Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) L'Air Liquide pour l'étude et l'exploitation des procédés George Claude (société L'Air Liquide) a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de lui accorder la restitution du précompte mobilier dont elle s'est acquittée au titre des années 2000 à 2004, pour un montant total de 212 961 535 euros, assorti des intérêts moratoires.
Par une ordonnance du 15 septembre 2009, le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, sur le fondement de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, transmis cette demande au tribunal administratif de Montreuil.
Par un jugement n° 0902606 du 11 juillet 2014, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la restitution du précompte mobilier dont la société s'est acquittée à hauteur des sommes de 18 315 969 euros au titre de l'année 2002 et de 11 994 059 euros au titre de l'année 2003, et rejeté le surplus de sa demande.
Par un arrêt n° 14VE02786 du 7 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a porté à 42 443 780 euros au titre de l'année 2002 et 19 725 565 euros au titre de l'année 2003 le montant des restitutions prononcées en faveur de la société L'Air Liquide, réformé le jugement du tribunal administratif de Montreuil en ce qu'il a de contraire et rejeté le surplus des conclusions de la requête de la société L'Air Liquide.
Par une décision nos 443678, 443800 du 1er mars 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur les pourvois formés par le ministre de l'économie, des finances et de la relance et la société L'Air liquide, a annulé les articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt du 7 juillet 2020 de la cour administrative d'appel de Versailles, rejeté le pourvoi de la société L'Air liquide et le surplus du pourvoi du ministre, et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 septembre 2014, 24 juin 2015, 1er juin 2016, 20 février 2017, 28 juin 2017, 22 janvier 2018, 21 janvier 2019, 26 décembre 2019 et 12 février 2020 et, après cassation, un mémoire récapitulatif et un mémoire en réplique enregistrés les 16 mai et 18 juillet 2023, la société L'Air Liquide, représentée par Mes Blanluet et Madec, avocats, demande à la cour, dans le dernier état de son mémoire récapitulatif :
1°) d'annuler le jugement n° 0902606 du 11 juillet 2014 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de prononcer la restitution de l'intégralité du précompte mobilier dont elle s'est acquittée au titre des années 2002 et 2003 pour un montant total de 62 169 345 euros, assorti des intérêts moratoires prévus aux articles L. 207 et L. 208 du livre des procédures fiscales ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et la somme de 26 292,63 euros au titre de ses frais de traduction.
Elle soutient que le précompte qui doit lui être restitué est égal à la moitié des dividendes reçus des filiales européennes du groupe, dès lors qu'elle a financé le précompte sur des montants de réserves distribuables autres que les dividendes de source européenne qu'elle avait reçus, ce qui lui a permis de distribuer à ses actionnaires la totalité de ces dividendes ; il ressort de ses procès-verbaux d'assemblée générale ordinaire des actionnaires, de sa comptabilité et de ses états financiers, ainsi que de ses déclarations de précompte, qu'elle a distribué à ses actionnaires le double du montant du précompte dont elle demande la restitution ; elle apporte la preuve de la redistribution effective à ses actionnaires de l'intégralité des dividendes de source européenne.
Par des mémoires en défense enregistrés les 17 mars 2015, 18 décembre 2015, 14 octobre 2016, 22 mai 2017, 9 novembre 2017, 4 avril 2019 et 23 janvier 2020, et après cassation, les 22 juin et 18 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à la restitution d'une somme complémentaire de 11 136 202 euros, soit 9'979'884 euros au titre du précompte mobilier acquitté en 2002 et 1 156 318 euros au titre du précompte mobilier acquitté en 2003, et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il fait valoir que la demande de restitution ne peut être accueillie qu'à hauteur d'une somme correspondant au tiers des dividendes reçus et redistribués, que la société L'Air Liquide n'est pas recevable à reprendre devant la juridiction de renvoi les moyens définitivement écartés par le rejet de son pourvoi, et que les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 19 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en application de l'article L. 613-1 du code de justice administrative, au 30 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-416/17 du 4 octobre 2018 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-556/20 du 12 mai 2022 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dorion,
- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,
- et les observations de Mes Blanluet et Madec pour la société L'Air liquide et de M. A... pour le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Considérant ce qui suit :
1. La société anonyme (SA) L'Air Liquide pour l'étude et l'exploitation des procédés George Claude (société L'Air Liquide), société mère d'un groupe fiscalement intégré, a demandé à l'administration fiscale de lui accorder la restitution de l'intégralité du précompte mobilier dont elle s'est acquittée au titre des années 2000 à 2004, pour un montant total de 215 154 580 euros. Après rejet de sa réclamation, la société L'Air Liquide a porté le litige devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui a transmis l'affaire au tribunal administratif de Montreuil. Par un jugement du 11 juillet 2014, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la restitution, à hauteur de 18 315 969 euros et de 11 994 059 euros du précompte dont s'est acquittée la société au titre des distributions de dividendes intervenues en 2002 et 2003 et rejeté le surplus de sa demande. Par un arrêt du 7 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a porté le montant de cette restitution à 42 443 780 euros et 19 725 565 euros et rejeté le surplus de la requête d'appel de la société. Par une décision du 1er mars 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a rejeté le pourvoi formé par la société L'Air Liquide, annulé les articles 1er à 3 de l'arrêt du 7 juillet 2020 de la cour sur le pourvoi formé par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la cour.
Sur l'étendue du litige :
2. Par un courrier adressé à la société le 14 avril 2023, en vue de l'exécution de la décision du Conseil d'Etat du 1er mars 2023, l'administration fiscale a admis que le droit à restitution de la société L'Air Liquide au titre du précompte acquitté sur les dividendes reçus de ses filiales européennes redistribués à ses actionnaires devait être porté des sommes de 18 315 969 euros au titre de l'année 2002 et de 11 994 059 euros au titre de l'année 2003 accordées par le tribunal à la somme de 28 295 853 euros au titre du précompte acquitté au titre de l'année 2002 et à la somme de 13 150 377 euros au titre du précompte acquitté en 2003, et demandé à la société L'Air Liquide, à la suite de l'exécution de l'arrêt du 7 juillet 2020 de la cour et de la cassation partielle de cet arrêt, de rembourser à l'Etat la somme de 20 723 115 euros déchargée à tort par la cour. L'administration fiscale doit ainsi être regardée comme ayant dégrevé des sommes de 28 295 853 euros au titre de l'année 2002 et 13 150 377 euros au titre de l'année 2003. Par suite, il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de la société L'Air Liquide à hauteur de ces sommes.
Sur le surplus des conclusions de la demande :
3. Par un arrêt du 12 mai 2022 Schneider Electric et autres (C-556/20), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le paragraphe 1 de l'article 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 devait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu'une société mère est redevable d'un précompte en cas de redistribution à ses actionnaires de bénéfices versés par ses filiales lorsque ces bénéfices n'ont pas supporté l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun, dès lors que les sommes dues au titre de ce précompte dépassent le plafond de 5 % prévu au paragraphe 2 de ce même article 4. Il s'ensuit, ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat dans son arrêt nos 443678, 443800 du 1er mars 2023, qu'une société mère est fondée à obtenir la restitution du précompte qu'elle a acquitté à raison de la redistribution de dividendes reçus de ses filiales établies dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France, dès lors que l'article 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 fait obstacle à ce qu'elle soit soumise à une imposition sur de tels dividendes.
4. Aux termes de l'article 46 quater-0 D de l'annexe III du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " I. Les distributions qui n'ouvrent pas droit à l'avoir fiscal prévu à l'article 158 bis du code général des impôts sont prélevées, par priorité, sur les bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés ou exonérés de cet impôt au titre du dernier exercice clos et, en cas d'insuffisance de ces bénéfices, sur ceux des exercices antérieurs les plus récents. II. Les distributions qui ouvrent droit à l'avoir fiscal sont prélevées ensuite dans l'ordre suivant : D'abord, sur les bénéfices disponibles qui ont été soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal prévu au deuxième alinéa du I de l'article 219 du code déjà cité au titre du dernier exercice clos ; Puis, sur les bénéfices disponibles qui ont été imposés à ce même taux au titre d'exercices antérieurs clos depuis cinq ans au plus ; Enfin, sur tous autres bénéfices ou réserves disponibles. Toutefois, si la personne morale a encaissé, au cours d'exercices clos depuis cinq ans au plus, des produits de participations ouvrant droit au régime des sociétés mères, les distributions peuvent être librement imputées sur ces produits. II bis. Les distributions mises en paiement à compter du 1er janvier 2000, ouvrant droit ou non à l'avoir fiscal, sont prélevées d'abord sur les bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés ou exonérés au titre d'exercices clos depuis cinq ans au plus, puis sur tous les autres bénéfices ou réserves disponibles ". Aux termes du II de l'article 46 quater-0 E de la même annexe : " Les sommes dont l'imputation est réglée par le II et par le II bis [de l'article 46 quater-0 D] s'entendent du total des revenus distribués et du précompte afférent à la distribution ". Aux termes de l'article 46 quater 0 F de la même annexe : " La personne morale est tenue d'adresser au bureau désigné à l'article 381 T de la présente annexe une déclaration faisant connaître les imputations opérées conformément aux dispositions de l'article 46 quater-0 D. / Cette déclaration doit être souscrite dans le mois qui suit la répartition des produits, sur des imprimés fournis par l'administration ".
5. Il résulte de ces dispositions que les montants mentionnés dans la déclaration de précompte comme imputés sur les différents postes de résultats disponibles s'entendent du total des revenus effectivement distribués et du précompte y afférent. Est dès lors sans incidence la circonstance que le précompte aurait été imputé sur d'autres fonds ou distributions ne provenant pas de dividendes de source européenne.
6. Il résulte de l'instruction que la société L'Air liquide a déclaré avoir affecté à ses distributions et au précompte afférent à ces distributions, au titre de l'année 2002, 84 887 560 euros de dividendes reçus de ses filiales européennes de 1997 à 2001 et, au titre de l'année 2003, 39 451 130 euros de dividendes de source européenne reçus en 2001 et 2002. Le montant du précompte mobilier à restituer doit dès lors être fixé au tiers des dividendes de source européennes redistribués par la société L'Air Liquide, soit en l'espèce les sommes de 28 295 853 euros au titre du précompte acquitté au titre de l'année 2002 et de 13 150 377 euros au titre du précompte acquitté au titre de l'année 2003, admises par l'administration fiscale.
7. Il résulte de ce qui précède que la société L'Air Liquide n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement n° 0902606 du 11 juillet 2014, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté le surplus de sa demande de restitution.
Sur les frais de l'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
9. La société L'Air Liquide ne justifie pas des frais de traduction qu'elle prétend avoir supportés. Par suite, ses conclusions tendant à ce que ces frais soient mis à la charge de l'État ne peuvent qu'être rejetées
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de restitution du précompte mobilier acquitté par la société L'Air Liquide, à hauteur des sommes de 28 295 853 euros au titre de l'année 2002 et 13 150 377 euros au titre de l'année 2003 dégrevées en cours d'instance.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la société L'Air Liquide au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société L'Air Liquide est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme SA L'Air Liquide pour l'étude et l'exploitation des procédés George Claude et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente de chambre,
Mme Dorion, présidente-assesseure,
M. Tar, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 janvier 2024.
La rapporteure,
O. DORION La présidente,
F. VERSOLLa greffière,
S. LOUISERE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 23VE00459