COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), [2005] 2 R.C.S. 564, 2005 CSC 52
Date : 20051006
Dossier : 29822
Entre :
Procureur général du Québec,
Commission de la construction du Québec et
Commission de la santé et de la sécurité du travail
Appelants
c.
Raymond Chabot Inc., ès qualités de syndic à
la faillite de D.I.M.S. Construction Inc.
Intimée
‑ et ‑
Procureur général de l’Ontario
Intervenant
Coram : Les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron
Motifs de jugement :
(par. 1 à 75)
La juge Deschamps (avec l’accord des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish, Abella et Charron)
______________________________
D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), [2005] 2 R.C.S. 564, 2005 CSC 52
Procureur général du Québec,
Commission de la construction du Québec et
Commission de la santé et de la sécurité du travail Appelants
c.
Raymond Chabot inc., ès qualités de syndic à
la faillite de D.I.M.S. Construction inc. Intimée
et
Procureur général de l’Ontario Intervenant
Répertorié : D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général)
Référence neutre : 2005 CSC 52.
No du greffe : 29822.
2004 : 8 décembre; 2005 : 6 octobre.
Présents : Les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Robert, Nuss et Lemelin), [2003] R.J.Q. 1104, 227 D.L.R. (4th) 629, 30 C.L.R. (3d) 81, [2003] J.Q. no 3660 (QL), qui a infirmé un jugement du juge Trudeau, [2000] R.J.Q. 3056, 2000 CarswellQue 2924. Pourvoi accueilli.
Hugo Jean, pour l’appelant le procureur général du Québec.
Martine Sauvé, pour l’appelante la Commission de la construction du Québec.
René Napert, pour l’appelante la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
Bernard Boucher et Sébastien Guy, pour l’intimée.
Robin K. Basu et Sarah Wright, pour l’intervenant.
Le jugement de la Cour a été rendu par
La juge Deschamps —
1. Introduction
1 La question, en l’espèce, est de savoir si les droits prévus aux art. 316 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., ch. A‑3.001 (« LATMP »), et 54 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main‑d’œuvre dans l’industrie de la construction, L.R.Q., ch. R‑20 (« LRTIC »), portent atteinte au plan de répartition prévu à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3 (« LFI »).
2 L’article 316 LATMP permet à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») d’obliger un employeur qui est assujetti à la loi et qui retient les services d’un entrepreneur à payer la cotisation due par cet entrepreneur. Selon ce même article, lorsque l’employeur a payé la cotisation, il a droit d’être remboursé par l’entrepreneur et peut retenir sur les sommes qu’il doit à cet entrepreneur le montant payé à la CSST. L’article 54 LRTIC établit un mécanisme ayant le même effet, mais fondé sur la solidarité, et permet à la Commission de la construction du Québec (« CCQ ») de réclamer à un employeur les salaires impayés par un entrepreneur avec qui il a contracté.
3 Le 4 novembre 1998, la CSST établit une cotisation en relation avec les activités de l’entrepreneur D.I.M.S. Construction inc. (« DIMS »). DIMS ne paie pas. La CSST réclame à trois employeurs qui ont accordé des contrats à cette firme le paiement de la cotisation dans la proportion établie par l’art. 316 LATMP. La réclamation est faite le 26 novembre 1998 au ministère des Transports du Québec (« MTQ »), le 30 novembre 1998 à Pavage Chenail inc. (« Chenail ») et le 10 février 1999 au Groupe Devesco ltée, division Compagnie de pavage d’asphalte Beaver (« Beaver »). Selon les pièces versées au dossier, aucun des employeurs n’aurait payé la CSST avant la faillite de DIMS qui survient le premier avril 1999 à la suite du rejet d’une proposition.
4 La CCQ réclame aux mêmes employeurs les salaires impayés par DIMS à la suite de contrats exécutés pour ces employeurs. La date des réclamations faites par la CCQ n’est précisée au dossier que pour Beaver, soit le 12 février 1999. Selon un document produit au dossier, Chenail aurait payé la CCQ avant la faillite.
5 Les 23 et 29 avril 1999, Raymond Chabot inc., syndic à la faillite de DIMS, réclame aux trois employeurs les soldes dus pour les travaux exécutés par DIMS. Chenail paie le syndic sous réserve d’une convention d’indemnisation particulière. Le MTQ et Beaver contestent la réclamation du syndic. Ils font état des demandes de paiement de la CSST et de la CCQ. Le syndic s’adresse à la Cour supérieure et lui demande de déclarer les art. 316 LATMP et 54 LRTIC inapplicables en matière de faillite. Il invoque l’arrêt Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453, qui a déclaré, au sujet de la Workers’ Compensation Act, 1979 de la Saskatchewan, que le mécanisme de retenue en faveur de l’employeur avait pour effet de créer une priorité qui contrevenait au plan de répartition établi par la LFI.
6 La Cour supérieure déboute le syndic pour le motif que le régime québécois diffère de celui de la Saskatchewan : [2000] R.J.Q. 3056. La Cour d’appel conclut au contraire que les art. 316 LATMP et 54 LRTIC violent les principes exposés dans l’arrêt Husky Oil : [2003] R.J.Q. 1104. Le procureur général du Québec, la CSST et la CCQ se pourvoient. Ils défendent la validité de la disposition autorisant la CSST et la CCQ à réclamer à un employeur les cotisations impayées par un entrepreneur. Ils ne soulèvent aucun argument concernant le droit des employeurs de se faire rembourser ou d’opposer compensation. Même si les employeurs ne sont pas parties au dossier, tant le droit de perception de la CSST et de la CCQ que le droit au remboursement sont mis en cause parce que le syndic attaque les art. 316 LATMP et 54 LRTIC dans leur ensemble. Par ailleurs, les arguments spécifiques qui trouveraient leur source dans les contrats liant les employeurs à l’entrepreneur ne font pas l’objet du débat, non plus que les droits de tiers comme les institutions financières ou les compagnies de cautionnement qui pourraient détenir des droits sur les soldes contractuels du failli.
7 Les questions constitutionnelles formulées par la Cour reflètent celles soumises à la Cour supérieure et à la Cour d’appel :
1. L’article 54 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main‑d’œuvre dans l’industrie de la construction, L.R.Q., ch. R‑20, est-il, en totalité ou en partie, inapplicable ou inopérant pour cause de conflit avec la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3, et, en particulier avec l’art. 136 de cette loi?
2. L’article 316 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., ch. A‑3.001, est-il, en totalité ou en partie, inapplicable ou inopérant pour cause de conflit avec la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3, et, en particulier avec l’art. 136 de cette loi?
8 Les appelants attaquent le jugement de la Cour d’appel et plaident que le régime québécois se distingue de celui de la Saskatchewan. Selon eux, les premier et troisième alinéas de l’art. 316 LATMP mettent en place deux étapes successives, distinctes et indépendantes, l’une établissant une obligation de payer, l’autre précisant les droits de l’employeur qui a payé la cotisation de l’entrepreneur. Les appelants signalent que c’est le droit de retenue à l’égard d’une dette réputée qui a entraîné la conclusion d’indivisibilité dans Husky Oil, caractéristique qui ne se retrouve pas dans la loi québécoise. Selon eux, ni le premier alinéa de l’art. 316 LATMP, ni les mécanismes du droit civil sur lesquels est fondé l’art. 54 LRTIC ne violent le plan de répartition de la LFI.
9 Pour sa part, le syndic plaide que les mécanismes des dispositions québécoises sont, pour l’essentiel, identiques à celui de la loi de la Saskatchewan. Il fait valoir, de plus, qu’une déclaration d’inapplicabilité du troisième alinéa de l’art. 316 LATMP n’est pas suffisante parce que les règles du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« C.c.Q. »), donnent au premier alinéa de cet article le même effet que le troisième alinéa et le rendent inapplicable en matière de faillite. Pour démontrer qu’une déclaration d’inapplicabilité du troisième alinéa serait insuffisante, il soutient aussi que le mécanisme de la compensation en equity autoriserait l’employeur qui aurait payé la CSST ou la CCQ à refuser de payer le syndic.
10 Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les art. 316 LATMP et 54 LRTIC ne violent pas le plan de répartition établi par l’art. 136 LFI. J’accueillerais l’appel et rétablirais le jugement de la Cour supérieure.
2. Analyse
11 Le paragraphe 91(21) de la Loi constitutionnelle de 1867 accorde au Parlement compétence en matière de faillite et d’insolvabilité. Conformément à cette compétence, le Parlement prescrit un plan de répartition des biens en cas de faillite (art. 136 à 147 LFI).
12 Notre Cour s’est prononcée à maintes reprises sur des cas de conflits entre l’ordre prescrit par la LFI et celui prévu par diverses lois provinciales : voir notamment Sous‑ministre du Revenu c. Rainville, [1980] 1 R.C.S. 35; Deloitte Haskins and Sells Ltd. c. Workers’ Compensation Board, [1985] 1 R.C.S. 785; Banque fédérale de développement c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 1061; Colombie‑Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., [1989] 2 R.C.S. 24, et Husky Oil. De ces arrêts, il ressort que les provinces peuvent adopter des dispositions législatives qui, quoique valides dans le contexte du droit provincial, sont inapplicables en matière de faillite si elles entrent en conflit avec la LFI. Il est établi que la LFI prévaut, peu importe l’intention des provinces. Compte tenu de ces règles, il importe de cerner l’effet des art. 316 LATMP et 54 LRTIC. Comme les deux mécanismes diffèrent, je les examinerai séparément.
13 J’analyserai d’abord le mécanisme de l’art. 316 LATMP qui est fondé sur la subrogation légale et la compensation. Ces notions seront étudiées en tout premier lieu. Ensuite j’examinerai l’interaction entre le droit de retenue de l’art. 316 LATMP et le plan de répartition de la LFI et je distinguerai le présent cas de Husky Oil. Je considérerai aussi l’application de la compensation en equity en l’espèce. Finalement, je me pencherai sur le mécanisme de l’art. 54 LRTIC qui incorpore la solidarité.
2.1 Le mécanisme de l’art. 316 LATMP
14 Seuls les premier et troisième alinéas de l’art. 316 LATMP sont pertinents au débat qui nous occupe. Le deuxième alinéa ne fait qu’établir le mode de calcul du montant dû par l’employeur. L’article se lit :
316. La Commission peut exiger de l’employeur qui retient les services d’un entrepreneur le paiement de la cotisation due par cet entrepreneur.
Dans ce cas, la Commission peut établir le montant de cette cotisation d’après la proportion du prix convenu pour les travaux qui correspond au coût de la main-d’œuvre, plutôt que d’après les salaires indiqués dans la déclaration faite suivant l’article 292.
L’employeur qui a payé le montant de cette cotisation a droit d’être remboursé par l’entrepreneur concerné et il peut retenir le montant dû sur les sommes qu’il lui doit.
15 Le premier alinéa de l’art. 316 LATMP accorde à la CSST un recours contre un employeur pour la cotisation due par un entrepreneur dont il retient les services. La condition d’exercice du droit de la CSST est que la cotisation soit due par l’entrepreneur. Pour que la cotisation soit due, il faut qu’elle ait été établie par la CSST (art. 306 LATMP) et que l’avis ait été transmis par la CSST (art. 315 LATMP). La LATMP rend l’employeur garant de la cotisation due par l’entrepreneur à la CSST.
16 Les parties divergent d’opinion quant à la portée réelle du premier alinéa. Le syndic soutient que le troisième alinéa n’ajoute rien aux droits qui découlent du paiement par l’employeur de la dette de l’entrepreneur aux termes du premier alinéa de l’art. 316 LATMP. Les appelants, quant à eux, soutiennent que les deux alinéas ont des fonctions différentes : le premier traite du droit de perception et peut subsister indépendamment d’une déclaration d’inapplicabilité du troisième qui, pour sa part, confère le droit de remboursement et de retenue. Ce dernier droit découle-t-il automatiquement du paiement comme le prétend le syndic? Pour répondre à cette question, il faut étudier la portée du premier alinéa de l’art. 316 LATMP. J’examinerai par la suite si le droit de retenue viole le plan de répartition de la LFI pour enfin expliquer en quoi les dispositions étudiées dans Husky Oil diffèrent de l’art. 316 LATMP et pourquoi la compensation en equity ne s’applique pas au Québec.
2.1.1 Portée du premier alinéa de l’art. 316 LATMP
17 Si l’objet du premier alinéa de l’art. 316 LATMP est de conférer à la CSST un recours contre l’employeur, les conséquences découlant de l’exercice du recours ne peuvent pas être ignorées. Le paiement fait par l’employeur emporte des conséquences non seulement pour la CSST, mais aussi pour l’employeur et l’entrepreneur. En effet, le paiement, selon l’art. 1671 C.c.Q., a pour effet d’éteindre l’obligation de l’entrepreneur à l’égard de la CSST. La subrogation aux droits du créancier payé est un accessoire du paiement et éteint donc les droits du subrogeant à l’égard du débiteur. En vertu des règles générales du droit civil, ces droits sont désormais transférés à celui qui a fait le paiement. Ainsi, l’art. 1651 C.c.Q. prévoit :
1651. La personne qui paie à la place du débiteur peut être subrogée dans les droits du créancier.
Elle n’a pas plus de droits que le subrogeant.
18 Le premier alinéa de l’art. 316 LATMP semble permettre une application de la subrogation puisque l’employeur est obligé au paiement lorsque la cotisation est due par l’entrepreneur. Dans ce contexte, l’employeur est appelé à payer à la place du débiteur originel et devrait pouvoir être subrogé dans les droits du créancier.
19 Le C.c.Q. prévoit deux sources de subrogation : la subrogation conventionnelle et la subrogation légale (art. 1652 C.c.Q.). En l’espèce, il n’est pas question de subrogation conventionnelle. Il ne peut s’agir que de subrogation légale. L’article 1656 C.c.Q. prévoit que la subrogation s’opère par le seul effet de la loi dans les cinq circonstances suivantes :
1656. La subrogation s’opère par le seul effet de la loi :
1o Au profit d’un créancier qui paie un autre créancier qui lui est préférable en raison d’une créance prioritaire ou d’une hypothèque;
2o Au profit de l’acquéreur d’un bien qui paie un créancier dont la créance est garantie par une hypothèque sur ce bien;
3o Au profit de celui qui paie une dette à laquelle il est tenu avec d’autres ou pour d’autres et qu’il a intérêt à acquitter;
4o Au profit de l’héritier qui paie de ses propres deniers une dette de la succession à laquelle il n’était pas tenu;
5o Dans les autres cas établis par la loi.
20 Le législateur énonce expressément le droit à la subrogation dans nombre de lois, dérogeant ou se tenant parfois aux conditions prévues par le Code civil : voir, notamment, la Loi visant à favoriser le civisme, L.R.Q., ch. C-20, art. 11; la Loi sur l’assurance maladie, L.R.Q., ch. A-29, art. 18(1); la Loi sur l’aide financière aux études, L.R.Q., ch. A-13.3, art. 29; la Loi sur le bâtiment, L.R.Q., ch. B-1.1, art. 79.2. Parce que le recours exprès à la subrogation n’est pas traité de façon uniforme, je conclus que, même si elle n’est pas explicitement mentionnée au premier alinéa de l’art. 316 LATMP, il ne s’ensuit pas que la subrogation légale en soit exclue. Des cinq cas mentionnés à l’art. 1656 C.c.Q., le troisième peut potentiellement trouver application.
21 Tout en reconnaissant la portée générale du par. 3o de l’art. 1656 C.c.Q., les auteurs québécois le relient surtout aux dettes solidaires ou in solidum et aux dettes cautionnées : J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, Les obligations (5e éd. 1998), nos 916 à 918; J. Pineau, D. Burman et S. Gaudet, Théorie des obligations (4e éd. 2001), p. 603, no 336. En l’espèce, la solidarité n’est pas énoncée à l’art. 316 LATMP et elle ne peut être présumée (art. 1525 C.c.Q.). L’obligation de l’employeur ne pourrait non plus être caractérisée comme in solidum avec l’entrepreneur, car on ne retrouve pas ici de coexistence de deux dettes portant sur un même objet : Prévost-Masson c. Trust Général du Canada, [2001] 3 R.C.S. 882, 2001 CSC 87, par. 27. En effet, l’entrepreneur doit d’abord être tenu de payer. On pourrait, par ailleurs, croire qu’il s’agit du cautionnement légal prévu par l’art. 2334 C.c.Q., mais le cautionnement dont il est question à cet article est celui que doit fournir un débiteur lorsque le législateur le lui impose : Traité de droit civil du Québec, t. 13, par H. Roch et R. Paré, 1952, p. 594; Droit civil québécois (feuilles mobiles), vol. 6, par D.-C. Lamontagne et autres, § 2334 500, p. 1256 602; J. Deslauriers, Précis de droit des sûretés (1990), p. 23; P. Ciotola, Droit des sûretés (3e éd. 1999), p. 21. Dans le cas de l’art. 316 LATMP, l’obligation est imposée au garant lui-même et non au débiteur. Il ne peut s’agir d’un véritable cas de cautionnement puisque le garant de la LATMP n’a pas le choix de s’obliger alors que le consentement est essentiel au cautionnement qui est, par définition, un contrat (art. 2333 C.c.Q.). L’énoncé de droit du juge de la Cour supérieure suivant lequel l’art. 316 LATMP établit une caution légale est donc incorrect.
22 Pour conclure que le paiement de l’employeur à la CSST confère le bénéfice de la subrogation légale, il faut se fonder sur la généralité des termes « tenu[s] [. . .] pour d’autres » utilisés au par. 3o de l’art. 1656 C.c.Q. Se reportant à un extrait de l’ouvrage de Baudouin et Jobin, la Cour d’appel du Québec, dans Salama c. Placements Triar inc., [2002] J.Q. no 3372 (QL), a évoqué la possibilité de donner une portée large au par. 3o de l’art. 1656 C.c.Q. (voir aussi M. Tancelin, Des obligations : actes et responsabilités (6e éd. 1997), no 1235). L’évolution historique de cette disposition me convainc qu’une telle interprétation est justifiée.
23 Le texte du par. 3o de l’art. 1656 C.c.Q. trouve son origine dans l’art. 1156 du Code civil du Bas Canada qui lui-même était inspiré de l’art. 1251 du Code Napoléon. Or, ce dernier code reprend une règle de l’Ancien Droit français qui admettait que l’assureur maritime était subrogé aux droits de l’assuré : J. Mestre, La subrogation personnelle (1979), p. 277, no 240. En fait, c’est après un siècle de tergiversations que les tribunaux français admirent finalement que la subrogation pouvait jouer dans des cas où la personne qui payait était tenue au paiement en raison d’une source obligationnelle distincte. L’évolution de la jurisprudence française s’est faite dans le contexte du droit de l’assurance de dommages. La Cour de cassation avait d’abord refusé à l’assureur le droit à la subrogation légale par un arrêt de 1829 : Civ., 2 mars 1829, D.1829.I.163 (Assurances c. Lanquetin).
24 Malgré l’exclusion de la subrogation légale, les tribunaux français autorisèrent cependant l’assureur de dommages à poursuivre l’auteur du sinistre en invoquant qu’il avait commis une faute délictuelle causant des dommages à l’assureur. La Cour de cassation boucla la boucle près de cent ans plus tard et rappela qu’en droit maritime, la subrogation en faveur de l’assureur était reconnue : Civ., 10 janvier 1923, S.1924.I.257 (Chem. de fer du Midi c. Comp. d’assur. marit. l’Alborada). Cette évolution a fait dire à un auteur français que la jurisprudence française s’était ainsi « engagée dans une voie créatrice, n’hésitant pas à se détacher progressivement d’une exégèse par trop sclérosante du Code civil » : Mestre, p. 280, no 245.
25 Au Québec, en droit des assurances, la question est demeurée controversée jusqu’à la réforme de 1974 qui a conféré explicitement le droit à la subrogation (Loi sur les assurances, L.Q. 1974, ch. 70 (entrée en vigueur le 20 octobre 1976), intégré au Code civil du Bas Canada, art. 2576, maintenant l’art. 2474 C.c.Q.) : D. Lluelles, Précis des assurances terrestres (3e éd. 1999), p. 337; Sherwin-Williams Co. of Canada Ltd. c. Boiler Inspection and Insurance Co. of Canada, [1949] R.C.S. 187, p. 191; Trépanier c. Plamondon, [1985] C.A. 242; contra : J.-G. Bergeron, Les contrats d’assurance (terrestre) (1989), t. 1, p. 423; C.-A. Bertrand, « Effets des subrogations et des transports aux assureurs » (1953), 13 R. du B. 285; Agricultural Insurance Co. c. Cité de Montréal, [1943] R.L. 151 (C.S.); Compagnie d’Assurance du Québec c. Dufour, [1973] C.S. 840.
26 Force est de reconnaître que la formulation du par. 3o de l’art. 1656 C.c.Q. n’est pas limitée aux cas où l’obligation découle d’une dette solidaire, in solidum ou cautionnée. Exclure de sa portée les cas où l’obligation découle d’une loi n’est justifié ni par le texte du C.c.Q. ni par l’évolution historique de la portée de la disposition similaire en France. En conséquence, l’employeur qui paie la dette de l’entrepreneur aux termes de l’art. 316 LATMP peut être subrogé dans les droits de la CSST. La subrogation transfère à l’employeur le droit que la CSST avait contre l’entrepreneur. Par suite du paiement, l’employeur remplace la CSST : Forage Mercier inc. c. Société de Construction Maritime Voyageurs ltée, [1998] A.Q. no 2190 (QL) (C.A.); il acquiert la créance en date du paiement et ce, jusqu’à concurrence du montant payé : Pineau, Burman et Gaudet, p. 604, no 337, et p. 606, no 338. L’employeur peut donc réclamer à l’entrepreneur le montant de la cotisation qu’il a payée à la CSST.
27 Or, si le paiement fait en exécution de l’obligation imposée par le premier alinéa de l’art. 316 LATMP permet à l’employeur d’être substitué à la CSST pour réclamer à l’entrepreneur le montant de la cotisation, qu’apporte de plus le troisième alinéa de ce même article? Cet alinéa énonce le droit au remboursement et à la retenue. Le droit d’être remboursé n’est autre chose que le droit de réclamer le paiement. Le droit au remboursement n’ajoute donc pas au droit de créance échéant à l’employeur en raison de la subrogation légale. Qu’en est-il du droit de retenue? Une analyse plus nuancée est requise.
28 Le législateur québécois fait un usage hétéroclite du droit de retenue. Selon le contexte, il peut s’agir du droit pour un organisme de compenser un montant dû à une personne avec un montant dû par cette personne sans que le droit à la compensation ne soit mentionné explicitement : Loi sur l’assurance-récolte, L.R.Q., ch. A-30, art. 78.1; dans d’autres cas, le droit de retenue est formulé comme s’appuyant de façon expresse sur la compensation : Loi sur les coopératives de services financiers, L.R.Q., ch. C-67.3, art. 69; en d’autres occasions, le droit de retenue est un moyen de prélever une cotisation sur le salaire dû à un employé : LRTIC, art. 82c)(4); parfois encore, un organisme est autorisé à retenir un montant jusqu’à l’accomplissement d’une obligation de faire : Loi sur l’instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, L.R.Q., ch. I-14, art. 13. Le contexte est donc essentiel pour pouvoir qualifier la nature juridique du droit de retenue conféré par une disposition législative québécoise.
29 Le droit décrit au troisième alinéa de l’art. 316 LATMP n’est pas un droit général permettant à un employeur de refuser d’acquitter une dette ou de retenir un montant jusqu’à l’accomplissement d’une condition imposée à une autre personne. Le texte précise qu’il s’agit du droit de l’employeur de retenir « sur les sommes qu’il [doit à l’entrepreneur] », un montant égal au montant qu’il a payé à la CSST. Ce droit présuppose une réciprocité de relation créancier-débiteur entre l’employeur et l’entrepreneur. Il s’agit aussi d’obligations pécuniaires tant pour l’employeur que pour l’entrepreneur. En exerçant son droit de retenue, l’employeur manifeste qu’il déduit du montant qu’il doit à l’entrepreneur le montant de la dette de l’entrepreneur à son endroit. Il se paie ainsi lui-même avec les sommes qu’il doit. Les deux dettes se trouvent payées. Le droit de retenue correspond au droit d’invoquer la compensation prévue à l’art. 1672 C.c.Q. :
1672. Lorsque deux personnes se trouvent réciproquement débitrices et créancières l’une de l’autre, les dettes auxquelles elles sont tenues s’éteignent par compensation jusqu’à concurrence de la moindre.
La compensation ne peut être invoquée contre l’État, mais celui-ci peut s’en prévaloir.
30 Le droit de retenue énoncé au troisième alinéa de l’art. 316 LATMP n’est donc que la réitération du droit à la compensation qui découle de la réciprocité des qualités de débiteur et de créancier de l’employeur et de l’entrepreneur par suite du paiement subrogatoire fait à la CSST.
31 Selon cette analyse, il faut conclure, donnant ainsi raison au syndic sur ce point, que la scission de l’art. 316 LATMP pour ne retenir que le premier alinéa ne permet pas de distinguer le régime québécois du régime de la Saskatchewan. Si Husky Oil doit être écarté, ce n’est pas parce que les droits résultant des premier et troisième alinéas sont distincts et indépendants l’un de l’autre comme le prétendent les appelants. Le troisième alinéa est cependant utile pour écarter tout doute sur le droit de l’employeur de se faire rembourser le montant payé pour l’entrepreneur et, s’il y a lieu, d’opérer compensation entre le montant qu’il doit à l’entrepreneur et celui que l’entrepreneur lui doit.
32 Ces éléments de l’analyse étant acquis, il y a lieu de vérifier si le droit de retenue viole le plan de distribution de la LFI.
2.1.2 Le droit de retenue viole-t-il le plan de répartition de la LFI?
33 Le syndic prétend que le droit de retenue a pour effet de garantir le paiement des montants dus et que, ce faisant, la disposition viole le plan de répartition de la LFI. Le syllogisme avancé par le syndic est trompeur. Le plan de répartition n’opère pas en vase clos. Si la LFI reconnaît le droit d’un créancier ou d’un débiteur de se prévaloir d’un mécanisme autre que celui de l’art. 136 LFI qui prévoit le plan de répartition, la loi provinciale qui met en œuvre un tel mécanisme différent ne peut être déclarée inapplicable, parce qu’elle serait alors tout à fait compatible avec la LFI. Dans l’examen de la portée du premier alinéa, nous avons conclu que le droit de retenue est en fait un droit de compensation. Comme la LFI reconnaît expressément certains cas de compensation, la véritable question est de savoir si la compensation autorisée par le C.c.Q. et consacrée par l’art. 316 LATMP accorde des droits qui excèdent le cadre du par. 97(3) LFI qui se lit :
97. . . .
(3) Les règles de la compensation s’appliquent à toutes les réclamations produites contre l’actif du failli, et aussi à toutes les actions intentées par le syndic pour le recouvrement des créances dues au failli, de la même manière et dans la même mesure que si le failli était demandeur ou défendeur, selon le cas, sauf en tant que toute réclamation pour compensation est atteinte par les dispositions de la présente loi concernant les fraudes ou préférences frauduleuses.
34 La LFI intègre donc, mais sans le définir, un mécanisme de compensation. Pour le circonscrire, il faut faire appel non seulement au texte de la LFI mais aussi au droit provincial. Depuis la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, ch. 4, il est clair que le droit civil québécois agit, dans la province de Québec, comme droit supplétif en matière de faillite. Ceci signifie qu’à l’égard des aspects qui ne sont pas régis par la LFI, les règles de la compensation du droit civil s’appliquent. Quelles sont ces règles?
35 L’article 1672 C.c.Q. a déjà été cité. Les dettes réciproques sont éteintes jusqu’à concurrence de la moindre. L’article 1673 C.c.Q. énonce aussi que lorsque les dettes sont certaines, liquides et exigibles, l’extinction mutuelle a lieu de plein droit. Cet article se lit :
1673. La compensation s’opère de plein droit dès que coexistent des dettes qui sont l’une et l’autre certaines, liquides et exigibles et qui ont pour objet une somme d’argent ou une certaine quantité de biens fongibles de même espèce.
Une partie peut demander la liquidation judiciaire d’une dette afin de l’opposer en compensation.
36 Une autre règle est aussi essentielle à l’étude de la compensation dans un contexte d’insolvabilité. La créance due à une partie est un actif qui fait partie de son patrimoine. Comme la compensation a pour effet d’éteindre les dettes réciproques, les créanciers de l’une ou l’autre des parties mutuellement endettées peuvent être affectés par la réduction ou l’extinction des créances. Selon le droit civil québécois, la compensation ne peut avoir lieu au préjudice des tiers. L’article 1681 C.c.Q. prévoit :
1681. La compensation n’a pas lieu, et on ne peut non plus y renoncer, au préjudice des droits acquis à un tiers.
Si des tiers ont acquis des droits avant que ne s’ouvre le droit à la compensation, l’art. 1681 C.c.Q. en prohibe la mise en action. La créance ne peut être éteinte par la compensation au préjudice des droits acquis à des tiers. Sans cette règle, la créance serait réservée à un créancier, ici l’employeur, au détriment de la règle de l’égalité entre les créanciers (art. 2644 C.c.Q.), comme dans le cas d’une garantie : A. Bélanger, Essai d’une théorie juridique de la compensation en droit civil québécois (2004), p. 144; G. Duboc, La compensation et les droits des tiers (1989), p. 8, no 4. En vertu du droit civil, le droit de retenue pourra donc ou non être mis en opération selon que les droits des tiers sont ou non affectés. Qu’en est-il en matière de faillite?
37 Dans un contexte de faillite, le syndic a une double fonction : il représente tantôt le failli, tantôt les créanciers. Ce double rôle du syndic a été étudié récemment dans Lefebvre (Syndic de), [2004] 3 R.C.S. 326, 2004 CSC 63. Certaines fonctions se prêtent à une qualification spécifique à titre de représentant du failli et alors il ne sera pas considéré comme un tiers. Dans la majorité des situations, cependant, tel que le mentionnait le juge de Grandpré dans Mercure c. Marquette & Fils, [1977] 1 R.C.S. 547, p. 555, c’est en gardant à l’esprit sa double fonction que les droits et obligations du syndic et des créanciers sont appréciés.
38 Lors de la faillite, la créance de l’entrepreneur contre l’employeur constitue un bien qui fait partie du patrimoine attribué aux créanciers aux termes de l’art. 67 LFI :
67. (1) [Biens du failli] Les biens d’un failli, constituant le patrimoine attribué à ses créanciers, ne comprennent pas les biens suivants :
. . .
mais ils comprennent :
c) tous les biens, où qu’ils soient situés, qui appartiennent au failli à la date de la faillite, ou qu’il peut acquérir ou qui peuvent lui être dévolus avant sa libération;
d) les pouvoirs sur des biens ou à leur égard, qui auraient pu être exercés par le failli pour son propre bénéfice.
De plus, conformément au par. 71(2) LFI, les biens dévolus au syndic ne peuvent plus être aliénés par le failli à compter de la faillite :
71. . . .
(2) Lorsqu’une ordonnance de séquestre est rendue, ou qu’une cession est produite auprès d’un séquestre officiel, un failli cesse d’être habile à céder ou autrement aliéner ses biens qui doivent, sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des droits des créanciers garantis, immédiatement passer et être dévolus au syndic nommé dans l’ordonnance de séquestre ou dans la cession, et advenant un changement de syndic, les biens passent de syndic à syndic sans transport, cession, ni transfert quelconque.
39 Pour l’application des par. 67(1) et 71(2) LFI, le syndic n’est en conséquence pas seulement le successeur du failli, il est aussi le représentant des créanciers au nom de qui il gère et liquide les biens qui lui sont dévolus. La qualification de tiers par rapport au failli prédomine alors. Si seuls ces articles étaient pris en considération, la compensation ne pourrait pas opérer après la faillite parce que le failli n’est plus en mesure d’utiliser ses biens pour acquitter ses dettes. Le failli ne pourrait pas faire de paiement ni consentir une quittance parce qu’il n’y serait plus habilité. Il ne pourrait donc pas invoquer la compensation qui est un mécanisme d’extinction de dette car il n’est plus titulaire de son patrimoine. Le paragraphe 97(3) LFI aménage cependant un régime particulier. Deux aspects de cette disposition sont pertinents pour notre analyse du droit de retenue de l’art. 316 LATMP.
40 Premièrement, le par. 97(3) LFI précise que la compensation s’applique aux réclamations contre l’actif du failli. Le créancier doit donc remplir les conditions du par. 121(1) LFI dont la partie pertinente se lit :
121. (1) Toutes créances et tous engagements, présents ou futurs, auxquels le failli est assujetti à la date à laquelle il devient failli, ou auxquels il peut devenir assujetti avant sa libération, en raison d’une obligation contractée antérieurement à cette date, sont réputés des réclamations prouvables dans des procédures entamées en vertu de la présente loi.
Ainsi, le créancier qui veut opposer compensation doit être en mesure de prouver une créance à laquelle le failli était assujetti en raison d’une obligation contractée antérieurement à la faillite.
41 Deuxièmement, le par. 97(3) LFI énonce que la compensation a lieu de la même manière que si le failli était le demandeur ou défendeur. La compensation a lieu comme si le patrimoine du failli n’avait pas, par la faillite, été dévolu au syndic. Cette disposition écarte, pour les besoins de la compensation, le mécanisme énoncé au par. 71(2) LFI. Cette règle met de côté la fonction du syndic comme représentant des créanciers. Le créancier qui veut invoquer compensation ne peut se faire opposer que le syndic est un tiers et que le failli n’est plus autorisé à faire un paiement en raison de sa faillite.
42 Ayant à l’esprit ces particularités du par. 97(3) LFI et les règles civilistes agissant à titre supplétif, trois situations peuvent être envisagées dans le contexte de l’art. 316 LATMP. Selon un premier scénario, le paiement à la CSST est fait avant la faillite et les dettes réciproques sont certaines, liquides et exigibles avant la faillite; selon une deuxième hypothèse, le paiement est fait avant la faillite, l’employeur est endetté envers l’entrepreneur, mais l’une des conditions de la compensation légale fait défaut et enfin, troisièmement, le paiement est fait après la faillite.
2.1.2.1 Le paiement est fait avant la faillite et les dettes réciproques sont certaines, liquides et exigibles avant la faillite
43 Dès le moment où l’employeur paie la CSST, sa créance devient certaine, liquide et exigible. En effet, par l’effet de la subrogation, la créance de la CSST est transférée à l’employeur. Comme le droit de l’employeur contre l’entrepreneur prend naissance lors du paiement à la CSST, la créance de l’employeur a, dès ce moment, une existence reconnue, c’est-à-dire certaine. De plus, puisque le montant de la cotisation à la CSST est déterminé, la créance est liquide. Elle est aussi exigible car la CSST était en mesure d’en exiger le paiement de l’employeur. Si, par ailleurs, l’employeur est lui-même endetté envers l’entrepreneur et que sa dette soit liquide et exigible, la compensation légale s’opère de plein droit et les dettes sont éteintes jusqu’à concurrence de la moindre des deux dettes, le tout selon l’art. 1673 C.c.Q. cité ci-dessus.
44 Dans ce contexte, par l’opération des règles du C.c.Q., l’employeur n’invoque pas véritablement un droit de retenue, mais bien l’extinction de sa dette à l’égard de l’entrepreneur. L’employeur peut s’en prévaloir à tout moment. Il soulèvera l’extinction survenue au moment où les dettes réciproques ont rempli les conditions de la compensation légale. Comme le syndic prend possession des biens du failli dans l’état où ils se trouvent au moment de leur dévolution (par. 71(2) LFI), il ne pourra que constater que le patrimoine du failli ne compte pas de créance contre l’employeur.
45 Comme la faillite, selon cette hypothèse, n’est pas encore survenue lors de l’opération de la compensation légale, le plan de répartition n’est pas affecté parce que la créance contre l’employeur ne fait pas partie des biens dévolus au syndic.
2.1.2.2 Le paiement est fait avant la faillite, l’employeur est endetté envers l’entrepreneur mais l’une des conditions requises pour la compensation légale fait défaut
46 Selon cette deuxième hypothèse, l’employeur paie à la CSST avant la faillite le montant de la cotisation impayée par l’entrepreneur. La créance de l’employeur qui résulte de la subrogation est donc certaine, liquide et exigible au moment de la faillite. Si l’une des conditions de la compensation légale fait défaut, il s’agit nécessairement d’une condition reliée à la créance de l’entrepreneur contre l’employeur.
47 Plusieurs moyens peuvent potentiellement être invoqués par l’employeur en défense à une réclamation du syndic. Il peut, par exemple, soulever que la créance n’est pas certaine ou qu’elle n’est pas exigible. Dans de tels cas, il invoque non pas son droit de retenue, mais l’inexistence de la créance ou son inexigibilité. Si la créance de l’entrepreneur est certaine et exigible, mais non liquide, l’entrepreneur peut, hors du contexte de la faillite, faire valoir son droit devant un tribunal qui a le pouvoir de liquider la dette. L’employeur invoque alors la compensation judiciaire suivant l’art. 1673, al. 2 C.c.Q.
48 En droit civil, la compensation ne peut cependant plus être opposée si les droits des tiers sont affectés (art. 1681 C.c.Q.). Permettre la compensation serait autoriser un créancier à être payé en entier pour sa créance à même la dette qu’il entretient envers le débiteur. Si des tiers ont acquis des droits avant l’opération de la compensation, elle est donc prohibée.
49 Dans le contexte de la faillite, la créance contre l’employeur est un actif dévolu au syndic aux termes du par. 71(2) LFI. Si cette créance n’est pas liquide, le syndic peut l’évaluer et, en cas de contestation, demander au tribunal de trancher (al. 30(1)d) LFI). L’employeur peut aussi se prévaloir de la particularité du par. 97(3) LFI qui met de côté, pour les besoins de la compensation, la qualité de tiers du syndic et permet d’opposer compensation comme si le failli était le demandeur. Le droit de compensation de l’employeur découle alors de la LFI et non du droit civil, qui s’avère plus restrictif en raison de l’art. 1681 C.c.Q. Le droit de retenue de l’art. 316 LATMP, dans ces circonstances, n’est pas incompatible avec les dispositions de la LFI puisqu’il n’en est qu’une application.
50 Les tribunaux québécois ont à maintes reprises reconnu la possibilité d’invoquer la compensation dans un contexte de faillite : In re Hil-A-Don Ltd. : Bank of Montreal c. Kwiat, [1975] C.A. 157; In re Le syndicat d’épargne des épiciers du Québec : Laviolette c. Mercure, [1975] C.A. 599; Goldstein c. Auerbach (1991), 51 Q.A.C. 292. Lorsque le paiement est fait avant la faillite, les droits découlant du paiement subrogatoire ne contreviennent donc pas au plan de répartition de l’art. 136 LFI parce qu’ils peuvent être mis en œuvre grâce à un mécanisme prévu par la LFI elle-même, le par. 97(3).
2.1.2.3 Le paiement de l’employeur est fait après la faillite
51 Lorsque le paiement de l’employeur est fait après la faillite, la question qui se pose est de savoir si l’employeur peut se prévaloir de son droit de retenue ou de compensation de la même façon que si le paiement était fait avant la faillite. Pour répondre à cette question, il est utile de rappeler la relation juridique créée par l’art. 316 LATMP. Cette relation se distingue des cas classiques de conflits entre tiers et cessionnaires. Il ne s’agit pas d’un cas où le débiteur d’une créance cédée cherche à opposer au créancier cessionnaire les moyens qu’il aurait pu opposer au créancier originel comme le prévoit l’art. 1680 C.c.Q. Il s’agit plutôt ici des moyens que l’employeur, nouveau créancier, veut faire valoir à l’encontre de l’entrepreneur, débiteur originel, à un moment où l’entrepreneur a fait faillite. La CSST ne devait rien à l’entrepreneur. La CSST ne pouvait donc pas opposer compensation. Selon cette hypothèse, avant la faillite, l’employeur n’était pas créancier de l’entrepreneur. Il ne l’est devenu que lors du paiement subrogatoire, c’est-à-dire après la faillite. La double qualité de créancier et de débiteur n’est survenue qu’après la faillite.
52 Selon le droit civil québécois, d’une part, la personne qui paie à la place du débiteur n’a pas plus de droits que le subrogeant (art. 1651 C.c.Q.) et, d’autre part, la compensation ne peut avoir lieu au préjudice des tiers (art. 1681 C.c.Q.). Si le mécanisme de la compensation peut difficilement être assimilé à un droit additionnel lorsque examiné dans la perspective du débiteur lui-même, il en est autrement lorsque les droits des tiers sont pris en compte. Les tiers seraient indéniablement affectés par la compensation si elle devait entrer en action. En effet, par l’effet de la substitution de créancier survenue après la faillite, le syndic doit maintenant faire face à un créancier qui est aussi débiteur de la faillite alors que le créancier originel ne l’était pas et n’aurait donc pas pu lui opposer compensation. La créance de l’employeur serait en quelque sorte garantie par les sommes qu’il doit au failli alors que la créance de la CSST ne l’était pas. Selon le droit civil québécois, si les tiers sont affectés, l’employeur ne peut pas se prévaloir du droit de retenue de l’art. 316 LATMP parce qu’il en est empêché par l’effet des art. 1651 et 1681 C.c.Q.
53 Il est cependant utile de vérifier à nouveau si la LFI comporte des dispositions qui font en sorte que l’employeur peut se prévaloir de son droit de retenue. Nous avons vu déjà que le par. 97(3) LFI comporte deux éléments qui sont ici pertinents : (1) les créances doivent pouvoir faire l’objet d’une preuve de réclamation selon l’art. 121 LFI et (2) la compensation peut avoir lieu comme si le failli était le demandeur.
54 En raison du mécanisme de la subrogation, l’employeur qui paie après la faillite est subrogé dans les droits de la CSST et peut faire valoir une créance contre le failli comme si ce dernier était le défendeur. Conformément à l’art. 121 LFI, il peut faire valoir une créance à laquelle le failli est assujetti en raison d’une obligation contractée antérieurement à la faillite. De même, selon le par. 97(3) LFI, le syndic peut réclamer à l’employeur le paiement de sa dette envers le failli comme si le failli était le demandeur. À première vue, donc, les particularités de la LFI semblent permettre la compensation. Un examen plus approfondi fait cependant voir que le paiement subrogatoire ne peut donner lieu à la compensation lorsqu’il est fait après la faillite.
55 Peu d’auteurs se sont intéressés à l’effet de la subrogation en matière de faillite et le bijuridisme canadien ne permet pas d’importer les règles de la common law. Les commentaires des auteurs de l’extérieur du Québec demeurent cependant intéressants pour l’étude des principes propres à la LFI (R. J. Wood, « Turning Lead into Gold : The Uncertain Alchemy of “All Obligations” Clauses » (2003), 41 Alta. L. Rev. 801). L’article 121 LFI permet à l’employeur d’exercer les droits qui lui échoient en raison de son paiement subrogatoire. Aucun droit additionnel ne lui est accordé en sus de ce que le droit civil lui confère. L’employeur n’a que les droits que la CSST pouvait exercer. Comme la CSST ne pouvait pas invoquer la compensation, l’employeur ne le peut pas non plus si les tiers sont affectés. Le paragraphe 97(3) LFI ne prévoit pas qu’une créance puisse être transférée d’un créancier à l’autre de façon à autoriser une compensation qui n’aurait pas autrement pu être invoquée. Comme le par. 97(3) LFI fait exception à la règle de l’égalité des créanciers, il doit recevoir une interprétation restrictive. Il doit donc être interprété en conjonction avec les art. 121, 136(3) et 141 LFI et requiert implicitement que les créances mutuelles doivent avoir pris naissance avant la faillite.
56 Ce qui distingue le paiement avant la faillite du paiement après la faillite est le fait que, dans le premier cas, la substitution de créancier a lieu avant le moment où le syndic acquiert les biens du failli. Lorsque le paiement est fait après la faillite, la substitution est postérieure à la faillite et le syndic est en mesure de s’y opposer. Les principes généraux de la LFI s’opposent à toute opération qui aurait pour effet d’accorder une garantie qui n’existait pas avant la faillite. En somme, quant à la subrogation, la LFI ne comporte pas de disposition qui déroge au droit civil et permette une application élargie de la compensation.
57 En raison des contraintes inhérentes au droit civil, l’employeur ne peut retenir sur les sommes dues à l’entrepreneur les montants qu’il a payés à la CSST si le paiement est fait alors que des tiers ont acquis des droits. Le paiement fait en vertu de l’art. 316 LATMP permet cependant à l’employeur de se prévaloir de la subrogation pour se faire rembourser, à titre de créancier ordinaire, le montant qu’il a payé. Le droit de remboursement peut être invoqué dans le respect des droits des tiers. L’employeur peut produire une preuve de réclamation, tout comme la CSST aurait pu le faire. Ce droit respecte tant les art. 1651 et 1681 C.c.Q. que l’art. 136 LFI. Dans Husky Oil, la Cour a d’ailleurs reconnu la validité du droit de présenter au syndic une simple demande de remboursement (p. 503).
58 Par conséquent, la prétention du syndic voulant que l’art. 316 LATMP viole le plan de répartition de la LFI ne peut pas être acceptée. D’une part, le droit de remboursement est compatible avec la LFI et, d’autre part, lorsque le droit de retenue ne peut être invoqué par l’employeur, c’est en raison des contraintes inhérentes aux règles civilistes régissant la subrogation et la compensation. Le droit de retenue n’est pas en conflit avec la LFI parce que les seules circonstances où il peut être invoqué sont celles prévues à la LFI, qui est plus favorable à la compensation que le droit civil québécois.
2.1.3 Distinction entre le régime québécois et le régime de la Saskatchewan
59 La Cour d’appel, acceptant ainsi les arguments du syndic, a vu dans l’art. 316 LATMP un droit similaire à celui étudié par la Cour dans Husky Oil. Le rapprochement est, à mon avis, injustifié. Dans Husky Oil, la Cour a étudié l’art. 133 de la Workers’ Compensation Act, 1979 qui établissait un mécanisme de dette présumée et autorisait la retenue de sommes dues à un entrepreneur avant même la naissance de la créance de l’employeur contre l’entrepreneur. À ses paragraphes (1) et (3), l’art. 133 prévoyait :
[traduction]
133 — (1) Si une personne, appelée le commettant dans le présent article, qu’elle exploite ou non une industrie visée par la présente loi, conclut un contrat avec une autre personne, appelée l’entrepreneur dans le présent article, pour l’exécution, par l’entrepreneur ou sous sa direction, de la totalité ou d’une partie d’un travail pour le compte du commettant, il incombe à ce dernier de veiller à ce que toute somme que l’entrepreneur ou un sous‑traitant est tenu de verser à la caisse soit versée. Le commettant qui néglige de le faire est, à défaut de paiement, personnellement tenu de payer cette somme à la commission.
. . .
(3) Le commettant qui est tenu de faire un paiement à la commission en vertu du paragraphe (1) a le droit d’être indemnisé par toute personne qui aurait dû faire ce paiement et il a le droit de retenir, sur toute somme due à cette personne, un montant suffisant correspondant à cette indemnité.
60 Le droit de retenue accordé par la Workers’ Compensation Act, 1979 à l’employeur naît dès le moment où ce dernier est tenu au paiement, soit avant même que le paiement ne soit fait. Selon l’interprétation de la Cour, en vertu de cette loi, l’employeur n’entame pas son propre capital. Il est l’agent percepteur : « il [lui] incombe [. . .] de veiller à ce que toute somme que l’entrepreneur ou un sous-traitant est tenu de verser à la caisse soit versée ». La Cour en a conclu que la loi établissait non pas une dette réelle due par l’employeur personnellement, mais une dette réputée qui, conjuguée au droit de retenue, constituait un mécanisme de garantie incompatible avec la LFI :
. . . il est clair que l’application conjuguée des par. 133(1) et (3) a pour effet de garantir la réclamation de la Commission contre les biens de l’entrepreneur. C’est ce qui se produit lorsque l’on conjugue la dette réputée que la loi impose au commettant en cas de défaut de paiement de la part de l’entrepreneur et le droit du commettant de faire des retenues et de s’indemniser sur les sommes dues à l’entrepreneur. En conséquence, la dette réputée, visée au par. 133(1), et la compensation prévue au par. 133(3) ont pour effet conjugué de garantir la réclamation de la Commission contre les biens de l’entrepreneur.
. . .
Je le répète, c’est l’effet conjugué de la dette réputée créée par la loi et du droit de rétention (et ensuite de compensation) applicable aux biens du failli, qui garantit la réclamation de la Commission contre les biens du failli. C’est pour ce motif qu’examiner la constitutionnalité du par. 133(1) séparément de celle du par. 133(3) dissimule radicalement la nature du droit créé. Une telle façon de procéder évite de constater qu’il ne s’agit de rien d’autre qu’un simple instrument de garantie déclenché par la province pour garantir la réclamation de la Commission sur l’actif, de la même façon que l’on éviterait de constater la nature essentielle du nantissement, comme instrument de garantie, si, pour en déterminer la validité, on examinait séparément les aspects « dette » et « dépôt » du contrat. [Souligné dans l’original; par. 53 et 77.]
61 La Cour n’a pas écarté tous les mécanismes de compensation. Une telle interprétation serait de toute évidence contraire à l’énoncé clair du par. 97(3) LFI et aux motifs de l’arrêt :
Autrement dit, dans le contexte de la faillite, les règles de la compensation permettent simplement au débiteur d’un failli, qui en est aussi le créancier, de s’abstenir de régler au complet la dette qu’il a envers la faillite, de crainte que celle‑ci ne règle qu’une partie, et encore, de la dette du failli. La compensation n’est qu’un moyen de défense opposable au paiement d’une créance; elle n’est pas un moyen de valider des instruments de garantie créés par la loi, qui ont pour effet de garantir les réclamations de tierces parties sur l’actif de la faillite. . . [Souligné dans l’original; par. 73.]
62 Les conditions d’application de la compensation mises en évidence dans Husky Oil sont respectées par l’art. 316 LATMP. Seul l’employeur qui a payé peut invoquer son droit de retenue. Il ne s’agit pas, comme dans Husky Oil, d’un paiement réputé ou d’un cas où l’employeur agit comme simple agent. Il ne s’agit pas non plus, comme le plaide le syndic, d’un droit de retenue qui naîtrait sous condition suspensive. Le droit qui résulte du paiement subrogatoire ne naît qu’avec le paiement lui-même. Mestre dit de cette règle qu’elle est « d’évidence, et résulte de l’esprit même de l’institution, créée au profit de celui qui acquitte la dette d’autrui » (p. 374, no 321). Sous réserve du droit prévu à la LFI de produire une réclamation éventuelle (art. 135 LFI), le garant ne peut pas produire de preuve de réclamation avant le paiement : Trib. corr. Auxerre, 24 février 1953, Rev. gén. ass. terr. 1953.190 (Mayet et Destoumieux c. Faillot). L’employeur/garant ne peut exercer aucun droit contre l’entrepreneur/débiteur avant d’avoir payé la CSST, créancier originel. Aux termes des mécanismes du droit civil, il n’existe pas de droit subrogatoire conféré sous condition suspensive : Mestre, p. 375, no 322. Le droit de créance échoit à l’employeur au moment du paiement et non en raison du fait qu’il serait éventuellement tenu au paiement si l’entrepreneur faisait défaut. De plus, aucun droit n’est accordé à la CSST, comme tierce partie, au détriment de la masse des créanciers. La CSST n’est pas affectée par ce droit de recouvrement de l’employeur. Vu sous le prisme de l’arrêt Husky Oil, le mécanisme de l’art. 316 LATMP est compatible avec la LFI.
2.1.4 La compensation en equity
63 Le syndic plaide aussi que le recours à la compensation en equity, selon lui applicable en matière de faillite au Québec, conduit au même conflit que celui observé dans Husky Oil. Il signale que la Cour d’appel a intégré ce mécanisme au droit civil québécois : Structal (1982) inc. c. Fernand Gilbert ltée, [1998] R.J.Q. 2686.
64 La compensation en equity était déjà d’application douteuse avant la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil : Bélanger, p. 153; A. Bélanger, « L’application en droit civil québécois de l’inapplicable equitable set-off de common law » (1999), 78 R. du B. can. 486; M. Lemieux, « La compensation dans un contexte de proposition et de faillite » (1999), 59 R. du B. 321. Or, depuis la promulgation de cette loi, il est clair qu’il faut appliquer le par. 97(3) LFI au Québec en ayant recours aux règles du droit civil et non à celles de la common law. La compensation en equity ne peut palier l’inapplication de la compensation du droit civil et ne peut être introduite au Québec par le par. 97(3) LFI. Le droit supplétif au Québec est le droit civil québécois et plus spécifiquement ici, les règles sur la compensation prévue au C.c.Q.
65 En somme, le droit consacré par le troisième alinéa de l’art. 316 LATMP n’est rien d’autre que la reconnaissance du droit de l’employeur de se faire rembourser, que ce soit par le mécanisme du dépôt d’une preuve de réclamation prévu à l’art. 121 LFI ou par une défense de compensation conformément au par. 97(3) LFI. Ces deux moyens sont formulés à la LFI. L’article 316 LATMP n’accorde pas plus de droit que ceux qui sont autorisés par la LFI. En aucun cas, le plan de répartition n’est enfreint.
2.2 Le mécanisme de l’art. 54 LRTIC
66 Le syndic cherche aussi à faire déclarer inapplicable l’art. 54 LRTIC. Cette disposition se lit :
54. Le salaire dû par un sous‑entrepreneur est une obligation solidaire entre ce sous‑entrepreneur et l’entrepreneur avec qui il a contracté, et entre ce sous‑entrepreneur, le sous‑entrepreneur avec qui il a contracté, l’entrepreneur et tout sous‑entrepreneur intermédiaire.
Lorsque l’employeur est titulaire de la licence requise en vertu de la Loi sur le bâtiment (chapitre B‑1.1), cette solidarité prend fin six mois après la fin des travaux exécutés par cet employeur, à moins que le salarié n’ait déposé, auprès de la Commission, une plainte relative à son salaire, qu’une action civile n’ait été intentée, ou qu’une réclamation n’ait été transmise par la Commission suivant le troisième alinéa du paragraphe 1° de l’article 122 avant l’expiration de ce délai.
Cette solidarité s’étend aussi au client qui a contracté directement ou par intermédiaire avec un entrepreneur qui n’est pas titulaire de la licence requise en vertu de la Loi sur le bâtiment, à l’égard du salaire dû par cet entrepreneur et par chacun de ses sous‑entrepreneurs.
67 À la différence de la LATMP qui accorde un droit de remboursement et de retenue sans renvoi formel au mécanisme du Code civil, la LRTIC, en utilisant l’expression « obligation solidaire », caractérise l’obligation dans des termes qui incorporent explicitement les droits et obligations prévues aux dispositions du C.c.Q. régissant la solidarité.
68 Le recours solidaire dont bénéficie la CCQ lui donne le droit de réclamer le montant des salaires à son choix de l’employeur ou de l’entrepreneur, tel qu’il ressort de l’art. 1523 C.c.Q. :
1523. L’obligation est solidaire entre les débiteurs lorsqu’ils sont obligés à une même chose envers le créancier, de manière que chacun puisse être séparément contraint pour la totalité de l’obligation, et que l’exécution par un seul libère les autres envers le créancier.
69 L’employeur qui paye les salaires des employés de l’entrepreneur peut lui en réclamer le remboursement suivant l’art. 1536 C.c.Q. :
1536. Le débiteur solidaire qui a exécuté l’obligation ne peut répéter de ses codébiteurs que leur part respective dans celle-ci, encore qu’il soit subrogé aux droits du créancier.
Dans le cas de la responsabilité de l’employeur aux termes de l’art. 54 LRTIC, il est clair que l’obligation ultime demeure celle de l’entrepreneur et ce, pour la totalité de la dette. L’employeur peut donc répéter de l’entrepreneur le montant total payé à la CCQ. Par ailleurs, l’employeur qui paie la CCQ, comme c’était le cas pour le paiement à la CSST, peut aussi se réclamer de la subrogation légale aux termes du par. 3o de l’art. 1656 C.c.Q. :
1656. La subrogation s’opère par le seul effet de la loi :
. . .
3o Au profit de celui qui paie une dette à laquelle il est tenu avec d’autres ou pour d’autres et qu’il a intérêt à acquitter;
70 En raison de l’obligation solidaire qui lui est faite par l’art. 54 LRTIC, du recours récursoire et de la subrogation, l’employeur peut réclamer de l’entrepreneur le montant payé à la CCQ.
71 Si le paiement est fait avant la faillite, le raisonnement tenu ci-haut concernant le droit de retenue conféré par l’art. 316 LATMP s’applique. Dans le cas où l’employeur est lui-même endetté envers l’entrepreneur et où cette dette remplit les conditions de la compensation légale, les dettes réciproques sont éteintes de plein droit jusqu’à concurrence de la moindre (art. 1672 et 1673 C.c.Q.). En ce cas le patrimoine dévolu au syndic au moment de la faillite ne compte pas la créance du failli qui est éteinte par la compensation légale. Si le paiement est fait avant la faillite mais la créance de l’entrepreneur n’est pas liquide, l’employeur pourra se prévaloir du par. 97(3) LFI pour opposer compensation entre les sommes qu’il doit et celles qui lui sont dues.
72 Si le paiement à la CCQ est postérieur à la faillite, l’employeur devra prouver sa réclamation contre l’actif selon les règles de l’art. 121 LFI. En effet, même si l’employeur est lui-même endetté envers le failli, la LFI ne prévoit pas que la créance puisse être transférée au détriment des créanciers. La LFI n’écarte pas les règles des art. 1651 et 1681 C.c.Q. qui énoncent que la subrogation ne confère pas au subrogé plus de droits que n’en avait le subrogeant et que la compensation ne peut opérer au préjudice des tiers. L’employeur est donc limité à prouver sa réclamation sans pouvoir opposer compensation pour les paiements faits après la faillite.
73 Les règles du C.c.Q. concernant la subrogation n’ajoutent pas de nouvelle garantie et ne créent pas de dettes additionnelles à l’égard du failli. Les dispositions contestées n’enfreignent ni la lettre ni l’esprit de l’arrêt Husky Oil. Je rappelle que dans cet arrêt, la critique visait un mécanisme par lequel l’employeur pouvait retenir les sommes dues au débiteur avant d’être tenu personnellement de payer les cotisations. Il agissait en quelque sorte comme agent percepteur du Workers’ Compensation Board. Tel n’est pas le cas en vertu de la LRTIC qui prévoit que l’employeur est personnellement responsable des salaires impayés par l’entrepreneur.
3. Conclusion
74 Le dossier a été soumis à la Cour supérieure sous forme de requête pour directives demandant de statuer sur l’effet juridique des art. 316 LATMP et 54 LRTIC dans le contexte de la LFI. Il s’agit là des questions de droit qui sont traitées ci-dessus. Par ailleurs, comme l’illustre les faits relatés au début des motifs, sauf pour Chenail à l’égard de la CCQ, les employeurs n’ont pas fait les paiements avant la faillite. Leurs droits seront régis par les principes ici énoncés et il n’est pas nécessaire de se pencher sur les faits spécifiques à chaque cas, d’autant plus que les employeurs ont choisi de ne pas participer au débat.
75 Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir l’appel, de répondre par la négative aux deux questions constitutionnelles, de rétablir le jugement de la Cour supérieure et de rejeter la requête du syndic, le tout avec dépens contre la masse.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureur de l’appelant le procureur général du Québec : Ministère de la Justice, Québec.
Procureurs de l’appelante la Commission de la construction du Québec : Ménard, Corriveau, Montréal.
Procureurs de l’appelante la Commission de la santé et de la sécurité du travail : Panneton, Lessard, Québec.
Procureurs de l’intimée : Blake, Cassels & Graydon, Montréal.
Procureur de l’intervenant : Procureur général de l’Ontario, Toronto.