Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 20 juillet 2020 du ministre de l'intérieur prononçant à son encontre une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance.
Par un jugement n° 2005153 du 22 septembre 2020, ce tribunal a annulé cet arrêté.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 octobre 2020, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal.
Il soutient que :
- les conditions fixées à l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure pour prononcer la mesure prévue à l'article L. 228-2 étaient réunies ;
- il s'en rapporte pour le surplus au mémoire en défense qu'il a produit en première instance.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 janvier 2021, M. D..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que les conditions prévues à l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure pour prononcer la mesure prévue à l'article L. 228-2 n'étaient pas satisfaites.
Par une décision du 9 décembre 2020, M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code pénal ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-845 QPC du 19 juin 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Me C....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 20 juillet 2020 le ministre de l'intérieur, en se fondant sur les dispositions du code de la sécurité intérieure réglementant une telle mesure, a prononcé à l'encontre de M. D..., de nationalité française, une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance. Cet arrêté comportait pour une durée de trois mois, en application des dispositions de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, l'interdiction de se déplacer à l'extérieur du territoire de la commune de Grenoble, l'obligation de se présenter une fois par jour, y compris les dimanches et jours fériés ou chômés, au commissariat de police de cette commune et l'obligation de déclarer son lieu d'habitation et tout changement de celui-ci. Par un jugement du 18 septembre 2020 dont le ministre de l'intérieur relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté.
2. Aux termes de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure : " Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre ".
3. Aux termes de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure : " Le ministre de l'intérieur peut (...) faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de : / 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. (...) ; / 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; / 3° Déclarer son lieu d'habitation et tout changement de lieu d'habitation. / Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de trois mois, lorsque les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être réunies. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, chaque renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article ne peut excéder douze mois. Les mesures sont levées dès que les conditions prévues à l'article L. 228-1 ne sont plus satisfaites. / (...) ".
4. L'arrêté litigieux est fondé sur, d'une part, les convictions pro-jihadistes que M. D... a partagées à de nombreuses reprises sur les réseaux sociaux depuis 2015 et, d'autre part, ses relations avec des personnes acquises à cette cause. Ces faits, en dépit des dénégations de l'intéressé, ont d'abord été établis lors de la perquisition administrative conduite le 1er décembre 2015 au domicile d'un individu connu comme radicalisé, de la même obédience (" takfir ") que M. D..., avec lequel il entretenait des liens étroits ainsi qu'avec un autre individu également radicalisé. La décision mentionne ensuite l'exploitation des supports saisis lors des perquisitions judiciaires effectuées au domicile de M. D... les 23 janvier 2019 et 4 septembre 2019, qui ont conduit à sa condamnation le 12 mai 2020 par le tribunal correctionnel de Grenoble à une peine d'un an d'emprisonnement pour délit de recel d'apologie d'actes de terrorisme, le tribunal ayant notamment retenu que les faits " outre leur caractère insoutenable quant à la violence des fichiers extraits, troublent gravement l'ordre public ". Enfin, le ministre s'est fondé sur une note de renseignement. Si la cour d'appel de Grenoble a ordonné le 19 juin 2020 sa remise en liberté en conséquence de la déclaration d'inconstitutionnalité du délit retenu à son encontre, prononcée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2020-845 du 19 juin 2020, la matérialité des consultations et du stockage de nombreuses données à caractère pro-jihadiste, en particulier de documents exposant la méthodologie pour commettre un attentat avec un véhicule, est avérée. En s'appuyant sur ces éléments pour estimer que M. D... adhérait à une idéologie radicale présentant un caractère dangereux, la diffusait et entrait en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations facilitant ou participant à des actes de terrorisme pour en déduire qu'il existait des raisons sérieuses de considérer que le comportement de M. D... constituait alors une menace particulièrement grave pour la sécurité et l'ordre publics, le ministre de l'intérieur a fait une exacte application des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure. Le ministre de l'intérieur est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté au motif qu'il n'établissait pas que le comportement de l'intéressé constituait une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics.
5. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. D... devant le tribunal administratif de Grenoble.
6. Si l'arrêté du 20 juillet 2020 ne mentionne pas le nom de son signataire, il vise l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration qui dispose que : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. /Toutefois, les décisions fondées sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme sont prises dans des conditions qui préservent l'anonymat de leur signataire. Seule une ampliation de cette décision peut être notifiée à la personne concernée ou communiquée à des tiers, l'original signé, qui seul fait apparaître les nom, prénom et qualité du signataire, étant conservé par l'administration. ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 773-9 du code de justice administrative : " Les exigences de la contradiction mentionnées à l'article L. 5 sont adaptées à celles de la protection de la sécurité des auteurs des décisions mentionnées au second alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. Lorsque dans le cadre d'un recours contre l'une de ces décisions, le moyen tiré de la méconnaissance des formalités prescrites par le même article L. 212-1 ou de l'incompétence de l'auteur de l'acte est invoqué par le requérant ou si le juge entend relever d'office ce dernier moyen, l'original de la décision ainsi que la justification de la compétence du signataire sont communiqués par l'administration à la juridiction qui statue sans soumettre les éléments qui lui ont été communiqués au débat contradictoire ni indiquer l'identité du signataire dans sa décision ".
7. D'une part, l'arrêté en cause étant intervenu pour des motifs liés à la prévention des actes de terrorisme, cette mesure est au nombre de celles qui, en application des dispositions précitées, peuvent faire l'objet d'une notification régulière sous la forme d'une ampliation anonyme. Dans ces conditions, M. D... ne peut utilement contester sa régularité au motif que l'ampliation qui lui a été notifiée ne comportait pas les mentions visées par les dispositions précitées du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration.
8. D'autre part, le ministre de l'intérieur a produit devant la cour, dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article L. 773-9 du code de justice administrative, l'original de l'arrêté du 20 juillet 2020, revêtu de l'ensemble des mentions requises par le 1er alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, et notamment l'identité et la signature de son auteur, lequel disposait d'une délégation pour le signer au nom du ministre. Par suite, le moyen soulevé par M. D... tiré de l'incompétence de l'auteur de la mesure litigieuse doit être écarté comme manquant en fait.
9. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 20 juillet 2020. En conséquence, ce jugement doit être annulé et la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Grenoble doit être rejetée. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2005153 du tribunal administratif de Grenoble du 22 septembre 2020 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... D....
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme B..., président assesseur,
Mme Duguit-Larcher, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2021.
2
N° 20LY02955