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13/05/2022 | CANADA | N°2022CSC18

Canada | Canada, Cour suprême, 13 mai 2022, R. c. Brown, 2022 CSC 18


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : R. c. Brown, 2022 CSC 18

 

 
Appel entendu : 9 novembre 2021
Jugement rendu : 13 mai 2022
Dossier : 39781


 
Entre :
 
Matthew Winston Brown
Appelant
 
et
 
Sa Majesté la Reine
Intimée
 
- et -
 
Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario, procureur général du Manitoba, procureur général de la Colombie-Britannique, procureur général de la Saskatchewan, Association canadienne des libertés civiles, Empowerment Council, Crimina

l Lawyers’ Association et Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes
Intervenants
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagne...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : R. c. Brown, 2022 CSC 18

 

 
Appel entendu : 9 novembre 2021
Jugement rendu : 13 mai 2022
Dossier : 39781

 
Entre :
 
Matthew Winston Brown
Appelant
 
et
 
Sa Majesté la Reine
Intimée
 
- et -
 
Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario, procureur général du Manitoba, procureur général de la Colombie-Britannique, procureur général de la Saskatchewan, Association canadienne des libertés civiles, Empowerment Council, Criminal Lawyers’ Association et Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes
Intervenants
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 168)

Le juge Kasirer (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Jamal)

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Matthew Winston Brown                                                                                Appelant
c.
Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée
et
Procureur général du Canada,
procureur général de l’Ontario,
procureur général du Manitoba,
procureur général de la Colombie-Britannique,
procureur général de la Saskatchewan,
Association canadienne des libertés civiles,
Empowerment Council,
Criminal Lawyers’ Association et
Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes                     Intervenants
Répertorié : R. c. Brown
2022 CSC 18
No du greffe : 39781.
2021 : 9 novembre; 2022 : 13 mai.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Justice fondamentale — Présomption d’innocence — Limites raisonnables — Article 33.1 du Code criminel empêchant l’accusé d’invoquer la défense en common law d’intoxication volontaire s’apparentant à l’automatisme — L’article 33.1 viole‑t‑il les principes de justice fondamentale ou la présomption d’innocence? — Dans l’affirmative, l’atteinte est‑elle justifiée? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 11d) — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 33.1.
                    Lors d’une fête dans une résidence privée, B a consommé de l’alcool et des champignons magiques. Les champignons magiques contiennent de la psilocybine, une drogue illégale susceptible de provoquer des hallucinations. B a perdu contact avec la réalité et est sorti de la maison. B n’était pas simplement ivre ou drogué : bien que capable de mouvements physiques, il se trouvait dans un état de psychose et n’avait aucune maîtrise de ses gestes. Il s’est introduit par effraction dans une maison située à proximité appartenant à une étrangère et a agressé l’occupante, lui infligeant des blessures permanentes. Il s’est ensuite introduit par effraction dans une autre résidence, et les occupants ont appelé la police. B a été accusé d’introduction par effraction et de voies de fait graves, ainsi que d’introduction par effraction et de méfait à l’égard d’un bien de plus de 5 000 $.
                    Au procès, B affirmé qu’il n’était pas coupable des infractions, pour cause d’automatisme résultant de la consommation de psilocybine. La preuve d’expert présentée au procès a confirmé que B n’avait pas la maîtrise de ses actes au moment des faits reprochés. La Couronne a invoqué l’art. 33.1 du Code criminel pour empêcher B de plaider l’intoxication volontaire s’apparentant à l’automatisme comme moyen de défense contre l’accusation de voies de fait graves. Le Parlement a ajouté l’art. 33.1 au Code criminel en réaction à l’arrêt R. c. Daviault, 1994 CanLII 61 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 63. Dans Daviault, la Cour a confirmé la validité de la règle de common law suivant laquelle l’intoxication n’est pas un moyen de défense opposable aux crimes d’intention générale, mais les juges majoritaires ont reconnu qu’en raison de la Charte, il était nécessaire de prévoir une exception lorsque l’accusé est dans un état d’intoxication si extrême qu’il se trouve dans un état s’apparentant à l’automatisme et qu’il est incapable de commettre volontairement un acte coupable ou d’avoir une intention coupable. L’article 33.1 a été adopté afin de remédier aux lacunes constitutionnelles relevées par les juges majoritaires dans l’arrêt Daviault d’une manière qui tienne dûment compte des propos formulés dans cet arrêt par le juge dissident au sujet de la culpabilité d’un accusé qui s’intoxique à l’extrême volontairement. L’article 33.1 fait obstacle à la défense d’automatisme pour tous les crimes d’intention générale visés par le par. 33.1(3), dont les voies de fait graves et l’agression sexuelle.
                    B a contesté la constitutionnalité de l’art. 33.1. Le juge qui a tenu le voir‑dire a conclu que l’art. 33.1 violait les principes de justice fondamentale et la présomption d’innocence garantis par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte, et que les violations n’étaient pas justifiées en vertu de l’article premier de la Charte. Il a déclaré l’art. 33.1 inopérant par application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Par conséquent, B avait le droit d’invoquer au procès le moyen de défense de l’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme. La juge du procès a estimé que la défense pouvait être opposée aux deux accusations, et elle a inscrit des acquittements. La Cour d’appel a infirmé le jugement qui avait déclaré l’art. 33.1 inopérant, annulé l’acquittement à l’égard du chef d’introduction par effraction et de voies de fait graves, et inscrit une déclaration de culpabilité relativement à cette infraction. L’acquittement relatif à l’accusation de méfait n’était pas visé par l’art. 33.1 et n’a pas été porté en appel.
                    Arrêt : Le pourvoi est accueilli. L’article 33.1 du Code criminel est déclaré inconstitutionnel et inopérant par application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. L’acquittement prononcé relativement au chef d’accusation d’entrée par effraction dans une maison d’habitation et d’y avoir commis des voies de fait graves est rétabli.
                    Il ne s’agit pas d’une affaire d’ivresse. B a consommé une drogue qui, prise avec de l’alcool, a provoqué un comportement psychotique, délirant et involontaire. La responsabilité criminelle à l’égard d’actes violents provoqués seulement par l’alcool, qui ne relèvent pas de l’état psychotique s’apparentant à l’automatisme vécu par B, n’est pas en cause. Le sort de la déclaration d’inconstitutionnalité visant l’art. 33.1 n’a aucune incidence sur la règle voulant que l’intoxication sans automatisme ne soit pas un moyen de défense opposable aux crimes violents d’intention générale, telles les voies de fait ou l’agression sexuelle. Bien que l’art. 33.1 soit inconstitutionnel, le Parlement aurait très bien pu recourir à d’autres moyens pour réaliser ses objectifs légitimes en matière de lutte contre la violence perpétrée en état d’intoxication extrême. L’idée selon laquelle l’accusé qui se livre à des actes de violence alors qu’il se trouve dans un état d’intoxication volontaire extrême est moralement blâmable n’est pas exclue du champ d’application légitime du droit criminel. La protection des victimes de crimes violents — surtout à la lumière du droit à l’égalité et à la dignité des femmes et des enfants qui sont susceptibles d’être victimes de violences sexuelles et familiales aux mains de personnes intoxiquées — constitue un objectif social urgent et réel. Il était loisible au Parlement d’adopter une disposition législative visant à tenir des personnes extrêmement intoxiquées responsables d’un crime violent lorsqu’elles ont choisi de créer le risque de préjudice en ingérant des substances intoxicantes.
                    Le paragraphe 33.1(1) du Code criminel abolit le moyen de défense fondé sur l’intoxication volontaire s’apparentant à l’automatisme dans le cas des infractions violentes énumérées au par. 33.1(3) lorsque l’accusé s’écarte de façon marquée de la norme de diligence énoncée au par. 33.1(2). L’article 33.1 ne crée pas une nouvelle infraction sous‑jacente d’intoxication volontaire extrême ou une nouvelle infraction fondée sur la négligence criminelle. L’accusé doit supporter toute l’infamie d’une déclaration de culpabilité et toute la rigueur de la peine infligée pour l’infraction d’intention générale visée au par. 33.1(3). L’article 33.1 s’applique lorsque les trois conditions suivantes sont réunies : l’accusé était intoxiqué au moment des faits, cette intoxication était volontaire et l’accusé s’est écarté de façon marquée de la norme de diligence raisonnable généralement acceptée dans la société canadienne en portant atteinte ou en menaçant de porter atteinte à l’intégrité physique d’autrui. Lorsque ces trois éléments sont démontrés, l’accusé ne peut invoquer comme moyen de défense le fait qu’il n’avait pas l’intention générale ou la volonté requise pour commettre l’infraction visée au par. 33.1(3). Les conditions prévues à l’art. 33.1 ne constituent pas, ensemble ou séparément, une faute. Il s’agit des conditions de la responsabilité de l’accusé, comme le confirme l’emploi des mots « alors que » au par. 33.1(2). Pour établir l’existence de l’écart marqué décrit au par. 33.1(2), il faut faire la preuve de deux faits : la personne était dans un état d’intoxication volontaire qui la rendait inconsciente de sa conduite ou incapable de se maîtriser, et l’acte violent a été commis alors qu’elle se trouvait dans cet état. Ces faits sont des conditions à remplir pour engager la responsabilité, et non une faute, étant donné que ni l’un ni l’autre de ces éléments ne fait intervenir une norme de négligence criminelle. En conséquence, l’art. 33.1 renferme une présomption de faute criminelle à l’égard de l’infraction violente en raison du choix de l’accusé de s’intoxiquer. Ce que le Parlement voulait, c’était d’imposer une responsabilité pour l’infraction reprochée, et non pour l’intoxication volontaire en soi.
                    Les droits des victimes d’actes de violence commis par des personnes en état d’intoxication, en particulier les droits des femmes et des enfants, devraient être examinés à l’étape de la justification en vertu de l’article premier de la Charte au lieu de guider l’analyse d’une éventuelle violation des droits garantis à l’accusé par l’art. 7. La mise en balance des droits opposés garantis par la Charte dans le cadre de l’analyse relative à la violation de la Charte devrait se faire lorsque les droits de l’accusé et ceux d’une autre partie entrent en conflit et sont directement touchés par une action de l’État. Les droits à l’égalité, à la dignité et à la sécurité des groupes vulnérables sont à la base des principaux objectifs de politique sociale du Parlement, mais il est préférable de les examiner au regard de l’article premier.
                    L’article 33.1 contrevient à l’art. 7 de la Charte en permettant une déclaration de culpabilité sans preuve de mens rea ou preuve de volonté. Un principe de justice fondamentale veut qu’une déclaration de culpabilité criminelle exige au minimum la preuve d’une négligence pénale, sous la forme d’un écart marqué par rapport à la norme d’une personne raisonnable, sauf si la nature précise du crime exige une faute subjective. L’article 33.1 exige l’intention de s’intoxiquer, mais l’intention de s’intoxiquer à n’importe quel degré suffit — il importe peu que l’individu n’ait pas prévu sa perte de conscience ou de maîtrise, et l’article est muet sur le caractère licite ou illicite de la substance intoxicante ou sur ses propriétés connues. Pour cette raison, bien que l’art. 33.1 s’applique à ceux qui provoquent de manière téméraire leur perte de maîtrise, il englobe également la manifestation inattendue d’un comportement involontaire, par exemple la réaction imprévue à un médicament prescrit contre la douleur. Il impose également une responsabilité criminelle lorsque l’intoxication ne s’accompagne pas de la prévisibilité objective d’un préjudice. En outre, au lieu d’inviter le tribunal à se demander si une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris des mesures pour l’éviter et si l’omission de l’avoir fait constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence attendue dans les circonstances, l’art. 33.1 dispose qu’un écart marqué est réputé exister dès lors que la personne commet un acte violent alors qu’elle est dans un état d’intoxication volontaire extrême s’apparentant à l’automatisme. Puisque l’art. 33.1 permet à un tribunal de déclarer un accusé coupable sans preuve de la mens rea exigée par la Constitution, il viole l’art. 7 de la Charte. L’article 33.1 prévoit également que l’accusé est criminellement responsable de sa conduite involontaire. Comme l’absence de volonté écarte l’actus reus de l’infraction, la conduite involontaire n’est pas criminelle, et le droit reconnaît que l’exigence relative au caractère volontaire requis pour qu’une personne soit déclarée coupable d’un crime est un principe de justice fondamentale.
                    L’article 33.1 viole aussi le droit garanti à l’accusé par l’al. 11d) de la Charte d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable. Pour faire déclarer l’accusé coupable, la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels d’une infraction. Une directive du Parlement selon laquelle la preuve d’un fait est présumée être la preuve de l’un des éléments essentiels d’une infraction ne peut être conforme à l’al. 11d) que si, dans tous les cas, la preuve du fait substitué mène inexorablement à la conclusion que l’élément essentiel qu’il remplace existe. Sinon, l’accusé risque d’être déclaré coupable, sur le fondement de la preuve du fait substitué, malgré l’existence d’un doute raisonnable quant à l’élément essentiel de l’infraction ainsi remplacé. L’article 33.1 substitue irrégulièrement la preuve de l’intoxication volontaire à la preuve des éléments essentiels d’une infraction. La faute et la volonté de s’intoxiquer sont substituées à la faute et à l’intention de commettre l’infraction violente. Cela constitue une substitution irrégulière sur le plan constitutionnel. Il est impossible d’affirmer que, dans tous les cas prévus à l’art. 33.1, on peut substituer l’intention de s’intoxiquer à l’intention de commettre une infraction violente.
                    Le Parlement disposait d’un dossier faisant ressortir la forte corrélation qui existe entre la consommation d’alcool et de drogues et la perpétration d’infractions violentes, en particulier contre les femmes, et le dossier a attiré l’attention du Parlement sur les droits à l’égalité, à la dignité et à la sécurité de toutes les victimes d’actes de violence commis par des individus en état d’intoxication. Les objectifs de protection du public visés par le Parlement ne doivent pas être sous‑estimés : ces enjeux méritent une attention particulière aux deux principales étapes de l’analyse fondée sur l’article premier. La Couronne doit toutefois démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les limites imposées à l’art. 7 et à l’al. 11d) par l’art. 33.1 sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer au sens de l’article premier de la Charte. Étant donné le risque manifeste que l’art. 33.1 entraîne la déclaration de culpabilité d’un accusé qui n’avait aucune raison de croire que son intoxication volontaire donnerait lieu à des actes violents, l’art. 33.1 échoue à l’étape de la proportionnalité et ne peut donc être sauvegardé en vertu de l’article premier.
                    En ce qui concerne l’objectif urgent et réel, il faut cerner correctement l’objectif d’une disposition afin de justifier l’atteinte à la Charte, sinon l’opération n’est pas utile pour la mise en balance exigée par l’article premier. En adoptant l’art. 33.1, le Parlement a refusé au contrevenant extrêmement intoxiqué la défense d’automatisme pour réaliser deux objectifs légitimes : protéger les victimes d’actes de violence commis par un contrevenant en état d’intoxication extrême, en portant une attention particulière aux femmes et aux enfants dont le droit à la place égale dans la société est compromis par les agressions sexuelles et d’autres crimes violents d’intention générale en pareilles circonstances; et obliger les contrevenants à répondre de leur choix d’ingérer volontairement des substances intoxicantes, lorsque ce choix risque de donner lieu à un crime violent. L’objectif de protection est suffisamment urgent et réel pour justifier la restriction de droits garantis par la Charte — la protection du public contre les contrevenants en état d’intoxication est d’une importance suffisante pour justifier la dérogation à un droit ou à une liberté protégée par la Constitution. Quant à l’objectif de responsabilisation, il repose sur l’idée philosophique qu’un individu ne devrait pas être en mesure de créer les conditions de sa propre défense au criminel pour se soustraire à la responsabilité du crime commis. Un individu est responsable de son absence de volonté parce que son choix d’ingérer des substances intoxicantes et de devenir extrêmement intoxiqué finit par créer un risque de violence. Formulée ainsi, la responsabilisation dans ce contexte est urgente et réelle, et elle cadre bien dans l’analyse prescrite par Oakes.
                    Les effets de dissuasion et de dénonciation de l’art. 33.1 établissent un lien rationnel avec l’objectif de protection visé par le Parlement. S’il est vrai que l’art. 33.1 s’applique à l’accusé qui ne pouvait pas prévoir le risque de perte de maîtrise ou de lésions corporelles, il s’applique également aux situations dans lesquelles il existe un risque prévisible de perte de maîtrise et de préjudice. Tomberaient ainsi sous le coup de l’art. 33.1 les individus qui consomment une substance intoxicante à effets psychogènes, y compris ceux qui savent qu’ils ont déjà, par le passé, perdu la maîtrise de leurs actes alors qu’ils se trouvaient dans un état de psychose provoqué par une drogue. Il est raisonnable que le Parlement s’attende à ce que cette disposition ait un modeste effet dissuasif sur ces individus. Cet effet dissuasif décourage ceux qui envisagent de s’intoxiquer à un degré aussi extrême de le faire, et il existe en conséquence un lien rationnel entre l’art. 33.1 et son objectif de protection. De plus, il existe un lien rationnel entre l’art. 33.1 et l’objectif consistant à tenir les individus responsables, de la manière la plus complète possible, de leur choix de devenir extrêmement intoxiqués et de la violence perpétrée alors qu’ils se trouvent dans cet état. Il est évident que lorsqu’une personne ne peut faire valoir un moyen de défense qui pourrait entraîner son acquittement, elle doit répondre de ses actes.
                    L’article 33.1 ne porte toutefois pas minimalement atteinte aux droits garantis à l’accusé par l’art. 7 et l’al. 11d). Il existe des moyens moins attentatoires de réaliser les objectifs du Parlement de façon réelle et substantielle. On a proposé des solutions qui empiéteraient moins sur les droits de l’accusé, y compris une infraction autonome d’intoxication criminelle. Subsidiairement, un moyen de tenir les accusés responsables de l’infraction violente pourrait reposer sur une norme de négligence criminelle qui permettrait au juge des faits de déterminer si une perte de maîtrise et l’infliction de lésions corporelles étaient toutes deux raisonnablement prévisibles au moment de l’intoxication. Cette dernière solution pourrait permettre de déclarer l’accusé coupable de l’acte violent visé au par. 33.1(3) et non simplement d’intoxication négligente ou dangereuse, tout en respectant la norme minimale de faute objective exigée par la Constitution.
                    L’article 33.1 échoue aussi à l’étape de l’évaluation des avantages relatifs et des effets préjudiciables de la disposition en fonction de l’analyse prescrite dans Oakes. À la dernière étape de l’analyse fondée sur l’article premier, la question consiste à se demander s’il y a proportionnalité entre les effets globaux de la mesure qui porte atteinte à la Charte et les objectifs législatifs. Il faut pour ce faire procéder à l’évaluation la plus vaste possible des avantages de l’art. 33.1 pour la société, en les mettant en balance avec le prix à payer pour les restrictions apportées à l’art. 7 et à l’al. 11d) de la Charte. Pour ce qui est de ses effets bénéfiques, l’art. 33.1 exprime le lien étroit et pernicieux qui existe entre l’intoxication volontaire extrême et la violence, et confirme l’engagement de la société envers les droits à l’égalité et à la sécurité des personnes qui risquent d’être victimes de crimes commis par des individus en état d’intoxication. Il répond concrètement à l’inégalité en reconnaissant que les femmes et les enfants méritent la pleine protection de la loi et en condamnant les actes de violence familiale et fondée sur le genre commis par des personnes en état d’intoxication. Il englobe la consommation irresponsable et le mélange de substances intoxicantes susceptibles de mener à un état d’automatisme et à des actes violents, ce qui décourage de tels comportements et sensibilise les citoyens à l’égard du lien qui existe entre l’intoxication extrême et la violence. Il contribue à donner confiance au public dans le système de justice criminelle, mais il faut pondérer cet avantage et la reconnaissance des intérêts de la société dans un système de droit régi par les principes de justice fondamentale. En outre, il encourage la responsabilité personnelle à l’égard de l’intoxication volontaire, ce que le Parlement voyait comme une des racines des crimes violents.
                    Les effets préjudiciables de l’art. 33.1 sont toutefois sérieux et troublants. Sa lacune fondamentale réside dans le fait qu’il risque de donner lieu à des déclarations de culpabilité injustifiées. Il viole pratiquement tous les principes du droit pénal sur lesquels le droit s’appuie pour protéger les personnes moralement innocentes. Il permet de déclarer l’accusé coupable dans les cas où ce dernier a agi de façon involontaire ou ne possédait pas le degré minimal de faute requis, ainsi que dans les cas où la Couronne n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels de l’infraction reprochée à l’accusé. Puisque l’art. 33.1 n’intègre pas un critère de prévisibilité objective, il est impossible de dire qui sont les personnes, parmi celles qui ingèrent volontairement des substances intoxicantes, qui sont suffisamment blâmables pour justifier l’opprobre et la peine associés à l’infraction visée au par. 33.1(3) dont elles sont accusées. Lorsque la substance intoxicante est licite, ou qu’aucune personne raisonnable n’anticiperait le risque d’automatisme, la culpabilité découlant d’une intoxication volontaire est relativement faible et vraisemblablement disproportionnée par rapport à la peine dont serait passible l’individu s’il était reconnu coupable d’une infraction commise alors qu’il se trouvait dans un état s’apparentant à l’automatisme. On ne peut conclure que des personnes moralement innocentes ne seront pas punies. Il s’agit là d’un effet préjudiciable extrêmement grave. En outre, l’art. 33.1 punit de façon disproportionnée ceux qui causent involontairement un préjudice, contrairement au principe selon lequel la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction.
                    La Couronne ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que l’art. 33.1 procure de manière équitable les avantages suggérés par la preuve. Il existe des solutions de rechange socialement et constitutionnellement acceptables à l’exception découlant de l’arrêt Daviault qui permettent de réaliser les objectifs légitimes de la loi d’une façon plus équitable que ne le prévoit l’art. 33.1. Sans l’art. 33.1, les avantages liés à la responsabilisation et à la protection seront protégés par l’application des règles de common law qui empêchent la défense d’intoxication, y compris dans le cas des crimes de violence d’intention générale. Le Parlement peut promouvoir davantage par d’autres moyens la réalisation de ces objectifs en ce qui concerne l’intoxication volontaire extrême s’apparentant à l’automatisme. On ne saurait ignorer l’importance qu’il convient d’attribuer aux principes de justice fondamentale et à la présomption d’innocence. L’article 33.1 porte atteinte à des principes fondamentaux qui sont au cœur même du système canadien de droit pénal, il crée un régime de responsabilité qui ne tient pas compte des principes destinés à protéger les innocents et il envoie le message qu’il est plus important d’obtenir une déclaration de culpabilité que de respecter les principes de base de la justice. Son impact sur les principes de justice fondamentale est disproportionné par rapport à ses grands avantages d’intérêt public. Il doit en conséquence être déclaré inconstitutionnel et inopérant.
Jurisprudence
                    Arrêt appliqué : R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103; arrêts examinés : R. c. Sullivan, 2020 ONCA 333, 151 O.R. (3d) 353; R. c. Daviault, 1994 CanLII 61 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 63; arrêts mentionnés : R. c. Stone, 1999 CanLII 688 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 290; Rabey c. La Reine, 1980 CanLII 44 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 513; R. c. Luedecke, 2008 ONCA 716, 93 O.R. (3d) 89; R. c. Sullivan, 2022 CSC 19; Renvoi relatif à la Motor Vehicle Act (C.‑B.), 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486; R. c. Creighton, 1993 CanLII 61 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 3; Leary c. La Reine, 1977 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 29; R. c. Bernard, 1988 CanLII 22 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 833; Director of Public Prosecutions c. Beard, [1920] A.C. 479; R. c. Chaulk, 1990 CanLII 34 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 1303; R. c. Parks, 1992 CanLII 78 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 871; Bratty c. Attorney‑General for Northern Ireland, [1963] A.C. 386; R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687; R. c. Bouchard‑Lebrun, 2011 CSC 58, [2011] 3 R.C.S. 575; R. c. Théroux, 1993 CanLII 134 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 5; R. c. Vaillancourt, 1987 CanLII 2 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 636; R. c. Hundal, 1993 CanLII 120 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 867; R. c. Roy, 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60; R. c. Penno, 1990 CanLII 88 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 865; R. c. DeSousa, 1992 CanLII 80 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 944; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331; Dagenais c. Société Radio‑Canada, 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835; R. c. Mills, 1999 CanLII 637 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 668; R. c. Malmo‑Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571; R. c. George, 2017 CSC 38, [2017] 1 R.C.S. 1021; R. c. Levigne, 2010 CSC 25, [2010] 2 R.C.S. 3; R. c. Chaulk, 2007 NSCA 84, 257 N.S.R. (2d) 99; R. c. Morrison, 2019 CSC 15, [2019] 2 R.C.S. 3; R. c. Vickberg (1998), 1998 CanLII 15068 (BC SC), 16 C.R. (5th) 164; Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, 1995 CanLII 112 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 1031; R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49; R. c. Cooper, 1993 CanLII 147 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 146; R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, [2016] 1 R.C.S. 906; Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, [2019] 1 R.C.S. 3; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567; R. c. Robinson, 1996 CanLII 233 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 683; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199; Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61; R. c. Martineau, 1990 CanLII 80 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 633; R. c. Dunn (1999), 28 C.R. (5th) 295; Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1993 CanLII 75 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 519; R. c. Brenton (1999), 1999 CanLII 4334 (NWT SC), 180 D.L.R. (4th) 314; R. c. Chan, 2018 ONSC 3849, 365 C.C.C. (3d) 376; R. c. Stevens, 1988 CanLII 44 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 1153; R. c. Hess, 1990 CanLII 89 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 906.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 11, 15, 28.
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, partie I, art. 33.1.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.
Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire), L.C. 1995, c. 32, préambule.
Doctrine et autres documents cités
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Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 133, no 177, 1re sess., 35e lég., 27 mars 1995, p. 11037‑11039.
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 133, no 224, 1re sess., 35e lég., 22 juin 1995, p. 14470.
Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la Justice et des questions juridiques. Procès‑verbaux et témoignages du Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, no 98, 1re sess., 35e lég., 6 avril 1995, p. 6, 17.
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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Slatter, Khullar et Hughes), 2021 ABCA 273, 30 Alta L.R. (7th) 1, 404 C.C.C. (3d) 311, [2021] 11 W.W.R. 191, [2021] A.J. No. 1028 (QL), 2021 CarswellAlta 1808 (WL Can.), qui a infirmé une décision de la juge Hollins, 2020 ABQB 166, 9 Alta. L.R. (7th) 375, [2020] A.J. No. 294 (QL), 2020 CarswellAlta 442 (WL Can.). Pourvoi accueilli.
                    Sean Fagan et Michelle Biddulph, pour l’appelant.
                    Deborah J. Alford, pour l’intimée.
                    Michael H. Morris, Roy Lee et Rebecca Sewell, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
                    Michael Perlin et Jeffrey Wyngaarden, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
                    Ami Kotler, pour l’intervenant le procureur général du Manitoba.
                    Lara Vizsolyi, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique.
                    Noah Wernikowski, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.
                    Anil K. Kapoor et Dana Achtemichuk, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
                    Carter Martell, Anita Szigeti, Sarah Rankin et Maya Kotob, pour l’intervenant Empowerment Council.
                    Lindsay Daviau et Eric Neubauer, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association.
                    Lara Kinkartz et Megan Stephens, pour l’intervenant le Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes.
 
                  Version française du jugement de la Cour rendu par
 
                    Le juge Kasirer —
I.               Aperçu
[1]                             À la suite d’une fête au cours de laquelle il avait consommé de l’alcool et des « champignons magiques », Matthew Winston Brown a violemment agressé Janet Hamnett, une personne qu’il ne connaissait pas et qui n’avait rien fait pour provoquer l’agression. Au moment des faits, M. Brown se trouvait dans ce que la juge du procès a qualifié de [traduction] « délire dû à une intoxication par une substance » qui était extrême au point de « s’apparenter à l’automatisme » (2020 ABQB 166, 9 Alta. L.R. (7th) 375, par. 87). Bien que capable de mouvements physiques, il se trouvait dans un état de délire et n’avait aucune maîtrise de ses gestes. L’intoxication extrême de M. Brown s’apparentant à l’automatisme avait été provoquée par l’ingestion volontaire de champignons magiques contenant une drogue appelée psilocybine. Monsieur Brown a été acquitté à son procès. La Cour d’appel de l’Alberta a annulé ce verdict et l’a déclaré coupable de voies de fait graves, une infraction d’intention générale.
[2]                             En common law, l’automatisme désigne « un état de conscience diminué, plutôt qu’une perte de conscience, dans lequel la personne, quoique capable d’agir, n’a pas la maîtrise de ses actes » (R. c. Stone, 1999 CanLII 688 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 290, par. 156). On affirme parfois que l’automatisme a pour effet de provoquer des mouvements involontaires lorsqu’il n’y a aucun lien entre le corps et l’esprit (voir Rabey c. La Reine, 1980 CanLII 44 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 513, p. 518). Parmi les exemples souvent cités, mentionnons le mouvement involontaire d’une personne qui a subi une crise cardiaque ou des convulsions. La conduite involontaire en ce sens ne saurait être criminelle (voir R. c. Luedecke, 2008 ONCA 716, 93 O.R. (3d) 89, par. 53‑56, s’appuyant en particulier sur l’arrêt Rabey, p. 519 (le juge Ritchie), et p. 545 (le juge Dickson, plus tard juge en chef, dissident mais non sur ce point)).
[3]                             Le pourvoi formé par M. Brown devant notre Cour porte sur les circonstances dans lesquelles les personnes accusées de certains crimes violents peuvent invoquer l’intoxication extrême volontaire pour démontrer qu’elles n’avaient pas l’intention générale ou la volonté habituellement requise pour justifier une déclaration de culpabilité et une peine. Des questions similaires sont au cœur des pourvois formés par la Couronne dans les affaires R. c. Sullivan et R. c. Chan, où des jugements sont rendus simultanément avec le présent arrêt (R. c. Sullivan, 2022 CSC 19) (les « pourvois Sullivan et Chan »). Dans ces trois affaires, la Cour est invitée à se prononcer sur la constitutionnalité de la Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire), L.C. 1995, c. 32 (« projet de loi C‑72 »), à la lumière, d’une part, des principes de justice fondamentale et de la présomption d’innocence garantis à l’accusé par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés et, d’autre part, de l’objectif du Parlement de protéger les victimes — en particulier les femmes et les enfants — des actes de violence commis par des individus en état d’intoxication et d’obliger les auteurs de ces violences à répondre de leurs actes.
[4]                             L’ivresse n’est pas en cause dans les affaires précitées. L’accusé dans chacun de ces pourvois a consommé des drogues qui, prétendent‑ils, prises seules ou avec de l’alcool, ont provoqué un comportement psychotique, délirant et involontaire, des réactions que l’on n’associe généralement pas à l’ivresse. Comme je le signale plus loin, il y a de bonnes raisons de croire que le Parlement savait que l’alcool seul ne risque pas d’entraîner l’état de délire s’apparentant à l’automatisme qu’il cherchait à réglementer en adoptant l’art. 33.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46. Tel que l’a écrit le juge Lauwers dans R. c. Sullivan, 2020 ONCA 333, 151 O.R. (3d) 353, [traduction] « il n’est pas certain que l’intoxication alcoolique extrême entraîne un trouble d’automatisme non mental du point de vue de la science élémentaire » (par. 288). Quoi qu’il en soit, les présents motifs ne se prononcent pas sur la responsabilité criminelle à l’égard d’actes violents provoqués seulement par l’alcool, qui ne relèvent pas d’un état psychotique s’apparentant à l’automatisme vécu par M. Brown et dont a parlé le juge du procès. Je maintiens expressément la règle de common law selon laquelle l’ivresse, en l’absence d’une preuve scientifique claire d’automatisme, ne constitue pas un moyen de défense opposable aux crimes d’intention générale, y compris aux crimes violents telle l’agression sexuelle.
[5]                             Il convient donc de souligner que M. Brown n’était pas simplement ivre ou drogué. En clair, selon le droit au Canada, l’intoxication sans automatisme n’est pas un moyen de défense opposable au type de crime violent en cause dans l’affaire qui nous occupe. Le sort des questions constitutionnelles dans les présents pourvois n’a aucune incidence sur la règle voulant que l’intoxication sans automatisme ne soit pas un moyen de défense opposable aux crimes violents d’intention générale au Canada.
[6]                             Le Parlement a adopté l’art. 33.1 principalement en réaction à l’arrêt R. c. Daviault, 1994 CanLII 61 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 63. Dans cet arrêt, la Cour a confirmé la validité de la règle de common law suivant laquelle l’intoxication n’est pas un moyen de défense opposable aux crimes d’intention générale. Dans l’arrêt Daviault, les juges majoritaires ont toutefois reconnu qu’en raison de la Charte, il était nécessaire de prévoir une exception à la règle de common law. Ainsi, lorsque l’accusé est dans un état d’intoxication si extrême qu’il se trouve dans un état s’apparentant à l’automatisme, il y aurait violation de l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte si on le déclarait coupable de l’infraction reprochée. Il serait injuste, a estimé la Cour, de tenir une personne responsable de crimes commis alors qu’elle se trouvait dans un état d’automatisme, car elle est incapable de commettre volontairement un acte coupable ou d’avoir une intention coupable.
[7]                             Dans le présent pourvoi et les pourvois Sullivan et Chan, les procureurs de la Couronne rappellent que l’exception établie dans l’arrêt Daviault a suscité à l’époque l’incompréhension et la réprobation du public. Dans sa dissidence, le juge Sopinka avait anticipé ce tollé lorsqu’il a écrit que l’individu qui s’intoxique volontairement pour ensuite causer de graves lésions corporelles à autrui était « loin d’être sans reproche » (p. 128). Afin de remédier aux lacunes constitutionnelles relevées par les juges majoritaires de la Cour d’une manière qui tienne dûment compte des propos formulés dans cet arrêt par le juge dissident au sujet de la culpabilité de l’accusé qui s’intoxique à l’extrême volontairement, le Parlement a adopté l’art. 33.1. La nouvelle disposition visait à empêcher l’accusé qui est dans un état d’intoxication extrême d’invoquer la défense d’automatisme et à instaurer une certaine forme de responsabilité criminelle conforme à la Constitution pour l’infraction violente visée au par. 33.1(3). La Couronne et les procureurs généraux intervenants nous exhortent à interpréter l’art. 33.1 comme une disposition qui responsabilise légitimement les auteurs de crimes violents en appliquant une norme de négligence criminelle qui répond aux réserves formulées par notre Cour dans l’arrêt Daviault au sujet des violations de la Charte.
[8]                             Mais la disposition contestée du Code criminel ne précise pas le degré de responsabilité criminelle qu’il convient d’attribuer en cas d’intoxication. L’article 33.1 n’attribue une responsabilité à l’auteur de l’infraction violente que s’il a porté atteinte à l’intégrité physique d’autrui « alors » qu’il était dans un état d’intoxication volontaire qui le rendait incapable de se maîtriser consciemment. L’article 33.1 considère l’intoxication volontaire extrême, prévisible ou non, non pas comme une faute fondée sur la négligence criminelle, mais comme une condition de la responsabilité pour l’infraction violente visée au par. 33.1(3).
[9]                             Par conséquent, l’accusé risque d’être déclaré coupable de l’infraction d’intention générale en cause — dans le cas de M. Brown, de voies de fait graves — en raison d’actes accomplis alors qu’il était incapable de commettre l’acte coupable (l’actus reus) ou d’avoir l’intention coupable (la men rea) requise pour justifier une déclaration de culpabilité et une peine. Un tel individu n’est pas tenu responsable d’actes qu’il a commis dans l’exercice de son libre‑arbitre — y compris de son choix d’ingérer une substance intoxicante alors que ni le risque d’automatisme ni le risque de préjudice n’étaient nécessairement prévisibles. Au contraire, l’accusé est appelé à répondre du crime d’intention générale qu’il ne peut pas commettre volontairement ou délibérément, une infraction dont il peut être moralement innocent suivant le droit criminel ainsi que l’art. 7 et l’al. 11d). Priver une personne de sa liberté pour des actes involontaires commis alors qu’elle se trouvait dans un état s’apparentant à l’automatisme — des actes qui ne sauraient être criminels — viole les principes de justice fondamentale dans un système de justice criminelle fondé sur la responsabilité personnelle de chacun pour ses actes. À première vue, non seulement le libellé de l’art. 33.1 n’établit pas une faute constitutionnellement valide pour l’infraction visée à son troisième paragraphe, mais il crée ce qui équivaut à un crime de responsabilité absolue.
[10]                        Je m’empresse d’ajouter que le Parlement aurait très bien pu recourir à d’autres moyens pour réaliser ses objectifs légitimes en matière de lutte contre la violence perpétrée en état d’intoxication extrême. L’idée selon laquelle l’accusé qui se livre à des actes de violence alors qu’il se trouve dans un état d’intoxication volontaire extrême est moralement blâmable n’est d’aucune façon exclue du champ d’application légitime du droit criminel. La protection des victimes de crimes violents — surtout à la lumière du droit à l’égalité et à la dignité des femmes et des enfants qui sont susceptibles d’être victimes de violences sexuelles et familiales aux mains de personnes intoxiquées — constitue un objectif social urgent et réel. Et comme je m’efforcerai de le démontrer, il était loisible au Parlement d’adopter une disposition législative visant à tenir des personnes extrêmement intoxiquées responsables d’un crime violent lorsqu’elles ont choisi de créer le risque de préjudice en ingérant des substances intoxicantes.
[11]                        Les solutions de rechange afin de remédier à la fragilité constitutionnelle de l’art. 33.1 établissent un équilibre différent entre les droits individuels et les intérêts collectifs et, sans aucun doute, chacune de ces solutions présente des avantages et des inconvénients sur le plan de la politique sociale. Certaines de ces solutions seraient de toute évidence plus équitables pour l’accusé tout en permettant d’atteindre certains des objectifs du Parlement, sinon tous. Je suis conscient qu’il n’appartient pas aux tribunaux d’élaborer des politiques sociales, et encore moins de rédiger des lois à l’intention du Parlement, dès lors que les tribunaux ne sont pas conçus, sur le plan institutionnel, pour de telles tâches. Il est toutefois utile pour l’analyse qui suit de rappeler, comme l’ont fait remarquer les juges majoritaires dans l’arrêt Daviault lui‑même (p. 100), et les juges majoritaires de la Cour d’appel dans l’arrêt Sullivan (par. 132), qu’il serait vraisemblablement loisible au Parlement de créer une infraction autonome d’intoxication criminelle. D’autres personnes, y compris le juge qui a tenu le voir‑dire dans le cas qui nous occupe (2019 ABQB 770, par. 80 (CanLII)), ont suggéré qu’il serait possible de tenir l’auteur de ces actes responsable de l’infraction visée au par. 33.1(3) si la norme juridique de la négligence criminelle exigeait que l’on démontre à la fois que le risque d’une perte de maîtrise et le risque du préjudice en découlant étaient raisonnablement prévisibles. Dans l’un ou l’autre scénario, le Parlement édicterait une loi qui serait fondée sur « l’instinct moral » selon lequel la personne qui choisit de s’intoxiquer à l’extrême peut légitimement être tenue responsable d’avoir créé une situation où elle menace l’intégrité physique d’autrui (j’emprunte l’expression [traduction] « instinct moral » aux professeurs M. Plaxton et C. Mathen, « What’s Right With Section 33.1 » (2021), 25 Rev. can. D.P. 255, p. 257).
[12]                        Le Parlement n’a ni créé une nouvelle infraction d’intoxication dangereuse ni adopté un nouveau mode de responsabilité pour des infractions violentes déjà existantes en fonction d’une norme appropriée de négligence criminelle. En toute déférence, force m’est de conclure que le chemin qu’a emprunté le Parlement en adoptant l’art. 33.1 ne respectait pas la Constitution au regard de l’art. 7 et de l’al. 11d) de la Charte. Je ne puis souscrire à la déclaration suivante faite par le ministre de la Justice lors de la troisième lecture de l’art. 33.1 au Parlement : « . . . le projet de loi C‑72 est fondamentalement juste tant pour les victimes de violence que pour les personnes accusées de crimes violents » (Débats de la Chambre des communes (« Hansard »), vol. 133, no 224, 1re sess., 35e lég., 22 juin 1995, p. 14470).
[13]                        Les violations des droits de l’accusé par l’art. 33.1 sur le plan des principes de justice fondamentale et de la présomption d’innocence sont graves. Malgré l’objectif louable du Parlement, l’art. 33.1 n’est pas sauvegardé par l’article premier de la Charte. Les objectifs légitimes consistant à protéger les victimes de tels crimes et à tenir responsables les auteurs de ces crimes qui s’intoxiquent à l’extrême volontairement, aussi impérieux soient‑ils, ne justifient pas ces violations de la Charte, qui portent aussi radicalement atteinte aux préceptes du droit criminel. En édictant l’art. 33.1, le Parlement a créé un risque sérieux qu’une personne extrêmement intoxiquée soit déclarée coupable et punie alors que, quoiqu’elle puisse être blâmable à certains égards, elle est innocente de l’infraction qui lui est reprochée eu égard aux exigences de la Constitution.
[14]                        Dans le cas de M. Brown, si l’on se fie aux conclusions de fait tirées au procès, une seule conclusion s’impose. On peut très bien reprocher à M. Brown d’avoir choisi de boire de l’alcool et d’ingérer des champignons magiques avant de s’en prendre à Mme Hamnett, mais ces reproches ne sauraient engager sa responsabilité criminelle pour les voies de fait graves survenues alors qu’il était dans un état de délire s’apparentant à un automatisme. Selon la norme constitutionnelle applicable, il n’a pas commis de façon volontaire l’acte coupable de voies de fait graves, et il était incapable de former le degré minimal de mens rea requis pour pouvoir être déclaré coupable de cette infraction. À mon humble avis, lui infliger une peine dans ces circonstances, aussi exceptionnelles soient‑elles, serait intolérable dans le cadre d’une société libre et démocratique. Le droit impose à notre Cour le devoir solennel et onéreux de déclarer l’art. 33.1 inconstitutionnel (voir le Renvoi relatif à la Motor Vehicle Act (C.‑B.), 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486 (« Renvoi sur la MVA »), p. 497). Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’annuler le jugement de la Cour d’appel, de déclarer l’art. 33.1 inopérant par application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et de rétablir l’acquittement de M. Brown prononcé au procès.
II.            Contexte
[15]                        Lors d’une fête chez un ami, un soir de janvier à Calgary, M. Brown a ingurgité six ou sept boissons alcoolisées et quelques bières et consommé plusieurs portions d’un demi‑gramme ou moins de champignons magiques. Âgé de 26 ans, il en était à sa dernière année d’université et savait que la psilocybine contenue dans les champignons magiques était une drogue illégale susceptible de provoquer des hallucinations. Il avait déjà essayé une fois les champignons magiques et pensait qu’ils procuraient généralement une [traduction] « sensation d’hébétude agréable » (motifs de première instance, par. 38).
[16]                        Comme M. Brown l’a déclaré à son procès, vers 1 h 30 du matin, il s’est senti [traduction] « bizarre » et a commencé à « perdre contact avec la réalité » (d.a., vol. V, p. 13). Monsieur Brown, qui n’a aucun souvenir de l’avoir fait, s’est déshabillé et est sorti de la maison dans un état d’agitation vers 3 h 45, courant nu et pieds nus dans la nuit froide, en plein hiver. Ses amis l’ont cherché pendant environ 10 à 15 minutes, puis ont appelé la police.
[17]                        Dans une maison située à proximité, Janet Hamnett a été réveillée vers 4 h du matin par un grand bruit. Lorsqu’elle s’est levée pour chercher d’où provenait le bruit, elle s’est fait attaquer par un inconnu qu’elle a décrit par la suite comme un individu fort imposant qui hurlait à tue‑tête. L’intrus était M. Brown. Madame Hamnett est tombée au sol et a tenté de se protéger avec ses bras contre les coups répétés que lui assenait M. Brown avec un manche à balai brisé. La tête, le visage et les bras maculés de sang, elle a réussi à se rendre dans une salle de bain et à verrouiller la porte. Monsieur Brown est sorti dans la rue. Une fois le calme apparemment revenu, Mme Hamnett s’est réfugiée chez un voisin et la police a alors été appelée. Lors de l’agression, elle a subi des coupures et des contusions, ainsi que des fractures à la main droite qui ont entraîné des blessures permanentes. Elle a également subi un préjudice psychologique à la suite de l’agression.
[18]                        Vers 5 h du matin, M. Brown s’est introduit par effraction dans la résidence des Varshney, située à environ un kilomètre de là, après avoir fracassé la fenêtre de la porte d’entrée à l’aide d’un objet lourd. Monsieur et Madame Varshney, qui ne connaissaient pas M. Brown, ont entendu des cris et des bruits de verre brisé. Ils sont parvenus à se réfugier dans leur chambre et à appeler la police. Les policiers ont trouvé M. Brown gisant nu sur le sol d’une salle de bains. Il murmurait et semblait désorienté; ses pieds étaient visiblement meurtris et ensanglantés. Monsieur Brown a obtempéré aux ordres des policiers et a reçu des soins médicaux. Il se souvient avoir repris connaissance à l’hôpital et s’être réveillé plus tard dans une cellule de prison. Monsieur Brown a par la suite déclaré qu’il n’avait aucun souvenir de ce qui s’était passé dans l’une ou l’autre de ces deux maisons.
[19]                        Monsieur Brown n’avait pas de casier judiciaire et aucun antécédent de troubles mentaux. Il a été accusé d’un chef d’introduction par effraction dans le domicile de Mme Hamnett et d’y avoir commis l’acte criminel de voies de fait graves et d’un chef d’introduction par effraction dans le domicile des Varshney et d’y avoir commis l’acte criminel de méfait à l’égard d’un bien de plus de 5 000 $.
[20]                        Au procès, M. Brown a affirmé qu’il n’était pas coupable, pour cause d’automatisme, des infractions qui pesaient contre lui. Il a soutenu que ses facultés étaient tellement affaiblies par la consommation de psilocybine que ses actes étaient involontaires et qu’il n’avait pas la mens rea requise pour pouvoir être déclaré coupable de voies de fait graves ou de méfait à l’égard d’un bien. La preuve d’expert présentée au procès a confirmé que la psilocybine était le [traduction] « facteur causal évident » de ce qu’on a appelé le délire de l’accusé (motifs de première instance, par. 73). Compte tenu de cette preuve, on a dit que M. Brown n’avait pas la maîtrise de ses actes au moment des faits reprochés.
[21]                        La Couronne a invoqué l’art. 33.1 pour empêcher M. Brown de plaider l’intoxication volontaire s’apparentant à l’automatisme comme moyen de défense contre l’accusation de voies de fait graves. Monsieur Brown a rétorqué que, dans la mesure où l’art. 33.1 l’empêchait d’invoquer l’automatisme comme moyen de défense, cette disposition violait l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte et ne pouvait être sauvegardée en vertu de l’article premier. Il a affirmé qu’il devait pouvoir invoquer ce moyen de défense contre les deux accusations, y compris l’infraction relative aux voies de fait graves à laquelle l’art. 33.1 était censé s’appliquer.
III.         Décisions des juridictions inférieures
A.           Cour du Banc de la Reine de l’Alberta
(1)         La décision sur la constitutionnalité, 2019 ABQB 770 (le juge deWit)
[22]                        Dans un jugement rendu à la suite d’un voir‑dire, le juge deWit a conclu que l’art. 33.1 violait les principes de justice fondamentale et la présomption d’innocence garantis par la Charte, et qu’il n’était par ailleurs pas justifié en vertu de l’article premier.
[23]                        Le juge qui a tenu le voir‑dire a fait observer que l’art. 33.1 [traduction] « ne traite pas des conséquences des actes criminels », mais « exclut simplement toute preuve ou tout argument concernant la mens rea et le caractère volontaire des actes de l’accusé » (par. 29‑30). Il a conclu que l’art. 33.1 permettait de déclarer coupable un accusé en l’absence de preuve que l’infraction violente visée au par. 33.1(3) avait été commise de façon intentionnelle ou volontaire, ce qui contrevient à l’art. 7 de la Charte (par. 31). Selon lui, l’art. 33.1 opère plutôt de manière semblable à un régime de responsabilité absolue. Le juge a également statué que l’art. 33.1 permettait de déclarer l’accusé coupable même lorsqu’il existait un doute raisonnable quant aux éléments essentiels de l’infraction reprochée, en contravention avec l’al. 11d) (par. 37).
[24]                        Le juge a ensuite conclu que ces limites ne pouvaient raisonnablement se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique. Il a toutefois reconnu que cette disposition visait des objectifs urgents et réels dont il fallait tenir compte pour l’application de l’article premier de la Charte. Cependant, l’art. 33.1 ne portait pas selon lui une atteinte minimale, étant donné qu’il existait des moyens moins attentatoires de réaliser les objectifs de protection et de responsabilisation visés par le Parlement (par. 80). Pour le juge qui a tenu le voir‑dire, les effets préjudiciables de l’art. 33.1 l’emportaient sur ses avantages. Le principal défaut de l’art. 33.1 est le fait qu’il porte atteinte à des principes [traduction] « sacro‑saints » du système juridique qui sont conçus pour éviter que des personnes moralement innocentes soient de déclarées coupables (par. 89). Cet effet négatif de la disposition l’emportait sur ses avantages, d’autant plus que le Parlement aurait pu adopter une règle mieux adaptée à la consommation de substances intoxicantes et à leurs effets.
[25]                        Le juge qui a tenu le voir‑dire a déclaré l’art. 33.1 inopérant par application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Par conséquent, M. Brown avait le droit d’invoquer le moyen de défense de l’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme que l’art. 33.1 visait à exclure.
(2)         Motifs de jugement sur le fond, 2020 ABQB 166, 9 Alta. L.R. (7th) 375 (la juge Hollins)
[26]                        Au procès, M. Brown a présenté des preuves à l’appui de la défense d’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme. La juge Hollins a déclaré que chaque élément de preuve important permettait de conclure à l’automatisme.
[27]                        La juge du procès a conclu que M. Brown était en proie à un délire provoqué par sa consommation de psilocybine, [traduction] « ce qui signifie qu’il n’agissait pas volontairement lorsqu’il a commis ces infractions et qu’il n’était pas conscient de ses actes » (par. 34). On a présenté des témoignages d’experts selon lesquels la conduite de M. Brown était involontaire au moment des infractions et qu’il n’avait aucune maîtrise consciente ni conscience de sa conduite. Un psychologue judiciaire, le Dr Thomas Dalby, a déclaré que le délire de M. Brown avait été causé par la psilocybine et que sa réaction était [traduction] « imprévue » (d.a., vol. III, p. 318). Un spécialiste en pharmacologie, le Dr Mark Yarema, a convenu que la psilocybine pouvait [traduction] « provoquer un état qui s’apparente à un automatisme au sens juridique » (d.a., vol. III, p. 241). À son avis, les actes de M. Brown étaient ceux d’une personne [traduction] « qui a perdu contact avec la réalité, qui n’a pas un niveau de conscience normal et qui n’a pas la maîtrise de ses actes » (d.a., vol. III, p. 242).
[28]                        La juge Hollins a accepté ces conclusions ainsi que le témoignage d’autres personnes, dont les victimes, qui étaient selon elle toutes crédibles. Ce moyen de défense pouvait être opposé à l’accusation de méfait à l’égard d’un bien en common law ainsi qu’à l’accusation de voies de fait graves, étant donné que l’art. 33.1 avait été déclaré inopérant par son collègue, le juge deWit. Elle a par conséquent prononcé l’acquittement à l’égard des deux chefs d’accusation
B.            Cour d’appel de l’Alberta, 2021 ABCA 273, 30 Alta. L.R. (7th) 1 (les juges Slatter, Khullar et Hughes)
[29]                        Dans des opinions distinctes rédigées par les juges Slatter, Khullar et Hughes, la Cour d’appel a infirmé le jugement du juge deWit déclarant l’art. 33.1 inopérant. La Cour d’appel a annulé l’acquittement à l’égard du premier chef d’accusation et a inscrit une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction incluse de voies de fait graves. L’acquittement relatif à l’accusation de méfait, laquelle n’était pas visée par l’art. 33.1, n’avait pas été porté en appel.
[30]                        Les juges Slatter et Hughes ont tous deux estimé que le juge ayant tenu le voir-dire avait commis une erreur en concluant que l’art. 33.1 violait l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte.
[31]                        Pour le juge Slatter, la Cour suprême a [traduction] « expressément invité le Parlement à faire précisément ce qu’il a fait, à savoir légiférer pour combler le vide créé par l’arrêt Daviault, en prévoyant que le résultat serait conforme à l’art. 7 » (par. 14). Selon le juge Slatter, il n’y avait pas violation du principe du caractère volontaire parce qu’il était acceptable que le Parlement criminalise l’intoxication volontaire dans des situations où le risque de préjudice que l’on crée soi‑même est objectivement prévisible. Il a ajouté qu’il n’y avait pas violation de l’exigence constitutionnelle relative à la mens rea, parce qu’à l’art. 33.1, le Parlement a adopté la norme de l’écart marqué, qui a été acceptée comme une faute suffisante, notamment dans l’arrêt R. c. Creighton, 1993 CanLII 61 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 3. La seule exigence que prévoit la Constitution est l’existence d’un [traduction] « risque objectivement prévisible de causer des lésions corporelles » (par. 26 (souligné dans l’original)). Enfin, le Parlement n’avait pas selon lui irrégulièrement remplacé l’obligation de prouver les éléments essentiels de l’infraction reprochée par celle de démontrer l’intoxication extrême, puisque l’art. 33.1 avait simplement « redéfini » la mens rea exigée pour les infractions d’intention générale (par. 27). Le juge Slatter a conclu que l’individu qui [traduction] « ingère une drogue dangereuse » est responsable des risques objectivement prévisibles associés à son intoxication volontaire (par. 30). [traduction] « Il s’ensuit », a‑t‑il écrit, « que le Parlement n’a rien fait d’inconstitutionnel en instaurant la responsabilité criminelle fondée sur les risques inhérents à l’intoxication volontaire » (par. 34).
[32]                        À titre subsidiaire, a déclaré le juge Slatter, l’art. 33.1 serait sauvegardé par l’article premier. On peut reconnaître que les objectif précis de protéger les citoyens contre les crimes violents et de tenir les citoyens violents responsables de leurs actes sont urgents et réels, sans compter [traduction] « l’objectif général du droit pénal de protéger les valeurs sociales fondamentales » (par. 61). La disposition comporte des avantages évidents : elle affirme des valeurs sociales fondamentales en matière de protection des femmes et des enfants, elle rétablit la confiance dans le système de justice, elle encourage le signalement des crimes, elle dénonce la consommation de substances illégales et elle cherche à dissuader ceux qui seraient tentés d’en consommer. Ces avantages l’emportent sur tous les effets préjudiciables. [traduction] « Cette disposition ne touche pas les personnes qui sont véritablement innocentes sur le plan moral », a écrit le juge Slatter (par. 81). Il a statué que [traduction] « tenir les individus comme [M. Brown] responsables de leur décision de consommer des substances dont on sait qu’elles affectent le comportement humain peut se justifier » (par. 85). Le juge Slatter a conclu qu’il y avait lieu d’accueillir l’appel, d’annuler la déclaration d’inconstitutionnalité et d’inscrire une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction de voies de fait graves.
[33]                        Dans ses motifs concordants, la juge Hughes a écrit que l’art. 33.1 exige une faute qui témoigne d’un écart marqué par rapport à la norme de diligence de la personne raisonnable. Aucune violation pour cause de substitution des éléments constitutifs de l’infraction ne résultait de cet article, puisque le Parlement avait créé une norme de faute objective différente. Les accusés peuvent toujours soulever un doute raisonnable sur la question de savoir si leur intoxication était volontaire ou imprévue. Il n’y avait aucune violation de la Charte. La juge Hughes a ajouté qu’au cas où elle aurait tort sur ce point, elle se rallierait alors à l’avis de ses collègues suivant lequel l’art. 33.1 est sauvegardé par l’article premier.
[34]                        Dans ses motifs concordants quant au résultat, la juge Khullar a conclu qu’il y avait eu violation de l’art. 7 et de l’al. 11d), mais a décidé que la validité de la disposition pouvait être confirmée en vertu de l’article premier. Quant à la violation prima facie, elle s’est fondée sur les motifs du juge Paciocco dans l’arrêt Sullivan suivant lesquels l’art. 33.1 permet de déclarer un accusé coupable même s’il n’a pas perpétré l’infraction de façon volontaire (par. 168, citant Sullivan, par. 64‑74), ajoutant que l’art. 33.1 contrevenait donc à un principe de justice fondamentale constitutionnalisé par la Charte. S’appuyant de nouveau sur l’arrêt Sullivan, la juge Khullar a souligné que l’art. 33.1 ne satisfaisait pas à l’exigence de mens rea minimale requise par la Charte (par. 168, citant Sullivan, par. 79‑94). L’article 33.1 violait l’al. 11d) de la Charte dans la mesure où il permet de déclarer un accusé coupable malgré l’existence d’un doute raisonnable sur la question de savoir s’il avait la mens rea requise pour la perpétration de l’infraction.
[35]                        La juge Khullar a toutefois conclu que l’art. 33.1 pouvait être sauvegardé en vertu de l’article premier. Elle a mentionné que l’issue de l’analyse de la justification était [traduction] « une affaire difficile et serrée », mais que le choix du Parlement était défendable compte tenu des options qu’il avait examinées (par. 166).
[36]                        D’après la juge Khullar, en adoptant l’art. 33.1, le Parlement visait des objectifs urgents et réels de responsabilisation des auteurs de crimes et de protection des victimes. La juge Khullar n’était pas d’accord avec l’opinion — exprimée par la majorité dans Sullivan — selon laquelle l’objectif de responsabilisation était inacceptable sur le plan constitutionnel. Elle était d’avis que la majorité dans Sullivan avait confondu l’objectif de la disposition avec ses moyens (par. 184). En ce qui concerne le volet « proportionnalité » de l’analyse fondée sur l’article premier, la juge Khullar a conclu qu’il existait un lien rationnel entre les moyens employés et les objectifs en question. L’article 33.1 se veut dissuasif et renforce une éthique sociale qui réprouve toute intoxication excessive menant à des actes de violence.
[37]                        La juge Khullar a fait observer que cette disposition aurait pu être rédigée en appliquant le critère objectif modifié qui avait été exposé par le juge ayant tenu le voir‑dire, ce qui aurait été [traduction] « moins problématique » (par. 197). Il fallait toutefois s’en remettre aux choix du Parlement sur des questions morales épineuses. L’article 33.1 franchissait donc l’étape de l’atteinte minimale de l’analyse prescrite par l’arrêt Oakes (R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103).
[38]                        À l’étape finale, celle de la mise en balance des intérêts publics contradictoires, la juge Khullar a reconnu que [traduction] « l’art. 33.1 comporte des effets négatifs graves et troublants », dès lors qu’il permet de déclarer un accusé coupable d’un crime violent même lorsque les actes constituant l’actus reus n’étaient pas volontaires et que l’accusé ne possédait pas la mens rea requise pour commettre l’infraction d’intention générale (par. 201). Toutefois, les avantages importants de cet article, y compris la protection des femmes et des enfants qui [traduction] « insuffle un certain sens aux droits des victimes à l’égalité » (par. 202), l’emportent selon elle sur ses effets préjudiciables. Cet article a en outre un effet dissuasif auprès de ceux qui consomment des substances intoxicantes ou qui les mélangent de façon irresponsable, ce qui risque d’entraîner un automatisme et des comportements violents (par. 204) : [traduction] « Il était loisible au Parlement de concevoir une mesure législative peu importe la fréquence à laquelle des accusés tomberaient sous le coup de l’art. 33.1 » (par. 207).
[39]                        En conclusion, la juge Khullar était d’avis de trancher l’affaire comme le proposait le juge Slatter. La Cour d’appel a inscrit une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction de voies de fait graves.
IV.         Question en litige
[40]                        La seule question à trancher est de savoir si l’art. 33.1 viole l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte et, dans l’affirmative, s’il peut être sauvegardé en vertu de l’article premier.
[41]                        L’article 33.1 dispose :
      33.1 (1) Ne constitue pas un moyen de défense à une infraction visée au paragraphe (3) le fait que l’accusé, en raison de son intoxication volontaire, n’avait pas l’intention générale ou la volonté requise pour la perpétration de l’infraction, dans les cas où il s’écarte de façon marquée de la norme de diligence énoncée au paragraphe (2).
      (2) Pour l’application du présent article, une personne s’écarte de façon marquée de la norme de diligence raisonnable généralement acceptée dans la société canadienne et, de ce fait, est criminellement responsable si, alors qu’elle est dans un état d’intoxication volontaire qui la rend incapable de se maîtriser consciemment ou d’avoir conscience de sa conduite, elle porte atteinte ou menace de porter atteinte volontairement ou involontairement à l’intégrité physique d’autrui.
      (3) Le présent article s’applique aux infractions créées par la présente loi ou toute autre loi fédérale dont l’un des éléments constitutifs est l’atteinte ou la menace d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne, ou toute forme de voies de fait.
V.           Analyse
A.           Intoxication et responsabilité criminelle
[42]                        Bien que M. Brown ait été déclaré coupable de voies de fait graves, il est d’une importance capitale de rappeler que l’art. 33.1 fait obstacle à la défense d’automatisme pour tous les crimes d’intention générale visés par le par. 33.1(3), dont l’agression sexuelle et d’autres formes de violence fondée sur le genre. Il était question d’agression sexuelle commise en état d’intoxication dans les affaires Leary c. La Reine, 1977 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 29, R. c. Bernard, 1988 CanLII 22 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 833, et Daviault. Comme l’indique clairement le préambule du projet de loi C‑72, la violence familiale et sexuelle « entrave la participation des femmes et des enfants dans la société », et le Parlement était particulièrement soucieux de ne pas permettre aux accusés d’invoquer leur intoxication volontaire pour « justifier » des actes de violence commis contre des femmes et des enfants. Il est non seulement important que l’on reconnaisse la légitimité de cette préoccupation, mais qu’on comprenne qu’elle a façonné les arguments invoqués pour contester cette disposition (voir I. Grant, « Second Chances : Bill C‑72 and the Charter » (1995), 33 Osgoode Hall L.J. 379).
[43]                        La common law s’est montrée peu indulgente à l’égard des contrevenants qui affirment que leur intoxication les rendait incapables de former l’intention coupable nécessaire. En principe, l’intoxication ne permet pas au coupable d’échapper au caractère infamant d’une déclaration de culpabilité légitime ou à l’infliction d’une peine juste en droit canadien. L’intoxication sans automatisme ne constitue jamais un moyen de défense opposable aux crimes d’intention générale, dont l’homicide involontaire coupable, les voies de fait et l’agression sexuelle (voir Director of Public Prosecutions c. Beard, [1920] A.C. 479 (H.L.); Leary, p. 57‑60). Dans l’arrêt Leary, la majorité a estimé que l’insouciance dont fait preuve la personne qui s’enivre était une raison suffisante pour conclure à l’existence d’une intention coupable pour toute infraction d’intention générale qui s’ensuit. À l’époque, la règle énoncée dans l’arrêt Leary s’appliquait à tous les degrés d’intoxication, y compris l’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme. L’intoxication n’exonère l’accusé que dans le cas des crimes d’intention spécifique, tel le meurtre, en raison de la complexité de la mens rea exigée pour qu’il y ait déclaration de culpabilité. Je le répète : la règle selon laquelle l’intoxication ne constitue pas un moyen de défense opposable aux crimes d’intention générale n’est pas touchée par le présent pourvoi, sauf dans les cas d’intoxication s’apparentant à l’automatisme.
[44]                        La constitutionnalité de la règle énoncée dans l’arrêt Leary a été confirmée dans l’arrêt Bernard. Dans ses motifs concordants, la juge Wilson a confirmé cette règle parce que la mens rea requise pour qu’il y ait agression sexuelle pouvait être déduite de la perpétration de l’acte, indépendamment de l’état d’ébriété, lorsque l’accusé commet l’acte de façon « intentionnelle et volontaire » (p. 883). Toutefois, la juge Wilson s’est empressée d’établir une distinction entre les faits de l’affaire Bernard et les cas d’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme. Elle a pris soin de noter que, dans le cas d’un véritable automatisme, la règle énoncée dans l’arrêt Leary pouvait violer la présomption d’innocence en substituant l’intention de s’enivrer à l’intention de commettre l’infraction reprochée (p. 889‑890).
[45]                        Il convient de rappeler que la plupart des degrés d’intoxication ne peuvent pas être opposés comme moyen de défense à des crimes d’intention générale comme les voies de fait graves dont M. Brown a été déclaré coupable en appel. Seul le degré le plus élevé d’intoxication — celui qui rend l’individu incapable de se maîtriser — est en cause en l’espèce : l’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme en tant que moyen de défense contre les accusations de crimes violents d’intention générale et, rappelons‑le, uniquement si cette intoxication est volontaire.
[46]                        La défense d’automatisme nie le caractère volontaire de l’acte et écarte par conséquent l’actus reus de l’infraction (R. c. Chaulk, 1990 CanLII 34 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 1303, p. 1321; R. c. Parks, 1992 CanLII 78 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 871, p. 896). On considère que l’acte involontaire est véritablement disculpatoire parce que, même si l’acte prohibé était préjudiciable, l’accusé n’a pas la capacité de répondre de ses actes (J. Gardner, Offences and Defences : Selected Essays in the Philosophy of Criminal Law (2007), p. 142). L’acte involontaire, aussi fautif soit‑il en apparence, n’est pas un acte coupable qui peut être imputé à l’accusé.
[47]                        L’automatisme se manifeste par des mouvements involontaires qui peuvent être associés à des crises cardiaques, à des convulsions ou à des chocs « externes », ou encore à des états comme le somnambulisme ou le delirium, où le corps de l’individu peut bouger, mais où il n’y a aucune connexion entre l’esprit et le corps (Bratty c. Attorney‑General for Northern Ireland, [1963] A.C. 386 (H.L.), p. 409; Rabey, p. 523). Le caractère volontaire au sens physique est un principe de justice fondamentale et une condition qui doit être respectée pour toutes les véritables infractions criminelles; il constitue un élément central de la préoccupation du droit criminel d’éviter que des personnes moralement innocentes soient condamnées (Daviault, p. 74; R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687, par. 46‑47; R. c. Bouchard‑Lebrun, 2011 CSC 58, [2011] 3 R.C.S. 575, par. 45). Sans mouvement corporel volontaire de l’accusé, la Couronne ne peut pas prouver l’actus reus hors de tout doute raisonnable (R. c. Théroux, 1993 CanLII 134 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 5, p. 17‑18). Ce phénomène se distingue du caractère involontaire au sens moral, un concept qui décrit des scénarios où l’accusé conserve la maîtrise de son corps, mais n’a d’autre choix réaliste que de commettre un acte coupable (Ruzic, par. 44).
[48]                        De plus, un automate ne peut former la mens rea ou l’intention coupable requise si ses actes sont involontaires. L’accusé dépourvu de la maîtrise consciente de sa conduite ne peut évidemment pas avoir l’intention de commettre ses actes involontaires. Engager la responsabilité criminelle d’une personne sans preuve qu’elle a commis une faute contrevient aussi aux principes de justice naturelle (Renvoi sur la MVA, p. 513‑515).
[49]                        Rappelons que dans l’arrêt Bernard, la juge Wilson a écrit que, dans un cas d’intoxication véritable s’apparentant à l’automatisme, il pourrait ne pas convenir de substituer la preuve de l’intention de s’intoxiquer à la preuve de l’intention de commettre l’infraction violente (p. 889‑890). Le choix de s’intoxiquer par des moyens légaux ou illégaux — choix que font de nombreux Canadiens — ne peut pas être assimilé à l’intention de commettre l’acte illégal. Une telle substitution porte atteinte à la présomption d’innocence, car un individu pourrait alors être déclaré coupable même s’il subsiste un doute raisonnable quant à l’établissement des éléments essentiels de l’infraction (Oakes, p. 134; R. c. Vaillancourt, 1987 CanLII 2 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 636, p. 656).
[50]                        Je constate que la défense a été qualifiée de phénomène « rare » dans la jurisprudence (Daviault, p. 92‑93; Sullivan, par. 118). Le procureur général du Manitoba conteste cette affirmation et cite des cas de violence mettant en cause des drogues illicites aux propriétés psychotropes connues. De toute évidence, la violence perpétrée en état d’intoxication est un grave problème social. Quelle que soit la part de ce phénomène rattachée à la conduite involontaire, il convient de signaler que l’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme est un moyen de défense exigeant, qui oblige l’accusé à démontrer que sa conscience était diminuée à un point tel qu’il n’avait aucun contrôle volontaire de ses actes. Ce n’est pas la même chose que le simple fait de se réveiller sans se rappeler d’avoir commis un crime. L’incapacité d’un individu à se rappeler ce qu’il a fait ne prouve pas qu’il agissait involontairement. Ce n’est pas non plus la même chose qu’un épisode psychotique où le caractère volontaire au sens physique demeure intact. Mais même si l’on acceptait que la défense est rarement invoquée, cela ne semble guère concluant pour l’un ou l’autre point de vue. Le fait qu’il arrive rarement qu’une personne soit la victime d’actes violents commis en état d’intoxication extrême constitue un bien piètre réconfort pour cette personne. Il est tout aussi effrayant de penser que le fait de refuser le moyen de défense en cause à une personne moralement et physiquement incapable de commettre un crime soit d’une façon ou d’une autre acceptable au motif que de tels actes se produisent rarement.
[51]                        Le désaccord quant au caractère répréhensible de l’intoxication volontaire était au cœur des opinions majoritaire et minoritaire dans l’arrêt Daviault, opinions qui ont abordé directement l’impact de la règle énoncée dans l’arrêt Leary et les préoccupations exprimées par la juge Wilson dans l’arrêt Bernard sur l’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme.
(1)         L’arrêt Daviault
[52]                        Monsieur Daviault a agressé sexuellement une connaissance après avoir consommé 7 ou 8 bouteilles de bière et 35 onces de brandy, une quantité d’alcool qui aurait probablement entraîné la mort ou le coma chez une personne normale. La question était de savoir si, en droit, la preuve d’une intoxication extrême volontaire s’apparentant à l’automatisme pouvait fonder un moyen de défense opposable au crime d’intention générale d’agression sexuelle. Le juge Cory, au nom de la majorité, a déclaré que la règle énoncée dans l’arrêt Leary violait l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte de trois façons, que le juge Paciocco a utilement décrites ainsi dans l’arrêt Sullivan : la [traduction] « violation du principe du caractère volontaire », la « violation pour cause de substitution irrégulière » et la « violation pour cause de négation de la mens rea » (Sullivan, par. 47; Daviault, p. 89‑92).
[53]                        Les juges majoritaires ont exprimé des préoccupations quant à la possibilité qu’un accusé se trouvant dans un état d’intoxication extrême qui s’apparente à l’automatisme puisse être condamné pour des actes qui, en raison de leur caractère involontaire, ne peuvent constituer l’actus reus de l’infraction, lequel requiert une preuve hors de tout doute raisonnable. Cette violation du principe du caractère volontaire en droit criminel contreviendrait aux principes de justice fondamentale visés à l’art. 7 de la Charte (p. 91‑92). De plus, le choix de s’intoxiquer ne peut être substitué régulièrement à la mens rea de l’infraction reprochée. La preuve d’une intoxication volontaire n’entraîne pas inévitablement la conclusion que l’accusé possédait l’élément moral requis pour être reconnu coupable. La substitution irrégulière de la preuve d’intoxication volontaire à la preuve de la mens rea de l’infraction porte atteinte à la présomption d’innocence (al. 11d)) (p. 92). Enfin, dans l’arrêt Daviault, la majorité a rappelé que l’intoxication volontaire n’est pas un crime et que les conséquences de l’intoxication volontaire ne sont pas nécessairement volontaires ou prévisibles. Déclarer coupable une personne en raison de son intoxication volontaire signifierait que l’accusé pourrait ne pas avoir la mens rea minimale requise par la Constitution et correspondant à l’infraction qui lui est reprochée et à la sanction criminelle qui s’y rattache. Cela violerait les principes de justice fondamentale consacrés à l’art. 7 de la Charte et écarterait la mens rea (ibid.).
[54]                        Dans l’arrêt Daviault, la majorité a donc modifié la règle selon laquelle l’intoxication ne constitue pas un moyen de défense opposable aux crimes d’intention générale. Exceptionnellement, l’accusé pourrait faire valoir une défense d’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme, même lorsqu’il a lui‑même provoqué son intoxication extrême. Cependant, l’intoxication sans automatisme ne constituerait toujours pas une défense, puisque l’individu pourrait quand même être en mesure de former l’élément moral minimal requis pour être reconnu coupable d’une infraction d’intention générale (p. 99‑101). Le juge Cory a invité le Parlement à légiférer sur ce qu’il estimait être ce degré d’intoxication rare, en faisant observer que « le législateur a toujours la possibilité d’adopter une disposition législative qui criminaliserait la perpétration d’un acte prohibé lorsque l’auteur est en état d’ébriété » (p. 100).
[55]                        Le juge Sopinka, dissident, a affirmé que l’intoxication volontaire extrême ne peut constituer un moyen de défense opposable à des crimes d’intention générale comme l’agression sexuelle. À son avis, on pouvait satisfaire aux principes de justice fondamentale lorsqu’il existe un état d’esprit blâmable et que le degré du caractère répréhensible n’est pas disproportionné à la gravité de l’infraction (p. 118). La personne qui consomme volontairement de l’alcool ou des drogues au point de s’empêcher de savoir ce qu’elle fait n’est pas sans reproche sur le plan moral. Le juge Sopinka a estimé que le principe de l’acte volontaire ne devait pas s’appliquer, étant donné que « l’auteur du crime qui, par sa propre faute, est à l’origine de son état ne devrait pas échapper à la punition » (p. 121).
[56]                        Par conséquent, à la suite de l’arrêt Daviault, un accusé avait le droit, en common law, d’être acquitté relativement à une infraction d’intention générale s’il pouvait démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait commis les actes en question involontairement, alors qu’il se trouvait dans un état d’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme. Pour ce faire, l’accusé doit produire une preuve d’expert.
[57]                        On a par la suite reproché à l’opinion des juges majoritaires dans l’arrêt Daviault [traduction] « son inquiétante absence de considération pour le contexte social de l’agression sexuelle, en particulier dans le cas des femmes et des enfants » (I. Grant, « The Limits of Daviault » (1995), 33 C.R. (4th) 277, p. 287; voir aussi M. Shaffer, « R. v. Daviault : A Principled Approach To Drunkenness or A Lapse of Common Sense? » (1996), 3 R. études const. 311, p. 324‑27). La professeure Grant, par exemple, a fait valoir que l’alcool était souvent en cause dans la violence fondée sur le genre et que, par conséquent, de solides protections en matière d’égalité étaient nécessaires (« Second Chances : Bill C‑72 and the Charter », p. 389). Elle a écrit que [traduction] « [l]’idée selon laquelle une personne peut être trop ivre pour être déclarée coupable d’agression sexuelle a choqué le sens de justice de la collectivité en plus d’aller à l’encontre du bon sens » (p. 383).
(2)         Le projet de loi C‑72
[58]                        Dans un délai relativement court après l’arrêt Daviault de notre Cour, le Parlement a ajouté l’art. 33.1 à la partie I (Dispositions générales) du Code criminel, dans le but d’abolir l’intoxication volontaire s’apparentant à l’automatisme en tant que moyen de défense opposable aux infractions d’intention générale comportant de la violence. Le préambule du projet de loi C‑72, sur lequel je reviendrai, soulignait les préoccupations du Parlement face à la violence perpétrée par des personnes qui s’intoxiquent et aux conséquences de cette violence sur les droits à l’égalité et à la sécurité des femmes et des enfants. Il déclarait également, que sur le plan moral, la personne qui cause du tort à autrui alors qu’elle est dans un état d’intoxication volontaire commet un acte répréhensible dont elle devrait être tenue responsable.
[59]                        Avant l’adoption du projet de loi, le ministre de la Justice a déclaré devant le Comité permanent de la Justice et des questions juridiques que, dans l’arrêt Daviault, le juge Sopinka « a rédigé, en termes rigoureux, un jugement [. . .] dissident, concluant que dans le fait de causer sa propre intoxication, le caractère répréhensible était suffisant pour établir un lien avec la responsabilité criminelle, pour le tort causé par le délit » (Procès‑verbaux et témoignages du Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, no 98, 1re sess., 35e lég., 6 avril 1995, p. 17). Il a déclaré que le projet de modification prévoyait un degré de faute suffisant en ce sens que l’intoxication volontaire voisine de l’automatisme constituait un écart par rapport à la norme de diligence (ibid.). Dans sa réponse à l’arrêt Daviault, le Parlement a donc cherché à intégrer le lien proposé par les juges majoritaires entre l’intention de s’intoxiquer et l’intention de commettre un crime violent. Il a tenté de le faire en adoptant la norme de l’écart marqué au par. 33.1(2), lequel a été perçu comme une mesure visant à corriger les lacunes constitutionnelles relevées par le juge Cory et à poursuivre le raisonnement moral et de politique sociale du juge Sopinka dans sa dissidence.
[60]                          Même après l’arrêt Daviault, on s’entend généralement pour dire que l’individu qui agit dans un état d’automatisme doit être acquitté lorsqu’on ne peut vraiment pas lui reprocher au plan moral sa perte de maîtrise. Mais, pour emprunter une expression employée par la commission du droit du Royaume‑Uni, nombreux sont ceux qui estiment toujours qu’il [traduction] « n’est pas juste d’acquitter l’accusé à qui on peut reprocher ce qui a provoqué sa perte de maîtrise » (Criminal Liability : Insanity and Automatism — A Discussion Paper (2013), par. 1.117). Dans cette optique, il est légitime de reprocher à la personne d’avoir provoqué son automatisme par une intoxication volontaire extrême et la loi ne devrait pas lui permettre d’échapper à sa responsabilité pour ses actes violents. Il y a une différence apparente, pourrait‑on dire, entre la personne qui consomme une boisson droguée à son insu et perd de ce fait la maîtrise de ses gestes et l’individu qui, parce qu’il a choisi de boire ou de consommer des drogues à l’excès, se retrouve dans un état s’apparentant à l’automatisme. Par ailleurs, d’autres facteurs complexifient la question du libre arbitre et de l’automatisme, notamment le problème social de la toxicomanie qui peut influer sur la culpabilité morale (voir, généralement, L. Silver, Who is Responsible for Extreme Intoxication?, 7 octobre 2021 (en ligne); L. M. Kelly et N. Gill, The punishing response to the defence of extreme intoxication, 13 octobre 2020 (en ligne)). Bien qu’il vaille la peine de le mentionner, il n’est pas nécessaire d’en dire davantage sur ce problème qui n’émane pas des faits du présent pourvoi ou des pourvois Sullivan et Chan dont est saisie la Cour.
[61]                        Je prends bonne note que le préambule du projet de loi C‑72 prévoit que, dans la plupart des cas, l’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme est le résultat non pas de la consommation d’alcool seulement, mais de la consommation d’autres substances intoxicantes ou d’un mélange d’alcool et d’une autre substance. En faisant ce constat, le Parlement s’est fondé sur les rapports et témoignages de trois experts à l’appui de sa conclusion selon laquelle l’alcool ne provoque pas seul un état d’automatisme. Un spécialiste, le Dr Harold Kalant, a affirmé qu’aucune preuve scientifique n’établissait que l’alcool pouvait entraîner l’automatisme, en l’absence d’un problème de santé sous‑jacent (pourvois Sullivan et Chan, d.a., vol. VI, p. 93‑95; voir aussi les témoignages des Drs Kendall et Bradford dans Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, Témoignages, no 161, 1re sess., 35e lég., 13 juin 1995, p. 23‑27). Même si l’art. 33.1 parle d’intoxication en général, sans établir de distinction formelle entre les substances licites et les substances illicites, le préambule du projet de loi C‑72 déclare que « le Parlement du Canada est conscient [. . .] de l’existence de preuves scientifiques selon lesquelles la consommation de la plupart des substances intoxicantes, dont l’alcool, n’a pas en soi pour effet de faire en sorte qu’une personne agisse de façon involontaire ».
[62]                        Bien que l’arrêt Daviault et le Parlement aient mis l’accent sur l’« ivresse », l’historique parlementaire et les faits du présent pourvoi et des pourvois Sullivan et Chan tendent à indiquer que la défense d’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme ne sera généralement pas pertinente dans les cas où seul l’alcool est en cause. Les experts dans la présente affaire ont expliqué, en renvoyant à la définition juridique de l’automatisme, que la psilocybine peut provoquer du délire, des épisodes psychotiques, de la confusion et de la désorientation (d.a., vol. III, p. 241 et 315). Le Dr Kalant, en revanche, a affirmé devant le Parlement qu’en temps normal, l’alcool entraîne une diminution progressive de l’activité des cellules nerveuses dans le cerveau jusqu’à ce que la personne perde conscience et devienne incapable de bouger (pourvois Sullivan et Chan, d.a., vol. VI, p. 93), un effet qui ne correspond pas à l’état de conscience diminué et aux mouvements involontaires nécessaires d’un véritable état d’automatisme. Les prétentions d’intoxication extrême doivent, bien entendu, être évaluées eu égard aux faits et à la preuve d’expert produite au procès. Il serait inopportun en l’espèce d’exclure une conclusion d’intoxication extrême provoquée par n’importe quelle substance intoxicante prise seule, si la preuve médicale et scientifique dicte pareille conclusion.
[63]                        Passons maintenant à la question de savoir si l’art. 33.1 enfreint l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte, comme le soutient M. Brown.
B.            L’article 33.1 enfreint l’art. 7 et l’al. 11d)
(1)         Principaux arguments
[64]                        Monsieur Brown affirme que l’art. 33.1 viole l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte. Dans son interprétation de l’art. 33.1, la Cour d’appel a commis une erreur en s’écartant des principes énoncés dans l’arrêt Daviault. Selon lui, l’art. 33.1 englobe injustement des situations dans lesquelles il n’y a aucun risque prévisible de violence en ce qui concerne l’infraction d’intention générale à laquelle il s’applique. Cet article instaure un régime de responsabilité absolue en permettant au tribunal de déclarer l’accusé coupable sans preuve hors de tout doute raisonnable qu’il a commis l’infraction intentionnellement ou volontairement. L’article 33.1 substitue donc de façon irrégulière l’intention de s’intoxiquer à l’intention de commettre l’infraction violente. Monsieur Brown ajoute que l’art. 33.1 limite également la portée de l’art. 7, parce qu’il oblige le tribunal à déclarer l’accusé coupable sans qu’il y ait la moindre simultanéité entre l’actus reus et la mens rea de l’infraction criminelle.
[65]                        La Couronne répond que, lorsqu’on l’interprète correctement, l’art. 33.1 est conforme à la Charte. Selon l’interprétation qu’en donne la Couronne, l’art. 33.1 ne réprime que la consommation intentionnelle et volontaire de drogues à un degré extrême, satisfaisant ainsi à l’exigence relative au caractère volontaire. Il n’y a pas de négation de la mens rea, car l’art. 33.1 renferme une véritable norme objective et exige la prévisibilité objective du préjudice. Il n’y a pas de substitution irrégulière, puisque l’art. 33.1 modifie la mens rea exigée pour établir la perpétration d’une infraction d’intention générale. Il était loisible au Parlement d’établir des normes de comportement auxquelles tous les citoyens doivent se plier.
[66]                        Les procureurs généraux intervenants affirment que l’art. 33.1 crée un mode de responsabilité unique qui réunit les éléments nécessaires pour une infraction conforme à la Constitution. L’élément moral inhérent au par. 33.1(2) reflète l’exigence minimale de faute objective selon la même norme de l’écart marqué qui a été reconnue dans des arrêts comme R. c. Hundal, 1993 CanLII 120 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 867, Creighton et R. c. Roy, 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60. Par conséquent, l’art. 33.1 est conforme à l’art. 7 et à l’al. 11d) de la Charte, parce qu’il s’inspire d’un [traduction] « modèle dont notre Cour a déjà reconnu la constitutionnalité » (recueil condensé, p.g. de l’Ontario, p. 2). De plus, le Parlement peut constitutionnellement empêcher l’accusé d’invoquer l’intoxication comme moyen de défense si l’intoxication constitue l’essence de l’infraction (R. c. Penno, 1990 CanLII 88 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 865, p. 891, la juge Wilson). Dans le cas qui nous occupe, donnant suite à l’invitation que lui avait lancée notre Cour dans l’arrêt Daviault, le Parlement a cherché à imposer une responsabilité pour les conséquences non intentionnelles de l’acte répréhensible sous‑jacent dans la foulée, notamment, de l’arrêt R. c. DeSousa, 1992 CanLII 80 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 944.
(2)         Question préliminaire : mise en balance interne au regard de l’art. 7
[67]                        À titre préliminaire, la Cour doit d’abord décider si les droits des victimes d’actes de violence commis en état d’intoxication, en particulier les droits des femmes et des enfants protégés par les art. 7 et 15 de la Charte et auxquels il est fait allusion dans le préambule du projet de loi C‑72, devraient guider l’analyse d’une éventuelle violation des droits garantis à l’accusé par l’art. 7, ou s’il convient plutôt de réserver l’examen de ces droits à l’étape de la justification en vertu de l’article premier.
[68]                        L’intervenant le Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes (FAEJ) invite notre Cour à mettre en balance les droits de l’accusé et les droits des femmes et des enfants dans l’analyse fondée sur l’art. 7. Selon lui, dans l’arrêt Daviault, la Cour n’a pas examiné les droits opposés à cette étape, contrairement à l’engagement clair contenu dans le projet de loi C‑72 de protéger les droits à l’égalité, à la sécurité et à la dignité. Ces droits ne sont pas simplement d’autres enjeux sociaux que l’on devrait « reléguer » à l’étape de la justification en vertu de l’article premier. Lorsque les tribunaux ne procèdent pas à une mise en balance au regard de l’art. 7 — comme la majorité de la Cour d’appel a omis de le faire dans l’arrêt Sullivan, par exemple —, il s’ensuit que, consciemment ou non, ils favorisent les droits individuels au détriment de ceux des groupes vulnérables qui courent de façon disproportionnée le risque de subir des actes de violence commis par des individus en état d’intoxication. D’autres, dont la Couronne et l’Association canadienne des libertés civiles, soutiennent qu’il convient d’examiner les droits des femmes et des enfants à l’étape de l’article premier, selon les arrêts Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, et Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331.
[69]                        Le FAEJ invoque les arrêts Dagenais c. Société Radio‑Canada, 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835, et R. c. Mills, 1999 CanLII 637 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 668, dans lesquels notre Cour a mis en balance des droits opposés garantis par la Charte dans le cadre de l’analyse relative à la violation de la Charte. Ces affaires concernent des situations dans lesquelles une mesure gouvernementale visait directement plusieurs séries de droits garantis par la Charte. Dans les deux affaires, les droits procéduraux de l’accusé entraient en conflit avec les droits reconnus à une autre partie par la Charte, et ce conflit risquait de compromettre les droits de l’un et de l’autre.
[70]                        À mon avis, le cadre d’analyse des arrêts Dagenais et Mills ne s’applique pas et ne permet pas non plus de soutenir que la mise en balance des droits et intérêts des présumés auteurs de crimes et de leurs victimes devrait en l’espèce avoir lieu au regard de l’art. 7. Les arrêts Dagenais et Mills s’appliquent lorsque les droits garantis par la Charte à deux ou à plusieurs parties sont en conflit et sont directement touchés par une action de l’État, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. L’article 33.1 touche les droits substantiels de la personne qui fait l’objet de poursuites par l’État. Les intérêts des femmes et des enfants en matière d’égalité et de dignité sont certainement en jeu en tant que victimes potentielles de crimes — mais, dans ce contexte, ils le sont en raison des actes de l’accusé et non à cause d’une action prise par l’État contre eux. Cette analyse est qualitativement différente de la mise en balance entreprise par exemple dans l’affaire Mills, où il s’agissait d’une action de l’État — l’application d’une règle de preuve régissant la communication à l’accusé de dossiers relatifs à la plaignante — qui touchait directement à la fois l’accusé et la plaignante. L’article 33.1 a pour effet de limiter la capacité de l’accusé d’invoquer le moyen de défense d’automatisme, mais rien dans cette disposition ne limite, par l’action de l’État, les droits des victimes, y compris les droits garantis aux femmes et aux enfants par les art. 7, 15 et 28 de la Charte. Ces intérêts sont considérés à juste titre comme justifiant l’atteinte portée par l’État. Comme l’indique clairement le préambule du projet de loi C‑72, les intérêts des groupes vulnérables en matière d’égalité, de dignité et de sécurité sont à la base des principaux objectifs de politique sociale du Parlement. Il est donc préférable de les examiner au regard de l’article premier.
[71]                        Le fait d’examiner ces enjeux sociaux au regard de l’article premier ne « relègue » pas au second plan les intérêts des femmes et des enfants en matière d’égalité, de sécurité et de dignité. Le FAEJ a raison de dire que ces droits sont extrêmement importants et qu’il faut en tenir pleinement compte dans l’analyse relative à la Charte. D’ailleurs, on a utilement fait valoir que l’opportunité d’examiner les droits opposés des groupes vulnérables dans le présent contexte devait trouver sa pleine expression lorsque le tribunal examine la proportionnalité entre les effets préjudiciables et les effets bénéfiques de la disposition législative au regard de l’article premier. Commentant l’analyse, par la majorité de la Cour d’appel dans l’arrêt Sullivan, de la justification de l’atteinte à des droits garantis par la Charte, le professeur S. Coughlan écrit que, contrairement à l’art. 7, l’article premier permet [traduction] « de passer d’un point de vue individuel à une méthode comparative », ce qui, sur le plan méthodologique, est mieux adapté à la mise en balance prévue à l’article premier qu’à celle effectuée au regard de l’art. 7 dans ce contexte (« Sullivan : Can a Section 7 Violation Ever be Saved Under Section 1? » (2020), 63 C.R. (7th) 157, p. 159). L’avocate qui occupait pour le FAEJ dans les pourvois Sullivan et Chan a insisté à juste titre sur le fait que, comme solution de rechange à la mise en balance fondée sur l’art. 7 qu’elle préconisait, notre Cour devait recourir à une pondération au regard de l’article premier pour renforcer les objectifs de responsabilisation et de protection de l’art. 33.1 du point de vue de la vulnérabilité particulière des femmes et des enfants à l’égard des actes de violence commis en état d’intoxication (transcription, p. 100). J’abonde dans son sens.
[72]                          Enfin, et avec égards pour d’autres opinions, les valeurs fondamentales de la lutte contre l’arbitraire, la portée excessive et la disproportion exagérée n’ont rien à voir avec l’analyse des droits garantis par la Charte qui sont en jeu dans le présent pourvoi et les pourvois Sullivan et Chan. Les principes figurant dans l’arrêt Bedford concernent le [traduction] « manque de logique fonctionnelle », une expression désignant une disposition législative qui n’est pas liée à son objectif ou qui lui est totalement disproportionnée (par. 107). À l’inverse, les principes de justice fondamentale en l’espèce ont trait aux normes de fond et de procédure en matière de responsabilité criminelle qui assurent le fonctionnement équitable du système juridique qui « se trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique » (Renvoi sur la MVA, p. 503). Sur ce point, je suis d’accord avec le juge Paciocco lorsqu’il affirme, dans l’arrêt Sullivan (par. 61), que le litige porte sur des principes visés à l’art. 7, en l’occurrence le caractère volontaire et la mens rea nécessaires pour justifier une peine, et non ces questions d’arbitraire et de proportionnalité en cause dans Bedford. Le tribunal qui procède à une analyse fondée sur l’art. 7 devrait d’abord se demander si une disposition législative ne répond pas aux exigences du principe précis évoqué par le demandeur avant de passer à la question plus générale de savoir si la disposition est arbitraire ou disproportionnée au regard de son objet au sens de l’arrêt Bedford (R. c. Malmo‑Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, par. 129 et 135‑145).
(3)         Interprétation de l’art. 33.1
[73]                        Une grande partie du débat dans le présent pourvoi, ainsi que dans les pourvois Sullivan et Chan, porte sur l’interprétation qu’il convient de donner à l’art. 33.1. Les procureurs de la Couronne et les intervenants dans tous ces pourvois proposent des interprétations quelque peu différentes du libellé de l’art. 33.1 à l’appui de sa constitutionnalité. Dans les pourvois Sullivan et Chan, la Couronne affirme que la responsabilité prévue à l’art. 33.1 vise [traduction] « l’acte sous‑jacent d’intoxication volontaire extrême qui entraîne des actes de violence involontaires ou non intentionnels » (recueil condensé de l’appelant, p. 1). Cet acte répréhensible sous‑jacent exigerait, selon la Couronne, un élément fautif de négligence constitutionnellement valide requérant un écart marqué par rapport à la norme de la personne raisonnable. Dans le présent pourvoi, la Couronne fait valoir que le caractère « volontaire » de l’intoxication, auquel fait allusion l’art. 33.1, suppose à la fois la volonté et la mens rea. Selon la Couronne, [traduction] « [l]e fait de s’intoxiquer volontairement à un degré extrême constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence raisonnable généralement acceptée dans la société canadienne » (recueil condensé de l’intimée, p. 1; voir aussi transcription, p. 35‑36). Pressés lors des plaidoiries d’expliciter leur interprétation de l’art. 33.1 dans le présent pourvoi et les pourvois Sullivan et Chan, les avocats ont reconnu que le fondement de la thèse qu’ils défendaient ne se trouvait pas explicitement dans le libellé de l’article. Ils ont toutefois affirmé que, lorsqu’on l’interprète téléologiquement et globalement, l’art. 33.1 a à la fois pour effet d’abolir un moyen de défense et de créer un nouveau mode de responsabilité.
[74]                        Le procureur général du Canada affirme que l’on doit interpréter l’art. 33.1 en tenant compte de la présomption de constitutionnalité. Il a soutenu que la faute visée par les par. 33.1(1) et (2) est la consommation volontaire d’une substance intoxicante dont l’intéressé savait ou aurait dû savoir qu’elle crée un risque d’automatisme et, lorsque la violence s’ensuit, que l’intoxication volontaire s’écarte de façon marquée de la norme de diligence à laquelle on peut raisonnablement s’attendre dans les circonstances. Mais, en faisant valoir ce point de vue, l’avocat a reconnu ce qui suit, à l’audience dans les pourvois Sullivan et Chan : [traduction] « vous n’allez pas trouver cela spécifiquement dans l’article » (transcription, p. 51). Par ailleurs, les avocats des procureurs généraux du Canada, du Manitoba et de la Saskatchewan ont invité la Cour à considérer comme figurant dans le texte certains mots pour corriger ce qui était, selon eux, une [traduction] « formulation inélégante », qui est « loin d’être un modèle de rédaction réussie », ou encore une disposition « bizarrement rédigée » (pourvois Sullivan et Chan, transcription, p. 56, 73 et 83).
[75]                        Je ne vois aucune ambiguïté dans l’art. 33.1 et je ne suis pas d’accord avec l’interprétation proposée par la Couronne et les procureurs généraux, interprétation qui, en toute déférence pour les tenants d’autres opinions, va à l’encontre du sens ordinaire de cette disposition. J’ajouterais que l’interprétation proposée par la Couronne dans les présents pourvois contredit l’interprétation de cette disposition, selon son sens ordinaire, retenue par notre Cour dans l’arrêt Bouchard‑Lebrun, quoique dans un autre contexte. Ce sens ordinaire, comme les juges d’appel Paciocco et Khullar l’ont déclaré, suggère fortement que le Parlement n’a pas réussi à atteindre son objectif déclaré d’assortir les crimes violents d’intention générale commis en état d’intoxication volontaire d’une certaine forme de responsabilité criminelle conforme à la Constitution.
[76]                        Que dit en fait la disposition contestée? Le paragraphe 33.1(1) abolit le moyen de défense fondé sur l’intoxication volontaire s’apparentant à l’automatisme dans le cas des infractions violentes énumérées au par. 33.1(3) lorsque l’accusé s’écarte de façon marquée de la norme de diligence énoncée au par. 33.1(2). Il commence par les mots « [n]e constitue pas un moyen de défense ». Dans le contexte d’autres dispositions du Code criminel, ces mots ont constamment été interprétés comme invalidant ou limitant un moyen de défense (R. c. George, 2017 CSC 38, [2017] 1 R.C.S. 1021, par. 7; R. c. Levigne, 2010 CSC 25, [2010] 2 R.C.S. 3). L’article 33.1 ne crée nulle part une nouvelle infraction assortie ou non des mêmes peines, qu’il s’agisse d’une infraction sous‑jacente d’intoxication volontaire extrême ou d’une nouvelle infraction fondée sur la négligence criminelle. L’accusé doit supporter toute l’infamie d’une déclaration de culpabilité et toute la rigueur de la peine infligée pour l’infraction d’intention générale visée au par. 33.1(3). Dans le cas de M. Brown, cette infraction est celle de voies de fait graves qui est incluse dans le premier chef de son acte d’accusation. Pour M. Sullivan, les infractions sont celles de voies de fait graves et d’agression armée. En ce qui concerne M. Chan, les infractions sont l’homicide involontaire coupable et les voies de fait graves. Dans aucune de ces affaires, les accusés n’ont été inculpés d’intoxication volontaire extrême dangereuse ou négligente causant des lésions corporelles. L’intoxication volontaire extrême peut fort bien être un exemple de ce que de nombreux Canadiens considèrent comme une conduite moralement répréhensible, mais l’art. 33.1 — ou toute autre loi fédérale d’ailleurs — ne la désigne pas comme un acte illégal.
[77]                        Je suis d’accord avec le juge LeBel lorsqu’il affirme, dans l’arrêt Bouchard‑Lebrun, que l’art. 33.1 s’applique lorsque les trois conditions suivantes sont réunies : (1) l’accusé était intoxiqué au moment des faits, (2) cette intoxication était volontaire et (3) l’accusé s’est écarté de façon marquée de la norme de diligence raisonnable généralement acceptée dans la société canadienne en portant atteinte ou en menaçant de porter atteinte à l’intégrité physique d’autrui (par. 89). Le juge LeBel ne s’est pas prononcé sur la constitutionnalité de cette disposition, mais a observé comment elle s’appliquait et a conclu — en se conformant au sens ordinaire du texte lui‑même — que, lorsque ces trois éléments sont démontrés, l’accusé ne peut invoquer comme moyen de défense le fait qu’il n’avait pas l’intention générale ou la volonté requise pour commettre l’infraction visée au par. 33.1(3). Dans cette mesure, cette disposition supprime le moyen de défense reconnu dans l’arrêt Daviault.
[78]                        La Couronne se trompe lorsqu’elle établit une analogie entre les infractions de conduite avec facultés affaiblies et l’art. 33.1. L’intoxication ne fait pas partie de l’essence de l’infraction reprochée à M. Brown, contrairement aux infractions criminelles de conduite avec facultés affaiblies. Les avocates de M. Sullivan l’expliquent clairement ainsi : [traduction] « L’essence des voies de fait n’est pas l’intoxication. Sans intoxication, tous les éléments constitutifs des voies de fait [doivent] être prouvés; sans intoxication, la conduite automobile est un fait banal » (pourvois Sullivan et Chan, m.i., par. 44; voir aussi Sullivan, par. 65, le juge Paciocco).
[79]                        Les conditions prévues à l’art. 33.1 — que l’accusé soit intoxiqué au moment des faits et que l’intoxication soit volontaire — ne constituent pas, ensemble ou séparément, une faute. Elles sont, comme l’indique clairement l’arrêt Bouchard‑Lebrun, des conditions de la responsabilité de l’accusé, comme le confirme l’emploi des mots « alors que » au par. 33.1(2).
[80]                                   Le paragraphe 33.1(1) empêche l’accusé d’opposer la défense d’automatisme dans le cas des infractions d’intention générale lorsque l’automatisme résulte de l’intoxication volontaire de l’accusé et que celui‑ci s’est écarté de façon marquée de la norme de diligence prévue au par. 33.1(2). Aux termes du par. 33.1(2), s’écarte de façon marquée de la norme de diligence la personne qui :
     . . . alors qu’elle est dans un état d’intoxication volontaire qui la rend incapable de se maîtriser consciemment ou d’avoir conscience de sa conduite, [. . .] porte atteinte ou menace de porter atteinte volontairement ou involontairement à l’intégrité physique d’autrui.
[81]                        En 1995, le ministre de la Justice déclarait ce qui suit à la Chambre des communes : « Nous disons nettement dans le projet de loi C‑72 que de s’intoxiquer au point de perdre le contrôle conscient de ses actes et de faire du tort à d’autres est une dérogation à la norme de diligence » (Hansard, vol. 133, no 177, 1re sess., 35e lég., 27 mars 1995, p. 11039). Cette définition correspond au libellé de l’article qui a été adopté. Pour faire la preuve de l’écart marqué visé au par. 33.1(1), il faut établir les deux faits évoqués par le ministre et mentionnés au par. 33.1(2). Premièrement, la personne doit être dans un état d’intoxication volontaire qui la rend inconsciente de sa conduite ou incapable de se maîtriser. Deuxièmement, l’acte violent doit avoir été commis alors qu’elle se trouvait dans cet état. Il faut voir ces éléments, non pas comme une faute, mais comme des conditions à remplir pour engager la responsabilité, étant donné que ni l’un ni l’autre de ces éléments ne fait intervenir une norme de négligence criminelle.
[82]                        Je ne suis pas d’accord avec le point de vue avancé par le procureur général de la Saskatchewan et par d’autres, selon lequel l’adjectif « volontaire » doit être interprété comme indiquant que l’art. 33.1 établit une norme appropriée de négligence criminelle. Selon la jurisprudence, il y a intoxication « volontaire » lorsque l’accusé ingère délibérément une substance qu’il sait ou devrait savoir être une substance intoxicante, dans une situation où il envisage ou devrait envisager le risque de s’intoxiquer (voir, p. ex., R. c. Chaulk, 2007 NSCA 84, 257 N.S.R. (2d) 99 (« Chaulk (2007) »), par. 47). L’expression « intoxication volontaire » ne permet pas de déterminer si l’accusé a prévu, ou aurait dû prévoir, le risque d’intoxication extrême.
[83]                        De plus, aucune interprétation plausible de cette disposition ne tend à indiquer que l’intoxication volontaire comporte intrinsèquement une prévisibilité raisonnable du risque de lésions corporelles, comme l’a signalé à juste titre le juge qui a tenu le voir‑dire en l’espèce, aux par. 36‑37. J’abonde par ailleurs dans le sens du juge Paciocco lorsqu’il affirme, dans l’arrêt Sullivan, qu’on ne règle pas le problème en qualifiant l’acte violent d’écart marqué. C’est le cas parce que, comme il l’écrit, [traduction] « une faute morale ne peut se fonder sur une seule conséquence » (par. 94). S’appuyant sur l’arrêt rendu par notre Cour dans l’affaire Creighton, p. 58, il explique que la faute morale inhérente à la négligence pénale « tient à l’omission d’envisager un risque dont une personne raisonnable se serait rendu compte » (par. 94). Si l’écart marqué par rapport à la norme se limitait à l’acte violent, la loi admettrait une forme de responsabilité absolue. À sa face même et malgré les mots « s’écarte de façon marquée » que l’on trouve au par. (1), l’art. 33.1 n’est pas une disposition qui crée une faute; il s’agit plutôt d’une disposition qui établit des conditions devant être réunies pour que soit engagée la responsabilité de l’auteur d’un acte de violence commis en état d’intoxication. La faute est celle qui est déjà requise pour l’infraction mentionnée au par. 33.1(3).
[84]                        Lors des plaidoiries dans les pourvois Sullivan et Chan, la Couronne a affirmé que [traduction] « personne ne prétend qu’il s’agit d’une pure disposition créant une présomption qui ferait en sorte que, lorsque cet état d’intoxication coïncide avec la violence, la responsabilité est engagée » (transcription, p. 5). Cette affirmation doit être nuancée. Certes, MM. Brown, Sullivan et Chan ne prétendent pas que l’art. 33.1 est une « pure » disposition déterminative, car ils reconnaissent tous que cet article ne vise pas les personnes qui commettent des actes de violence en état d’automatisme après avoir consommé, disons, une boisson droguée à leur insu. Cependant, la Couronne se trompe en un sens plus fondamental. Comme le font valoir l’appelant dans le présent pourvoi et les intimés dans les pourvois Sullivan et Chan, l’art. 33.1 renferme une présomption de faute criminelle à l’égard de l’infraction violente en raison du choix de l’accusé de s’intoxiquer. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle sont arrivés le juge deWit (par. 30), et la juge Khullar (par. 168) en l’espèce, ainsi que les juges Paciocco et Lauwers dans l’arrêt Sullivan (par. 94 et 275). Il s’agit également d’une conclusion qui trouve des appuis répétés dans une partie de la doctrine sur l’art. 33.1 (voir, p. ex., M. S. Lawrence, « Voluntary Intoxication and the Charter : Revisiting the Constitutionality of Section 33.1 of the Criminal Code » (2017), 40:3 Man. L.J. 391, p. 403‑410; S. Roy, « Intoxication », dans JurisClasseur Québec — Collection Droit pénal — Droit pénal général (feuilles mobiles), fasc. 13, no 18). Le procureur de la Couronne dans les pourvois Sullivan et Chan savait fort bien que, si la Cour ne retenait pas son interprétation de l’art. 33.1 voulant que celui‑ci prévoie une faute fondée sur la norme de l’écart marqué, telle qu’envisagée dans Creighton et d’autres décisions similaires, [traduction] « cette disposition impose alors une responsabilité sans faute minimale nécessaire, ce qui nous amène donc à l’article premier » (transcription, p. 10).
[85]                        Contrairement à ce que prétend la Couronne, la norme de faute fondée sur « l’écart marqué » qui est prévue au par. 33.1(2) s’applique clairement à l’infraction violente, et non à l’acte de s’intoxiquer volontairement. La définition de l’adjectif « volontaire » ne peut pas non plus fournir la mens rea de la négligence criminelle, parce qu’elle ne nous apprend rien sur le risque, que ce soit au moyen de la prévisibilité de l’intoxication extrême ou de la possibilité de violence.
[86]                        C’est ce que confirme l’ensemble du texte. Le paragraphe 33.1(1) distingue l’intoxication volontaire de l’infraction prohibée, ce qui signifie qu’il s’agit de deux choses différentes. Il prévoit qu’aucun moyen de défense ne peut être invoqué lorsque « l’accusé, en raison de son intoxication volontaire, n’avait pas l’intention générale ou la volonté requise pour la perpétration de l’infraction ». Ces mots sont révélateurs et indiquent clairement l’intention du Parlement d’imposer une responsabilité à l’égard de l’infraction reprochée, en l’occurrence le comportement violent, et non à l’égard de l’intoxication volontaire en soi. Qui plus est, dans l’arrêt R. c. Morrison, 2019 CSC 15, [2019] 2 R.C.S. 3, le juge Moldaver a interprété l’expression « ne constitue [pas] un moyen de défense » comme excluant une voie distincte vers une déclaration de culpabilité, comme cela avait été plaidé aussi dans cette affaire (par. 82). En l’espèce, le terme « moyen de défense » renvoie à une défense présentée par l’accusé qui lui donnerait droit à un acquittement, plutôt qu’à une autre route menant à la responsabilité.
[87]                        Le procureur n’a pas été en mesure de citer une seule décision, depuis l’adoption, il y a 25 ans, de l’art. 33.1, dans laquelle un tribunal aurait adopté l’interprétation proposée ici par la Couronne, hormis l’opinion des juges majoritaires de la Cour d’appel en l’espèce. Le procureur a également reconnu que la cour dans l’affaire R. c. Vickberg (1998), 1998 CanLII 15068 (BC SC), 16 C.R. (5th) 164 (C.S. C.‑B.) — citée et approuvée par le juge LeBel dans l’arrêt Bouchard‑Lebrun, par. 89 — avait expressément rejeté l’interprétation de l’art. 33.1 qu’il a proposée (pourvois Sullivan et Chan, transcription, p. 30‑31). À mon avis, le jugement Vickberg fait ressortir à juste titre les failles de l’interprétation proposée par la Couronne, et le raisonnement suivi en 1998 par le juge Owen‑Flood sur ce point demeure convaincant aujourd’hui : [traduction] « Les mots “écart marqué” ne s’entendent pas de la manière dont l’accusé s’est retrouvé dans un état d’intoxication[, ils désignent] l’atteinte portée par un individu à l’intégrité physique d’autrui alors qu’il se trouvait dans cet état » (par. 69).
[88]                        Notre Cour ne peut pas non plus « interpoler » cette interprétation, comme le suggère la Couronne, en s’appuyant sur les notes marginales accompagnant la disposition législative et la présomption de constitutionnalité. Cela dénaturerait le sens qu’on peut attribuer au texte de manière plausible. Dans les pourvois Sullivan et Chan, le procureur de la Couronne a signalé à notre Cour la note marginale du projet de loi C‑72 qui a été ajoutée à côté du par. 33.1(2) à l’appui de son interprétation (transcription, p. 7). Même si la note marginale dit « Responsabilité criminelle en raison de l’intoxication », elle ne peut supplanter le libellé clair de l’art. 33.1, quelle que soit sa pertinence pour l’interprétation de l’intention du Parlement. Peu importe ce que la note marginale peut laisser croire, le libellé de l’article indique que la faute est déterminée non pas « en raison de » l’intoxication, mais « alors que » l’accusé était en état d’intoxication. Le recours par la Couronne à la présomption de constitutionnalité est également compromis par le sens clair de l’article. La présomption ne peut justifier une interprétation qui est si clairement contredite par le libellé de la disposition législative (Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, 1995 CanLII 112 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 1031, par. 15).
(4)         Violations de l’art. 7 et de l’al. 11d) de la Charte
[89]                        L’article 33.1 s’applique donc chaque fois qu’une personne porte atteinte à l’intégrité corporelle d’autrui alors qu’elle est dans un état d’intoxication volontaire s’apparentant à l’automatisme, et ce, peu importe si sa perte de conscience ou de maîtrise ou le risque de causer du tort étaient prévisibles. Il y a violation de l’art. 7 et de l’al. 11d) de la Charte, même si l’on accepte la prémisse du juge Sopinka dans Daviault suivant laquelle l’individu qui a provoqué l’état à l’origine de sa perte de maîtrise peut d’une certaine manière être moralement blâmable.
a)              Mens rea requise par l’art. 7
[90]                        Un principe de justice fondamentale veut qu’une déclaration de culpabilité criminelle exige au minimum la preuve d’une négligence pénale, sous la forme d’un écart marqué par rapport à la norme d’une personne raisonnable, sauf si la nature précise du crime exige une faute subjective (Creighton, p. 61‑62; Vaillancourt, p. 653‑654; DeSousa, p. 962). Si l’infraction se fonde sur un acte sous‑jacent, la prévisibilité objective d’un préjudice peut être suffisante du point de vue constitutionnel (DeSousa, p. 962).
[91]                        L’intention de s’intoxiquer est une condition nécessaire à l’application correcte de l’art. 33.1. Comme je l’ai noté plus haut, l’expression « intoxication volontaire » a été interprétée comme signifiant l’ingestion volontaire d’une substance que l’on sait ou devrait savoir être une substance intoxicante, dans une situation où l’on envisage ou devrait envisager le risque de s’intoxiquer (Chaulk (2007), par. 47). Pourtant, ainsi que le juge LeBel l’a fait observer en interprétant l’art. 33.1 dans l’arrêt Bouchard‑Lebrun, « cette disposition n’établit aucune distinction relative à la gravité des effets de l’intoxication volontaire » (par. 91). En d’autres termes, il importe peu que l’individu n’ait pas prévu sa perte de conscience ou de maîtrise. L’article est par ailleurs muet sur le caractère licite ou illicite de la substance intoxicante ou sur ses propriétés connues. L’intention de s’intoxiquer à n’importe quel degré suffit.
[92]                        Pour cette raison, bien que la disposition s’applique à ceux qui provoquent de manière téméraire leur perte de maîtrise, elle englobe également la manifestation soudaine et inattendue d’un état dans lequel l’individu ne se maîtrise pas à la suite d’une « intoxication volontaire », par exemple dans le cas du patient qui réagit de façon imprévue et incontrôlable à un médicament prescrit contre la douleur et qui blesse une autre personne alors qu’il agit involontairement. Le patient peut avoir eu l’intention de ressentir les effets ordinaires du soulagement de la douleur que procure ce médicament, mais, dans ces circonstances, il serait impossible pour une personne raisonnable de prévoir une perte de maîtrise ou de conscience de sa conduite.
[93]                          L’article 33.1 impose également une responsabilité criminelle lorsque l’intoxication ne s’accompagne pas de la prévisibilité objective d’un préjudice. Tout comme l’art. 33.1 ne fait aucune distinction fondée sur la gravité des conséquences de l’intoxication, il ne fait pas non plus de distinction fondée sur le risque de préjudice, risque qui peut varier selon la substance intoxicante ingérée. Il n’y a aucun doute que certaines formes d’intoxication volontaire intrinsèquement risquées — comme le fait de mélanger de l’alcool avec des drogues dangereuses — peuvent entraîner un préjudice raisonnablement prévisible. Le problème tient au fait que l’art. 33.1 s’applique même lorsque la substance intoxicante en question est bien connue pour ses propriétés relaxantes ou thérapeutiques : « . . . la disposition semble susceptible de s’appliquer à des personnes qui n’ont pas ou peu de choses à se reprocher » (H. Parent, « La constitutionnalité de l’article 33.1 du Code criminel : analyse et commentaires » (2022), 26 Rev. can. D.P. 175, p. 190). Des formes d’intoxication volontaire qui présentent un risque raisonnablement prévisible de préjudice sont plus blâmables que celles ne posant pas ce risque, parce que l’individu s’est intoxiqué en dépit des risques connus. Pourtant, l’art. 33.1 vise toutes ces formes sans distinction, reposant sur la prémisse que toute intoxication volontaire extrême est blâmable.
[94]                        De plus, même lorsqu’une infraction criminalise une activité intrinsèquement dangereuse, le juge des faits ne peut se contenter de conclure que l’accusé s’est écarté de façon marquée de la norme de diligence applicable (voir, p. ex., R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49; Roy). Il doit aussi se demander, en premier lieu, si une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris des mesures pour l’éviter et, en second lieu, si l’omission de l’avoir fait constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence attendue d’une personne raisonnable dans les circonstances. Comme l’a fait remarquer le professeur Parent, « le danger de condamner une personne qui n’est pas “suffisamment blâmable pour justifier une conclusion de responsabilité pénale” est bel et bien réel » (p. 191, citant Beatty, par. 33).
[95]                        L’article 33.1 dispose plutôt qu’une personne est réputée s’écarter de façon marquée de la norme de diligence à laquelle on s’attend dans la société canadienne dès lors qu’elle commet un acte violent alors qu’elle est dans un état d’intoxication volontaire extrême s’apparentant à l’automatisme. Il en est ainsi même lorsque la perte de maîtrise ou de conscience de sa conduite et le risque de préjudice n’étaient pas prévisibles, et même lorsque la conduite de l’accusé ne s’écartait en fait pas de façon marquée de la norme de la personne raisonnable. Ce faisant, l’art. 33.1 va à l’encontre du principe de justice fondamentale suivant lequel la responsabilité pénale exige la preuve d’une faute reflétant l’infraction et la peine dont est passible l’accusé (Renvoi sur la MVA, p. 513‑515; Vaillancourt, p. 653‑654). Puisque l’art. 33.1 permet à un tribunal de déclarer un accusé coupable sans preuve de la mens rea exigée par la Constitution, l’art. 33.1 viole l’art. 7 (Daviault, p. 90). En autorisant les tribunaux à déclarer des individus coupables d’un crime en l’absence d’une preuve de mens rea, l’art. 33.1 transforme ces infractions, punissables d’emprisonnement, en ce qui équivaut à des infractions de responsabilité absolue, en contravention de l’art. 7 de la Charte (Renvoi sur la MVA, p. 515).
b)            La volonté exigée par l’art. 7
[96]                        L’article 33.1 prévoit également que l’accusé est criminellement responsable de sa conduite involontaire. Comme l’absence de volonté écarte l’actus reus de l’infraction, la conduite involontaire n’est pas criminelle, et le droit canadien reconnaît que l’exigence relative au caractère volontaire requis pour qu’une personne soit reconnue coupable d’un crime est un principe de justice fondamentale (Luedecke, par. 53; Daviault, p. 91‑92). Monsieur Brown a été déclaré coupable par la Cour d’appel de voies de fait graves par suite d’actes qu’il n’a pas commis volontairement. Cela constitue une violation de l’art. 7.
[97]                        Il peut y avoir des situations dans lesquelles l’accusé devrait répondre de ses actes involontaires lorsqu’il est à blâmer pour l’état à l’origine de sa conduite involontaire. Sur le plan physique, les professeurs Plaxton et Mathen donnent l’exemple d’un accusé qui, en raison d’un réflexe involontaire, appuie sur la gâchette d’un pistolet qu’il a délibérément et volontairement braqué sur la victime (p. 264). Or, je suis en désaccord avec l’opinion du juge Slatter selon laquelle l’art. 33.1 s’applique d’une manière similaire lorsqu’il écrit que [traduction] « le Parlement est en droit d’imposer la responsabilité criminelle à partir du moment où une personne consomme volontairement une substance intoxicante, créant ainsi elle‑même un risque objectivement prévisible de causer un préjudice à autrui » (par. 25, citant Penno, p. 884‑885 et 904). L’essence de l’infraction prévue à l’art. 33.1 est le comportement violent pour lequel l’accusé est inculpé — dans le cas de M. Brown, des voies de fait graves — et non l’acte de consommer volontairement des substances intoxicantes.
[98]                          Le problème du caractère volontaire pourrait peut‑être être évité si le Parlement créait une infraction d’intoxication dangereuse ou d’intoxication causant des lésions dont l’un des éléments essentiels serait l’intoxication volontaire. Dans le cas de cette infraction hypothétique, l’essence de l’infraction est l’intoxication volontaire, et non l’acte involontaire qui s’ensuit. Je rappelle qu’il s’agit en partie de l’invitation que les juges majoritaires de notre Cour avaient formulée dans l’arrêt Daviault (p. 100); une mesure législative qui avait également déjà été proposée presque vingt ans avant l’adoption du projet de loi C‑72 par le juge Dickson, plus tard juge en chef, dans l’arrêt Leary (« le délit d’ivresse associée à un comportement dangereux ») (p. 46‑47). Je rappelle aussi que, dans l’arrêt Sullivan, le juge Paciocco a mentionné cette solution, soulignant qu’elle ne porterait pas atteinte aux droits garantis par la Charte dont l’art. 33.1 fait abstraction : [traduction] « On criminaliserait ainsi », a‑t‑il écrit, « l’acte même dont la Couronne affirme tirer la faute morale en cause, à savoir la décision de s’intoxiquer dans les cas où l’intoxication s’avère, en raison des gestes que pose par la suite l’accusé, avoir été dangereuse » (par. 134). Ce n’est toutefois pas ce que le Parlement a édicté, en ce sens que l’art. 33.1 expose l’accusé au risque d’une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction visée au par. 33.1(3) et non de l’intoxication extrême, qui n’est pas en soi un acte illégal.
c)              Substitution interdite par l’al. 11d)
[99]                        L’alinéa 11d) de la Charte garantit le droit de l’inculpé d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable. Pour faire déclarer l’accusé coupable, la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction, y compris la mens rea requise pour cette infraction. Comme mon collègue le juge Moldaver l’a expliqué dans l’arrêt Morrison, le Parlement prévoit parfois que la preuve d’un fait est présumée être la preuve de l’un des éléments essentiels d’une infraction, ajoutant que ce type de substitution peut être conforme à l’al. 11d). Pourtant, comme il l’a fait observer, la présomption d’innocence ne sera respectée que si la preuve du fait substitué mène « inexorablement » à la conclusion que l’élément essentiel qu’il remplace existe (par. 52). Ce lien doit nécessairement demeurer valable « dans tous les cas » et ne peut reposer sur une simple probabilité ni sur une déduction conforme au bon sens (par. 53). Sinon, l’accusé risque d’être déclaré coupable sur le fondement de la preuve du fait substitué, malgré l’existence d’un doute raisonnable quant à l’élément essentiel de l’infraction ainsi remplacé.
[100]                     De nombreux critiques de l’arrêt Daviault sont d’avis que l’état d’intoxication devrait alourdir la responsabilité de la personne qui s’intoxique et cause préjudice à autrui, même involontairement, et non l’exonérer (voir l’analyse dans P. Healy, « Criminal Reports Forum on Daviault : Extreme Intoxication Akin to Automatism Defence to Sexual Assault — Another Round on Intoxication » (1995), 33 C.R. (4th) 269, p. 271). On fait souvent valoir que la faute d’une personne qui se place dans une situation où elle perd la maîtrise de ses actes et cause du tort à autrui en raison de son intoxication volontaire constitue une preuve suffisante de la faute à l’égard de l’acte violent lui‑même. Je rappelle les propos précités tenus au Parlement par le ministre qui, après avoir fait état de la dissidence dans l’arrêt Daviault, faisait observer que le caractère répréhensible de l’intoxication volontaire pourrait suffire à prouver la responsabilité criminelle de l’accusé à l’égard des faits reprochés dans la mise en accusation, compte tenu de la gravité du tort causé.
[101]                     La Couronne soutient que l’art. 33.1 ne donne pas lieu à une substitution irrégulière, mais qu’il résulte plutôt du choix du Parlement de redéfinir la faute et la volonté requises pour qu’une personne soit déclarée coupable de l’infraction visée au par. 33.1(3). Lorsque la violence s’ensuit, l’expression « intoxication volontaire » à l’art. 33.1 comporte un élément de volonté, en ce que l’accusé doit à juste titre répondre de son libre choix de s’intoxiquer à un degré extrême. L’expression « volontaire » suppose par ailleurs l’existence de la mens rea exigée par la Constitution. Selon la Couronne, cette expression doit être interprétée comme signifiant que l’accusé savait ou aurait dû savoir que la substance qu’il ingérait était une substance intoxicante et qu’il avait envisagé le risque de s’intoxiquer ou aurait dû l’envisager. Il résulte par ailleurs du rapprochement des par. 33.1(1) et (2) que ces dispositions satisfont à l’exigence en matière de négligence criminelle que constitue l’écart marqué par rapport à la norme de la conduite raisonnable en raison de l’acte volontaire de s’intoxiquer.
[102]                     Je suis en désaccord avec la Couronne. Monsieur Brown a raison d’affirmer que l’art. 33.1 substitue irrégulièrement la preuve de l’intoxication volontaire à la preuve des éléments essentiels d’une infraction, ce qui va à l’encontre de l’al. 11d) de la Charte.
[103]                     Comme je l’ai déjà signalé, l’art. 33.1 abolit sans équivoque la défense selon laquelle l’accusé n’avait pas l’intention générale ou la volonté de commettre l’infraction. L’article 33.1 substitue donc la faute et la volonté de s’intoxiquer à la faute et à l’intention de commettre l’infraction violente. Cette disposition a été qualifiée de [traduction] « forme de culpabilité par procuration prévue par la loi » qui permet de substituer la culpabilité morale que l’on peut associer à l’intoxication extrême volontaire à la mens rea des infractions violentes d’intention générale sur lesquelles repose l’accusation portée en vertu du par. 33.1(3) (Lawrence, p. 391; voir aussi F. E. Chapman, « Sullivan. Specific and General Intent be Damned : Volition Missing and Mens Rea Incomplete » (2020), 63 C.R. (7th) 164, p. 167‑171). Pour éviter ce problème de substitution irrégulière, le juge des faits doit être convaincu que la faute associée à l’intoxication est telle que l’on puisse légitimement tenir l’individu responsable de sa conduite violente.
[104]                     L’article 33.1 ne satisfait pas au critère formulé dans l’arrêt Morrison et constitue une substitution irrégulière sur le plan constitutionnel. Même si l’accusé qui perd la maîtrise consciente de ses actes et attaque une autre personne après avoir passé la nuit à consommer abusivement des substances est sans aucun doute moralement blâmable, l’art. 33.1 se heurte à des difficultés évidentes. Il ne fait pas de distinction, par exemple, entre l’accusé et les personnes moralement irréprochables qui consomment volontairement des substances intoxicantes légales à des fins personnelles ou médicales. On ne peut donc pas dire que, « dans tous les cas » prévus à l’art. 33.1, on peut substituer l’intention de s’intoxiquer à l’intention de commettre une infraction violente. De plus, même dans le cas de l’accusé qui a volontairement ingéré une drogue illégale comme des champignons magiques, la preuve de l’intoxication volontaire n’entraîne pas inexorablement la conclusion que l’accusé voulait commettre ou a volontairement commis des voies de fait graves dans tous les cas.
[105]                     En somme, l’art. 33.1 a pour effet d’inviter le tribunal à reconnaître l’accusé coupable même lorsqu’il subsiste un doute raisonnable quant à la volonté ou à la faute requises pour prouver l’infraction violente, ce qui va à l’encontre de la présomption d’innocence prévue à l’al. 11d).
d)            Simultanéité
[106]                     En dernier lieu, M. Brown affirme que l’art. 33.1 contrevient à l’art. 7 de la Charte, parce que l’infraction violente survient après l’intention de s’intoxiquer, ce qui, selon M. Brown, est contraire à la règle de la simultanéité, selon laquelle l’actus reus et la mens rea doivent coïncider. La Couronne rétorque qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait symétrie entre la mens rea et les conséquences de l’acte prohibé.
[107]                     Il y a une différence entre symétrie et simultanéité. On entend par symétrie la connaissance ou la prévisibilité des conséquences précises de l’actus reus. Par exemple, dans l’arrêt Creighton, la juge McLachlin, plus tard juge en chef, a estimé qu’il n’était pas nécessaire que l’accusé ait prévu expressément que ses actes causeraient la mort, ajoutant qu’il suffisait qu’il ait prévu que ses actes causeraient des lésions corporelles qui ne soient ni sans importance ni de nature passagère (p. 44‑45). Pour qu’il y ait simultanéité, il doit y avoir concomitance entre l’intention coupable et l’acte prohibé, bien que ce principe soit appliqué avec souplesse (R. c. Cooper, 1993 CanLII 147 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 146, p. 156). La simultanéité n’a pas encore été reconnue comme un principe de justice fondamentale, et je refuse, en toute déférence, de le faire dans le cas qui nous occupe. La violation pour cause de négation de la mens rea, la violation du principe de la volonté et la violation pour cause de substitution irrégulière demeurent la façon la plus précise et la plus utile d’expliquer comment l’art. 33.1 impose une responsabilité absolue, en violation des principes de justice fondamentale.
[108]                     Je suis par conséquent d’accord avec la conclusion du juge ayant tenu le voir-dire et avec la juge Khullar, qui s’est appuyée sur les motifs de la majorité de la Cour d’appel dans l’arrêt Sullivan, que l’art. 33.1 viole l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte.
[109]                     Je vais maintenant me demander si l’art. 33.1 peut être sauvegardé en vertu de l’article premier.
C.            Analyse de la justification
[110]                     La Couronne doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les limites imposées à l’art. 7 et à l’al. 11d) par l’art. 33.1 sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer au sens de l’article premier de la Charte (Oakes, p. 135 et 137). Les objectifs législatifs de cette disposition doivent être suffisamment urgents et réels pour justifier la restriction d’un droit garanti par la Charte. Les objectifs du Parlement et les moyens qu’il a choisis doivent également être proportionnels. La proportionnalité comporte trois aspects : (i) le lien rationnel avec l’objectif, (ii) l’atteinte minimale au droit et (iii) la proportionnalité entre les effets de la mesure et l’objectif (Oakes, p. 138‑139; R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, [2016] 1 R.C.S. 906, par. 58).
[111]                     Contrairement à la situation en cause dans l’affaire Daviault, le Parlement disposait d’un dossier sur les problèmes sociaux associés à l’intoxication extrême et à la violence lorsqu’il a adopté l’art. 33.1. Les données faisaient ressortir la forte corrélation qui existe entre la consommation d’alcool et de drogues et la perpétration d’infractions violentes, en particulier contre les femmes, et elles ont attiré l’attention du Parlement sur les droits à l’égalité, à la dignité et à la sécurité de toutes les victimes d’actes de violence commis par des individus en état d’intoxication, une attention particulière étant accordée aux groupes vulnérables, notamment les femmes et les enfants. Eu égard aux circonstances des trois pourvois dont la Cour est saisie, il est indéniable que MM. Brown, Sullivan et Chan ont infligé de graves sévices à leurs victimes et leur ont causé des blessures physiques et psychologiques durables. Les objectifs de protection du public visés par le projet de loi C‑72 ne doivent pas être sous‑estimés : ces intérêts méritent une attention particulière aux deux principales étapes de l’analyse fondée sur l’article premier.
[112]                     Bien que l’art. 33.1 témoigne des visées générales du Parlement à l’égard du bien commun, il fait également intervenir la confrontation traditionnelle entre l’individu accusé et l’État dans le cadre d’une poursuite criminelle. Comme nous l’avons vu, l’art. 33.1 remet en question des principes au cœur même de notre système de justice, notamment la présomption d’innocence, qui ont pour raison d’être de protéger les personnes moralement innocentes et de prévenir les déclarations de culpabilité injustifiées. Je constate que le Parlement avait ces considérations en tête lorsqu’il a adopté l’art. 33.1. On a fait largement abstraction du sixième paragraphe du préambule, dans lequel le Parlement énonce sa volonté de « promouvoir et assurer la protection des droits que les articles 7, 11, 15 et 28 de la Charte canadienne des droits et libertés garantissent à tous ». Certes, ce paragraphe mentionne aussi les droits des victimes, notamment des femmes et des enfants. Mais la mention de l’art. 7 vaut également, bien sûr, pour les personnes accusées et, ce qui est encore plus révélateur, la mention de l’art. 11, dont la présomption d’innocence garantie par l’al. 11d), ne peut viser que « [t]out inculpé ». En annonçant ses objectifs d’intérêt public de protéger les victimes d’actes de violence commis en état d’intoxication, d’une part, et les droits de l’accusé, d’autre part, le Parlement semble avoir anticipé dans le préambule la délicate mise en balance que doit effectuer notre Cour au regard de l’article premier de la Charte.
[113]                     Invoquant les objectifs de l’art. 33.1, la Couronne fait valoir que la Cour d’appel de l’Alberta a eu raison de statuer que cette disposition impose des limites raisonnables et qu’elle est justifiée en vertu de l’article premier. Quant à M. Brown, il soutient que la disposition ne satisfait à aucun des volets de l’analyse de la proportionnalité. Le seul objectif valable n’est pas rationnellement lié à la disposition, il ne constitue pas une atteinte minimale, et le risque non négligeable de déclarations de culpabilité injustifiées l’emporte sur ses effets bénéfiques.
[114]                     À mon humble avis, M. Brown sous‑estime considérablement les importants objectifs d’intérêt public que poursuivait le Parlement en adoptant l’art. 33.1. Cela dit, étant donné le risque manifeste que l’art. 33.1 entraîne la déclaration de culpabilité d’un accusé qui n’avait aucune raison de croire que son intoxication volontaire donnerait lieu à des actes violents, je conviens avec lui, de même qu’avec les intimés dans les pourvois Sullivan et Chan, que l’art. 33.1 échoue à l’étape de la proportionnalité et ne peut donc être sauvegardé en vertu de l’article premier. Après avoir soupesé les effets bénéfiques et les effets préjudiciables de l’art. 33.1, y compris le risque que constituent à mon avis des déclarations de culpabilité injustifiées, je conclus que le coût des objectifs du Parlement est trop élevé.
(1)         Objectif urgent et réel
[115]                     L’historique parlementaire, le préambule et, bien sûr, l’art. 33.1 lui‑même mettent tous en relief les raisons principales pour lesquelles cet article a été adopté après l’arrêt Daviault : la protection des victimes d’actes de violence commis en état d’intoxication extrême et l’idée que la loi devrait tenir les contrevenants responsables des lésions corporelles qu’ils causent à autrui quand ils font le choix de devenir extrêmement intoxiqués. Voilà, à quelques variations près, les objectifs reconnus par le juge qui a tenu le voir‑dire et par tous les juges de la Cour d’appel en l’espèce.
[116]                     Bien qu’il soit assez facile de cerner ces aspirations générales, les accusés dans le présent pourvoi et les pourvois Sullivan et Chan soutiennent tous que les objectifs d’une disposition doivent être décrits avec une précision accrue lorsqu’on se demande si une disposition violant la Charte est justifiée au regard de l’article premier. On dit à juste titre que, pour que l’objectif de la disposition soit « urgent et réel », on doit le qualifier à la lumière des exigences de l’analyse établie dans Oakes pour qu’il soit utile aux fins de l’opération (Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, [2019] 1 R.C.S. 3, par. 46; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, par. 76). Il faut cerner correctement l’objectif afin de justifier l’atteinte à la Charte, sinon l’opération n’est pas utile pour la mise en balance exigée par l’article premier. Si l’on donne à l’objectif une portée trop large et sans tenir compte de l’atteinte, l’analyse du lien rationnel dans Oakes et la mise en balance au cœur de l’analyse fondée sur l’article premier risquent de perdre leur raison d’être. On peut affirmer avec justesse que pratiquement tout le droit pénal substantiel vise, dans une certaine mesure, à « protéger les victimes d’actes criminels » et à « tenir les auteurs de ces actes responsables de leur comportement blâmable ». Ainsi qualifié, l’art. 33.1 serait inévitablement considéré comme ayant un lien rationnel avec son objet, et l’appréciation de la proportionnalité serait contrecarrée, de sorte que l’analyse fondée sur l’article premier perdrait sa valeur explicative.
[117]                     Il ne suffit donc pas de dire, comme le fait le procureur général du Canada en l’espèce, que le fait de [traduction] « protéger les victimes de crimes commis en état d’intoxication » et de « tenir les auteurs d’actes de violence commis en état d’intoxication responsables de leur conduite » définit avec suffisamment de précision l’objectif que visait le Parlement en adoptant l’art. 33.1 pour fonder l’analyse relative à l’article premier (m.interv., par. 3 et 6). En particulier, c’est l’une des raisons pour lesquelles le juge Paciocco a rejeté la responsabilisation en tant qu’objectif urgent et réel dans l’arrêt Sullivan. Non seulement la « responsabilité d’un comportement moralement répréhensible » est‑elle inutilement large, la « responsabilité conforme à la Constitution d’un comportement moralement répréhensible » mène elle aussi à une impasse, en ce que la dernière qualification de l’objectif de responsabilisation risque de mener à un raisonnement circulaire en confondant les fins de la disposition législative et ses moyens. Il ne suffit pas non plus de dire que le Parlement ne cherchait qu’à instaurer par voie législative une norme de faute, car cela décrirait l’objectif de manière trop étroite et ne ferait que répéter les moyens choisis pour réaliser les fins législatives (K.R.J., par. 63).
[118]                     Quels sont alors les objectifs de l’art. 33.1 et sont‑ils cernés adéquatement pour permettre l’analyse de la justification au regard de l’article premier?
[119]                     Il est clair que, par‑dessus tout, l’art. 33.1 refuse aux contrevenants extrêmement intoxiqués la défense d’automatisme en tant qu’exception aux règles sur l’intoxication reconnue dans Daviault. Le Parlement l’a fait en ayant deux objectifs précis en tête. D’abord, il a cherché à protéger les victimes d’actes de violence commis par un contrevenant en état d’intoxication extrême, en portant une attention particulière aux femmes et aux enfants dont le droit à une place égale dans la société est compromis par les agressions sexuelles et d’autres crimes violents d’intention générale en pareilles circonstances. Ensuite, il a cherché à obliger les contrevenants à répondre de leur choix d’ingérer volontairement des substances intoxicantes, lorsque ce choix risque de donner lieu à un crime violent. Ces contrevenants devraient être tenus responsables du tort qu’ils causent en raison de leur choix de s’intoxiquer et de créer par le fait même le risque d’intoxication extrême. Autrement dit, outre son objectif de protéger les victimes de tels crimes, le Parlement voulait expliquer, sur le plan moral, pourquoi ceux et celles qui choisissent de s’intoxiquer à un degré extrême et risquent de poser des gestes violents ne devraient pas pouvoir invoquer la défense d’automatisme. Contrairement à la personne qui devient un automate en raison d’une force externe indépendante de sa volonté, la personne qui devient extrêmement intoxiquée de son plein gré a pris le risque de causer du tort à autrui dans cet état. Le Parlement a cherché à obliger l’accusé à répondre de ce choix. Voilà les deux objectifs que le Parlement jugeait suffisants pour justifier l’adoption d’une disposition législative qui, comme nous l’avons vu, viole à première vue l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte.
[120]                     Je partage l’opinion selon laquelle l’objectif de protection est suffisamment urgent et réel pour justifier la restriction de droits garantis par la Charte. Ainsi que l’a déclaré le juge en chef Lamer dans l’arrêt R. c. Robinson, 1996 CanLII 233 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 683, par. 43 : « Il ne fait aucun doute que la protection du public contre les contrevenants en état d’intoxication est d’une importance suffisante pour justifier la dérogation à un droit ou à une liberté protégés par la Constitution. »
[121]                     Dans l’arrêt Sullivan, le juge Paciocco a expliqué pourquoi il jugeait inacceptable l’objectif de responsabilisation et, en conséquence, pourquoi celui‑ci ne peut être considéré comme un « objectif urgent et réel » selon l’analyse prescrite dans l’arrêt Oakes. Il a notamment écrit ce qui suit : [traduction] « Une préférence envers d’autres valeurs que celles que consacre la Constitution ne saurait constituer une raison urgente et réelle de nier des droits constitutionnels » (par. 113).
[122]                     En toute déférence, je ne suis pas d’accord. Premièrement, comme je le fais remarquer plus loin, quand il a adopté l’art. 33.1, le Parlement n’a pas « rejeté » les valeurs constitutionnelles dont il est question dans l’arrêt Daviault. Comme l’a mentionné le ministre en Chambre et comme en témoigne le préambule du projet de loi C‑72, la disposition législative visait à respecter tant les droits de l’accusé que les intérêts des victimes. Plus important encore, j’estime que, bien interprété, l’objectif spécifique de responsabilisation visé par le Parlement dans les circonstances de l’espèce n’est ni trop large, ni ne mène à un raisonnement circulaire qui contrecarrerait l’utilité de l’arrêt Oakes.
[123]                     Les objectifs qui ont poussé le Parlement à adopter l’art. 33.1 dans la foulée de l’arrêt Daviault ne sont pas entièrement résumés par le but unique de protéger les victimes d’un crime violent commis par des personnes en état d’intoxication extrême. Pour le Parlement, l’art. 33.1 visait également à exprimer un point de vue moral, énoncé dans le préambule, selon lequel une personne ne devrait pas pouvoir échapper à toute responsabilité pour certains crimes violents en raison de son intoxication extrême volontaire. En Chambre, le ministre a indiqué clairement, alors qu’il parlait de son approche fondée sur le principe de responsabilisation, qu’« [o]n ne peut pas permettre à des gens de prétexter l’ivresse ou d’autres formes d’intoxication pour échapper à la responsabilité de leur conduite criminelle » (Hansard, 27 mars 1995, p. 11038). L’objectif qu’avait le Parlement en adoptant l’art. 33.1 renvoie à la notion de responsabilité personnelle et à sa pertinence pour la possibilité d’invoquer la défense d’automatisme dans le cas de la violence perpétrée en état d’intoxication.
[124]                     L’objectif sur la base duquel le Parlement voulait agir se distingue de l’objectif de protection de la disposition législative. En fait, il repose sur l’idée philosophique qu’un individu ne devrait pas être en mesure de créer les conditions de sa propre défense au criminel pour se soustraire à la responsabilité du crime commis (voir S. Dimock, « Actio Libera in Causa » (2013), 7 Crim. Law and Philos. 549, p. 511 (qui donne l’exemple du contrevenant qui s’est volontairement intoxiqué); voir aussi Plaxton et Mathen, p. 257). Comme l’a écrit le professeur Parent, en plus de protéger le public, « l’article 33.1 vise à responsabiliser les personnes intoxiquées qui portent atteinte à l’intégrité physique d’autrui » compte tenu de ce qu’il décrit comme la « participation active de l’individu dans la création de l’incapacité qu’il invoque et du risque qui s’est concrétisé » (p. 176 et 184 (en italique dans l’original)). L’essence de l’objectif de responsabilisation se situe là : un individu est responsable de son absence de volonté parce que son choix d’ingérer des substances intoxicantes et de devenir extrêmement intoxiqué finit par créer un risque de violence. La conduite physiquement involontaire ne découle pas d’un accident ou d’une quelconque force externe, mais d’un choix et, en conséquence, le Parlement a jugé que le contrevenant doit répondre de cette conduite. Le lien constaté dans l’historique parlementaire entre la violence et l’intoxication serait atténué, selon ce point de vue moral, si les gens assumaient la responsabilité du choix qu’ils ont fait de consommer des substances intoxicantes et les risques que pose ce choix. Vu le danger qu’ils créent de par le caractère volontaire de leur intoxication extrême, les gens qui causent du tort à autrui dans cet état sont « loin d’être sans reproche », pour rappeler l’expression utilisée par le juge Sopinka, dans ses motifs dissidents dans Daviault. En réponse à la réaction du public face à l’arrêt Daviault, l’art. 33.1 a pour objectif d’intérêt public distinct de tenir responsables du danger qu’elles ont créé les personnes qui s’intoxiquent volontairement à l’extrême.
[125]                     La démonstration peut‑être la plus claire que l’objectif du Parlement ne peut être limitée à l’objet de protection réside dans l’explication qu’a donnée le ministre au sujet de la raison pour laquelle la création d’une infraction autonome a été rejetée au motif qu’elle ne permettait pas la réalisation des objectifs qu’il visait. Il a accepté l’avis qu’une nouvelle infraction autonome d’intoxication criminelle aurait représenté une solution inadéquate. Bien qu’elle eût offert une protection contre la violence perpétrée en état d’intoxication extrême, elle ne permettrait pas de réaliser l’objectif de responsabilisation visé par le Parlement en ce que le contrevenant n’aurait pas à répondre du fait d’avoir créé le risque de commettre un crime violent visé plus grave, susceptible d’entraîner une peine et un opprobre plus significatifs. Même s’il était reconnu coupable de la nouvelle infraction, en raison de son intoxication extrême volontaire, le contrevenant ne répondrait pas de toute l’étendue du préjudice en droit, et il bénéficierait de ce que le ministre a appelé un « tarif réduit pour ivresse » (« drunkenness discount » en anglais) (Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, 6 avril 1995, p. 6). Le ministre a affirmé en Chambre que « [l]e gouvernement croit que l’individu qui devient volontairement intoxiqué au point de perdre le contrôle ou la conscience de ses actes [. . .] doit [. . .] être tenu criminellement responsable [c.‑à‑d. des voies de fait reprochées], et de rien de moins » (Hansard, 27 mars 1995, p. 11037).
[126]                     Cet objectif distinct et détaillé de responsabilisation peut servir d’objet pour les besoins de l’analyse prescrite par l’arrêt Oakes dans les circonstances inusitées de la présente affaire. En l’espèce, l’objet concerne le choix de créer un risque, et ce choix n’est pas la conduite que le Parlement cherche à criminaliser. Autrement dit, l’objet se distingue de l’essence de l’infraction (c.‑à‑d. les voies de fait), ce qui fait en sorte que la fin et les moyens demeurent distincts. Formulée ainsi, la responsabilisation dans ce contexte est urgente et réelle, et elle cadre bien dans l’analyse prescrite par Oakes. Il ne s’agit pas seulement d’une préférence envers d’autres valeurs aux dépens de droits constitutionnalisés; qu’il ait raison ou tort, le Parlement a fait le choix de politique générale que la responsabilité d’avoir créé un risque de violence et de lésions corporelles par le biais de l’intoxication volontaire extrême prime dans une société libre et démocratique (voir Coughlan, p. 2). Cette formulation de l’objectif de responsabilisation n’est pas circulaire; la conclusion selon laquelle un droit a été violé, conclusion à laquelle je suis arrivé en l’espèce à l’égard de l’art. 7 et de l’al. 11d), est de nature préliminaire. L’« atteinte » dans ce contexte est une restriction qui n’est pas justifiée (K.R.J., par. 91‑92 et 115‑116). On ne peut répondre à la question de l’atteinte qu’une fois que les violations prima facie ont été examinées eu égard aux considérations d’intérêt public générales prescrites par l’arrêt Oakes.
[127]                     En clair, cette conclusion repose sur les préoccupations particulières qu’avait le Parlement lors de l’adoption de l’art. 33.1. L’affaire qui nous occupe soulève des enjeux inhabituels, et on ne devrait pas considérer qu’elle permet aux gouvernements de justifier des tentatives d’élargir couramment la responsabilité criminelle. L’objectif de responsabilisation doit, comme en l’espèce, être défini avec précision, se distinguer des moyens et, surtout, être suffisamment impérieux d’un point de vue social pour justifier la violation de droits.
(2)         La proportionnalité
a)              Lien rationnel
[128]                     À ce stade, la Couronne doit démontrer, premièrement, qu’il existe un lien rationnel entre l’art. 33.1 et le fait de tenir des individus responsables, de la manière la plus complète possible, du choix de s’intoxiquer à l’extrême et de la violence perpétrée alors qu’ils se trouvaient dans cet état, puis, deuxièmement, qu’il existe un lien rationnel entre cette disposition et le fait de protéger les groupes vulnérables de la violence perpétrée dans un état d’intoxication extrême. Il doit y avoir « un lien causal, fondé sur la raison ou la logique, entre la violation et l’avantage recherché » (RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général, 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 153).
[129]                     À l’instar de MM. Chan et Sullivan, M. Brown fait porter principalement ses critiques sur le lien entre l’art. 33.1 et la protection des groupes vulnérables. Selon M. Brown, l’intérêt de l’objectif de protection tient à l’effet dissuasif de l’art. 33.1, effet qui n’est pas réalisable. Puisqu’une personne ne peut pas nécessairement prévoir la possibilité de se retrouver dans un état d’automatisme ou de commettre un acte de violence alors qu’elle se trouve dans cet état, l’art. 33.1 ne peut avoir d’effet dissuasif significatif. Bref, la dissuasion ne peut avoir d’effet sur un automate.
[130]                     Je suis d’accord avec la Cour d’appel en l’espèce pour dire que les effets de dissuasion et de dénonciation de l’art. 33.1 établissent un lien rationnel avec l’objectif de protection visé par le Parlement.
[131]                     Je reconnais la critique du juge Paciocco selon laquelle l’art. 33.1 ne produit pas d’effet dissuasif significatif appuyant l’objectif de protection visé par le Parlement. Dans l’arrêt Sullivan, le juge Paciocco écrit que, [traduction] « [p]our être efficace, la dissuasion exige que l’on puisse prévoir [. . .] des conséquences pénales » (par. 121). [traduction] « Je ne suis pas convaincu », poursuit‑il, « qu’une personne raisonnable anticiperait le risque que, en s’intoxiquant volontairement, elle puisse se retrouver dans un état d’automatisme et commettre involontairement un acte violent » (ibid.).
[132]                     Il est sans doute vrai que l’effet dissuasif de la disposition serait plus immédiat si l’on pouvait avoir la certitude que les accusés sont conscients du risque de violence associé à l’intoxication volontaire extrême, et que cet élément ne figure pas à l’art. 33.1. Toutefois, conformément à sa vision morale de la faute exprimée dans le préambule, le Parlement a insisté sur le choix de s’intoxiquer à l’extrême. La valeur dissuasive de l’art. 33.1 devrait aussi être examinée en fonction de l’individu au moment où il fait ce choix. S’il est vrai que l’art. 33.1 s’applique à l’accusé qui ne pouvait pas prévoir le risque de perte de maîtrise ou de lésions corporelles, il s’applique également aux situations dans lesquelles il existe un risque prévisible de perte de maîtrise et de préjudice. Tomberaient ainsi sous le coup de l’art. 33.1 les individus qui consomment une substance intoxicante à effets psychogènes, y compris ceux qui savent qu’ils ont déjà, par le passé, perdu la maîtrise de leurs actes alors qu’ils se trouvaient dans un état de psychose provoqué par une drogue. Il est raisonnable que le Parlement s’attende à ce que cette disposition ait un modeste effet dissuasif sur ces individus. Cet effet dissuasif agit « en amont », comme l’écrit le professeur Parent (p. 187), en dissuadant ceux qui envisagent de s’intoxiquer à un degré aussi extrême. En conséquence, il existe un lien rationnel entre l’art. 33.1 et son objectif de protection.
[133]                     Les tribunaux devraient faire preuve de prudence avant de conclure qu’une mesure donnée est inefficace dans des circonstances de ce genre simplement parce qu’ils pourraient imaginer d’autres moyens de la rendre plus efficace. À mon avis, la Couronne a satisfait au critère du lien rationnel avec l’objectif de protection visé par le Parlement.
[134]                     De plus, il existe un lien rationnel entre l’art. 33.1 et l’objectif consistant à tenir les individus responsables, de la manière la plus complète possible, de leur choix de devenir extrêmement intoxiqués et de la violence perpétrée alors qu’ils se trouvent dans cet état. Il est évident que, lorsqu’une personne ne peut faire valoir un moyen de défense qui pourrait entraîner son acquittement, elle doit répondre d’actes dont elle n’aurait autrement pas eu à répondre.
b)            Atteinte minimale
[135]                     L’État doit démontrer que la disposition contestée porte atteinte à des droits aussi peu que cela est raisonnablement possible dans la poursuite de l’objectif législatif (RJR‑MacDonald, par. 160; Oakes, p. 139). On ne devrait conclure qu’une disposition ne satisfait pas au critère de l’atteinte minimale que dans les cas où il existe un autre moyen moins attentatoire de réaliser l’objectif « de façon réelle et substantielle » (K.R.J., par. 70; Hutterian Brethren, par. 55). Il est entendu que les tribunaux font preuve d’une certaine déférence à l’égard du législateur à cette étape de l’analyse. La question est de savoir si l’art. 33.1 se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables dont le Parlement disposait pour réaliser ses objectifs; s’il se situe à l’intérieur de cette gamme, on ne devrait pas conclure que ce choix ne satisfait pas au critère de l’atteinte minimale simplement parce que, de l’avis de la Cour, une autre solution aurait été mieux adaptée à l’objectif (voir RJR‑MacDonald, par. 160). C’est le cas particulièrement lorsque la mesure contestée tente d’établir un équilibre entre des valeurs sociales légitimes, mais opposées (Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61, par. 439, motifs concordants de la juge en chef McLachlin). C’est le cas en l’espèce : le débat entourant l’adoption de l’art. 33.1 et son application à MM. Sullivan, Chan et Brown a mis en lumière le défi auquel le Parlement était confronté lorsqu’il tentait de trouver un équilibre entre les droits de l’accusé et l’intérêt que la société porte à l’égalité et à la dignité des victimes d’actes de violence commis en état d’intoxication.
[136]                     Je peux aisément imaginer d’autres solutions moins attentatoires. De nombreux auteurs de doctrine ont proposé des solutions qui empiéteraient moins sur les droits de l’accusé (voir, p. ex., D. Stuart, « Parliament Should Declare a New Responsibility for Drunkenness Based on Criminal Negligence » (1995), 33 C.R. (4th) 289; T. Quigley, « A Time for Parliament to Enact an Offence of Dangerous Incapacitation » (1995), 33 C.R. (4th) 283; M. Tremblay, « Charte canadienne et intoxication volontaire : l’article 33.1 du Code criminel et ses solutions de rechange » (2020), 79 R. du B. 67, p. 98; G. Ferguson, « The Intoxication Defence : Constitutionally Impaired and in Need of Rehabilitation » (2012), 57 S.C.L.R. (2d) 111). Le juge Paciocco a conclu qu’une infraction autonome d’intoxication criminelle permettrait d’atteindre des objectifs semblables à ceux de l’art. 33.1 et améliorerait sans doute l’objectif de protection en faisant en sorte que la dissuasion soit davantage axée sur l’intoxication elle‑même (par. 132‑134). Il est certes vrai, comme l’a déclaré le ministre devant le Parlement, qu’une nouvelle infraction moins stigmatisante et assortie de peines moins lourdes aurait pour effet de punir moins sévèrement les contrevenants pour les torts qu’ils ont commis en état d’intoxication que si ceux-ci étaient reconnus coupables de l’infraction visée au par. 33.1(3). Mais il s’agit d’une solution de rechange aux conséquences qu’entraîne le fait de permettre à un contrevenant extrêmement intoxiqué d’échapper à toute sanction.
[137]                     Outre la création d’une infraction autonome, certaines personnes ont proposé d’autres moyens de tenir les accusés responsables de l’infraction violente visée au par. 33.1(3) en appliquant une norme de négligence criminelle élaborée plus soigneusement que celle proposée à l’art. 33.1. Le juge qui a tenu le voir‑dire en a donné un exemple. Il a accepté la légitimité de l’objectif du Parlement de tenir les individus responsables des actes violents qu’ils commettent lorsqu’ils s’écartent d’une norme de diligence minimale en consommant volontairement des substances intoxicantes (par. 79). Il a toutefois fait observer que cette norme pourrait être respectée par un moyen moins attentatoire si l’on prévoyait à l’art. 33.1 une véritable norme de faute objective clairement associée à l’action de s’intoxiquer volontairement, ce qui permettrait au juge des faits de déterminer si une perte de maîtrise et l’infliction de lésions corporelles étaient toutes deux raisonnablement prévisibles au moment de l’intoxication (par. 80). Il a conclu qu’on établirait ainsi [traduction] « un lien véritable entre la mens rea de l’intoxication et la mens rea de l’infraction reprochée » (ibid.). On respecterait ainsi le principe énoncé dans les arrêts DeSousa et Creighton suivant lequel il n’est pas nécessaire d’avoir envisagé de conséquences précises dès lors qu’il existe un risque objectivement prévisible de causer des lésions corporelles.
[138]                     En ce qui concerne l’analyse de l’atteinte minimale, l’infraction autonome ne permet pas de réaliser pleinement l’objectif du Parlement et elle n’est donc pas une solution viable. En effet, l’infraction commise par M. Brown aurait été qualifiée d’intoxication négligente ou dangereuse, au lieu d’exposer ce dernier à l’opprobre d’une accusation de voies de fait graves. L’infraction autonome aurait également pu donner lieu à des peines moins sévères et, pour cette raison, on a reproché à cette solution de proposer un « tarif réduit pour ivresse ». En fait, le Parlement a écarté la solution consistant à établir une infraction autonome parce qu’elle ne reconnaîtrait pas le véritable tort commis par le contrevenant et laisserait entendre que ce dernier ne devrait pas être tenu responsable du préjudice inhérent à l’infraction visée au par. 33.1(3) (voir, p. ex., ministère de la Justice, La responsabilité criminelle pour intoxication volontaire : note explicative (1995), p. 5‑6). Cela constituerait un échec particulier en ce qui concerne l’objectif du Parlement de tenir les agresseurs responsables de la manière la plus complète possible de leur choix de devenir extrêmement intoxiqués et de la violence perpétrée alors qu’ils se trouvent dans cet état (voir P. Healy, « Intoxication in the Codification of Canadian Criminal Law » (1994), 73 R. du B. can. 515, p. 541‑542; E. Sheehy, « The intoxication defence in Canada : why women should care » (1996), 23 Contemp. Drug Probs. 595, p. 618). Dans ces circonstances, il est difficile de conclure que l’infraction autonome permettrait de réaliser de tels objectifs « d’une manière réelle et substantielle ».
[139]                     La solution de rechange proposée par le juge qui a tenu le voir-dire permettrait toutefois de déclarer l’accusé coupable de l’acte violent visé au par. 33.1(3) et non simplement d’intoxication négligente ou dangereuse. L’incorporation d’une véritable norme d’écart marqué à l’art. 33.1 ferait en sorte que cette disposition respecte la norme minimale de faute objective exigée par la Constitution (dans le cas des infractions dont la Constitution n’exige pas qu’elles comportent une faute subjective, selon l’arrêt R. c. Martineau, 1990 CanLII 80 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 633). D’ailleurs, la juge Khullar a reconnu que cette solution de rechange serait [traduction] « moins problématique ».
[140]                     Je suis conscient qu’il convient de faire preuve de déférence envers le Parlement dans cette analyse. De fait, pour ce qui est de l’élaboration d’une nouvelle réponse législative au problème de la violence perpétrée en état d’intoxication, c’est au Parlement qu’il incombe de décider de l’équilibre à trouver entre les objectifs qu’il vise tout en respectant dans toute la mesure du possible les droits garantis par la Charte (voir, p. ex., P. W. Hogg et A. A. Bushell, « The Charter Dialogue Between Courts and Legislatures » (1997), 35 Osgoode Hall L.J. 75; D. Baker et R. Knopff, « Daviault Dialogue : The Strange Journey of Canada’s Intoxication Defence » (2014), 19 R. études const. 35, p. 41). Le Parlement souhaite peut‑être également étudier et encadrer cet enjeu selon la nature et les propriétés de la substance intoxicante. Les effets communs de la substance intoxicante, sa légalité et les circonstances dans lesquelles elle a été obtenue peuvent être des facteurs pertinents relativement à la norme de l’écart marqué.
[141]                     À la lumière de ces solutions de rechange, en particulier celle proposée par le juge qui a tenu le voir‑dire, laquelle aurait permis de réaliser l’objectif de responsabilisation visé par le Parlement de manière réelle et substantielle, je conclus que l’art. 33.1 ne porte pas une atteinte minimale. Les objectifs de protection et de responsabilisation visés par le Parlement auraient été réalisés en partie par l’infraction autonome et réalisés de façon encore plus complète si le Parlement avait donné suite adéquatement à son projet de disposition fondé sur une norme de négligence criminelle conforme à la Constitution. Mais je reconnais qu’il s’agit d’une décision épineuse et que les experts qui ont étudié les solutions de rechange ne sont pas tous du même avis. Par exemple, le professeur Parent propose pas moins de quatre variantes du thème de la négligence criminelle, toutes conçues pour que la faute objective exigée par un art. 33.1 remodelé fasse en sorte que seules les personnes qui méritent l’opprobre d’une déclaration de culpabilité au criminel soient punies pour les infractions d’intention générale (p. 191).
[142]                     Si je conclus que l’art. 33.1 ne porte pas minimalement atteinte aux droits garantis à l’accusé par l’art. 7 et l’al. 11d), je reconnais que le Parlement a droit à une certaine déférence dans l’appréciation du caractère raisonnable des solutions de rechange en matière de politiques. Toutefois, même si ceux et celles qui défendent la disposition au motif qu’elle équivaut à une atteinte minimale avaient raison, j’estime sans équivoque que l’art. 33.1 échoue au dernier volet du critère de la proportionnalité, qui révèle les failles les plus profondes de la disposition. Étant conscient que le critère de la proportionnalité est de nature holistique et repose sur un lien étroit entre les deux dernières étapes de l’analyse prescrite par l’arrêt Oakes (Hutterian Brethren, par. 191, le juge LeBel), j’aborde maintenant la question de savoir pourquoi l’art. 33.1 échoue aussi à l’étape de l’évaluation des avantages relatifs et des effets préjudiciables de la disposition en fonction de l’analyse prescrite dans Oakes.
c)              Proportionnalité entre les effets et les objectifs
[143]                     À la dernière étape de l’analyse fondée sur l’article premier, la question consiste à se demander s’il y a proportionnalité entre les effets globaux de la mesure qui porte atteinte à la Charte et les objectifs législatifs (Oakes, p. 139; Hutterian Brethren, par. 72‑73). Il faut pour ce faire procéder à l’évaluation la plus vaste possible des avantages de l’art. 33.1 pour la société, en les mettant en balance avec le prix à payer pour les restrictions apportées à l’art. 7 et à l’al. 11d) de la Charte (voir K.R.J., par. 77; Bedford, par. 123; Carter, par. 122). Pour effectuer cette mise en balance, le tribunal doit « transcender l’objectif de la règle de droit et se livrer à un examen rigoureux de l’incidence de la règle de droit sur la société libre et démocratique [traduction] “d’une manière directe et explicite” » (K.R.J., par. 79).
[144]                     Monsieur Brown affirme que la Cour d’appel a commis une erreur en minimisant les effets préjudiciables de l’art. 33.1, en ce sens que cette disposition ouvrirait la porte à des déclarations de culpabilité injustifiées fondées sur des actes involontaires en l’absence d’une prévisibilité même raisonnable des conséquences de tels actes. En réponse, la Couronne demande à notre Cour d’accepter l’analyse de la proportionnalité qu’a effectuée la Cour d’appel, en particulier l’analyse de la juge Khullar. Selon la Couronne, la Cour devrait faire sienne l’importance que la juge Khullar accorde à la nature genrée des actes de violence commis en état d’intoxication et aux mesures prises par le Parlement pour s’attaquer à ce problème à l’art. 33.1, malgré la restriction apportée aux droits garantis à l’accusé par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte, restriction dont, soutient la Couronne, M. Brown aurait exagéré l’ampleur.
[145]                     À mon avis, M. Brown a raison sur ce point. Au final, les avantages concrets de l’art. 33.1 ne l’emportent pas sur le coût à payer, en particulier en ce qui concerne ce que le juge qui a tenu le voir‑dire a appelé les [traduction] « principes sacro‑saints » qui font partie intégrante de notre système de justice criminelle, notamment la présomption d’innocence (par. 89).
(i)            Effets bénéfiques
[146]                     En incluant des crimes d’intention générale de violence sexuelle et familiale au par. 33.1(3), les modifications apportées au Code criminel contribuent à assurer le droit des femmes et des enfants à la protection égale et au même bénéfice de la loi qui leur est garanti par la Charte, comme le promet le préambule. La disposition exprime le lien étroit et pernicieux qui existe entre l’intoxication volontaire extrême et la violence. En supprimant le moyen de défense au par. 33.1(1), elle fait en sorte que l’acte moralement répréhensible que constitue l’intoxication volontaire extrême ne peut pas être utilisé légalement pour justifier la violence, ce qui constitue de toute évidence une mesure qui favorise l’intérêt public. L’article 33.1 témoigne de la forte intolérance de la société à l’égard de tels comportements et confirme l’engagement de la société envers les droits à l’égalité et à la sécurité des personnes qui risquent d’être victimes de crimes commis par des individus en état d’intoxication.
[147]                     La juge Khullar a bien décrit la [traduction] « reconnaissance de la dignité et de la valeur intrinsèque des femmes et des enfants » lorsqu’elle a écrit que cette reconnaissance « donne un certain sens » aux droits à l’égalité consacrés dans la Charte, et elle l’a à bon droit reconnue en tant qu’effet bénéfique de l’art. 33.1 dans l’analyse de la justification (par. 202). D’autres ont à juste titre fait observer que la violence à l’égard des groupes vulnérables est [traduction] « l’un des facteurs qui a pour effet de priver les femmes de leur pleine participation dans la société, exacerbant ainsi leur situation d’inégalité » (Grant, « Second Chances : Bill C‑72 and the Charter », p. 388). L’article 33.1 répond concrètement à cette inégalité en reconnaissant que les femmes et les enfants méritent la pleine protection de la loi, et en condamnant les actes de violence familiale et fondée sur le genre commis par des personnes en état d’intoxication. J’ajouterais qu’en considérant l’égalité comme un intérêt social général au sens de l’article premier plutôt qu’au sens de l’art. 7 comme elle l’a fait, la juge Khullar n’en a pas dévalorisé l’importance en tant que justification de la violation de la Charte. Non seulement l’art. 7 ne se prête‑t‑il pas à la mise en balance de droits concurrents, c’est à l’article premier qu’il faut recourir pour déterminer dans quelle mesure la société, notamment les victimes d’actes criminels, bénéficient de la disposition contestée (voir Bedford, par. 125; Coughlan, p. 157). Je suis également d’accord avec la juge Khullar pour dire qu’un des avantages de l’art. 33.1 est le fait que la responsabilisation promise dans le préambule contribue à promouvoir les droits à la dignité et à l’égalité compromis par les actes de violence commis en état d’intoxication (par. 202‑204).
[148]                     L’article 33.1 est également bénéfique pour la société sur les plans de la communication et de la dissuasion. La juge Khullar a non seulement reconnu que l’art. 33.1 renforçait le consensus social qui réprouve l’intoxication extrême volontaire, mais également qu’il [traduction] « joue un rôle important en indiquant aux gens qu’ils doivent être prudents et être conscients que leur consommation d’alcool et de drogues peut entraîner des conséquences qu’ils n’ont pas voulues et qu’ils ne peuvent pas contrôler » (par. 206). De même, les intervenants le procureur général de la Saskatchewan et le FAEJ soutiennent que l’art. 33.1 dénonce des comportements fautifs et que, ce faisant, il reconnaît les droits à la dignité et à l’égalité des victimes. Comme l’art. 33.1 englobe la consommation irresponsable et le mélange de substances intoxicantes susceptibles de mener à un état d’automatisme et à des actes violents, il décourage de tels comportements et sensibilise également les citoyens quant au lien qui existe entre l’intoxication extrême et la violence. Cet avantage n’est pas neutralisé par le fait que la règle de common law visant l’intoxication a déjà un certain effet dissuasif ou que l’effet dissuasif est atténué par le fait qu’il doit opérer avant que le contrevenant ne perde la maîtrise de ses actes. Et bien que je reconnaisse que l’on pourrait également assurer la dissuasion en adoptant une infraction autonome d’intoxication dangereuse, je conviens néanmoins que l’on peut à juste titre attribuer ces avantages importants à l’art. 33.1.
[149]                     De plus, comme le fait valoir le procureur général du Manitoba, l’art. 33.1 contribue à donner confiance au public dans le système de justice criminelle. Dans l’arrêt Creighton, la juge McLachlin a fait observer qu’il « serait contraire aux notions courantes de justice de déclarer non coupable d’homicide involontaire coupable une personne qui a ôté la vie à autrui et de la reconnaître coupable plutôt de voies de fait graves au motif que la mort, à la différence du préjudice corporel, n’était pas prévisible » (p. 54). Dans la même veine, c’est de façon raisonnable que le Parlement a conclu, comme le suggère le dossier, que le sens de la justice de la collectivité est choqué devant la possibilité, pour prendre l’exemple de l’affaire Daviault, qu’un accusé fortement intoxiqué ayant délibérément ingurgité une demi‑douzaine de bières et une bouteille de brandy puisse échapper à toute responsabilité après avoir agressé sexuellement une femme âgée et handicapée. Cela dit, puisque l’art. 33.1 porte ainsi atteinte à la Charte, il est préférable de ne pas surestimer la confiance que le public pourrait avoir quant à la réalisation de ses objectifs de protection et de responsabilisation. Il est trop facile de perdre de vue le fait que, comme a écrit la juge Wallace dans l’affaire R. c. Dunn (1999), 28 C.R. (5th) 295 (C.J. Ont. (Div. gén.)), [traduction] « l’existence d’un système de droit régi par les principes de justice fondamentale fait également partie des intérêts de la société » (par. 32). Les principes de justice fondamentale sont reconnus comme tels parce qu’ils constituent des préceptes fondamentaux d’un système juridique dans lequel on constate l’existence d’une certaine « [acceptation générale] parmi des personnes raisonnables » que ces principes sont essentiels ou fondamentaux dans la notion de justice au sein de la société (Malmo‑Levine, par. 112 (soulignement supprimé); Renvoi sur la MVA, p. 503; Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1993 CanLII 75 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 519, p. 590-591 et 607). En écartant la présomption d’innocence, l’art. 33.1 a involontairement pour effet de compromettre en partie la promesse de confiance que le Parlement cherchait à promouvoir.
[150]                     Les juges majoritaires de la Cour d’appel dans l’arrêt Sullivan auraient dû tenir compte d’un avantage évident qu’il convient de rattacher à l’objectif de responsabilisation visé par le Parlement qui a été décrit précédemment pour apprécier toute l’étendue des effets bénéfiques de l’art. 33.1 (voir, sur ce point, Coughlan, p. 158). L’article 33.1 vise le choix du contrevenant de créer un risque de préjudice en devenant extrêmement intoxiqué. L’un des avantages de l’art. 33.1 est qu’il encourage la responsabilité personnelle à l’égard de l’intoxication volontaire, ce que le Parlement voyait comme une des racines des crimes violents. Fermer les yeux sur cette politique revient à sous‑estimer l’un des avantages de la disposition contestée qui — quoique de manière imparfaite — visait à imposer cette valeur de responsabilité personnelle comme moyen de rompre le lien entre l’intoxication et la violence. Je note que le juge Lauwers a tenu compte de cette facette de l’art. 33.1 dans son analyse de la justification, que les juges de la majorité ont examiné la question de façon subsidiaire, et que ni le juge Lauwers, ni la majorité n’ont estimé que, à lui seul, ce facteur faisait pencher la balance dans la pondération ultime selon l’arrêt Oakes.
[151]                     En fin de compte, l’objectif de responsabilisation visé par le Parlement a été sapé par les moyens mêmes qu’il a choisis pour le réaliser. En engageant la responsabilité du contrevenant qui s’intoxique à l’extrême, l’art. 33.1 n’exige pas la prévisibilité objective du risque de sombrer dans un état d’automatisme, encore moins le risque de préjudice qui s’ensuit. Le Parlement avait peut‑être pour objectif d’imposer une responsabilité personnelle pour la création du risque de préjudice, mais, faute d’une condition de prévisibilité raisonnable, cet objectif est contrecarré. Le ministre a affirmé en Chambre — propos repris par la Couronne dans le présent pourvoi et les pourvois Sullivan et Chan — que l’art. 33.1 « établit ce lien entre l’intoxication volontaire et le comportement criminel qui donne lieu à la mise en accusation » (Hansard, 27 mars 1995, p. 11038‑11039). En toute déférence, ce lien ne se trouve pas à l’art. 33.1, ce qui donne fortement à penser que le Parlement n’est pas parvenu à réaliser son propre objectif déclaré.
(ii)         Effets préjudiciables
[152]                     La lacune fondamentale de l’art. 33.1 réside dans le fait qu’il risque de donner lieu à des déclarations de culpabilité injustifiées. En refusant ne serait‑ce qu’à une petite fraction des accusés la possibilité de soulever un doute raisonnable quant aux éléments constitutifs de l’infraction reprochée que sont la volonté et la mens rea, l’art. 33.1 permet de déclarer une personne coupable, de l’exposer à l’opprobre, de restreindre ses libertés, sans parler des autres conséquences d’une déclaration de culpabilité au criminel, et ce, pour des gestes involontaires. L’article 33.1 va à l’encontre des principes directeurs fondamentaux — en particulier la très importante présomption d’innocence — qui sont nécessaires pour permettre aux individus d’affronter de façon équitable le pouvoir de l’État au sein du système de justice criminelle. Il permet de reconnaître coupable un accusé pour un acte dont il n’était pas conscient et qu’il ne pouvait pas maîtriser, et qui ne peut donc pas répondre à la définition d’« acte coupable » au sens de l’infraction visée au par. 33.1(3). On arrive à ce résultat même lorsque l’individu consomme de l’alcool ou des drogues dans des situations courantes où l’on ne peut prévoir subjectivement ou objectivement un risque d’automatisme ou de violence.
[153]                     Je conviens avec les juridictions inférieures que les effets préjudiciables de l’art. 33.1 sont sérieux et troublants. Pour citer les propos tenus par le juge Vertes dans l’affaire R. c. Brenton (1999), 1999 CanLII 4334 (NWT SC), 180 D.L.R. (4th) 314 (C.S.T.‑N.‑O.), en écartant le moyen de défense d’automatisme, l’art. 33.1 [traduction] « écarte le principe fondamental de la volonté ainsi que la présomption d’innocence, qui constituent des valeurs consacrées par la Charte et qui sont au cœur même de notre système de droit pénal, tel qu’il s’est développé au fil des siècles » (par. 122). Dans l’affaire Dunn, la juge Wallace a estimé qu’il existe peu de violations aussi graves, car [traduction] « lorsqu’on peut déclarer un accusé coupable sans qu’il soit prouvé qu’il avait l’intention de commettre les actes qui lui sont reprochés ou que ceux‑ci étaient volontaires, on fait de la responsabilité absolue une des caractéristiques de la justice pénale canadienne, on affaiblit la présomption d’innocence et l’on compromet sérieusement les principes de justice fondamentale » (par. 54). Dans l’arrêt Sullivan, le juge Paciocco explique de façon convaincante que [traduction] « parmi les effets préjudiciables de l’art. 33.1, il faut mentionner la violation de pratiquement tous les principes du droit pénal sur lesquels le droit s’appuie pour protéger les personnes moralement innocentes, y compris la sacro‑sainte présomption d’innocence » (par. 153). Le juge Lauwers a dit que les droits fondamentaux garantis à l’accusé par l’art. 7 et l’al. 11d) sont [traduction] « sévèrement restreints » (par. 287). En l’espèce, la juge Khullar a reconnu que les effets négatifs sur les droits de l’accusé sont [traduction] « sérieux et troublants » (par. 201). Cela est particulièrement vrai lorsqu’on se rappelle que le Parlement n’a pas respecté sa propre promesse, faite dans le préambule du projet de loi C‑72, de protéger pleinement les droits garantis aux accusés par les art. 7 et 11.
[154]                     Il n’est pas injustifié de dire que le champ d’application étroit de l’art. 33.1 limite ces effets négatifs. L’article 33.1 ne s’applique, comme nous l’avons vu, qu’aux infractions violentes d’intention générale visées au par. 33.1(3). Il n’est pas non plus injustifié d’affirmer que le fardeau de démontrer l’automatisme représente un obstacle de taille pour l’accusé et que la disposition s’applique uniquement à certaines substances intoxicantes aux propriétés susceptibles de provoquer un état voisin de l’automatisme. Bien que les considérations susmentionnées puissent limiter le nombre de contrevenants qui s’exposent à ces conséquences fâcheuses, il vaut mieux reconnaître que l’argument fondé sur l’étroitesse du champ d’application est à double tranchant. S’il est effectivement vrai que l’art. 33.1 ne s’applique pas à l’alcool seul, par exemple — un point que je n’ai pas à trancher en l’espèce — alors certains des avantages attribués à la disposition par la Couronne étaient déjà assurés par les aspects de la règle établie dans l’arrêt Leary qui empêchaient d’invoquer comme moyen de défense la plupart des formes d’intoxication dans le cas des crimes d’intention générale, et qui avaient été maintenus par l’arrêt Daviault.
[155]                     Cependant, malgré l’étroitesse de son champ d’application et son application rare, l’art. 33.1 restreint non pas un, mais trois droits fondamentaux de l’accusé. Il permet de déclarer coupable l’accusé dans les cas où ce dernier a agi de façon involontaire ou ne possédait pas le degré minimal de faute requis, ainsi que dans les cas où la Couronne n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels de l’infraction reprochée à l’accusé. Ces limites ont pour effet d’instaurer un régime de responsabilité absolue qui mine bon nombre des convictions fondamentales qui ont servi à structurer notre système de droit pénal. On a du mal à imaginer une série de limites plus graves que la négation de la volonté, de la mens rea et de la présomption d’innocence d’un seul coup. Un accusé peut être moralement blâmable dans une certaine mesure pour avoir consommé volontairement des substances intoxicantes, mais, en droit, ce blâme ne saurait servir de critère de culpabilité à l’égard des infractions visées au par. 33.1(3). En toute déférence, je ne peux me rallier à l’opinion exprimée par le juge Slatter, dans le cadre de la mise en balance des effets bénéfiques et des effets préjudiciables, suivant laquelle [traduction] « [n]ulle personne véritablement innocente sur le plan moral n’est affectée [par l’article 33.1] » (par. 81).
[156]                     Je reconnais que certains, soulignant en particulier l’avis dissident du juge Sopinka dans l’arrêt Daviault, ont fait valoir que l’art. 33.1 ne crée pas une véritable infraction de responsabilité absolue, car l’intoxication extrême volontaire comporte une faute. Contrairement à la personne qui perd la maîtrise de ses actes par suite d’une crise d’épilepsie incontrôlable, par exemple, le contrevenant extrêmement intoxiqué est « directement responsable de son absence de volonté » (Parent, p. 197). Mais comme je me suis employé à le démontrer, il ne suffit pas que l’art. 33.1 englobe seulement la culpabilité associée à l’intoxication extrême volontaire lorsque l’art. 33.1 ne tient pas compte de la question de savoir si le contrevenant savait ou aurait dû savoir qu’il risquait de perdre la maîtrise de ses actes et, par le fait même, de causer du tort à autrui. Puisque l’art. 33.1 n’intègre pas un critère de prévisibilité objective, il est impossible de dire qui sont les personnes, parmi celles qui ingèrent volontairement des substances intoxicantes, qui sont suffisamment blâmables pour justifier l’opprobre et la peine associés à l’infraction visée au par. 33.1(3) dont elles sont accusées.
[157]                     Lorsque la substance intoxicante est licite, ou qu’aucune personne raisonnable n’anticiperait le risque d’automatisme, la culpabilité découlant d’une intoxication volontaire est relativement faible et vraisemblablement disproportionnée par rapport à la peine dont serait passible l’individu s’il était reconnu coupable d’une infraction commise alors qu’il se trouvait dans un état voisin de l’automatisme (voir Creighton, p. 48‑49, citant Martineau, p. 647). Bien que M. Brown ait ingéré une drogue illicite, la juge du procès a conclu, sur le fondement de la preuve d’expert, que sa réaction à la drogue n’était pas raisonnablement prévisible. Même si l’ingestion de champignons magiques n’est pas moralement innocente au sens le plus large de cette expression, déclarer M. Brown coupable de voies de fait graves à la lumière des conditions relatives à la volonté et à la mens rea minimale établies par la Charte constituerait, selon moi, une déclaration de culpabilité injustifiée pour l’infraction reprochée.
[158]                     Il est difficile d’être en désaccord avec le juge du procès dans l’affaire R. c. Chan, 2018 ONSC 3849, 365 C.C.C. (3d) 376, qui a fait remarquer que [traduction] « le Parlement peut se dire d’avis que l’intoxication extrême volontaire est un comportement moralement répréhensible » (par. 152). Je ne suis toutefois pas d’accord avec lui quand il écrit que [traduction] « la personne moralement innocente ne sera pas punie » (par. 156). Monsieur Brown n’avait peut‑être pas un comportement irréprochable en décidant de consommer les champignons magiques, mais il n’est pas coupable suivant les exigences de la Charte du crime dont il a été inculpé.
[159]                     Le juge qui a tenu le voir-dire dans le cas de M. Brown avait raison de qualifier de « sacro‑saints » les principes qui sont violés par l’art. 33.1. Dans le Renvoi sur la MVA, le juge Lamer (plus tard juge en chef) a écrit que le principe selon lequel un innocent ne doit pas être puni « est depuis longtemps reconnu comme un élément essentiel d’un système d’administration de la justice fondé sur la foi en la dignité et la valeur de la personne humaine et en la primauté du droit » (p. 513).
[160]                     L’idée suivant laquelle une déclaration de culpabilité prononcée en l’absence de la preuve requise de culpabilité morale menace un système de justice criminelle fondé sur la dignité et la valeur de la personne humaine est un thème récurrent de notre jurisprudence (voir, p. ex., Oakes, p. 136; R. c. Stevens, 1988 CanLII 44 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 1153, p. 1175; R. c. Hess, 1990 CanLII 89 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 906, p. 918). Lorsqu’on punit une personne qui ne savait pas ou ne pouvait pas savoir qu’elle commettait une infraction, a écrit la juge Wilson dans l’arrêt Hess, l’État inflige ainsi une grave atteinte à sa dignité et à sa valeur personnelle. Deux commentaires, cependant, expliquent en partie tout le message derrière cette idée. Tout d’abord, le degré d’innocence sur le plan moral vaut non seulement pour l’obligation de prouver une faute subjective, mais aussi, comme le suggère la juge Wilson, pour les infractions pour lesquelles on détermine la culpabilité selon un critère objectif modifié, ce qui présage les développements ultérieurs du droit dans des affaires comme l’arrêt Creighton. On ne trouve rien de tel à l’art. 33.1 et, à mon avis, il est toujours loisible au Parlement d’élaborer une règle soigneusement conçue en matière de responsabilité pénale pour sanctionner les torts causés par une intoxication volontaire. Ensuite, et surtout, la reconnaissance de la « dignité et [de la] valeur personnelle » de l’accusé ne se fait pas au détriment de la dignité et de la valeur personnelle des victimes d’actes criminels, valeur à laquelle fait allusion le préambule du projet de loi C‑72. Le droit de la victime à la dignité n’est pas non plus relégué au second plan si, dans la mise en balance exigée par l’article premier, l’art. 33.1 est invalidé en raison de ses effets préjudiciables primordiaux de l’action étatique.
[161]                     Le juge qui a tenu le voir‑dire a reconnu à juste titre que ces principes ont pour raison d’être de s’assurer que les personnes moralement innocentes ne soient pas déclarées coupables (par. 89). L’article 33.1 crée le risque de déclarer une personne coupable de l’infraction visée au par. 33.1(3) sur la base d’une preuve de la culpabilité associée à l’intoxication extrême, sans égard à la prévisibilité objective du préjudice. Il oblige l’individu à répondre de ses actes involontaires, et ce, sans tenir dûment compte de la présomption d’innocence qui protège l’accusé contre l’exercice arbitraire des pouvoirs de l’État. L’article 33.1 pourrait potentiellement s’appliquer à toute personne qui consomme volontairement une substance intoxicante, même si elle le fait avec modération ou pour des raisons médicales alors que la personne raisonnable n’aurait pas prévu des lésions corporelles, même des lésions sans importance ou de nature passagère. Il s’agit là d’un effet préjudiciable extrêmement grave.
[162]                     Un autre effet préjudiciable de l’art. 33.1 est qu’il punit de façon disproportionnée ceux qui causent involontairement un préjudice, contrairement au principe selon lequel la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction. L’article 33.1 oblige le contrevenant à assumer l’entière responsabilité du crime visé au par. 33.1(3) même si les exigences de l’actus reus et de la mens rea de l’infraction violente ne sont pas respectées. Lors de la détermination de la peine, un contrevenant risque de subir toute la rigueur de la peine dont cette infraction le rend passible, sous réserve de l’exercice par le juge qui détermine la peine de son pouvoir discrétionnaire, conformément à la loi. L’analyse des effets préjudiciables doit être axée sur ces facteurs puisque, aux termes du par. 33.1(3), c’est l’infraction violente pour laquelle l’accusé est déclaré coupable et puni. Il vaut la peine de le répéter : l’essence de l’infraction reprochée à M. Brown n’est pas son intoxication extrême, mais l’agression violente qu’il aurait commise alors qu’il n’avait pas la capacité d’agir volontairement.
[163]                     Cela dit, je ne perds pas de vue le tollé général, maintes fois souligné, qu’a provoqué l’arrêt Daviault et qui, selon le ministre de la Justice de l’époque, est l’un des facteurs ayant motivé l’adoption de l’art. 33.1. Mais l’indignation publique ne justifie pas en soi des lois inconstitutionnelles. Et, à mon sens, cette intervention du législateur visait d’abord et avant tout à apporter une réponse au fait que la défense d’automatisme accordait l’impunité aux accusés ayant commis des actes de violence alors qu’ils étaient intoxiqués en leur permettant, selon les mots employés par le ministre de la Justice devant le Parlement en 1995, « [d’]échapper aux conséquences prévues par la loi » (Hansard, 27 mars 1995, p. 11038). Mais si l’art. 33.1 était convenablement adapté à la culpabilité de l’accusé — s’il punissait, par exemple, l’intoxication dangereuse ou l’intoxication par négligence criminelle entraînant, de manière objectivement prévisible, une perte de maîtrise ou des lésions corporelles qui ne sont ni sans importance ni de nature passagère —, l’accusé n’échapperait pas aux conséquences de la loi, et les objectifs de responsabilisation et de protection visés par le Parlement seraient réalisés. Il n’appartient pas à notre Cour de résoudre à la place du Parlement le problème du juste équilibre à trouver entre les droits concurrents en présence. Il est toutefois juste de postuler qu’il existe des solutions de rechange socialement et constitutionnellement acceptables à l’immunité totale qui permettent de réaliser les objectifs légitimes de la loi d’une façon plus équitable que ne le prévoit l’art. 33.1.
(iii)      Mise en balance des effets bénéfiques et des effets préjudiciables
[164]                     Comme notre Cour l’a expliqué dans l’arrêt Bedford, à l’étape finale de l’analyse fondée sur l’article premier, le tribunal soupèse l’effet préjudiciable de la disposition et son effet bénéfique en fonction de la réalisation de l’objectif de la loi dans l’intérêt public supérieur. L’effet est apprécié sur les plans qualitatif et quantitatif. Comme pour les étapes précédentes de l’analyse de la justification, il incombe toujours à l’État de démontrer que les violations sont justifiées eu égard aux objectifs du Parlement. La Couronne est bien placée pour présenter une preuve relevant des sciences humaines ainsi que le témoignage d’experts qui justifient les répercussions de la disposition sur l’ensemble de la société (Bedford, par. 126). En fin de compte, le tribunal détermine si les violations de la Charte résultant de l’intervention de l’État constituent un prix trop élevé à payer par rapport aux avantages que comporte la loi.
[165]                     À mon humble avis, la Couronne ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que l’art. 33.1 procure de manière équitable les avantages suggérés par la preuve. La Couronne signale qu’il y a de nombreux cas de violence sexuelle et de violence entre partenaires intimes, laissant entendre que l’on ne dissuadera pas les auteurs de ces actes de violence fondée sur le genre si l’on supprime l’art. 33.1. Je reconnais l’ampleur de ce phénomène que décrit la Couronne. Mais même la common law empêche pour le moment l’accusé d’invoquer son intoxication volontaire comme défense complète dans un large éventail d’actes de violence commis en état d’intoxication. Il est faux de dire que, sans une disposition qui équivaut à une règle de responsabilité absolue à l’art. 33.1, ce type de violence se poursuivra en toute impunité ou sans dissuasion. Au contraire, selon la preuve présentée par la Couronne, sans l’art. 33.1, les avantages liés à la responsabilisation et à la protection seront protégés, dans une mesure non négligeable, par l’application des règles de common law qui empêchent la défense d’intoxication, y compris dans le cas des crimes de violence d’intention générale. Cela serait encore plus vrai si le Parlement adoptait une règle plus équitable que l’art. 33.1.
[166]                     Les limites imposées aux droits les plus fondamentaux de la Charte dans notre système de justice criminelle l’emportent sur les avantages pour la société qui sont déjà en partie réalisés et que le Parlement peut promouvoir par d’autres moyens. On ne saurait ignorer ici l’importance qu’il convient d’attribuer aux principes de justice fondamentale et à la présomption d’innocence. Dans l’arrêt Oakes, le juge en chef Dickson a expliqué que les droits et libertés n’ont pas tous la même importance : « La gravité des restrictions apportées aux droits et libertés garantis par la Charte variera en fonction de la nature du droit ou de la liberté faisant l’objet d’une atteinte, de l’ampleur de l’atteinte et du degré d’incompatibilité des mesures restrictives avec les principes inhérents à une société libre et démocratique » (p. 139‑140). Certains droits, comme les protections offertes par l’art. 7 et l’al. 11d), ne seront pas aisément supplantés par les intérêts de la collectivité visés par l’article premier. C’est le cas en l’espèce, puisque l’art. 33.1 porte atteinte à des principes fondamentaux qui sont au cœur même de notre système de droit pénal, notamment la présomption d’innocence dont dépend l’équité du système lui-même. L’article 33.1 crée un régime de responsabilité qui ne tient pas compte des principes destinés à protéger les innocents, et il envoie le message qu’il est plus important d’obtenir une déclaration de culpabilité que de respecter ces principes de base de la justice. En mettant en balance les effets bénéfiques et les effets préjudiciables de la disposition en question, je conclus, en toute déférence, que l’impact de cette disposition sur les principes de justice fondamentale est disproportionné par rapport à ses grands avantages d’intérêt public. Pour ces motifs, les limites que l’art. 33.1 impose à l’art. 7 et à l’al. 11d) de la Charte ne peuvent se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique.
VI.         Dispositif
[167]                     Je suis d’avis de répondre comme suit aux questions constitutionnelles : l’art. 33.1 du Code criminel contrevient à l’art. 7 et à l’al. 11d) de la Charte, et les contraventions ne sont pas justifiées au regard de l’article premier de la Charte. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi formé par M. Brown. L’article 33.1 doit être déclaré inconstitutionnel et inopérant par application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. La juge du procès a conclu en l’espèce, sur la foi de la preuve présentée devant elle par la défense, que M. Brown était dans un état d’intoxication extrême s’apparentant à l’automatisme. Cette conclusion n’a pas été contestée en appel. Son acquittement relatif au chef d’accusation d’entrée par effraction et de voies de fait graves a été annulé à tort parce que la Cour d’appel a fait erreur en jugeant l’art. 33.1 constitutionnel. Je rétablirais donc l’acquittement de M. Brown.
[168]                     Le jugement de la Cour d’appel doit être annulé. L’acquittement prononcé par la juge Hollins relativement au chef d’accusation d’entrée par effraction dans une maison d’habitation et d’y avoir commis des voies de fait graves doit être rétabli; l’acquittement relatif à l’accusation d’entrée par effraction dans une maison d’habitation et d’avoir commis un méfait à l’égard d’un bien de plus 5 000 $ ne doit pas être modifié.
 
                    Pourvoi accueilli.
                    Procureurs de l’appelant : Evans & Fagan, Calgary; Greenspan Humphrey Weinstein, Toronto.
                    Procureur de l’intimée : Justice and Solicitor General, Appeals, Education & Prosecution Policy Branch, Edmonton.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Manitoba : Procureur général du Manitoba, Winnipeg.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Kapoor Barristers, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenant Empowerment Council : Martell Defence, Toronto; Anita Szigeti Advocates, Toronto; McKay Ferg, Calgary.
                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association : Rosen & Company Barristers, Toronto; Neubauer Law, Oshawa.
                    Procureurs de l’intervenant le Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes : WeirFoulds, Toronto; Megan Stephens Law, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2022CSC18 ?
Date de la décision : 13/05/2022

Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : Brown
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 13 mai 2022, R. c. Brown, 2022 CSC 18


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2022-05-13;2022csc18 ?

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