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10/03/2022 | FRANCE | N°20LY00111

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 10 mars 2022, 20LY00111


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société SMA SA, en qualité d'assureur subrogé du Département de la Savoie, a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

- de condamner plusieurs intervenants à l'opération de construction du collège Georges Sand à l'indemniser du fait de diverses malfaçons des préjudices subis, et notamment :

. au titre des réclamations n° 23 et 28, la société Toit et Charpente L..., M. L..., la société Fils d'Eugène F..., M. J..., les sociétés R... et H... au versement d'une somme de 791 22

6 euros,

. au titre de la réclamation n° 36, M. L..., la société Fils d'Eugène F..., M. J... e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société SMA SA, en qualité d'assureur subrogé du Département de la Savoie, a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

- de condamner plusieurs intervenants à l'opération de construction du collège Georges Sand à l'indemniser du fait de diverses malfaçons des préjudices subis, et notamment :

. au titre des réclamations n° 23 et 28, la société Toit et Charpente L..., M. L..., la société Fils d'Eugène F..., M. J..., les sociétés R... et H... au versement d'une somme de 791 226 euros,

. au titre de la réclamation n° 36, M. L..., la société Fils d'Eugène F..., M. J... et la société R... au versement d'une somme de 12 160 euros ;

- d'assortir les condamnations prononcées d'intérêts à compter du règlement fait par la requérante au département de la Savoie ;

- de condamner in solidum tous les défendeurs au versement d'une somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1600428 du 18 novembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a :

- refusé d'admettre l'intervention de la société mutuelle d'assurances L'Auxiliaire ;

- au titre des réclamations n°1 et 5, condamné M. J..., la société R..., le bureau d'études Kéops, le bureau de contrôle H..., et la société Spie Batignolles I... à verser à la société SMA SA la somme de 3 481, 45 euros HT ;

- au titre de la réclamation n°6 et 25, condamné M. J... et la société R... à verser à la société SMA SA la somme de 13 723, 13 euros HT ;

- au titre des réclamation n°16, 17, 18 et 21, condamné M. J..., la société R... et la société Spie Batignolles I... à verser à la société SMA SA la somme de 7 362, 20 euros HT ;

- au titre des réclamations n°23 et 28, condamné M. J..., la société R... et la société Les fils d'Eugène F... à verser à la société SMA SA la somme de 785 824, 91 euros HT ;

- majoré les condamnations précitées du taux de TVA de 4,518 % restant à la charge du département de la Savoie et donc de son assureur subrogé ;

- assorti ces mêmes condamnations des intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2016 ;

- condamné le bureau d'études Khéops, le bureau de contrôle H... et la société Spie Batignolles I... à garantir M. J... et la société R... à hauteur de 40 %, 10 % et 10 % respectivement des condamnations mises à leur charge ;

- condamné M. J... et la société R... à garantir la société Spie Batignolles I... de 40 % des condamnations mises à sa charge ;

- condamné le bureau d'études Khéops à garantir la société Spie Batignolles I... de 40 % des condamnations mises à sa charge ;

- condamné la société B... à garantir M. J... et la société R... de 90 % des condamnations mises à leur charge ;

- condamné M. J... et la société R... à garantir la société Spie Batignolles I... de 10 % des condamnations mises à sa charge ;

- condamné la société Spie Batignolles I... à garantir M. J... et la société R... de 90 % des condamnations mises à sa charge ;

- condamné la société Les fils d'Eugène F... à garantir M. J... et la société R... de 90 % des condamnations mises à sa charge ;

- mis à la charge de M. J... et des sociétés R..., Khéops ingénierie, H... D..., Spie Batignolles I..., Les fils d'Eugene F..., et B... une somme de 1 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au profit de la société SMA SA ;

- rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 13 janvier 2020, et des mémoires enregistrés le 4 août 2020 et le 2 décembre 2020, et un mémoire non communiqué enregistré le 2 février 2022, la société Les Fils d'Eugène F..., représentée par Me Pacifici, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement susmentionné du 18 novembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble en ce qu'il a :

- rejeté la demande d'intervention volontaire de la compagnie L'Auxiliaire ;

- condamné au titre des réclamations n°23 et 28, M. J..., la société R... et la société Les fils d'Eugène F... à verser à la société SMA SA la somme de 785 824, 91 euros HT ;

- majoré cette condamnation du taux de TVA de 4,518 % restant à la charge du département de la Savoie et donc de son assureur subrogé ;

- condamné la société Les fils d'Eugène F... à garantir M. J... et la société R... de 90 % des condamnations mises à sa charge ;

2°) à titre principal, de rejeter les demandes de la société SMA SA ;

3°) à titre subsidiaire :

- d'admettre l'intervention de la compagnie L'Auxiliaire en qualité d'assureur de la société L..., cotraitant du lot n° 5 charpente bois-couverture inox ;

- de limiter le montant des condamnations mises à la charge de M. J..., de la société R... et du groupement d'entreprises constitué des sociétés L... et Les fils d'Eugène F... au titre des réclamations n° 23 et 28 à la somme de 791 226 euros à laquelle la société SMA SA est subrogée dans les droits du département de la Savoie ;

4°) de condamner in solidum M. J..., la société R... et la société H... à relever et garantir le groupement d'entreprises constitué des sociétés L... et Les fils d'Eugène F... des condamnations prononcées contre elles au titre des réclamations n° 23 et 28 ;

5°) de mettre à la charge de la société SMA SA, ou qui mieux le devra, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- la société Mignola est placée en liquidation judiciaire depuis le 2 novembre 2019 ;

- la société B... est radiée du registre du commerce et des sociétés depuis le 10 juillet 2015 ;

- les demandes d'indemnisation de la société SMA SA sont irrecevables en raison de l'autorité de chose jugée dont est revêtue le jugement du 31 décembre 2012 du tribunal administratif de Grenoble, confirmé par une ordonnance du 4 avril 2013 du président de la cour administrative d'appel de Lyon ;

- l'action engagée par la société SMA SA est irrecevable dès lors qu'elle ne peut bénéficier de la subrogation légale prévue par l'article L. 121-12 du code des assurances et qu'elle ne peut se prévaloir de la subrogation conventionnelle en raison de la forclusion de l'action engagée par le département de la Savoie contre cette société en vertu de l'article L. 114-1 du code précité, et qu'ainsi, elle n'aurait pas dû payer l'indemnité ;

- les désordres n° 23 et 28 sont principalement imputables au maître d'ouvrage qui a choisi un matériel inox mal adapté au bâtiment et ne sont pas imputables à un défaut de pose par les sociétés L... et Les Fils d'Eugène F... ;

- ces désordres sont également en partie imputables à M. J... et à la société R..., membres de l'équipe de maîtrise d'œuvre, au titre de leur devoir de conseil ;

- sa responsabilité, si elle est retenue, est secondaire et ne saurait excéder 20 % :

- la responsabilité de la société H... est engagée pour n'avoir pas attiré l'attention du maître d'ouvrage sur les exigences liées au type de toiture et non pas pour ne pas avoir vérifié le détail de la bonne exécution technique des travaux ;

- la responsabilité de la société L..., en sa qualité de cotraitante du lot n° 5, doit également être engagée ; la radiation de cette société du registre du commerce et des sociétés ne fait pas échec à la mobilisation des garanties de son assureur qui, dans le cadre d'une action devant les juridictions civiles, peut être condamné à relever et garantir son ex-sociétaire ; c'est pourquoi, la cour donnera acte à la compagnie l'Auxiliaire de ce qu'elle entend participer volontairement à la procédure ;

- la société SMA SA étant, en vertu de l'article L. 121-12 du code des assurances, subrogée dans les droits du maître d'ouvrage à hauteur de l'indemnité versée, soit 791 226 euros s'agissant des réclamations n° 23 et 28, M. J..., la société R... et la société Les fils d'Eugène F... ne sauraient être condamnée à payer à la société SMA SA une somme supérieure à celle ainsi versée ;

- la réfection intégrale de la toiture, qui engendre un enrichissement pour le maître d'ouvrage et pour laquelle l'expert n'a aurait dû tenir compte d'un coefficient de vétusté, ne constituait pas un préjudice indemnisable.

Par un mémoire enregistré le 27 mai 2020, la société H... Construction, représentée par la Selarl Piras et associés, demande à la Cour :

1°) à titre principal, de rejeter toutes les demandes formées par la société SMA SA ;

2°) à titre subsidiaire, de rejeter toutes les demandes formées à son encontre ;

3°) à titre très subsidiaire :

- de rejeter la demande de condamnation solidaire ;

- de condamner solidairement les sociétés Toit et Charpente L..., Les Fils C... F..., R... et M. J... à la relever et garantir de toutes condamnations au titre des désordres 23, 24 et 28 et de laisser à la charge de la société SMS SA une part du coût des travaux de reprise ;

- de condamner solidairement tout succombant à la relever et garantir de toutes condamnations au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de la société SMA SA ou qui mieux le devra la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les demandes d'indemnisation de la société SMA SA sont irrecevables en raison de l'autorité de chose jugée dont est revêtue le jugement du 31 décembre 2012 du tribunal administratif de Grenoble rejetant ses demandes ;

- elles sont également irrecevables dès lors que la société SMA SA ne justifie pas remplir les conditions de la subrogation légale prévue par l'article L. 121-12 du code des assurances et celles de la subrogation conventionnelle puisqu'elle ne démontre pas avoir payé l'indemnité dont elle réclame le remboursement ;

- elle sont aussi irrecevables en raison de la prescription de l'action indemnitaire formée par le département de la Savoie à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrages en vertu de l'article L. 114-1 du code des assurances ;

- les désordres n° 23, 24 et 28 ne lui sont pas imputables, alors que le projet était conforme au DTU en vigueur pour les toitures inox à joints debout et que le manque de serrage ou le desserrage des joints autour des pattes de fixation n'étaient pas décelables ;

- le tribunal l'a condamnée au titre des désordres n° 1 et 5 ;

- sa condamnation solidaire doit être rejetée dès lors qu'il est possible de dissocier la part de chacun des intervenants à l'opération ;

- les sommes qu'elle pourrait régler ne sauraient excéder sa part de responsabilité ;

- la responsabilité des sociétés Toit et Charpente L... et Les Fils d'Eugène F... au titre de la mise en œuvre de la toiture inox a été retenue par l'expert ;

- les maîtres d'œuvre n'ont pas déconseillé au maître d'ouvrage l'utilisation de l'inox pour la toiture alors que le zinc est plus approprié ;

- la société SMA SA conservera une part importante du coût des travaux de reprise à sa charge dès lors que c'est sur demande expresse du maître de l'ouvrage que la toiture a finalement été réalisée en inox, et ce d'autant que la réfection en inox est la cause d'un enrichissement sans cause pour le maître de l'ouvrage.

Par un mémoire enregistré le 16 juillet 2020, et un mémoire enregistré le 21 janvier 2022, la société R... et Co et M. N... J..., représentés par Me Balme, demandent à la Cour :

1°) de réformer le jugement en ce qu'il a déclaré les demandes de la SMS SA recevables ;

2°) à titre principal, de rejeter les demandes de la société SMA SA formées à son encontre ;

3°) à titre subsidiaire, de rejeter les demandes de la société SMA SA ;

4°) en tout état de cause :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société SMA SA concernant les réclamations n°s 2, 8, 9, 10, 12, 13, 19, 33 et 36 ;

- de limiter les condamnations au profit de la société SMA SA aux montants qu'elle a versés au département de la Savoie et contenus dans le protocole d'accord ;

- de rejeter l'ensemble des demandes de la sociétés SMA à leur encontre (réclamations n°s 1, 2, 5, 6, 8, 9, 12, 13, 16, 17, 18, 19, 21, 23, 24, 25, 28) ;

5°) à titre infiniment subsidiaire :

- de condamner les sociétés Comai, Isomir, Keops Ingénierie, Les Fils d'Eugène F..., E... O..., H... D..., S... I... et B... à les relever et garantir ;

- de rejeter la demande de condamnation solidaire formée par la société SMA à son encontre ;

- de rejeter la demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentée par la société T... à leur encontre ;

6°) de mettre à la charge de la société SMA SA ou de tout autre succombant la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- l'action de la société SMA SA est irrecevable en raison de l'autorité de chosée jugée dont est revêtu le jugement du 31 décembre 2012 du tribunal administratif de Grenoble, confirmé par une ordonnance du 4 avril 2013 du président de la cour administrative d'appel de Lyon ;

- la société SMA SA n'est pas subrogée légalement dans les droits du département de la Savoie dès lors que ce dernier était forclos pour agir à son encontre, qu'il n'est pas démontré que la prescription a été interrompue par l'envoi d'un courrier recommandé et qu'ainsi elle aurait dû refuser sa garantie et ne pas payer l'indemnité ;

- la société SMA SA ne saurait davantage se prévaloir d'une subrogation conventionnelle pour les mêmes motifs ;

- le caractère décennal des désordres n'est pas démontré ;

- l'imputabilité des désordres aux architectes n'est pas démontrée :

. concernant la réclamation n° 1 : compte tenu la mission de conception de la structure du bâtiment confiée à un bureau d'études structures ; si une condamnation devait être prononcée, celle-ci serait au maximum de 3 639 euros, incluant les réclamations 2 et 5, tel que cela a été mentionné dans le protocole d'accord conclu entre le département de la Savoie et la société SMA SA ;

. concernant la réclamation n° 2 : eu égard au caractère non décennal de ce désordre retenu par le tribunal et de la conception de la structure qui en est l'origine, confiée au bureau d'études structures Compard devenu Keops ;

. concernant la réclamation n° 5 : eu égard à la cause du désordre résultant d'une erreur de conception de la structure du bâtiment du bureau d'études structure, dont la mission recouvrait également le suivi des travaux ;

. concernant la réclamation n° 5 : pour laquelle leur responsabilité n'a pas été retenue par l'expert ;

. concernant la réclamation n° 8 : égard au caractère non décennal de ce désordre retenu par le tribunal et aux conclusions de l'expert ; le montant maximal que la société SMA SA pourrait obtenir est de 2 749 euros ;

. concernant la réclamation n° 9 : égard au caractère non décennal de ce désordre retenu par le tribunal, désordre qui est intégralement imputable au maître de l'ouvrage voire également à la société B... ;

. concernant la réclamation n° 10 : égard au caractère non décennal de ce désordre retenu par le tribunal et au caractère isolé du désordre ; la somme maximale que pourra obtenir la société SMA SA sur ce point est de 412 euros, tel que cela ressort du protocole d'accord conclu entre elle et le département de la Savoie ;

. concernant la réclamation n° 12 : égard au caractère non décennal de ce désordre retenu par le tribunal et au caractère isolé de ce désordre imputable uniquement à l'entreprise en charge du gros œuvre ; la société SMA SA ne pourra obtenir que 209 euros au maximum concernant cette réclamation ;

. concernant la réclamation n° 13 : eu égard au caractère non décennal de ce désordre et au caractère isolé de ce désordre imputable à la société Isomir ; la société SMA SA ne pourra obtenir que 175 euros au maximum concernant cette réclamation ;

. concernant la réclamation n° 16 : imputable uniquement à la société Spie Tondella ; la société SMA SA ne pourra obtenir que 3 055 euros au maximum concernant cette réclamation ;

. concernant la réclamation n° 17 : imputable à l'entreprise Dubois, sous-traitante de la société Spie Batignolles (anciennement Spie Tondella) ; la société SMA SA ne pourra obtenir que 220 euros au maximum concernant cette réclamation ;

. concernant la réclamation n° 18 : imputable aux sociétés Dubois et Beroud, sous-traitantes de la société Spie Batignolles ; la société SMA SA ne pourra obtenir que 4 585 euros au maximum concernant cette réclamation ;

. concernant la réclamation n° 19 : égard au caractère non décennal de ce désordre retenu par le tribunal et à son imputabilité à la société Spie Batignolles ; la société SMA SA ne pourra obtenir que 209 euros au maximum concernant cette réclamation ;

. concernant la réclamation n° 21 : eu égard à son imputabilité à l'entreprise Dubois, sous-traitante de la société Spie Batignolles ;

. concernant les réclamations n° 23, 24 et 28 : eu égard à leur imputabilité au maître de l'ouvrage ; la réfection de la toiture en intégralité, qui entraine un enrichissement du maître de l'ouvrage, ne constitue pas un préjudice indemnisable ; le montant de l'indemnisation ne saurait être supérieur à celui versé par la société SMA SA ;

. concernant la réclamation n° 25 : eu égard au fait que les désordres constituent des défauts ponctuels d'exécution imputables à la société B... ; la société SMA SA ne pourra obtenir que 8 429 euros au maximum concernant cette réclamation ;

. concernant la réclamation n° 33 : eu égard à leur caractère non décennal et à leur imputabilité à la société Mignola O... ; la société SMA SA ne pourra obtenir que 719 euros au maximum concernant cette réclamation ;

. concernant la réclamation n° 36 : eu égard à leur caractère non décennal ; la société SMA SA ne pourra obtenir que 12 160 euros au maximum concernant cette réclamation ;

- ils seront relevés et garantis par les sociétés Comai, Isomir, Keops Ingénierie, Les Fils d'Eugène F..., E... O..., H... D..., T... et B... au regard de leurs responsabilités respectives relevées dans le rapport d'expertise sur le fondement de la responsabilité quasi délictuelle ;

- aucune condamnation in solidum ne pourra être prononcée dès lors que les parts de responsabilité de chaque constructeur ont été clairement définies ;

- ils s'en rapportent sur le moyen d'irrecevabilité d'office soulevé par la Cour ;

- ils s'opposent à la demande de la société T... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire enregistré le 29 octobre 2020, Me Dominique Masselon, liquidateur judiciaire des sociétés Facchin et Trapani Frères, informe la cour de ce que ses missions ont pris fin après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif.

Par un mémoire enregistré le 12 novembre 2020, M. Q... G..., liquidateur judiciaires de la société Fontaines Carrelages, informe la cour de ce que ses missions ont pris fin après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif.

Par un mémoire enregistré le 21 décembre 2020, la SCP BTSG, mandataire judiciaire de la société Mignola Carrelages, informe la cour de ce qu'elle ne se fera pas représenter ès-qualités dans le cadre de cette procédure.

Par un mémoire enregistré le 24 décembre 2020, la société Toits et Charpentes L..., représentée par Me Combaz, conclut au rejet de l'action de la société H... ou de tout autre intervenant à son encontre et à la condamnation de la société H... ou de qui mieux le devra, aux entiers dépens et à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les demandes de condamnation formées à son encontre sont irrecevables pour défaut d'intérêt à agir dès lors qu'elle n'est pas intervenue sur le chantier et qu'elle ne vient pas aux droits de la société Bernard L..., dont elle n'a racheté que les éléments d'actif et non de passif.

Par des mémoires enregistrés les 7 mai 2021 et 4 janvier 2022 la société Spie Batignolles I... venant aux droits de la société Spie Tondella, représentée par la Scp Bessault Madjeri Saint-André, conclut, dans le dernier état de ses écritures, à ce qu'il lui soit donner acte qu'elle accepte le désistement d'instance et d'action de la société Les Fils d'Eugène F..., au rejet des appels incidents de la société H..., de la société R... et de M. J... et de la société SMA SA concernant les réclamations autres que celles référencées n°s 23 et 28, à sa mise hors de cause, et à ce qu'il soit mis à la charge in solidum de la société SMA SA, de la société H... Construction, de la société R... et Co et M. J..., la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'est pas concernée par la requête d'appel qui ne concerne que les réclamations n° 23 et 28 et donc l'article 5 du dispositif du jugement ;

- elle accepte le désistement d'instance et d'action de la société Les Fils d'Eugène F... ;

- les appels incidents de la société H..., de la société R... et de M. J... et de la société SMA SA sont irrecevables dès lors qu'ils concernent d'autres chefs de condamnation du jugement que ceux visés par l'appel principal.

Par un mémoire enregistré le 3 juin 2021, la société SMA SA, représentée par Me Bock, demande à la cour :

- concernant les réclamations n°s 1, 2 et 5 : de condamner in solidum la société Spie Batignolles I... venant aux droits de la société Spie Tondella, M. J..., la société R... et Co, et la société Keops à lui payer la somme de 3 639 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 6 : de condamner in solidum M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 5 534 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 8 : de condamner in solidum la société Toit et Charpente L..., M. L..., la société Le Fils d'Eugène F..., M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 2 749 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 9 : de condamner in solidum M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 16 589 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 10 : de condamner in solidum la société Comai devenue la société Construction Métallique Industries Comai, M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 412 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 12 : de condamner in solidum la société Spie Batignolles I..., M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 209 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 13 : de condamner in solidum M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 175 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 16 : de condamner in solidum la société Spie Batignolles I..., M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 3 055 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 17 : de condamner in solidum la société Spie Batignolles I..., M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 220 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 17 : de condamner in solidum la société Spie Batignolles I..., M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 4 585 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 18 : de condamner in solidum la société Spie Batignolles I..., M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 4 585 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 19 : de condamner in solidum la société Spie Batignolles I..., M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 209 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 21 : de condamner in solidum la société Spie Batignolles I..., M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 90 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant les réclamations n°s 23, 24 et 28 : de condamner in solidum la société Toit et Charpente L..., M. L..., la société Le Fils d'Eugène F..., M. J..., la société R... et Co et la société H... ou toutes autres parties tenues pour responsables par la cour à lui payer la somme de 791 226 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 25 : de condamner in solidum M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 8 429 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 33 : de condamner in solidum la société Mignola Carrelages, M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 719 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- concernant la réclamation n° 36 : de condamner in solidum M. L..., la société Le Fils d'Eugène F..., M. J... et la société R... et Co à lui payer la somme de 12 160 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- de condamner les intervenants précités aux intérêts à compter du règlement qu'elle a fait en exécution du protocole ;

- de mettre à la charge in solidum de tous succombants la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les désordres concernant les réclamations n° 23 et 28 affectent la solidité de l'ouvrage et sont imputables à la société Les Fils d'Eugène F..., à M. J... et à la société R... et Co ;

- l'issue de l'appel en garantie de la société Les Fils d'Eugène F... n'a pas d'incidence à l'égard de cette société, qui reste débitrice principale ;

- dans le cas où la cour devrait statuer sur le fond, elle reprend l'intégralité de ses conclusions de première instance ;

- son action est recevable dès lors qu'elle est subrogée dans les droits de son assuré ;

- sa requête de première instance était bien motivée ;

- le rapport d'expertise a été déposé par M. P... ;

- le protocole d'accord est daté ;

- l'exception d'autorité de chose jugée du jugement du 31 décembre 2012 du tribunal administratif de Lyon doit être écartée dès lors qu'il n'y a pas identité de partie puisqu'elle agit non en son nom propre mais en tant que subrogée dans les droits de son assuré à la suite de l'indemnisation en 2015 par voie de protocole ;

- la subrogation légale et la subrogation conventionnelle sont établies, et le paiement de l'indemnité est prouvé ;

- il n'est pas démontré qu'elle n'aurait adressé aucun courrier au département de la Savoie tout au long des opérations d'expertise et ensuite et elle ne pouvait opposer la prescription à son assuré dès lors que sa police d'assurance ne correspond pas aux obligations imposées aujourd'hui par la cour de cassation sur l'information qui doit être mentionnée dans le contrat sur la prescription ;

- la prescription n'est pas opposable à la subrogation conventionnelle ;

- l'établissement de la responsabilité des constructeurs n'est pas une condition de la subrogation ;

- le caractère décennal des désordres a été retenu par l'expert pour les réclamations n°s 1, 2, 5, 6, 8, 9, 10, 12, 13, 16, 17, 18, 19, 21, 25, 33, 23, 24, 28, 36 ;

- les désordres sont imputables aux maîtres d'œuvre (architectes), qui avaient une mission complète ;

- concernant la réclamation n° 1 : les désordres sont imputables aux sociétés H..., Spie Tondela, Keops, R... et Co et à M. J... ;

- concernant la réclamation n° 2 : les désordres sont imputables aux sociétés Keops et R... et Co et à M. J... ;

- concernant la réclamation n° 5 : les désordres sont imputables aux sociétés H..., Spie Tondella, Keops, R... et Co et à M. J... ;

- concernant la réclamation n° 6 : les désordres sont bien imputables à la société R... et Co et à M. J... compte tenu du caractère décennal des désordres ;

- concernant la réclamation n° 8 : les désordres sont imputables à M. J... aux sociétés R... et Co, H..., à L... et à la société Les Fils d'Eugène F... ; il n'est pas démontré que le choix du matériau résulte d'une demande du maître d'ouvrage et la maîtrise d'œuvre n'a pas émis des réserves sur ce choix ;

- concernant la réclamation n°9 : les désordres sont imputables à la maîtrise d'œuvre et à la société B... ; il n'est pas démontré une obligation d'entretien et que les désordres seraient liés à un défaut d'entretien ;

- concernant la réclamation n°10 : les désordres sont imputables à la société Comai aujourd'hui Construction Métallique Industrie Comai et aux architectes/maîtres d'oeuvre, qui ne contestent pas que les désordres relevaient de leur périmètre d'intervention et ne sauraient s'exonérer en invoquant l'absence de faute ;

- concernant la réclamation n° 12 : les désordres sont imputables à la société Spie Tondela devenue T... et aux architectes, qui ne sauraient s'exonérer en invoquant l'absence de faute ;

- concernant la réclamation n° 13 : les désordres sont imputables à la société Isomir et il est en est de même que pour la réclamation n° 12 ;

- concernant la réclamation n° 16 : les désordres sont imputables aux sociétés Dubois et Beroux sous-traitantes de la société Spie Tondela et il est en est de même que pour la réclamation n° 13 ;

- concernant la réclamation n° 17 : les désordres sont imputables à la société Dubois sous-traitant de la société Spie Tondela et il est en est de même que pour la réclamation n° 16 ;

- concernant la réclamation n° 18 : les désordres sont imputables aux sociétés Dubois et Beroux sous-traitantes de la société Spie Tondela et aux maîtres d'œuvre, qui, comme pour les réclamations n° 13, 16 et 17, n'établissent pas que les travaux ne relevaient pas de leur périmètre d'intervention et ne sauraient invoquer l'absence de faute ;

- concernant la réclamation n° 19 : les désordres sont imputables à la société Spie Tondela et à M. J... et à la société R... puisque les désordres relèvent de leur périmètre d'intervention ;

- concernant la réclamation n° 23 : les désordres sont imputables aux sociétés L..., Les Fils d'Eugène F..., H..., R... et A... et à M. J... ; il n'est pas démontré que le maître d'ouvrage aurait souhaité une toiture inox et ce matériau a été accepté sans réserve du maître d'œuvre, de l'entreprise et du contrôleur technique ;

- concernant la réclamation n° 24 : les désordres sont imputables aux sociétés L..., Les Fils d'Eugène F..., H..., R... et A... et à M. J... et le matériau a été accepté sans réserve du maître d'œuvre, de l'entreprise et du contrôleur technique ; il n'est pas démontré que la solution de réparation constitue une amélioration de l'ouvrage, alors qu'il s'agit de travaux de réparation strictement nécessaires ;

- concernant la réclamation n° 25 : les désordres sont imputables à la société B... et à la maîtrise d'œuvre, qui avait une mission de suivi des travaux de cette société ;

- concernant la réclamation n° 28 : l'expertise invite à se rapprocher du dommage n° 23 ;

- concernant la réclamation n° 33 : les désordres sont imputables à la société Mignola Carrelages et à la maîtrise d'œuvre, qui avait une mission de surveillance des travaux de cette société ;

- concernant la réclamation n° 36 : les désordres sont imputables aux sociétés Isomir, L..., Les Fils d'Eugène F..., H... et à la maîtrise d'œuvre (société R... et Co et M. J...), qui avaient une mission portant sur l'ensemble des lots ;

- les architectes ayant concouru à l'entier dommage, ne sont pas fondés à contester le responsabilité in solidum ;

- les sommes HT qu'elle a réglées correspondent aux sommes du protocole transactionnel (hors réclamations 23, 24 et 28) et au rapport de l'expert, outre une TVA à 4,518 %.

Par un mémoire enregistré le 30 août 2021, la société Les Fils d'Eugène F... demande à la Cour de lui donner acte de son désistement d'instance et d'action au bénéfice de la société SPIE Batignolles I... et persiste dans ses précédentes conclusions.

Elle soutient que :

- la société SPIE Batignolles I... n'est pas concernée par les chefs de jugements qu'elle critique ;

- le jugement sera confirmé en ce qu'il n'a prononcé aucune condamnation à son encontre au titre des réclamations n°s 8 et 36.

Par lettres du 19 janvier 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur les moyens relevé d'office tirés de :

- l'irrecevabilité des conclusions d'intimé à intimé de M. J..., de la société R... et Co et de la société SMA SA, formées après l'expiration du délai d'appel, portant sur les réclamations autres que les n°s 23 et 28 et soulevant ainsi un litige distinct de celui qui fait l'objet de l'appel principal, et ne sont donc pas recevables ;

- l'irrecevabilité des conclusions de la société SMA SA tendant à la condamnation in solidum des constructeurs dès lors que ces conclusions sont nouvelles en appel ;

- l'irrecevabilité des appels en garantie de la société Les Fils d'Eugène F..., qui sont nouveaux en appel.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code des marchés publics ;

- le code des assurances ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;

- le décret n°93-1268 du 29 novembre 1993 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivière ;

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;

- les observations de Me Balme, pour M. J... et la société R... et Co et de Me Kolli pour la société Batignolles I....

Considérant ce qui suit :

1. En 1995, le département de la Savoie, pour faire construire le collège " George Sand " dans la commune de La Motte Servolex, a confié la maitrise d'œuvre de l'opération à M. J... et à la société R..., architectes, chargés d'une mission complète, assistés du bureau d'études structures Khéops. Le contrôle technique a été confié à la société H... D.... Le lot n° 3 " Maçonnerie et béton armé " a été confié à la société Spie Tondella, aux droits de laquelle vient la société Spie Batignolles I..., qui a sous-traité les travaux de terrassement à la société Beroud et les travaux d'étanchéité à la société Dubois. Le lot n°4 " Charpente métallique " a été confié à la société Comai, devenue société Construction Métallique Industries Comai, le lot n° 5 " Charpente " aux sociétés L... et Les fils d'Eugène F... et le lot n° 6 " étanchéité " à la société B.... La réception est intervenue le 3 août 1996, et toutes les réserves ont été levées.

2. Suite à divers sinistres apparus en 2001 et 2002, puis en 2006, le département de la Savoie a demandé au juge des référés du tribunal de grande instance de Chambéry l'organisation d'une expertise au contradictoire de la société SMA SA, son assureur " dommages ouvrage ", de la maîtrise d'œuvre et de divers constructeurs, notamment ceux titulaires des lots décrits au point 1. L'expert, M. P..., a été désigné par ordonnance du 26 septembre 2006 et a déposé son rapport le 26 mars 2012. La société SMA SA, se présentant comme subrogée dans les droits du département, a demandé au tribunal administratif de Grenoble la condamnation des divers constructeurs et intervenants à lui verser, pour chaque désordre identifié par une réclamation numérotée, diverses sommes au titre de la garantie décennale. Par un jugement n° 1600428 du 18 novembre 2019, ce tribunal administratif, après avoir refusé d'admettre l'intervention de la société mutuelle d'assurances L'Auxiliaire, a notamment condamné M. J..., la société R... et Co et la société Les fils d'Eugène F... à verser à la société SMA SA la somme de 785 824, 91 euros HT au titre des désordres, identifiés n°s 23 et 28, affectant la toiture et son étanchéité du collège, augmentée de la TVA au taux de 4,518 % et assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2016. Ce même jugement a condamné la société Les fils d'Eugène F... à garantir M. J... et la société R... et Co de 90 % des condamnations mises à leur charge. La société Les fils d'Eugène F... relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin de désistement partiel de la société les Fils d'Eugène F...

3. Si la société Les Fils d'Eugène F... demande à la cour de lui donner acte de son désistement d'instance et d'action au bénéfice de la société SPIE Batignolles I..., un tel désistement est sans objet en l'absence de conclusion présentée par la société appelante contre cette dernière société.

Sur l'étendue du litige :

4. Le litige porté devant la cour par l'appel principal de la société Les Fils d'Eugène F... concerne uniquement les réclamations n° 23 et 28 portant sur le défaut d'étanchéité de la toiture en tôles inox à joints debouts et la dégradation consécutive des faux plafonds sous toiture. Par suite, les conclusions de M. J..., de la société R... et Co et de la société SMA SA, formés après l'expiration du délai d'appel, portant sur d'autres réclamations et d'autres dommages soulèvent un litige distinct de celui qui fait l'objet de l'appel principal et ne sont, par suite, pas recevables.

Sur l'intervention de la Compagnie L'Auxiliaire :

5. L'intervention volontaire de la Compagnie L'Auxiliaire au soutien de la société L... a été rejetée à bon droit par les premiers juges au motif que cette dernière société, liquidée et radiée du registre du commerce avant l'enregistrement de la requête, n'ayant pas présenté de conclusions propres, celles à fin d'intervention de son assureur ne pouvaient être accueillies. La société Les fils d'Eugène F... n'est en tout état de cause pas fondée à contester cette partie du jugement.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

6. Il appartient à l'assureur qui demande à bénéficier de la subrogation prévue par les dispositions de l'article L. 121-12 du code des assurances de justifier par tout moyen du paiement d'une indemnité à son assuré, au plus tard à la date de clôture de l'instruction.

7. Il résulte de l'instruction qu'un protocole d'accord a été signé le 4 juin 2015 entre la société SMA SA et le département de la Savoie aux termes duquel une indemnisation totale de 850 000 euros a été accordée au département au titre de la police " dommages ouvrage " souscrite à l'occasion de la construction du collège George Sand. Ce protocole prévoyait que par le règlement de cette somme, le département de la Savoie subroge légalement et conventionnellement la SMA SA dans l'ensemble de ses droits et actions notamment pour recourir contre les locateurs d'ouvrage et plus généralement l'ensemble des constructeurs. Le paiement de cette somme est intervenu par chèque émis le 12 juin 2015 et la quittance subrogative a été signée le 17 juillet 2015, le département de la Savoie subrogeant ainsi tant légalement que conventionnellement la SMA SA dans l'ensemble de ses droits et actions concernant la réparation des dommages évoqués dans le protocole d'accord précité. Ainsi, la société SMA SA peut se prévaloir tant de la subrogation légale que de la subrogation conventionnelle.

8. La société Les Fils d'Eugène F... et la société R... et Co et M. N... J... ne sauraient utilement invoquer la méconnaissance du délai de prescription de l'article L 114-1 du code des assurances en vertu duquel " Toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance. ", dès lors que ce délai n'intéresse que les relations entre l'assureur et l'assuré. Il n'a en effet d'incidence que sur l'exigibilité de la dette de l'assureur à l'égard de son assuré, mais est sans effet sur l'existence même de cette dette. Dans ces conditions, et alors même qu'elle aurait pu opposer à son assurée cette prescription, la société SMA SA venant aux droits de la Société Sagena était, du fait dudit paiement, subrogée à concurrence de la somme de 850 000 euros dans les droits du département de la Savoie.

9. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que l'action indemnitaire de la société SMA SA venant aux droits de la Société Sagena devant le tribunal était irrecevable en l'absence de subrogation doit être écarté.

Sur l'exception de chose jugée :

10. L'autorité de la chose jugée par une décision rendue dans un litige de plein contentieux est subordonnée à la triple identité de parties, d'objet et de cause. Il n'y a pas identité de cause entre le jugement devenu définitif n° 0603887 du 31 décembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté une requête indemnitaire de la société Sagena tendant à l'indemnisation par les constructeurs des désordres affectant le collège George Sand en lui opposant un défaut d'intérêt en l'absence de quittance subrogative et le jugement contesté n° 1600428 intervenu après la production et la justification de l'existence d'une telle quittance subrogative. L'exception d'autorité de chose jugée doit donc être écartée.

Sur la responsabilité décennale des constructeurs concernant les réclamations n°s 23 et 28 :

11. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables. Par ailleurs, un constructeur dont la responsabilité est recherchée par le maître d'ouvrage n'est fondé à demander à être garanti par un autre constructeur que si et dans la mesure où les condamnations qu'il supporte correspondent à un dommage imputable à ce constructeur.

En ce qui concerne le caractère décennal des désordres :

12. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise judiciaire, que le défaut d'étanchéité de la toiture en tôles inox à joints debout, qui est la cause d'infiltrations ayant entrainé la dégradation des faux plafonds sous les bacs inox, est de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination. Ces désordres revêtent donc un caractère décennal.

En ce qui concerne la responsabilité des constructeurs :

13. Il ressort des pièces du dossier que les désordres ont pour cause une insuffisance d'étanchéité au niveau des joints des tôles inox, en l'absence de joint de dilatation au niveau des tôles sur toute la longueur des bâtiments et au niveau des fixations sur le platelage, la présence d'un espace entre les tôles permettant le passage des eaux pluviales. L'expert judiciaire a imputé l'origine des fuites aux joints debout, insusceptibles d'assurer une étanchéité satisfaisante du fait de l'utilisation de tôles inox, matériau mal adapté en l'espèce et nécessitant la pose de joints de dilatation. Ces désordres se rattachent au périmètre d'intervention de M. J... et de la société R... et Co, membres du groupement solidaire de maîtrise d'œuvre dont les missions, non expressément réparties, incluaient le contrôle général des travaux, et de la société Les Fils d'Eugène F..., attributaire du lot n° 5 " Charpente ". La responsabilité décennale de ces constructeurs est donc engagée. En revanche, ces désordres particuliers ne sont pas imputables à la société H..., à qui était confiée une mission de type A regroupant la mission L, relative à la solidité des ouvrages et des équipements indissociablement liés et celle des éléments d'équipements non indissociablement liés aux ouvrages ainsi que le récolement des essais.

14. En se bornant à soutenir que la responsabilité décennale de la société L..., co-attributaire du lot n° 5, doit également être engagée, en faisant valoir que le fait que cette dernière soit radiée du registre du commerce et des sociétés ne fait pas échec à la mobilisation des garanties de son assureur, qui dans le cadre d'une action devant les juridictions civiles, peut être condamnée à relever et garantir son ex-sociétaire, elle n'apporte pas une contestation sérieuse au jugement contesté qui a écarté la responsabilité décennale de cette société aux motifs qu'elle a été liquidée et radiée du registre du commerce le 18 décembre 2009.

En ce qui concerne la faute du maître de l'ouvrage :

15. Le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot 5 " charpente bois- couverture métallique " prévoyait la réalisation d'une couverture en zinc ou inox mais que la couverture sera réalisée en feuilles de zinc. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise judiciaire, que le maître d'ouvrage a imposé l'utilisation de tôles en inox pour la couverture et que ce choix est, ainsi qu'il a été dit au point 13, à l'origine directe des infiltrations d'eau. A cet égard, le protocole d'accord transactionnel conclu entre la SMA SA et le département de la Savoie souligne que concernant les réclamations 23, 24, et 28, l'indemnisation intervient en tenant compte d'une part de responsabilité laissée à la charge du département. S'il y a donc lieu de retenir une faute du maître d'ouvrage de nature à exonérer partiellement M. J..., la société R... et Co, et la société Les Fils d'Eugène F..., il en sera fait dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation en mettant à la charge du département de la Savoie et de son assureur la moitié des conséquences dommageables des désordres.

En ce qui concerne le préjudice et en particulier les travaux de reprise des désordres :

16. La société SMA SA n'étant subrogée que dans la limite de l'indemnité versée, elle ne peut prétendre au titre des réclamations n°s 23 et 28 qu'à la somme de 791 226 euros retenu au titre de ces désordres par le protocole d'accord précité, taxe sur la valeur ajoutée comprise.

17. En se bornant à soutenir que l'expert judiciaire aurait dû tenir compte d'un coefficient de vétusté, sans apporter d'élément sur la durée de vie de ce type de couverture, la société Les Fils d'Eugène F... ne démontre pas le bien-fondé de sa demande de minoration de l'indemnité pour tenir compte de la date d'apparition des désordres après la réception.

18. Il n'apparait pas que la solution retenue par l'expert judiciaire d'une reprise complète de la couverture en zinc en remplacement de la couverture en inox entraîne une plus-value pour le maître d'ouvrage, compte tenu des stipulations du CCTP qui prévoyait que la couverture serait réalisée en feuilles de zinc.

19. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de fixer à 791 226 euros TTC le montant de l'indemnité due au titre des réclamations n° 23 et 28 et compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 15, de condamner M. J..., la société R... et Co, et la société Les Fils d'Eugène F... à verser la somme de 395 613 euros à la société SMA SA. Il y a lieu de réformer en ce sens les articles 5 et 6 du jugement attaqué du tribunal administratif de Grenoble.

En ce qui concerne la condamnation in solidum :

20. Les conclusions de la société SMA SA tendant à la condamnation in solidum de tous les constructeurs sont nouvelles en appel et par suite irrecevables.

En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :

21. La somme de 395 613 euros sera, comme l'ont retenu les premiers juges, assortie des intérêts à compter du 21 janvier 2016, date d'enregistrement de la demande de première instance. Ces intérêts seront capitalisés à la date du 21 janvier 2017 pour porter eux même intérêt, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les appels en garantie concernant les réclamations n°23 et 28 :

22. Les conclusions d'appel en garantie formées par la société Les Fils d'Eugène F... sont nouvelles en appel et par suite irrecevables.

23. L'appel en garantie formé par la société H... contre la société Toit et Charpente L... est dépourvu d'objet en l'absence de condamnation prononcée contre la société H....

24. En l'absence d'aggravation de leur situation par la solution donnée à l'appel principal, les appels en garantie de M. J... et de la société R... et Co contre les sociétés Comai, Isomir, Keops Ingénierie, Mignola O..., H... D..., Spie Batignolles I... et B..., présentées par la voie de l'appel provoqué après l'expiration du délai d'appel sont irrecevables.

25. Concernant les demandes de M. J... et de la société R... et Co d'être garantis par la société Les Fils d'Eugène F..., il y a lieu de maintenir l'article 14 du dispositif du jugement attaqué qui condamne cette dernière société à garantir M. J... et la société R... à hauteur de 90 % de la condamnation mise à leur charge au titre des réclamations n°s 23 et 28, compte tenu de la faute respective de ces constructeurs. En effet, les désordres d'étanchéité et leur cause, tels que décrits au point 13 sont pour partie dus à des malfaçons fautives de la société Les Fils d'Eugène F... et à des manquements de M. J... et la société R... et Co à leur devoir de conseil sur le choix du matériau et dans le contrôle de l'exécution des travaux.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

26. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par l'ensemble des parties.

DÉCIDE :

Article 1er : M. J..., la société R... et Co, et la société Les Fils d'Eugène F... sont condamnés à verser la somme de 395 613 euros à la société SMA SA. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2016. Ces intérêts échus à la date du 21 janvier 2017 seront capitalisés puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 2 : La société Les fils d'Eugène F... garantira M. J... et la société R... de 90 % de la condamnation mise à leur charge par l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Les articles 5 et 6 du jugement n° 1600428 du 18 novembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société les fils d'Eugene F..., à la société SMA SA, à M. J..., à la société Construction Métalliques Industries, à Me Meynet, liquidateur judiciaire de la société Isomir, à la société Keops ingénierie, à la Société Mignola O... représentée par la SCP BTSG et la SELARL Etude Bouvet et Guyonnet, mandataires judiciaires, à la Société R... et co, à la Société H..., à la société Spie Batignolles I..., à la société Toit et Charpente L... et à la société Fontaines Carrelages représentée par Me G..., liquidateur judiciaire.

Délibéré après l'audience du 10 février 2022, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président de chambre,

Mme Michel, présidente-assesseure,

M. Rivière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mars 2022.

2

N° 20LY00111


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY00111
Date de la décision : 10/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. - Responsabilité décennale.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: M. Christophe RIVIERE
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : PIRAS ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-03-10;20ly00111 ?
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