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24/03/2022 | FRANCE | N°21VE02142

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 24 mars 2022, 21VE02142


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 15 juillet 2019, M. A... B... a demandé l'annulation de l'arrêté du 30 janvier 2019 par lequel le vice-président du Conseil d'Etat a prononcé la mutation de M. F... E... en qualité de président du tribunal administratif de Paris, ensemble la décision du 15 mai 2019 par laquelle le vice-président du Conseil d'Etat a rejeté son recours gracieux.

Par une ordonnance n° 432613 du 16 octobre 2019, le président de la secti

on du contentieux du Conseil d'Etat a attribué le jugement de cette requête au trib...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 15 juillet 2019, M. A... B... a demandé l'annulation de l'arrêté du 30 janvier 2019 par lequel le vice-président du Conseil d'Etat a prononcé la mutation de M. F... E... en qualité de président du tribunal administratif de Paris, ensemble la décision du 15 mai 2019 par laquelle le vice-président du Conseil d'Etat a rejeté son recours gracieux.

Par une ordonnance n° 432613 du 16 octobre 2019, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué le jugement de cette requête au tribunal administratif de Montreuil.

Par un jugement n° 1911571 du 9 avril 2021, ce tribunal a rejeté la demande de M. B....

Par une requête sommaire, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Paris le 9 juin 2021, M. B... a demandé l'annulation de ce jugement et de ces décisions.

Par une ordonnance n° 21PA03186 du 16 juin 2021, le président de la cour administrative d'appel de Paris a transmis le dossier de cette requête au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat.

Par une ordonnance n° 453731 du 15 juillet 2021, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué le jugement de cette requête à la cour administrative d'appel de Versailles, qui l'a enregistrée sous le n° 21VE02142.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, respectivement enregistrés les 9 juin 2021, 30 août 2021 et 14 février 2022, M. B..., représenté par la société civile professionnelle Thouvenin, Coudray et Grevy, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les décisions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il n'est pas établi que la minute du jugement attaqué aurait été signée par les magistrats qui l'ont rendu comme l'exige l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- le tribunal administratif a omis de répondre à la demande de récusation qu'il avait présentée oralement à l'audience puis ultérieurement par écrit ;

- ce jugement est irrégulier G... lors qu'il a été rendu aux conclusions d'un magistrat dont l'absence d'impartialité, à son égard, ne peut être exclue, en méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- pour le même motif, ce jugement est irrégulier G... lors qu'il a été rendu au rapport d'un magistrat ayant, à peine six mois auparavant, achevé une mobilité au sein du ministère de la justice, défendeur dans le présent litige, ce qui traduit une méconnaissance du paragraphe 32 de la charte de déontologie des membres de la juridiction administrative ;

- le tribunal administratif a méconnu son office en s'abstenant de diligenter une mesure d'instruction, pourtant sollicitée par l'exposant, tendant à ce que l'administration produise les dossiers des candidats au poste de président du tribunal administratif de Paris ;

- en sollicitant l'avis d'un consultant extérieur sur les candidats au poste de président de tribunal administratif, alors qu'un tel avis n'est prévu par aucun texte, que l'article L. 232-1 du code de justice administrative prévoit uniquement que la nomination à un tel poste est subordonnée à l'avis conforme du conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (CSTACAA), que cet avis extérieur, émis de surcroît par un consultant dont l'indépendance et les compétences ne sont pas établies, a nécessairement exercé une influence sur l'appréciation des candidatures et qu'il n'a pas été assorti des garanties statutaires applicables à l'évaluation des magistrats, le vice-président du Conseil d'Etat a entaché l'arrêté contesté d'un vice de procédure et d'une erreur de droit ; en outre, le principe d'égalité a été méconnu G... lors qu'il n'est pas établi que M. E... aurait été auditionné dans les six mois précédant le CSTACAA comme l'exposant l'a lui-même été ;

- l'arrêté contesté est intervenu au terme d'une procédure irrégulière G... lors qu'il n'a pas bénéficié, à la différence d'autres candidats, d'un entretien préalable avec le vice-président du Conseil d'Etat, en méconnaissance du principe d'égalité d'accès aux emplois publics, sans que cette différence de traitement ne puisse être justifiée par une différence dans la carrière antérieure de ces candidats en qualité de chef de juridiction ;

- en écartant sa candidature du processus de sélection G... le stade de ces entretiens préalables, motif pris de l'expérience respective des candidats en qualité de chef de juridiction, le vice-président du Conseil d'Etat a également commis une erreur de droit ;

- l'arrêté contesté n'a pas été précédé d'une consultation régulière du CSTACAA G... lors que les membres de celui-ci n'ont pas préalablement reçu l'entier dossier de chaque candidat, ainsi que le compte-rendu de leur entretien avec le consultant extérieur, qu'ils ont reçu oralement en séance des informations erronées et biaisées, que ce conseil ne s'est pas explicitement prononcé par un vote, en méconnaissance de l'article R. 232-24 du code de justice administrative, et qu'il n'a pas préalablement recueilli l'avis de la présidente de la mission d'inspection des juridictions administratives, en violation de l'article R. 232-22 du même code ;

- en tant qu'il est fondé sur un motif tiré de ce que le vice-président du tribunal administratif de Paris ne pouvait légalement être nommé au poste de président de cette juridiction, l'arrêté attaqué est entaché d'erreur de droit ;

- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses capacités par rapport à celles du candidat nommé ;

- l'examen de sa candidature a été entaché de discrimination.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 6 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 février 2022 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Par acte remis au greffe de la cour le 10 mars 2022, avant l'audience fixée le jour même à 9h30, M. B... a présenté des demandes de récusation respectivement dirigées contre M. Olson, président de la cour et de la formation de jugement, Mme Signerin-Icre, présidente de chambre et assesseure, et Mme Bobko, rapporteure publique, demandes dont le greffe a délivré récépissé et transmis copie aux membres de la juridiction ainsi visés à l'ouverture de l'audience publique.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- G... l'ouverture de celle-ci, les observations de M. B... sur ces demandes de récusation ;

- après suspension d'audience et réouverture de celle-ci :

- le rapport de M. C... ;

- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique ;

- et les observations de M. B....

Vu, enregistrées les 11 et 15 mars 2022, les notes en délibéré présentées par M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., titulaire du grade de président dans le corps des magistrats de tribunaux administratifs et de cours administratives d'appel, exerce, depuis le 1er septembre 2016, les fonctions de premier vice-président du tribunal administratif de Paris. L'intéressé a présenté sa candidature au poste de président de ce tribunal, vacant au 1er avril 2019. Après avis conforme rendu par le conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (CSTACAA) le 15 janvier 2019, le vice-président du Conseil d'Etat a, par un arrêté du 30 janvier 2019, prononcé la mutation à ce poste de M. Duchon-Doris, président du tribunal administratif de Nice. Par lettre du 12 mars 2019, reçue le 15 mars 2019, M. B... a formé un recours gracieux contre cet arrêté. Par décision du 15 mai 2019, le vice-président du Conseil d'Etat a rejeté ce recours. Par une requête enregistrée au Conseil d'Etat et transmise par celui-ci au tribunal administratif de Montreuil, M. B... a demandé l'annulation de ces deux décisions. Par un jugement du 9 avril 2021, dont M. B... relève appel, ce tribunal a rejeté sa demande.

Sur les demandes de récusation formées en appel par M. B... :

2. Aux termes de l'article R. 721-2 du code de justice administrative : " La partie qui veut récuser un juge doit, à peine d'irrecevabilité, le faire G... qu'elle a connaissance de la cause de la récusation. / En aucun cas la demande de récusation ne peut être formée après la fin de l'audience ". Aux termes de l'article R. 721-4 du même code : " La demande de récusation est formée par acte remis au greffe de la juridiction ou par une déclaration qui est consignée par le greffe dans un procès-verbal. / La demande doit, à peine d'irrecevabilité, indiquer avec précision les motifs de la récusation et être accompagnée des pièces propres à la justifier. / Il est délivré récépissé de la demande ". Les dispositions précitées s'appliquent tant aux membres de la formation de jugement qu'au rapporteur public.

3. En l'espèce, si M. B... a, par un acte remis au greffe de la cour le 10 mars 2022 avant l'audience fixée le jour même à 9h30, présenté des demandes de récusation respectivement dirigées contre M. Olson, président de la cour et de la formation de jugement, Mme Signerin-Icre, présidente de chambre et assesseure, et Mme Bobko, rapporteure publique, ces demandes écrites se bornent à mentionner, de manière abstraite et stéréotypée, que le requérant considère " que le parcours de ce(s) magistrat(e)s et/ou les relations de travail qu'il a entretenus avec lui (eux) font peser un doute sérieux sur leur impartialité ". Bien qu'invité, G... l'ouverture de l'audience, à présenter ses observations sur ces demandes de récusation, le requérant s'est alors borné à en réitérer oralement les termes précités, sans toutefois les assortir, avant la fin de l'audience, d'aucun élément de fait, ni d'aucune pièce justificative de nature à permettre, pour chacune des trois personnes ainsi visées, d'en connaitre les motifs. Dans ces conditions, ces trois demandes de récusation, faute d'énoncer le moindre élément à caractère personnel susceptible de mettre utilement en cause l'impartialité des membres de la formation de jugement contre lesquels elles sont dirigées, et étant ainsi dépourvues de toute consistance, ne peuvent être regardées comme indiquant avec précision les motifs de la récusation sollicitée, au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article R. 721-4 du code de justice administrative. Elles sont, par suite, irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées, sans qu'il y ait lieu de mettre en œuvre la procédure prévue, pour l'appréciation du bien-fondé d'une demande de récusation recevable, par l'article R. 721-9 du même code.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

5. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué a été signée par la présidente de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. Par ailleurs, la circonstance que l'ampliation de ce jugement adressée à M. B... n'aurait pas comporté ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement. Le requérant n'est, G... lors, pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier de ce chef.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui a eu connaissance de la composition de la formation de jugement et de l'identité du rapporteur public, au plus tard, lors de l'audience tenue par la 3ème chambre du tribunal administratif de Montreuil le 26 mars 2021, et son conseil ont respectivement présenté une demande écrite de récusation, à l'endroit de ce rapporteur public, par lettres du 1er avril 2021. Si ces lettres mentionnent que M. B... aurait " signalé l'irrégularité de la composition de la chambre G... ses observations orales ", l'intéressé n'établit, ni même n'allègue, avoir présenté, au cours de l'audience, une demande de récusation par un acte remis au greffe ou par une déclaration orale que celui-ci aurait dû consigner conformément aux dispositions précitées de l'article R. 721-4 du code de justice administrative. Dans ces conditions, la demande de récusation présentée par le requérant doit être regardée comme n'ayant été formée que le 1er avril 2021, soit après la fin de l'audience. G... lors, le tribunal administratif n'a pas entaché son jugement d'irrégularité en se bornant à viser cette demande de récusation tardive, sans y répondre dans les motifs de celui-ci.

7. En troisième lieu, M. B... fait, d'une part, valoir que le magistrat ayant exercé les fonctions de rapporteur public devant le tribunal administratif de Montreuil avait auparavant été affecté dans l'une des chambres composant la 3ème section du tribunal administratif de Paris, lorsqu'il présidait celle-ci entre 2009 et 2012, et avait notamment exercé ses fonctions sous sa propre présidence en janvier et février 2010. Toutefois, cette circonstance, compte tenu notamment du délai écoulé entre la fin de cette coïncidence d'affectations au sein de la même juridiction d'une part, et la procédure contentieuse introduite postérieurement par le requérant d'autre part, n'est pas, en elle-même, de nature à faire naître un doute sur l'impartialité du magistrat ainsi visé. M. B... expose également ne pouvoir " exclure l'hypothèse " selon laquelle ce magistrat aurait pu conserver un ressentiment à son égard, concernant un différend qui aurait, à l'époque, opposé celui-ci à la présidente du tribunal administratif de Paris à propos d'une promotion. Toutefois, les écritures et pièces versées au dossier ne permettent pas, ainsi que le fait valoir le ministre en défense, de corroborer le bien-fondé de ces allégations, qui ne sont étayées par aucun commencement de preuve, notamment des avis, correspondances, courriels ou attestations de collègues, d'une quelconque intervention du requérant dans un tel différend. Par suite, ces affirmations ne peuvent, à elles-seules, faire naître un doute sur l'impartialité du magistrat en cause. Enfin, le requérant ne saurait sérieusement soutenir qu'un tel doute pourrait naître de la circonstance que le magistrat ainsi visé, peu après avoir conclu lors de l'audience susmentionnée du 26 mars 2021, a obtenu la mutation qu'il avait sollicitée dans une autre juridiction. G... lors, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait, à ce titre, été rendu en méconnaissance du principe d'impartialité, rappelé par les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être écarté.

8. En quatrième lieu, M. B... soutient que le principe d'impartialité aurait également été méconnu G... lors que le magistrat rapporteur de l'affaire devant le tribunal administratif avait accompli, quelques mois auparavant, sa mobilité statutaire au sein du ministère de la justice, défendeur dans cette instance. Toutefois, le garde des sceaux, ministre de la justice fait valoir, sans être utilement contredit, que ce magistrat a, durant cette mobilité, exercé les fonctions d'adjoint au chef du bureau du droit constitutionnel et du droit public général, au sein de la direction des affaires civiles et du sceau, bureau et direction qui n'étaient pas chargés du contentieux des décisions individuelles concernant les magistrats administratifs. Le requérant n'établit, ni même n'allègue, que ce magistrat, durant sa mobilité, aurait eu à connaître de sa situation à un quelconque titre. Dans ces conditions, le moyen ainsi soulevé doit être écarté. Enfin, M. B... n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir qu'en participant au jugement de cette affaire, ce magistrat, qui n'a pas exercé de fonctions auprès du vice-président du Conseil d'Etat, auteur des décisions contestées, aurait méconnu le paragraphe 32 de la charte de déontologie des membres de la juridiction administrative, dont les recommandations se bornent à préconiser de bonnes pratiques, sans se substituer aux principes et dispositions, notamment statutaires, régissant l'exercice de leurs fonctions.

9. En cinquième lieu, aux termes de l'article R. 611-10 du code de justice administrative : " Sous l'autorité du président de la chambre à laquelle il appartient (...), le rapporteur (...) peut demander aux parties, pour être jointes à la procédure contradictoire, toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige ".

10. En l'espèce, si M. B... fait grief au tribunal administratif de ne pas avoir sollicité, en application des dispositions précitées de l'article R. 611-10 du code de justice administrative, la production par l'administration de son dossier de candidature et de celui de M. E..., il ressort des pièces du dossier de première instance que le garde des sceaux, ministre de la justice et M. B... avaient fourni des informations précises et circonstanciées sur le parcours professionnel et les qualités reconnues à chacun de ces deux candidats, à la date de l'arrêté contesté du 30 janvier 2019. G... lors qu'ils étaient ainsi suffisamment éclairés par les écritures et pièces versées aux débats sur les mérites respectifs des intéressés, afin d'apprécier la légalité de cet arrêté, les juges de première instance n'ont pas méconnu leur office en s'abstenant de diligenter une telle mesure d'instruction.

11. En dernier lieu, à supposer que M. B... ait entendu soulever un moyen de régularité du jugement attaqué en indiquant, uniquement en incise d'une argumentation consacrée au fond du litige, que le tribunal administratif n'aurait pas répondu au moyen tiré de ce que le vice-président du Conseil d'Etat avait commis une erreur de droit en écartant sa candidature au motif qu'il ne pouvait être nommé président d'un tribunal dans lequel il exerçait déjà les fonctions de vice-président, il ressort des motifs énoncés au point 10 du jugement attaqué que le tribunal a relevé que la secrétaire générale du Conseil d'Etat avait souligné devant le CSTACAA que, parmi les atouts de la candidature de M. B..., ce dernier avait déjà exercé les fonctions de chef de juridiction et que son ancienneté dans le poste de vice-président du tribunal administratif de Paris impliquait une réelle connaissance du fonctionnement de cette juridiction. Ce faisant, le tribunal administratif doit être regardé comme ayant, implicitement mais nécessairement, écarté comme manquant en fait le moyen d'erreur de droit ainsi soulevé.

12. Il résulte de ce qui précède que les moyens soulevés par M. B... et tirés de l'irrégularité du jugement attaqué doivent être écartés.

Sur la légalité des décisions contestées :

13. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, depuis 2015, tous les magistrats présentant leur candidature à un poste de président de tribunal administratif sont reçus, à l'occasion d'un entretien individuel, par M. D..., consultant extérieur aux juridictions administratives et spécialiste des ressources humaines, qui est chargé par le secrétariat général du Conseil d'Etat d'apprécier les qualités managériales des intéressés. A ce titre, ce consultant a notamment reçu M. B... en juin 2018, pour les besoins d'une précédente candidature de l'intéressé à des fonctions de chef de juridiction, de même que les trois autres candidats au poste de président du tribunal administratif de Paris à l'occasion de cette candidature ou d'une candidature antérieure à un poste de président de tribunal administratif. Si la consultation de cet intervenant extérieur n'est prévue par aucun texte, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités compétentes se seraient estimées liées par ses avis, qui n'étaient d'ailleurs ni versés au dossier administratif des magistrats ainsi auditionnés ni communiqués au CSTACAA, ou que ces consultations auraient eu pour effet de porter atteinte aux garanties statutaires dont disposaient les intéressés, ce conseil ayant pu, lors de sa séance du 15 janvier 2019, prendre connaissance des quatre candidatures présentées pour ce poste, dont celle de M. B..., conformément aux dispositions, citées au point 15, de l'article L. 232-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, la circonstance, à la supposer établie, que M. E... n'aurait pas été reçu par M. D... dans les six mois précédant la séance du CSTACAA, ainsi que le requérant l'a été, n'est pas de nature à révéler une méconnaissance du principe d'égalité entre les candidats. Dans ces conditions, les consultations ainsi diligentées auprès de M. D..., qui n'ont eu, contrairement à ce que soutient le requérant, ni pour objet ni pour effet de se substituer à l'évaluation annuelle des magistrats concernés, n'ont pas vicié la procédure, ni davantage entaché l'arrêté contesté du 30 janvier 2019 d'une erreur de droit.

14. En deuxième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait au vice-président du Conseil d'Etat, autorité investie du pouvoir de nomination, de recevoir, en entretien individuel, un candidat à la présidence d'un tribunal administratif, préalablement à la consultation du CSTACAA. Par ailleurs, il est, en l'espèce, constant que M. B... a bénéficié, à l'occasion d'une précédente candidature à un poste de chef de juridiction, d'un entretien individuel avec le vice-président du Conseil d'Etat en juin 2018. Dans ces conditions, la circonstance qu'un tel entretien n'ait pas été réitéré avant la séance tenue par le CSTACAA le 15 janvier 2019, circonstance qui n'a nullement conduit à ce que la candidature du requérant soit écartée de celles présentées lors de ce conseil, n'est, en tout état de cause, pas de nature à avoir entaché d'irrégularité la procédure de nomination suivie, ni davantage à révéler l'existence d'une atteinte au principe d'égalité. Enfin, pour les mêmes motifs, manque en fait le moyen tiré de ce que l'autorité compétente aurait écarté la candidature de M. B... G... le stade de ces entretiens préalables et, ce faisant, commis une erreur de droit.

15. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 232-1 du code de justice administrative : " Le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel connaît des questions individuelles intéressant les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel dans les conditions prévues par le présent article ou par un décret en Conseil d'Etat. / (...) Il est saisi pour avis conforme sur la nomination des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel en qualité de (...) président d'un tribunal administratif (...) ". Aux termes de l'article R. 232-22 du même code : " (...) Lorsque le Conseil supérieur prend une décision ou émet une proposition sur le fondement de l'article L. 232-1, il se prononce après avoir recueilli l'avis du conseiller d'Etat, président de la mission d'inspection des juridictions administratives (...) ". Aux termes de l'article R. 232-24 du même code : " Le Conseil supérieur prend ses décisions et émet ses avis et ses propositions à la majorité des suffrages exprimés. / Pour les affaires individuelles, le vote a lieu à bulletin secret si l'un des membres le réclame (...) ".

16. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la présidente de la mission d'inspection des juridictions administratives a émis, le 11 janvier 2019, un avis favorable à la nomination de M. E... comme président du tribunal administratif de Paris. G... lors, le moyen tiré de ce que le CSTACAA n'aurait pas recueilli cet avis, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 232-22 du code de justice administrative, manque en fait.

17. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, par un courriel du 21 décembre 2018, la secrétaire générale des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel avait mis à la disposition des membres du CSTACAA, en vue de sa séance du 15 janvier 2019, un tableau préparatoire, qui recensait les quatre candidatures présentées pour le poste de président du tribunal administratif de Paris et comportait des indications synthétiques relatives notamment à l'âge, aux grade et échelon, à l'ancienneté dans le corps et le grade, et à la dernière affectation des intéressés, ainsi qu'un accès, via la plate-forme informatique Agora, au dossier de candidature présenté par chacun d'entre eux. A cet égard, aucune disposition n'exigeait que soient, en outre, préalablement transmis aux membres de ce conseil l'entier dossier administratif des candidats et le compte-rendu de l'entretien que ceux-ci avaient réalisé avec M. D..., dans les conditions rappelées au point 13 du présent arrêt. Par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal de la séance du CSTACAA du 15 janvier 2019, que les membres de ce conseil ont en outre reçu oralement des informations complémentaires sur l'expérience et les qualités professionnelles propres à ces quatre candidats, ainsi que sur les motifs pour lesquels l'autorité de nomination envisageait de nommer M. E... en qualité de président du tribunal administratif de Paris. Dans ces conditions, les membres du CSTACAA, qui n'ont d'ailleurs présenté aucune observation particulière ou question sur ce point, ont disposé d'informations suffisantes pour se prononcer, lors de cette séance, en toute connaissance de cause. Enfin, si l'autorité de nomination, qui a rappelé les mérites propres à chacune des quatre candidatures examinées, a certes pu, à cette occasion, mettre plus particulièrement en exergue ceux du candidat dont elle estimait qu'il présentait la meilleure adéquation avec le poste à pourvoir et justifiait, en conséquence, la nomination soumise à l'avis conforme du conseil, il ne ressort toutefois pas des mentions du compte-rendu de séance que ces informations auraient, comme le soutient le requérant, été " erronées et biaisées ". Par suite, le moyen tiré de ce que l'avis émis par le CSTACAA le 15 janvier 2019, eu égard aux informations lui ayant été transmises, aurait été rendu dans des conditions irrégulières doit être écarté.

18. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'un au moins des membres du CSTACAA aurait, lors de la séance du 15 janvier 2019, demandé que la proposition de nommer M. E... en qualité de président du tribunal administratif de Paris fasse l'objet, ainsi que le permettaient les dispositions précitées de l'article R. 232-24 du code de justice administrative, d'un vote à bulletin secret. Ainsi, les membres de ce conseil ont pu, sans irrégularité, exprimer oralement leur position, sans que cela suscite d'observation, de réserve ou de désaccord de leur part. En l'absence de toute abstention déclarée et de tout vote défavorable exprimé sur cette proposition, le vice-président du Conseil d'Etat a donc pu, à juste titre, constater que cette dernière faisait consensus, c'est-à-dire que les membres du conseil y étaient unanimement favorables, ce qu'aucun d'eux n'a alors démenti. Dans ces conditions, le conseil n'était pas tenu de faire, en outre, confirmer individuellement par chacun de ses membres le vote favorable ainsi exprimé. G... lors, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'avis conforme du CSTACAA aurait été rendu en méconnaissance de l'article R. 232-24 du code de justice administrative.

19. En cinquième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 11 du présent arrêt, il ne ressort pas des pièces du dossier et, notamment, de l'avis rendu par le CSTACAA le 15 janvier 2019 que le vice-président du Conseil d'Etat aurait retenu, à tort, que le vice-président du tribunal administratif de Paris ne pouvait légalement être nommé au poste de président de cette juridiction. G... lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté du 30 janvier 2019 serait entaché d'une telle erreur de droit doit être écarté. De même, manque en fait le moyen tiré de ce que le vice-président du Conseil d'Etat aurait écarté la candidature du requérant au motif qu'il n'occupait pas alors un poste de chef de juridiction.

20. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier et, notamment, du compte-rendu de la séance tenue par le CSTACAA le 15 janvier 2019 que, compte tenu tant des spécificités du tribunal administratif de Paris que de sa situation à l'époque, l'autorité de nomination, en vue de pourvoir le poste de président de ce tribunal, recherchait un candidat disposant déjà d'une expérience significative comme chef de juridiction et de qualités managériales particulièrement reconnues. A cet égard, il est constant que M. E... exerçait les fonctions de chef de juridiction, en tant que président des tribunaux administratifs de Toulon puis de Nice, depuis cinq ans à la date de l'arrêté contesté du 30 janvier 2019, fonctions dans l'exercice desquelles lui avaient été reconnues une grande maîtrise managériale, ainsi que d'éminentes qualités en matière de communication et de relations publiques. Dans ces conditions, en prononçant, par cet arrêté, la mutation de ce dernier au poste de président du tribunal administratif de Paris, le vice-président du Conseil d'Etat n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation, laquelle ne saurait, en tout état de cause, ressortir uniquement des mérites dont se prévaut M. B....

21. En dernier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : " Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, de son état de santé, de sa perte d'autonomie, de son handicap, de ses caractéristiques génétiques, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. / Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés (...) ". Aux termes de l'article 4 de la même loi : " Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles (...) ".

22. Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, G... lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux qui permettent d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

23. M. B... reprend, en appel, le moyen tiré de ce que l'examen de sa candidature, au cours de la procédure de nomination suivie en l'espèce, aurait fait l'objet d'un traitement discriminatoire, à raison d'une démarche qu'il avait auparavant engagée auprès du Conseil d'Etat, en avril 2018, tendant à ce que le décès de son épouse soit reconnu comme présentant un lien avec le service qu'elle accomplissait au sein d'une juridiction administrative. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier, eu égard à la procédure décrite ci-dessus, que la candidature de M. B... au poste de président du tribunal administratif de Paris ait été instruite puis examinée dans des conditions entachées d'une discrimination directe ou indirecte, par rapport aux trois autres candidatures reçues. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier, comme l'ont relevé les premiers juges au vu des échanges contradictoires déjà menés sur ce point, un quelconque élément de nature à faire présumer que le choix de nommer à ce poste M. E..., pour les motifs rappelés au point 20 du présent arrêt, plutôt que M. B... présenterait un lien avec la démarche engagée par celui-ci à la suite du décès de son épouse. Dans ces conditions, les éléments de fait allégués par M. B... en l'espèce ne peuvent être regardés comme étant susceptibles de faire présumer une atteinte au principe d'égalité de traitement des personnes qui aurait été commise à son encontre. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté du 30 janvier 2019 serait entaché d'une discrimination prohibée par les dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 ne peut qu'être écarté.

24. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. B... d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. F... E....

Copie en sera adressée au vice-président du Conseil d'Etat.

Délibéré après l'audience du 10 mars 2022, à laquelle siégeaient :

M. Olson, président de la cour,

Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,

M. Toutain, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2022.

Le rapporteur,

E. C...Le président,

T. OLSONLa greffière,

C. YARDELa République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 21VE02142 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE02142
Date de la décision : 24/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-05-01-02 Fonctionnaires et agents publics. - Positions. - Affectation et mutation. - Mutation.


Composition du Tribunal
Président : M. OLSON
Rapporteur ?: M. Eric TOUTAIN
Rapporteur public ?: Mme BOBKO
Avocat(s) : SCP THOUVENIN COUDRAY GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-03-24;21ve02142 ?
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