Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler la décision du 4 mai 2020 par laquelle le ministre de la justice a prolongé pour une durée de trois mois à compter du 5 avril 2020 la mesure de placement à l'isolement dont il fait l'objet depuis le 13 décembre 2016, d'autre part, d'annuler la décision du 23 juillet 2020 par laquelle la même autorité a prolongé pour une durée de trois mois à compter du 5 août 2020 cette mesure de placement à l'isolement.
Par un jugement n°s 2000949 et 2001434 du 18 mars 2022, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du 4 mai 2020 ainsi que la décision du 23 juillet 2020 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 mai 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 18 mars 2022 en tant qu'il a annulé la décision du 4 mai 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Caen à fin d'annulation de la décision du 4 mai 2020.
Il soutient que :
- la décision contestée ne méconnaît pas les dispositions de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'oblige l'administration à informer la personne détenue de la possibilité de se faire assister par un conseil au titre de l'aide juridique ; M. C... a choisi de ne pas être représenté par un avocat alors qu'il avait été informé de la possibilité de se faire assister ou se faire représenter par un conseil dans le cadre de la procédure préalable ; il connaissait nécessairement la possibilité du recours à l'aide juridique et la mention " je suis informé que les frais ainsi engagés sont à ma charge " n'a pas été de nature à le dissuader de solliciter la désignation d'un avocat ; il a d'ailleurs sollicité l'assistance d'un avocat dans le cadre de la procédure relative à la décision du 23 juillet 2020, de même que pour la procédure d'isolement précédente menée le 5 février 2020 ; en tout état de cause, il n'a été privé d'aucune garantie ;
- pour le reste, il s'en remet à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 septembre 2022, M. C..., représenté par Me David, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le garde des sceaux, ministre de la justice ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 juillet 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de M. Pons, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., écroué depuis le 6 novembre 1995 et inscrit depuis le 29 septembre 1999 au répertoire des détenus particulièrement signalés, décision maintenue le 14 octobre 2019 compte-tenu de son appartenance à un réseau terroriste et à son rôle dans les attentats du GIA en France en 1995, est incarcéré au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe depuis le 22 octobre 2019. Il fait l'objet d'un placement à l'isolement, régulièrement renouvelé à chaque échéance depuis le 13 décembre 2016. Le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel du jugement du 18 mars 2022 en tant que le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du 4 mai 2020 par laquelle le ministre de la justice a prolongé pour une durée de trois mois à compter du 5 avril 2020 la mesure de placement à l'isolement dont M. C... fait l'objet.
Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Aux termes de l'article 726-1 du code de procédure pénale alors en vigueur : " Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée par l'autorité administrative, pour une durée maximale de trois mois, à l'isolement par mesure de protection ou de sécurité soit à sa demande, soit d'office. Cette mesure ne peut être renouvelée pour la même durée qu'après un débat contradictoire, au cours duquel la personne concernée, qui peut être assistée de son avocat, présente ses observations orales ou écrites. / (...) ". Aux termes de l'article R. 57-7-64 du même code : " Lorsqu'une décision d'isolement d'office initial ou de prolongation est envisagée, la personne détenue est informée, par écrit, des motifs invoqués par l'administration, du déroulement de la procédure et du délai dont elle dispose pour préparer ses observations. Le délai dont elle dispose ne peut être inférieur à trois heures à partir du moment où elle est mise en mesure de consulter les éléments de la procédure, en présence de son avocat, si elle en fait la demande. Le chef d'établissement peut décider de ne pas communiquer à la personne détenue et à son avocat les informations ou documents en sa possession qui contiennent des éléments pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes ou des établissements pénitentiaires. / (...) / ".
3. Il ressort des pièces du dossier que, le 2 avril 2020 à 11h55, M. C... a été informé par le directeur du centre pénitentiaire, d'une part, de la possibilité de présenter des observations écrites et, sur sa demande, des observations orales, et de se faire assister ou représenter par un avocat, d'autre part, qu'il disposait d'un délai ne pouvant être inférieur à trois heures pour préparer ses observations à partir du moment où il a été mis en mesure de consulter les éléments de la procédure, en présence de son avocat le cas échéant, s'agissant de la proposition du ministre de la justice de prolonger la mesure d'isolement dont il faisait l'objet.
4. Il ressort également des pièces du dossier que M. C... a été informé le 6 avril 2020 à 19h25 qu'il disposait d'un délai qui ne peut être inférieur à 3 heures avant la date du débat contradictoire pour préparer ses observations compte-tenu de la mise à sa disposition des éléments de procédure, conformément à l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale. La circonstance qu'il ait produit des observations écrites prématurément dès le 2 avril 2020 est sans incidence sur la possibilité qu'il conservait, et dont il a été informé, de produire des observations à compter de la mise à disposition des éléments de procédure, possibilité dont il n'a pas fait usage avant la décision du 4 mai 2020. M. C... n'établit d'ailleurs pas avoir été empêché par l'administration de produire de telles observations dans le délai qui lui a été imparti.
5. En outre, l'accusé de réception par lequel il atteste prendre connaissance des éléments de son dossier le 6 avril 2020 indique sans ambiguïté qu'il a communication des pièces suivantes : " le présent accusé de réception, mise en œuvre de l'article L. 122 avec accusé de réception, rapport de comportement, Avis JAP- US-DIP+ réponse ". Si M. C... soutient que l'avis de la vice-présidente chargée de l'application des peines compétente en matière de terrorisme (JAP) ne lui a pas été communiqué le 6 avril 2020 contrairement aux mentions figurant sur cet accusé de réception, et à supposer que cela soit avéré, il lui appartenait d'en demander la communication à l'administration dès signature de cet accusé, ce qu'il n'allègue pas avoir fait. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir qu'il a été privé d'une garantie. Par ailleurs, si la décision du 4 mai 2020 indique que l'avis de la vice-présidente chargée de l'application des peines compétente en matière de terrorisme a été pris le 20 avril 2020, cette erreur de plume est sans incidence sur la légalité de la décision.
6. Enfin, en utilisant la formulation " je suis informé que les frais ainsi engagés sont à ma charge " sur le document du 2 avril 2020 portant mise en œuvre de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration concernant la procédure d'isolement, l'administration n'a pas entendu priver le requérant de son droit à être assisté d'un avocat alors qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'oblige l'administration à indiquer qu'un détenu peut se faire assister par un conseil au titre de l'aide juridique. Au surplus, il n'est pas sérieusement contesté que l'intéressé avait déjà connaissance de la possibilité de se faire assister par un conseil au titre de l'aide juridique et qu'il est en contact régulier avec ses avocats. L'intéressé a notamment eu recours à l'aide juridictionnelle pour contester la décision de prolongement de mise à l'isolement précédente du 5 février 2020 ainsi qu'il ressort de l'accusé de réception signé par ses soins le 6 janvier 2020 à 11h30.
7. Dès lors, le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision du 4 mai 2020 par laquelle il a prolongé pour une durée de trois mois à compter du 5 avril 2020 la mesure de placement à l'isolement dont faisait l'objet M. C... depuis le 13 décembre 2016, le tribunal administratif de Caen s'est fondé sur le motif tiré de la méconnaissance de la procédure prévue par l'article
R. 57-7-64 du code de procédure pénale.
8. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le requérant devant le tribunal administratif de Caen et la cour.
Sur les autres moyens invoqués par M. C... :
9. En premier lieu, aux termes de l'article R. 57-7-68 code de procédure pénale alors en vigueur : " (...) / L'isolement ne peut être prolongé au-delà de deux ans sauf, à titre exceptionnel, si le placement à l'isolement constitue l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes ou de l'établissement. / Dans ce cas, la décision de prolongation doit être spécialement motivée. ". Après avoir visé les articles R. 57-7-64 et suivants et R. 57-7-73 et suivants du code de procédure pénale, la décision du 4 mai 2020 mentionne, en les développant, les faits ayant conduit à placer M. C... à l'isolement le 13 décembre 2016 ainsi que ceux rendant nécessaire la prolongation de l'isolement. La décision contestée comporte ainsi un énoncé complet et circonstancié des considérations de droit et de fait sur lesquelles s'est fondé le ministre de la justice pour considérer que le maintien à l'isolement de l'intéressé constituait le meilleur moyen de prévenir tout incident en détention et de garantir ainsi le bon ordre et la sécurité au sein de l'établissement. L'intéressé ne saurait utilement, s'agissant de la régularité formelle de la décision contestée, critiquer le bien-fondé des motifs sur lesquels elle repose. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
10. En deuxième lieu, M C... ne saurait utilement se prévaloir de la méconnaissance de la circulaire du 14 avril 2011 relative au placement à l'isolement des personnes détenues, qui ne contient aucune mesure impérative mais se borne à adresser des recommandations aux services.
11. En troisième et dernier lieu, M. C..., qui a fait l'objet d'une décision de maintien au répertoire des détenus particulièrement signalés depuis le 29 septembre 1999, motivée notamment par son appartenance à un réseau terroriste et son rôle dans la campagne d'attentats du GIA en France en 1995, sa grande détermination à se soustraire à la garde de l'administration pénitentiaire et l'importance des moyens logistiques dont il est susceptible de disposer, la persistance de sa personnalité violente et imprévisible ainsi que par son comportement menaçant à l'égard de l'institution judiciaire, a initialement été placé à l'isolement en raison de son comportement violent et destructeur en détention, attesté par les insultes et menaces proférées à l'encontre des personnels de surveillance et les nombreuses dégradations de cellules lors de ses affectations à la maison centrale de Saint-Maur et au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil. Il a été transféré le 22 octobre 2019 au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe. Pour justifier le prolongement de son placement à l'isolement, le ministre a fait état du rapport de l'établissement du 25 mars 2020 et celui de la direction interrégionale en date du 9 avril 2020 qui, en se basant sur la période de référence du 3 janvier 2020 au 25 mars 2020, indiquent que M. C... persiste dans son comportement, à savoir qu'il fait preuve de réticences quant à l'exécution des consignes données par les personnels, comme en atteste les observations faites dans le cadre du suivi des personnes détenues par les surveillants pénitentiaires des 3, 20, 21, 26 janvier et 25 mars 2020, qu'il adopte une attitude provocatrice à l'égard de ces derniers, comme en atteste les observations faites dans le cadre du suivi des personnes détenues par les surveillants pénitentiaires des 11, 27, 28, 29 février, 3, 4, 6, 8 et 12 mars 2020, enfin, que plusieurs observations des 31 janvier, 4 et 8 février 2020 font état du comportement manipulateur de l'intéressé, notamment à l'occasion de la commission pluridisciplinaire unique (CPU) du 6 février 2020 lors de laquelle il a été indiqué que l'intéressé " avait un discours lisse et sur-adapté afin d'obtenir un avis positif allant dans le sens de sa demande ", à savoir une sortie du quartier d'isolement, et du 20 février 2020 durant laquelle il a été indiqué " personne détenue qui adapte son discours à son interlocuteur pour servir ses intérêts ". Dans ces conditions, et compte-tenu du profil de M. C... tel que rappelé précédemment, le ministre de la justice n'a commis ni erreur manifeste d'appréciation ni erreur de droit en prolongeant, par la décision du 4 mai 2020, le placement à l'isolement de l'intéressé.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision du 4 mai 2020 par laquelle il a prolongé pour une durée de trois mois à compter du 5 avril 2020 la mesure de placement à l'isolement dont fait l'objet M. C... depuis le 13 décembre 2016.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 18 mars 2022 du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu'il annule la décision du 4 mai 2020 par laquelle le ministre de la justice a prolongé pour une durée de trois mois à compter du 5 avril 2020 la mesure de placement à l'isolement dont fait l'objet M. C... depuis le 13 décembre 2016.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Caen tendant à l'annulation de la décision du 4 mai 2020 et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à Me David et à la Première ministre.
Délibéré après l'audience du 17 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 février 2023.
La rapporteure,
L. B...
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C.WOLF
La République mande et ordonne à la Première ministre, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01602