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10/10/2023 | FRANCE | N°21NC00936

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 10 octobre 2023, 21NC00936


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Besançon à titre principal d'enjoindre la communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura de déplacer l'ensemble de la station de traitement des eaux usées installée dans la commune de Le Pasquier dans un délai de 6 mois à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à titre subsidiaire d'enjoindre à la communauté de communes de réaliser les travaux préconisés par le rapport d'expertise du

8 avril 2018 dans un délai de trente jours à compter de la notification de la d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Besançon à titre principal d'enjoindre la communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura de déplacer l'ensemble de la station de traitement des eaux usées installée dans la commune de Le Pasquier dans un délai de 6 mois à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à titre subsidiaire d'enjoindre à la communauté de communes de réaliser les travaux préconisés par le rapport d'expertise du 8 avril 2018 dans un délai de trente jours à compter de la notification de la décision à intervenir, à titre plus subsidiaire, de condamner la communauté de communes à lui verser une somme correspondant à 25,5 % du coût de la construction de l'immeuble dont il est propriétaire et correspondant à sa perte de valeur du fait de l'installation d'une micro-station d'épuration à proximité immédiate de ce bien et, en tout état de cause, de condamner la communauté de communes à lui verser la somme de 500 euros par mois depuis le 30 juin 2015 ainsi que la somme de 3 000 euros, respectivement en réparation du préjudice financier et du préjudice moral qu'il estime avoir subis du fait de l'installation de cette même micro-station d'épuration et enfin de mettre à la charge de la communauté de communes une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1802078 du 26 janvier 2021, le tribunal administratif de Besançon a enjoint à la communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura de procéder, dans un délai de quatre mois, au raccordement de l'habitation du père du requérant au réseau d'assainissement, à l'installation d'une évacuation de l'air vicié à proximité de la micro-station ainsi qu'au déplacement de l'armoire de pilotage ou, à défaut et en cas d'infaisabilité technique dûment justifiée, à l'isolation phonique de celle-ci et de la porte d'entrée du bâtiment de M. C..., a mis à la charge de la communauté de communes une somme de 2 000 euros à verser à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 25 mars 2021 et le 4 septembre 2023, M. C..., représenté par Me Cholet, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1802078 du 26 janvier 2021 du tribunal administratif de Besançon en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner la communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura à lui verser la somme de 500 euros par mois depuis le 30 juin 2015 au titre de la perte de ses revenus locatifs, la somme de 15 000 euros au titre de la perte de valeur vénale de son bien immobilier, ainsi que la somme de 3 000 euros au titre du préjudice moral subi ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

sur la perte des revenus locatifs :

- le lien de causalité entre l'installation de la station d'épuration et la perte de revenus locatifs est établi :

. il n'a pas pu louer son bien depuis le 30 juin 2015 du fait des nuisances sonores et olfactives de l'ouvrage

. les derniers baux de location ont été d'une durée très courte depuis 2011 du fait de ces nuisances, ce qui atteste qu'une location pérenne est devenue impossible ;

. il est dans l'impossibilité juridique de mettre en location son bien car il ne peut pas garantir à ses locataires une jouissance paisible des lieux ;

sur la perte de la valeur vénale de son immeuble :

- le rapport d'expertise et les attestations notariales produites démontrent la perte de la valeur vénale de son bien, estimée entre 10 000 et 15 000 euros en raison du voisinage de la station d'épuration ;

sur le préjudice moral :

- il a dû réaliser des diligences depuis 10 ans pour obtenir la mise en conformité de la station d'épuration.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 juillet 2021, la communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura, représentée par Me Dravigny, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

sur la perte des revenus locatifs :

- il ne peut se prévaloir des nuisances olfactives qui auraient empêché la location de son bien car il y a contribué en procédant au raccordement de sa propriété au réseau d'assainissement qu'en 2019 ;

- il ne démontre pas, par les pièces produites, l'impossibilité de louer son bien du fait de cet ouvrage ;

- le lien de causalité n'est donc pas établi entre l'absence de location depuis le 30 juin 2015 et le fonctionnement de la station d'épuration depuis juillet 2011 ;

sur la perte de la valeur vénale de son immeuble :

- les attestations notariales produites ne sont pas probantes ;

sur le préjudice moral :

- c'est l'inaction de M. C... qui a mis plus de cinq ans à se raccorder au réseau d'assainissement collectif qui a contribué aux nuisances olfactives.

Les parties ont été informées le 13 septembre 2023, conformément à l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur le moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires présentées au titre du préjudice moral résultant de la faute de la collectivité qui reposent sur une cause juridique nouvelle non invoquée avant l'expiration du délai de recours en première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 89-462 -du 6 juillet 1989 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Cholet, représentant M. C... et de Me Dravigny, représentant la communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura.

Une note en délibéré présentée par la communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura a été enregistrée le 25 septembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... est propriétaire d'un immeuble situé dans la commune de Le Pasquier, membre de la communauté de communes de Champagnole Porte du Haut-Jura, devenue, le 1er janvier 2017, communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura. Il n'y réside pas mais en tire des revenus locatifs. En 2011, la communauté de communes a installé une micro-station d'épuration à proximité immédiate de cet immeuble, dont il a résulté des nuisances olfactives et sonores. Par une ordonnance du 13 avril 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a désigné un expert qui a rendu son rapport le 8 avril 2018. En se prévalant des conclusions de ce rapport, M. C... a demandé à la communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura de procéder aux travaux préconisés par les experts et de l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des nuisances produites par l'ouvrage. Par une décision du 22 octobre 2018, la communauté de communes a rejeté l'ensemble de ces demandes. M. C... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'enjoindre à la communauté de communes de déplacer l'ouvrage, à titre subsidiaire de réaliser ces travaux et de la condamner à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subi du fait de ces nuisances. Par un jugement n° 1802078 du 26 janvier 2021, le tribunal administratif de Besançon, après avoir retenu la responsabilité de la communauté de communes à hauteur de 100 % pour les nuisances sonores et à hauteur de 50 % pour les nuisances olfactives, en raison du non raccordement de l'immeuble de M. C... au système d'assainissement collectif, a enjoint à la communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura de procéder, dans un délai de quatre mois, au raccordement de l'habitation du père du requérant au réseau d'assainissement, à l'installation d'une évacuation de l'air vicié à proximité de la micro-station ainsi qu'au déplacement de l'armoire de pilotage ou, à défaut et en cas d'infaisabilité technique dûment justifiée, à l'isolation phonique de celle-ci et de la porte d'entrée du bâtiment de M. C..., a mis à la charge de la communauté de communes une somme de 2 000 euros à verser à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties. M. C... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

En ce qui concerne le principe de responsabilité :

2. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers sont tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage est inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement.

3. Il résulte de l'instruction et précisément du rapport d'expertise diligenté par le tribunal administratif de Besançon que, d'une part, les nuisances sonores, graves et anormales, résultent de l'emplacement de la micro-station d'épuration qui n'a pas été implantée à une distance suffisante des habitations avoisinantes, et, que d'autre part, les nuisances olfactives constatées sont causées tant par le non-raccordement au système d'assainissement collectif du bâtiment appartenant à M. C... que par l'absence de système d'évacuation de l'air vicié par ventilation haute à proximité immédiate des cuves de décantation et de stockage des boues de la micro-station d'épuration.

4. Par conséquent, M. C..., qui a la qualité de tiers par rapport à ces travaux, est fondé à demander que soit engagée la responsabilité sans faute de la communauté de communes Champagnole Nozeroy pour obtenir la réparation de ses préjudices à condition de démontrer qu'ils ont un caractère grave et spécial.

En ce qui concerne les préjudices :

Quant à la perte des revenus locatifs :

5. Il résulte de l'instruction que si la micro station fonctionne depuis 2011 et génère depuis cette date des nuisances sonores et olfactives, celles-ci n'ont pas fait obstacle à la location du bien du requérant entre 2011 et jusqu'au 30 juin 2015. Pour soutenir que ces nuisances l'ont empêché de louer son bien à compter du 30 juin 2015 et d'en tirer des revenus mensuels à hauteur 500 euros, M. C... produit une attestation de son agence immobilière qui se borne à mentionner que le bien a cessé d'être loué à compter du 30 juin 2015 sans préciser pour quelles raisons. Par ailleurs, les attestations de voisinage qu'il produit font état principalement de nuisances olfactives alors que le requérant soutient ne pas avoir loué son bien principalement en raison du bruit. Ainsi, et alors que le requérant ne démontre pas avoir cherché en vain à louer son bien à compter du 30 juin 2015, il ne résulte pas de l'instruction que l'absence de locataire résulterait des nuisances de la station d'épuration, ni par suite de l'obligation pesant sur les propriétaires, prévue par les dispositions de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, d'assurer la jouissance paisible du logement. Dans ces conditions, faute pour le requérant de démontrer l'existence d'un lien de causalité entre l'installation de cet ouvrage et la perte de revenus locatifs invoquée, celle-ci ne saurait donner lieu à une quelconque indemnisation.

Quant à la perte de la valeur vénale de son bien :

6. Si M. C... demande à ce que la communauté de communes de Champagnole Nozeroy Jura soit condamnée à l'indemniser du préjudice résultant de la perte de valeur de son immeuble, le tribunal administratif de Besançon a enjoint à la communauté de communes, pour faire cesser les nuisances sonores et olfactives de déplacer l'armoire de pilotage ou, à défaut et en cas d'infaisabilité technique dûment justifiée, à l'isolation phonique de celle-ci et de la porte d'entrée du bâtiment de M. C... et de procéder au raccordement de l'habitation du père du requérant au réseau d'assainissement, à l'installation d'une évacuation de l'air vicié à proximité de la micro-station.

7. Ces injonctions destinées à faire cesser les nuisances constituent une modalité permettant de considérer que l'immeuble ne subira pas une dépréciation de sa valeur vénale dans une limite excédant les simples gênes et inconvénients que chacun est tenu de supporter du fait de la présence de la micro-station d'épuration.

8. Dans ces conditions, et alors que le requérant ne demandait en première instance qu'une indemnisation financière s'il n'était pas fait droit à ses conclusions à fin d'injonction, la réalité du préjudice n'est pas établie.

9. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation de ces deux préjudices.

Quant au préjudice moral :

10. Le requérant impute son préjudice moral non au fonctionnement de l'ouvrage mais à l'inaction de la collectivité malgré ses nombreuses diligences.

11. Or cette demande repose sur un fondement de responsabilité pour faute, qui n'est pas d'ordre public, distinct de celui exposé au point 2 du présent arrêt. Ce fondement de responsabilité a été invoqué par M. C... pour la première fois en première instance dans son mémoire enregistré le 1er octobre 2020, soit après l'expiration du délai de recours contentieux. Par suite, il s'agit d'une demande nouvelle, irrecevable.

12. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à se plaindre du rejet par le tribunal administratif de Besançon de sa demande tendant à ce que son préjudice moral soit indemnisé.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. C..., au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C... la somme demandée par la communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura, au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura présentées sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à la communauté de communes Champagnole Nozeroy Jura.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 octobre 2023.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : M. A...

La République mande et ordonne au préfet du Jura en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. A...

2

N° 21NC00936


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00936
Date de la décision : 10/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : CHOLET

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-10-10;21nc00936 ?
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