LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que M. X..., de nationalité française, et Mme Y..., de nationalité américaine, mariés aux Etats-Unis en 1991, ont vécu à compter de 1992 en France où leurs trois enfants sont nés ; qu'en décembre 2004, Mme Y... est retournée aux Etats-Unis avec les enfants ; que M. X... a déposé une requête en divorce devant le tribunal de grande instance de Toulouse le 28 octobre 2005 ; que Mme Y... a fait la même demande devant un tribunal du Massachusetts (Etats-Unis), le 21 novembre 2005 ; que le 11 avril 2006, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Toulouse a rendu une ordonnance de non conciliation et autorisé le mari à assigner en divorce ; que Mme Y... a fait appel de cette ordonnance ; que le 17 mai 2006, le juge du Massachusetts a prononcé le divorce des époux X...-Y... par jugement devenu définitif le 16 août 2006, faute de recours exercé dans les quatre vingt dix jours ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué (Toulouse, 20 mai 2008) d'avoir dit le jugement de divorce prononcé par le juge du Massachusetts (Etats-Unis) devenu définitif le 16 août 2006, régulier au regard des conditions de régularité internationale, déclaré sans objet la procédure de divorce qu'il avait engagée pour le même objet et la même cause devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Toulouse et dit caduques les mesures provisoires de l'ordonnance de non conciliation rendues par celui-ci le 11 avril 2006, alors, selon le moyen, que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire et ne peut soulever d'office un moyen sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'état des conclusions de Mme Y... demandant uniquement à la cour d'appel de déclarer incompétente la juridiction française sans évoquer les conditions de régularité internationale du jugement rendu aux Etats-Unis, la cour d'appel ne pouvait déclarer le jugement régulier en l'absence de toute invitation des parties à présenter ses observations à cet égard sans violer les articles 4 et 16 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la décision étrangère étant invoquée et produite aux débats, la cour d'appel devait, sans encourir le grief de violation du principe de la contradiction, en vérifier la régularité internationale ; que le grief n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que M. X... fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1° / que toutes les fois que la règle française de solution des conflits de juridiction n'attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent, si le litige se rattache d'une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n'a pas été frauduleux ; qu'en se bornant à justifier la compétence indirecte de la juridiction américaine par les liens caractérisés de l'action avec les Etats-Unis, sans rechercher si les autres conditions nécessaires à la reconnaissance de la compétence judiciaire indirecte étaient réunies, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des principes qui gouvernent la compétence internationale des juridictions, et l'article 509 du code de procédure civile ;
2° / que nonobstant les motifs relatifs à la fraude à la loi qui n'épuisent pas la discussion relative à la compétence, que les conclusions de M. X... indiquaient que Mme Y... avait déposé sa requête en divorce aux Etats-Unis dans l'intention de se soustraire à la procédure française déjà engagée, les conclusions de celle-ci confirmant qu'elle avait déposé sa requête dans les heures qui ont suivi l'annonce par son mari de la procédure engagée en France ; qu'en ne recherchant pas si la compétence du juge américain n'avait pas été frauduleusement sollicitée ce qu'accréditait l'affirmation inexacte au juge américain selon laquelle le juge français était incompétent à son égard, la cour d'appel a de plus fort entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des principes et dispositions susvisés ;
3° / que la vérification de la conformité d'une décision à l'ordre public international s'effectue au regard des principes de l'ordre public international français ; qu'en déduisant la conformité de la procédure américaine à l'ordre public international de la seule constatation que le juge américain n'était pas tenu d'appliquer les règles de litispendance ne relevant pas de l'ordre juridique américain, la cour d'appel qui a ainsi esquivé la recherche du caractère frauduleux de la procédure engagée aux Etats-Unis, a violé les principes et le texte susvisé ;
Mais attendu que l'arrêt retient, d'une part, que le litige se rattache de manière caractérisée aux Etats-Unis, pays de la nationalité de Mme Y... où elle réside avec ses trois enfants depuis plus de six mois et où ils n'ont pas été amenés en fraude des droits du père ; que, d'autre part, il n'est pas prouvé que Mme Y... aurait saisi frauduleusement le juge de son lieu de résidence pour tirer un bénéfice supérieur à celui procuré par la saisine du juge français, enfin que M. X... a été avisé de la procédure introduite devant le juge américain et a accusé réception des pièces de procédure ; que la cour d'appel a pu en déduire que la juridiction française fut-elle première saisie, le jugement de divorce du 17 mai 2006 prononcé par le juge du Massachusets devait être reconnu en France, la procédure française devenant sans objet et les mesures provisoires caduques ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour M. X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté l'existence d'un jugement de divorce prononcé à la demande de Mme Y..., épouse de M. X..., le 17 mai 2006 par le juge du Massachusetts (Etats-Unis) et devenu définitif le 16 août 2006, dit ce jugement régulier au regard des conditions de régularité internationale, déclaré sans objet la procédure de divorce engagée par M. X... pour le même objet et la même cause devant le juge aux Affaires Familiales du Tribunal de Grande Instance de Toulouse et dit caduques les mesures provisoires de l'ordonnance de non conciliation rendues par celui-ci le 11 avril 2006 ;
AUX MOTIFS QU'« il résulte des faits que le juge aux affaires familiales de Toulouse était territorialement compétent au moment où M. Antoine X... a déposé sa requête en divorce, du fait de l'un au moins des critères alternatifs de compétence définis par l'article 3 du règlement du 23 novembre 2003 relatif à la compétence en matière matrimoniale, en l'espèce « la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l'un ou l'autre des époux y réside encore » et « la résidence habituelle du demandeur s'il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l'introduction de la demande » ; que par conséquent, au moment où il a statué sur la requête en divorce, le juge aux affaires familiales de Toulouse était compétent en vertu dudit règlement ; que cependant il résulte des pièces contradictoirement communiquées qu'est intervenu entre les parties une décision judiciaire de divorce, prononcée par un juge américain le 16 août 2OO6 ; qu'en droit, le contrôle à titre incident de la régularité internationale d'un jugement étranger peut être opéré par tout juge devant lequel ce jugement est invoqué pour contester son pouvoir du juger » ; (...) que par conséquent, en l'état d'un jugement de divorce intervenu régulièrement entre les parties au Massachusetts, sous condition le 17 mai 2OO6, devenu définitif le 16 août 2OO6, il apparaît que la poursuite de la procédure de divorce devant le juge aux affaires familiales de Toulouse entre les mêmes parties, pour le même objet et pour la même cause, est devenue sans objet » ;
ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire et ne peut soulever d'office un moyen sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations ;
qu'en l'état des conclusions de Mme Y... demandant uniquement à la Cour d'appel de déclarer incompétente la juridiction française sans évoquer les conditions de régularité internationale du jugement rendu aux Etats-Unis, la Cour d'appel ne pouvait déclarer le jugement régulier en l'absence de toute invitation des parties à présenter ses observations à cet égard sans violer les articles 4 et 16 du Code de Procédure Civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté l'existence d'un jugement de divorce prononcé à la demande de Mme Y..., épouse de M. X..., le 17 mai 2006 par le juge du Massachusetts (Etats-Unis) et devenu définitif le 16 août 2006, dit ce jugement régulier au regard des conditions de régularité internationale, déclaré sans objet la procédure de divorce engagée par M. X... pour le même objet et la même cause devant le juge aux Affaires Familiales du Tribunal de Grande Instance de Toulouse et dit caduques les mesures provisoires de l'ordonnance de non conciliation rendues par celui-ci le 11 avril 2006 ;
AUX MOTIFS QUE « il importe donc de vérifier la régularité de ce jugement de divorce au regard des critères habituels de reconnaissance des effets d'une décision étrangère en France, les dispositions du règlement relatives à la reconnaissance n'étant pas applicables aux jugements émanant d'Etats non membres de l'Union Européenne, et la France n'étant pas liée sur ce point par une convention internationale spécifique ; que ces critères de régularité internationale sont la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et l'absence de fraude à la loi ; que pour ce qui concerne la compétence indirecte du juge du Massachusetts celle-ci est incontestable sur le fondement de la nationalité américaine de l'épouse, de la résidence de celle-ci aux Etats-Unis depuis plus de six mois au moment de la saisine du juge américain, et en outre du lieu de célébration du mariage et de la résidence habituelle et de la nationalité américaine des enfants ; que pour ce qui concerne la conformité à l'ordre public international de fond, il n'est pas soulevé que la loi du Massachusetts relative au divorce soit contraire à l'ordre public international français et la cour, tenue de vérifier d'office cette non contrariété n'en a relevé aucune s'agissant d'un divorce prononcé pour un motif proche à celui de l'altération définitive du lien conjugal prévu en droit français ; que pour ce qui concerne la conformité à l'ordre public international de procédure, il n'apparaît à la lecture des pièces de procédure devant le juge américain, telles que transmises et traduites devant la Cour, aucune violation des droits de la défense, dans la mesure où, d'une part, M. X... a été avisé de la procédure introduite devant le juge américain et a accusé réception des pièces de la procédure et, d'autre part, le juge américain, qui n'était pas tenu d'appliquer les règles spécifiques de litispendance prévues par le règlement européen, a retenu sa compétence au regard des éléments de rattachement du litige aux Etats-Unis ; que pour ce qui concerne l'absence de fraude à la loi, il apparaît que Mme Kimberley Y... a informé le juge américain de l'existence d'une procédure pendante devant le juge aux affaires familiales à Toulouse et que celui-ci a fait référence dans son jugement à la saisine par le mari du juge français ; qu'il n'est pas prouvé qu'elle n'aurait saisi le juge de son lieu de résidence pour tirer un bénéfice frauduleux de l'application de la loi américaine au présent litige ; que par conséquent, en l'état d'un jugement de divorce intervenu régulièrement entre les parties au Massachusetts, sous condition le 17 mai 2OO6, devenu définitif le 16 août 2OO6, il apparaît que la poursuite de la procédure de divorce devant le juge aux affaires familiales de Toulouse entre les mêmes parties, pour le même objet et pour la même cause, est devenue sans objet » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE toutes les fois que la règle française de solution des conflits de juridiction n'attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent, si le litige se rattache d'une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n'a pas été frauduleux ; qu'en se bornant à justifier la compétence indirecte de la juridiction américaine par les liens caractérisés de l'action avec les Etats-Unis, sans rechercher si les autres conditions nécessaires à la reconnaissance de la compétence judiciaire indirecte étaient réunies, la Cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des principes qui gouvernent la compétence internationale des juridictions, et l'article 5O9 du Code de Procédure Civile ;
ALORS, SURTOUT, et nonobstant les motifs relatifs à la fraude à la loi qui n'épuisent pas la discussion relative à la compétence, QUE les conclusions de M. X... indiquaient que Mme Y... avait déposé sa requête en divorce aux Etats-Unis dans l'intention de se soustraire à la procédure française déjà engagée, les conclusions de celle-ci confirmant qu'elle avait déposé sa requête dans les heures qui ont suivi l'annonce par son mari de la procédure engagée en France ; qu'en ne recherchant pas si la compétence du juge américain n'avait pas été frauduleusement sollicitée ce qu'accréditait l'affirmation inexacte au juge américain selon laquelle le juge français était incompétent à son égard, la cour d'appel a de plus fort entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des principes et dispositions susvisés ;
ALORS, ENFIN, QUE la vérification de la conformité d'une décision à l'ordre public international s'effectue au regard des principes de l'ordre public international français ; qu'en déduisant la conformité de la procédure américaine à l'ordre public international de la seule constatation que le juge américain n'était pas tenu d'appliquer les règles de litispendance ne relevant pas de l'ordre juridique américain, la Cour d'appel qui a ainsi esquivé la recherche du caractère frauduleux de la procédure engagée aux Etats-Unis, a violé les principes et le texte susvisé.