Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 26 février 2021 par lequel le préfet de l'Yonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office.
Par jugement n° 2100716 du 27 avril 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 28 mai 2021, M. B..., représenté par Me Audard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 27 avril 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 février 2021 susvisé ;
3°) de suspendre la décision portant obligation de quitter le territoire français contenue dans l'arrêté susvisé ;
4°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une omission à statuer et d'un défaut de motivation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation au regard de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le Kosovo comme pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Le préfet de l'Yonne a produit un mémoire, enregistré le 23 novembre 2021, après la clôture automatique de l'instruction, qui n'a pas été communiqué.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du 24 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère ;
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
- et les observations de Me Aguettant, pour le préfet de l'Yonne ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant kosovare né le 9 mai 2000, déclare être entré en France le 8 mars 2020. Par décision du 2 décembre 2020, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'asile. Par arrêté du 26 février 2021, le préfet de l'Yonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours sur le fondement des dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office. M. B... relève appel du jugement par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D'une part, contrairement à ce que soutient M. B..., le premier juge a visé le moyen soulevé en première instance tiré de l'erreur de droit commise par le préfet au regard des stipulations de l'article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés ainsi que celles de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il y a répondu au point 8 du jugement attaqué en écartant le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations ainsi que de celles de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui y renvoie. Dès lors, ledit jugement n'est pas entaché d'irrégularité en tant qu'il aurait omis de répondre à un moyen.
3. D'autre part, si M. B... soutient que le jugement attaqué serait entaché d'une insuffisance de motivation s'agissant de la réponse apportée aux conclusions à fin de suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement, il ressort du jugement attaqué que le premier a suffisamment motivé sa décision en rappelant au point 14 du jugement attaqué les termes de l'article L. 743-3 du code précité et en précisant que, compte tenu des éléments qu'il avait précédemment exposés, le requérant ne faisait état d'aucun élément de nature à créer un doute sérieux sur le bien-fondé de la décision de rejet qui lui a été notifié par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Le jugement n'est, dès lors, pas entaché d'irrégularité à ce titre.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En premier lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige comporte les motifs de fait et de droit qui en sont le soutien. Elle vise notamment les dispositions de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui renvoient à l'article 33 de la convention de Genève et à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et précise que M. B... vient d'un pays d'origine sûr et que les risques dont il se prévaut ne sont pas établis. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté doit, par suite, être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, dans le délai prévu à l'article L. 731-2 contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'office, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la cour statuent. ". Aux termes de l'article L. 743-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 743-1, sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque : (...) 7° L'office a pris une décision de rejet dans les cas prévus au I et au 5° du III de l'article L. 723-2 (...) ". Aux termes de l'article L. 723-2 du même code : " I. - L'office statue en procédure accélérée lorsque : 1° Le demandeur provient d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr en application de l'article L. 722-1 (...) ". Par décision du 9 octobre 2015, le conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides a décidé que le Kosovo devait être considéré comme un pays d'origine sûr.
6. Aux termes de l'article 33 de la convention de Genève susvisée : " Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ". Enfin, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
7. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile dont la demande a été enregistrée en France bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, le cas échéant, de celle de la Cour nationale du droit d'asile, excepté lorsque son droit à se maintenir sur le territoire prend fin pour l'un des motifs listés à l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par exemple lorsque la décision de rejet de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides est rendue en procédure accélérée sur le fondement du 1° du I de l'article L. 723-2, qui vise le cas dans lequel le demandeur provient d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr.
8. Ainsi qu'il a été rappelé au point 4 et contrairement à ce que soutient M. B..., le préfet de l'Yonne a précisé les motifs pour lesquels il a considéré que ce dernier pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement en vertu des dispositions de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors notamment que ce dernier vient d'un pays d'origine sûr et que sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. M. B... est célibataire, sans enfant, et est entré récemment sur le territoire national. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'en prenant la mesure d'éloignement en litige, le préfet de l'Yonne aurait méconnu les dispositions de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Si le requérant se prévaut, à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire qui lui a été opposée, du moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, celui-ci n'est opérant qu'à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi.
10. En troisième lieu, compte tenu de la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. B... le 26 février 2021 par le préfet de l'Yonne, l'appelant n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de cette décision à l'encontre de celle fixant le pays de destination.
11. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. " M. B... réitère en appel le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui doit être regardé comme dirigé contre la décision fixant le pays de renvoi en soutenant qu'il a été contraint de fuir le Kosovo à la suite de menaces et persécutions qu'il y subissait du fait de son orientation sexuelle et ce par sa propre famille. Il produit pour la première fois en appel un rapport médical du 29 septembre 2021 attestant de l'existence de lésions corporelles corroborant la réalité des faits d'agressions physiques rapportés dans son pays d'origine en raison de son orientation sexuelle ainsi qu'une attestation du 11 octobre 2021 des membres du collège de l'association Contact Côte d'Or témoignant du fait que M. B... s'est présenté plusieurs fois aux réunions d'accueil-écoute de cette association et y a relaté son parcours. Dans les circonstances particulières de l'espèce, alors même que le Kosovo est considéré comme un " pays d'origine sûr " en application de l'article L. 722-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers alors en vigueur et compte tenu des nouveaux éléments présentés par l'intéressé lesquels établissent les faits d'agression physique subis par M. B... en raison de son orientation sexuelle et les risques de réitération, et alors qu'il n'est pas contesté qu'il ne pourra bénéficier des autorités de son pays d'origine d'une protection effective, il est fondé à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi méconnaît les stipulations précitées et qu'elle doit, à ce titre, être annulée.
12. Il résulte de ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le premier juge a rejeté sa demande d'annulation de la décision fixant le pays de renvoi qui lui a été opposée par le préfet de l'Yonne le 26 février 2021. Cette décision doit être annulée et le jugement attaqué doit être réformé en ce sens.
Sur les conclusions à fin de suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement :
13. En l'absence d'éléments suffisamment sérieux pour justifier son maintien en France le temps de l'examen de son recours devant la Cour nationale du droit d'asile, les conclusions à fin de suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement présentées par M. B... sur le fondement de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Compte tenu de ses motifs, l'annulation prononcée par le présent arrêt de la décision fixant le pays de renvoi implique uniquement d'enjoindre au préfet de l'Yonne de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La décision du 26 février 2021 fixant le pays de renvoi prise par le préfet de l'Yonne à l'encontre de M. B... est annulée.
Article 2 : Le jugement n° 2100716 du 27 avril 2021 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Dijon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Yonne de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Yonne et au procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Auxerre.
Délibéré après l'audience du 25 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 décembre 2021.
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N° 21LY01684
lc