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25/01/2023 | FRANCE | N°21DA01303

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 25 janvier 2023, 21DA01303


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 12 juin 2021 et un mémoire enregistré le 6 mai 2022, la société Parc éolien du mont Hellet, représentée par Me Antoine Guiheux, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 14 avril 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande d'autorisation environnementale portant sur un parc éolien composé de quatre éoliennes et un poste de livraison, situé sur le territoire des communes de Baillolet et Lucy ;

2°) d'enjoindre au préfet de reprendre l'instruction de la demande d'auto

risation, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 12 juin 2021 et un mémoire enregistré le 6 mai 2022, la société Parc éolien du mont Hellet, représentée par Me Antoine Guiheux, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 14 avril 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande d'autorisation environnementale portant sur un parc éolien composé de quatre éoliennes et un poste de livraison, situé sur le territoire des communes de Baillolet et Lucy ;

2°) d'enjoindre au préfet de reprendre l'instruction de la demande d'autorisation, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté est insuffisamment motivé ;

- l'arrêté est entaché d'erreur de droit en ce qu'il se fonde sur les recommandations d'Eurobats qui sont dépourvues de valeur contraignante ;

- l'impact sur les chiroptères a été correctement évalué ; des mesures d'évitement ont été prévues ; du fait de la modification du plan de bridage, aucune atteinte à l'état de conservation des espèces de chiroptères n'est à craindre ;

- l'arrêté est entaché d'erreur de droit en ce qu'il oppose la nécessité d'une demande de dérogation à la destruction d'espèces protégées au regard de la seule présence de telles espèces sur le site ;

- en tout état de cause, il n'y a pas d'impact significatif sur les chiroptères, le Pic noir, le Busard Saint-Martin et le Faucon ;

- le projet ne méconnaît pas l'objectif d'absence de perte de biodiversité ;

- l'arrêté est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il exige des mesures d'accompagnement qui ne sont prévues par aucun texte ; en tout état de cause, ces mesures ont été prévues ;

- le préfet a commis une erreur d'appréciation dès lors qu'il n'y a pas d'impact sur le paysage et qu'il n'y a pas de risque de mitage ;

- le préfet a commis une erreur de droit en ce qu'il lui reproche de ne pas avoir pris en compte le schéma régional éolien (SRE) de Haute-Normandie de 2011, pourtant dépourvu de valeur contraignante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 février 2022, le ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention volontaire enregistré le 7 février 2022, la commune de Lucy, représentée par Me Blandine Verger, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Maritime de reprendre l'instruction de la demande d'autorisation environnementale.

Elle soutient que :

- il n'y a pas d'atteinte aux habitats naturels et à la biodiversité ;

- il n'y a pas d'atteinte à la protection de la nature, de l'environnement et des paysages.

Par une ordonnance du 24 juin 2022, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Corinne Baes-Honoré présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Antoine Guiheux, représentant la société Parc éolien du Mont Hellet.

Considérant ce qui suit :

1. La société Parc éolien Nordex 86 a présenté, le 3 septembre 2019, une demande d'autorisation environnementale afin d'exploiter un parc éolien composé de quatre éoliennes et un poste de livraison, sur le territoire des communes de Baillolet et de Lucy. La société pétitionnaire, désormais dénommée société Parc éolien du Mont Hellet, demande à la cour d'annuler l'arrêté du 14 avril 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande.

Sur l'intervention de la commune de Lucy :

2. Il résulte de l'instruction que le projet litigieux est situé, pour partie, sur le territoire de la commune de Lucy. Il s'ensuit que l'intervention de cette commune doit être admise.

Sur la légalité de l'arrêté du 14 avril 2021 :

En ce qui concerne la motivation de l'arrêté :

3. Le refus d'autorisation en litige, qui énonce les éléments de fait et de droit sur lesquels il se fonde, est suffisamment motivé. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

En ce qui concerne la dérogation à l'interdiction de détruire des espèces protégées :

4. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " (...) II. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation ; (...) ".

5. La demande d'autorisation en litige a notamment été rejetée au motif que le dossier ne comportait pas de demande de dérogation à l'interdiction de perturbation et de destruction des espèces protégées, alors même que le Pic noir, le Busard Saint-Martin et le Faucon sont présents sur le terrain du projet et que la démarche " éviter, réduire, compenser " mise en œuvre n'était pas satisfaisante.

6. D'une part, alors que le Pic noir est inscrit à l'annexe I de la directive Oiseaux, l'inventaire des espèces sur le site a permis de recenser onze oiseaux, dont huit en période prénuptiale, un en période de nidification et deux en période post-nuptiale, et l'étude d'impact a estimé probable la présence de cette espèce dans les boisements ceinturant la zone du projet. Toutefois, il résulte de l'instruction que le niveau d'impact du projet lié à l'activité humaine et aux travaux pendant la période de reproduction, en raison du dérangement pendant la phase de travaux, peut être qualifié de modéré.

7. D'autre part, alors que le Busard Saint-Martin est inscrit à l'annexe I de la directive Oiseaux, l'inventaire des espèces sur le site a permis de recenser trois oiseaux en période prénuptiale et deux en période de nidification et l'étude d'impact a estimé probable l'existence d'au moins un couple sur le site et ses environs. En revanche aucun territoire de nidification n'a été identifié pour ce rapace et sa sensibilité à l'éolien reste modérée. Enfin, il résulte de l'instruction que le niveau d'impact lié à l'activité humaine et aux travaux peut être qualifié de modéré pendant la période de reproduction et de faible pendant les autres périodes.

8. Enfin, alors que le Faucon crécerelle est inscrit, comme les précédentes espèces, sur la liste rouge régionale des espèces quasi-menacées, l'inventaire des espèces sur le site a permis de recenser six oiseaux, dont un en période de nidification, un en période post-nuptiale et quatre en hiver. S'il a été observé en vol ou en stationnement dans les cultures, des territoires de reproduction n'ont pas pu être définis. Si la sensibilité de cette espèce à l'éolien est forte, il résulte de l'instruction que le niveau d'impact lié à l'activité humaine et aux travaux peut être qualifié de modéré pendant la période de reproduction et de faible en période hivernale.

9. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de risque suffisamment caractérisé pour les espèces protégées citées ci-dessus, le préfet ne pouvait pas reprocher à la société pétitionnaire de ne pas avoir présenté une demande de dérogation à l'interdiction de perturbation et de destruction de spécimens d'espèces protégées.

En ce qui concerne l'erreur de droit :

10. Si les recommandations de l'organisme international Eurobats sont dépourvues de valeur réglementaire, aucun texte ni aucun principe ne fait obstacle à ce que l'autorité administrative se réfère à ces recommandations pour analyser les risques qu'un projet présente pour les chiroptères. Il résulte en outre de l'instruction que, pour retenir l'existence d'un risque pour les chiroptères, le préfet ne s'est pas uniquement fondé sur ces recommandations mais s'est également référé aux attentes de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) en termes de méthodologie pour l'analyse des impacts sur les chiroptères. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet a commis une erreur de droit en se fondant exclusivement sur des recommandations inopérantes, doit être écarté.

En ce qui concerne l'étude d'impact :

11. Il résulte de l'étude d'impact que trois protocoles d'écoute ultrasonore ont été mis en œuvre. Dans le cadre du protocole " lisière ", deux appareils ont été placés le long de la lisière, à 50, 100 et 200 mètres, durant la période des transits printaniers. Des détections automatiques en continu ont également été réalisées au sol et en altitude. Un micro bas a été placé à quelques mètres de hauteur et un micro à 50 mètres de hauteur a enregistré l'activité en altitude. Les prospections ont été effectuées du 11 avril au 23 octobre 2018 et les écoutes en continu sur mât de mesure ont été poursuivies jusqu'au 8 novembre 2018.

12. Si, en s'appuyant sur l'avis de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), le ministre s'interroge sur la fiabilité des détections par l'implantation du micro à " 45 mètres " et reproche à l'étude de ne pas avoir pris en compte l'activité des chauve-souris en bas de la zone balayée par les pales, l'étude d'impact a relevé qu'il est tout à fait plausible que la majorité des chiroptères suivront la canopée pour traverser le site à hauteur des boisements, qu'il était donc primordial de pouvoir capter l'activité à cette altitude et que, le bas de pale étant situé à 33,5 mètres du sol et l'activité diminuant avec l'altitude, l'emplacement du microphone à une hauteur permettant de capter au niveau du bas de pale était pertinent.

13. Si le ministre reproche également au pétitionnaire de ne pas avoir réalisé des études intensives dans un rayon d'un kilomètre pour chaque éolienne, les quatre points d'écoute ont été placés à 50, 100 et 200 mètres, et le mât de mesure a été placé à proximité de l'éolienne E3, au milieu de la zone d'implantation du projet.

14. Il résulte de ce qui précède que le préfet ne pouvait légalement se fonder sur l'insuffisance de l'étude d'impact quant à l'impact du projet sur les chiroptères.

En ce qui concerne les chiroptères :

15. Le préfet a également relevé, dans son arrêté, que le plan de bridage proposé par la société pétitionnaire était insuffisant dès lors qu'il ne suivait pas les préconisations issues du groupe mammalogique normand. Il fait également valoir que la distance entre les éoliennes et les boisements est insuffisante dès lors qu'elle est inférieure à 200 mètres.

S'agissant des éoliennes E1, E2 et E3 :

16. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'étude d'impact qui s'est référée à des expertises allemandes, que la majorité des contacts avec les chiroptères est obtenue à moins de 50 mètres des lisières et des haies dans le cadre de paysages agricoles.

17. En l'espèce, d'une part, les mâts des éoliennes E1, E2 et E3 sont situés à une distance du sol de la lisière la plus proche de respectivement 140, 100 et 100 mètres et la distance entre les bouts de pales des éoliennes et la canopée atteint 92,85 mètres pour l'éolienne E1 et 58,9 mètres pour les deux autres éoliennes.

18. D'autre part, il résulte de l'étude écologique que si, s'agissant des transits printaniers, les enjeux ont été qualifiés de faibles pour ces trois éoliennes, les impacts sur les chiroptères, tels qu'ils ont été évalués avant l'intervention de mesures de réduction, seront forts en période de mise-bas pour la Pipistrelle commune et en période des transits automnaux pour la Noctule de Leisler.

19. Pour réduire ces impacts, la société pétitionnaire a proposé un plan de bridage que la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) a regardé comme insuffisant en préconisant plutôt, dans son avis du 31 octobre 2019, d'arrêter les machines du 1er avril au 31 octobre, en cas de vitesse de vent inférieure à 7 mètres par seconde ou de température supérieure à 8° en dehors des épisodes de pluie, une heure avant le coucher du soleil et une heure après le lever du soleil.

20. Si, eu égard à la proximité de boisements et aux impacts du projet analysés ci-dessus, les mesures de bridage proposées par la société pétitionnaire étaient insuffisantes, le bridage renforcé ainsi suggéré par la DREAL doit permettre de prévenir les dangers que présentent l'implantation et le fonctionnement de ces trois éoliennes. Par suite, le préfet ne pouvait pas légalement refuser de délivrer l'autorisation sollicitée alors qu'il lui appartenait de prononcer de mesures de bridage plus contraignantes que celles proposées par la société.

S'agissant de l'éolienne E4 :

21. Il résulte de l'instruction que la distance entre la canopée et le bout de pale de l'éolienne E4 n'est que de 47,20 mètres. Cette situation particulière a été pointée par l'étude écologique, aux pages 369 et suivantes, qui a relevé également que " les impacts seront globalement plus intenses sur l'éolienne E4 qui est particulièrement ceinturée de boisements ". Il résulte aussi de l'instruction, ainsi qu'il a été dit, que l'activité des chiroptères ne diminue sensiblement qu'au-delà d'une distance de 50 mètres de la lisière.

22. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction, eu égard à l'importance des impacts du projet tels qu'ils ont été évalués avant l'intervention de mesures de réduction, que des mesures de bridage seraient de nature à prévenir de manière suffisamment efficace les risques pour les chiroptères afférents à l'implantation et au fonctionnement de l'éolienne E4.

En ce qui concerne la biodiversité :

23. Aux termes de l'article L. 110-1 du code de l'environnement : " (...) II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants : (...) 2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ; (...) ".

24. Afin d'expliciter le motif de l'arrêté contesté tiré de ce que le projet méconnaît les dispositions précitées, le ministre fait valoir que la démarche " éviter, réduire, compenser " n'a pas été suffisante pour éviter un impact significatif du projet sur le Pic noir, le Busard Saint-Martin le Faucon crécerelle, que les lignes d'Eurobats n'ont pas été suivies pour les chiroptères et que le plan de bridage n'est pas adapté. Il résulte toutefois de ce qui a été dit ci-dessus que ce motif est entaché d'une erreur d'appréciation s'agissant des éoliennes E1, E2 et E3.

En ce qui concerne les mesures d'accompagnement :

25. Il résulte de l'étude d'impact qu'au titre des mesures dites d'accompagnement, ont notamment été prévues la création de jachères dont la surface peut varier selon les accords obtenus et selon les parcelles, et la création de linéaires de haies arborées et arbustives, bénéfiques notamment pour les chiroptères. Au titre des mesures paysagères, l'étude a prévu la plantation de haies.

26. Dans l'arrêté contesté, le préfet a estimé que la pérennité de certaines mesures d'accompagnement n'était pas garantie dès lors qu'aucune parcelle n'avait été identifiée pour mettre en œuvre ces mesures notamment de jachère, aucune acquisition de terrain n'ayant été faite et aucun bail n'ayant été signé. Par ailleurs, le ministre fait valoir que les mesures prévues sont en réalité des mesures compensatoires qui, par leur imprécision, méconnaissent les dispositions de l'article L. 163-2 du code de l'environnement.

27. Toutefois, l'étude d'impact n'a pas à démontrer que le pétitionnaire dispose de la maîtrise foncière des terrains sur lesquels les mesures compensatoires doivent être mises en œuvre. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le préfet s'est fondé sur l'absence de garantie quant à la pérennité de certaines mesures d'accompagnement.

En ce qui concerne les atteintes au paysage :

28. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers(...) ".

29. D'une part, le projet s'inscrit dans l'unité paysagère du Petit Caux et l'Aliermont. La vallée de l'Eaulne borde la zone sur un axe nord-ouest/sud-est et la boutonnière du pays de Bray présente un paysage dont le relief est influencé par le passage de la Béthune. La vallée de l'Eaulne offre un paysage de contraste dans lequel alternent des vues très lointaines et très dégagées avec des portions plus intimistes et refermées. L'étude paysagère a relevé que la présence sur les plateaux adjacents de grandes masses boisées, qui arrêtent les vues de manière presque brutale, contribue à inscrire ces vallées dans un paysage plutôt tourné vers lui-même.

30. Le paysage de la boutonnière du pays de Bray occupe quant à lui une place particulière. Il présente selon l'étude paysagère une " vaste incongruité géologique ", abondamment parcourue par des cours d'eau, et se trouve bordé, de part et d'autre, par des coteaux, souvent surmontés de boisements qui arrêtent les vues. Cette étude a relevé que la densité et le foisonnement du bocage en font un territoire emblématique et d'une très grande valeur paysagère.

31. Le Petit Caux et l'Aliermont sont deux plateaux parallèles. L'étude paysagère a relevé que la diversité végétale est une composante importante du paysage qui peut paraître ponctuellement monotone ou du moins peu emblématique. La zone d'implantation du projet se situe dans cette unité de paysage, dans la portion qui surplombe la boutonnière du pays de Bray.

32. Il résulte également de l'instruction que la zone d'étude se caractérise par une végétation dense qui correspond à une partie de la forêt du Hellet. Selon l'étude, la présence de cette forêt limite de manière très importante les vues en direction des paysages des deux vallées.

33. Pour motiver sa décision de refus au regard de l'atteinte aux paysages, le préfet a retenu, dans son arrêté, l'existence d'un écrasement d'échelle entre les éoliennes compte tenu de leur hauteur, les vallées alentours et les boisements, ainsi que l'altération des paysages par mitage à l'échelle du grand paysage.

34. D'autre part, il résulte de l'instruction que la variante C du projet a été adoptée en raison de la lisibilité du projet qui ne génère pas d'effet de surplomb.

35. Il résulte de la synthèse des vues depuis les secteurs urbanisés de l'étude paysagère que pour ces secteurs il n'existe un enjeu, que l'on peut qualifier de " modéré ", que pour un village.

36. Plusieurs photomontages montrent aussi que le parc éolien est visible depuis plusieurs points de vue, avec en arrière-plan la forêt de Hellet. Si les éoliennes et l'église de Saint-Martin-Hortier sont covisibles, il n'y a pas de concurrence entre le projet et ce monument, lequel au demeurant n'est pas classé. Si le photomontage n° 21 fait état d'un impact fort et d'une covisibilité entre les silhouettes des monuments de Bures-en-Bray et de Mesnières-en-Bray, il résulte des pièces versées au dossier que les éoliennes resteront peu prégnantes dans le paysage.

37. Si les éoliennes seront visibles depuis le chemin de randonnée (GRP) des forêts de Haute-Normandie et aux abords du hameau les Coudraies, elles resteront toutefois en partie masquées par le relief et le boisement.

38. Enfin, si le ministre a indiqué, dans ses écritures, qu'il était reproché à la société pétitionnaire d'avoir implanté le projet sur un site isolé sur une crête boisée, il résulte de l'instruction que l'aire d'étude éloignée est déjà concernée par un nombre important de parcs éoliens et que le plus proche de ces parcs se trouve à 5,4 kilomètres. S'il aurait sans doute été plus opportun, sur le plan paysager, de densifier des espaces éoliens existants, l'implantation choisie par la société pétitionnaire ne conduit pas en l'espèce à un mitage de nature à porter atteinte au paysage.

39. Il résulte de ce qui précède que le motif tiré de l'atteinte aux paysages doit être censuré.

En ce qui concerne l'absence de prise en compte du schéma régional de l'éolien :

40. Si le préfet a relevé dans son arrêté que le projet faisait référence au schéma régional éolien (SRE) de 2006 et non à celui de 2011, ce motif est entaché d'erreur de droit dès lors qu'aucun SRE n'a de valeur contraignante. Il résulte cependant de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision de refus pour l'éolienne E4, s'il s'était fondé sur le seul motif tiré de l'atteinte aux chiroptères.

41. Il résulte de tout ce qui précède que la société Parc éolien du Mont Hellet est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 14 avril 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande d'autorisation environnementale en tant qu'elle porte sur les éoliennes E1, E2 et E3.

Sur les conclusions à fin de délivrance de l'autorisation et à fin d'injonction :

42. Le présent arrêt implique que le préfet de la Seine-Maritime reprenne l'instruction de la demande d'autorisation présentée par la société Parc éolien du Mont Hellet en tant qu'elle porte sur les éoliennes E1, E2 et E3, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

43. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de la commune de Lucy est admise.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 14 avril 2021 est annulé en tant qu'il rejette la demande d'autorisation environnementale déposée par la société Parc éolien du Mont Hellet portant sur les éoliennes E1, E2 et E3.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de reprendre l'instruction de la demande d'autorisation de la société Parc éolien du Mont Hellet en tant qu'elle porte sur les éoliennes E1, E2 et E3, dans un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt.

Article 4 : Les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 14 avril 2021 en tant qu'il rejette la demande d'autorisation déposée pour l'éolienne E4 sont rejetées.

Article 5 : L'Etat versera à la société Parc éolien du Mont Hellet une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc éolien du Mont Hellet, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet de la Seine-Maritime.

Copie en sera transmise pour information à la commune de Lucy.

Délibéré après l'audience publique du 5 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2023.

La présidente-rapporteure,

Signé : C. Baes-HonoréLe président de la 1ère chambre,

Signé : M. A...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N° 21DA01303 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA01303
Date de la décision : 25/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: Mme Corinne Baes Honoré
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : CABINET VOLTA

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-01-25;21da01303 ?
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