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06/12/2021 | FRANCE | N°20PA02027

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 06 décembre 2021, 20PA02027


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Orange SA a demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, d'annuler la décision du 13 avril 2018 par laquelle le chef du Service national des enquêtes de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a infligé à la société Orange SA une amende de 315 000 euros et a ordonné la publication de cette décision sur son site Internet pendant une durée de deux mois et, en conséquence, d'enjoindre à la DGCCRF de publier sur

son site Internet et ses comptes Facebook et Twitter la décision d'annulation du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Orange SA a demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, d'annuler la décision du 13 avril 2018 par laquelle le chef du Service national des enquêtes de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a infligé à la société Orange SA une amende de 315 000 euros et a ordonné la publication de cette décision sur son site Internet pendant une durée de deux mois et, en conséquence, d'enjoindre à la DGCCRF de publier sur son site Internet et ses comptes Facebook et Twitter la décision d'annulation du tribunal pendant un délai de deux mois, à titre subsidiaire, de réformer cette décision pour réduire le montant de l'amende prononcée à l'encontre de la société Orange SA.

Par un jugement n° 1809943/2-1 du 2 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête de la société Orange SA.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 juillet 2020 et 8 novembre 2021, la société Orange SA, représentée par Mes Dupeyron et Rios, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1809943 du 2 juin 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 13 avril 2018 par laquelle le chef du Service national des enquêtes de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a infligé à la société Orange SA une amende de 315 000 euros et a ordonné la publication de cette décision sur son site Internet pendant une durée de deux mois ;

3°) de réformer cette décision pour réduire le quantum de l'amende prononcée à l'encontre d'Orange ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- les premiers juges ont entaché d'irrégularité de procédure leur jugement du 2 juin 2020, la note en délibéré transmise au greffe du Tribunal le 18 mai 2020, ayant été visée comme un mémoire produit postérieurement à la clôture de l'instruction et non comme une note en délibéré et n'ayant pas été communiquée au ministre de l'économie et des finances en méconnaissance du respect du principe du contradictoire ;

- cette note exposait des arguments de droit nouveaux relatifs à l'incompatibilité de la position défendue par le Ministre dans sa décision du 13 avril 2018 avec les dispositions de la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018 établissant un code européen des communications électroniques ;

Sur le bien-fondé du jugement :

- les premiers juges ont commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'arrêté du 3 décembre 1987 interdisaient la pratique qu'elle a mise en œuvre distinguant le prix de l'accès à Internet de celui de la location du modem, en ne prenant pas en compte les prescriptions de la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018 et qu'elle ne pouvait se prévaloir des avis du Conseil National de la Consommation (CNC) ;

- la décision attaquée est disproportionnée dans la mesure où elle a fait preuve de collaboration et de bonne foi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juillet 2021, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Orange SA ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du

11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen ;

- le règlement d'exécution (UE) 2019/2243 de la Commission du 14 décembre 2019 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;

- le code de la consommation ;

- l'arrêté du 3 décembre 1987 relatif à l'information du consommateur sur les prix ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... A...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Dupeyron, avocat de la société Orange SA.

Considérant ce qui suit :

Sur la régularité du jugement attaqué :

1. La société Orange SA (ci-après " la société Orange ") soutient que les premiers juges ont entaché d'irrégularité de procédure leur jugement, la note en délibéré transmise au greffe du tribunal le 18 mai 2020, ayant été visée comme un mémoire produit postérieurement à la clôture de l'instruction et non comme une note en délibéré et n'ayant pas été communiquée au ministre de l'économie et des finances en méconnaissance du respect du principe du contradictoire.

2. Il y a lieu de rappeler que devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

3. En l'espèce, si la société Orange soutient que la " note en délibéré " déposée le

18 mai 2020 comportait des " arguments de droit nouveaux " relatifs à l'incompatibilité de la position défendue par le Ministre dans sa décision du 13 avril 2018 avec les dispositions de la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018 établissant un code européen des communications électroniques, elle n'établit pas que cette directive contenait des éléments de droit qui n'étaient pas connus de la société requérante avant la date de la clôture de l'instruction fixée au

25 octobre 2019 et qu'elle ne pouvait pas en temps utile les invoquer.

4. Dans ces circonstances, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré qu'il n'y avait pas lieu de rouvrir l'instruction et de communiquer les écritures produites par la société Orange le 18 mai 2020 postérieurement à la clôture de l'instruction. Il suit de là que le moyen tiré de ce qu'en ne rouvrant pas l'instruction et en ne communiquant pas ses dernières écritures, les premiers juges ont méconnu le respect du principe du contradictoire doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. Aux termes de l'article L. 112-1 du code de la consommation : " Tout vendeur de produit ou tout prestataire de services informe le consommateur, par voie de marquage, d'étiquetage, d'affichage ou par tout autre procédé approprié, sur les prix et les conditions particulières de la vente et de l'exécution des services, selon des modalités fixées par arrêtés du ministre chargé de l'économie, après consultation du Conseil national de la consommation ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 3 décembre 1987 relatif à l'information du consommateur sur les prix : " Toute information sur les prix de produits ou de services doit faire apparaître, quel que soit le support utilisé, la somme totale toutes taxes comprises qui devra être effectivement payée par le consommateur, exprimée en euros. Toutefois, peuvent être ajoutés à la somme annoncée les frais ou rémunérations correspondant à des prestations supplémentaires exceptionnelles expressément réclamées par le consommateur et dont le coût a fait l'objet d'un accord préalable ". L'article 3 de cet arrêté dispose que : " Lorsque le prix annoncé ne comprend pas un élément ou une prestation de services indispensables à l'emploi ou à la finalité du produit ou du service proposé, cette particularité doit être indiquée explicitement ".

6. En premier lieu, la société Orange soutient que les premiers juges ont commis une erreur de droit en considérant que les dispositions de l'article 1er de l'arrêté du

3 décembre 1987 interdisaient la pratique mise en œuvre par Orange consistant en un affichage distinguant le prix de l'accès à l'internet de celui de la location du modem dès lors qu'il s'agit de prestations distinctes.

7. Elle fait valoir en outre que les dispositions de l'article 1er de l'arrêté du

3 décembre 1987 doivent être lues en combinaison avec celles de l'article 3 du même arrêté qui autorisent explicitement les vendeurs à annoncer un prix qui n'inclut pas un élément nécessaire à l'emploi du produit considéré, à la condition toutefois de l'indiquer.

8. Il convient toutefois de préciser que les dispositions de l'article 3 de l'arrêté du 3 décembre 1987 visent le cas où un équipement ou une prestation complémentaire mais indispensable pour l'emploi du produit considéré n'est pas fourni par l'opérateur en question. Il s'ensuit que la société requérante ne saurait utilement invoquer les dispositions de l'article 3 de l'arrêté du 3 décembre 1987 qui ne contient aucune prescription contraire à l'indication d'un prix total mais instaure une garantie supplémentaire au profit des consommateurs qui doivent être informés lorsque le prix annoncé ne comprend pas un élément ou une prestation de services indispensables à l'emploi ou à la finalité du produit ou du service proposés, de la somme totale dont ils devront s'acquitter.

9. En l'espèce, il est constant et il n'est pas contesté par la société Orange que pour 21 supports relevés par le procès-verbal du 22 février 2018, la société qui se bornait à indiquer le prix de l'abonnement internet ligne fixe, puis de façon distincte le prix de la location de la box par une mention figurant en bas de page ne faisait pas apparaître, en méconnaissance de l'article 1er de l'arrêté du 3 décembre 1987 " la somme totale toutes taxes comprises qui devra être effectivement payée par le consommateur ".

10. Dans ces circonstances, le moyen tiré de ce que les premiers juges ont commis une erreur de droit en ayant considéré qu'elle était tenue d'afficher un prix global dans ses offres doit être écarté.

11. En deuxième lieu, la société Orange soutient que les premiers juges ont commis une erreur de droit en ne prenant pas en considération les prescriptions de la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018 et les dispositions du règlement d'exécution (UE) 2019/2243 de la Commission du 14 décembre 2019.

12. Toutefois, cet argument est inopérant dès lors que, d'une part, la société requérante ne s'était, à aucun moment, prévalue au cours de l'instruction des dispositions de ce règlement et de cette directive, et que, d'autre part, les dispositions de cette directive n'ayant pas fait l'objet d'une transposition à la date de la décision attaquée ne pouvaient, en tout état de cause, être invoquées.

13. Enfin, à supposer que la société Orange ait entendu se prévaloir de l'effet direct de la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018, il y a lieu de rappeler que deux conditions cumulatives doivent être remplies : il faut que le délai de transposition soit expiré et que les dispositions de la directive soient inconditionnelles et précises. Or, ni la première ni la seconde condition ne sont remplies en l'espèce.

14. Dans ces conditions, la société Orange n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges ont commis une erreur de droit en ne prenant pas en compte les prescriptions de la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018 et les dispositions du règlement d'exécution (UE) 2019/2243 de la Commission du 17 décembre 2019.

15. En troisième lieu, la société Orange soutient que les premiers juges ont commis une erreur de droit en ne prenant pas en considération les avis émis par le CNC en matière de fourniture d'accès à internet et que sa pratique est conforme aux avis du CNC des 5 mars 2006, 23 juin 2006 et du 27 mars 2007 qui recommandent une distinction entre forfait et prix du modem.

16. S'agissant d'une instance consultative, cette circonstance, à la supposer établie, est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée et ne saurait, ainsi que l'ont relevé à bon droit les premiers juges, faire obstacle à l'application des dispositions impératives de l'article 1er de l'arrêté du 3 décembre 1987 pris en application de l'article L.112-1 du code de la consommation. Il s'ensuit que la société Orange n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges ont commis une erreur de droit en ne prenant pas en en considération les avis émis par le CNC en matière de fourniture d'accès à internet.

17. En dernier lieu, la société Orange demande à la Cour de réformer le jugement du tribunal au motif que la sanction est disproportionnée, que sa position est conforme à l'avis du CNC, que le montant de la sanction correspond au montant maximal prévu par le texte et qu'elle a pris les mesures nécessaires pour se conformer à la demande de la DGCCRF dès décembre 2017 et en février 2018 et que le nouvel affichage des prix a été effectif le 5 avril 2018.

18. Aux termes de l'article L. 131-5 du code de la consommation : " Tout manquement aux dispositions de l'article L. 112-1 définissant les modalités d'information sur le prix et les conditions de vente ainsi qu'aux dispositions des arrêtés pris pour son application est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale. Cette amende est prononcée dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V ".

19. En l'espèce, il est constant que la société requérante n'a pas modifié sa pratique dans le délai courant jusqu'au 1er février 2018 laissé par le courrier du 11 août 2017 de la DGCCRF alors que d'autres opérateurs et fournisseurs d'accès à l'internet l'ont fait, qu'en outre, les contrôles diligentés les 2 février et 9 février 2018 et qui ont donné lieu au procès-verbal de constat du 22 février 2018 ont révélé que le prix indiqué par la société Orange pour les 21 supports retenus n'incluait pas le prix du modem.

20. Dans ces circonstances, en considérant que la sanction infligée à la société d'une amende d'un montant de 315 000 euros n'était pas disproportionnée eu égard aux manquements constatés et à leur durée, les premiers juges n'ont pas commis d'erreur de droit et partant, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de réformation du jugement du tribunal quant au quantum de l'amende prononcée à l'encontre de la société Orange.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Orange SA doit être rejetée y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative, l'Etat n'étant pas partie perdante dans cette affaire.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Orange SA est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Orange SA et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2021.

Le rapporteur,

F. Ho Si A... Le président,

R. Le Goff

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA02027


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02027
Date de la décision : 06/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

14-02-01-03 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. - Réglementation des activités économiques. - Activités soumises à réglementation. - Réglementation de la protection et de l'information des consommateurs.


Composition du Tribunal
Président : M. LE GOFF
Rapporteur ?: M. Frank HO SI FAT
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SAVOIE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-12-06;20pa02027 ?
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