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11/10/2024 | CANADA | N°2024CSC32

Canada | Canada, Cour suprême, 11 octobre 2024, Scott c. Golden Oaks Enterprises Inc., 2024 CSC 32


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : Scott c. Golden Oaks Enterprises Inc., 2024 CSC 32

 

 
Appel entendu : 5 décembre 2023
Jugement rendu : 11 octobre 2024
Dossier : 40399


 
Entre :
 
Lorne Scott, Janet Arsenault, Jeremy Mitchell, Josée Bouchard, Le Thu Nguyen, Mark McKenna, Judy McKenna, Susan McKillip, 1531425 Ontario Inc., Joe Messa et Ernest Toste
Appelants
 
et
 
Doyle Salewski Inc., en sa qualité de syndic en matière de faillite de Golden Oaks Enterprises Inc., et Joseph Gilles Jean Claude Lacasse


Intimés
 
- et -
 
Procureur général de l’Ontario et Institut d’insolvabilité du Canada
Intervenants
 
Traduction française officie...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : Scott c. Golden Oaks Enterprises Inc., 2024 CSC 32

 

 
Appel entendu : 5 décembre 2023
Jugement rendu : 11 octobre 2024
Dossier : 40399

 
Entre :
 
Lorne Scott, Janet Arsenault, Jeremy Mitchell, Josée Bouchard, Le Thu Nguyen, Mark McKenna, Judy McKenna, Susan McKillip, 1531425 Ontario Inc., Joe Messa et Ernest Toste
Appelants
 
et
 
Doyle Salewski Inc., en sa qualité de syndic en matière de faillite de Golden Oaks Enterprises Inc., et Joseph Gilles Jean Claude Lacasse
Intimés
 
- et -
 
Procureur général de l’Ontario et Institut d’insolvabilité du Canada
Intervenants
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Jamal et O’Bonsawin
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 132)

Le juge Jamal (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe, Martin et O’Bonsawin)

 

 

Motifs concordants :
(par. 133 à 189)

La juge Côté

 
 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Lorne Scott, Janet Arsenault, Jeremy Mitchell,
Josée Bouchard, Le Thu Nguyen, Mark McKenna,
Judy McKenna, Susan McKillip, 1531425 Ontario Inc.,
Joe Messa et Ernest Toste                                                                             Appelants
c.
Doyle Salewski Inc., en sa qualité de syndic en
matière de faillite de Golden Oaks Enterprises Inc., et
Joseph Gilles Jean Claude Lacasse                                                                  Intimés
et
Procureur général de l’Ontario et
Institut d’insolvabilité du Canada                                                            Intervenants
Répertorié : Scott c. Golden Oaks Enterprises Inc.
2024 CSC 32
No du greffe : 40399.
2023 : 5 décembre; 2024 : 11 octobre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Jamal et O’Bonsawin.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
                    Faillite et insolvabilité — Enrichissement sans cause — Prescription des actions — Théorie de l’attribution d’actes à une société — Sociétés unipersonnelles — Compensation en equity — Contrats illégaux — Préférences — Effondrement d’un stratagème de type Ponzi exploité par une société ayant un seul dirigeant, actionnaire et âme dirigeante — Actions intentées par le syndic de faillite pour recouvrer les sommes que la société a versées à des investisseurs en intérêts sur des prêts et en commissions dans le cadre d’ententes d’aiguillage — Actions du syndic intentées plus de deux ans après que la société ait versé les intérêts et les commissions — Les actions du syndic sont-elles prescrites? — La connaissance des faits qu’avait l’unique dirigeant, actionnaire et âme dirigeante de la société devrait-elle être attribuée à cette dernière? — Les investisseurs peuvent-ils s’appuyer sur le principe de la compensation en equity pour opérer compensation entre les intérêts qu’ils doivent et le capital des prêts qui leur est dû? — Les ententes d’aiguillage sont-elles des contrats illégaux en common law? — Les intérêts et les commissions payés par la société à un agent immobilier constituaient-ils des paiements ayant procuré une préférence illicite? — Loi de 2002 sur la prescription des actions, L.O. 2002, c. 24, ann. B, art. 4, 5, 12 — Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3, art. 95(1)b), 97(3).
                    L était le seul actionnaire, dirigeant et âme dirigeante d’une société. La société semblait être une réussite; mais en fait, elle était un exemple classique de stratagème de type Ponzi. L était un fraudeur, qui avait réussi à convaincre des investisseurs de prêter de l’argent à la société en leur offrant des taux de rendement faramineux sur des billets à ordre, pour ensuite rembourser les premiers investisseurs en recrutant de nouveaux investisseurs au lieu de générer des revenus à partir d’une entreprise légitime. Le stratagème de type Ponzi s’est effondré en juillet 2013. La société et L ont été mis sous séquestre et ont fait cession de leurs biens, et un syndic de faillite de leur actif a été nommé.
                    En 2015, le syndic a intenté des actions en justice contre les prêteurs de la société, y compris 17 actions visant à recouvrer les intérêts et les commissions versés illégalement aux investisseurs par la société avant sa faillite. Dans ces actions, le syndic a présenté des réclamations en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI ») ainsi que des réclamations fondées sur l’enrichissement sans cause, faisant valoir qu’il n’y avait aucun motif juridique justifiant les intérêts versés aux investisseurs par la société parce que les taux d’intérêt qu’elle offrait étaient illégaux, et que les investisseurs s’étaient enrichis aux dépens de la société. Le syndic a également affirmé que les commissions versées aux investisseurs pour avoir dirigé de nouveaux investisseurs vers la société étaient illicites, de sorte que les ententes d’aiguillage ne constituaient pas un motif juridique justifiant les commissions.
                    Les investisseurs ont invoqué quatre principaux moyens de défense contre les actions. Premièrement, ils ont soutenu que les actions sont frappées de prescription en vertu de l’art. 4 et du par. 12(1) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions de l’Ontario, qui prévoient un délai de prescription de deux ans qui commence à courir le jour où le failli a découvert ou aurait dû découvrir les faits à l’origine de ses réclamations. Ils ont affirmé que, puisque L était au courant des paiements contestés au moment où ils ont été faits entre le 6 juin 2011 et le 3 avril 2013, la connaissance de ces faits par L devrait être attribuée à la société selon la théorie de common law de l’attribution d’actes à une société. Deuxièmement, les investisseurs ont affirmé qu’ils ne s’étaient pas enrichis injustement. Troisièmement, ils ont invoqué le par. 97(3) de la LFI dans le but d’être autorisés à opérer compensation entre les sommes qu’ils devaient à l’actif de la faillite et les sommes qui leur étaient dues en capital en vertu des prêts qu’ils avaient consentis. Quatrièmement, ils ont fait valoir que les ententes d’aiguillage qu’ils avaient conclu avec la société étaient légitimes, et qu’elles constituaient par conséquent un motif juridique leur permettant de conserver les commissions qu’ils avaient touchées.
                    La juge de première instance a conclu que la société était un stratagème de type Ponzi et a attribué à la société la connaissance qu’avait L des faits, mais elle a conclu que les actions intentées par le syndic n’étaient pas prescrites parce que l’introduction d’une instance n’était pas « appropriée » au sens du sous‑al. 5(1)a)(iv) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions avant que le syndic de faillite ne soit nommé, qu’il ait enquêté sur les causes de la faillite et qu’il ait découvert le stratagème de type Ponzi. Elle a condamné les investisseurs à rembourser les intérêts qu’ils avaient reçus illégalement, et a refusé de leur permettre d’opérer compensation, en vertu du par. 97(3) de la LFI, entre les montants d’intérêts qu’ils devaient à l’actif de la faillite et les sommes qui leur étaient dues en capital. Elle a rejeté les réclamations fondées sur l’enrichissement sans cause présentées par le syndic en vue d’obtenir le remboursement des commissions d’aiguillage. Enfin, la juge de première instance a fait droit à la réclamation du syndic selon laquelle les intérêts et les commissions payés par la société à un agent immobilier, S, constituaient des paiements ayant procuré à S une préférence illicite au sens de l’al. 95(1)b) de la LFI, parce que S avait un lien de dépendance avec la société.
                    La Cour d’appel a rejeté l’appel des investisseurs. Elle a souscrit à la décision de la juge de première instance de rejeter le moyen de défense fondé sur la prescription, mais a conclu que la juge de première instance aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas attribuer à la société la connaissance de L, et ce, pour des raisons de politique générale. À son avis, les actions n’étaient pas frappées de prescription parce que la société n’avait pas connaissance des faits nécessaires pour pouvoir intenter les actions avant de déclarer faillite. Elle a également souscrit à la décision de la juge de première instance de rejeter le moyen de défense fondé sur la compensation, ainsi qu’à sa décision sur les réclamations visant à obtenir de S qu’il rembourse les paiements lui ayant procuré une préférence illicite. La Cour d’appel a fait droit à l’appel incident du syndic sur la question de savoir si les ententes d’aiguillage constituaient un motif juridique de rejeter les réclamations fondées sur l’enrichissement sans cause lié au paiement des commissions, répondant par la négative à cette question.
                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Rowe, Martin, Jamal et O’Bonsawin : Les actions intentées par le syndic ne sont pas prescrites en vertu de la Loi de 2002 sur la prescription des actions. Les principes de la théorie de l’attribution d’actes à une société, résumés dans Aquino c. Bondfield Construction Co., 2024 CSC 31, s’appliquent aux sociétés unipersonnelles. La Cour d’appel a bien exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant d’attribuer à la société la connaissance qu’avait L des faits parce que cette attribution n’aurait pas favorisé la réalisation des objets des lois au titre desquelles l’attribution était demandée.
                    Selon la règle de la possibilité de découvrir les faits, une cause d’action prend naissance, aux fins de la prescription, lorsque les faits importants sur lesquels repose cette cause d’action ont été découverts par le demandeur ou auraient dû l’être s’il avait fait preuve de diligence raisonnable. Le concept de possibilité de découvrir les faits est un principe de common law qui est maintenant consacré en Ontario dans la Loi de 2002 sur la prescription des actions. Le paragraphe 5(1) indique dans quels cas les faits ayant donné naissance à la réclamation sont effectivement découverts ou découverts par interprétation. L’article 12 énonce les règles permettant de déterminer dans quels cas une personne est réputée avoir appris les faits visés à l’alinéa 5(1)a). Le paragraphe 12(1) traite des instances introduites par l’ayant droit du titulaire du droit de réclamation, et précise dans quels cas il faut attribuer à l’ayant droit la connaissance d’un prédécesseur. Le paragraphe 12(2) concerne, quant à lui, les instances introduites par un mandant, et prévoit les cas où il faut attribuer au mandant la connaissance des faits appris par le mandataire.
                    En l’espèce, bien que les actions intentées par le syndic aient été intentées plus de deux ans après le versement des commissions et des intérêts illégaux, elles ne seraient pas frappées de prescription si le commencement du délai de prescription était retardé par l’application de la règle de la possibilité de découvrir les faits. La connaissance qu’avait la société des faits doit être attribuée au syndic en application du par. 12(1) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, parce que le syndic est l’ayant droit de la société. Toutefois, la connaissance qu’avait L des faits ne peut être attribuée à la société en vertu du par. 12(2) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions. Le paragraphe 12(2) ne s’applique qu’à « une instance introduite par un mandant ». Même en tenant pour acquis, sans pour autant en décider, que la société agissait en tant que mandant et L en tant que son mandataire, et en supposant également que L ait agi dans le cadre des pouvoirs qui lui avaient été conférés, l’instance sous‑jacente a été introduite non pas par la société, le mandant supposé, mais par le syndic, qui n’était pas un mandant de L. De plus, il n’a pas été suffisamment déterminé au procès si L était un mandataire de la société et s’il agissait dans le cadre de ses pouvoirs, ce qui nuit à la capacité de la Cour d’appliquer les principes des mandats en common law pour la première fois. Par conséquent, si la connaissance qu’avait L des faits doit être attribuée à la société, elle doit l’être en vertu de la théorie de l’attribution d’actes à une société.
                    Tel qu’il est souligné dans l’arrêt Aquino, la théorie de common law de l’attribution d’actes à une société pose les principes directeurs qui permettent de déterminer dans quels cas les actes, les connaissances, l’état d’esprit ou l’intention de l’âme dirigeante d’une société peuvent être attribués ou imputés à cette dernière. Elle doit être appliquée de manière téléologique, contextuelle et pragmatique afin que se réalisent les objectifs de politique générale de la loi en vertu de laquelle l’attribution est demandée. Ces principes offrent suffisamment de souplesse pour répondre à la plupart, voire à l’ensemble, des cas d’attribution d’actes à une société, y compris ceux de sociétés unipersonnelles. Il n’y a aucune raison de principe d’appliquer des principes directeurs différents dans le cas de l’attribution d’actes à une société unipersonnelle. De plus, accepter l’argument selon lequel la connaissance de l’unique âme dirigeante de la société doit toujours être attribuée à celle‑ci reviendrait en réalité à faire fi du principe fondamental de la personnalité morale distincte des sociétés. Même les sociétés unipersonnelles ont une existence distincte de celle de leur unique propriétaire et âme dirigeante.
                    Ainsi qu’il est mentionné dans l’arrêt Aquino, les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire de s’abstenir d’attribuer à la société les actes, les connaissances, l’état d’esprit ou l’intention de l’âme dirigeante lorsque cette abstention serait dans l’intérêt public, en ce sens qu’elle favoriserait la réalisation de l’objet de la loi au titre de laquelle l’attribution d’un acte est sollicitée. Attribuer à la société la connaissance qu’avait L des faits contrecarrerait l’objectif de la règle de la possibilité de découvrir les faits qui est énoncée dans la Loi de 2002 sur la prescription des actions en rendant les réclamations du syndic prescrites par la loi avant même qu’il n’ait été en mesure de les faire valoir, ce qui créerait une injustice. Attribuer à la société la connaissance qu’avait L des faits contrecarrerait également les objectifs de la LFI, et permettrait aux investisseurs de conserver le produit de leurs actes répréhensibles et réduirait par le fait même la valeur des actifs du débiteur susceptibles d’être partagés entre les autres créanciers. Pareil scénario ne serait pas dans l’intérêt public.
                    Pour ce qui est des autres questions, les investisseurs ne peuvent, en vertu du par. 97(3) de la LFI, invoquer les principes de la compensation en equity pour opérer compensation entre les intérêts qu’ils doivent à l’actif de la faillite et le capital des prêts qui leur est dû. Les investisseurs ne se sont pas présentés devant le tribunal sans reproche parce que leur conduite fautive était au cœur de leur demande de compensation, ce qui a pour effet de les empêcher de bénéficier de la défense de compensation en equity. Il n’y a pas non plus de raison de mettre en doute la conclusion de la Cour d’appel suivant laquelle les ententes d’aiguillage étaient des contrats illégaux en common law. L’absence par les investisseurs de connaissance subjective de l’illégalité ne fait pas obstacle à l’argument du syndic fondé sur l’illégalité parce que la question de savoir si un contrat a été conclu au moins en partie dans le but de commettre un acte illégal est examinée du point de vue objectif d’une personne raisonnable. Les investisseurs savaient tous, ou auraient dû savoir, qu’ils concluaient des ententes illégales. Enfin, les juridictions inférieures n’ont pas fait erreur en concluant que S avait un lien de dépendance avec la société pour l’application de l’al. 95(1)b) de la LFI.
                    La juge Côté : Il y a accord avec les juges majoritaires pour dire que les réclamations pour enrichissement injustifié présentées par le syndic contre les investisseurs ne sont pas prescrites par le délai de prescription de deux ans prévu à l’art. 4 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions; il y a toutefois désaccord quant à la manière d’arriver à cette conclusion. Il n’est pas nécessaire d’avoir recours à la théorie de l’attribution d’actes à une société, car des règles codifiées d’attribution se trouvent à l’art. 12 de la Loi de 2002 sur la prescription et apportent une réponse complète. Le fait est que, pendant qu’elle était contrôlée uniquement par L, la société ne pouvait avoir pris connaissance des faits ayant donné naissance aux réclamations présentées contre les investisseurs parce que l’introduction d’une instance par la société n’était pas un moyen approprié de tenter d’obtenir réparation pour ce préjudice, cette perte ou ces dommages subis au sens du sous‑al. 5(1)a)(iv) de la Loi de 2002 sur la prescription.
                    Comme l’ont affirmé les juges majoritaires, c’est à bon droit que la juge de première instance a conclu que le syndic avait présenté les réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié en tant qu’ayant droit de la société en faillite. La question de savoir si les réclamations pour enrichissement injustifié présentées par le syndic sont prescrites dépend alors du moment où les faits à l’origine de ces réclamations ont été découverts par la société. Pour répondre à cette question, il n’est pas nécessaire de recourir à la common law au moyen de la théorie de l’attribution d’actes à une société. Cette théorie est réservée aux cas exceptionnels. Il ne s’agit pas d’un tel cas exceptionnel, car l’on peut répondre à la question de la possibilité de découvrir les faits, à l’aide des règles codifiées d’attribution, lesquelles comprennent les principes généraux du droit des mandats. L’existence d’un moyen codifié d’attribution fait obstacle à l’application de la théorie de l’attribution d’actes à une société compte tenu du principe que la common law ne devrait pas écarter la volonté qu’a exprimée la législature dans une loi. Plus précisément, la législature a codifié les dispositions déterminatives des mandats à l’art. 12 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions. En effet, le par. 12(2) prévoit que le mandant « est réputé avoir connaissance » des faits énoncés à l’al. 5(1)a) lorsque le mandataire avait l’obligation de lui communiquer les faits en question. Selon le droit du mandat, la connaissance qu’avait L valait connaissance par la société du stratagème de type Ponzi pendant toute la durée de celui-ci. En concluant que L était l’unique âme dirigeante de la société, la juge de première instance a bel et bien estimé qu’il en était un mandataire. Cette conclusion de fait de la juge de première instance commande la déférence. La société était donc au courant, plus de deux ans avant que les actions ne soient intentées, des paiements qui avaient été faits aux investisseurs et qui sont à l’origine des réclamations pour enrichissement injustifié.
                    Toutefois, même si la société avait la capacité juridique de poursuivre les investisseurs, les réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié n’étaient pas « appropriées » et donc les faits leur ayant donné naissance ne pouvaient pas être découverts tant que le tribunal n’autorisait pas le syndic à les introduire. Le fait que, par l’entremise de L, la société était au courant des préjudices, des pertes ou des dommages et qu’elle savait qu’ils avaient été causés entièrement ou en partie par les investisseurs n’est pas suffisant pour établir que la société avait appris les faits ayant donné naissance aux réclamations pour l’application de la Loi de 2002 sur la prescription. Selon le sous‑alinéa 5(1)a)(iv), la société devait savoir qu’« étant donné la nature des préjudices, des pertes ou des dommages, l’introduction d’une instance aurait été un moyen approprié de tenter d’obtenir réparation ». La question de savoir si l’introduction d’une instance est « appropriée » appelle un examen des faits propres à l’espèce. La juge de première instance a conclu à bon droit que bien que la société ait pu être au courant, par l’entremise de L, des opérations conclues avec les investisseurs, elle ne savait pas et n’aurait pu savoir qu’il était opportun pour elle en droit de poursuivre les investisseurs pour recouvrer ses pertes tant qu’elle était dirigée par L. Lorsque la société est devenue insolvable, L a perdu son contrôle absolu sur elle, et la possibilité pour celle-ci de présenter des réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié s’est matérialisée. Le syndic a été nommé séquestre le 9 juillet 2013. Ainsi, les réclamations pour enrichissement injustifié introduites par le syndic entre le 23 juin et le 9 juillet 2015 ont toutes été présentées avant l’expiration du délai de prescription. Quant aux actions intentées entre le 10 juillet et le 23 juillet 2015, elles ne sont pas prescrites parce qu’il n’était pas approprié pour le syndic d’intenter les actions avant le 16 juin 2015, date à laquelle la cour supervisant le processus de faillite a rendu une ordonnance provisoire permettant au syndic de signifier les déclarations aux investisseurs et de faire instruire les actions.
                    Il y a accord avec les juges majoritaires et les juridictions inférieures pour dire que les investisseurs ne sont pas autorisés à opérer compensation, en vertu du par. 97(3) de la LFI, entre le montant des intérêts qu’ils avaient été condamnés à payer à l’actif de la faillite de la société et les sommes qui leur sont dues en capital aux termes de leurs prêts. Toutefois, la juge de première instance a commis une erreur en examinant, dans son analyse de la compensation, l’effet d’accorder un traitement préférentiel à un créancier par rapport à la masse des créanciers. Le Parlement a indiqué que la compensation en matière d’insolvabilité doit être examinée de la même manière et dans la même mesure qu’elle s’appliquerait en dehors du contexte de l’insolvabilité. Ainsi, le Parlement a autorisé le demandeur à modifier l’ordre de priorité qu’il a établi en matière de faillite en raison de l’application des règles de la compensation. Enfin, il y a accord avec les juges majoritaires pour dire que les ententes d’aiguillage entre certains des investisseurs et la société étaient des contrats illégaux en common law, et que S avait un lien de dépendance avec la société au sens de l’al. 95(1)b) de la LFI.
Jurisprudence
Citée par le juge Jamal
                    Arrêts appliqués : Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, 1985 CanLII 32 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 662; Deloitte & Touche c. Livent Inc. (Séquestre de), 2017 CSC 63, [2017] 2 R.C.S. 855; Christine DeJong Medicine Professional Corp. c. DBDC Spadina Ltd., 2019 CSC 30, [2019] 2 R.C.S. 530; Aquino c. Bondfield Construction Co., 2024 CSC 31; Singularis Holdings Ltd. c. Daiwa Capital Markets Ltd., [2019] UKSC 50, [2020] A.C. 1189; distinction d’avec les arrêts : 373409 Alberta Ltd. (Séquestre de) c. Banque de Montréal, 2002 CSC 81, [2002] 4 R.C.S. 312; Stone & Rolls Ltd. c. Moore Stephens, [2009] UKHL 39, [2009] 1 A.C. 1391; arrêts mentionnés : King Insurance Finance (Wines) Inc. c. 1557359 Ontario Inc., 2012 ONSC 4263, 99 C.B.R. (5th) 227; Grant Thornton LLP c. Nouveau-Brunswick, 2021 CSC 31, [2021] 2 R.C.S. 704; Central Trust Co. c. Rafuse, 1986 CanLII 29 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 147; Kamloops (Ville de) c. Nielsen, 1984 CanLII 21 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 2; Lefebvre (Syndic de), 2004 CSC 63, [2004] 3 R.C.S. 326; Bilta (UK) Ltd. c. Nazir, [2015] UKSC 23, [2016] A.C. 1; In re King, [1963] Ch. 459; Singularis Holdings Ltd. c. Daiwa Capital Markets Europe Ltd., [2017] EWHC 257 (Ch.), [2017] 2 All E.R. (Comm.) 445; Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Green, 2015 CSC 60, [2015] 3 R.C.S. 801; Novak c. Bond, 1999 CanLII 685 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 808; Peixeiro c. Haberman, 1997 CanLII 325 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 549; Orphan Well Association c. Grant Thornton Ltd., 2019 CSC 5, [2019] 1 R.C.S. 150; Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327; Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, 1995 CanLII 69 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 453; Poonian c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2024 CSC 28; 9354-9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10, [2020] 1 R.C.S. 521; D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 52, [2005] 2 R.C.S. 564; Lister c. Hooson, [1908] 1 K.B. 174; Holt c. Telford, 1987 CanLII 18 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 193; Coba Industries Ltd. c. Millie’s Holdings (Canada) Ltd., 1985 CanLII 144 (BC CA), [1985] 6 W.W.R. 14; Grand Financial Management Inc. c. Solemio Transportation Inc., 2016 ONCA 175, 395 D.L.R. (4th) 529; Stewart c. Bardsley, 2014 NSCA 106, 353 N.S.R. (2d) 284; Re Jason Construction Ltd. (1972), 1972 ALTASCAD 54 (CanLII), 29 D.L.R. (3d) 623; DeJesus c. Sharif, 2010 BCCA 121, 284 B.C.A.C. 244; Strellson AG c. Strellmax Ltd., 2018 ONSC 1808, 62 C.B.R. (6th) 328; Canada Trustco Mortgage Co. c. Sugarman (1999), 1999 CanLII 9288 (ON CA), 179 D.L.R. (4th) 548; Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), 1995 CanLII 86 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 97; Holman c. Johnson (1775), 1 Cowp. 341, 98 E.R. 1120; Hall c. Hebert, 1993 CanLII 141 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 159; Youyi Group Holdings (Canada) Ltd. c. Brentwood Lanes Canada Ltd., 2020 BCCA 130, 35 B.C.L.R. (6th) 326; Zimmermann c. Letkeman, 1977 CanLII 196 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 1097; Alexander c. Rayson, [1936] 1 K.B. 169; Hydro Electric Commission of Nepean c. Ontario Hydro, 1982 CanLII 42 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 347; Ciments Canada LaFarge Ltée c. British Columbia Lightweight Aggregate Ltd., 1983 CanLII 23 (CSC), [1983] 1 R.C.S. 452; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Canada c. McLarty, 2008 CSC 26, [2008] 2 R.C.S. 79; Montor Business Corp. (Trustee of) c. Goldfinger, 2016 ONCA 406, 36 C.B.R. (6th) 169; Piikani Nation c. Piikani Energy Corp., 2013 ABCA 293, 86 Alta. L.R. (5th) 203; National Telecommunications Inc., Re, 2017 ONSC 1475, 45 C.B.R. (6th) 181; National Telecommunications c. Stalt, 2018 ONSC 1101, 59 C.B.R. (6th) 263.
Citée par la juge Côté
                    Distinction d’avec les arrêts: Aquino c. Bondfield Construction Co., 2024 CSC 31; Ridel c. Goldberg, 2019 ONCA 636, 147 O.R. (3d) 23; arrêts examinés: Meridian Global Funds Management Asia Ltd. c. Securities Commission, [1995] 2 A.C. 500; 373409 Alberta Ltd. (Séquestre de) c. Banque de Montréal, 2002 CSC 81, [2002] 4 R.C.S. 312; arrêts mentionnés : Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, 1995 CanLII 69 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 453; Saulnier c. Banque Royale du Canada, 2008 CSC 58, [2008] 3 R.C.S. 166; Tesco Supermarkets Ltd. c. Nattrass, [1972] A.C. 153; Livent Inc. (Receiver of) c. Deloitte & Touche, 2016 ONCA 11, 128 O.R. (3d) 225, inf. en partie par 2017 CSC 63, [2017] 2 R.C.S. 855; El Ajou c. Dollar Land Holdings plc, [1994] 1 B.C.L.C. 464; R. c. Rozeik, [1996] 1 B.C.L.C. 380; Regina Fur Co. c. Bossom, [1957] 2 Lloyd’s Rep. 466; R. c. Andrews-Weatherfoil Ltd., [1972] 1 W.L.R. 118; Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, 1985 CanLII 32 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 662; 407 ETR Concession Co. Ltd. c. Day, 2016 ONCA 709, 133 O.R. (3d) 762; Beniuk c. Leamington (Municipality), 2020 ONCA 238, 150 O.R. (3d) 129; Nelson c. Lavoie, 2019 ONCA 431, 47 C.C.P.B. (2nd) 1; King Insurance Finance (Wines) Inc. c. 1557359 Ontario Inc., 2012 ONSC 4263, 99 C.B.R. (5th) 227; Stein c. Blake, [1995] 2 All E.R. 961; Lister c. Hooson, [1908] 1 K.B. 174.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 347.
Loi de 2002 sur la prescription des actions, L.O. 2002, c. 24, ann. B, art. 4, 5, 12.
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3, art. 2 « bien », 4(4), 30(1)d), 71, 95(1)b), 97(3).
Loi sur les valeurs mobilières, L.R.O. 1990, c. S.5.
Doctrine et autres documents cités
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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (le juge en chef Strathy et les juges Roberts et Sossin), 2022 ONCA 509, 162 O.R. (3d) 295, 1 C.B.R. (7th) 53, [2022] O.J. No. 2999 (Lexis), 2022 CarswellOnt 9234 (WL), qui a confirmé en partie une décision de la juge Gomery, 2019 ONSC 5108, 76 C.B.R. (6th) 3, [2019] O.J. No. 4446 (Lexis), 2019 CarswellOnt 14145 (WL). Pourvoi rejeté.
                    Charles R. Daoust, pour les appelants.
                    Harvey G. Chaiton, Doug Bourassa et Laura Culleton, pour les intimés.
                    Dona Salmon et Jennifer Boyczuk, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
                    Natasha MacParland, Chanakya A. Sethi, Rui Gao et J. Henry Machum, pour l’intervenant l’Institut d’insolvabilité du Canada.
Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe, Martin, Jamal et O’Bonsawin rendu par
                  Le juge Jamal —
I.               Introduction
[1]                             La principale question que soulève le présent pourvoi est de savoir de quelle manière devrait s’appliquer la théorie de common law de l’attribution d’actes à une société dans le cas d’une société unipersonnelle qui est contrôlée par son seul dirigeant, actionnaire et âme dirigeante. Il faut répondre à cette question pour déterminer si les actions en justice intentées par un syndic de faillite pour recouvrer les fonds qu’une société a payés dans le cadre d’un stratagème de type Ponzi sont prescrites en vertu de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, L.O. 2002, c. 24, ann. B.
[2]                             Golden Oaks Enterprises Inc. était en apparence une entreprise légitime de location avec option d’achat de propriétés résidentielles qui était exploitée par son seul dirigeant, actionnaire et âme dirigeante, Joseph Gilles Jean Claude Lacasse. En réalité, Golden Oaks était un stratagème de type Ponzi classique : l’entreprise avait continuellement besoin de contracter de nouveaux prêts pour rembourser les prêts existants. Elle payait à des investisseurs à court terme des intérêts à des taux criminels pour se procurer des fonds afin de rembourser ses investisseurs existants. Certains investisseurs ont également contribué à perpétuer ce stratagème de type Ponzi en concluant des ententes d’aiguillage avec Golden Oaks pour diriger de nouveaux investisseurs vers l’entreprise en échange de commissions fondées sur un pourcentage du montant investi. Lorsque le stratagème de type Ponzi s’est finalement effondré, Golden Oaks et l’intimé, M. Lacasse, ont été mis sous séquestre et ont fait cession de leurs biens.
[3]                             Le syndic de faillite intimé, Doyle Salewski Inc., a intenté plusieurs actions pour recouvrer les sommes que Golden Oaks avait versées aux investisseurs appelants en intérêts sur les prêts et en commissions dans le cadre des ententes d’aiguillage. Les actions intentées par le syndic étaient principalement fondées sur l’enrichissement sans cause. Les appelants sont tous des victimes du stratagème de type Ponzi qui ont perdu le capital qu’ils avaient investi lors de la faillite de Golden Oaks, mais ils ont réussi à récupérer une partie de leur investissement initial grâce aux intérêts et aux commissions que Golden Oaks leur avait versés avant sa faillite.
[4]                             Les appelants affirment que les actions intentées par le syndic sont prescrites en vertu de la Loi de 2002 sur la prescription des actions parce qu’elles ont été introduites plus de deux ans après le versement par Golden Oaks des intérêts et des commissions. Les appelants soutiennent que M. Lacasse était au courant de ces paiements avant l’expiration du délai de prescription, et que la connaissance de ces faits par M. Lacasse devrait être attribuée à Golden Oaks selon la théorie de common law de l’attribution d’actes à une société que notre Cour a élaborée dans les arrêts Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, 1985 CanLII 32 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 662, Deloitte & Touche c. Livent Inc. (Séquestre de), 2017 CSC 63, [2017] 2 R.C.S. 855, et Christine DeJong Medicine Professional Corp. c. DBDC Spadina Ltd., 2019 CSC 30, [2019] 2 R.C.S. 530.
[5]                             La juge de première instance a attribué à Golden Oaks la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits, mais elle a conclu que les actions intentées par le syndic n’étaient pas prescrites parce que l’introduction d’une instance n’était pas « approprié[e] » au sens du sous‑al. 5(1)a)(iv) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions avant que le syndic de faillite ne soit nommé, qu’il ait enquêté sur les causes de la faillite et qu’il ait découvert le stratagème de type Ponzi.
[6]                             La Cour d’appel de l’Ontario a convenu que le moyen de défense fondé sur la prescription ne pouvait être retenu, mais elle a statué que la juge de première instance aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas attribuer à Golden Oaks la connaissance de M. Lacasse, et ce, pour des raisons de politique générale conformément à l’arrêt Livent de notre Cour.
[7]                             L’argument principal avancé par les appelants devant notre Cour repose sur la Loi de 2002 sur la prescription des actions et la théorie de l’attribution d’actes à une société. Les appelants font remarquer que, dans l’arrêt Livent, notre Cour ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire du tribunal de ne pas attribuer à une société la connaissance qu’avait son âme dirigeante s’appliquait dans le cas d’une société unipersonnelle. Ils font valoir que, dans le cas d’une société unipersonnelle, la connaissance que possède son âme dirigeante doit toujours être attribuée à cette société, car les deux sont essentiellement une seule et même personne. Il s’ensuit, selon les appelants, que la connaissance que M. Lacasse avait des intérêts et des commissions versés doit être imputée à Golden Oaks, et ensuite attribuée au syndic, de sorte que les actions en justice intentées par le syndic sont prescrites parce qu’elles n’ont pas été introduites dans les deux ans suivant le paiement de ces sommes.
[8]                             Le présent pourvoi soulève également les questions de savoir si (i) les appelants peuvent, en vertu du par. 97(3) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B-3 (« LFI »), invoquer les principes de la compensation en equity pour opérer compensation entre les intérêts qu’ils doivent à l’actif de la faillite et le capital des prêts qui leur est dû, (ii) les ententes d’aiguillage sont des contrats illégaux en common law, et (iii) Lorne Scott, l’un des appelants, avait un lien de dépendance avec Golden Oaks au sens de l’al. 95(1)b) de la LFI.
[9]                             Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Comme notre Cour l’a fait observer dans l’arrêt Aquino c. Bondfield Construction Co., 2024 CSC 31, par. 1, la théorie de l’attribution d’actes à une société « pose les principes directeurs qui permettent de déterminer dans quels cas les actes, les connaissances, l’état d’esprit ou l’intention de l’âme dirigeante d’une société peuvent être attribués ou imputés à cette dernière ». La théorie de l’attribution doit être appliquée de manière téléologique, contextuelle et pragmatique afin que se réalisent les objectifs de politique générale de la loi en vertu de laquelle l’attribution est demandée (par. 56, 64 et 82). À mon avis, les mêmes principes s’appliquent aux sociétés unipersonnelles. Ces principes offrent suffisamment de souplesse pour répondre à la plupart, voire à l’ensemble, des cas d’attribution d’actes à une société, y compris ceux de sociétés unipersonnelles. De plus, accepter l’argument des appelants selon lequel la connaissance de l’unique âme dirigeante de la société doit toujours être attribuée à celle‑ci reviendrait en réalité à faire fi du principe fondamental de la personnalité morale distincte des sociétés.
[10]                        Dans le cas qui nous occupe, la Cour d’appel a exercé à juste titre son pouvoir discrétionnaire en refusant d’attribuer à Golden Oaks la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits au motif que l’attribution de cette connaissance irait à l’encontre des objectifs des dispositions législatives sur la prescription et sur la faillite en cause. L’attribution créerait une injustice en rendant irrecevables les demandes du syndic visant à recouvrer les paiements illégaux avant même que le syndic n’ait été en mesure de les faire valoir. Elle permettrait également aux appelants de conserver le produit de leurs actes fautifs ayant consisté à conclure des ententes illégales et réduirait la valeur de l’actif du débiteur pour les autres créanciers de la faillite. Je suis également d’avis de rejeter les autres moyens d’appel.
II.            Contexte
A.           Le stratagème de type Ponzi de Golden Oaks
[11]                        Golden Oaks a été fondée par M. Lacasse et a été exploitée à Ottawa entre 2009 et 2013. Monsieur Lacasse était le seul actionnaire, dirigeant et âme dirigeante de la société. Il présentait publiquement Golden Oaks comme une entreprise de location avec option d’achat altruiste qui permettait à des personnes qui n’étaient pas admissibles à un prêt hypothécaire d’accéder à la propriété. Les locataires versaient un acompte et payaient un loyer légèrement gonflé pour une propriété sur laquelle ils obtenaient une option d’achat au bout de trois à cinq ans.
[12]                        Monsieur Lacasse faisait également la promotion de Golden Oaks auprès d’investisseurs potentiels en la présentant comme un moyen pour eux de réaliser un profit rapide en prêtant à la société de l’argent pour financer ses opérations en échange de billets à ordre à taux d’intérêt élevés. Les investisseurs de Golden Oaks consentaient des prêts à court terme à la société. Certains investisseurs avaient également conclu avec Golden Oaks des ententes d’aiguillage suivant lesquelles ils recrutaient de nouveaux investisseurs en échange de commissions équivalant à 8 p. 100 du montant investi.
[13]                        Aux yeux de l’observateur extérieur, Golden Oaks semblait être une réussite. La réalité était complètement différente. Golden Oaks était un exemple classique de stratagème de type Ponzi. Un fraudeur, M. Lacasse, a réussi à convaincre des investisseurs de prêter de l’argent à la société en leur offrant des taux de rendement faramineux sur des billets à ordre, pour ensuite rembourser les premiers investisseurs en recrutant de nouveaux investisseurs au lieu de générer des revenus à partir d’une entreprise légitime.
[14]                        Entre 2009 et 2013, Golden Oaks a émis 504 billets à ordre à 153 investisseurs. Les taux d’intérêt sur les billets à ordre ont varié au départ entre 12 et 40 p. 100 par an pour les prêts d’une durée d’un ou de deux ans. Par la suite, les taux sont passés à plus de 60 p. 100 par an — soit un taux d’intérêt criminel au sens de l’art. 347 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46. Dans un cas, Golden Oaks a même offert des intérêts à un taux avoisinant les 67 000 p. 100 par an. En 2012, la plupart des billets à ordre concernaient des prêts consentis à des taux d’intérêt criminels. Dans l’ensemble, près des deux tiers de tous les billets à ordre émis par Golden Oaks étaient assortis de taux d’intérêt criminels. Au cours de l’existence du stratagème de type Ponzi, M. Lacasse a personnellement empoché 1,3 million de dollars en bénéfices.
[15]                        Le stratagème de type Ponzi s’est effondré en juillet 2013. Peu après, Golden Oaks et M. Lacasse ont été mis sous séquestre et ont fait cession de leurs biens, et le cabinet Doyle Salewski Inc. a été nommé syndic de faillite de leur actif.
B.            Actions en justice introduites par le syndic
[16]                        En 2015, le syndic de faillite a intenté plus de 80 actions en justice contre les prêteurs de Golden Oaks, y compris 17 actions visant à recouvrer les intérêts et les commissions qui leur avaient été versés illégalement par Golden Oaks avant sa faillite.
[17]                        Les 17 actions intentées par le syndic pour recouvrer les intérêts et les commissions ont été regroupées et instruites ensemble lors d’un seul procès. Le syndic a réparti ses réclamations en deux grandes catégories. En premier lieu, le syndic a présenté en vertu de la LFI une demande de recouvrement des présumés paiements préférentiels. Il a fait valoir que, comme il s’agissait d’un stratagème de type Ponzi, Golden Oaks était par le fait même insolvable et n’avait jamais eu les fonds nécessaires pour rembourser ses créanciers légitimes. Les intérêts et les commissions que Golden Oaks avait versés étaient donc des paiements préférentiels qui avaient privé les créanciers légitimes de leur part des capitaux propres de la société.
[18]                        En deuxième lieu, le syndic a formulé des réclamations fondées sur l’enrichissement sans cause. Il a fait valoir qu’il n’y avait aucun motif juridique justifiant les intérêts versés par Golden Oaks parce que les taux d’intérêt qu’elle offrait étaient illégaux, et que les défendeurs — y compris tous les appelants devant notre Cour — s’étaient enrichis aux dépens de Golden Oaks. Le syndic a également affirmé que les commissions versées pour avoir dirigé de nouveaux investisseurs vers Golden Oaks étaient illicites et contraires à la Loi sur les valeurs mobilières, L.R.O. 1990, c. S.5, de sorte que les ententes d’aiguillage ne constituaient pas un motif juridique justifiant les commissions.
[19]                        Les appelants ont invoqué quatre principaux moyens de défense.
[20]                        Premièrement, les appelants ont soutenu que les actions intentées par le syndic sont frappées de prescription en vertu de l’art. 4 et du par. 12(1) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, qui prévoient un délai de prescription de deux ans qui commence à courir le jour où le failli, Golden Oaks, a découvert ou aurait dû découvrir les faits à l’origine de ses réclamations. Les appelants ont affirmé que, puisque M. Lacasse était au courant des paiements contestés au moment où ils ont été faits entre le 6 juin 2011 et le 3 avril 2013, Golden Oaks était également au courant de ces paiements à ce moment‑là ou aurait dû l’être. Ces faits se sont produits plus de deux ans avant que le syndic de faillite n’intente ses poursuites en sa qualité d’ayant droit de Golden Oaks à compter de juin 2015.
[21]                        Deuxièmement, les appelants ont affirmé que, même si les actions intentées par le syndic ne sont pas prescrites, ils ne se sont pas enrichis injustement. Ils ont invoqué la théorie de la « divisibilité fictive », qui permet au tribunal de faire exécuter en partie un contrat autrement illégal en attribuant une interprétation atténuée à l’une de ses dispositions de façon à rendre légal et exécutoire le reste du contrat plutôt que de déclarer nul ab initio la totalité du contrat. Les appelants ont soutenu que le tribunal devrait réduire le taux d’intérêt criminel au taux d’intérêt légal maximal et condamner les appelants à ne rembourser que les intérêts qui excèdent ce taux, mais non le capital ou les intérêts légitimes.
[22]                        Troisièmement, les appelants ont invoqué le par. 97(3) de la LFI dans le but d’être autorisés à opérer compensation entre les sommes qu’ils doivent à l’actif de la faillite et les sommes qui leur sont dues en capital en vertu des prêts qu’ils ont consentis. Les appelants ont réclamé une compensation complète parce que le capital du prêt est plus élevé que ce qu’ils doivent.
[23]                        Quatrièmement, les appelants qui ont conclu des ententes d’aiguillage avec Golden Oaks ont fait valoir que ces ententes étaient légitimes et qu’elles n’étaient pas contraires à la Loi sur les valeurs mobilières, et qu’elles constituaient de ce fait un motif juridique leur permettant de conserver les commissions qu’ils ont touchées.
III.         Historique des procédures judiciaires
A.           Cour supérieure de justice de l’Ontario, 2019 ONSC 5108, 76 C.B.R. (6th) 3 (la juge Gomery (maintenant juge de la Cour d’appel de l’Ontario))
[24]                        La juge de première instance a conclu d’emblée que Golden Oaks était un stratagème de type Ponzi. Cette conclusion comportait deux conséquences. Tout d’abord, Golden Oaks n’a jamais eu suffisamment d’argent pour rembourser ses créanciers légitimes et était par le fait même insolvable. Ensuite, à partir du milieu de l’année 2011, les activités de Golden Oaks étaient frauduleuses.
(1)         Moyen de défense fondé sur la prescription et théorie de l’attribution d’actes à une société
[25]                        La juge de première instance a rejeté l’argument des appelants selon lequel les réclamations du syndic fondées sur l’enrichissement sans cause étaient prescrites.
[26]                        La juge de première instance a fait observer qu’en vertu du par. 5(2) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, Golden Oaks était présumée, à moins de preuve du contraire, avoir été au courant des faits à l’origine de ses réclamations au moment où elle avait effectué les paiements. La juge a également reconnu que, comme le syndic présentait ses demandes fondées sur l’enrichissement sans cause en sa qualité d’ayant droit de Golden Oaks en vertu de l’art. 71 de la LFI, il était réputé, par application du par. 12(1) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, avoir été au courant des faits ayant donné naissance aux réclamations de Golden Oaks lorsque celle‑ci avait découvert les faits en question ou aurait raisonnablement pu les découvrir. La juge a conclu que, pour répondre à la question de savoir si Golden Oaks était au courant des paiements ou aurait raisonnablement pu être au courant de ceux‑ci, il fallait se demander si la connaissance par M. Lacasse des paiements devait être attribuée à Golden Oaks selon la théorie de l’attribution d’actes à une société.
[27]                        La juge de première instance a conclu que la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits devait être attribuée à Golden Oaks. Elle s’est appuyée sur l’arrêt Canadian Dredge pour étayer la proposition que les actes de l’âme dirigeante d’une société sont attribués à celle‑ci, sauf si les actes en question étaient complètement frauduleux envers la société ou ils n’avaient pas en partie pour but ou pour conséquence de procurer un avantage à la société. Elle a conclu qu’aucune de ces exceptions ne s’appliquait. Le syndic n’avait pas démontré que M. Lacasse avait agi de façon complètement frauduleuse envers la société ou uniquement pour son propre profit. Sur les 16,4 millions de dollars qui avaient été recueillis auprès des investisseurs, M. Lacasse n’avait empoché que 1,3 million de dollars. Un autre montant de 7,7 millions de dollars avait servi à rembourser d’autres investisseurs, tandis que le reste avait été utilisé en partie au bénéfice de l’entreprise, notamment pour payer ses frais d’exploitation, ainsi que l’acquisition, la rénovation et la réparation d’immeubles, la publicité et d’autres dépenses administratives. La juge de première instance a par conséquent attribué à Golden Oaks la connaissance que M. Lacasse avait des paiements.
[28]                        Malgré sa conclusion que Golden Oaks avait découvert les faits à l’origine de ses réclamations dès 2011 lorsque les premiers paiements avaient été effectués, la juge de première instance a estimé que l’introduction d’une instance n’était pas « approprié[e] » au sens du sous‑al. 5(1)a)(iv) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions avant la mise sous séquestre de Golden Oaks, le 9 juillet 2013. Avant cette date, Golden Oaks était contrôlée exclusivement par M. Lacasse, qui n’aurait pas intenté une poursuite au nom de la société, parce que cela aurait dévoilé l’existence du stratagème de type Ponzi. Le temps qui s’est écoulé avant que le délai de prescription ne commence à courir était donc attribuable au contrôle absolu que M. Lacasse exerçait sur la société, contrôle qui n’a pris fin que lorsque la société a été mise sous séquestre.
(2)         Compensation légale et compensation en equity
[29]                        La juge de première instance a appliqué la théorie de la divisibilité fictive aux réclamations fondées sur l’enrichissement sans cause formulées par le syndic en vue de recouvrer les intérêts illégaux payés. Elle a condamné les appelants à rembourser intégralement les intérêts qu’ils avaient reçus illégalement, mais non les sommes en capital qu’ils avaient investies dans Golden Oaks. Par ailleurs, la juge de première instance a refusé de permettre aux appelants d’invoquer le par. 97(3) de la LFI pour opérer compensation entre les montants d’intérêts qu’ils devaient à l’actif de la faillite et les sommes qui leur étaient dues en capital. 
[30]                        La juge de première instance a décidé que les appelants ne satisfaisaient pas au critère de la compensation légale parce que le montant de leurs créances n’était devenu déterminé qu’après l’introduction, par le syndic, des actions en justice. Cette conclusion sur la compensation légale n’a pas été contestée en appel.
[31]                        La juge de première instance a également statué que les appelants ne pouvaient pas invoquer la compensation en equity. Elle a rappelé ses conclusions antérieures selon lesquelles les appelants ne s’étaient pas comportés dans leurs rapports commerciaux avec Golden Oaks d’une façon irréprochable, et qu’ils savaient ou auraient dû savoir qu’ils avaient conclu des ententes illégales. Elle a en outre fait observer que, comme permettre une compensation dans une faillite aurait pour effet [traduction] « d’accorder un traitement préférentiel à un créancier par rapport à la masse des créanciers », les cas dans lesquels une compensation peut être accordée en vertu du par. 97(3) de la LFI sont « très limités » (par. 550, citant King Insurance Finance (Wines) Inc. c. 1557359 Ontario Inc., 2012 ONSC 4263, 99 C.B.R. (5th) 227, par. 21).
[32]                        En conséquence, la juge de première instance a statué que l’actif de la faillite pouvait recouvrer les intérêts touchés par les appelants et qu’il pouvait en distribuer le produit entre les créanciers chirographaires au prorata de leurs créances.
(3)         Commissions versées en vertu des ententes d’aiguillage
[33]                        La juge de première instance a rejeté les réclamations fondées sur l’enrichissement sans cause présentées par le syndic en vue d’obtenir le remboursement des commissions d’aiguillage que certains appelants avaient reçues. Elle a refusé de considérer que les ententes d’aiguillage impliquaient la vente sans permis de valeurs mobilières, ce qui est interdit par la Loi sur les valeurs mobilières, et elle a conclu que les ententes constituaient un motif juridique justifiant le paiement de ces commissions qui faisait échec aux prétentions du syndic.
(4)         Réclamations visant à obtenir de M. Scott qu’il rembourse les paiements préférentiels illicites
[34]                        Enfin, la juge de première instance a fait droit à la réclamation du syndic selon laquelle les intérêts et les commissions payés par Golden Oaks à l’appelant M. Scott constituaient des paiements ayant procuré à M. Scott une préférence illicite au sens de l’al. 95(1)b) de la LFI. Monsieur Scott est un agent immobilier qui a commencé à participer aux opérations de Golden Oaks en 2011. La juge de première instance a conclu que M. Scott avait un lien de dépendance avec Golden Oaks au moment où il avait touché les intérêts et les commissions. Bien qu’il n’ait jamais été un employé de Golden Oaks, M. Scott a régulièrement affirmé qu’il agissait au nom de cette société et a continué à solliciter des investissements mêmes après avoir pris connaissance du stratagème de type Ponzi. La juge de première instance a condamné M. Scott à payer à l’actif de la faillite 72 575 $ sur les intérêts et commissions qu’il avait reçus.
B.            Cour d’appel de l’Ontario, 2022 ONCA 509, 162 O.R. (3d) 295 (le juge Sossin, avec l’accord du juge en chef Strathy et du juge Roberts)
[35]                        La Cour d’appel a rejeté l’appel. Elle a souscrit à la décision de la juge de première instance de rejeter les moyens de défense fondés sur la prescription et sur la compensation, ainsi qu’à sa décision sur les réclamations visant à obtenir de M. Scott qu’il rembourse les paiements lui ayant procuré une préférence illicite. Le syndic a également formé un appel incident sur plusieurs questions. La seule question découlant du pourvoi incident qui a de la pertinence pour le présent pourvoi est celle de savoir si les ententes d’aiguillage constituaient un motif juridique de rejeter les réclamations du syndic fondées sur l’enrichissement sans cause lié au paiement des commissions. La cour a répondu par la négative à cette question et a fait droit à l’appel incident du syndic sur cette question.
(1)         Moyen de défense fondé sur la prescription et théorie de l’attribution d’actes à une société
[36]                        La Cour d’appel a convenu avec la juge de première instance que les actions intentées par le syndic n’étaient pas frappées de prescription en vertu de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, mais elle est parvenue à cette conclusion pour des motifs différents.
[37]                        La Cour d’appel a statué que la juge de première instance n’aurait pas dû attribuer à Golden Oaks la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits selon la théorie de l’attribution d’actes à une société. Dans l’arrêt Livent, la Cour suprême avait reconnu le pouvoir discrétionnaire d’un tribunal de refuser, pour des raisons d’intérêt public, d’appliquer la théorie de l’attribution d’actes à une société, sans toutefois se prononcer sur la question de savoir si les mêmes principes s’appliquent aux sociétés unipersonnelles. La Cour d’appel n’a pas vu de raison de s’abstenir d’appliquer le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Livent à une société unipersonnelle comme Golden Oaks. Par conséquent, la juge de première instance aurait dû se demander si elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser d’attribuer à Golden Oaks la connaissance que M. Lacasse avait des paiements. De l’avis de la Cour d’appel, dans le cas qui nous occupe, l’attribution saperait la politique d’intérêt général du droit de l’insolvabilité qui consiste à veiller au partage équitable des actifs entre les créanciers. L’attribution compromettrait également la politique sociale visant à faire en sorte que les entreprises soient tenues responsables de leurs actes afin de prévenir la fraude et le non‑respect de la réglementation.
[38]                        Parce qu’elle a refusé d’attribuer à Golden Oaks la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits, la Cour d’appel a jugé que Golden Oaks n’avait pas connaissance des faits nécessaires pour pouvoir intenter les actions avant de déclarer faillite, et les actions n’étaient donc pas prescrites. La Cour d’appel a estimé qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si, par application de l’art. 12 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, Golden Oaks et le syndic étaient réputés avoir été au courant des paiements, ou si, au sens du sous‑al. 5(1)a)(iv), les réclamations du syndic n’étaient pas « approprié[es] » avant la nomination du syndic.
(2)         Compensation en equity
[39]                        La Cour d’appel a conclu que la juge de première instance n’avait pas commis d’erreur en appliquant le critère de la compensation en equity prévu au par. 97(3) de la LFI. Il n’y avait aucune raison de modifier la conclusion de la juge de première instance selon laquelle les appelants n’avaient pas eu la « conduite irréprochable » nécessaire pour demander une réparation en equity. La juge de première instance avait conclu que les appelants ne s’étaient pas comportés d’une façon irréprochable et qu’ils savaient ou auraient dû savoir qu’ils concluaient des ententes illégales.
(3)         Réclamations visant à obtenir de M. Scott qu’il rembourse les paiements préférentiels illicites
[40]                        La Cour d’appel a débouté M. Scott de son appel de la conclusion de la juge de première instance suivant laquelle il avait un lien de dépendance avec Golden Oaks au moment où il a reçu les commissions et les intérêts; par conséquent, ces sommes constituaient des paiements ayant procuré une préférence illicite à M. Scott au sens de l’al. 95(1)b) de la LFI.
(4)         Appel incident du syndic sur les ententes d’aiguillage
[41]                        La Cour d’appel a fait droit en partie à l’appel incident du syndic. Elle a conclu que les ententes d’aiguillage étaient illégales en common law et qu’elles ne pouvaient constituer un motif juridique justifiant l’enrichissement de leurs bénéficiaires. Elle a condamné M. Scott et plusieurs autres appelants à rembourser à l’actif de la faillite les commissions qu’ils avaient reçues.
IV.         Questions en litige
[42]                        Le présent pourvoi soulève quatre questions :
a)                       La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les actions intentées par le syndic n’étaient pas prescrites en vertu de la Loi de 2002 sur la prescription des actions?
b)                     La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les appelants n’avaient pas le droit d’invoquer la compensation en equity au titre du par. 97(3) de la LFI?
c)                       La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les ententes d’aiguillage étaient des contrats illégaux en common law?
d)                     La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en confirmant la conclusion de la juge de première instance selon laquelle M. Scott et Golden Oaks avaient un lien de dépendance pour l’application de l’al. 95(1)b) de la LFI?
V.           Analyse
A.           Les actions intentées par le syndic sont‑elles prescrites en vertu de la Loi de 2002 sur la prescription des actions?
[43]                        La première et principale question à trancher dans le présent pourvoi est de savoir si les réclamations pour enrichissement sans cause présentées par le syndic contre les appelants sont prescrites en raison du délai de prescription de deux ans prévu à l’art. 4 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions.
[44]                        Bien que les actions intentées par le syndic aient été intentées plus de deux ans après le versement des commissions et des intérêts illégaux aux appelants, elles ne seraient pas frappées de prescription si le commencement du délai de prescription était retardé par l’application de la règle de la possibilité de découvrir les faits. Selon la règle de la possibilité de découvrir les faits, « une cause d’action prend naissance, aux fins de la prescription, lorsque les faits importants sur lesquels repose cette cause d’action ont été découverts par le demandeur ou auraient dû l’être s’il avait fait preuve de diligence raisonnable » (Grant Thornton LLP c. Nouveau‑Brunswick, 2021 CSC 31, [2021] 2 R.C.S. 704, par. 29, citant Central Trust Co. c. Rafuse, 1986 CanLII 29 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 147, p. 224, et Kamloops (Ville de) c. Nielsen, 1984 CanLII 21 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 2). Le concept de possibilité de découvrir les faits est un principe de common law qui est maintenant consacré dans une loi en Ontario. Les règles liées à la possibilité de découvrir les faits qui sont pertinentes pour le présent pourvoi se trouvent aux art. 5 et 12 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions.
[45]                        Les appelants soutiennent que la Cour d’appel a fait erreur en concluant que les actions intentées par le syndic n’étaient pas prescrites par la loi. Ils font valoir trois arguments au soutien de leur thèse.
[46]                        En premier lieu, les appelants affirment que, selon l’art. 12 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, le syndic est réputé avoir eu connaissance des intérêts et commissions illégaux versés avant l’expiration du délai de prescription. Ils soutiennent que, par application de l’art. 12, la connaissance que M. Lacasse avait des paiements doit être attribuée à Golden Oaks et au syndic en sa qualité d’ayant droit de Golden Oaks.
[47]                        En deuxième lieu, à titre subsidiaire, les appelants cherchent à attribuer à Golden Oaks la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits suivant la théorie de l’attribution d’actes à une société. Là encore, Golden Oaks serait par conséquent réputée avoir été au courant des paiements avant l’expiration du délai de prescription.
[48]                        En troisième lieu, les appelants prétendent que la juge de première instance a commis une erreur en concluant qu’il n’aurait pas été « approprié » pour Golden Oaks au sens du sous‑al. 5(1)a)(iv) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions de les poursuivre avant la nomination du syndic. Ainsi, là encore, les actions n’ont pas été intentées avant l’expiration du délai de prescription.
[49]                        Comme je vais l’expliquer, je ne retiens ni le premier ni le deuxième argument, et il n’est pas nécessaire d’aborder le troisième.
(1)         L’article 12 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions ne règle pas la question de savoir si les actions intentées par le syndic sont prescrites
[50]                        L’alinéa 5(1)a), le par. 5(2) et l’art. 12 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions sont les règles relatives à la possibilité de découvrir les faits qui sont pertinentes en l’espèce.
[51]                        Le paragraphe 5(1) indique dans quels cas les faits ayant donné naissance à la réclamation sont effectivement découverts ou découverts par interprétation. Aux termes de ce paragraphe, les faits qui ont donné naissance à la réclamation ne peuvent être découverts qu’à compter du jour où le titulaire du droit de réclamation a appris ou aurait dû apprendre que : (i) les préjudices, les pertes ou les dommages sont survenus; (ii) les préjudices, les pertes ou les dommages ont été causés entièrement ou en partie par un acte ou une omission; (iii) l’acte ou l’omission est le fait de la personne contre laquelle est faite la réclamation; (iv) l’introduction d’une instance serait un moyen approprié de tenter de remédier aux préjudices, aux pertes ou aux dommages. Le paragraphe 5(2) prévoit qu’à moins de preuve du contraire, le titulaire du droit de réclamation est présumé avoir appris les faits visés à l’al. 5(1)a) le jour où a eu lieu l’acte ou l’omission qui a donné naissance à la réclamation. Les paragraphes 5(1) et (2) disposent :
                    5 (1) Les faits qui ont donné naissance à la réclamation sont découverts celui des jours suivants qui est antérieur aux autres :
a)      le jour où le titulaire du droit de réclamation a appris les faits suivants :
(i)      les préjudices, les pertes ou les dommages sont survenus,
(ii)     les préjudices, les pertes ou les dommages ont été causés entièrement ou en partie par un acte ou une omission,
(iii)   l’acte ou l’omission est le fait de la personne contre laquelle est faite la réclamation,
(iv)   étant donné la nature des préjudices, des pertes ou des dommages, l’introduction d’une instance serait un moyen approprié de tenter d’obtenir réparation;
b)      le jour où toute personne raisonnable possédant les mêmes capacités et se trouvant dans la même situation que le titulaire du droit de réclamation aurait dû apprendre les faits visés à l’alinéa a).
(2)     À moins de preuve du contraire, le titulaire du droit de réclamation est présumé avoir appris les faits visés à l’alinéa (1) a) le jour où a eu lieu l’acte ou l’omission qui a donné naissance à la réclamation.
[52]                        L’article 12 énonce les règles permettant de déterminer dans quels cas une personne est réputée avoir appris les faits visés à l’al. 5(1)a). Le paragraphe 12(1) traite des instances introduites par l’ayant droit du titulaire du droit de réclamation. Il précise dans quels cas il faut attribuer à l’ayant droit la connaissance d’un prédécesseur. Le paragraphe 12(2) concerne les instances introduites par un mandant. Il prévoit les cas où il faut attribuer au mandant la connaissance des faits appris par le mandataire. L’article 12 dispose :
12 (1) Pour l’application de l’alinéa 5 (1) a) dans le cas d’une instance introduite par un ayant droit d’un prédécesseur titulaire du droit, du titre ou de l’intérêt, l’ayant droit est réputé avoir connaissance des faits visés à cet alinéa le premier en date des jours suivants :
1.      Le jour où le prédécesseur a appris ces faits ou aurait dû les apprendre.
2.      Le jour où l’ayant droit a appris ces faits ou aurait dû les apprendre.
(2)     Pour l’application de l’alinéa 5 (1) a), dans le cas d’une instance introduite par un mandant, si le mandataire avait l’obligation de lui communiquer les faits visés à cet alinéa, le mandant est réputé avoir connaissance des faits visés à cet alinéa le premier en date des jours suivants :
1.      Le jour où le mandataire a appris ces faits ou aurait dû les apprendre.
2.      Le jour où le mandant a appris ces faits ou aurait dû les apprendre.
(3)     Le jour où le prédécesseur ou le mandataire aurait dû apprendre les faits visés à l’alinéa 5 (1) a) est celui où toute personne raisonnable se trouvant dans la même situation et possédant les mêmes capacités que lui aurait dû les apprendre.
[53]                        Les appelants soutiennent que les actions intentées par le syndic sont prescrites par l’effet combiné des par. 12(1) et 12(2) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la théorie de l’attribution d’actes à une société en common law. Leur argument repose sur deux propositions. Tout d’abord, les appelants affirment que la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits doit être attribuée à Golden Oaks en vertu du par. 12(2) avant l’expiration du délai de prescription, parce que M. Lacasse était au courant des paiements contestés, qu’il était le seul dirigeant, administrateur et représentant de Golden Oaks et qu’il agissait dans le cadre de ses attributions lorsqu’il a ordonné le paiement des sommes contestées. Ensuite, les appelants soutiennent que la connaissance qu’avait Golden Oaks des faits doit être attribuée au syndic en application du par. 12(1), parce que le syndic est l’ayant droit de Golden Oaks. Les appelants prétendent en conséquence que les actions intentées par le syndic sont prescrites.
[54]                        Je suis d’accord avec la deuxième proposition — selon laquelle la connaissance que Golden Oaks avait des faits doit être attribuée au syndic —, mais pas avec la première — suivant laquelle la connaissance de M. Lacasse doit être attribuée à Golden Oaks.
[55]                        J’ouvre ici une parenthèse pour souligner que la Cour d’appel a conclu qu’il n’était pas nécessaire de décider si le syndic était l’ayant droit de Golden Oaks au sens du par. 12(1) (par. 60). Selon moi, il faut examiner ce point parce que les appelants font valoir qu’il suffit d’invoquer l’art. 12 pour faire échec aux actions intentées par le syndic sans avoir à recourir à la théorie de l’attribution d’actes à une société.
[56]                        À mon avis, la connaissance qu’avait Golden Oaks des faits doit être attribuée au syndic parce que celui‑ci est son ayant droit. Le paragraphe 12(1) s’applique à « une instance introduite par un ayant droit d’un prédécesseur ». Le syndic a introduit les instances contre les appelants en tant qu’ayant droit de son prédécesseur, Golden Oaks. Ainsi que l’a fait remarquer notre Cour, lorsqu’il prend le contrôle des biens du failli en vertu de l’art. 71 de la LFI, « [le syndic] succède au failli » (Lefebvre (Syndic de), 2004 CSC 63, [2004] 3 R.C.S. 326, par. 36).
[57]                        Toutefois, même si la connaissance qu’avait Golden Oaks des faits doit être attribuée au syndic, je conclus que la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits ne peut être attribuée à Golden Oaks en vertu du par. 12(2) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions. Le paragraphe 12(2) ne s’applique qu’à « une instance introduite par un mandant ». Même en tenant pour acquis, sans pour autant en décider, que Golden Oaks agissait en tant que mandant et M. Lacasse en tant que son mandataire, et en supposant également que M. Lacasse ait agi dans le cadre des pouvoirs qui lui avaient été conférés par Golden Oaks (deux affirmations que conteste le syndic), l’instance sous‑jacente a été introduite non pas par Golden Oaks, le mandant supposé, mais par le syndic, qui n’était pas un mandant de M. Lacasse. Par conséquent, l’art. 12 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions ne permet pas à lui seul de déterminer si les actions intentées par le syndic sont prescrites.
[58]                        La question demeure donc : Quand peut‑on considérer que Golden Oaks a été mise au courant des faits visés à l’al. 5(1)a) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions?
[59]                        Les appelants affirment devant notre Cour que la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits peut être attribuée à Golden Oaks en vertu des principes des mandats en common law. À l’inverse, tant la juge de première instance que la Cour d’appel ont abordé la question de l’attribution en examinant la théorie de common law de l’attribution d’actes à une société. Comme le fait remarquer à juste titre le syndic, toutefois, [traduction] « [l]a juge de première instance n’a pas décidé si [M.] Lacasse était un mandataire de Golden Oaks et, dans l’affirmative, s’il agissait dans le cadre de ces pouvoirs » (m.i., par. 46, note 27). Le syndic ajoute que, quoi qu’il en soit, la connaissance qu’a un mandataire des faits ne saurait être attribuée à son mandant lorsque le mandataire agit de manière frauduleuse envers ce dernier ou outrepasse ses propres pouvoirs.
[60]                        À mon avis, comme le soutient le syndic à juste titre, il n’a pas été suffisamment déterminé au procès si M. Lacasse était un mandataire de Golden Oaks et s’il agissait dans le cadre de ses pouvoirs, ce qui nuit à la capacité de notre Cour d’appliquer les principes des mandats en common law pour la première fois en l’espèce. Bien que la juge de première instance n’ait pas conclu que M. Lacasse était l’âme dirigeante de Golden Oaks, cette question diffère de celle de savoir si M. Lacasse était un mandataire de Golden Oaks à l’époque pertinente. Je m’abstiens donc d’examiner l’argument des appelants relatif aux mandats.
[61]                        Par conséquent, si la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits doit être attribuée à Golden Oaks, elle doit l’être en vertu de la théorie de l’attribution d’actes à une société, sur laquelle je me penche maintenant.
(2)         La Cour d’appel n’a pas commis d’erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire pour ne pas attribuer à Golden Oaks la connaissance des faits qu’avait M. Lacasse selon la théorie de l’attribution d’actes à une société
a)            Principes directeurs en matière d’attribution d’actes à une société
[62]                        Comme je le souligne dans l’arrêt Aquino, « [l]a théorie de common law de l’attribution d’actes à une société pose les principes directeurs qui permettent de déterminer dans quels cas les actes, les connaissances, l’état d’esprit ou l’intention de l’âme dirigeante d’une société peuvent être attribués ou imputés à cette dernière » (par. 1). Dans Aquino, j’ai passé en revue les décisions rendues par notre Cour en matière d’attribution d’actes à une société dans les affaires Canadian Dredge, Livent et DeJong, ainsi que la jurisprudence persuasive du Royaume‑Uni, pour ensuite résumer comme suit les principes directeurs applicables à la théorie de common law de l’attribution d’actes à une société en droit canadien :
a)           En règle générale, les actes frauduleux d’une personne peuvent être attribués à une société si deux conditions sont remplies : (1) l’auteur de la faute était l’âme dirigeante de la société aux moments pertinents; et (2) les actes fautifs de l’âme dirigeante ont été accomplis dans le cadre du secteur d’activités de la société qui lui est attribué (Canadian Dredge, p. 681‑682; Livent, par. 100).
b)           L’attribution sera généralement inappropriée lorsque : (1) l’âme dirigeante a commis un acte complètement frauduleux envers la société (l’exception pour cause de fraude); ou lorsque (2) les actes que l’âme dirigeante a commis n’avaient pas en partie pour but ou pour conséquence de procurer un avantage à la société (l’exception pour cause d’absence d’avantage) (Canadian Dredge, p. 712‑713; Livent, par. 100).
c)           Outre les exceptions pour cause de fraude et d’absence d’avantage, les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire de s’abstenir d’attribuer à la société les actes, les connaissances, l’état d’esprit ou l’intention de l’âme dirigeante lorsque cette abstention serait dans l’intérêt public, en ce sens qu’elle favoriserait la réalisation de l’objet de la loi au titre de laquelle l’attribution est sollicitée (Livent, par. 104; DeJong, par. 2).
d)           Dans tous les cas, les tribunaux doivent appliquer la théorie de common law de l’attribution d’actes à une société de manière téléologique, contextuelle et pragmatique. Cette théorie n’est pas une « doctrine autonome » (Livent, par. 97); il n’y a pas d’approche universelle. Le tribunal doit toujours déterminer si les actes, les connaissances, l’état d’esprit ou l’intention d’une personne devraient être considérés comme ceux de la société pour l’application de la loi au titre de laquelle l’attribution est sollicitée (Livent, par. 102‑103). Cela pourrait l’obliger à adapter la règle générale d’attribution ou ses exceptions au contexte juridique donné. L’attribution peut être appropriée à une fin précise dans un certain contexte, mais peut être inappropriée à une autre fin dans un autre contexte. [par. 82]
[63]                        Dans l’arrêt Livent, notre Cour avait décidé de « report[er] à une autre occasion » l’examen de la question de savoir si la même approche en matière d’attribution d’actes à une société devait être suivie dans le contexte d’une société unipersonnelle dont l’âme dirigeante est l’unique administrateur et actionnaire (par. 104). Cette question se pose en l’espèce parce que M. Lacasse était l’unique âme dirigeante, actionnaire et administrateur de Golden Oaks.
b)            Les mêmes principes s’appliquent aux sociétés unipersonnelles
[64]                        Les appelants soutiennent que notre Cour devrait adopter une approche différente en matière d’attribution d’actes à une société dans le cas des sociétés unipersonnelles. Ils affirment que, dans de tels cas, la théorie de l’attribution d’actes à une société est [traduction] « superflue » parce que « la société et son unique âme dirigeante sont de facto une seule et même personne » et sont « indifférenciables » (m.a., par. 67, 70‑71 et 76, citant Stone & Rolls Ltd. c. Moore Stephens, [2009] UKHL 39, [2009] 1 A.C. 1391). Dans le cas d’une société unipersonnelle, prétendent les appelants, [traduction] « l’unique administrateur et actionnaire ne peut commettre de fraude vis‑à‑vis de la société » (m.a., par. 67 et 72, citant 373409 Alberta Ltd. (Séquestre de) c. Banque de Montréal, 2002 CSC 81, [2002] 4 R.C.S. 312). Pour la même raison, les appelants affirment que le pouvoir discrétionnaire du tribunal de ne pas attribuer à la société la connaissance que son âme dirigeante avait des faits ne devrait jamais s’appliquer dans le cas d’une société unipersonnelle.
[65]                        Je n’accepte pas ces arguments. Il n’y a aucune raison de principe d’appliquer des principes directeurs différents dans le cas de l’attribution d’actes à une société unipersonnelle. Ainsi que notre Cour l’a expliqué dans l’arrêt Aquino, les principes de l’attribution d’actes à une société doivent toujours être appliqués de manière téléologique, contextuelle et pragmatique, compte tenu de l’objet des dispositions législatives en vertu desquelles l’attribution est demandée (par. 56, 64 et 82). Ces principes offrent suffisamment de souplesse pour traiter de la plupart, voire de l’ensemble, des situations d’attribution d’actes à une société, y compris dans le cas des sociétés unipersonnelles. De plus, accepter l’argument des appelants selon lequel la connaissance des faits par l’âme dirigeante d’une société unipersonnelle doit automatiquement être attribuée à cette société reviendrait en réalité à faire fi du principe fondamental de la personnalité morale distincte. Même les sociétés unipersonnelles ont une existence distincte de celle de leur unique propriétaire et âme dirigeante.
[66]                        Je ne suis pas non plus convaincu que les précédents invoqués par les appelants justifient l’adoption d’une approche différente en ce qui concerne les sociétés unipersonnelles. Les appelants citent l’arrêt 373409 Alberta Ltd. pour affirmer que l’âme dirigeante d’une société unipersonnelle ne peut pas commettre de fraude à l’égard de cette société. Ils interprètent mal cet arrêt, qui portait sur les pouvoirs accordés par une société à un dirigeant, et non sur l’attribution d’actes à une société. L’unique actionnaire et âme dirigeante de deux sociétés (les entreprises A et B) avait modifié un chèque payable à l’ordre de la société A en y ajoutant la société B en qualité de preneur. Il avait déposé le chèque modifié dans le compte de la société B. La banque avait crédité le compte de la société B du montant du chèque, et les fonds avaient par la suite été encaissés. Le séquestre et administrateur de la société A avait intenté une action pour détournement contre la banque parce qu’elle avait accepté le dépôt du chèque. Notre Cour a jugé que la banque ne pouvait être tenue responsable du détournement du montant du chèque parce que l’âme dirigeante de la société avait été autorisée par celle‑ci à déposer dans le compte de la société B le chèque libellé à l’ordre de la société A. Après avoir appliqué Canadian Dredge, la Cour a conclu que l’âme dirigeante n’avait pas commis de fraude vis‑à‑vis de la société A elle‑même en agissant ainsi, étant donné que l’âme dirigeante était pleinement autorisée à agir de la sorte en tant qu’unique actionnaire et administrateur de la société A (par. 22‑23). Cet arrêt ne permet pas d’affirmer que l’âme dirigeante d’une société unipersonnelle ne peut jamais commettre de fraude à l’égard de cette société.
[67]                        Les appelants citent également l’arrêt rendu par la Chambre des lords dans l’affaire Stone & Rolls qui indique, selon eux, que la connaissance des faits qu’a l’âme dirigeante d’une société unipersonnelle doit toujours être attribuée à cette société. Le point de vue des appelants trouve un certain appui, par exemple, dans les propos suivants tenus dans Stone & Rolls par lord Walker, qui a conclu que [traduction] « un ou plusieurs individus qui, à des fins frauduleuses, exploitent une entreprise individuelle [. . .] ne peuvent pas obtenir un avantage en prétendant que l’entreprise n’est pas un fraudeur, mais une victime secondaire » (par. 174). Comme l’a noté plus tard la Cour suprême du Royaume‑Uni, certains ont interprété l’arrêt Stone & Rolls comme établissant [traduction] « une règle de droit selon laquelle la malhonnêteté de l’âme dirigeante d’une société unipersonnelle pouvait être attribuée à la société en question [. . .] quels que soient le contexte et l’objectif de l’attribution en question » (Singularis Holdings Ltd. c. Daiwa Capital Markets Ltd., [2019] UKSC 50, [2020] A.C. 1189, par. 33).
[68]                        Toutefois, la Cour suprême du Royaume‑Uni a depuis rejeté ce point de vue et a adopté à l’égard de l’attribution d’actes à une société une approche téléologique, contextuelle et pragmatique semblable à l’approche canadienne.
[69]                        Dans l’arrêt Bilta (UK) Ltd. c. Nazir, [2015] UKSC 23, [2016] A.C. 1, lord Neuberger a écrit que, sous réserve de certaines mises en garde, l’arrêt Stone & Rolls devait [traduction] « être relégué aux oubliettes » (par. 30, citant In re King, [1963] Ch 459, p. 483, le maître des rôles lord Denning (dans un autre contexte)). Lord Toulson et Lord Hodge ont eux aussi mis en doute le précédent établi par Stone & Rolls, faisant observer que l’arrêt n’avait [traduction] « aucune ratio decidendi majoritaire » (par. 154).
[70]                        Quelques années plus tard, la Cour suprême du Royaume‑Uni est revenue sur cette question dans Singularis et a rejeté sans équivoque le point de vue selon lequel une règle d’attribution automatique devrait s’appliquer aux sociétés unipersonnelles. S’exprimant pour la cour, Lady Hale a signalé que l’arrêt Stone & Rolls avait [traduction] « suscité beaucoup de débats et de critiques » (par. 30). Elle a conclu [traduction] « [qu’]il n’existe pas de principe de droit » selon lequel la conduite frauduleuse de l’administrateur d’une société unipersonnelle ou les faits connus de lui devraient toujours être attribués à cette société (par. 34). Lady Hale a plutôt jugé que [traduction] « pour déterminer si la connaissance des faits par l’administrateur fraudeur de la société doit être attribuée à cette dernière, il faut toujours tenir compte du contexte et de l’objet qui rendent cette attribution pertinente » (par. 34, citant la juge du procès dans l’affaire, [2017] EWHC 257 (Ch.), [2017] 2 All E.R. (Comm.) 445, par. 182). Elle a souligné que même les sociétés unipersonnelles [traduction] « possèdent leur propre existence juridique et une personnalité distincte de celle des personnes qui la possèdent et l’exploitent », ajoutant qu’un « actionnaire unique peut voler sa propre société » (par. 37). Lady Hale a conclu qu’étant donné que le contexte et l’objet de la loi pertinente en vertu de laquelle l’attribution était demandée constituaient désormais le principe directeur en matière d’attribution d’actes à une société, [traduction] « on peut finalement mettre de côté l’arrêt Stone & Rolls » (par. 34; voir aussi J. C. Fisher, « The “one man company” after Patel v Mirza : attribution and illegality in Singularis Holdings v Daiwa Capital Markets » (2020), 71 N.I.L.Q. 387).
[71]                        Je conviens qu’aucune règle ne veut que la connaissance ou l’état d’esprit de l’âme dirigeante d’une société unipersonnelle soit toujours attribué à cette dernière. Le contexte et l’objet servent toujours de considérations premières. Les principes directeurs énoncés dans l’arrêt Aquino en matière d’attribution d’actes à une société s’appliquent à toutes les sociétés, y compris aux sociétés unipersonnelles.
c)            Application au cas qui nous occupe
[72]                        À mon avis, la Cour d’appel a refusé à bon droit d’attribuer à Golden Oaks la connaissance que M. Lacasse avait des commissions et intérêts illégaux versés. Selon la règle de la possibilité de découvrir les faits énoncée au par. 5(1) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, le délai de prescription n’a commencé à courir qu’au moment où le syndic a été mis au courant des réclamations de Golden Oaks, et ce moment ne pouvait survenir qu’au moment où le syndic a été nommé. Les actions intentées par le syndic afin de recouvrer auprès des appelants les montants qui leur avaient été versés ont donc été introduites avant l’expiration du délai de prescription.
[73]                        Je reconnais d’emblée que, selon la théorie de l’attribution d’actes à une société en common law, la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits peut de prime abord être attribuée à Golden Oaks parce que M. Lacasse était l’âme dirigeante de Golden Oaks et qu’il a commis ses actes fautifs dans le cadre des attributions qui lui avaient été assignées par l’entreprise. Je reconnais également, à l’instar de la juge de première instance, que M. Lacasse n’a pas agi exclusivement dans le but de frauder la société pour son propre bénéfice. En effet, une partie des fonds recueillis auprès des investisseurs dans le cadre du stratagème de type Ponzi a été utilisée au bénéfice de Golden Oaks et a servi à régler ses frais d’exploitation, de réparation d’immeubles et de publicité et d’autres dépenses administratives.
[74]                        Je suis néanmoins d’accord avec la Cour d’appel pour dire que la juge de première instance a commis une erreur [traduction] « en ne se demandant pas si elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser pour des raisons d’intérêt public d’appliquer la théorie de l’attribution d’actes à une société » (par. 56). Il était donc opportun de la part de la Cour d’appel d’examiner comment ce pouvoir discrétionnaire aurait dû être exercé.
[75]                        Ainsi que notre Cour l’a fait observer dans l’arrêt Aquino, « les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire de s’abstenir d’attribuer à la société les actes, les connaissances, l’état d’esprit ou l’intention de l’âme dirigeante lorsque cette abstention serait dans l’intérêt public, en ce sens qu’elle favoriserait la réalisation de l’objet de la loi au titre de laquelle l’attribution est sollicitée » (par. 82c); voir aussi Livent, par. 104; DeJong, par. 2). En l’espèce, les appelants cherchent à attribuer à Golden Oaks la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits afin de déclencher l’application de la règle de la possibilité de découvrir les faits qui est énoncée dans la Loi de 2002 sur la prescription des actions de manière à rendre irrecevables les réclamations présentées par le syndic en vertu de la LFI. Il y a deux lois applicables en jeu, et il est nécessaire de se demander si l’attribution favoriserait la réalisation de l’objet de chacune d’entre elles.
[76]                        À l’instar d’autres lois modernes sur la prescription, la Loi de 2002 sur la prescription des actions vise à atteindre un équilibre entre l’intérêt des demandeurs et celui des défendeurs en favorisant les objectifs de certitude, de préservation de la preuve et de diligence que poursuivent les délais de prescription (Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Green, 2015 CSC 60, [2015] 3 R.C.S. 801, par. 57; Novak c. Bond, 1999 CanLII 685 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 808, par. 64‑67). L’objectif de la certitude sert [traduction] « à favoriser l’exactitude et la certitude dans le règlement des demandes »; l’objectif de la préservation de la preuve vise « à assurer l’équité aux personnes qui peuvent être contraintes de se défendre contre des réclamations fondées sur des éléments de preuve périmés »; et l’objectif de la diligence sert « à inciter les personnes qui pourraient vouloir intenter des recours à faire preuve de diligence en les intentant en temps opportun » (Green, par. 57, citant P. M. Perell et J. W. Morden, The Law of Civil Procedure in Ontario (2e éd. 2014), p. 123).
[77]                        Plus précisément, les règles relatives à la possibilité de découvrir les faits, comme celle que l’on trouve à l’al. 5(1)a) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, visent à « prévenir l’injustice qu’entraînerait le fait d’interdire à une personne d’intenter une action avant qu’elle ne soit en mesure de le faire » (Peixeiro c. Haberman, 1997 CanLII 325 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 549, par. 36, le juge Major; voir aussi Grant Thornton LLP, par. 29).
[78]                        En l’espèce, attribuer à Golden Oaks la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits contrecarrerait l’objectif de la règle de la possibilité de découvrir les faits qui est énoncée dans la Loi de 2002 sur la prescription des actions. Elle empêcherait en pratique Golden Oaks de présenter ses réclamations même si, dans les faits, la société ne pouvait pas les faire valoir avant la nomination du syndic et avant l’expiration du délai de prescription. Monsieur Lacasse n’avait aucun intérêt à poursuivre les appelants au nom de Golden Oaks alors qu’il était le seul dirigeant de cette entreprise. S’il l’avait fait, il aurait dévoilé l’existence du stratagème de type Ponzi qu’il avait concocté et dont il profitait. En pratique, seul le syndic pouvait intenter une action en justice, et il ne pouvait le faire qu’une fois qu’il avait été nommé. Par conséquent, attribuer à Golden Oaks la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits créerait une injustice en rendant les réclamations du syndic prescrites par la loi avant même qu’il ne soit en mesure de les faire valoir.
[79]                        Les principaux objectifs de la LFI sont le partage équitable des biens du failli entre ses créanciers et la réhabilitation financière du failli (Orphan Well Association c. Grant Thornton Ltd., 2019 CSC 5, [2019] 1 R.C.S. 150, par. 67; Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327, par. 32; Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, 1995 CanLII 69 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 453, par. 7; Poonian c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2024 CSC 28, par. 1; Aquino, par. 36). La LFI a également pour objectif de préserver et de maximiser la valeur des actifs du débiteur et de protéger l’intérêt public (9354‑9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10, [2020] 1 R.C.S. 521, par. 40; Aquino, par. 36).
[80]                        Dans le cas qui nous occupe, attribuer à Golden Oaks la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits contrecarrerait les objectifs de la LFI. L’attribution permettrait aux appelants de conserver le produit de leurs actes répréhensibles et réduirait par le fait même la valeur des actifs du débiteur susceptibles d’être partagés entre les autres créanciers. Comme la Cour d’appel l’a souligné, l’attribution [traduction] « créerait une situation aberrante en soustrayant les appelants aux conséquences de leur perception d’intérêts usuraires et priverait le syndic d’un recours civil qui ne profiterait qu’à la masse des créanciers légitimes » (par. 57). Pareil scénario ne serait pas dans l’intérêt public.
[81]                        La Cour d’appel a donc exercé de façon appropriée son pouvoir discrétionnaire en refusant d’attribuer à Golden Oaks la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits parce que cette attribution n’aurait pas favorisé la réalisation des objets des lois au titre desquelles l’attribution était demandée.
(3)         Il n’est pas nécessaire d’aborder le sous‑al. 5(1)a)(iv) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions
[82]                        Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner la conclusion de la juge de première instance selon laquelle les actions intentées par le syndic ne sont pas prescrites parce qu’elles ne sont pas « approprié[es] » au sens du sous‑al. 5(1)a)(iv) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions.
(4)         Conclusion
[83]                        Les actions intentées par le syndic ne sont pas prescrites en vertu de la Loi de 2002 sur la prescription des actions.
B.            Les appelants ont‑ils le droit de réclamer une compensation en equity en vertu du par. 97(3) de la LFI?
[84]                        Les appelants font valoir deux arguments à l’appui de leur thèse selon laquelle ils auraient dû être autorisés à opérer compensation entre les intérêts qu’ils avaient été condamnés à payer à l’actif de la faillite et les sommes qui leur étaient dues en capital aux termes des prêts qu’ils avaient consentis à Golden Oaks. Les appelants affirment tout d’abord qu’il n’existait aucun motif reconnu en equity qui justifiait de leur refuser d’opposer leur créance en compensation parce qu’ils avaient eux‑mêmes été victimes du stratagème de type Ponzi. Les appelants affirment également que les juridictions inférieures ont mal appliqué les principes de la compensation en equity énoncés au par. 97(3) de la LFI en se demandant, pour ce qui est du caractère équitable, si le fait de leur permettre d’opérer compensation était susceptible de leur accorder une priorité par rapport à d’autres créanciers. Ils font valoir que notre Cour a reconnu qu’aux termes du par. 97(3), « le législateur fédéral autorise la partie qui invoque la compensation à “modifier” l’ordre de priorité qu’il a établi en matière de faillite, en raison de l’application des règles de la compensation » (m.a., par. 101 (soulignement omis), citant Husky Oil, par. 60, le juge Gonthier).
[85]                        Comme je vais l’expliquer, je rejette le premier argument des appelants, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’aborder le second.
(1)         Principes généraux de la compensation en matière de faillite
[86]                        Les règles de la compensation qui s’appliquent dans les provinces de common law et en droit civil québécois permettent [traduction] « aux parties qui ont des créances réciproques de “compenser” les montants qu’elles se doivent l’une à l’autre » (J. D. Honsberger et V. W. DaRe, Honsberger’s Bankruptcy in Canada (5e éd. 2017), p. 332; D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 52, [2005] 2 R.C.S. 564, par. 34).
[87]                        Le paragraphe 97(3) de la LFI régit les demandes de compensation en matière de faillite :
                    (3) Les règles de la compensation s’appliquent à toutes les réclamations produites contre l’actif du failli, et aussi à toutes les actions intentées par le syndic pour le recouvrement des créances dues au failli, de la même manière et dans la même mesure que si le failli était demandeur ou défendeur, selon le cas, sauf en tant que toute réclamation pour compensation est atteinte par les dispositions de la présente loi concernant les fraudes ou préférences frauduleuses.
[88]                        Le paragraphe 97(3) de la LFI prévoit que les règles provinciales de la compensation pertinentes, y compris celles du Québec, s’appliquent aux actions intentées par le syndic « de la même manière et dans la même mesure » qu’elles s’appliqueraient normalement dans le cadre d’actions intentées autrement que dans le cadre d’une faillite entre le failli et ses créanciers, sous réserve des exceptions prévues par la loi en ce qui concerne la fraude et les préférences frauduleuses (voir K. R. Palmer, The Law of Set‑Off in Canada (1993), p. 176‑177 et 192‑193; L. W. Houlden, G. B. Morawetz et J. Sarra, Bankruptcy and Insolvency Law of Canada (4e éd. rév. (feuilles mobiles)), p. 5‑1,086; Honsberger et DaRe, p. 332‑333, 449 et 452‑453; K. P. McElcheran, Commercial Insolvency in Canada (4e éd. 2019), p. 43-45; R. J. Wood, Bankruptcy and Insolvency Law (2e éd. 2015), p. 99-102). Aucune des exceptions prévues par la loi n’est en cause en l’espèce.
[89]                        Autoriser une compensation en matière de faillite permet d’éviter l’injustice [traduction] « d’obliger une personne, qui, finalement, n’est pas un débiteur de la faillite, à payer toute la somme due au failli et à ne recevoir de la faillite qu’une quote‑part des sommes dues » (Lister c. Hooson, [1908] 1 K.B. 174 (C.A.), p. 178, le lord juge Fletcher Moulton, cité dans Husky Oil, par. 56; voir aussi Palmer, p. 205‑206; Honsberger et DaRe, p. 450-451).
[90]                        Dans le cas de la compensation légale, qui est généralement prévue par la loi, les deux obligations doivent être des créances déterminées qui représentent des obligations réciproques, en ce sens qu’elles doivent concerner les mêmes personnes et avoir été contractées au même titre (Holt c. Telford, 1987 CanLII 18 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 193, p. 204; Palmer, p. 4‑5 et 21; J. A. M. Judge et M. E. Grottenthaler, « Legal and Equitable Set‑Offs » (1991), 70 R. du B. can. 91, p. 94‑97; Honsberger et DaRe, p. 332 et 451‑452; Wood, p. 100-101).
[91]                        On peut demander une compensation en equity dans un plus grand nombre de situations que lorsqu’on invoque la compensation légale. La compensation en equity s’applique tant aux créances dont la somme est déterminée qu’à celles dont la somme n’est pas déterminée, et ce, peu importe qu’il y ait ou non réciprocité (Holt, p. 212; Palmer, p. 5; Judge et Grottenthaler, p. 99; Honsberger et DaRe, p. 332; Wood, p. 101-102). Pour déterminer s’il y a lieu de permettre la compensation en equity, le tribunal [traduction] « examine le lien qui existe entre les créances entre lesquelles on veut opérer compensation. Si le lien entre les créances est tel qu’il serait injuste de ne pas la permettre, le tribunal autorisera la compensation » (Honsberger et DaRe, p. 332 (note en bas de page omise); voir aussi McElcheran, p. 44; Judge et Grottenthaler, p. 113‑114; Palmer, p. 5; Wood, p. 101-102). [traduction] « La demande de compensation en equity est recevable si les opérations ou transactions sont si étroitement liées qu’il serait manifestement injuste de permettre au demandeur d’exiger le paiement sans tenir compte de la demande de compensation » (Wood, p. 102).
[92]                        L’arrêt de principe en matière de compensation en equity au Canada est la décision rendue par notre Cour dans l’affaire Holt, où la juge Wilson a résumé comme suit les principes régissant la compensation en equity :
                  [traduction]
                        1. La partie qui invoque la compensation doit établir qu’il existe un motif en equity de la protéger contre les revendications de son adversaire . . .
                        2. Le motif d’equity susmentionné doit toucher le fondement même de la réclamation du demandeur pour que la compensation soit recevable . . .
                        3. Une demande de compensation doit être reliée si clairement avec la réclamation du demandeur qu’il serait manifestement injuste de permettre au demandeur d’exiger le paiement sans qu’on tienne compte de la demande de compensation . . .
                        4. Il n’est pas nécessaire que la réclamation du demandeur et la demande de compensation résultent du même contrat . . .
                        5. Les réclamations de sommes non déterminées sont sur un pied d’égalité avec les réclamations de sommes déterminées . . . [Références omises.]
                    (Holt, p. 212, citant Coba Industries Ltd. c. Millie’s Holdings (Canada) Ltd., 1985 CanLII 144 (BC CA), [1985] 6 W.W.R. 14 (C.A. C.‑B.), p. 22, le juge Macfarlane)
[93]                        Les tribunaux canadiens reconnaissent que les juges ont le pouvoir discrétionnaire de rejeter une défense de compensation en equity lorsque la partie qui l’invoque n’a pas une conduite « irréprochable » ou que la défense est entachée d’une forme quelconque d’iniquité (Palmer, p. 66-67; voir aussi Grand Financial Management Inc. c. Solemio Transportation Inc., 2016 ONCA 175, 395 D.L.R. (4th) 529, par. 98; Stewart c. Bardsley, 2014 NSCA 106, 353 N.S.R. (2d) 284, par. 58‑59 et 61). En effet, [traduction] « [l]es tribunaux d’equity ne permettent pas aux parties de tirer profit de ce qu’elles ont obtenu exclusivement grâce à leurs propres actes fautifs » (Palmer, p. 67, citant Re Jason Construction Ltd. (1972), 1972 ALTASCAD 54 (CanLII), 29 D.L.R. (3d) 623 (C.S. Alb. (Div. app.)), p. 628, le juge Johnson). Celui qui invoque les règles d’equity [traduction] « doit non seulement être prêt à faire maintenant ce qui est juste et équitable, mais doit aussi démontrer que sa conduite antérieure dans l’opération est irréprochable, car “celui qui a contrevenu aux règles d’equity [. . .] ne peut bénéficier de l’application de ces règles” » (Palmer, p. 66, citant Snell’s Principles of Equity (28e éd. 1982), par P. V. Baker et P. St. J. Langan, p. 32‑33). Il est également de jurisprudence constante que la conduite inique doit [traduction] « se rapporter directement et nécessairement » à l’opération en cause, si bien qu’il serait « injuste » d’accorder réparation eu égard à la conduite; la conduite générale dépravée du demandeur, par exemple, n’est pas pertinente (Snell’s Equity (34e éd. 2020), par J. McGhee et S. Elliott, p. 96; I. C. F. Spry, The Principles of Equitable Remedies : Specific Performance, Injunctions, Rectification and Equitable Damages (9e éd. 2014), p. 254; voir aussi Stewart, par. 62 et 65; DeJesus c. Sharif, 2010 BCCA 121, 284 B.C.A.C. 244, par. 85‑86).
[94]                        Les tribunaux ont refusé de permettre la compensation en equity dans une foule de situations. Il y a par exemple le cas du demandeur qui a commis un abus de confiance ou un acte fautif à l’égard de l’entreprise; qui a retenu des fonds de manière injustifiée ou qui a omis de les remettre en contravention d’une entente; ou encore qui a renoncé à réclamer un paiement auquel il a droit (voir Palmer, p. 67‑71). Les situations dans lesquelles les tribunaux peuvent refuser une compensation en equity ne sont pas [traduction] « limitatives ou bien définies, car les défendeurs trouveront sans aucun doute de plus en plus d’autres moyens d’agir de façon inéquitable » (p. 67).
(2)         La juge de première instance n’a pas commis d’erreur en refusant de permettre la compensation en equity
[95]                        La juge de première instance a eu raison de refuser la demande de compensation en equity des appelants au motif que ces derniers ne s’étaient pas présentés devant le tribunal sans reproche.
[96]                        Même si la juge de première instance a accepté que les appelants ignoraient qu’ils prenaient part à un stratagème frauduleux de type Ponzi, elle a néanmoins conclu qu’ils [traduction] « savaient tous, ou auraient dû savoir, qu’ils concluaient des ententes illégales » (par. 484). Elle a conclu que, [traduction] « [s]elon la preuve des interactions entre les parties, celles‑ci ne se sont pas conduites d’une manière compatible avec des opérations commerciales régulières », en ne faisant pas preuve de diligence élémentaire et en faisant abstraction de plusieurs drapeaux rouges lorsqu’elles ont conclu les contrats de placement avec Golden Oaks (par. 509; voir aussi le par. 494). Elle a également conclu que le paiement de l’intérêt illégal sur les billets à ordre avait injustement enrichi les appelants (par. 514).
[97]                        Essentiellement, les appelants ne se sont pas présentés devant le tribunal sans reproche parce que leur conduite fautive était au cœur de leur demande de compensation, ce qui a pour effet de les empêcher de bénéficier de la défense de compensation en equity (voir Strellson AG c. Strellmax Ltd., 2018 ONSC 1808, 62 C.B.R. (6th) 328, par. 43). Cela suffit pour rejeter ce moyen d’appel.
[98]                        À la lumière de cette conclusion, point n’est besoin d’aborder le second argument des appelants, suivant lequel les tribunaux devraient appliquer les principes de compensation en equity prévus au par. 97(3) de la LFI sans se demander si une compensation donnerait au demandeur priorité sur d’autres créanciers.
[99]                        Je reconnais néanmoins que certaines décisions semblent donner à penser qu’un tribunal peut prendre en considération, pour ce qui est du caractère équitable, l’effet d’autoriser une compensation en equity sur les autres créanciers (voir King Insurance, par. 21; Canada Trustco Mortgage Co. c. Sugarman (1999), 1999 CanLII 9288 (ON CA), 179 D.L.R. (4th) 548 (C.A. Ont.), par. 24). Les appelants et l’intervenant l’Institut d’insolvabilité du Canada soutiennent que cette jurisprudence entre en conflit avec le par. 97(3) de la LFI et l’arrêt Husky Oil de notre Cour. Puisque j’ai conclu que cette importante question de droit n’influe pas sur l’issue du présent pourvoi, je suis d’avis d’attendre une autre occasion pour l’examiner (voir Phillips c. Nouvelle‑Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), 1995 CanLII 86 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 97, par. 6).
(3)         Conclusion
[100]                     Les appelants n’avaient pas droit à une compensation en equity.
C.            Les ententes d’aiguillage étaient‑elles des contrats illégaux en common law?
[101]                     Les appelants M. Scott, Judy McKenna, Mark McKenna, Susan McKillip et 1531425 Ontario Inc. prétendent que la Cour d’appel a commis une erreur en concluant que leurs ententes d’aiguillage avec Golden Oaks étaient des contrats illégaux en common law. Selon eux, le syndic n’a pas plaidé ou allégué l’illégalité en common law au procès, et la Cour d’appel n’a donc pas été dûment saisie de cette question. Ils ajoutent que la Cour d’appel a fait erreur dans son application de la théorie d’illégalité. Ils prétendent avoir ignoré que les ententes d’aiguillage étaient des contrats illégaux, et que leur conduite était moins répréhensible que celle de Golden Oaks. Ils affirment par conséquent qu’on aurait dû leur permettre de conserver les commissions touchées en vertu de leurs ententes d’aiguillage.
[102]                     Je n’accepte pas ces arguments. Il ressort de mon examen du dossier que le syndic a plaidé et fait valoir en première instance que les ententes d’aiguillage étaient des contrats illégaux en common law. Bien que la juge de première instance ait commis une erreur en n’examinant pas la question de l’illégalité en common law, la Cour d’appel a examiné cet argument et l’a à bon droit rejeté.
(1)         Le syndic a plaidé et allégué l’illégalité en common law au procès
[103]                     L’argument des appelants selon lequel le syndic n’a pas plaidé ou fait valoir au procès que les ententes d’aiguillage étaient des contrats illégaux en common law me semble dénué de fondement.
[104]                     Le syndic a plaidé et fait valoir que les ententes d’aiguillage étaient des contrats illégaux contraires à la Loi sur les valeurs mobilières, et la juge de première instance a rejeté cet argument. Cette conclusion n’a pas été portée en appel à la Cour d’appel, et notre Cour n’en est pas saisie.
[105]                     Le syndic a également plaidé et fait valoir que les ententes d’aiguillage étaient des contrats illégaux en common law. Chacune des déclarations du syndic alléguait que les commissions reçues en vertu des ententes d’aiguillage étaient [traduction] « illégales et contraires à la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario » (voir d.a., vol. II, p. 9; d.a., vol. III, p. 54, 109 et 218 (je souligne)). Au procès, le syndic a continué de s’appuyer sur l’illégalité en common law, soutenant que les ententes d’aiguillage constituaient [traduction] « toutes des contrats illégaux au dessein criminel qui [étaient] tous nuls ab initio » (feuille de route des questions et du droit de Doyle Salewski Inc., par. 43‑44, reproduite dans le recueil de sources des appelants, p. 25 (je souligne)).
[106]                     La juge de première instance a fait remarquer elle‑même que le syndic avait plaidé à la fois l’illégalité en common law et selon la loi. Le premier argument du syndic était que les ententes d’aiguillage constituaient des [traduction] « contrats au dessein criminel; c’est‑à‑dire l’exécution d’un stratagème de type Ponzi frauduleux » (par. 535); son second argument était que les appelants se livraient à la vente sans permis de billets à ordre, lesquels répondaient à la définition de « valeurs mobilières », contrevenant ainsi à la Loi sur les valeurs mobilières. La juge de première instance a rejeté le second argument, mais n’a pas abordé le premier (voir la décision de la C.A., par. 83). Comme l’a signalé la Cour d’appel, il s’agissait d’une erreur de droit. L’illégalité en common law a également été débattue à fond devant la Cour d’appel.
(2)         La Cour d’appel a jugé à bon droit que les ententes d’aiguillage étaient des contrats illégaux en common law
[107]                     Je ne vois pas non plus de raison de mettre en doute la conclusion de la Cour d’appel suivant laquelle les ententes d’aiguillage étaient des contrats illégaux en common law.
a)            Principes généraux d’illégalité contractuelle
[108]                     Un contrat peut être inexécutoire pour cause d’illégalité s’il est contraire à la loi (illégalité d’origine législative) ou nul en common law pour des motifs d’ordre public (illégalité en common law) (S. M. Waddams, The Law of Contracts (8e éd. 2022), p. 393; G. H. L. Fridman, The Law of Contract in Canada (6e éd. 2011), p. 361; J. D. McCamus, The Law of Contracts (3e éd. 2020), p. 500‑502 et 544‑546; A. Swan, J. Adamski et A. Y. Na, Canadian Contract Law (4e éd. 2018), p. 1079 et 1112; G. R. Hall, Canadian Contractual Interpretation Law (4e éd. 2020), p. 171‑172).
[109]                     La théorie de l’illégalité trouve parfois son expression dans la maxime latine ex turpi causa non oritur actio, qui veut dire « [l]a créance provenant d’une cause immorale ou illégale ne peut être réclamée en justice » (A. Mayrand, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit (4e éd. 2007), p. 173‑174; Black’s Law Dictionary (11e éd. 2019), p. 732; Holman c. Johnson (1775), 1 Cowp. 341, 98 E.R. 1120, p. 1121; Hall c. Hebert, 1993 CanLII 141 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 159, p. 175 (« le demandeur ne peut tirer profit de sa faute »)). Cette théorie vise à maintenir l’« intégrité du système juridique » en veillant à ce que la conduite illégale soit traitée de façon constante dans l’ensemble du système de justice, pour éviter que les tribunaux, « d’une main, puni[ssent] la conduite qu’ils approuvent de l’autre » (Hall, p. 176, la juge McLachlin, plus tard juge en chef).
[110]                     Un contrat peut être jugé illégal de deux façons. En premier lieu, un contrat peut être illégal en soi si [traduction] « l’exécution du contrat viole une interdiction prévue par la loi ou reconnue en common law » (Youyi Group Holdings (Canada) Ltd. c. Brentwood Lanes Canada Ltd., 2020 BCCA 130, 35 B.C.L.R. (6th) 326, par. 47; voir aussi Zimmermann c. Letkeman, 1977 CanLII 196 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 1097, p. 1101, citant Alexander c. Rayson, [1936] 1 K.B. 169 (C.A.), p. 182). Par exemple, un contrat peut être illégal en soi s’il contient un accord prévoyant l’accomplissement d’un acte ou une contrepartie illégal, immoral ou contraire à l’ordre public (Zimmermann, p. 1101).
[111]                     Deuxièmement, même si un contrat n’est pas illégal en soi, il peut tout de même être inexécutoire s’il [traduction] « a été conclu, du moins en partie, dans le but de commettre un acte illégal. L’exécution d’un tel contrat peut être si entachée d’illégalité qu’un tribunal peut refuser de le faire exécuter » (Youyi Group, par. 48; voir aussi Zimmermann, p. 1101). Qu’un contrat soit ou non conclu dans le but de commettre un acte illégal est une question d’interprétation contractuelle qui est évaluée objectivement du point de vue d’une personne raisonnable (Hall, p. 57‑63; P. Benson, Justice in Transactions : A Theory of Contract Law (2019), p. 112‑117).
b)            Application en l’espèce
[112]                     Les appelants affirment que la Cour d’appel a mal appliqué la théorie de l’illégalité en common law. Selon eux, ils ignoraient que le but illégal des ententes d’aiguillage était de perpétuer un stratagème de type Ponzi lorsqu’ils ont conclu ces ententes, et que celles‑ci fournissaient donc un « motif juridique » justifiant les commissions qu’ils ont reçues de Golden Oaks. Ce motif juridique, à leurs dires, fait échec aux réclamations du syndic fondées sur l’enrichissement sans cause.
[113]                     Je ne suis pas de cet avis. Même à supposer, sans en décider, que les ententes d’aiguillage n’étaient pas illégales en soi, la Cour d’appel a conclu qu’elles étaient entachées d’illégalité (par. 83). Cette conclusion cadre parfaitement avec la constatation de la juge de première instance selon laquelle les appelants ignoraient qu’ils prenaient part à un stratagème frauduleux de type Ponzi (par. 494). L’absence par les appelants de connaissance subjective de l’illégalité ne fait pas obstacle à l’argument du syndic fondé sur l’illégalité parce que la question de savoir si un contrat a été conclu au moins en partie dans le but de commettre un acte illégal est examinée du point de vue objectif d’une personne raisonnable.
[114]                     En l’espèce, chaque appelant qui touchait des commissions d’aiguillage a également prêté de l’argent à Golden Oaks aux termes d’un ou de plusieurs billets à ordre et a reçu des intérêts illégaux dans le cadre du stratagème de type Ponzi (décision de la C.S.J., par. 95). La juge de première instance a tenu pour avéré que les appelants, en tant que prêteurs auprès de Golden Oaks, [traduction] « savaient tous, ou auraient dû savoir, qu’ils concluaient des ententes illégales » (par. 484). Même si cette conclusion a trait précisément au paiement d’intérêts illégaux, elle influe en outre sur les ententes d’aiguillage des appelants, suivant lesquelles ils ont convenu de recruter de nouveaux investisseurs pour prêter de l’argent à Golden Oaks à un taux d’intérêt criminel en vue de perpétuer le stratagème de type Ponzi. Les ententes d’aiguillage avaient pour objectif, du moins en partie, d’inciter d’autres personnes à conclure les ententes de prêt illégales, un objectif contraire à l’ordre public en common law (voir McCamus, p. 503; Waddams, p. 396; Swan, Adamski et Na, p. 1083‑1084; Fridman, p. 364). En pareil cas, le tribunal peut refuser de faire exécuter les contrats. Je suis par conséquent d’accord avec la Cour d’appel pour dire que les ententes d’aiguillage étaient des contrats illégaux en common law, et qu’elles ne pouvaient donc pas fournir un motif juridique justifiant les paiements de commission.
[115]                     Les appelants soutiennent également que la Cour d’appel ne s’est pas demandé si les appelants pouvaient affirmer qu’ils n’étaient pas in pari delicto pour faire obstacle à la réclamation du syndic fondée sur l’enrichissement sans cause. Ils font valoir que leur conduite était moins répréhensible que celle de Golden Oaks et qu’ils ne devraient pas être condamnés à rembourser à l’actif de la faillite de Golden Oaks les sommes qu’ils ont reçues en vertu des ententes d’aiguillage. Je suis d’avis de rejeter cet argument.
[116]                     Dans le cadre de la théorie de l’illégalité, la maxime latine in pari delicto, potior est conditio defendentis (« dans un même délit, la situation du défendeur est plus favorable ») traite de la répartition de la faute entre les parties et indique que, dans un cas de faute égale, la situation du défendeur est meilleure (Mayrand, p. 240‑241; Hydro Electric Commission of Nepean c. Ontario Hydro, 1982 CanLII 42 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 347, p. 410‑411; Ciments Canada LaFarge Ltée c. British Columbia Lightweight Aggregate Ltd., 1983 CanLII 23 (CSC), [1983] 1 R.C.S. 452, p. 475‑477; Waddams, p. 408‑411; Fridman, p. 414; McCamus, p. 546‑556; Swan, Adamski et Na, p. 1102‑1103; L. Caylor et M. S. Kenney, « In Pari Delicto and Ex Turpi Causa : The Defence of Illegality — Approaches Taken in England and Wales, Canada and the US » (2017), 18 B.L.I. 259, p. 260).
[117]                     Le droit reconnaît en outre que le demandeur peut recouvrir ses sommes en dépit de l’illégalité, si sa conduite est moins répréhensible que celle du défendeur (ou non in pari delicto) (M. McInnes, The Canadian Law of Unjust Enrichment and Restitution (2e éd. 2022), p. 1152). Cette règle a pour objet d’éviter l’injustice de permettre au défendeur de s’enrichir injustement par sa conduite répréhensible quand il est davantage à blâmer que le demandeur (p. 1150 et 2257; McCamus, p. 546‑547 et 552‑554; Waddams, p. 408).
[118]                     À supposer, sans en décider, que les appelants, à titre de défendeurs, peuvent soutenir qu’ils n’étaient pas in pari delicto avec Golden Oaks afin d’exécuter leurs ententes d’aiguillage illégales et conserver les commissions qu’ils ont reçues, au lieu de demander tout simplement la restitution des paiements faits en vertu des ententes illégales, cette règle n’est d’aucun secours pour les appelants. On ne saurait dire que la conduite des appelants était moins répréhensible que celle de Golden Oaks, à moins que l’on attribue d’abord à Golden Oaks la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits selon la théorie de l’attribution d’actes à une société.
[119]                     Je suis d’avis de ne pas attribuer à Golden Oaks la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits dans les circonstances. Comme je l’ai déjà mentionné, je conviens que M. Lacasse était l’âme dirigeante de Golden Oaks, et que ni l’exception pour cause de fraude ni celle pour cause d’absence d’avantage à l’attribution d’actes à une société ne s’appliquent. Les tribunaux ont néanmoins le pouvoir discrétionnaire de refuser d’attribuer à une société la connaissance des faits qu’avait son âme dirigeante lorsque l’attribution ne favoriserait pas l’intérêt public, en ce sens qu’elle ne favoriserait pas la réalisation de la loi en vertu de laquelle l’attribution est réclamée. En l’espèce, attribuer à Golden Oaks la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits ne favoriserait pas l’atteinte de l’objet de la LFI ou de celui de la règle selon laquelle une partie qui est moins à blâmer devrait pouvoir recouvrir ses sommes en vertu d’un contrat illégal. L’attribution aurait pour effet de réduire la valeur de l’actif à répartir entre les créanciers, ce qui contrecarrerait l’objet de la LFI. L’attribution permettrait également aux appelants de s’enrichir injustement en conservant le produit de leurs actes fautifs, contrecarrant par le fait même l’objet de la théorie de l’illégalité.
[120]                     Étant donné le refus d’attribuer à Golden Oaks la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits, on ne saurait donc dire que la conduite des appelants est moins répréhensible que celle de Golden Oaks et que cela leur permet de conserver les commissions qu’ils ont reçues en vertu de leurs ententes d’aiguillage illégales.
(3)         Conclusion
[121]                     Je ne décèle aucune erreur dans les conclusions de la Cour d’appel relatives à la théorie de l’illégalité en common law.
D.           Monsieur Scott et Golden Oaks avaient‑ils un lien de dépendance pour l’application de l’al. 95(1)b) de la LFI?
[122]                     Enfin, l’appelant M. Scott soutient que la juge de première instance a fait erreur en concluant que lui et Golden Oaks avaient un lien de dépendance quand cette dernière lui a versé des commissions au titre de leur entente d’aiguillage et des intérêts sur ses prêts au cours de l’année précédant la faillite de Golden Oaks. Si ces paiements ont été faits avec un lien de dépendance, ils constitueraient des préférences illicites, et ils seraient donc inopposables au syndic et pourraient être recouvrés en vertu de l’al. 95(1)b) de la LFI.
[123]                     Monsieur Scott prétend que la juge de première instance et la Cour d’appel ont commis une erreur de droit en se concentrant sur sa relation [traduction] « globale » avec Golden Oaks en sa qualité d’agent immobilier de cette dernière plutôt que sur les opérations précises en cause (m.a., par. 122). Il dit que les conclusions de fait que la juge de première instance a elle‑même tirées démontrent que Golden Oaks et lui‑même [traduction] « entretenaient une relation antagoniste et agissaient dans leur propre intérêt personnel respectif en ce qui concerne les opérations contestées » (par. 122).
[124]                     Je suis d’avis de rejeter cet argument. Je vais d’abord exposer l’approche applicable en ce qui concerne les opérations avec lien de dépendance selon l’al. 95(1)b) de la LFI pour ensuite dire pourquoi la juge de première instance n’a pas commis d’erreur susceptible de révision.
(1)         Principes généraux en matière d’opérations avec lien de dépendance énoncés à l’al. 95(1)b) de la LFI
[125]                     Il existe des préférences quand un débiteur dont les actifs sont insuffisants pour satisfaire tous les créanciers paie un créancier de préférence aux autres. De tels paiements sont injustes parce qu’ils compromettent le régime de répartition qui prévaudrait autrement en matière de faillite (Wood, p. 205-206; Honsberger et DaRe, p. 375). Selon l’al. 95(1)b) de la LFI, les opérations qui ont pour effet de procurer à un créancier une préférence sur d’autres créanciers sont inopposables au syndic lorsqu’elles mettent en cause un créancier ayant un lien de dépendance à l’intérieur d’un certain délai entourant la faillite. L’alinéa 95(1)b) dispose :
                    95 (1) Sont inopposables au syndic tout transfert de biens, toute affectation de ceux‑ci à une charge et tout paiement faits par une personne insolvable de même que toute obligation contractée ou tout service rendu par une telle personne et toute instance judiciaire intentée par ou contre elle :
                    . . .
                        b) en faveur d’un créancier avec qui elle a un lien de dépendance ou d’une personne en fiducie pour ce créancier, et ayant eu pour effet de procurer à celui‑ci une préférence sur un autre créancier, s’ils surviennent au cours de la période commençant à la date précédant de douze mois la date de l’ouverture de la faillite et se terminant à la date de la faillite.
                    (Voir aussi Wood, p. 215; Honsberger et DaRe, p. 387.)
[126]                     La LFI ne définit pas une opération sans lien de dépendance. Elle précise toutefois que « [l]a question de savoir si des personnes non liées entre elles n’avaient pas de lien de dépendance, à tel ou tel moment, est une question de fait » (par. 4(4)). Une conclusion de lien de dépendance commande une grande déférence en appel et n’est susceptible de révision qu’en cas d’erreur manifeste et déterminante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 36).
[127]                     Les tribunaux examinent généralement les critères suivants lorsqu’ils déterminent si des personnes non liées entre elles n’ont pas de lien de dépendance : (i) un seul cerveau dirige les négociations pour les deux parties à une transaction; (ii) les parties à une transaction agissent de concert sans intérêts distincts; (iii) il y a exercice effectif (de fait) du contrôle (Canada c. McLarty, 2008 CSC 26, [2008] 2 R.C.S. 79, par. 43 et 62; Montor Business Corp. (Trustee of) c. Goldfinger, 2016 ONCA 406, 36 C.B.R. (6th) 169, par. 68, citant Piikani Nation c. Piikani Energy Corp., 2013 ABCA 293, 86 Alta. L.R. (5th) 203, par. 29; Wood, p. 204-205).
(2)         La juge de première instance n’a pas commis d’erreur en concluant à l’existence d’une opération avec lien de dépendance
[128]                     La juge de première instance a bien traité de la question de l’opération avec lien de dépendance selon l’al. 95(1)b) de la LFI. Je conviens avec la Cour d’appel que, même si la juge de première instance devait s’attarder aux opérations en cause entre Golden Oaks et M. Scott, il était opportun pour elle d’analyser ces opérations dans le contexte global de la relation entre les parties, notamment le stratagème de type Ponzi que ces opérations ont facilité et le rôle qu’a joué M. Scott dans ce stratagème. Dans McLarty, notre Cour a rejeté une « approche limitative » au titre de laquelle un juge de première instance pourrait examiner seulement une opération contestée, mais non la relation entre les parties à n’importe quel autre moment, ni les faits relatifs à toute autre opération (par. 65). De même, la juge de première instance en l’espèce pouvait examiner l’ensemble de la preuve pour décider si les parties n’avaient pas de lien de dépendance (voir National Telecommunications Inc., Re, 2017 ONSC 1475, 45 C.B.R. (6th) 181, par. 48; National Telecommunications c. Stalt, 2018 ONSC 1101, 59 C.B.R. (6th) 263, par. 41).
[129]                     Je ne décèle en outre aucune erreur manifeste et déterminante dans les conclusions factuelles de la juge de première instance selon lesquelles M. Scott et Golden Oaks avaient un lien de dépendance et agissaient de concert sous la direction de M. Lacasse pour perpétuer le stratagème de type Ponzi. La juge de première instance a conclu que M. Scott avait participé aux opérations de Golden Oaks en 2012 et avait régulièrement représenté l’entreprise ou agi en son nom. Elle a conclu en outre que M. Scott savait qu’il aidait à mettre sur pied un stratagème de type Ponzi. Elle a cité des messages textes de M. Scott à un autre agent immobilier dans lesquels il décrivait Golden Oaks comme une [traduction] « pyramide », « de type Ponzie [sic] » et « un château de cartes » (par. 319). Monsieur Scott comprenait, pour citer ses propres paroles, que [traduction] « [l]e jour où les investisseurs n’investissent plus, tout le château de cartes s’effondre » (par. 319 (soulignement omis)).
[130]                     Les conclusions de la juge de première instance concernant les faits et la crédibilité étaient étoffées. Elle a rejeté la majeure partie du témoignage de M. Scott, faisant remarquer qu’il [traduction] « n’était aucunement un témoin crédible » et concluant que « [l]e récit qu’il a fait de ses interactions avec Lacasse et Golden Oaks dans ses affidavits était manifestement faux » (par. 276). Elle a conclu qu’il [traduction] « a[vait] menti au tribunal » (par. 276), et souligné des « incohérences flagrantes » entre son témoignage et d’autres éléments de preuve qu’elle avait jugés crédibles (par. 291). Par conséquent, la juge de première instance a dit n’avoir accordé [traduction] « aucun poids à quelque partie que ce soit du témoignage de M. Scott », sauf si elle était corroborée par un autre élément de preuve qu’elle avait accepté (par. 291). Je ne vois aucune raison pour laquelle notre Cour devrait modifier l’une ou l’autre de ces conclusions.
(3)         Conclusion
[131]                     La juge de première instance était amplement justifiée, au vu du dossier, de tenir pour avéré que M. Scott et Golden Oaks avaient un lien de dépendance en ce qui concerne les opérations contestées.
VI.         Dispositif
[132]                     Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
                  Version française des motifs rendus par
                  La juge Côté —

                                             TABLE DES MATIÈRES
 

Paragraphe

I.      Introduction

133

II.   Analyse

138

A.        En quelle qualité le syndic a‑t‑il présenté les réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié?
 

142

B.         La théorie de common law de l’attribution d’actes à une société est réservée à des cas exceptionnels

145

C.         Monsieur Lacasse agissait en tant que mandataire de Golden Oaks selon les principes généraux du mandat
 

155

(1)      Le droit du mandat et les personnes morales

155

(2)      Monsieur Lacasse était le mandataire de Golden Oaks

163

D.      Les réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié n’étaient pas « appropriées » et donc les faits leur ayant donné naissance ne pouvaient pas être découverts tant que le tribunal n’autorisait pas le syndic à les introduire

171

E.      Le paragraphe 97(3) de la LFI permet expressément de modifier l’ordre de priorité des créanciers
 

180

III.   Conclusion

186

I.                    Introduction
[133]                     Je suis d’accord pour dire que les réclamations pour enrichissement injustifié présentées par le syndic de faillite intimé, Doyle Salewski Inc., contre les investisseurs appelants ne sont pas prescrites par le délai de prescription de deux ans prévu à l’art. 4 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, L.O. 2002, c. 24, ann. B. J’arrive toutefois à cette conclusion pour des motifs différents de ceux de mon collègue.
[134]                     Avec égards, la principale question que soulève le présent pourvoi n’est pas de savoir « de quelle manière devrait s’appliquer la théorie de common law de l’attribution d’actes à une société dans le cas d’une société unipersonnelle » (motifs de la majorité, par. 1). La question pertinente est plutôt la suivante : Les réclamations pour enrichissement injustifié présentées par le syndic contre les appelants sont-elles prescrites? Comme je vais l’expliquer, il n’est pas nécessaire d’avoir recours à la théorie de l’attribution d’actes à une société pour répondre à cette question — peu importe qu’il s’agisse d’une société avec un seul actionnaire ou de tout autre type de personne morale, d’autant plus que, comme l’affirment les appelants et mon collègue, « les mêmes principes s’appliquent aux sociétés unipersonnelles » de même qu’aux autres types de société (voir les motifs de la majorité, par. 9, 65 et 71; m.a., par. 1).
[135]                     En outre, je suis d’accord avec mon collègue et les juridictions inférieures pour dire que les appelants ne sont pas autorisés à opérer compensation, en vertu du par. 97(3) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3 (« LFI »), entre le montant des intérêts qu’ils avaient été condamnés à payer à l’actif de la faillite de Golden Oaks Enterprises Inc. (« Golden Oaks ») et les sommes qui leur sont dues en capital aux termes des prêts qu’ils avaient consentis à Golden Oaks. J’estime toutefois, avec égards, que la juge de première instance a commis une erreur en examinant, dans son analyse de la compensation, l’effet d’accorder un traitement préférentiel à un créancier par rapport à la masse des créanciers.
[136]                     En effet, au par. 97(3), le Parlement a indiqué que la compensation en matière d’insolvabilité doit être examinée « de la même manière et dans la même mesure » qu’elle s’appliquerait en dehors du contexte de l’insolvabilité. Ainsi, le Parlement a « autoris[é] [le demandeur] à “modifier” l’ordre de priorité qu’il a établi en matière de faillite, en raison de l’application des règles de la compensation » (Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, 1995 CanLII 69 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 453, par. 60).
[137]                     Enfin, mon collègue aborde deux autres questions dans ses motifs : tout d’abord la question de savoir si les ententes d’aiguillage entre certains des appelants et Golden Oaks étaient des contrats illégaux en common law; ensuite la question de savoir si l’appelant M. Scott avait un lien de dépendance avec Golden Oaks au sens de l’al. 95(1)b) de la LFI. Je suis d’accord avec la manière dont il a tranché ces deux questions.
II.            Analyse
[138]                     Le syndic a intenté de nombreuses actions dans lesquelles il formulait des réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié et demandait le recouvrement des intérêts usuraires et des commissions payés par Golden Oaks aux investisseurs appelants. Le syndic a fait valoir qu’il n’y avait aucun motif juridique justifiant les paiements faits aux appelants, parce que ces paiements étaient fondés sur des contrats illégaux. De l’avis du syndic, ces paiements [traduction] « ont eu pour effet d’enrichir les [appelants] au détriment de la société » (2019 ONSC 5108, 76 C.B.R. (6th) 3 (« motifs de la C.S.J. »), par. 391). Le syndic maintenait que Golden Oaks n’aurait pu poursuivre les appelants pour enrichissement injustifié puisque Joseph Gilles Jean Claude Lacasse contrôlait Golden Oaks et s’en servait pour exploiter un stratagème de type « Ponzi ». En revanche, les appelants ont soutenu que les actions en cause pouvaient être intentées à tout moment avant la mise sous séquestre et la faillite. Selon eux, les droits du syndic n’étaient ni supérieurs ni inférieurs à ceux de la société en faillite. D’après les appelants, le recours à la théorie de l’attribution d’actes à une société serait superflu (m.a., par. 71). Quant au syndic intimé, il [traduction] « soutient que la théorie ne s’applique pas » dans ce contexte (motifs de la C.S.J., par. 408).
[139]                     Les réclamations pour enrichissement injustifié présentées par le syndic contre les appelants sont assujetties à un délai de prescription de deux ans selon l’art. 4 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions. D’après la Loi, ce délai de prescription a commencé à courir le jour où le failli a découvert ou aurait dû découvrir les faits à l’origine de ses réclamations (voir l’art. 12). Les appelants ont fait valoir que le délai de prescription avait expiré et que les actions étaient donc prescrites, vu qu’elles ont été introduites plus de deux ans après le paiement des intérêts et des commissions illicites. Notre Cour doit maintenant trancher la question de savoir si les réclamations du syndic sont prescrites.
[140]                     La question de savoir si les réclamations pour enrichissement injustifié présentées par le syndic sont prescrites dépend du moment où les faits à l’origine de ces réclamations ont été découverts. Le paragraphe 5(1) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions énonce les principes relatifs à la possibilité de découvrir les faits et indique que les faits ayant donné naissance à la réclamation sont découverts une fois que certains critères sont respectés :
5 (1) Les faits qui ont donné naissance à la réclamation sont découverts celui des jours suivants qui est antérieur aux autres :
a)      le jour où le titulaire du droit de réclamation a appris les faits suivants :
(i)      les préjudices, les pertes ou les dommages sont survenus,
(ii)     les préjudices, les pertes ou les dommages ont été causés entièrement ou en partie par un acte ou une omission,
(iii)   l’acte ou l’omission est le fait de la personne contre laquelle est faite la réclamation,
(iv)   étant donné la nature des préjudices, des pertes ou des dommages, l’introduction d’une instance serait un moyen approprié de tenter d’obtenir réparation; […]
b)      le jour où toute personne raisonnable possédant les mêmes capacités et se trouvant dans la même situation que le titulaire du droit de réclamation aurait dû apprendre les faits visés à l’alinéa a).
(2)   À moins de preuve du contraire, le titulaire du droit de réclamation est présumé avoir appris les faits visés à l’alinéa (1) a) le jour où a eu lieu l’acte ou l’omission qui a donné naissance à la réclamation.
[141]                     Rappelons que c’est le syndic qui a présenté les réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié contre les appelants. La question qui se pose est donc la suivante : À quel moment le syndic, en tant que titulaire du droit d’action, a‑t‑il appris les faits qui ont donné naissance à ses réclamations?
A.           En quelle qualité le syndic a-t-il présenté les réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié?
[142]                     Je suis d’avis que, comme le mentionne mon collègue au par. 56 de ses motifs, c’est à bon droit que la juge de première instance a conclu que le syndic avait présenté les réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié en tant qu’ayant droit de son prédécesseur, Golden Oaks (motifs de la C.S.J., par. 396). Selon la LFI, le syndic est l’ayant droit de Golden Oaks, le failli. En cas de faillite, le failli cesse d’être habile à céder ou autrement aliéner ses biens, qui passent et sont dévolus immédiatement au syndic (LFI, art. 71). Sont assimilés aux biens du failli tous les droits d’action que celui‑ci peut avoir (LFI, art. 2). Aux termes de l’al. 30(1)d) de la LFI, le syndic peut, avec la permission des inspecteurs, « intenter ou contester toute action ou autre procédure judiciaire se rapportant aux biens du failli ». En pareil cas, les droits du syndic ne sont ni supérieurs ni inférieurs à ceux de la société en faillite. En fait, « [l]e syndic prend simplement la place » de la société en faillite « avec tous ses défauts » (Saulnier c. Banque Royale du Canada, 2008 CSC 58, [2008] 3 R.C.S. 166, par. 50).
[143]                     Le paragraphe 12(1) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions précise dans quels cas l’ayant droit qui introduit une instance est réputé avoir la connaissance de son prédécesseur :
12 (1) Pour l’application de l’alinéa 5 (1) a) dans le cas d’une instance introduite par un ayant droit d’un prédécesseur titulaire du droit, du titre ou de l’intérêt, l’ayant droit est réputé avoir connaissance des faits visés à cet alinéa le premier en date des jours suivants :
1.      Le jour où le prédécesseur a appris ces faits ou aurait dû les apprendre.
2.      Le jour où l’ayant droit a appris ces faits ou aurait dû les apprendre.
[144]                     Par conséquent, en vertu du par. 12(1), à titre d’ayant droit de Golden Oaks, le syndic est réputé avoir la connaissance des faits qu’a Golden Oaks. La question qu’il faut alors se poser est la suivante : À quel moment Golden Oaks a-t-elle pris connaissance des faits à l’origine des réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié? Pour répondre à cette question, mon collègue affirme que nous devons appliquer la théorie de common law de l’attribution d’actes à une société. Avec égards, je ne partage pas son avis, pour les motifs que j’exposerai ci-dessous. Par ailleurs, je suis d’avis que, contrairement à la situation qui prévalait dans l’affaire connexe, Aquino c. Bondfield Construction Co., 2024 CSC 31, le présent pourvoi ne nous oblige pas à recourir à la common law au moyen de la théorie de l’attribution d’actes à une société vu qu’il existe des règles codifiées d’attribution qui sont suffisantes pour trancher le présent pourvoi. La distinction entre les deux cas réside dans le type de recours exercé dans chacun. Dans l’affaire Aquino, le syndic a présenté ses réclamations en vertu de l’art. 96 de la LFI en sa qualité de représentant. Les circonstances du présent pourvoi font en sorte que le syndic agit en tant qu’ayant droit de Golden Oaks, dont il a pris la place.
B.            La théorie de common law de l’attribution d’actes à une société est réservée à des cas exceptionnels
[145]                     Ayant conclu que le syndic est réputé avoir la connaissance des faits qu’a Golden Oaks, je dois maintenant passer à la question de savoir quand Golden Oaks a acquis cette connaissance. Mon collègue soutient que la réponse à cette question réside dans la théorie de common law de l’attribution d’actes à une société. Avec égards, je ne suis pas de cet avis, parce que, comme je vais l’expliquer, cette théorie est réservée aux cas exceptionnels. À mon avis, nous ne sommes pas en présence d’un tel cas exceptionnel, car l’on peut répondre à la question de la possibilité de découvrir à l’aide des règles codifiées d’attribution, lesquelles comprennent les principes généraux du droit des mandats.
[146]                     Une personne morale est une abstraction et elle n’a, de ce fait, pas de volonté ou d’esprit propres; [traduction] « [e]lle est incapable de son propre chef d’accomplir un acte physique ou d’être dans un état d’esprit quelconque » (Tesco Supermarkets Ltd. c. Nattrass, [1972] A.C. 153 (H.L.), p. 198). Par conséquent, [traduction] « l’existence de règles prévoyant l’attribution de certains actes à la société constitue un élément nécessaire de la personnalité morale » (Meridian Global Funds Management Asia Ltd. c. Securities Commission, [1995] 2 A.C. 500 (C.P.), p. 506). Ces règles [traduction] « indiquent dans quels cas des actes sont considérés comme ayant été accomplis par la société » (ibid.). Il s’ensuit que [traduction] « [t]oute déclaration portant sur une action ou une inaction de la société fait nécessairement intervenir les règles d’attribution (primaires [ou] générales) qui s’appliquent à cette société » (ibid.).
[147]                     Les règles primaires d’attribution d’actes à une société se trouvent habituellement consignées dans ses documents constitutifs. Les administrateurs, et parfois les actionnaires, tirent normalement leur pouvoir d’agir de procédures établies par la loi ou par les documents constitutifs de la société concernée (P. Watts et F. M. B. Reynolds, Bowstead and Reynolds on Agency (23e éd. 2024), p. 26‑27). Par exemple, les statuts de la société peuvent préciser que les décisions de la société se prennent à la majorité des voix exprimées par les actionnaires (Livent Inc. (Receiver of) c. Deloitte & Touche, 2016 ONCA 11, 128 O.R. (3d) 225 (« Livent CA »), par. 83, citant Meridian, p. 506, infirmé en partie pour d’autres motifs dans 2017 CSC 638, [2017] 2 R.C.S. 855 (« Livent CSC »)). Par ailleurs, [traduction] « [i]l existe également des règles primaires d’attribution d’actes à une société en droit des affaires et des règles générales d’attribution — par exemple en droit des mandats » (Livent CA, par. 83; voir aussi G. H. L. Fridman, Canadian Agency Law (3e éd. 2017), §11.1).
[148]                     Les réalités pratiques de l’exploitation d’une entreprise font en sorte qu’il est impossible pour une société de faire entériner toutes ses décisions au moyen d’une résolution du conseil d’administration ou d’une décision unanime des actionnaires. En conséquence, la société nomme des mandataires dont les actes sont considérés comme ayant été accomplis par la société :
                        [traduction] Ces règles primaires d’attribution ne sont évidemment pas suffisantes pour permettre à une entreprise de se lancer à la conquête des marchés internationaux et de faire des affaires. On ne peut pas s’attendre à ce que tout acte accompli au nom de la société fasse l’objet d’une résolution de son conseil d’administration ou d’une décision unanime de ses actionnaires. La société s’appuie donc sur les règles primaires d’attribution en utilisant les règles générales d’attribution qui s’appliquent également aux personnes physiques, à savoir les principes du mandat. La société nomme des préposés et des mandataires dont les actes, par la combinaison des principes généraux des mandats et des règles primaires d’attribution d’actes à la société, sont considérés comme des actes accomplis par la société, et elle se soumet ainsi également aux règles générales relatives à la responsabilité pour le fait d’autrui qui s’appliquent aux personnes physiques, telles que la préclusion ou le pouvoir apparent en matière contractuelle et la responsabilité du fait d’autrui en matière délictuelle.
                    (Meridian, p. 506)
[149]                     Les règles primaires d’attribution sont complétées de règles générales ancrées en droit des affaires, comme l’explique lord Hoffman dans Meridian : [traduction] « Combinées notamment aux principes généraux du mandat et de la responsabilité du fait d’autrui, les règles primaires d’attribution de la société sont habituellement suffisantes pour permettre de déterminer les droits et les obligations de cette société. Dans des cas exceptionnels, elles n’apporteront toutefois pas de réponse » (p. 507 (je souligne)).
[150]                     Les auteurs Peter Watts et F. M. B. Reynolds abondent dans le même sens que lord Hoffman, en indiquant que le recours à la théorie de l’attribution d’actes à une société est réservé aux cas exceptionnels :
                        [traduction] Pour interpréter des lois, des contrats ou d’autres documents destinés à produire des effets juridiques, il sera souvent nécessaire d’examiner de quelle manière le texte s’applique aux propriétaires d’entreprise qui, comme tout chef d’entreprise, doivent s’en remettre à des mandataires pour gérer leur entreprise. Habituellement, on pourra sans peine présumer que le rédacteur du texte voulait que l’acte, les omissions et l’état d’esprit des mandataires compétents soient imputés au propriétaire de l’entreprise. [Je souligne; p. 28.]
[151]                     Même si [traduction] « [l]a question de savoir si une personne morale doit être réputée avoir été au courant des faits que connaissait un de ses dirigeants est complexe, [d]ès lors que le dirigeant en question est effectivement l’âme dirigeante de cette société, celle‑ci sera normalement réputée avoir pris connaissance des faits appris par ce dirigeant » (K. P. McGuinness et M. Coombs, Canadian Business Corporations Law (4e éd. 2023), ¶9-74, note 147, citant El Ajou c. Dollar Land Holdings plc, [1994] 1 B.C.L.C. 464 (C.A.)).
[152]                     À mon avis, les faits de la présente affaire n’entrent pas dans la catégorie des « cas exceptionnels » dont il est question dans Meridian. En effet, dans la présente affaire, les règles d’attribution — et plus particulièrement les principes codifiés du mandat — apportent une réponse adéquate, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’appliquer la théorie de l’attribution d’actes à une société (voir Meridian, p. 507).
[153]                     Je tiens également à souligner que recourir à la théorie de l’attribution d’actes à une société revient à imputer activement à une société l’intention qu’avait son âme dirigeante ou les faits connus de cette personne (voir Livent CSC). Comme le dit mon collègue, cette théorie établit les règles permettant de déterminer dans quels cas les actes, les connaissances, l’état d’esprit ou l’intention de l’âme dirigeante d’une société peuvent être attribués à cette dernière (motifs majoritaires, par. 62). Les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire de s’abstenir d’appliquer cette théorie, mais, par définition, l’application de cette dernière suppose que l’on attribue ou impute quelque chose à une société lorsqu’il n’existe aucun autre moyen de parvenir à ce résultat. Ce n’est pas la situation qui prévaut en l’espèce, car il existe un moyen codifié d’attribution, qui empêche par le fait même d’appliquer la théorie compte tenu du principe que la common law ne devrait pas écarter la volonté qu’a exprimée la législature dans une loi.
[154]                     Avec égards, point n’est besoin d’appliquer la théorie de l’attribution d’actes à une société, parce que les règles codifiées en cause dans le présent pourvoi apportent une réponse complète et qu’elles ont préséance sur la théorie de common law, qui devrait être invoquée seulement lorsque les règles codifiées sont inapplicables.
C.            Monsieur Lacasse agissait en tant que mandataire de Golden Oaks selon les principes généraux du mandat
(1)         Le droit du mandat et les personnes morales
[155]                     L’idée que les sociétés [traduction] « exercent principalement leurs activités par l’entremise de mandataires remonte au moins à l’arrêt Yarborough c Governor and Company of The Bank of England (1812) 16 East 6, p. 7 » (Watts et Reynolds, p. 26, note 171; voir aussi McGuinness et Coombs, ¶9‑80). Les principes du mandat s’appliquent aussi bien aux personnes morales (de simples abstractions juridiques), qu’aux personnes physiques : [traduction] « . . . les actes physiques et l’état d’esprit du mandataire sont imputés en droit au mandant », qu’il s’agisse d’une personne morale ou d’une personne physique (Tesco Supermarkets, p. 199, cité dans Watts et Reynolds, p. 25).
[156]                     Il est vrai que [traduction] « l’application des règles qui permettent d’attribuer les actes et l’état d’esprit du mandataire à son mandant doit tenir compte de la question de droit que soulèvent les faits » (Watts et Reynolds, p. 25-26). En common law, la connaissance des faits qu’avait le mandataire n’est pas toujours imputée au mandant; l’attribution à une société des faits que connaissait son mandataire dépend des circonstances de l’espèce (R. c. Rozeik, [1996] 1 B.C.L.C. 380 (C.A.), p. 385; voir aussi Watts et Reynolds, p. 588).
[157]                     Les considérations pertinentes dont il faut tenir compte pour déterminer si la connaissance des faits qu’avait le mandataire doit être imputée au mandant comprennent : [traduction] « (1) la nature de la relation entre le mandataire et le mandant et l’étendue des actes que le mandataire est autorisé à accomplir; et (2) la qualité en laquelle le mandataire agit en ce qui concerne l’opération en question et la représentation ou non du mandant à l’égard de cette opération » (McGuinness et Coombs, ¶9‑74, note 147, citant Regina Fur Co. c. Bossom, [1957] 2 Lloyd’s Rep. 466 (Q.B.D.), p. 484).
[158]                     Il est donc nécessaire de [traduction] « déterminer si la personne physique en question a la qualité et l’autorité permettant en droit d’assimiler à des actes de la société les actes que cette personne a accomplis dans le cas considéré, de sorte que cette personne physique est assimilée à la société elle-même » (R. c. Andrews‑Weatherfoil Ltd., [1972] 1 W.L.R. 118 (C.A.), p. 124).
[159]                     Le mandataire [traduction] « qui agit pour la société dans le cadre de son emploi engage habituellement la société puisqu’il est la société pour les besoins de l’opération en question » (Rozeik, p. 385 (en italique dans l’original)). Toutefois, des considérations différentes s’appliquent lorsque le mandataire obtient de sa propre initiative des renseignements ou se rend coupable d’une faute envers la société (McGuinness et Coombs, ¶9‑74, note 147). Il faut adopter une approche souple lorsqu’on impute au mandant la connaissance qu’avait le mandataire, car [traduction] « lorsque le mandataire a agi en violation de ses obligations envers son mandant, il est nécessaire, en droit, d’empêcher le mandataire et les personnes qui lui sont associées de prétendre que le mandant ne peut les poursuivre au motif que le mandant était censé être au courant des faits connus de son mandataire crapuleux » (Watts et Reynolds, p. 590).
[160]                     Dans l’affaire 373409 Alberta Ltd. (Séquestre de) c. Banque de Montréal, 2002 CSC 81, [2002] 4 R.C.S. 312, notre Cour s’est penchée sur la question de savoir si 373409 Alberta Ltd. avait autorisé la Banque de Montréal à déposer un chèque dans un compte particulier. Ainsi que l’a fait observer le juge Blair dans l’arrêt Livent CA, l’issue de cette affaire [traduction] « dépendait des “règles primaires” d’attribution en droit des sociétés, selon lesquelles les actes accomplis par l’unique actionnaire et administrateur d’une société sont imputés à cette dernière » (par. 110). Notre Cour a conclu que, comme Douglas Lakusta, l’unique propriétaire de 373409, avait donné à la banque instruction de déposer le montant du chèque au compte en question, 373409 avait autorisé ce dépôt. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Major a tenu le raisonnement suivant :
                        Il ne fait aucun doute que l’acte qu’a accompli M. Lakusta en donnant à la banque l’instruction de déposer le chèque au compte de Legacy peut être imputé à 373409 et tenu pour autorisé par cette dernière. Voir Lennard’s Carrying Co. c. Asiatic Petroleum Co., [1915] A.C. 705 (H.L.), le vicomte Haldane, lord chancelier, p. 713 :
                        [traduction] . . . une compagnie est une abstraction. Dénuée de corps et d’esprit, sa volonté ne peut se manifester que par l’intermédiaire d’une personne qui, à certaines fins, peut être appelée un mandataire, mais qui est en réalité l’âme dirigeante de ladite compagnie, l’incarnation même de celle‑ci. Cette personne peut relever des actionnaires réunis en assemblée générale; dans d’autres cas, l’âme dirigeante peut être le conseil d’administration lui‑même . . .
                        En l’espèce, M. Lakusta était l’unique actionnaire, administrateur et dirigeant de 373409. Il était la seule personne susceptible d’en être l’âme dirigeante et il en était l’« incarnation même ». En qualité d’unique actionnaire et administrateur de la société, il était pleinement habilité à déléguer des pouvoirs aux mandataires de la société. Il était l’unique dirigeant de la société et son seul mandataire. Partant, toute mesure qu’il a prise à titre de mandataire de 373409 doit être réputée autorisée par la société. La seule conclusion qui peut être tirée à partir de la preuve est que M. Lakusta, en qualité d’actionnaire et d’administrateur, a autorisé M. Lakusta, en qualité de dirigeant, à déposer les fonds de 373409 au compte de Legacy. [par. 19-20]
[161]                     Il n’était pas nécessaire de recourir à la théorie de l’attribution d’actes à une société dans l’affaire 373409 Alberta Ltd. L’arrêt cité relativement à cette théorie [traduction] « n’a été invoqué que pour expliquer en quoi le caractère répréhensible des actes accomplis par Lakusta à l’égard des créanciers n’empêchait pas d’imputer ses actes à la société pour déterminer si la banque était autorisée à s’occuper du chèque » (Livent CA, par. 110, citant Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, 1985 CanLII 32 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 662). Les actes en question ont plutôt été attribués à la société en vertu des principes du mandat (par. 111).
[162]                     Il ressort clairement des principes énoncés ci-dessus que les sociétés doivent agir par l’entremise de mandataires. L’appréciation de la question de savoir si la connaissance qu’a le mandataire de certains faits doit être attribuée à la société mandante dépend du contexte. Toutefois, lorsque le mandataire en question est effectivement l’âme dirigeante de la société, le mandant sera normalement réputé avoir acquis la connaissance du mandataire (McGuinness et Coombs, ¶9‑74, note 147). Ayant ces principes à l’esprit, j’examine maintenant si M. Lacasse a agi en qualité de mandataire de Golden Oaks et, dans l’affirmative, si la connaissance qu’il avait doit être attribuée à Golden Oaks en vertu des principes du mandat.
(2)         Monsieur Lacasse était le mandataire de Golden Oaks
[163]                     Monsieur Lacasse a fondé et exploité Golden Oaks (motifs de la C.S.J., par. 2). La juge de première instance a conclu que M. Lacasse était [traduction] « le seul dirigeant de Golden Oaks et la seule personne qui connaissait à fond ses opérations et sa situation financière » (par. 78; voir aussi le par. 55). Golden Oaks était [traduction] « sous la direction de Lacasse » et était « contrôlée exclusivement par Lacasse » (par. 363 et 421). Au procès, [traduction] « [r]ien ne prouv[ait] que quiconque avait les moyens de remettre en question le contrôle que [M. Lacasse] exerçait sur [Golden Oaks] » (par. 421).
[164]                     Il ne fait aucun doute que la connaissance que M. Lacasse avait des billets à ordre et du versement des commissions contestés [traduction] « peut être imputé[e] à [Golden Oaks] et tenue pour autorisé[e] par cette dernière » (voir 373409 Alberta Ltd., par. 19; voir aussi McGuinness et Coombs, ¶9‑74, note 147). J’arrive à cette conclusion en me fondant sur les constations de la juge de première instance et sur le principe selon lequel si le mandataire en question est effectivement l’âme dirigeante de la société, tout fait que le mandataire a appris en cette qualité est imputé au mandant.
[165]                     Conformément aux principes du mandat, la connaissance qu’avait M. Lacasse de l’existence du stratagème de type « Ponzi », y compris des billets à ordre et des commissions, doit être attribuée à Golden Oaks. Comme dans tout autre cas de figure où [traduction] « [la société mandante] sera normalement réputée avoir pris connaissance des faits appris par son dirigeant », l’attribution à Golden Oaks des faits que connaissait M. Lacasse en sa qualité de mandataire s’accorde avec la façon dont les principes du mandat s’appliquent en temps normal (McGuinness et Coombs, ¶9‑74, note 147, citant El Ajou).
[166]                     Le syndic fait valoir que les principes du mandat en common law comprennent une exception dans les situations où un mandataire se rend coupable de fraude ou de malversation vis‑à‑vis la société (m.i., par. 34, citant Fridman, §10.6). Même si l’on retenait cette prétention, l’exception ne s’applique pas en l’espèce pour deux raisons.
[167]                     Premièrement, bien que la juge de première instance ait conclu que [traduction] « [p]ar le biais de Golden Oaks, Lacasse a exploité un stratagème de type “Ponzi” [qui] était fondé sur des déclarations erronées et frauduleuses des faits quant à la façon dont l’argent prêté à Golden Oaks serait utilisé » (par. 474), cette conclusion ne veut pas dire que M. Lacasse, à titre de mandataire, a commis une fraude envers le mandant, Golden Oaks. Il en est ainsi parce qu’en opérant ce stratagème, M. Lacasse n’a pas manqué à ses obligations envers Golden Oaks. En réalité, Golden Oaks et M. Lacasse étaient une seule et même personne. Monsieur Lacasse était le seul dirigeant et administrateur de Golden Oaks. Il en était effectivement l’âme dirigeante. Pendant toute la durée du stratagème de type « Ponzi », il a agi dans le cadre des pouvoirs qui lui avaient été conférés par Golden Oaks. Autrement dit, M. Lacasse représentait Golden Oaks et n’agissait pas à titre privé ou de son propre chef. Comme l’a statué la juge de première instance, tant M. Lacasse que Golden Oaks ont bénéficié de ses actes (au par. 412), ce qui écarte toute exception en matière de fraude aux principes du mandat en common law. Deuxièmement, cette exception ne s’appliquerait pas car point n’est besoin de recourir aux principes du mandat en common law pour trancher la présente affaire, vu que la législature a codifié les dispositions déterminatives des mandats à l’art. 12 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions.
[168]                     Dans la même veine, avec égards pour l’affirmation contraire de mon collègue, il n’y a pas lieu et il n’est pas nécessaire de recourir à la théorie de l’attribution d’actes à une société pour déterminer si la connaissance qu’avait M. Lacasse doit être imputée à Golden Oaks. À mon avis, l’art. 12 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions apporte une réponse complète à la question (voir le m.a., par. 21). En effet, le par. 12(2) prévoit que le mandant « est réputé avoir connaissance » des faits énoncés à l’al. 5(1)a) lorsque le mandataire avait l’obligation de lui communiquer les faits en question. Selon le droit du mandat, la connaissance qu’avait M. Lacasse valait connaissance par Golden Oaks du stratagème de type « Ponzi » pendant toute la durée de celui-ci. Golden Oaks était donc au courant, plus de deux ans avant que les actions ne soient intentées, des paiements qui avaient été faits aux appelants et qui sont à l’origine des réclamations pour enrichissement injustifié.
[169]                     Selon mon collègue, il n’y avait « pas assez de conclusions au procès sur l[a] questio[n] de savoir si M. Lacasse était un mandataire de Golden Oaks » (motifs majoritaires, par. 60). Avec égards, cela ne tient pas compte de la conclusion de fait de la juge de première instance suivant laquelle la connaissance qu’avait M. Lacasse des faits devrait être imputée à Golden Oaks au motif qu’il a fondé et exploité Golden Oaks, en était l’unique dirigeant, la seule personne qui en connaissait parfaitement les opérations et la situation financière, la dirigeait et exerçait seul un contrôle sur celle-ci, et son pouvoir ne pouvait être contesté par qui que ce soit (par. 2, 55, 78, 363, 413 et 421‑422). En effet, elle a conclu qu’il était l’unique âme dirigeante de Golden Oaks. À mon avis, bien qu’un mandataire ne soit pas toujours l’unique âme dirigeante d’une société, c’est le cas en l’espèce. En concluant que M. Lacasse était l’unique âme dirigeante de la société, la juge de première instance a bel et bien estimé qu’il en était un mandataire. Cette conclusion de fait de la juge de première instance commande la déférence. Je conviens avec les appelants que refuser de reconnaître que Golden Oaks était au courant des faits à l’origine des réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié, par le truchement de M. Lacasse, [traduction] « crée une double fiction en dissociant la personne morale de son alter ego dans le but de proroger le délai de prescription » (m.a., par. 77).
[170]                     Toutefois, l’analyse de la possibilité de découvrir les faits ne s’arrête pas là, étant donné l’existence du sous‑al. 5 (1)a)(iv) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions. Même si Golden Oaks avait la capacité juridique de poursuivre les appelants, il n’aurait pas été légalement approprié pour elle d’introduire l’instance. Par conséquent, la juge de première instance a conclu à bon droit, vu le sous‑al. 5(1)a)(iv) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, que les faits ayant donné naissance aux réclamations n’avaient pas été découverts. Je développe sur ce point dans la section qui suit.
D.           Les réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié n’étaient pas « appropriées » et donc les faits leur ayant donné naissance ne pouvaient pas être découverts tant que le tribunal n’autorisait pas le syndic à les introduire
[171]                     Le fait que, par l’entremise de M. Lacasse, Golden Oaks était au courant des préjudices, des pertes ou des dommages et qu’elle savait qu’ils avaient été causés entièrement ou en partie par les appelants n’est pas suffisant pour établir que Golden Oaks avait appris les faits ayant donné naissance aux réclamations pour l’application de la Loi de 2002 sur la prescription des actions. Selon le sous‑al. 5(1)a)(iv) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, Golden Oaks devait également savoir qu’« étant donné la nature des préjudices, des pertes ou des dommages, l’introduction d’une instance [aurait été] un moyen approprié de tenter d’obtenir réparation ».
[172]                     La question de savoir si l’introduction d’une instance est « approprié[e] » appelle un examen des faits propres à l’espèce, de sorte que la jurisprudence relative au sous‑al. 5(1)a)(iv) [traduction] « n’est pas d’un grand secours » (407 ETR Concession Co. Ltd. c. Day, 2016 ONCA 709, 133 O.R. (3d) 762, par. 34; voir aussi Beniuk c. Leamington (Municipality), 2020 ONCA 238, 150 O.R. (3d) 129, par. 60; Nelson c. Lavoie, 2019 ONCA 431, 47 C.C.P.B. (2nd) 1, par. 25).
[173]                     La juge de première instance a cité l’arrêt Ridel c. Goldberg, 2019 ONCA 636, 147 O.R. (3d) 23, même s’il n’était [traduction] « pas d’un grand secours », pour déterminer si l’introduction d’une instance était appropriée avant la faillite de Golden Oaks. Dans l’affaire Ridel, des actionnaires d’une société avaient intenté une poursuite contre l’administrateur de celle‑ci. Selon les actionnaires, les faits ayant donné naissance à leur réclamation ne pouvaient être découverts avant que la société ne soit en faillite, parce qu’il n’aurait pas été approprié pour eux d’introduire une instance au nom de la société alors qu’elle était toujours contrôlée par l’administrateur en question (par. 59). La juge van Rensburg a statué qu’il n’était pas nécessaire d’examiner cet argument, car, avant la faillite, l’administrateur en question n’exerçait pas un contrôle absolu sur la société. De fait, [traduction] « les actionnaires auraient pu prendre le contrôle du conseil d’administration de [la société] et faire en sorte que [la société] formule une réclamation contre [l’administrateur], ou ils auraient pu introduire une action oblique au nom de [la société] » (par. 69).
[174]                     La différence cruciale entre l’affaire Ridel et la présente espèce réside dans le fait que Golden Oaks était contrôlée exclusivement par M. Lacasse. À part M. Lacasse, personne d’autre n’aurait pu décider d’introduire les réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié au nom de Golden Oaks. Comme l’a conclu la juge de première instance, [traduction] « [r]ien ne prouve que quiconque avait les moyens de remettre en question le contrôle que [M. Lacasse] exerçait sur la société » (par. 421). Cependant, [traduction] « Lacasse n’avait aucun intérêt à engager des poursuites au nom de la société. Au contraire, s’il l’avait fait, il aurait dévoilé l’existence du stratagème frauduleux de type “Ponzi” qu’il avait concocté et dont il profitait » (ibid.).
[175]                     À mon avis, la juge de première instance a conclu à bon droit que [traduction] « [b]ien que Golden Oaks ait pu être au courant, par l’entremise de Lacasse, des opérations conclues avec les [appelants], elle ne savait pas et n’aurait pu savoir qu’il était opportun pour elle en droit de poursuivre les appelants pour recouvrer ses pertes tant qu’elle était dirigée par Lacasse » (par. 424). Lorsque Golden Oaks est devenue insolvable, M. Lacasse a perdu son contrôle absolu sur elle, et la possibilité pour celle‑ci de présenter des réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié s’est matérialisée.
[176]                     Comme la juge de première instance l’a précisé, il ne s’ensuit pas pour autant que le délai de prescription recommence automatiquement à courir à la suite d’une mise sous séquestre ou d’une faillite. Les réclamations pour enrichissement injustifié ne constituaient pas une procédure appropriée parce que M. Lacasse exerçait un contrôle absolu sur Golden Oaks. Ce contrôle aurait pu prendre fin par la survenance d’une autre éventualité : [traduction] « Si Lacasse avait vendu la société avant la mise sous séquestre ou avait nommé d’autres administrateurs, les faits ayant donné naissance aux réclamations pour enrichissement injustifié auraient également pu être découverts à ce moment-là » (par. 426).
[177]                     Le syndic a présenté les réclamations pour enrichissement injustifié à l’origine du présent pourvoi entre le 23 juin et le 23 juillet 2015. Doyle Salewski Inc. a été nommé séquestre le 9 juillet 2013 (puis nommé syndic le 26 juillet 2013). Ainsi, les réclamations pour enrichissement injustifié introduites entre le 23 juin et le 9 juillet 2015 ont toutes été présentées avant l’expiration du délai de prescription.
[178]                     Les actions intentées entre le 10 juillet et le 23 juillet 2015 sont prescrites à moins qu’il n’y ait une raison pour laquelle il n’était pas été approprié pour le syndic de les introduire dès le prononcé de l’ordonnance de mise sous séquestre. À l’instar de la juge de première instance, je conclus qu’il n’était pas approprié pour le syndic d’intenter les actions avant le 16 juin 2015, date à laquelle la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendu une ordonnance provisoire permettant au syndic de signifier les déclarations aux appelants et de faire instruire les actions. En l’espèce, le processus de faillite était supervisé par un tribunal. Dans de telles conditions, il [traduction] « ne convient pas qu’un syndic introduise une instance judiciaire sans l’autorisation du tribunal » (motifs de la C.S.J., par. 435).
[179]                     Bien que les investissements et les paiements d’intérêts du stratagème de type « Ponzi » aient été versés à l’extérieur du délai de prescription de deux ans, les faits ayant donné naissance aux réclamations du syndic ne pouvaient être découverts qu’une fois que le syndic avait été nommé et légalement autorisé à intenter les actions. Je conclus donc que les réclamations pour enrichissement injustifié ne sont pas prescrites.
E.            Le paragraphe 97(3) de la LFI permet expressément de modifier l’ordre de priorité des créanciers
[180]                     Je conviens avec mon collègue et les juridictions inférieures que les appelants n’ont pas le droit d’opérer compensation entre les montants d’intérêts qu’ils doivent à l’actif de Golden Oaks et les sommes qui leur sont encore dues en capital sur les prêts par Golden Oaks. J’estime toutefois que, sur ce point, certaines précisions s’imposent.
[181]                     La juge de première instance a invoqué deux raisons pour refuser la demande de compensation en equity des appelants. En premier lieu, les appelants ne se sont pas présentés devant le tribunal avec les mains propres. En second lieu, [traduction] « comme la compensation a pour effet d’accorder un traitement préférentiel à un créancier par rapport à la masse des créanciers (dans la mesure où elle permet au créancier qui opère compensation de recouvrer intégralement le montant de sa créance), les cas dans lesquels une compensation peut être accordée [en vertu du par. 97(3)] sont très limités » (par. 550 (texte entre crochets dans l’original), citant King Insurance Finance (Wines) Inc. c. 1557359 Ontario Inc., 2012 ONSC 4263, 99 C.B.R. (5th) 227, par. 21). La Cour d’appel semble avoir fait sienne l’affirmation de la juge de première instance sur ce point (par. 68-69).
[182]                     Les appelants et l’intervenant l’Institut d’insolvabilité du Canada soutiennent que la seconde raison invoquée par la juge de première instance va à l’encontre tant du par. 97(3) de la LFI que de l’arrêt rendu par notre Cour dans Husky Oil. D’après eux, il n’est pas loisible à un tribunal de refuser une demande de compensation par ailleurs valide en raison de l’effet qu’elle peut avoir sur les autres créanciers et l’ordre de priorité de leurs créances. Je suis du même avis.
[183]                     Le paragraphe 97(3) de la LFI est clair : « Les règles de la compensation s’appliquent [. . .] de la même manière et dans la même mesure que si le failli était demandeur ou défendeur, selon le cas, sauf en tant que toute réclamation pour compensation est atteinte par les dispositions de la présente loi concernant les fraudes ou préférences frauduleuses ». Comme le souligne à juste titre l’Institut d’insolvabilité du Canada dans son mémoire : [traduction] « Une application rigoureuse du paragraphe 97(3) ferait assurément en sorte qu’un créancier se trouverait encore plus favorablement colloqué que les autres créanciers “en permettant au créancier [. . .] de se servir de sa dette envers le failli comme une forme de garantie”. Mais un tel résultat ne saurait donner carte blanche aux tribunaux pour faire fi des choix de principe non équivoques du Parlement » (par. 6, citant Husky Oil, par. 57, citant Stein c. Blake, [1995] 2 All E.R. 961 (H.L.), p. 964).
[184]                     Notre Cour est parvenue à la même conclusion dans l’arrêt Husky Oil. Après avoir examiné l’opinion des auteurs de doctrine sur l’opportunité de permettre la compensation en matière de faillite, notre Cour a mentionné ce qui suit :
                        Bien que ce débat théorique soit certainement intéressant, il reste que le législateur fédéral a reconnu, au par. 97(3) de la Loi sur la faillite, que « [l]es règles de la compensation s’appliquent à toutes les réclamations produites contre l’actif du failli ». Dans le contexte de la faillite, les règles de la compensation permettent donc au débiteur d’un failli, qui en est aussi le créancier, de s’abstenir de régler la totalité de la dette qu’il a envers la faillite, de crainte que celle-ci ne règle qu’une partie, et encore, de la dette du failli. En conséquence, dans ce sens restreint, le législateur fédéral autorise la partie qui invoque la compensation à « modifier » l’ordre de priorité qu’il a établi en matière de faillite, en raison de l’application des règles de la compensation. [par. 60]
[185]                     Rien dans le par. 97(3) de la LFI n’indique qu’il existe un pouvoir discrétionnaire résiduel permettant au tribunal de refuser une demande de compensation par ailleurs valable en raison de « l’effet » de la compensation sur d’autres créanciers. On peut d’ailleurs raisonnablement penser que les tribunaux devraient faire abstraction de l’incidence de la compensation sur les autres créanciers, puisqu’ils [traduction] « ne manquent pas de directives législatives » en la matière (voir le m. interv., Institut d’insolvabilité du Canada, par. 13). En fait, le mécanisme de la compensation aide à prévenir ou à atténuer un autre type d’injustice, celle qui consisterait à « obliger une personne, qui, finalement, n’est pas un débiteur de la faillite, à payer toute la somme due au failli et à ne recevoir de la faillite qu’une quote-part des sommes dues » (Husky Oil, par. 56, citant Lister c. Hooson, [1908] 1 K.B. 174 (C.A.), p. 178; voir aussi le m. interv., Institut d’insolvabilité du Canada, par. 11-13). En conséquence, m’appuyant sur le précédent établi par notre Cour dans l’arrêt Husky Oil, je préciserais que, dès lors que la demande de compensation formulée par une partie est par ailleurs valable, « le législateur fédéral autorise [cette] partie [. . .] à “modifier” l’ordre de priorité qu’il a établi en matière de faillite, en raison de l’application des règles de la compensation » (Husky Oil, par. 60).
III.         Conclusion
[186]                     Même si je suis d’accord avec mon collègue pour dire que les réclamations fondées sur l’enrichissement injustifié ne sont pas prescrites, il n’est pas nécessaire de recourir à la théorie de l’attribution d’actes à une société en l’espèce. Comme je l’ai fait observer dans les présents motifs, l’art. 12 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions apporte une réponse complète à la question.
[187]                     Le fait est que, pendant qu’elle était contrôlée uniquement par M. Lacasse, Golden Oaks ne pouvait avoir pris connaissance des faits ayant donné naissance aux réclamations présentées contre les particuliers à qui M. Lacasse l’avait obligée à verser des intérêts usuraires et des commissions parce que l’introduction d’une instance par Golden Oaks n’était pas « un moyen approprié de tenter d’obtenir réparation » pour ce préjudice, cette perte ou ces dommages subis au sens du sous‑al. 5(1)a)(iv) de la Loi de 2002 sur la prescription des actions. Les faits ayant donné naissance aux réclamations n’ont été découverts que lorsque la Cour supérieure de justice de l’Ontario a autorisé le syndic à introduire l’instance. Les réclamations ont par conséquent été présentées à l’intérieur du délai de prescription de deux ans.
[188]                     Enfin, dans la mesure où leurs motifs peuvent donner à penser qu’un tribunal a le pouvoir de refuser une demande de compensation par ailleurs valable fondée sur le par. 97(3) de la LFI en raison de « l’effet » que la compensation peut avoir sur d’autres créanciers, les juridictions inférieures ont eu tort sur ce point.
[189]                     Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
                    Pourvoi rejeté avec dépens.
                    Procureurs des appelants : David | Sauvé, Ottawa.
                    Procureurs des intimés : Chaitons, Toronto; Torkin Manes, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Ministère du Procureur général — Bureau des avocats de la Couronne — Droit civil, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenant l’Institut d’insolvabilité du Canada : Davies Ward Phillips & Vineberg, Toronto.

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Synthèse
Référence neutre : 2024CSC32 ?
Date de la décision : 11/10/2024

Analyses

attributions — syndic — Golden Oaks — appelants — actes — première instance — common law — réclamations — ententes — vertu — stratagème — prescrites — faillite — prescription des actions — compensation — âme dirigeante


Parties
Demandeurs : Scott
Défendeurs : Golden Oaks Enterprises Inc.
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 11 octobre 2024, Scott c. Golden Oaks Enterprises Inc., 2024 CSC 32


Origine de la décision
Date de l'import : 12/10/2024
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2024-10-11;2024csc32 ?

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