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20/11/2020 | FRANCE | N°20NT01478

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 20 novembre 2020, 20NT01478


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 24 février 2020 par laquelle la préfète d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités suédoises pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle la préfète l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2000960 du 3 mars 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 m

ai 2020, M. C... A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 200...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 24 février 2020 par laquelle la préfète d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités suédoises pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle la préfète l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2000960 du 3 mars 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 mai 2020, M. C... A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000960 du tribunal administratif de Rennes du 3 mars 2020 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 24 février 2020 par laquelle la préfète d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités suédoises ;

3°) d'enjoindre à la préfète d'Ille-et-Vilaine, à titre principal, de l'autoriser à solliciter l'asile en France et de lui délivrer une attestation en tant que demandeur d'asile dans un délai de trois jours, ou à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.

Il soutient que :

- les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; en l'absence d'indication sur le compte-rendu d'entretien du nom, prénom et qualité de l'agent ayant conduit l'entretien, la préfète n'établit pas avoir satisfait aux exigences de ces dispositions ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ont été méconnues du fait d'un risque de refoulement dans son pays d'origine où règne une situation de violence généralisée, notamment dans la province de Baghlan dont il est originaire et à Kaboul, par lequel il doit transiter ; il a fait l'objet en Suède d'une décision de rejet d'asile, d'une mesure d'éloignement et d'une interdiction de retour, devenues définitives ; la décision suédoise d'éloignement vers l'Afghanistan est exécutoire ; la possibilité d'un réexamen de sa demande d'asile en Suède n'aurait pas d'incidence, les autorités suédoises procédant à des éloignements d'Afghans ; la Suède n'accorde pas de protection subsidiaire aux ressortissants afghans ; il appartient à la France de s'assurer auprès des autorités suédoises qu'un réexamen de sa situation serait effectué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2020, la préfète d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- le délai de transfert de M. A... a été prolongé jusqu'au 3 septembre 2021 ;

- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 8 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., ressortissant afghan né en janvier 1995, est entré en France en novembre 2019. Il a déposé une demande d'asile qui a été enregistrée le 25 novembre 2019. Par une décision du 24 février 2020, la préfète d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert auprès des autorités suédoises pour l'examen de sa demande d'asile, et par une décision du même jour, a également prononcé son assignation à résidence. M. A... relève appel du jugement n° 2000960 du 3 mars 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 24 février 2020.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...)".

3. Il ressort des sources médiatiques publiquement disponibles que la ville de Kaboul est en proie à de nombreux attentats depuis le début de l'année 2019, dont deux recensés les 7 et 21 août 2019, lesquels ont causé la mort d'une centaine de personnes et en ont blessé près de 400 autres, et un autre recensé le 2 septembre 2019 dont le bilan a été de seize morts, tous civils, et 119 blessés. Le rapport publié par la Mission d'Assistance des Nations unies en Afghanistan (UNAMA) au mois de février 2019, intitulé Afghanistan, Protection of civilians in armed conflict, Annual report 2018, souligne que Kaboul a été la ville afghane la plus touchée par des attentats-suicide et des attaques complexes à la suite desquels il a été recensé le plus grand nombre de victimes civiles au cours de l'année 2018. En effet, le rapport précité, qui se réfère à celui publié par la mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (UNAMA) au mois de février 2018, intitulé " Afghanistan, Protection of civilians in armed conflict, Annual report 2017 ", répertorie 740 incidents sécuritaires dans cette province entre le 1er janvier 2017 et le 31 mars 2018, du fait des insurgés tandis que le nombre de victimes civiles comptabilisées en 2017 a atteint 862 dans cette province, augmentant ainsi de un pour cent par rapport au chiffre relevé en 2016. Selon le rapport du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) intitulé " Country Guidance : Afghanistan " de juin 2019, le nombre de victimes civiles à Kaboul a encore augmenté de 5% en 2018 par rapport à l'année 2017. La situation de la région de Kaboul était toujours caractérisée par ce niveau de violence généralisée à la date de la décision de transfert contestée.

4. M. A... invoque les risques encourus en cas d'exécution par la Suède d'un éloignement à destination de l'Afghanistan, dont la ville de Kaboul est l'unique point d'entrée. Si l'arrêté litigieux a pour objet de le transférer en Suède, il ressort des pièces produites par l'intéressé, et traduites par une experte auprès d'une cour d'appel, que sa demande d'asile déposée en Suède a été rejetée et qu'il y a fait l'objet d'une mesure d'éloignement le 1er décembre 2017. Il ressort en outre des pièces produites qu'il fait l'objet d'une mesure d'interdiction du territoire suédois le 7 décembre 2019, tandis que son recours introduit devant le tribunal de l'immigration a été rejeté le 1er novembre 2019 par une décision qui n'est plus susceptible de recours. L'administration n'établit pas, ni même n'allègue, que l'obligation de quitter le territoire suédois ne serait pas immédiatement exécutoire, alors que, notamment dans le cadre de la coopération en matière de partage d'informations prévue par l'article 34 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, la préfète pouvait aisément obtenir de tels renseignements. Il est en outre constant que l'accord des autorités suédoises pour le transfert de M. A... a été donné sur le fondement du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, relatif aux étrangers dont la demande d'asile a été rejetée. Par ailleurs, la préfète d'Ille-et-Vilaine ne justifie pas avoir vérifié qu'il existe en Suède des procédures permettant aux autorités administratives ou judiciaires de réexaminer, lorsqu'il est envisagé de procéder à l'exécution forcée d'une mesure d'éloignement devenue définitive, si l'intéressé risque, comme ce serait le cas de M. A... en cas de renvoi vers l'Afghanistan, de subir, du fait de l'exécution de cette décision, des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Dans ces conditions, le risque que M. A..., en cas de transfert vers la Suède, soit renvoyé par les autorités suédoises vers l'Afghanistan, ne pouvant être écarté en l'espèce, la préfète d'Ille-et-Vilaine a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 en n'utilisant pas la possibilité, résultant de ces dispositions, d'examiner en France la demande d'asile de l'intéressé.

5. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète d'Ille-et-Vilaine du 24 février 2020 portant transfert auprès des autorités suédoises.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint à la préfète d'Ille-et-Vilaine, dans un délai qu'il y a lieu de fixer à un mois, d'autoriser M. A... à déposer sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale.

Sur les frais du litige :

7. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans la présente instance. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me B..., avocate de M. A..., de la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DECIDE :

Article 1er : L'arrêté de la préfète d'Ille-et-Vilaine du 24 février 2020 portant transfert de M. A... auprès des autorités suédoises et le jugement n° 2000960 du 3 mars 2020 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il rejette la demande de M. A... dirigée contre cet arrêté et sa demande d'injonction sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète d'Ille-et-Vilaine, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, d'autoriser M. A... à déposer sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale.

Article 3 : L'Etat versera à Me B... la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 3 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme D..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 novembre 2020.

La rapporteure,

M. D...Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

V. DESBOUILLONS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT01478


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01478
Date de la décision : 20/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : CABINET GAELLE LE STRAT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-11-20;20nt01478 ?
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