Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Hipay a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, des cotisations de retenue à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014.
Par un jugement n° 1903652/1-2 du 9 mars 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 7 mai 2021, 14 octobre 2021, 15 novembre 2022, 30 novembre 2022, 23 février 2023 et 27 mars 2023, la société Hipay, représentée par Me Collet et Me Daudé, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 mars 2021 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, de ces impositions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa demande de première instance n'était pas tardive ;
- l'avis de mise en recouvrement des impositions contestées est irrégulier dès lors qu'il ne comporte pas certaines des mentions obligatoires prévues à l'article L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration, auquel l'article L. 256 du livre des procédures fiscales renvoie ;
- elle n'est pas la débitrice des sommes versées en rémunération des prestations fournies par les marchands au sens de l'article 182 B du code général des impôts ;
- l'administration n'établit pas que les marchands n'avaient pas d'installation professionnelle permanente en France ; elle a méconnu l'instruction administrative référencée BOI-IR-DOMIC-10-20-20-50 n° 40 du 12 septembre 2012 ;
- l'application de la retenue à la source à son niveau n'est pas compatible avec le statut réglementé applicable à son activité d'établissement de paiement, et notamment avec les dispositions des articles L. 133-11 et L. 522-4 du code monétaire et financier ;
- à titre subsidiaire, les dispositions de l'article 182 B du code général des impôts, telles qu'interprétées par le ministre, sont contraires au principe d'égalité devant les charges publiques et au droit de propriété garantis par la Constitution et au droit au respect des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 septembre 2021, 21 octobre 2021, 6 février 2023 et 24 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- à titre principal, le jugement attaqué n'a pas statué sur la fin de non-recevoir opposé par l'administration fiscale, d'une part, et que la demande de première instance de la société requérante est irrecevable en ce qu'elle était tardive ;
- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Daudé, avocat de la société Hipay.
Considérant ce qui suit :
1. La société Hipay, qui est un établissement de paiement agréé par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 à l'issue de laquelle le service a mis à sa charge, sur le fondement des dispositions de l'article 182 B du code général des impôts, des cotisations de retenue à la source, assorties de pénalités et d'intérêts de retard, pour un montant total de 850 569 euros au titre de l'année 2013 et de 1 826 523 euros au titre de l'année 2014. La société Hipay fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, de ces impositions.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Le ministre soutient en appel, comme en première instance, que la demande de la société Hipay, enregistrée au Tribunal administratif de Paris le 22 février 2019, est tardive et, par suite, irrecevable.
3. Aux termes de l'article L. 199 du livre des procédures fiscales : " En matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, les décisions rendues par l'administration sur les réclamations contentieuses et qui ne donnent pas entière satisfaction aux intéressés peuvent être portées devant le tribunal administratif / (...) ". Aux termes de l'article R. 199-1 de ce livre : " L'action doit être introduite devant le tribunal compétent dans le délai de deux mois à partir du jour de la réception de l'avis par lequel l'administration notifie au contribuable la décision prise sur la réclamation, que cette notification soit faite avant ou après l'expiration du délai de six mois prévu à l'article R. 198-10 / (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".
4. Le contribuable, à qui il appartient en principe, en cas de déménagement, de faire connaître à l'administration son changement d'adresse, prend néanmoins les précautions nécessaires pour que le courrier lui soit adressé à sa nouvelle adresse, et ne puisse donc lui être régulièrement notifié qu'à celle-ci, lorsqu'il informe La Poste de sa nouvelle adresse en demandant que son courrier y soit réexpédié. Il en est de même lorsque l'intéressé accomplit ces mêmes diligences en cas de changement temporaire d'adresse.
5. Il résulte de l'instruction qu'en raison du déménagement de son siège social, la société Hipay a souscrit auprès de La Poste deux contrats de réexpédition définitive de son courrier depuis une adresse située 6 place du Colonel-Bourgoin à Paris (12ème arrondissement) vers une autre adresse située 94 rue de Villiers à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), pour une période allant du 1er décembre 2017 au 31 décembre 2019. Le 20 septembre 2018, l'administration fiscale a envoyé à la société Hipay, à son ancienne adresse de Paris, un pli contenant la décision rejetant sa réclamation préalable du 12 mars 2018. Si le ministre établit que ce pli a été réceptionné à l'adresse parisienne le 24 septembre 2018, que la signature apposée sur l'accusé de réception de ce pli est identique à celle figurant sur les accusés de réception des plis contenant les réponses du supérieur hiérarchique du 7 décembre 2017 et de l'interlocutrice régionale du 20 décembre 2017 et adressés à la même adresse parisienne et qu'enfin, en mai 2018, la plaque située à l'entrée du 6 place du Colonel-Bourgoin à Paris mentionnait encore la société Hipay parmi les autres sociétés situées à cette adresse, ces circonstances ne peuvent toutefois être utilement invoquées par le ministre pour justifier que la décision de rejet de la réclamation préalable aurait été régulièrement notifiée compte tenu de ce qui a été dit au point précédent. Par ailleurs, le ministre n'établit pas plus en appel qu'en première instance que les contrats de réexpédition auraient été résiliés avant terme, à la date du 20 septembre 2018. Dans ces conditions, la décision de rejet du 20 septembre 2018 ne peut être regardée comme ayant été régulièrement notifiée à la société Hipay le 24 septembre 2018. Par suite, la demande de première instance de la société Hipay, introduite le 22 février 2019, ne pouvant être regardée comme tardive, la fin de non-recevoir opposée par le ministre à cette demande doit être écartée.
Sur le fond du litige :
6. Aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, dans sa rédaction issue du III de l'article 90 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, applicable aux avis de mise en recouvrement émis à compter du 1er janvier 2017 : " Sont dispensés de la signature de leur auteur, dès lors qu'ils comportent ses prénom, nom et qualité ainsi que la mention du service auquel celui-ci appartient, les actes suivants : / (...) / 2° Quelles que soient les modalités selon lesquelles ils sont portés à la connaissance des intéressés, (...) les avis de mise en recouvrement (...) ". Aux termes de l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales : " Constituent des titres exécutoires les arrêtés, états, rôles, avis de mise en recouvrement, titres de perception ou de recettes que l'Etat, les collectivités territoriales ou les établissements publics dotés d'un comptable public délivrent pour le recouvrement des recettes de toute nature qu'ils sont habilités à recevoir ". Aux termes de l'article L. 256 de ce livre, dans sa rédaction issue du IV de l'article 90 de la loi précitée du 29 décembre 2016, applicable aux avis de mise en recouvrement émis à compter du 1er janvier 2017 : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public compétent à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité / (...) / L'avis de mise en recouvrement est individuel. Il est émis et rendu exécutoire par l'autorité administrative désignée par décret, selon les modalités prévues aux articles L. 212-1 et L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration (...) ". Il résulte de ces dispositions que les avis de mise en recouvrement émis à compter du 1er janvier 2017 n'ont pas nécessairement à comporter la signature de leur auteur, dès lors que, par les autres mentions qu'ils comportent, ils sont conformes aux prescriptions de l'article L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration.
7. Il résulte de l'instruction que les impositions, les pénalités et les intérêts de retard en litige ont été mis à la charge de la société Hipay par un avis de mise en recouvrement ampliatif en date du 16 janvier 2018. Outre la date, ce document comportait l'identification du service des impôts des entreprises de Paris 12ème Daumesnil, chargé du recouvrement et, dans le cadre " Nom et qualité du signataire ", les mots : " Le comptable public ". Ces mentions ne mettant pas, à elles seules, à même le destinataire de cet avis d'en identifier le signataire ainsi que sa qualité, la société requérante est fondée à soutenir que cet avis est irrégulier et, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué ni d'examiner les autres moyens de la requête, que c'est à tort que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande et à demander à être déchargée, en droits, pénalités et intérêts de retard, des cotisations de retenue à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Hipay et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1903652/1-2 du Tribunal administratif de Paris du 9 mars 2021 est annulé.
Article 2 : La société Hipay est déchargée des cotisations de retenue à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des pénalités et des intérêts de retard correspondants.
Article 3 : L'Etat versera à la société Hipay une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Hipay est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Hipay, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au directeur chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président,
- Mme Hamon, présidente assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2023.
Le rapporteur,
M. DESVIGNE-REPUSSEAU
Le président,
C. JARDIN
La greffière,
L. CHANA
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA02505