1752 et 1847 C.c.Q. Une disposition transitoire, à l’art. 24 de la loi, accordait un délai d’un an à partir de son entrée en vigueur, pour la publication des droits visés.
D. La situation juridique du locataire à l’égard du locateur
24 Le contrat examiné en l’espèce demeure un contrat de bail. Selon ses règles fondamentales, ce contrat n’est pas translatif de propriété entre le locataire et le locateur. Il ne laisse au preneur qu’un statut de détenteur et d’utilisateur à titre précaire, en vertu duquel il doit remettre le bien à la fin du bail, comme le prévoit l’art. 1890 C.c.Q. Les contrats sous étude, par leurs termes mêmes, demeurent des baux, bien qu’ils soient conclus à long terme. En dépit de la nature des rapports juridiques que ces contrats énoncent, faut-il les requalifier, en raison du libellé de l’art. 1852 C.c.Q. et de l’obligation de publication qu’il édicte depuis 1998, pour assurer que les droits qu’ils établissent soient opposables aux tiers?
25 La majorité de la Cour d’appel a conclu que cette requalification s’imposait et qu’en conséquence, le défaut de publication pouvait être soulevé par le syndic, qui devait être considéré comme un tiers pour l’application de l’art. 1852 C.c.Q. Toutefois, comme l’a souligné le juge Beauregard dans sa dissidence, cette position tend à confondre les concepts de propriété et de sûreté. Cette difficulté se situe à la base même des solutions choisies par la Cour d’appel du Québec, depuis l’arrêt Massouris, pour régler les conflits survenus dans la jurisprudence des tribunaux de première instance au Québec au sujet des baux à long terme, du crédit-bail ou des ventes à tempérament de véhicules, des obligations de publication qui s’y rattachent et des droits des syndics de faillite. Conformément à des orientations adoptées très clairement dans l’arrêt Massouris, la jurisprudence de la Cour d’appel présume que toutes les opérations juridiques par lesquelles un véhicule automobile est mis à la disposition d’un utilisateur constituent des opérations de crédit assorties d’une sûreté. Cette analyse et cette qualification permettent par la suite de traiter les droits du propriétaire comme ceux du titulaire d’une simple sûreté. Lorsque celle-ci n’a pas été parfaite en raison de l’absence de publication en temps utile, ce vice la rend inopposable au syndic de faillite, considéré comme un tiers, en sa qualité de représentant des créanciers.
26 Cette interprétation tend à réintroduire dans le droit des sûretés réelles du Québec un concept rejeté par le législateur au moment de la codification de 1994, celui de la présomption d’hypothèque. On peut aussi penser que cette approche correspond à une volonté d’identifier l’essence de l’opération réalisée et de requalifier l’opération en conséquence. Au point de vue économique, il est fort probable que les différentes méthodes employées par les commerçants de véhicules moteurs — location à long terme, crédit-bail ou vente à tempérament — représentent toutes des techniques destinées à atteindre un même objectif : trouver un client, lui obtenir le crédit nécessaire à l’opération, mettre le véhicule à sa disposition, tout en protégeant l’intérêt du fournisseur de crédit. Cependant, avant de mettre de côté toutes les catégories juridiques pertinentes, encore faut-il s’arrêter à la teneur des contrats intervenus et à leur situation dans les classifications des contrats établies par le Code civil du Québec et utilisées par les parties.
27 Dans le contexte de ces transactions, il faut se garder de mettre de côté les catégories fondamentales du droit des biens et de négliger la nature des droits créés par le régime établi par le type de contrat nommé intervenu à l’égard des biens en question, en l’occurrence, le louage. Contrairement aux propositions de l’Office de révision du Code civil, aucune disposition du Code civil du Québec ne transforme le droit de propriété du bailleur en une hypothèque ni ne lui interdit de mettre un véhicule automobile dans le commerce, en employant l’instrument juridique du bail, qui lui laisse la propriété du bien. En vertu d’une telle convention, l’automobile demeure dans le patrimoine du locateur, le locataire n’ayant que le droit de l’utiliser conformément aux dispositions du bail et des lois applicables. Il faut alors analyser la situation juridique à partir du constat que le bailleur conserve toujours en l’espèce un droit de propriété, dont le législateur peut toutefois choisir de moduler les effets à l’égard des tiers et des syndics de faillite. Cela soulève le problème de la portée de l’obligation de publier les droits résultant du bail sur le droit de propriété et l’efficacité de ce dernier.
E. L’obligation de publication des droits
28 Dans l’étude de l’obligation de publication, il importe de tenir compte au départ du principe fondamental du régime de publicité des droits du Québec. Tel que l’énonce l’art. 2941 C.c.Q., dans le cas des sûretés mobilières aussi bien qu’immobilières, la publicité n’est pas une technique de transfert des droits de propriété. Même en l’absence de publication, les droits soumis à l’obligation de publication conservent leurs effets entre les parties, sauf disposition expresse de la loi. Sa fonction est de rendre ces droits opposables aux tiers et de déterminer leur rang ou de leur donner effet suivant les dispositions de la loi :
2941. La publicité des droits les rend opposables aux tiers, établit leur rang et, lorsque la loi le prévoit, leur donne effet.
Entre les parties, les droits produisent leurs effets, encore qu’ils ne soient pas publiés, sauf disposition expresse de la loi.
29 Le droit de propriété du locateur ne découle pas du bail. Il préexiste en quelque sorte à celui-ci. Cependant, les règles relatives à la publicité des droits modulent ses effets à l’égard des tiers. L’opposabilité de ces droits aux tiers dépend de leur publication, qui est devenue obligatoire. L’inexécution de l’obligation de publication peut alors entraîner effectivement des transferts de propriété fondés sur l’apparence juridique créée par la détention, en rendant impossible la revendication du bien entre les mains des tiers. De ces conséquences possibles de la mise en œuvre du régime de publicité des droits, on ne saurait déduire le principe que la publicité crée le droit de propriété du bailleur ni qu’elle soit nécessaire à son existence. Elle n’est requise que pour protéger ce droit à l’égard des tiers, ce qui est le propre de la notion d’opposabilité.
30 Certes, le législateur peut intervenir plus profondément dans les rapports juridiques des parties ou des intéressés, pour requalifier les droits établis par les contrats ou pour donner une portée plus radicale aux conséquences du défaut de publication. Un exemple d’une intervention législative de ce type se trouve à l’art. 1756 C.c.Q., sur les ventes à réméré. Dans cette disposition, le Code civil du Québec assimile la faculté de rachat destinée à garantir un prêt à une hypothèque. Le vendeur est ainsi réputé emprunteur et l’acquéreur, créancier hypothécaire. Celui-ci exerce ses droits en suivant les règles relatives aux hypothèques. On en trouve un autre exemple dans le droit de la faillite et de l’insolvabilité. Dans des modifications apportées à la définition du « créancier garanti » dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, édictées par la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, ch. 4, le Parlement fédéral a assimilé les droits d’un vendeur en vertu d’un contrat de vente conditionnelle ou à tempérament, ou d’un acquéreur à réméré, à ceux d’un créancier garanti (art. 25 et 28). Cette loi les assujettit ainsi à l’obligation de publication. Le droit de propriété devient alors un rapport de créance, protégé par une sûreté assujettie à une obligation de publication.
31 Dans le cas du bail à long terme, on ne retrouve rien dans le Code civil du Québec ni dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité qui modifie la nature du droit de propriété du locateur sur la chose louée et les droits qui en découlent vis-à-vis le locataire. Il conserve son statut et ses droits de propriétaire à l’égard du locataire. Celui-ci reste un détenteur à titre précaire, à l’égard duquel le bailleur peut exercer, entre autres, son droit de reprendre le bien à la fin du bail, lors de sa résiliation ou dans les cas prévus par le contrat ou par la loi. Il faut maintenant examiner si le statut et les fonctions attribuées au syndic à la suite de l’ouverture d’une faillite permettent de le considérer comme un tiers habilité à soulever l’inopposabilité des droits du locateur du véhicule automobile, en raison de la violation de l’obligation de publication. Cette question soulève encore une fois les difficultés causées par les ambiguïtés du statut du syndic en droit de la faillite et de l’insolvabilité et par la nécessité d’adapter le droit fédéral de l’insolvabilité à deux systèmes juridiques modernes, mais différents par leurs méthodes, leur vocabulaire et, parfois, leurs classifications fondamentales.
F. La position du syndic de faillite
32 Dans la logique de sa qualification des droits du locateur, la Cour d’appel du Québec a assimilé le syndic de faillite à un tiers et lui a permis de soulever une défense d’inopposabilité pour conserver le bien et en disposer au bénéfice des créanciers du débiteur. Cette conclusion repose sur une conception trop réductrice du rôle diversifié du syndic, de la dualité de ses statuts lors de l’ouverture de la faillite, ainsi que de la nature de la cession des biens du failli qui lui est faite et de la saisine qu’il en détient en conséquence.
33 Le vocabulaire utilisé par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité invite un juriste de formation civiliste à conclure trop vite et à voir dans la cession que provoque la mise en faillite un transfert de propriété à un tiers. Le paragraphe 71(2) L.F.I. prévoit en effet que les biens du failli « doivent [. . .] passer et être dévolus au syndic ». On croit ainsi aisément se trouver devant un concept d’aliénation qui, dans le contexte d’une faillite, placerait le syndic dans la position d’un tiers.
34 Le contenu juridique de la fonction du syndic ne se laisse pas définir aisément. Je reconnais que le concept de cessionnaire a été employé dans des jugements qui inspirent depuis longtemps la jurisprudence des cours du Québec, notamment celui du juge Bernier, alors de la Cour supérieure, dans l’affaire Civano Construction Inc. c. Crédit M.-G. Inc., [1962] C.S. 45. (Voir aussi Kowalski c. Trust Général du Canada, [1976] C.A. 93; Poliquin c. Banque de Montréal, [1998] R.L. 560 (C.A.), p. 566; voir également les commentaires des professeurs J. Auger et A. Bohémier, « Le statut du syndic » (2003), 37 R.J.T. 59.) On éprouve beaucoup de difficulté à qualifier exactement la nature de cette saisine dévolue au syndic. Se définit-elle comme un droit de propriété sui generis, une propriété fiduciaire, sinon un cas d’administration du bien d’autrui, au sens du titre septième du livre IV du Code civil du Québec? (Auger et Bohémier, loc. cit., p. 69 et 102-107)
35 Le concept strict de propriété rend mal compte de la nature des fonctions du syndic et des droits qu’il exerce sur les biens à la suite de l’ouverture de la faillite. D’abord, ses droits ne s’exercent que par rapport à un patrimoine dont le contenu est défini légalement par l’art. 67 L.F.I. Il ne s’agit là que d’un ensemble de biens susceptibles de liquidation pour le bénéfice des créanciers. Sur ces biens, le syndic exerce des droits précisés par la loi, qui s’apparentent pour partie à ceux d’un propriétaire. En effet, il peut disposer des biens dont il a la saisine, mais pour une fin déterminée, c’est-à-dire acquitter les créances des créanciers du failli, au prorata, tout en respectant l’ordre des priorités reconnues par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Enfin, dans l’hypothèse assez rare d’un surplus de liquidation, le syndic ne peut conserver celui-ci, mais doit le remettre au failli. L’attribution et l’exercice de tels pouvoirs ne correspondent pas complètement à un acte d’aliénation, à tel point d’ailleurs qu’on a pu voir apparaître dans la doctrine de fort vives critiques de l’utilisation de ce concept de cessionnaire pour décrire la fonction du syndic de faillite (M. Cantin Cumyn, Traité de droit civil : L’administration du bien d’autrui (2000), p. 110‑112).
36 De toute manière, le recours à la notion de dévolution dans la version française du par. 71(2) L.F.I. n’élimine pas la distinction entre les deux aspects du rôle du syndic, à la suite de l’ouverture d’une faillite. Dans l’arrêt Mercure c. A. Marquette & Fils Inc., [1977] 1 R.C.S. 547, notre Cour a clairement rappelé cette distinction, à partir de laquelle doit être qualifiée la position juridique du syndic dans l’exercice des pouvoirs que la loi lui accorde et l’exécution des obligations qu’elle lui impose. Faisant alors appel à la notion de représentation pour faire comprendre le double visage du rôle du syndic, le juge de Grandpré affirmait voir en lui à la fois le représentant du débiteur et celui des créanciers (p. 553). Pour liquider les biens du failli, comme le veut la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, le syndic doit en prendre le contrôle. À cette étape, il succède au failli ou, en un sens large, le représente. Toutefois, sa personnalité juridique ne se confond pas avec celle du débiteur. Ainsi que le souligne le juge de Grandpré, la loi lui reconnaît d’ailleurs le droit de poursuivre ce débiteur, le cas échéant (p. 553). Ce pouvoir témoigne de l’importance de l’autre aspect de ses fonctions, celui de la représentation des créanciers, pour la gestion et la liquidation des biens du failli. Sa situation juridique correspond alors davantage à celle d’un tiers par rapport au débiteur. D’une part, le syndic se trouve subrogé au failli dans l’exercice de ses pouvoirs de détention et de disposition des biens dont la saisine lui est attribuée. D’autre part, la loi fait de lui le mandataire légal des créanciers, qui liquidera à leur profit les biens qui lui ont été confiés. Le double aspect de ses fonctions ne permet donc pas de lui reconnaître le statut de tiers par rapport au failli, à l’égard de l’ensemble des pouvoirs que lui confère la loi pour préserver et liquider les biens du débiteur. La nature de son rôle et la qualification juridique de celui-ci varieront selon la nature des fonctions que ses interventions mettront en jeu.
37 Lors de la prise de contrôle ou saisine de l’universalité de biens définie par l’art. 67 L.F.I., le syndic n’est saisi que des biens qui se trouvaient dans le patrimoine du débiteur. Sous réserve des pouvoirs spéciaux que la loi lui accorde à titre de représentant des créanciers pour rétablir le patrimoine à liquider dans son intégrité, le syndic ne possède pas plus de droits à l’égard des biens que n’en possédait le débiteur, dont il demeure le continuateur à cet égard. Ce principe est bien établi dans l’application de l’art. 67 L.F.I. Dans l’arrêt Flintoft c. Royal Bank of Canada, [1964] R.C.S. 631, p. 634, le juge Judson avait rappelé cette règle. Plus récemment, le juge Iacobucci a confirmé la validité de ce principe dans l’arrêt Giffen. À mon avis, le syndic ne détient pas un intérêt supérieur à celui du failli sur les biens visés par son intervention, sauf disposition législative à l’effet contraire (Giffen, par. 50).
38 Toutefois, sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et, souvent, en vertu de lois provinciales diverses, le syndic se voit confier des pouvoirs spéciaux qui lui permettent d’intervenir pour reconstituer le patrimoine du débiteur tel qu’il était ou tel qu’il aurait dû être ou pour protéger l’actif de la faillite contre des droits indûment réclamés ou exercés à son endroit. Une telle situation se présente dans le cas des recours en annulation de paiements préférentiels ou de transferts irréguliers de biens du failli ou dans la contestation de sûretés illégalement accordées ou qui n’ont pas été parfaites conformément à la loi.
39 Cependant, l’existence de ces pouvoirs et la nature du statut qu’elle confère au syndic ne l’autorisent pas à liquider un bien qui ne se trouvait pas dans le patrimoine du failli. Dans le présent appel, une situation de cette nature s’est créée. Les véhicules loués par les appelantes n’ont jamais fait partie des patrimoines des débiteurs. Puisque les droits des locateurs ne peuvent être considérés comme de simples droits de créance, garantis par des sûretés réelles, le syndic, en refusant de remettre les biens, prétendait disposer d’un bien que sa saisine n’incluait pas.
40 À cette étape de l’étude des dossiers, quelques commentaires apparaissent nécessaires à propos de l’arrêt Giffen dont la Cour d’appel estimait les principes déterminants en l’espèce. En l’interprétant ainsi, elle a donné à cet arrêt une portée qu’il n’avait pas, car elle a omis de prendre en compte le contexte législatif établi par la législation provinciale de la Colombie-Britannique, qui définissait les droits respectifs du locateur à long terme d’un véhicule automobile et du syndic à la faillite du locataire. En effet, dans l’affaire Giffen, la Personal Property Security Act, S.B.C. 1989, ch. 36, prévoyait au sous-al. 20b)(i) que le bail d’automobile non publié conformément aux exigences de la loi n’était pas opposable au syndic. La loi provinciale définissait elle-même alors la nature des droits respectifs du locateur et du syndic. Elle permettait à ce dernier de s’opposer à la revendication du bailleur et de liquider le bien pour le bénéfice des créanciers. Ainsi que le faisait observer le juge Iacobucci, le sous-al. 20b)(i) de la Personal Property Security Act conférait alors au syndic un intérêt supérieur à celui du failli, qui lui permettait de disposer du bien (par. 50). Comme on l’a vu plus haut, le Code civil du Québec n’a pas donné un effet semblable au défaut de publication des droits résultant du bail. Dans ce contexte, l’arrêt Giffen ne justifiait pas la solution retenue par la Cour d’appel. Au contraire, cet arrêt confirmait les règles établies au sujet de la composition du patrimoine du failli. La réclamation des appelantes aurait dû être admise. Leur appel paraît en conséquence bien fondé.
G. Les dépens
41 Les circonstances de ces affaires justifient une dérogation aux règles usuelles sur l’attribution de dépens. Dans le pourvoi de GMAC, je n’accorderais pas de dépens, l’intimée n’ayant pas participé à l’appel. Dans le pourvoi de DaimlerChrysler, il y aurait lieu d’accorder les dépens à l’intimé sur la base avocat-client. En effet, l’appelante a porté devant notre Cour une question d’intérêt qui la préoccupait davantage que le sort particulier de ce dossier. Par ailleurs, la participation de l’intimé et de ses avocats a été utile à l’examen des problèmes soulevés par cette affaire et il serait injuste de faire supporter à l’intimé la totalité des dépenses engagées dans l’intérêt général du développement du droit, au-delà de son intérêt restreint dans la gestion d’une faillite d’importance modeste.
VI. Conclusion
42 Pour ces motifs, j’accueillerais les pourvois et je ferais droit à la réclamation des appelantes. Puisque dans GMAC, la voiture a été vendue, l’appelante a droit au produit de la vente. Les pourvois devraient être accueillis sans dépens dans le dossier GMAC et avec dépens sur la base avocat-client en faveur de l’intimé dans le dossier DaimlerChrysler.
Pourvois accueillis.
Procureurs de l’appelante Services DaimlerChrysler Canada Inc. : Fasken Martineau DuMoulin, Québec.
Procureurs de l’appelante GMAC Location Limitée : Pothier Delisle, Sainte‑Foy, Québec.
Procureur de l’intimé Jean-François Lebel : Martin P. Jutras, Westmount, Québec.