Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Lyon :
1°) d'annuler l'arrêté du 19 juin 2020 par lequel le préfet de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être reconduite d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Ain, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai.
3°) de mettre à la charge de l'État le versement à son profit d'une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2004149 du 10 décembre 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 11 janvier 2021, Mme D..., représentée par la SELARL BS2A, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement susmentionné du 10 décembre 2020 du tribunal administratif de Lyon et les décisions précitées du 19 juin 2020 du préfet de l'Ain ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Ain de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou, à tout le moins, de procéder au réexamen de sa situation, et ce dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat au profit de son conseil la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision portant refus de séjour a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français et refus d'octroi d'un délai de départ volontaire sont illégales par exception d'illégalité de la décision portant refus de séjour ;
- elle ont été prises en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 511-1 II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale par exception d'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français sans délai ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an est illégale par exception d'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français sans délai ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 511-1 III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2021, le préfet du l'Ain conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante, qui ne sont pas assortis de précision supplémentaire ni d'aucun élément pertinent de nature à critiquer les motifs par lesquels le tribunal les a rejetés, ne sont pas fondés.
Par une décision du 12 février 2021, Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. C... et les observations de Mme D... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... D..., ressortissante albanaise, relève appel du jugement du 10 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 juin 2020 par lequel le préfet de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être reconduite d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Sur la légalité de la décision portant refus de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme D..., née le 21 septembre 1992, est entrée en France le 1er février 2017 selon ses déclarations. Elle se maintient en France en dépit d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours prononcée le 1er août 2018 par le préfet de l'Ain, confirmée en dernier lieu par un arrêt n° 18LY04674 du 27 juin 2019 de la cour administrative d'appel de Lyon. Si elle a pour attaches familiales en France son concubin, M. E... A..., de même nationalité, et leurs deux enfants mineurs nés les 29 avril 2018 et 26 décembre 2019 en France, cette cellule familiale a vocation à se reconstituer en Albanie, compte tenu notamment de la nouvelle obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours prononcée à l'encontre de son compagnon, toujours en situation irrégulière après les décisions successives du préfet de l'Ain refusant de l'admettre au séjour et décidant son éloignement, confirmées en dernier lieu par les arrêts n° 20LY00884 du 4 février 2021 et n° 21LY00093 de ce jour de la cour administrative d'appel de Lyon. A cet égard, il n'est ni allégué ni démontré que la cellule familiale ne pourrait pas mener une vie privée et familiale normale dans ce pays. En outre, Mme D... ne démontre pas être dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine et ne justifie pas davantage d'une intégration particulière en France, en rappelant avoir occupé un emploi d'agent d'entretien, suivre des cours de français et effectuer des missions de bénévolat auprès d'associations. Ainsi, compte tenu de la durée et des conditions du séjour en France de Mme D..., et bien que les parents et la soeur de son concubin résident en France, la décision contestée ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Elle ne méconnait dès lors pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. En deuxième lieu, aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions politiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
5. Dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 3, la cellule familiale a vocation à se reconstituer en Albanie, où il n'est pas établi que ses membres ne pourraient pas y mener une vie privée et familiale normale, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
6. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 (...) ".
7. Pour les mêmes motifs que ceux développés au point 3, l'admission au séjour de Mme D... ne peut être regardée comme répondant à des considérations humanitaires ou se justifiant par des motifs exceptionnels au sens des dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, l'intéressée n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de ces dispositions.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
8. En premier lieu, en l'absence d'illégalité de la décision portant refus de séjour, Mme D... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de cette décision à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
9. En deuxième lieu, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux développés concernant la décision portant refus de séjour.
Sur la légalité de la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
10. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. (...) / (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) / d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; / (...). ".
11. La décision du 8 janvier 2020 refusant d'octroyer un délai de départ volontaire au concubin de Mme D... a été annulée par un jugement n° 2000581 du 31 janvier 2020 du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon en relevant notamment que la seconde fille de M. A... est née sur le territoire français le 26 décembre 2019, soit treize jours avant cette décision, et qu'il dispose d'une adresse stable et connue de l'administration. Ce jugement a été confirmé par un arrêt n° 20LY00884 du 4 février 2021 de la cour administrative d'appel de Lyon. En outre, l'intéressée fait valoir sans être contredite, qu'elle dispose d'un lieu de résidence stable et connu. Dans ces circonstances particulières, en refusant d'octroyer un délai de départ volontaire à Mme D... aux motifs qu'elle s'est soustraite à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement en 2018 et, en tout état de cause, que ses demandes d'asile et de réexamen d'asile ont été rejetées, le préfet de l'Ain a méconnu, eu égard à la situation familiale de l'intéressée, les dispositions de l'article L. 511-1 II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
12. En l'absence d'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français sans délai, Mme D... n'est pas fondée à se prévaloir de l'illégalité de ces décisions à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an :
13. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger (...) ".
14. En raison de l'illégalité de la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire, Mme D... est fondée à invoquer l'illégalité de cette décision au soutien de sa demande d'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.
15. Il résulte de tout de ce qui précède que Mme D... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.
16. L'annulation de ces décisions n'impliquant pas la délivrance d'un titre de séjour et le réexamen de sa situation, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées par Mme D... doivent être rejetées.
17. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par Mme D....
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2004149 du 10 décembre 2020 du tribunal administratif de Lyon est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de Mme B... D... tendant à l'annulation des décisions du 19 juin 2020 du préfet de l'Ain portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire
et interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Article 2 : Les décisions du 19 juin 2020 du préfet de l'Ain portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire à Mme B... D... et interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an sont annulées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... D... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet de l'Ain.
Délibéré après l'audience du 17 juin 2021, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, présidente-assesseure,
M. C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juillet 2021.
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N° 21LY00098