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22/03/2022 | FRANCE | N°21NC03181

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 22 mars 2022, 21NC03181


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 13 novembre 2021 par lequel le préfet de la Haute-Saône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a interdit le retour sur le territoire pendant une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2103309 du 19 novembre 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. >
Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 décem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 13 novembre 2021 par lequel le préfet de la Haute-Saône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a interdit le retour sur le territoire pendant une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2103309 du 19 novembre 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 décembre 2021 et le 22 février 2022 sous le n° 21NC03181, M. A..., représenté par Me Corsiglia, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 2103309 du 19 novembre 2021 du tribunal administratif de Nancy ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Saône du 13 novembre 2021 ;

3°) de mettre fin immédiatement à son placement en rétention ;

4°) d'enjoindre au préfet d'enregistrer sa demande d'admission au séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit et de fait en ce qu'il a clairement fait part de son souhait de demander l'asile en France lors de son audition devant les services de gendarmerie de Vesoul le 12 novembre 2021, et, qu'ainsi, le premier juge aurait dû prononcer l'annulation de l'arrêté du 13 novembre 2021 ;

- il en résulte que la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale ;

- cette même décision méconnaît les stipulations de l'article 33 de la convention de Genève ;

- l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français prive de base légale les décisions refusant le délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2022, le préfet de la Haute-Saône conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- M. A... ne saurait être regardé comme ayant véritablement demandé l'asile lors de son entretien devant les services de la gendarmerie de Vesoul le 12 novembre 2021 dès lors que cette demande n'a pas été enregistrée par l'autorité administrative compétente et a été sollicitée de manière laconique à la suite de son interpellation ;

- cette demande est au demeurant dilatoire ;

- il a eu la possibilité de demander l'asile en rétention ;

- le requérant ne peut se prévaloir des dispositions des articles R. 521-4 et R. 521-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il ne s'est pas présenté aux autorités compétentes pour instruire sa demande d'asile et n'a produit aucune pièce justificative à son appui ;

- il s'ensuit que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas illégale et que les décisions refusant le délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français ne sont pas privées de base légale.

- l'arrêté du 13 novembre 2021 étant légal, rien ne s'oppose à ce que M. A... reste en rétention.

Par une décision du 7 février 2022, le requérant a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

II. Par une requête enregistrée le 10 décembre 2021 sous le n° 21NC03182, M. A..., représenté par Me Corsiglia, demande à la cour :

1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2103309 du 19 novembre 2021 du tribunal administratif de Nancy ;

2°) de mettre fin immédiatement fin à sa rétention administrative ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'exécution du jugement du tribunal administratif de Nancy est susceptible d'entraîner pour lui des conséquences difficilement réparables, dès lors qu'il peut être renvoyé en Egypte à tout moment où il risque d'être exposé à des menaces ;

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur de fait en ce qu'il a clairement fait part de son souhait de demander l'asile en France lors de son audition devant la brigade de gendarmerie de Vesoulle 12 novembre 2021 et que, de ce fait, il n'aurait pas dû faire l'objet d'une mesure d'éloignement.

La requête a été communiquée le 22 décembre 2021 au préfet, qui n'a pas produit.

Par une décision du 7 février 2022, le requérant a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Ghisu-Deparis, présidente, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant égyptien, né le 18 février 1991 est entré irrégulièrement en France dans le courant de l'année 2008, selon ses déclarations. Le 12 novembre 2021, l'intéressé a fait l'objet d'un contrôle routier alors qu'il venait de commettre un excès de vitesse, lors duquel il a présenté un permis de conduire italien qui s'est avéré ne pas être le sien. Faute de pouvoir justifier d'un séjour régulier sur le territoire, le préfet de la Haute-Saône, par un arrêté du 13 novembre 2021, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a interdit de revenir en France pendant une durée de deux ans. Par un jugement du 19 novembre 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Par les requêtes enregistrées sous les numéros 21NC03181 et 21NC03182, qu'il y a lieu de joindre, M. A... relève appel de ce jugement et en demande le sursis à exécution.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente qui enregistre sa demande et procède, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement ". Aux termes de l'article L. 521-7 du même code : " Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. / La délivrance de cette attestation ne peut être refusée au motif que l'étranger est démuni des documents et visas mentionnés à l'article L.311-1. Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux c ou d du 2° de l'article L. 542-2. / Cette attestation n'est pas délivrée à l'étranger qui demande l'asile à la frontière ou en rétention ". Enfin, aux termes de l'article L. 542-2 du même code : " (...) 2° Lorsque le demandeur : (...) c) présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d'une première demande de réexamen ; d) fait l'objet d'une décision définitive d'extradition vers un Etat autre que son pays d'origine ou d'une décision de remise sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen ou d'une demande de remise par une cour pénale internationale (..) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) lorsqu'un étranger, se trouvant à l'intérieur du territoire français, demande à bénéficier de l'asile, l'enregistrement de sa demande relève du préfet de département (...) ", et aux termes de l'article R. 521-4 du même code : " Lorsque l'étranger se présente en personne auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, des services de police ou de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, en vue de demander l'asile, il est orienté vers l'autorité compétente. (...) Ces autorités fournissent à l'étranger les informations utiles en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile et dispensent pour cela la formation adéquate à leurs personnels ".

4. Les dispositions précitées ont pour effet d'obliger l'autorité de police ou de gendarmerie à transmettre au préfet, et ce dernier à enregistrer, une demande d'admission au séjour lorsqu'un étranger, à l'occasion de son interpellation, formule une première demande d'asile. Hors les cas concernant l'hypothèse d'un ressortissant étranger formulant sa demande d'asile à la frontière ou en rétention, et hors les cas prévus aux c et d du 2° de l'article L. 542-2 précité, le préfet saisi d'une première demande d'asile est ainsi tenu de délivrer au demandeur l'attestation mentionnée à l'article L. 521-7 précité. Ces dispositions font donc nécessairement obstacle à ce que l'autorité administrative prenne une mesure d'éloignement à l'encontre de l'étranger qui, avant le prononcé d'une telle mesure, a clairement exprimé le souhait de former une demande d'asile devant les services de police ou de gendarmerie lors de son interpellation, même s'il ne s'est pas volontairement présenté devant eux, et sans égard au caractère éventuellement dilatoire d'une telle demande.

5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal de l'audition menée par les services de gendarmerie de Vesoul le 12 novembre 2021, qu'à l'occasion d'une question posée par l'officier de police judiciaire ayant mené l'entretien, M. A... a déclaré : " Je déteste mon pays, je demande l'asile en France ". Cette demande, clairement exprimée, alors même qu'elle aurait eu un caractère dilatoire et dès lors que le requérant ne relevait pas des cas prévus aux c et d du 2° de l'article L. 542-2 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faisait obstacle à ce que le préfet prononce à l'encontre de M. A... une mesure d'éloignement.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ainsi que, par voie de conséquence, celles lui refusant un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Sur la remise immédiate en liberté de M. A... et sur ses conclusions à fins d'injonction :

7. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".

8. En application de ces dispositions et sous réserve que M. A... soit encore en rétention administrative, l'annulation de l'obligation de quitter le territoire prononcée met fin à la mesure de surveillance du requérant. Elle implique également qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer non une attestation de demandeur d'asile dès lors que sa demande d'asile a été instruite en rétention et depuis rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 25 novembre 2021 mais une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas.

Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution du jugement :

9. Par le présent arrêt, la cour se prononce sur les conclusions d'annulation du jugement du tribunal administratif de Nancy du 19 novembre 2021. Par suite, les conclusions aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les frais liés aux instances :

10. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Corsiglia, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Corsiglia de la somme de 1 200 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2103309 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy du 19 novembre 2021 et l'arrêté du 13 novembre 2021 du préfet de la Haute-Saône sont annulés.

Article 2 : Il est mis fin à la rétention administrative de M. A.... Il est enjoint au préfet de la Haute-Saône de délivrer à M. A... une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions aux fins de sursis de la requête n° 21NC03182.

Article 4 : L'Etat versera à Me Corsiglia la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Corsiglia renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à Me Corsiglia.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Saône.

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Nos 21NC03181, 21NC03182


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC03181
Date de la décision : 22/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Véronique GHISU-DEPARIS
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : CORSIGLIA

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-03-22;21nc03181 ?
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