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26/01/2023 | FRANCE | N°21NC00260

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 26 janvier 2023, 21NC00260


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société de droit canadien 8116563 Canada Inc a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignés au titre des années 2012, 2013 et 2014.

Par un jugement n° 1900595 du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, après avoir constaté un non-lieu partiel à statuer dans la mesure d'un dégrèvement prononcé en cours d'instance, a prononcé l

a décharge des impositions et pénalités laissées à la charge de la société.

Procédure devan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société de droit canadien 8116563 Canada Inc a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignés au titre des années 2012, 2013 et 2014.

Par un jugement n° 1900595 du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, après avoir constaté un non-lieu partiel à statuer dans la mesure d'un dégrèvement prononcé en cours d'instance, a prononcé la décharge des impositions et pénalités laissées à la charge de la société.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 janvier 2021 ainsi qu'un mémoire enregistré le 29 novembre 2021, le ministre de l'économie des finances et de la relance, demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 2 et 3 ce jugement ;

2°) de rétablir les impositions et pénalités à la charge de la société 8116563 Canada Inc au titre des années 2012, 2013 et 2014.

Il soutient que :

- la société réalise en France des opérations commerciales formant un cycle commercial complet lesquelles se détachent, tant par leur nature que par leur mode d'exécution des opérations qu'elle réalise au Canada ; elle est par suite passible de l'impôt sur les sociétés en France en raison des bénéfices qu'elle y réalise en vertu du I de l'article 209 du code général des impôts et c'est à tort que le tribunal administratif a jugé le contraire ; à cet égard la nationalité des salariés et le fait que la comptabilité soit tenue au Canada est sans incidence dès lors que les décisions de gestion sont prises au quotidien en France ;

- au regard de la convention signée entre la France et le Canada, la société dispose en France de locaux à usage de bureaux et d'entrepôts, à proximité de la résidence de son dirigeant, constitutifs d'un établissement stable au sens de l'article 5 de cette convention, la rendant passible de l'impôt sur les sociétés en France.

Par des mémoires en défense enregistrés le 11 juin 2021 et le 3 janvier 2022, la société 8116563 Canada Inc conclut au rejet de la requête.

Elle soutient, en admettant que le recours du ministre n'est pas tardif ce dont il devra rapporter la preuve, que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Elle soutient en outre que : les propositions de rectification sont insuffisamment motivées au regard des dispositions de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales en ce que le service ne lui a jamais répondu en ce qui concerne le montant des bénéfices à retenir ; en tout état de cause, le bénéfice reconstitué est excessif, celui-ci ne pouvant excéder 2 % du chiffre d'affaires conformément aux principes retenus par la convention franco-canadienne.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention entre la France et le Canada tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune signée le 2 mai 1975 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;

- les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Maucour représentant la société 8116563 Canada Inc.

Une note en délibéré présentée pour la société 8116563 Canada Inc. a été enregistrée au greffe le 11 janvier 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société de droit canadien 8116563 Canada Inc distribue en France des produits alimentaires ainsi que des souvenirs principalement sur les marchés de Noël. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2012 au 30 septembre 2015. Par deux propositions de rectification du 15 décembre 2015 et du 28 octobre 2016, le service a porté à sa connaissance qu'il entendait la soumettre aux impôts directs commerciaux en France à raison, selon lui, de l'établissement stable qu'elle y exploitait. La société ayant refusé ces rectifications, elles ont été confirmées par le service par lettre du 30 mars 2016. Les suppléments d'impôt sur les sociétés ont été mis en recouvrement le 15 décembre 2017. La réclamation de la société en matière d'impôt sur les sociétés a fait l'objet d'une décision d'admission partielle le 10 décembre 2018. Le ministre chargé des finances publiques relève appel du jugement du 1er octobre 2020 en tant que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a prononcé la décharge, en droits et pénalités, des cotisations d'impôt sur les sociétés laissées à la charge de la société 8116563 Canada Inc.

Sur la recevabilité de l'appel :

2. Aux termes de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales : " A compter de la notification du jugement du tribunal administratif qui a été faite au directeur du service de l'administration des impôts qui a suivi l'affaire, celui-ci dispose d'un délai de deux mois pour transmettre, s'il y a lieu, le jugement et le dossier au ministre chargé du budget. Le délai imparti pour saisir la cour administrative d'appel court, pour le ministre, de la date à laquelle expire le délai de transmission prévu à l'alinéa précédent ou de la date de la signification faite au ministre ". Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence de signification du jugement du tribunal administratif par le contribuable au ministre, le délai imparti à ce dernier pour interjeter appel est de quatre mois à compter de la notification de ce jugement au directeur du service de l'administration des impôts, sans qu'il y ait lieu de rechercher à quelle date le jugement lui a été transmis.

3. Il ressort des pièces du dossier que le ministre a introduit le 25 janvier 2021 la requête ci-dessus visée par laquelle il relève appel du jugement du 1er octobre 2020 lequel lui a été notifié le 2 octobre 2020. L'appel du ministre ayant ainsi été régulièrement présenté dans le délai prévu par les dispositions mentionnées au point 2, la société 8116563 Canada Inc. n'est pas fondée à soutenir que sa requête serait tardive. Par suite, la fin de non-recevoir invoquée de ce chef sera écartée.

Sur le principe de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés :

4. D'une part, aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions. ". D'autre part, aux termes de l'article 5 de la convention fiscale franco-canadienne, ci-dessus visée : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité. 2. L'expression " établissement stable " comprend notamment : a. Un siège de direction ; b. Une succursale ; c. Un bureau ; d. Une usine ; e. Un atelier (...) 4. Nonobstant les dispositions précédentes du présent article, on considère qu'il n'y a pas " établissement stable " si : a. Il est fait usage d'installations aux seules fins de stockage, d'exposition ou de livraison de marchandises appartenant à l'entreprise ; b. Des marchandises appartenant à l'entreprise sont entreposées aux seules fins de stockage, d'exposition ou de livraison ; c. Des marchandises appartenant à l'entreprise sont entreposées aux seules fins de transformation par une autre entreprise ; d. Une installation fixe d'affaires est utilisée aux seules fins d'acheter des marchandises ou de réunir des informations, pour l'entreprise ; e. Une installation fixe d'affaires est utilisée aux seules fins d'exercer, pour l'entreprise, toute autre activité de caractère préparatoire ou auxiliaire ; f. Une installation fixe d'affaires est utilisée aux seules fins de l'exercice cumulé d'activités mentionnées aux alinéas a à e, à condition que l'activité d'ensemble de l'installation fixe d'affaires résultant de ce cumul garde un caractère préparatoire ou auxiliaire (...) ". Aux termes de l'article 7 de la même convention : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce ou a exercé son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable (...) 3. Dans le calcul des bénéfices d'un établissement stable, sont imputées les dépenses déductibles qui sont exposées aux fins poursuivies par cet établissement stable, y compris les dépenses de direction et les frais généraux d'administration ainsi exposés, soit dans l'Etat où est situé cet établissement stable, soit ailleurs ".

5. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

6. Il résulte de l'instruction que la société de droit canadien 8116563 Canada Inc., ayant son siège social dans la province de Québec au Canada, commercialise des articles traditionnels canadiens à l'occasion des marchés de Noël organisés dans plusieurs villes de France, Luxembourg et Belgique, à l'enseigne " Promotions Canadiennes ". A la suite de la communication de renseignements en provenance de l'autorité judiciaire, obtenus dans le cadre du droit de communication, l'administration fiscale s'est présentée le 19 novembre 2015 dans le cadre d'un contrôle inopiné prévu au dernier alinéa de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, à l'adresse du local de la société situé 1, rue de la Filature à Virey-sous-Bar (Aube). Le vérificateur a alors pu remettre en personne au dirigeant social, M. B..., l'avis de vérification prévu par l'article L. 47 du livre des procédures fiscales et a pu procéder à des constatations matérielles. C'est ainsi que le service a pu constater que la société disposait à cette adresse de deux entrepôts attenants dans lesquels se trouvait un important stock de marchandises, en particulier de boissons alcoolisées, ainsi qu'un local à usage de bureau muni d'une ligne téléphonique fixe et dans lequel se trouvaient des archives. Estimant à la suite de la vérification de comptabilité évoquée au point 1 ci-dessus que la société exerçait en France une activité commerciale au moyen d'un établissement stable, le service l'a assujettie à l'impôt sur les sociétés au titre des années 2012, 2013 et 2014 selon la procédure de taxation d'office prévue au 2° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales.

7. Il résulte de l'instruction, en particulier des propositions de rectification, lesquelles reprennent des éléments obtenus auprès de l'autorité judiciaire, que la société 8116563 Canada Inc. vend des articles d'épicerie, vêtements, bijoux fantaisies et bazar, originaires du Canada, dans des chalets qu'elle loue sur les marchés de Noël. Ces marchandises sont achetées non seulement à des fournisseurs canadiens mais aussi à une société établie en France dénommée " Planet Bison ". Elle confectionne également dans ses locaux de Virey-sous-Bar une boisson dénommée " Caribou " conditionnée en bidons de deux litres à partir d'alcool achetés en France et de sirop d'érable acheté au Canada à un fournisseur dénommé " Erablière du Moulin ". Cette boisson est vendue à consommer sur place sur les stands des marchés. Enfin, la société requérante vend en petites quantités à la société " Planet Bison " des infusions et des thés. Les ventes sont effectuées par des salariés présents sur les marchés, recrutés au Canada par la société 8116563 Canada Inc. et détachés par elle en France. Les marchandises sont livrées sur les marchés par des véhicules loués à cet effet, à partir des commandes effectuées chaque lundi par les responsables des chalets, commandes reçues sur la ligne téléphonique fixe de Virey-sous-Bar. Cette activité a permis à la société de réaliser un chiffre d'affaires de l'ordre de 661 986 euros TTC en moyenne au titre de chacune des trois années litigieuses, chiffre d'affaires similaire à ceux réalisés au cours des années antérieures. Les recettes sont encaissées sur des comptes bancaires tenus en France et ouverts au nom de M. B... ou de la société elle-même. Les crédits figurant sur ces comptes, après neutralisation des virements de comptes à comptes, sont de l'ordre de 618 000 euros en moyenne au titre de chacune des trois années litigieuses. Il résulte de ces éléments que la société 8116563 Canada Inc. réalise en France une activité commerciale complète consistant à acheter des marchandises pour les revendre et non pas, contrairement à ce qu'elle soutient, à réaliser une activité agricole au Canada consistant à récolter du sirop d'érable, dont la commercialisation des produits en France ne serait que l'accessoire, cette activité agricole étant au demeurant assumée par une autre entreprise.

8. Il résulte également de l'instruction que la société 8116563 Canada Inc. loue des locaux à usage d'entrepôts et de bureau en France. Si la société soutient que ces locaux, non chauffés et inconfortables, sont dépourvus de bureau, il ressort des propositions de rectification que le dirigeant social se trouvait sur place lors du contrôle inopiné et que le vérificateur a pu constater un espace à usage de bureau et dans lequel se trouvait des archives. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les commandes étaient reçues et expédiées à cette adresse. Il ressort également des propositions de rectification que les services de gendarmerie et de douane ont saisi dans ce bureau de nombreuses pièces et en particulier des enveloppes servant à retracer les recettes commerciales. Il n'est par ailleurs pas contesté que le dirigeant de la société réside à proximité de ces locaux lorsqu'il séjourne en France. En dépit de ce que la société ne disposait pas de comptabilité à cette adresse, les locaux de Virey-sous-Bar doivent être regardés comme une installation fixe d'affaires dans lesquels la société a disposé pour les besoins de son activité en France, d'un établissement stable constitué d'un bureau, servant de siège de direction, ainsi que d'entrepôts. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus au point 6 que les locaux de Virey-sous-Bar ne servent pas aux seules fins de stockage, d'exposition ou de livraison de marchandises appartenant à l'entreprise mais également à la réalisation d'un cycle commercial complet pour les besoins duquel la société se fournit auprès de fournisseurs établis en France ou au Canada qui sont des sociétés tierces. La circonstance que sa présence sur les marchés de Noël serait par nature saisonnière n'est pas de nature à remettre en cause l'existence de l'entreprise ainsi exploitée en France par la société 8116563 Canada Inc. Par suite, par l'application combinée de l'article 209 du code général des impôts et des articles 5 et 7 de la convention fiscale franco-canadienne ci-dessus visées, les bénéfices de l'activité commerciale exercée en France par la société 8116563 Canada Inc. y sont imposables à l'impôt sur les sociétés.

9. Il résulte de ce qui précède que le ministre chargé des finances publiques est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, afin de prononcer la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés litigieux, a jugé que la société 8116563 Canada Inc. n'était pas passible de cet impôt en France. Il y a lieu toutefois pour cette cour, saisie de la totalité du litige dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par la société à l'appui de ses conclusions tendant à la décharge en droits et pénalités des impositions litigieuses.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

10. Aux termes de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales : " Les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions. Cette notification est interruptive de prescription ".

11. Il ressort des propositions de rectification ci-dessus mentionnées que le vérificateur a exposé de manière précise et circonstanciée la méthode par laquelle il a déterminé, en l'absence de toute comptabilité, les bénéfices réalisés en France par la société 8116563 Canada Inc. à raison de l'activité exercée par elle dans les conditions ci-dessus analysées. Par suite, la société n'est pas fondée à soutenir que les notifications des bases d'imposition évaluées d'office seraient irrégulières au regard des dispositions ci-dessus reproduites de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales.

12. La société 8116563 Canada Inc. se trouvant en situation de taxation d'office, l'administration n'était pas tenue d'observer à son égard les garanties de la procédure contradictoire et en particulier de répondre à ses observations. Il résulte au demeurant de l'instruction que le vérificateur, alors qu'il n'y était pas tenu dans le cadre de la procédure de taxation d'office, y a toutefois répondu dans sa lettre modèle 3926 du 30 mars 2016. Il résulte également de l'instruction qu'avant la mise en recouvrement des impositions, le vérificateur, en réponse à des éléments produits par la société le 7 mars 2017, a admis des charges supplémentaires en déduction des bénéfices imposables.

13. Il résulte de ce qui précède que la société 8116563 Canada Inc. a été régulièrement taxée d'office à l'impôt sur les sociétés au titre des années 2012, 2013 et 2014.

Sur le bien-fondé des impositions :

14. Il ressort des propositions de rectification et des autres pièces de procédure qu'afin de reconstituer, en l'absence de toute comptabilité, les bénéfices imposables de la société 8116563 Canada Inc. le vérificateur a déterminé les produits à retenir conformément aux dispositions de l'article 38 du code général des impôts à partir des enveloppes contenant les recettes des ventes sur les marchés en France conservées à Vitrey, ces éléments étant recoupés par les pièces de la procédure de gendarmerie et rapprochés des encaissements bancaires. S'agissant de l'année 2013, compte tenu de certaines discordances, le service a admis de fixer le chiffre d'affaires de cette année à la moyenne de ceux des années 2012 et 2014. Il a ensuite rajouté les recettes des ventes à Planet Bison obtenues dans le cadre du droit de communication. Sur le fondement de l'article 39 du code général des impôts, en l'absence de pièces justificatives des achats, le service a déterminé les charges déductibles à partir du coefficient hors taxes/hors taxes sur achats revendus en distinguant trois catégories d'articles, à savoir divers (bazar, vêtements, verroterie), boissons, et épicerie, ces coefficients étant ceux communiqués par M. B.... Parmi les autres charges, le service a retenu la location des chalets, des entrepôts, ainsi que les salaires en dollars canadiens à partir des pièces de la procédure judiciaire. A la suite des éléments communiqués le 7 mars 2017, le service a admis en déduction une partie des charges exposées au Canada par la société en considérant qu'elles avaient été exposées pour les besoins de son activité en France. Une telle méthode ne saurait être regardée comme sommaire ou viciée dans son principe et permet de ne prendre en compte que les seuls bénéfices liés à l'activité de l'établissement stable en France de la société 8116563 Canada Inc. conformément à l'article 209 du code général des impôts et au 3 de l'article 7 de la convention fiscale franco-canadienne.

15. Aux termes de l'article 7 de la convention fiscale franco-canadienne ci-dessus visée : " 2. Sous réserve des dispositions du paragraphe 3, lorsqu'une entreprise d'un Etat contractant exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé, il est imputé, dans chaque Etat contractant, à cet établissement stable les bénéfices qu'il aurait pu réaliser s'il avait constitué une entreprise distincte et séparée exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques ou analogues et traitant en toute indépendance avec l'entreprise dont il constitue un établissement stable ".

16. Ces stipulations doivent être interprétées en ce sens que, lorsqu'une société établie dans un Etat réalise des opérations commerciales ou financières avec un établissement stable établi dans l'autre Etat, ces transactions doivent être évaluées et admises le cas échéant en déduction des bénéfices de l'établissement stable comme si cet établissement était une entreprise indépendante traitant avec le siège dans des conditions de pleine concurrence.

17. La société 8116563 Canada Inc. soutient sur le fondement des stipulations ci-dessus reproduites qu'afin procéder à la répartition des bénéfices entre elle et son établissement stable en France, regardé par elle comme une entreprise secondaire et " routinière ", il convient de déterminer le bénéfice de cet établissement par comparaison avec le taux de marge nette réalisé sur leurs prix de transferts par des entreprises figurant sur la base de données TP Catalyst aboutissant à un taux moyen de marge nette au titre des trois années litigieuses de 3,19 %. Il résulte toutefois de l'instruction que la société 8116563 Canada Inc. n'a facturé aucune prestation ou vente à son établissement stable en France tandis qu'il résulte de la méthode de reconstitution adoptée par le service, et ci-dessus analysée, que l'administration n'a retenu que le bénéfice strictement imputable à l'établissement stable situé en France en admettant au demeurant des charges que la société avait exposées au Canada mais qui se rapportaient à son exploitation en France. Par suite, la société 8116563 Canada Inc., à qui la charge du caractère exagéré des impositions incombe en vertu des articles L. 193 et R. 193-1 du livre des procédures fiscales pour avoir été régulièrement taxée d'office, n'est pas fondée à soutenir que les bénéfices de son établissement stable en France devraient être fixés de manière forfaitaire sur la base du taux moyen de marge nette réalisé par des entreprises comparables.

Sur les pénalités :

18. La régularité et le bien-fondé des impositions litigieuses ayant été établis ci-dessus, la société 8116563 Canada Inc. n'est pas fondée à soutenir que les pénalités pour défaut de dépôt de déclarations et, par le moyen invoqué, les pénalités pour manquement délibéré qui lui ont été infligées ne seraient pas elles-mêmes fondées.

19. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre chargé des finances publiques est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a fait partiellement droit à la demande en décharge de la société 8116563 Canada Inc. et à demander que les impositions et pénalités dont ce jugement a prononcé la décharge soient remises à la charge de cette société.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 1900595 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 1er octobre 2021 sont annulés.

Article 2 : Les suppléments d'impôt sur les sociétés et les pénalités correspondantes dont le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a prononcé la décharge au titre des années 2012, 2013 et 2014 sont remis à la charge de la société 8116563 Canada Inc.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société 8116563 Canada Inc. et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 21NC00260

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00260
Date de la décision : 26/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : DS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-01-26;21nc00260 ?
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