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05/11/2021 | CANADA | N°2021CSC45

Canada | Canada, Cour suprême, 5 novembre 2021, R. c. Cowan, 2021 CSC 45


COUR SUPRÊME DU CANADA

 


 
Référence : R. c. Cowan, 2021 CSC 45

 

 
Appels entendus : 12 mai 2021
Jugement rendu : 5 novembre 2021
Dossier : 39301


 
Entre :
Jason William Cowan
Appelant
 
et
 
Sa Majesté la Reine
Intimée
 
Et entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
 
et
 
Jason William Cowan
Intimé
 
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
 

 
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Motifs de jugement :
(par. 1 à 74)

Le juge Moldaver (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Côté, Martin et Kasirer)

 


Motifs dissidents :
(par. 75 à 93)

Le juge Rowe (avec l’accord du juge ...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 

 
Référence : R. c. Cowan, 2021 CSC 45

 

 
Appels entendus : 12 mai 2021
Jugement rendu : 5 novembre 2021
Dossier : 39301

 
Entre :
Jason William Cowan
Appelant
 
et
 
Sa Majesté la Reine
Intimée
 
Et entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
 
et
 
Jason William Cowan
Intimé
 
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
 

 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 74)

Le juge Moldaver (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Côté, Martin et Kasirer)

 

Motifs dissidents :
(par. 75 à 93)

Le juge Rowe (avec l’accord du juge Brown)

 

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Jason William Cowan                                                                                    Appelant
c.
Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée
‑ et ‑
Sa Majesté la Reine                                                                                       Appelante
c.
Jason William Cowan                                                                                          Intimé
Répertorié : R. c. Cowan
2021 CSC 45
No du greffe : 39301.
2021 : 12 mai; 2021 : 5 novembre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.
en appel de la cour d’appel de la saskatchewan
                    Droit criminel — Parties à l’infraction — Encourager une personne à perpétrer une infraction — Conseiller à une personne de perpétrer une infraction — Accusé acquitté de l’accusation d’avoir commis un vol à main armée à titre de participant ou d’auteur principal — Conclusion de la Cour d’appel portant que le juge du procès a commis une erreur de droit lors de son évaluation de la responsabilité de l’accusé à titre de participant pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction en exigeant que la Couronne prouve que deux personnes précises étaient les auteurs principaux — Conclusion de la Cour d’appel suivant laquelle l’erreur avait eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement, annulant l’acquittement et ordonnant la tenue d’un nouveau procès portant uniquement sur la responsabilité à titre de participant — Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur dans l’évaluation de la culpabilité de l’accusé à titre de participant pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction? — Dans l’affirmative, l’erreur a‑t‑elle eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement de sorte que la tenue d’un nouveau procès est justifiée? — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 21(1)(c), 22(1).
                    Droit criminel — Appels — Pouvoirs de la Cour d’appel — Accusé acquitté de l’accusation d’avoir commis un vol à main armée à titre de participant ou d’auteur principal — Cour d’appel annulant l’acquittement et ordonnant la tenue d’un nouveau procès portant uniquement sur la responsabilité à titre de participant — La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en limitant la portée du nouveau procès à la question de savoir si l’accusé était coupable à titre de participant pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction? — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 686(8).
                    Deux individus ont dévalisé un restaurant Subway. Un des individus était masqué et brandissait un couteau, tandis que l’autre montait la garde à la porte avant. C a été arrêté en lien avec le vol et a fait une déclaration à la police dans laquelle il niait toute participation au vol qualifié mais admettait avoir dit à un groupe de personnes — dont ses amis T et L — comment commettre le vol. C a par la suite été accusé de vol à main armée et jugé par un juge seul. Au procès, la Couronne a avancé deux thèses en matière de responsabilité : que C était le voleur masqué et était donc coupable à titre d’auteur principal de l’infraction au titre de l’al. 21(1)a) du Code criminel, ou que C était coupable à titre de participant au vol à main armée en ce qu’il avait soit encouragé une autre personne à commettre l’infraction, comme le prévoit l’al. 21(1)c), soit conseillé à une autre personne de la commettre, comme le prévoit le par. 22(1). Le juge du procès a rejeté les deux thèses en matière de responsabilité et a acquitté C. Selon lui, la preuve n’établissait pas que C était l’un des principaux auteurs de l’infraction. Quant à la responsabilité à titre de participant, le juge du procès a statué que C ne pouvait être déclaré coupable à ce titre que si la Couronne démontrait que T et L, les amis de C, avaient commis le vol qualifié, mais il a conclu que la preuve ne permettait pas non plus de le démontrer.
                    Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont accueilli l’appel de la Couronne, annulé l’acquittement de C et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Ils n’ont décelé aucune erreur dans l’analyse du juge du procès concernant le rôle de C à titre d’auteur principal de l’infraction, mais ont conclu que le juge du procès avait commis une erreur grave quant à la question de la responsabilité à titre de participant, qui pouvait fort bien avoir eu une incidence sur le verdict. Par conséquent, ils ont ordonné que le nouveau procès ne porte que sur la question de savoir si C était coupable à titre de participant, pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction. La juge dissidente aurait rejeté l’appel dans son intégralité. C fait appel de plein droit à la Cour concernant l’annulation de son acquittement, et la Couronne interjette appel, sur autorisation, de l’ordonnance de la Cour d’appel limitant la portée du nouveau procès.
                    Arrêt (les juges Brown et Rowe sont dissidents) : Le pourvoi de C est rejeté et celui de la Couronne est accueilli.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Côté, Martin et Kasirer : Il y a accord avec les juges majoritaires de la Cour d’appel pour dire que le juge du procès a commis une erreur de droit dans son analyse de la responsabilité de C à titre de participant, laquelle a eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement. Toutefois, la réparation qui convient consiste à annuler l’acquittement et à ordonner la tenue d’un nouveau procès complet. Bien que les cours d’appel disposent de vastes pouvoirs en vertu du par. 686(8) du Code criminel de rendre toute ordonnance que la justice exige, elles ne disposent pas du pouvoir de limiter la portée d’un nouveau procès à une thèse particulière en matière de responsabilité relativement à une seule accusation criminelle.
                    Pour la détermination de la responsabilité criminelle, le Code criminel ne fait pas de distinction entre les auteurs principaux d’une infraction et les participants à une infraction. Les articles 21 et 22 codifient à la fois la responsabilité d’un accusé qui participe à une infraction en la commettant réellement (responsabilité à titre d’auteur principal), et la responsabilité d’un accusé qui participe à une infraction en encourageant une autre personne à la commettre ou en lui conseillant de le faire (responsabilité à titre de participant). Dans les cas où un accusé poursuivi pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration d’une infraction est jugé seul et que la preuve démontre que plus d’une personne a participé à la perpétration de l’infraction, la Couronne n’est pas tenue de prouver l’identité de tout autre participant ni le rôle précis de chacun pour établir la culpabilité d’un accusé à titre de participant. L’actus reus du fait d’encourager consiste à accomplir ou à omettre d’accomplir une chose qui encourage l’auteur principal d’une infraction à commettre cette dernière. Pour ce qui est de la mens rea, celui qui a encouragé devait avoir l’intention d’encourager l’auteur principal à commettre l’infraction et devait savoir que l’auteur principal avait l’intention de commettre l’infraction. L’actus reus du fait de conseiller réside dans le fait d’encourager délibérément ou d’inciter activement la perpétration d’une infraction criminelle. La personne encouragée ou incitée par la personne qui conseille doit aussi participer réellement à l’infraction. Pour ce qui est de la mens rea, la personne qui conseille devait vouloir que l’infraction conseillée soit commise, ou avoir sciemment conseillé la perpétration de l’infraction alors qu’elle était consciente du risque injustifié que l’infraction conseillée serait vraisemblablement commise en conséquence de sa conduite. Que la personne conseillée ait agi à titre d’auteur principal ou à titre de participant n’a aucune importance, puisque dans une poursuite pour avoir conseillé à quelqu’un de commettre une infraction, l’accent est mis seulement sur la conduite et sur l’état d’esprit de la personne qui conseille.
                    Dans le présent cas, le juge du procès a commis une erreur de droit en évaluant la responsabilité de C à titre de participant pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction. En considérant que la Couronne devait préalablement prouver que T et L étaient les auteurs principaux du vol à main armée afin d’établir la culpabilité de C à titre de participant, le juge du procès s’est mépris sur le droit et n’a pas évalué correctement les éléments de preuve pertinents. La Couronne n’avait qu’à prouver que l’un ou l’autre des individus encouragés par C avait participé à la perpétration de l’infraction soit à titre d’auteur principal — auquel cas C serait coupable d’avoir encouragé et d’avoir conseillé la perpétration de l’infraction — ou à titre de participant — auquel cas C serait coupable d’avoir conseillé la perpétration de l’infraction. C aurait tout de même pu être déclaré coupable d’avoir participé à la perpétration de l’infraction même si l’identité précise ou le rôle de chacun des individus y ayant participé étaient incertains, tant que C avait commis l’acte nécessaire avec l’intention requise. Il était donc inutile pour le juge du procès de se concentrer sur l’identité d’un auteur principal donné, que la Couronne ait ou non désigné des individus précis comme étant les auteurs principaux de l’infraction.
                    Pour faire annuler un verdict d’acquittement en raison d’une erreur de droit, il incombe à la Couronne de convaincre la cour d’appel, avec un degré raisonnable de certitude, que l’erreur de droit en cause pourrait avoir eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement. Dans le présent cas, la Couronne s’est déchargée de son fardeau. Le juge du procès a fondé son analyse de la preuve sur la prémisse erronée voulant que la Couronne devait d’abord prouver que T et L étaient les auteurs principaux de l’infraction pour que C puisse être déclaré coupable. Il n’a pas reconnu que la preuve dont il disposait pouvait raisonnablement permettre d’établir que C avait commis l’acte prohibé avec l’intention requise pour être tenu responsable à titre de participant pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction. Le verdict aurait fort bien pu être différent si le juge du procès avait examiné la preuve à la lumière des principes juridiques appropriés.
                    Lorsqu’une cour d’appel accueille l’appel d’un acquittement et annule ce verdict, elle a le pouvoir, en vertu du sous‑al. 686(4)b)(i) du Code criminel, d’ordonner la tenue d’un nouveau procès et de rendre toute ordonnance que la justice exige en vertu du par. 686(8). Trois conditions doivent être réunies pour que le par. 686(8) puisse s’appliquer. Premièrement, la cour d’appel doit avoir exercé un des pouvoirs conférés par les par. 686(2), (4), (6) ou (7). Deuxièmement, l’ordonnance rendue doit être accessoire à l’exercice de ce pouvoir en ce qu’elle ne doit pas être directement incompatible avec le jugement sous‑jacent de la cour. Troisièmement, l’ordonnance doit en être une que la justice exige. En l’espèce, les deuxième et troisième conditions n’étaient pas satisfaites. En séparant les thèses en matière de responsabilité dans son ordonnance accessoire, la Cour d’appel a fractionné l’infraction de vol qualifié en deux infractions distinctes : le vol commis à titre d’auteur principal et le vol commis à titre de participant, pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction. Cela a eu pour effet de maintenir en partie l’acquittement de C à l’égard de la seule accusation de vol qualifié, ce qui est incompatible avec le jugement sous‑jacent accueillant l’appel de la Couronne et annulant le verdict rendu à l’égard de cette même accusation dans son ensemble. L’ordonnance accessoire n’en était pas non plus une qu’exigeait la justice puisqu’elle menace l’intégrité du processus en matière criminelle en dénaturant la fonction de recherche de la vérité des tribunaux. Le juge des faits doit être en mesure d’examiner toutes les thèses relatives à la responsabilité qui semblent vraisemblables sur le fondement de la preuve présentée au nouveau procès. Empêcher prospectivement le juge des faits d’examiner une thèse viable relative à la responsabilité aurait pour effet de miner sa capacité à exercer sa fonction principale, soit de décider si la Couronne a prouvé que l’accusé a commis l’infraction qui lui est reprochée.
                    Enfin, la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’empêche pas la remise en cause de la thèse de la Couronne portant que C est coupable de vol qualifié à titre d’auteur principal. Aucune question ne peut être considérée comme ayant été tranchée de façon définitive au premier procès puisque l’issue de celui‑ci a été entièrement annulée.
                    Les juges Brown et Rowe (dissidents) : L’acquittement de C devrait être rétabli pour les motifs de la juge dissidente de la Cour d’appel. Il n’est pas nécessaire d’examiner l’appel formé par la Couronne; toutefois, il y a des préoccupations concernant ce que les juges majoritaires ont écrit à ce sujet.
                    La préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêche la Couronne de remettre en cause une question ayant fait l’objet d’une décision favorable à l’accusé lors d’une instance criminelle antérieure. Trois conditions doivent être réunies pour son application : la question doit avoir été tranchée dans une instance antérieure; la décision doit être définitive; et les parties aux deux instances doivent être les mêmes. La Cour d’appel n’a constaté aucune erreur en ce qui concerne l’acquittement fondé sur l’accusation voulant que C est l’auteur principal du vol qualifié. Cette conclusion ne devrait pas être infirmée. Empêcher la Couronne de remettre en cause des questions tranchées en faveur de l’accusé lors du premier procès est une question d’équité envers l’accusé, d’intégrité et de cohérence du processus pénal et de caractère définitif des jugements. L’accusé ne devrait pas avoir à préparer une seconde défense en l’absence d’une erreur pertinente justifiant l’annulation de l’acquittement. Il y a aussi désaccord avec la conclusion des juges majoritaires concernant l’exercice par les cours d’appel de leurs pouvoirs en vertu du par. 686(8) du Code criminel. En l’espèce, l’existence d’une erreur de principe n’a pas été établie et l’ordonnance de la Cour d’appel n’est pas manifestement erronée. D’abord, l’ordonnance n’est pas directement incompatible avec le jugement sous‑jacent. Il n’existe aucune règle portant qu’une accusation dans son ensemble doit être jugée de nouveau si la tenue d’un nouveau procès est ordonnée à l’égard d’un chef d’accusation portant sur une infraction qui peut être commise de différentes façons. La question de savoir si un nouveau procès complet doit avoir lieu ou non dépend plutôt de la mesure dans laquelle les chefs d’accusation, et les modes de perpétration des infractions faisant l’objet d’un seul chef d’accusation, sont interreliés. Il s’agit d’être capable d’isoler l’erreur de droit. Ensuite, l’ordonnance de la Cour d’appel n’était pas contraire à ce que la justice exige. L’ordonnance favorisait l’équité envers C, l’utilisation efficace des ressources de la cour et l’intégrité du processus de justice criminelle.
Jurisprudence
Citée par le juge Moldaver
                    Arrêts appliqués : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411; R. c. Huard, 2013 ONCA 650, 302 C.C.C. (3d) 469; R. c. Pickton, 2010 CSC 32, [2010] 2 R.C.S. 198; R. c. Isaac, 1984 CanLII 130 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 74; R. c. Thatcher, 1987 CanLII 53 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 652; R. c. R.V., 2021 CSC 10; R. c. MacKay, 2005 CSC 79, [2005] 3 R.C.S. 725; arrêts examinés : R. c. Ekman, 2006 BCCA 206, 209 C.C.C. (3d) 121; R. c. Ekman, 2004 BCSC 900; arrêts mentionnés : R. c. Graveline, 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609; R. c. Sparrow (1979), 1979 CanLII 2988 (ON CA), 51 C.C.C. (2d) 443; R. c. Hamilton, 2005 CSC 47, [2005] 2 R.C.S. 432; R. c. Sutton, 2000 CSC 50, [2000] 2 R.C.S. 595; R. c. Morin, 1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345; R. c. Thomas, 1998 CanLII 774 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 535; R. c. Warsing, 1998 CanLII 775 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 579; R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768; R. c. M. (P.S.) (1992), 1992 CanLII 2785 (ON CA), 77 C.C.C. (3d) 402; R. c. Owen, 2003 CSC 33, [2003] 1 R.C.S. 779; R. c. Last, 2009 CSC 45, [2009] 3 R.C.S. 146; R. c. Bernardo (1997), 1997 CanLII 2240 (ON CA), 105 O.A.C. 244; R. c. Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 R.C.S. 579; R. c. Guillemette, 1986 CanLII 59 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 356; R. c. Alec, 1974 CanLII 151 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 720; R. c. Cook (1979), 1979 CanLII 2937 (ON CA), 47 C.C.C. (2d) 186; R. c. Ruptash (1982), 1982 ABCA 165 (CanLII), 36 A.R. 346; R. c. Druken, 2002 NFCA 23, 211 Nfld. & P.E.I.R. 219; R. c. Mahalingan, 2008 CSC 63, [2008] 3 R.C.S. 316; Gray c. Dalgety & Co. Ltd. (1916), 21 C.L.R. 509; R. c. Duhamel (no 2) (1981), 1981 ABCA 295 (CanLII), 131 D.L.R. (3d) 352, conf. par 1984 CanLII 126 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 555; Welch c. The King, 1950 CanLII 8 (SCC), [1950] R.C.S. 412.
Citée par le juge Rowe (dissident)
                    R. c. Mahalingan, 2008 CSC 63, [2008] 3 R.C.S. 316; R. c. Punko, 2012 CSC 39, [2012] 2 R.C.S. 396; R. c. R.V., 2021 CSC 10; R. c. MacKay, 2005 CSC 79, [2005] 3 R.C.S. 725.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 21, 22, 265(1)a), b), 343d), 344, 351(2), 686(2), (4), (6), (7), (8).
Doctrine et autres documents cités
Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada, 5th ed. by Sidney N. Lederman, Alan W. Bryant and Michelle K. Fuerst, Toronto, LexisNexis, 2018.
Spencer-Bower, George. The Doctrine of Res Judicata, 2nd ed., by Sir Alexander Kingcome Turner, London (U.K.), Butterworths, 1969.
Vauclair, Martin, et Tristan Desjardins, avec la collaboration de Pauline Lachance. Traité général de preuve et de procédure pénales, 27e éd., Montréal, Yvon Blais, 2020.
                    POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (les juges Jackson, Ottenbreit et Kalmakoff), 2020 SKCA 77, 389 C.C.C. (3d) 258, [2020] S.J. No. 251 (QL), 2020 CarswellSask 325 (WL Can.), qui a infirmé une décision du juge Zarzeczny, 2018 SKQB 75, [2018] S.J. No. 102 (QL), 2018 CarswellSask 118 (WL Can.). Pourvoi de Jason William Cowan rejeté, pourvoi de Sa Majesté la Reine accueilli, les juges Brown et Rowe sont dissidents.
                    Thomas Hynes, pour l’appelant/intimé Jason William Cowan.
                    Pouria Tabrizi‑Reardigan, pour l’intimée/appelante Sa Majesté la Reine.
 
Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Côté, Martin et Kasirer rendu par
 
                    Le juge Moldaver —
I.               Aperçu
[1]                              Le 7 juillet 2016, deux individus ont dévalisé un restaurant Subway à Regina, en Saskatchewan. Un des individus était masqué et brandissait un couteau, tandis que l’autre montait la garde à la porte avant. Les voleurs se sont emparés de 400 $ et d’un distributeur de pièces de monnaie.
[2]                              Une enquête policière a conduit à l’arrestation de l’accusé, Jason William Cowan. Ce dernier a par la suite été accusé de vol qualifié, infraction visée à l’al. 343d) et à l’art. 344 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46.
[3]                              Monsieur Cowan a été jugé par un juge siégeant seul. Au procès, la Couronne a avancé deux thèses en matière de responsabilité : la première selon laquelle M. Cowan était le voleur masqué et était donc coupable à titre d’auteur principal de l’infraction; la deuxième selon laquelle M. Cowan était coupable à titre de participant au vol à main armée en ce qu’il avait soit encouragé une autre personne à commettre l’infraction, comme le prévoit l’al. 21(1)c) du Code criminel, soit conseillé à une autre personne de la commettre, comme le prévoit le par. 22(1).
[4]                              Le juge du procès a rejeté les deux thèses en matière de responsabilité et a acquitté M. Cowan. Selon lui, la preuve circonstancielle n’établissait pas que M. Cowan était l’un des principaux auteurs de l’infraction. Quant à la responsabilité à titre de participant, le juge du procès a statué que M. Cowan ne pouvait être déclaré coupable à ce titre que si la Couronne démontrait que deux de ses amis — Matthew Tone et un homme appelé « Littleman » — avaient commis le vol qualifié. Encore une fois, il a conclu que la preuve invoquée par la Couronne ne permettait pas de le démontrer.
[5]                              La Couronne a interjeté appel du verdict d’acquittement de M. Cowan. Les juges majoritaires de la Cour d’appel de la Saskatchewan ont accueilli l’appel. Ce faisant, ils n’ont décelé aucune erreur dans l’analyse du juge du procès ni dans sa conclusion concernant le rôle de M. Cowan à titre d’auteur principal de l’infraction. Les juges majoritaires ont adopté une position différente quant à la question de la responsabilité à titre de participant. À leur avis, le juge du procès avait commis une erreur en concluant que la Couronne devait prouver que M. Tone et Littleman avaient commis le vol qualifié pour que M. Cowan puisse être reconnu coupable d’avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction. Selon les juges majoritaires, il s’agissait d’une erreur grave qui pouvait fort bien avoir eu une incidence sur le verdict. Ils ont donc accueilli l’appel, annulé l’acquittement et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Toutefois, puisque l’erreur ne portait que sur la question de la responsabilité à titre de participant, les juges majoritaires ont ordonné que le nouveau procès ne porte que sur la question de savoir [traduction] « si M. Cowan [était] coupable de vol qualifié, à titre de participant, pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction » (motifs de la C.A., 2020 SKCA 77, 389 C.C.C. (3d) 258, par. 50). Dissidente, la juge Jackson aurait rejeté l’appel dans son intégralité.
[6]                              La présente affaire porte sur un pourvoi formé par M. Cowan et sur un pourvoi formé par la Couronne. À l’appui de son pourvoi, M. Cowan invoque la position de la juge dissidente en Cour d’appel, selon laquelle le juge du procès n’avait commis aucune erreur dans son analyse de la responsabilité de M. Cowan à titre de participant et que rien ne justifiait, en fait ou en droit, que les juges majoritaires modifient le verdict d’acquittement. En outre, M. Cowan convient avec la juge dissidente que même si le juge du procès avait commis une erreur dans son analyse de la responsabilité à titre de participant, l’erreur n’était pas significative et ne satisfaisait pas au critère rigoureux requis pour l’annulation d’un acquittement. Pour sa part, la Couronne interjette appel, sur autorisation, de l’ordonnance de la Cour d’appel, relativement à la question de savoir si les juges majoritaires ont commis une erreur en limitant la portée du nouveau procès à une seule thèse en matière de responsabilité. La Couronne soutient que les juges majoritaires n’avaient pas le pouvoir de limiter, de quelque façon que ce soit, la portée du nouveau procès; plutôt, ils auraient simplement dû ordonner la tenue d’un nouveau procès complet quant à l’accusation de vol à main armée.
[7]                              Pour les motifs qui suivent, je rejetterais le pourvoi de M. Cowan et j’accueillerais le pourvoi de la Couronne. Je suis d’accord avec les juges majoritaires de la Cour d’appel pour dire que le juge du procès a commis une erreur de droit dans son analyse de la responsabilité de M. Cowan à titre de participant, laquelle a eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement. La réparation qui convient consiste donc à annuler l’acquittement et à ordonner la tenue d’un nouveau procès. Toutefois, à mon humble avis, le nouveau procès doit être un procès complet. Bien que les cours d’appel disposent de vastes pouvoirs, en vertu du par. 686(8) du Code criminel, de « rendre toute ordonnance que la justice exige », elles ne disposent pas du pouvoir de limiter la portée d’un nouveau procès à une thèse particulière en matière de responsabilité relativement à une seule accusation criminelle.
II.            Faits
[8]                              Les événements à l’origine des présents pourvois se sont produits le 7 juillet 2016, entre environ 21 h et 21 h 30. Le seul employé présent au restaurant Subway au moment du vol qualifié se trouvait à l’arrière du restaurant, lorsqu’il a entendu la porte avant s’ouvrir. Il est revenu à l’avant du restaurant et a vu que deux individus étaient entrés — un des deux faisait le guet à la porte avant, tandis que l’autre, visage masqué et couteau à la main, s’approchait du comptoir. Le voleur masqué a sauté par‑dessus le comptoir et a ordonné à l’employé de mettre l’argent qui se trouvait dans la caisse, soit un total de 400 $, dans un sac à sandwich Subway. Il a ensuite remarqué un distributeur de pièces de monnaie et a ordonné à l’employé de le lui donner, ce que l’employé a fait. Les voleurs sont partis, emportant avec eux l’argent et le distributeur de pièces de monnaie.
[9]                              Bien que l’employé n’ait pas été en mesure d’identifier les voleurs, on pouvait voir sur les images filmées par la caméra de sécurité du restaurant que le voleur masqué portait des chaussures de course distinctives.
[10]                          Quelques jours plus tard, après avoir reçu un renseignement de source anonyme indiquant que M. Cowan aurait joué un rôle dans le vol qualifié, la police l’a mis sous surveillance. Dans le cadre de l’opération de surveillance, la police a pris des photos de M. Cowan sur lesquelles on le voyait portant une paire de chaussures de course qui ressemblaient beaucoup à celles portées par le voleur masqué.
[11]                          Quelques semaines plus tard, le 11 août 2016, la police a arrêté M. Cowan en lien avec le vol qualifié alors qu’il se trouvait dans une résidence de la rue McDonald, située à quelques pâtés de maisons du restaurant Subway. Il a été amené au poste de police où il a fait une déclaration enregistrée dans laquelle il niait toute participation au vol qualifié et affirmait avoir un alibi. Il a expliqué qu’il se trouvait à la résidence de la rue McDonald le jour du vol qualifié, mais qu’il était parti vers 17 h pour se rendre chez une amie nommée Jenna‑Lee Tiszauer. Il a ensuite affirmé que bien qu’il n’eut pas directement participé au vol qualifié, le même jour, il avait entendu, à la résidence de la rue McDonald, un groupe de personnes dire [traduction] « qu’elles avaient besoin d’argent » et qu’il leur avait expliqué « comment commettre un vol qualifié, quoi dire, comment s’y prendre et combien de temps rester dans le commerce » (motifs de première instance, 2018 SKQB 75, par. 24‑25 (CanLII)). Au départ, il a dit qu’il avait eu cette conversation avec M. Tone et un autre individu du nom de Dustin Fiddler. Plus tard, il a ajouté que Littleman et un certain Bradley Robinson étaient aussi présents.
[12]                          Lorsque des images du vol qualifié prises par la caméra de sécurité du restaurant Subway lui ont été montrées, M. Cowan a identifié Littleman comme étant le voleur qui faisait le guet à la porte et M. Robinson comme étant le voleur masqué. Plus tard, il a dit à la police que M. Fiddler et M. Tone avaient conduit Littleman et M. Robinson au restaurant et qu’ils étaient restés dans la voiture de M. Fiddler durant le vol.
[13]                          Monsieur Cowan a par la suite été accusé d’avoir [traduction] « volé des devises canadiennes et un distributeur de pièces de monnaie dans un Subway alors qu’il était muni d’une arme offensive, infraction visée à l’al. 343d) [. . .] du Code criminel » (vol qualifié) (d.a., vol. I, p. 2)[1]. Au procès, la Couronne a avancé deux thèses relatives à la responsabilité pour établir la culpabilité de M. Cowan — soit il était le voleur masqué et donc l’auteur principal de l’infraction, soit il était un participant en ce qu’il avait encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction.
[14]                          Pour appuyer sa thèse principale — à savoir que M. Cowan était un auteur principal de l’infraction — la Couronne a invoqué la preuve circonstancielle disponible, notamment le fait que la déclaration de M. Cowan témoignait d’un niveau de connaissance concernant le vol qualifié qui laissait croire à une participation directe; le fait que le vol qualifié avait été commis de façon similaire à celle décrite par M. Cowan dans sa déclaration; et le fait que les chaussures de M. Cowan correspondaient à celles portées par le voleur masqué. La Couronne a également présenté le témoignage de Mme Tiszauer pour contester l’alibi de M. Cowan. Celle‑ci a affirmé que M. Cowan l’avait approchée et lui avait demandé si elle pouvait lui fournir un alibi, même s’ils n’étaient pas ensemble le soir du vol qualifié. Enfin, la Couronne a cité une personne du nom de Tara Regan, qui a témoigné qu’à un certain moment au cours de l’été 2016, M. Cowan lui avait dit avoir commis le vol qualifié avec Littleman.
[15]                          Pour appuyer sa seconde thèse — à savoir que M. Cowan avait participé au vol qualifié parce qu’il avait encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction — la Couronne a principalement invoqué la déclaration de M. Cowan dans laquelle il avait admis avoir expliqué à M. Fiddler, M. Tone, M. Robinson et Littleman [traduction] « comment commettre [le] vol et quoi dire exactement » (d.a., vol. II, p. 47).
[16]                          Pour sa part, la défense a cité une personne du nom de Nicole Miller, qui a témoigné qu’en juillet 2016, M. Tone lui avait dit que trois personnes avaient commis le vol qualifié, soit [traduction] « lui, son ami Littleman et son autre copain » (d.a., vol. III, p. 116 et 120). Elle ne connaissait pas l’identité de « [l’]autre copain ». Monsieur Cowan n’a pas témoigné.
III.         Décisions des juridictions inférieures
A.           Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, 2018 SKQB 75 (le juge Zarzeczny)
[17]                        Le juge du procès a acquitté M. Cowan. Il a conclu que la Couronne n’avait pas réussi à établir la culpabilité de M. Cowan hors de tout doute raisonnable sur le fondement de l’une des deux thèses relatives à la responsabilité.
[18]                          En ce qui concerne la thèse faisant de M. Cowan l’auteur principal de l’infraction, le juge du procès a rejeté le témoignage de Mme Regan, portant que M. Cowan avait avoué avoir participé au vol qualifié. Selon le juge du procès, Mme Regan était une témoin dont l’honnêteté était douteuse et dont le témoignage n’était ni fiable ni crédible. Le juge a ensuite examiné les autres éléments de preuve circonstancielle et a conclu que la culpabilité de M. Cowan à titre d’auteur principal de l’infraction n’était pas la seule conclusion rationnelle qui pouvait en être tirée.
[19]                          Ayant rejeté la thèse de la responsabilité principale de M. Cowan avancée par la Couronne, le juge du procès s’est penché sur la question de savoir si M. Cowan était coupable à titre de participant pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction. Il a expliqué que, dans sa déclaration, M. Cowan [traduction] « admet clairement avoir dit aux personnes qui, selon lui, avaient commis le vol qualifié, soit [M. Tone et Littleman], comment s’y prendre » (par. 44). Même si cet élément de preuve confirmait que les instructions données par M. Cowan correspondaient étroitement à la façon dont avait été commis le vol qualifié, le juge du procès a estimé qu’il lui était impossible de déclarer M. Cowan coupable, puisque la preuve ne le convainquait pas que M. Tone et Littleman étaient ceux qui avaient pris part à la perpétration de l’infraction à titre d’auteurs principaux. Cela était essentiel, selon lui, pour déclarer M. Cowan coupable à titre de participant pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction.
B.            Cour d’appel de la Saskatchewan, 2020 SKCA 77, 389 C.C.C. (3d) 258 (la juge Jackson (dissidente), les juges Ottenbreit et Kalmakoff)
[20]                          La Couronne a porté en appel le verdict d’acquittement à l’égard de l’accusation de vol à main armée sur le fondement que le juge du procès avait commis des erreurs de droit, tant relativement à la thèse de la responsabilité de M. Cowan à titre d’auteur principal qu’à celle de sa responsabilité à titre de participant.
[21]                          La Cour d’appel a convenu à l’unanimité que le juge du procès n’avait commis aucune erreur de droit en rejetant la thèse de la Couronne selon laquelle M. Cowan était un auteur principal. Elle était cependant divisée sur la question de savoir si le juge du procès avait commis une erreur dans son évaluation de la culpabilité de M. Cowan à titre de participant pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction.
[22]                          Les juges majoritaires étaient d’avis que le juge du procès avait commis une erreur de droit en [traduction] « se donnant pour directive que, comme condition préalable à l’établissement de la culpabilité de M. Cowan pour avoir encouragé la perpétration du vol qualifié, infraction visée à l’al. 21(1)c), ou pour en avoir conseillé la perpétration, infraction visée au par. 22(1), la Couronne devait prouver que M. Tone et [Littleman] étaient les auteurs principaux » (par. 25). Selon eux, pour établir que M. Cowan était coupable d’avoir encouragé la perpétration de l’infraction, la Couronne n’était pas tenue de prouver que l’individu encouragé par M. Cowan était [traduction] « l’auteur principal », tant que M. Cowan avait commis l’acte prohibé dans l’intention d’encourager « un auteur principal », un individu qui « a participé à la perpétration de l’infraction en aidant ou en encourageant un autre individu à la commettre », ou un individu qui « avait participé à la perpétration de l’infraction d’une façon qui, à elle seule, suffirait à engager une responsabilité criminelle » (par. 28‑30 (en italique dans l’original)). De même, pour établir que M. Cowan était coupable d’avoir conseillé la perpétration de l’infraction, la Couronne n’était pas tenue de prouver que l’individu conseillé par M. Cowan était l’auteur principal, tant que cet individu avait effectivement participé à l’infraction, que ce soit à titre d’auteur principal ou de participant.
[23]                          Se fondant sur le critère énoncé dans l’arrêt R. c. Graveline, 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609, les juges majoritaires ont conclu que l’erreur avait eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement car elle avait amené le juge du procès à déformer la position de la Couronne quant à la responsabilité de M. Cowan à titre de participant et à négliger des éléments de preuve importants. Nulle part dans le dossier du procès il n’est indiqué que la Couronne a affirmé que seuls M. Tone ou Littleman pouvaient avoir commis le vol qualifié. Au contraire, la déclaration de M. Cowan indiquait que M. Fiddler et M. Robinson étaient aussi présents lorsqu’il avait donné des instructions sur la façon de commettre un vol. En outre, dans sa déclaration, M. Cowan a expliqué de quelle façon le vol avait été commis par M. Robinson et Littleman pendant que M. Tone et M. Fiddler attendaient dans le véhicule de fuite. Pris ensemble, ces éléments de preuve auraient pu [traduction] « justifier une déclaration de culpabilité pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction si le juge du procès les avait tenus pour avérés et en avait fait une analyse juridique correcte » (par. 42 (en italique dans l’original)).
[24]                          Par conséquent, les juges majoritaires ont accueilli l’appel, annulé l’acquittement et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Cependant, en ordonnant la tenue d’un nouveau procès, ils ont statué que, puisque la cour avait rejeté les moyens d’appel de la Couronne quant à la responsabilité de M. Cowan à titre d’auteur principal, la portée du procès devait se limiter à [traduction] « la question de savoir si M. Cowan [était] coupable de vol, à titre de participant, pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction » (par. 50).
[25]                        La juge dissidente aurait rejeté l’appel dans son intégralité et maintenu l’acquittement. À son avis, le juge du procès n’avait pas commis d’erreur en se contentant de considérer M. Tone et Littleman comme étant les auteurs principaux de l’infraction. Le juge du procès avait nommé ces deux individus parce qu’ils [traduction] « étaient les seuls [. . .] candidats possibles désignés sérieusement par quiconque comme ayant joué un rôle dans la perpétration du vol et que le rôle qui leur avait été attribué était celui d’auteurs principaux seulement » (par. 62). Le juge du procès ne faisait donc que répondre à la preuve et aux observations qui lui avaient été présentées.
[26]                        La juge dissidente a ajouté que même si le juge du procès avait commis une erreur, celle‑ci n’était pas suffisamment significative pour avoir eu une incidence sur le verdict d’acquittement de M. Cowan, et ce, parce que le juge du procès avait écarté la déclaration de M. Cowan, laquelle constituait le seul élément de preuve qui aurait pu étayer la possibilité que quelqu’un d’autre que M. Tone ou Littleman ait agi comme auteur principal de l’infraction. Si la déclaration de M. Cowan n’était pas suffisante pour permettre au juge du procès de conclure que M. Tone ou Littleman avaient agi à titre d’auteurs principaux, elle n’aurait pas pu étayer la conclusion [traduction] « moins évidente » selon laquelle quelque autre personne aurait pu agir à titre d’auteur principal. 
IV.         Questions en litige
[27]                          Je formulerais ainsi les questions soulevées dans les présents pourvois :
(1) Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation de la culpabilité de M. Cowan à titre de participant pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction?
(2) Le cas échéant, serait‑il raisonnable de penser que l’erreur ait pu avoir une incidence significative sur le verdict d’acquittement de M. Cowan de sorte que la tenue d’un nouveau procès soit justifiée?
(3) Si un nouveau procès doit être tenu, la Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en limitant la portée de celui‑ci à la question de savoir si M. Cowan est coupable, à titre de participant, pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction?
V.           Analyse
A.           Le juge du procès a commis une erreur
[28]                          À mon humble avis, le juge du procès a commis une erreur de droit en évaluant la responsabilité de M. Cowan à titre de participant pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction. Plus précisément, comme je vais l’expliquer, en considérant que la Couronne devait préalablement prouver que M. Tone et Littleman étaient les auteurs principaux du vol à main armée afin d’établir la culpabilité de M. Cowan à titre de participant, le juge du procès s’est mépris sur le droit et, de ce fait, n’a pas évalué correctement les éléments de preuve pertinents.
(1)         Le droit
[29]                          Pour la détermination de la responsabilité criminelle, le Code criminel ne fait pas de distinction entre les auteurs principaux d’une infraction et les participants à une infraction (R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411, par. 13). La culpabilité d’un accusé est la même, peu importe la façon dont il a participé à l’infraction — la personne qui fournit l’arme est coupable de la même infraction que la personne qui appuie sur la gâchette (ibid.; R. c. Huard, 2013 ONCA 650, 302 C.C.C. (3d) 469, par. 59).
[30]                          Les articles 21 et 22 du Code criminel énoncent les diverses façons dont un accusé peut participer à une infraction donnée et en être déclaré coupable. Ces dispositions codifient à la fois la responsabilité d’un accusé qui participe à une infraction en la commettant réellement, au titre de l’al. 21(1)a) (responsabilité à titre d’auteur principal), et la responsabilité d’un accusé qui participe à une infraction, par exemple, en encourageant une autre personne à la commettre ou en lui conseillant de le faire, au titre de l’al. 21(1)c) ou du par. 22(1) (responsabilité à titre de participant) (R. c. Pickton, 2010 CSC 32, [2010] 2 R.C.S. 198, par. 51).
[31]                          Dans les cas où, comme en l’espèce, un seul accusé est jugé et que la preuve démontre que plus d’une personne a participé à la perpétration de l’infraction, la Couronne n’est pas tenue de prouver l’identité de tout autre participant ni le rôle précis de chacun pour établir la culpabilité d’un accusé à titre de participant (R. c. Isaac, 1984 CanLII 130 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 74, p. 81, citant R. c. Sparrow (1979), 1979 CanLII 2988 (ON CA), 51 C.C.C. (2d) 443 (C.A. Ont.), p. 458). Ce principe s’applique lorsqu’un accusé est poursuivi pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration d’une infraction.
[32]                          Les éléments essentiels de l’encouragement sont bien établis. L’actus reus consiste à accomplir ou à omettre d’accomplir une chose qui encourage l’auteur principal d’une infraction à commettre cette dernière (Briscoe, par. 14‑15). La mens rea comporte deux éléments : l’intention et la connaissance (par. 16). Celui qui a encouragé devait avoir l’intention d’encourager l’auteur principal à commettre l’infraction et devait savoir que l’auteur principal avait l’intention de commettre l’infraction (par. 16‑17).
[33]                          Bien que la jurisprudence énonçant les éléments de l’encouragement renvoient à l’encouragement de « l’auteur principal », à l’intention d’encourager « l’auteur principal » et à la connaissance du fait que « l’auteur principal » avait l’intention de commettre l’infraction, la Couronne n’est pas tenue de prouver l’identité de « l’auteur principal » ni son rôle précis dans la perpétration de l’infraction pour qu’une responsabilité à titre de participant en découle (R. c. Thatcher, 1987 CanLII 53 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 652, p. 687‑689).
[34]                          Dans l’arrêt Thatcher, l’accusé était inculpé de meurtre au premier degré. Pour établir sa culpabilité, la Couronne a présenté deux thèses quant à sa responsabilité. Elle a soutenu que l’accusé était soit l’auteur principal de l’infraction, en ce qu’il avait personnellement tué la victime, soit un participant à l’infraction, en ce qu’il avait fait tuer la victime par une autre personne. Le juge du procès avait indiqué au jury que l’incapacité de la Couronne de présenter des éléments de preuve identifiant une autre personne en particulier comme étant la personne ayant commis le meurtre ne l’empêchait en rien de déclarer l’accusé coupable à titre de participant. Le jury a rendu un verdict de culpabilité de meurtre au premier degré. L’accusé a porté ce verdict en appel au motif que le juge du procès avait commis une erreur en disant au jury que la Couronne n’était pas tenue de prouver l’identité de l’auteur principal de l’infraction. L’appel a été rejeté par la Cour d’appel de la Saskatchewan. Dans le cadre du pourvoi subséquent, la Cour a souscrit à la conclusion de la Cour d’appel, statuant que les directives du juge du procès étaient « parfaitement appropriées », car « [é]videmment, [la Couronne] n’a[vait] aucune obligation d’identifier une personne en particulier comme étant personnellement l’assaillant de la victime » (p. 687‑688).
[35]                          Des principes semblables s’appliquent au conseil qui, au sens du Code criminel, s’entend de « l’encouragement visant à amener ou à inciter » (par. 22(3)). L’actus reus réside dans le fait « d’encourager délibérément ou d’inciter activement la perpétration d’une infraction criminelle » (R. c. Hamilton, 2005 CSC 47, [2005] 2 R.C.S. 432, par. 29 (italique omis)). La personne délibérément encouragée ou activement incitée par la personne qui conseille doit aussi participer réellement à l’infraction (par. 63, la juge Charron, dissidente pour d’autres motifs; Code criminel, par. 22(1)). Pour ce qui est de la mens rea, la personne qui conseille devait « [vouloir] que l’infraction conseillée soit commise, [ou avoir] sciemment conseillé l’infraction alors qu’[elle] était conscient[e] du risque injustifié que l’infraction conseillée serait vraisemblablement commise en conséquence de sa conduite » (Hamilton, par. 29).
[36]                          Bien que l’un des éléments essentiels de l’infraction consistant à conseiller la perpétration d’une infraction soit la participation réelle de la personne conseillée à l’infraction, cette personne peut y prendre part non seulement à titre d’auteur principal, mais aussi à titre de participant. Cela se manifeste dans le libellé du par. 22(1), qui prévoit qu’un accusé participe à une infraction s’il « conseille à une autre personne de participer à une infraction et que cette dernière y participe subséquemment ». La façon précise de participer n’a aucune importance; que la personne conseillée ait agi à titre d’auteur principal ou à titre de participant, « [d]ans une poursuite pour avoir conseillé à quelqu’un de commettre une infraction, l’accent est mis sur la conduite et sur l’état d’esprit de la personne qui conseille et non sur ceux de la personne conseillée » (Hamilton, par. 74).
(2)         Application
[37]                        Si l’on applique ces principes au cas présent, il est clair que pour établir la culpabilité de M. Cowan à titre de participant pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction, la Couronne n’était pas tenue de prouver l’identité de M. Tone et de Littleman à titre d’auteurs principaux ni le rôle précis qu’ils ont joué dans la perpétration de l’infraction. La Couronne n’avait qu’à prouver que l’un des individus encouragés par M. Cowan avait participé à la perpétration de l’infraction soit à titre d’auteur principal — auquel cas M. Cowan serait coupable d’avoir encouragé et d’avoir conseillé la perpétration de l’infraction — ou à titre de participant — auquel cas M. Cowan serait coupable d’avoir conseillé la perpétration de l’infraction[2].
[38]                        Malgré cela, le juge du procès a conclu que M. Cowan ne pouvait pas être déclaré coupable d’avoir encouragé ou conseillé la perpétration du vol qualifié puisque la Couronne ne s’était pas déchargée de son fardeau de prouver [traduction] « que Matthew Tone et [Littleman] avaient participé à la perpétration de ce vol à titre d’auteurs principaux » (par. 48). Il a répété ce point, expliquant que « pour pouvoir déclarer l’accusé coupable d’avoir aidé, encouragé ou conseillé la perpétration du vol qualifié dans le restaurant Subway [. . .] je dois être convaincu, hors de tout doute raisonnable, que ce sont Matthew Tone et [Littleman] qui ont bel et bien participé à la perpétration du crime à titre d’auteurs principaux » (par. 49).
[39]                        Avec égards, il ressort clairement de ces passages que le juge du procès s’est mépris sur les principes juridiques applicables qui sous‑tendent l’al. 21(1)c) et le par. 22(1). Il a ensuite évalué la preuve en se fondant sur les mauvais principes, puis il est arrivé à la conclusion [traduction] « [qu’]il n’y [avait] pas suffisamment d’éléments de preuve reliant Matthew Tone et [Littleman] au vol ou prouvant, hors de tout doute raisonnable, qu’ils l’avaient commis » (par. 45).
[40]                        Sur cette question, je ne puis souscrire à l’opinion de la juge dissidente de la Cour d’appel selon laquelle le juge du procès n’avait pas commis d’erreur en désignant M. Tone et Littleman, puisqu’il ne faisait que répondre à la preuve et aux observations qui lui avaient été présentées. Soit dit avec égards, le dossier indique que d’autres personnes avaient été désignées comme étant susceptibles d’avoir participé au vol. Par exemple, lors des observations finales au procès, l’avocat de la défense a commencé son exposé en expliquant que la thèse de la défense était que [traduction] « Tara Regan, Matthew Tone et Dustin Fiddler » avaient « commis le vol qualifié faisant l’objet de la présente instance » (d.a., vol. III, p. 131). Il a aussi laissé entendre que « Matthew Tone, Tara Regan ou n’importe quel autre voleur [aurait pu] porter [la] paire de chaussures » vues sur les images du vol filmées par la caméra de sécurité (p. 137). En outre, il a souligné que les voleurs avaient probablement fui dans un véhicule et que « Dustin Fiddler était propriétaire d’un véhicule » (p. 138).
[41]                          La Couronne a proposé une approche aussi large quant à la thèse du participant, soulignant dans les observations finales que M. Cowan avait expliqué à tous ses « amis » comment commettre le vol :
                        [traduction] Donc, à mon humble avis, lorsque M. Cowan, selon son témoignage (une fois de plus, cela fait partie de notre argument subsidiaire), lorsque — s’il a dit à ses amis, alors qu’il savait qu’ils avaient besoin d’argent, « allez‑y, vous n’avez qu’à commettre un vol, c’est facile », et qu’il leur a ensuite donné des conseils sur la façon de le faire — a commis une infraction visée à l’al. 21c) du Code criminel.
                     (d.a., vol. III, p. 152)
[42]                          Cette thèse concordait avec la déclaration de M. Cowan, dans laquelle il avait dit à la police que Littleman, M. Tone, M. Robinson et M. Fiddler étaient tous présents à la résidence de la rue McDonald lorsqu’il avait expliqué comment commettre un vol. En examinant l’admissibilité de cette déclaration, la Couronne a souligné que M. Cowan avait admis non seulement avoir encouragé M. Tone et Littleman, mais aussi avoir encouragé M. Robinson et M. Fiddler. La Couronne a fait valoir que [traduction] « l’accusé [avait admis avoir encouragé] la perpétration d’une infraction lorsqu’il a déclaré avoir expliqué à M. Fiddler, M. Tone, M. [Robinson] et un autre individu nommé Littleman comment commettre le [. . .] vol et quoi dire exactement » (d.a., vol. II, p. 47).
[43]                          Les juges majoritaires de la Cour d’appel avaient donc raison de conclure que [traduction] « rien dans le dossier du procès n’indiquait que la Couronne avait affirmé que seuls M. Tone et [Littleman] avaient pu entrer dans le restaurant Subway pour commettre le vol » (par. 41 (en italique dans l’original)).
[44]                          De toute manière, même si la preuve et les observations avaient effectivement mis l’accent sur M. Tone et Littleman, cela n’aurait pas mis le juge du procès à l’abri de commettre une erreur de droit. Comme je l’ai expliqué, M. Cowan aurait tout de même pu être déclaré coupable d’avoir participé à la perpétration de l’infraction même si l’identité précise ou le rôle de chacun des individus y ayant participé étaient incertains, tant que M. Cowan avait commis l’acte nécessaire avec l’intention requise (Isaac, p. 81, citant Sparrow, p. 458; Pickton, par. 58; Thatcher, p. 687‑689). Il n’était donc pas nécessaire pour le juge du procès de se concentrer sur l’identité d’un auteur principal donné, que la Couronne ait ou non désigné des individus précis comme étant les auteurs principaux de l’infraction. Plutôt, il lui suffisait seulement de conclure que M. Cowan avait encouragé au moins un des individus ayant participé à la perpétration de l’infraction, que ce soit à titre d’auteur principal (encouragé ou conseillé) ou de participant (conseillé). À mon humble avis, le juge du procès a commis une erreur en ne reconnaissant pas cela.
[45]                          Ayant conclu que le juge du procès a commis une erreur de droit, je dois maintenant décider si cette erreur justifiait une intervention en appel.
B.            L’erreur de droit a eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement
[46]                          Les verdicts d’acquittement ne sont pas annulés à la légère (R. c. Sutton, 2000 CSC 50, [2000] 2 R.C.S. 595, par. 2). Pour faire annuler un verdict d’acquittement en raison d’une erreur de droit, il incombe à la Couronne de convaincre la cour d’appel, avec un degré raisonnable de certitude, que l’erreur de droit en cause pourrait avoir eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement (Graveline, par. 14). Cela ne signifie pas que la Couronne est tenue de persuader la cour que le verdict aurait nécessairement été différent n’eût été l’erreur (ibid.). La Couronne doit plutôt démontrer qu’il se peut fort bien que l’erreur ait eu une incidence sur le verdict (R. c. Morin, 1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345, p. 374).
[47]                          En l’espèce, je suis convaincu que la Couronne s’est déchargée de son fardeau de démontrer que l’erreur de droit a eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement. Le juge du procès a fondé son analyse de la preuve sur la prémisse erronée voulant que la Couronne devait d’abord prouver que M. Tone et Littleman étaient les auteurs principaux de l’infraction pour que M. Cowan puisse être déclaré coupable d’avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction.
[48]                          Plus précisément, il a analysé la preuve dont il disposait de la façon suivante :
                        [traduction] Dans sa déclaration et dans les passages de celle‑ci cités dans les présents motifs, M. Cowan admet clairement avoir expliqué aux personnes qu’il disait coupables du vol, soit « Matthew » (considéré comme étant Matthew Tone) et « littleman », comment s’y prendre. Le témoignage de [l’employé du Subway] et la vidéo du Subway confirment que les conseils et les instructions donnés par l’accusé quant à la façon dont le vol devrait être commis correspondent très étroitement à la façon dont il a été commis. Le langage utilisé par le voleur principal et les déclarations qu’il a faites correspondent presque mot pour mot aux conseils que M. Cowan affirme avoir donnés à ceux qu’il prétend coupables du vol. [par. 44]
Cette preuve, comme l’a résumé le juge du procès, pouvait raisonnablement permettre d’établir que M. Cowan avait commis l’acte prohibé avec l’intention requise pour être tenu responsable à titre de participant pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction. Cependant, en ne reconnaissant pas cela, le juge du procès s’est ensuite posé la mauvaise question, soit celle de savoir si la preuve était suffisante pour établir l’identité et la participation de M. Tone et de Littleman à titre d’auteurs principaux. Il a conclu que ce n’était pas le cas et qu’il ne pouvait donc pas déclarer M. Cowan coupable selon la thèse du participant. Il s’ensuit que le verdict aurait fort bien pu être différent si le juge du procès avait examiné la preuve à la lumière des principes juridiques appropriés.
[49]                          Les observations finales du juge du procès le confirment. En effet, il a directement acquitté M. Cowan en raison du manque d’éléments de preuve tendant à démontrer que M. Tone et Littleman étaient les auteurs principaux de l’infraction :
                        [traduction] Dans les circonstances, avant que l’accusé puisse être déclaré coupable d’avoir aidé, encouragé ou conseillé la perpétration du vol dans le restaurant Subway par Matthew Tone et « littleman », que l’accusé a désignés comme étant les auteurs du vol à un moment donné dans sa déclaration, je dois être convaincu, hors de tout doute raisonnable, que ce sont Matthew Tone et « littleman » qui ont participé à la perpétration de ce crime à titre d’auteurs principaux. La preuve dont j’ai été saisi ne me convainc pas, hors de tout doute raisonnable, qu’ils l’ont fait et, par conséquent, que l’accusé a aidé, encouragé ou conseillé les personnes qui ont commis le crime, au sens des art. 21 et 22 du Code criminel.
                        Je déclare donc l’accusé, Jason Cowan, non coupable . . . [par. 49‑50]
[50]                          Ce passage indique clairement que l’erreur de droit commise par le juge du procès était inextricablement liée au verdict d’acquittement, plutôt qu’un simple lapsus comme l’a laissé entendre la juge dissidente.
[51]                          Sur ce point, la juge dissidente a estimé que même si le juge du procès avait commis l’erreur de droit alléguée, celle‑ci ne pouvait pas avoir eu d’incidence sur le verdict puisque la déclaration de M. Cowan, qui était [traduction] « la source de la preuve présentée pour étayer l’allégation voulant que les individus nommés aient agi autrement qu’à titre d’auteurs principaux ou que quelqu’un d’autre ait agi à titre d’auteur principal ou de participant », avait été rejetée par le juge du procès (motifs de la C.A., par. 53 (en italique dans l’original)). Bien que la juge dissidente ait eu raison de souligner que le juge du procès avait des réserves quant à la véracité de la déclaration de M. Cowan, on ne peut pas dire qu’il l’a rejetée dans son intégralité. Ses critiques visaient plutôt à discréditer les affirmations de M. Cowan quant au rôle joué par M. Tone et Littleman dans le vol. Comme je l’ai expliqué, le fait que le juge du procès se soit concentré sur M. Tone et Littleman démontre qu’il n’a pas reconnu la nature véritable du fardeau de la Couronne.
[52]                          Compte tenu de la conclusion selon laquelle l’erreur de droit a eu une incidence significative sur l’issue, le verdict d’acquittement doit être annulé (R. c. R.V., 2021 CSC 10, par. 42, citant Graveline, par. 14). J’examinerai maintenant le pourvoi de la Couronne afin de déterminer la réparation appropriée.
C.            La réparation appropriée est un nouveau procès complet
[53]                          Lorsque, comme en l’espèce, une cour d’appel accueille l’appel d’un acquittement et annule ce verdict, elle a le pouvoir, en vertu du sous‑al. 686(4)b)(i) du Code criminel, d’ordonner la tenue d’un nouveau procès. Il s’agit de la réparation que sollicite la Couronne en l’espèce. Celle‑ci soutient, cependant, que le procès devrait être un nouveau procès complet et non pas, comme l’a ordonné la Cour d’appel, un procès [traduction] « reposant sur la prémisse que la question à trancher est celle de savoir si M. Cowan est coupable de vol qualifié, à titre de participant, pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration du vol » (par. 50). Je suis de cet avis. À mon humble avis, en limitant ainsi la portée du nouveau procès, la cour a outrepassé le pouvoir que lui confère le par. 686(8) du Code criminel.
(1)         Paragraphe 686(8) du Code criminel
[54]                          Lorsqu’une cour d’appel exerce les pouvoirs que lui confèrent les par. 686(2), (4), (6) ou (7), elle peut en outre « rendre toute ordonnance que la justice exige » en vertu du par. 686(8). Ce pouvoir n’est toutefois pas illimité. Comme l’a récemment expliqué la Cour dans l’arrêt R.V., pour qu’une cour d’appel puisse rendre une ordonnance en vertu du pouvoir résiduel que lui confère le par. 686(8), trois conditions doivent être réunies (par. 74, citant R. c. Thomas, 1998 CanLII 774 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 535). Premièrement, la cour doit avoir exercé un des pouvoirs conférés par les par. 686(2), (4), (6) ou (7). Deuxièmement, l’ordonnance rendue doit être accessoire à l’exercice de ce pouvoir en ce qu’elle ne doit pas être « directement incompatible avec [le] jugement sous‑jacent [de la cour] » (Thomas, par. 17; voir aussi R. c. Warsing, 1998 CanLII 775 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 579, par. 72‑74). Troisièmement, l’ordonnance doit en être une que « la justice exige ».
[55]                          En l’espèce, je suis d’avis que les deuxième et troisième conditions pour l’exercice du pouvoir conféré par le par. 686(8) n’étaient pas satisfaites, puisque l’ordonnance accessoire limitant la portée du nouveau procès était incompatible avec le jugement sous‑jacent et qu’il ne s’agissait pas d’une ordonnance qu’exigeait la justice.
[56]                          Selon la Cour d’appel, la portée du nouveau procès devait être limitée à la question de savoir si M. Cowan était coupable de vol à main armée à titre de participant pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction, puisque l’erreur de droit ne se rapportait qu’à l’analyse faite par le juge du procès quant à la responsabilité à titre de participant et que les moyens d’appel de la Couronne concernant la responsabilité à titre d’auteur principal avaient été rejetés. Soit dit en tout respect, il s’agissait d’une erreur. Le nouveau procès doit porter sur toutes les façons prévues dont l’infraction peut être perpétrée.
[57]                          Comme je l’ai expliqué, les art. 21 et 22 ne créent pas des infractions multiples; ils prévoient simplement d’autres chemins vers la même destination en énonçant différentes façons dont un accusé peut participer à une infraction et en être déclaré coupable. Or, en séparant les thèses de la Couronne en matière de responsabilité dans son ordonnance accessoire, la Cour d’appel a fractionné l’infraction de vol qualifié en deux infractions distinctes : le vol commis à titre d’auteur principal et le vol commis à titre de participant, pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction. Ainsi, l’ordonnance accessoire limitant la portée du nouveau procès a eu pour effet de maintenir en partie l’acquittement de M. Cowan à l’égard de la seule accusation de vol qualifié, ce qui est incompatible avec le jugement sous‑jacent accueillant l’appel de la Couronne et annulant le verdict rendu à l’égard de cette même accusation dans son ensemble. En termes simples, l’ordonnance accessoire a donné lieu à un acquittement partiel à l’égard d’une seule accusation criminelle — une créature bicéphale inconnue en droit criminel canadien.
[58]                          Sur cette question, l’arrêt R. c. MacKay, 2005 CSC 79, [2005] 3 R.C.S. 725, de la Cour est particulièrement instructif. Dans cette affaire, l’accusé avait été acquitté après avoir été inculpé de voies de fait graves. En appel, la Cour d’appel a annulé le verdict d’acquittement et ordonné la tenue d’un nouveau procès au motif que le juge du procès avait commis une erreur en ne donnant pas de directives au jury sur les définitions de voies de fait prévues au par. 265(1). Plus précisément, alors qu’il avait donné des directives appropriées au jury relativement à l’al. 265(1)a) (voies de fait par l’emploi de la force), le juge avait refusé de donner des directives relativement à l’al. 265(1)b) (voies de fait par la menace d’employer la force). En ordonnant la tenue d’un nouveau procès, la cour a statué que la portée de ce procès devait se limiter à la question de savoir si l’accusé était coupable de voies de fait graves au sens de l’al. 265(1)b).
[59]                          Au nom de la Cour, la juge Charron a confirmé la décision de la Cour d’appel quant au fond de l’appel, mais elle a conclu que la Cour d’appel avait commis une erreur en limitant la portée du nouveau procès. Elle a expliqué que puisque les al. 265(1)a) et b) « ne créent pas des infractions distinctes, mais décrivent simplement deux façons de commettre la même infraction », l’erreur du juge du procès signifiait que la « Cour d’appel n’avait d’autre choix que d’annuler le verdict d’acquittement et d’ordonner un nouveau procès assorti d’aucune restriction » (par. 4). Elle n’a pas laissé entendre, encore moins conclu, que l’ordonnance limitant la portée du nouveau procès était erronée parce qu’il « n’était pas possible d’isoler des faits l’application éventuelle des deux normes juridiques [aux al. 265(1)a) et b)] — les questions factuelles et juridiques étaient interreliées » (motifs du juge Rowe, par. 90). Je ne peux concevoir que la juge Charron aurait laissé de côté un qualificatif aussi important s’il avait joué un rôle quelconque — encore moins un rôle déterminant — dans sa décision d’annuler l’ordonnance limitant la portée du nouveau procès.
[60]                          Le raisonnement de la juge Charron dans l’arrêt MacKay s’applique de la même manière en l’espèce. Le fait que l’affaire MacKay ait fait l’objet d’un procès devant jury, de sorte que les motifs n’expliquaient pas comment le jury en est arrivé à sa décision, est sans importance. Le raisonnement des membres du jury n’aurait pas pu être plus clair. Les directives reçues ne concernaient que l’al. 265(1)a). Le juge du procès n’a fait aucune mention de l’al. 265(1)b). Dans ses directives, il a dit ce qui suit aux membres du jury : [traduction] « Si vous n’êtes pas convaincus hors de tout doute raisonnable que [l’accusé] a, d’une manière intentionnelle, employé la force contre [la victime], vous devez le déclarer non coupable » (par. 1). Il s’ensuit que les membres du jury n’auraient pu qu’acquitter l’accusé au motif qu’ils n’étaient pas convaincus que l’accusé avait, de manière intentionnelle, employé la force contre la victime, comme le prévoit l’al. 265(1)a).
[61]                          Par conséquent, tout comme les al. 265(1)a) et b), les dispositions concernant la responsabilité des participants en cause en l’espèce ne créent pas deux infractions distinctes; elles décrivent plutôt différentes façons de commettre la même infraction. En l’espèce, comme dans l’arrêt MacKay, la Cour d’appel a commis une erreur en traitant les modes de perpétration d’une infraction comme s’ils constituaient des verdicts distincts en soi, pouvant être dissociés.
[62]                          Je suis donc convaincu que l’ordonnance accessoire rendue par la Cour d’appel est incompatible avec son ordonnance sous‑jacente prévoyant que l’accusation fasse l’objet d’un nouveau procès complet.
[63]                          En outre, l’ordonnance accessoire n’en était pas une qu’exigeait la justice. En droit criminel canadien, le concept de « l’intérêt de la justice » en est venu à être compris comme englobant l’intérêt de l’accusé et celui de la Couronne, des préoccupations sociales globales et l’intégrité du processus en matière criminelle (R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768; R. c. M. (P.S.) (1992), 1992 CanLII 2785 (ON CA), 77 C.C.C. (3d) 402 (C.A. Ont.), par. 32‑36; R. c. Owen, 2003 CSC 33, [2003] 1 R.C.S. 779, par. 52; R. c. Last, 2009 CSC 45, [2009] 3 R.C.S. 146, par. 16; R. c. Bernardo (1997), 1997 CanLII 2240 (ON CA), 105 O.A.C. 244, par. 16 et 20). Dans le présent cas, à mon avis, l’ordonnance accessoire menace l’intégrité du processus en matière criminelle en dénaturant la fonction de recherche de la vérité des tribunaux.
[64]                          L’un des objectifs du processus en matière criminelle étant de favoriser la recherche de la vérité, la justice ne peut exiger que soit restreinte la capacité du juge des faits à établir si un accusé a participé à une infraction donnée et, le cas échéant, de quelle façon il y a participé. Le juge des faits doit plutôt être en mesure d’examiner toutes les thèses relatives à la responsabilité qui semblent vraisemblables sur le fondement de la preuve présentée au nouveau procès (Huard, par. 60). Empêcher prospectivement le juge des faits d’examiner une thèse viable relative à la responsabilité aurait pour effet de miner sa capacité à exercer sa fonction principale, soit de décider si la Couronne a prouvé que l’accusé a commis l’infraction qui lui est reprochée. Cette approche est compatible avec le raisonnement de la Cour dans l’arrêt MacKay, où la juge Charron a déclaré que la « portée de la directive appropriée concernant la définition des voies de fait au nouveau procès ne [pouvait] être déterminée qu’en fonction de la preuve soumise lors de ce nouveau procès » (par. 4).
[65]                          En pratique, confirmer l’ordonnance accessoire de la Cour d’appel signifierait que si, au nouveau procès, la défense présentait des éléments de preuve montrant que M. Cowan n’avait ni encouragé ni conseillé une autre personne puisqu’il était, en réalité, l’auteur principal de l’infraction, et si le juge des faits ajoutait foi à ces éléments de preuve ou si ceux‑ci soulevaient un doute raisonnable, le juge des faits n’aurait d’autre choix que d’acquitter M. Cowan relativement à l’accusation de vol à main armée. Un tel résultat couvrirait de ridicule le système de justice et ne saurait être ce que la justice exige.
[66]                          Il importe de noter que ma conclusion selon laquelle la Cour d’appel n’était pas autorisée à limiter la portée du nouveau procès à certaines thèses relatives à la responsabilité ne signifie pas que les cours d’appel n’ont pas le pouvoir de restreindre la portée d’un nouveau procès en toutes circonstances. Par exemple, les tribunaux ont statué qu’une cour d’appel peut limiter la portée d’un nouveau procès à une infraction moindre et incluse si elle est convaincue que l’erreur justifiant l’infirmation de la décision n’a entaché que le verdict rendu à l’égard de cette infraction et si elle annule uniquement le verdict rendu à l’égard de cette accusation (voir, p. ex., R. c. Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 R.C.S. 579; R. c. Guillemette, 1986 CanLII 59 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 356; R. c. Alec, 1974 CanLII 151 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 720; R. c. Cook (1979), 1979 CanLII 2937 (ON CA), 47 C.C.C. (2d) 186 (C.A. Ont.); R. c. Ruptash (1982), 1982 ABCA 165 (CanLII), 36 A.R. 346 (C.A.); R. c. Druken, 2002 NFCA 23, 211 Nfld. & P.E.I.R. 219). La distinction cruciale, cependant, est que l’infraction moindre et incluse constitue une infraction distincte et non, comme en l’espèce, une façon de commettre une même infraction. De la même façon, dans l’arrêt R.V., la question portait sur les verdicts qui auraient été incohérents dans le contexte de trois infractions distinctes — une situation très différente du cas qui nous occupe, où il est question d’un seul chef d’accusation de vol qualifié qui aurait pu être commis de différentes façons. Il ne s’agit pas non plus d’un cas où « la Couronne cherche à annuler des acquittements afin d’essayer de changer de thèse ou de stratégie, ou à présenter la même affaire à d’autres décideurs dans l’espoir d’obtenir un résultat différent » (motifs du juge Rowe, par. 91). Aucun de ces motifs irréguliers ne peut être attribué à la Couronne en l’espèce.
(2)         Préclusion découlant d’une question déjà tranchée
[67]                          Avant de conclure, je souhaite examiner brièvement la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Monsieur Cowan a fait valoir que la Cour ne peut pas ordonner un nouveau procès complet parce que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêche la remise en cause de la thèse de la Couronne portant qu’il est coupable de vol qualifié à titre d’auteur principal. Plus précisément, il soutient que les exigences de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont satisfaites, étant donné que la conclusion du juge du procès selon laquelle la Couronne ne s’était pas déchargée de son fardeau de prouver qu’il était l’auteur principal de l’infraction : (1) avait un caractère définitif; (2) avait été tirée dans une instance antérieure; (3) concernait les mêmes parties (citant R. c. Mahalingan, 2008 CSC 63, [2008] 3 R.C.S. 316, par. 52 et 55‑56). Soit dit en tout respect, je suis d’avis de rejeter les observations de M. Cowan sur ce point. Bien que cette doctrine puisse être invoquée par un accusé dans le contexte du droit criminel, M. Cowan ne peut l’invoquer, en l’espèce, pour empêcher la Cour d’ordonner la tenue d’un nouveau procès complet pour l’accusation de vol à main armée.
[68]                          La préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique pas du seul fait qu’un procès ait eu lieu. Comme l’a expliqué la Cour dans l’arrêt Mahalingan, la décision qui constitue le fondement de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée doit avoir été prise dans une instance antérieure et devait avoir un caractère définitif (par. 52‑55). Cette affaire, toutefois, concernait deux instances distinctes et non, comme en l’espèce, un procès initial et un nouveau procès tenu à la suite d’un appel fructueux dans une seule et même affaire. On ne peut dire qu’une décision à caractère définitif a été rendue dans une instance antérieure si une cour d’appel conclut qu’un verdict d’acquittement à l’égard d’une seule accusation criminelle était entaché d’une erreur de droit et, en conséquence, invalide ce verdict dans son ensemble en l’annulant et en ordonnant la tenue d’un nouveau procès pour l’accusation en question. Cette prémisse a été résumée succinctement il y a plus d’un siècle dans l’arrêt Gray c. Dalgety & Co. Ltd. (1916), 21 C.L.R. 509 (H.C.A.), p. 521, où le juge en chef Griffith a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je n’ai jamais entendu dire auparavant qu’une ordonnance de nouveau procès constituait une décision définitive sur quelque point que ce soit; elle signifie seulement que l’affaire devra être examinée plus en profondeur ».
[69]                          En outre, comme l’ont expliqué les auteurs G. Spencer‑Bower et A. K. Turner dans l’ouvrage The Doctrine of Res Judicata (2e éd. 1969), par. 168 (cité et approuvé dans l’arrêt R. c. Duhamel (no 2) (1981), 1981 ABCA 295 (CanLII), 131 D.L.R. (3d) 352, p. 357 (C.A. Alta.), conf. par 1984 CanLII 126 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 555), aucune partie ne peut être empêchée de remettre en cause une question lorsqu’un verdict est annulé et que la tenue d’un nouveau procès est ordonnée :
                        [traduction] Aucune conclusion tirée par la cour ou le jury dans le cadre d’un procès qui a avorté, et pour lequel la tenue d’un nouveau procès a été ordonnée, ne pourra donner ouverture à un plaidoyer de préclusion valable. Et un jugement de la cour annulant le verdict d’un jury ou infirmant une décision rendue selon ce verdict, et qui ordonnera la tenue d’un nouveau procès, ne pourra faire en sorte qu’une partie se voie opposer la chose jugée comme fin de non‑recevoir relativement à toute conclusion de fait contenue dans le jugement ordonnant la tenue d’un nouveau procès, puisque ce jugement ne signifie rien de plus que cela : le premier procès présentait des lacunes, et les questions qui y ont été tranchées devraient être à nouveau soumises à la cour pour réexamen. [Notes en bas de page omises.]
[70]                          Je souscris à cette déclaration. Lorsqu’une cour d’appel ordonne la tenue d’un nouveau procès dans le cadre d’une poursuite criminelle, elle le fait dans le but d’offrir l’occasion [traduction] « de corriger les erreurs commises lors du premier procès » (Welch c. The King, 1950 CanLII 8 (SCC), [1950] R.C.S. 412, p. 417). Un tel nouveau procès se veut un « réexamen d’une affaire sur le fondement de la même dénonciation ou du même acte d’accusation », ce qui « suppose qu’un procès s’est tenu et que, pour des motifs suffisants, il a été annulé de sorte que les questions peuvent être examinées de novo » (ibid. (italique omis)).
[71]                          Ces principes ont été appliqués par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt R. c. Ekman, 2006 BCCA 206, 209 C.C.C. (3d) 121. Pour résumer les faits de cette affaire, l’accusé avait été acquitté lors de son premier procès pour meurtre après que la déclaration incriminante qu’il avait faite à la police eut été jugée inadmissible. En appel, la cour a infirmé cette décision et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Au deuxième procès, l’accusé a été déclaré coupable de tentative de meurtre, mais il a été acquitté de l’accusation de meurtre au premier degré. L’appel de la Couronne à l’égard du verdict d’acquittement a été accueilli et la tenue d’un troisième procès a été ordonnée relativement à l’accusation de meurtre. Lors de celui‑ci, l’accusé a soutenu que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêchait la Couronne d’intenter une poursuite contre lui à titre d’auteur principal du meurtre. Il a demandé au juge du procès de rendre une ordonnance [traduction] « limitant la portée du nouveau procès à l’accusation de meurtre au premier degré à titre de participant seulement » (R. c. Ekman, 2004 BCSC 900, par. 3‑4 (CanLII)). Le juge du procès a rejeté cette demande. Le troisième procès ne remettait pas en cause une question qui avait été tranchée de façon définitive puisque l’issue du deuxième procès — l’acquittement pour meurtre — avait été entièrement annulée. La préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’appliquait donc pas.
[72]                          Le raisonnement du juge du procès a été confirmé par la Cour d’appel :
                        [traduction] Le troisième procès ne remettait pas en cause une question qui avait été débattue à fond par les parties puisque l’issue du deuxième procès avait été annulée entièrement et que la tenue d’un nouveau procès portant sur toutes les questions avait été ordonnée. Des erreurs de droit contenues dans l’accusation au deuxième procès avaient mis en doute le verdict. L’appel de la Couronne, dans le cadre du deuxième procès, invoquait trois motifs justifiant l’annulation du verdict du jury. Notre Cour a jugé nécessaire de statuer sur un seul de ces motifs, mais il est implicite dans la décision que l’ensemble du verdict était entaché et devait être annulé. Autrement, il aurait été nécessaire de statuer sur les autres motifs invoqués à l’encontre de l’ensemble du verdict. Par conséquent, aucune des questions de fait n’avait été tranchée et elles ont dû être examinées de nouveau au troisième procès. Il n’y a eu aucun « scandale de décisions contradictoires ». Aucune question n’avait été tranchée de façon définitive au deuxième procès et, à mon avis, le principe de la chose jugée et la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’appliquent pas. [par. 22]
[73]                          De même, dans le présent cas, aucune question ne peut être considérée comme ayant été tranchée de façon définitive au premier procès puisque l’issue de celui‑ci — l’acquittement à l’égard de la seule accusation de vol à main armée — a été entièrement annulée. Comme le juge du procès a commis une erreur de droit qui a eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement de M. Cowan, ce verdict est nécessairement invalide. Les conclusions tirées au premier procès, qui ont mené à l’acquittement de M. Cowan, doivent donc être annulées et ne peuvent être utilisées pour invoquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.
VI.         Conclusion
[74]                          En définitive, je suis d’avis de rejeter le pourvoi de M. Cowan et d’accueillir celui de la Couronne. Le jugement de la Cour d’appel annulant le verdict d’acquittement à l’égard de l’accusation de vol à main armée et ordonnant la tenue d’un nouveau procès est maintenu, mais le par. 3 de ce jugement, qui ordonne que [traduction] « la question devant être tranchée [au nouveau procès] est celle de savoir si M. Cowan est coupable de vol à main armée, à titre de participant, pour avoir encouragé ou conseillé la perpétration de l’infraction », est infirmé. La tenue d’un nouveau procès complet relativement à l’accusation de vol à main armée est ordonnée.
 
Version française des motifs des juges Brown et Rowe rendus par
 
                    Le juge Rowe —
[75]                        J’accueillerais le pourvoi de M. Cowan et rétablirais son acquittement, et ce, pour les motifs dissidents exposés par la juge Jackson, que je fais miens, à l’exception du par. 61[3].
[76]                        À la lumière de ce qui précède, il ne m’est pas nécessaire d’examiner l’appel formé par la Couronne à l’encontre de l’ordonnance de la Cour d’appel limitant la portée du nouveau procès. Je le ferai néanmoins en termes généraux, car je suis préoccupé par ce que le juge Moldaver a écrit à ce sujet.
[77]                        La préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêche la Couronne « de remettre en cause une question ayant fait l’objet d’une décision favorable à l’accusé lors d’une instance criminelle antérieure, que la décision repose sur une conclusion positive ou sur un doute raisonnable » (R. c. Mahalingan, 2008 CSC 63, [2008] 3 R.C.S. 316, par. 31; voir aussi R. c. Punko, 2012 CSC 39, [2012] 2 R.C.S. 396, par. 7). En raison de l’application de cette doctrine, dans de tels cas, la Couronne est empêchée non pas « de présenter une preuve sur toute question soulevée dans un procès antérieur ayant abouti à un acquittement », mais « de présenter une preuve incompatible avec des conclusions favorables à l’accusé formulées dans une instance antérieure » (Mahalingan, par. 2 et 22 (en italique dans l’original); voir aussi S. N. Lederman, A. W. Bryant et M. K. Fuerst, Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada (5e éd. 2018), §19.152; M. Vauclair et T. Desjardins, en collaboration avec P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales (27e éd. 2020), no 28.296).
[78]                        Trois conditions doivent être réunies pour que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique. En premier lieu, la question doit avoir été tranchée dans une instance antérieure, ce qui « [oblige] [l]e tribunal instruisant le deuxième procès [à] déterminer si la question à l’égard de laquelle le ministère public veut présenter une preuve est identique à celle qui avait donné lieu à une décision favorable à l’accusé dans l’instance criminelle antérieure » (Mahalingan, par. 52 (je souligne)). En deuxième lieu, la décision doit être définitive (par. 55). « Les conclusions formulées à l’égard de questions particulières dans un procès sont définitives à moins qu’elles ne soient infirmées en appel » (ibid.). Mon collègue le juge Moldaver souligne dans ses motifs que le verdict a été infirmé par la Cour d’appel, de sorte que la décision n’est pas définitive. Toutefois, la préclusion découlant de la question déjà tranchée s’attache aux questions tranchées au procès, non au résultat final du litige (Mahalingan, par. 17 et 52). Par conséquent, même si la tenue d’un nouveau procès est ordonnée, l’accusé ne devrait pas avoir à remettre en cause des questions ayant fait l’objet d’une décision qui lui est favorable et qui n’est pas viciée par une erreur. En troisième lieu, les parties aux deux instances doivent être les mêmes (par. 56‑57).
[79]                          Monsieur Cowan a subi un procès relativement à l’accusation d’avoir commis un vol qualifié et à celle d’avoir eu le visage masqué dans l’intention de commettre un vol qualifié. Au procès, la Couronne a fait valoir deux théories de responsabilité : soit M. Cowan a commis le vol qualifié lui‑même, soit il a encouragé ou conseillé ceux qui l’ont fait. Il a été acquitté. Le juge du procès a expliqué dans ses motifs écrits qu’il entretenait un doute raisonnable au sujet de la théorie de la responsabilité principale. La Cour d’appel a conclu que le juge du procès avait commis une erreur de droit quant au fait d’encourager ou de conseiller la perpétration d’une infraction. Or, elle n’a constaté aucune erreur en ce qui concerne l’acquittement fondée sur l’accusation voulant que M. Cowan est l’auteur principal du vol qualifié. À cet égard, aucune erreur de droit n’est alléguée devant notre Cour, car la Couronne n’a pas interjeté appel de cette partie de la décision; elle souhaite néanmoins emprunter la même voie pour obtenir une déclaration de culpabilité lors d’un second procès. Le problème est que « [s]i un doute raisonnable sur une question particulière n’est pas considéré comme une conclusion de fait définitive, très peu de questions donneront ouverture à la préclusion découlant de questions déjà tranchées et les fins du principe du caractère définitif des jugements seront mal servies » (Mahalingan, par. 30). Comme l’a mentionné la Cour dans l’arrêt Mahalingan, lors d’un procès devant juge seul où les motifs expliquent la décision, « ces conclusions [sur des questions essentielles doivent être reconnues] et [ne pas être remises] en cause dans un procès subséquent, à moins qu’elles ne soient infirmées en appel » (par. 53). En l’espèce, comme les conclusions sur la responsabilité principale de M. Cowan n’étaient pas entachées d’une erreur, il n’y a pas lieu de les annuler.
[80]                        Empêcher la Couronne de remettre en cause des questions tranchées en faveur de l’accusé lors du premier procès est une question « [d’]équité envers l’accusé, [d]’intégrité et [de] cohérence du processus pénal et [de] caractère définitif des jugements » (Mahalingan, par. 59). À mon avis, même si l’on ne restreint pas la portée du nouveau procès, l’accusé pourrait évoquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée au second procès, et le juge du procès pourrait conclure que la Couronne ne peut remettre en cause la question de la responsabilité principale.
[81]                        La préclusion découlant de la question déjà tranchée vise à empêcher la remise en cause relative à « des éléments particuliers sous‑jacents à la preuve du ministère public » (Mahalingan, par. 41). L’importance de ce principe s’explique par le fait que « [d]’autres règles du droit pénal ne correspondent pas complètement à l’objectif d’équité qui écarte l’obligation, pour l’accusé, de répondre à des questions de fait et de droit (autres que le verdict final) tranchées en sa faveur dans une instance antérieure » (par. 40) et que « le droit pénal a horreur non seulement des verdicts incompatibles mais également des conclusions contradictoires sur des questions particulières » (par. 45).
[82]                        À mon avis, une conception trop étroite de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée risque d’entraîner une injustice pour les accusés. Comme je l’ai dit à l’audience, la position de la Couronne semble guidée par la devise [traduction] « si vous ne réussissez pas la première fois, essayez et réessayez » (transcription, p. 26), de sorte qu’elle devrait avoir une deuxième chance d’obtenir une déclaration de culpabilité au moyen d’une théorie de responsabilité même si le juge du procès a acquitté l’accusé sur le fondement de cette théorie et que l’on n’a relevé aucune erreur de droit pertinente à cet égard. À mon sens, le principe sous‑jacent est qu’un accusé ne devrait pas avoir à remettre en cause des questions sur la base d’une accusation à l’égard de laquelle il a été acquitté lorsqu’aucune erreur n’est constatée dans l’acquittement. Les conclusions du juge du procès ne devraient pas être remises en cause, et l’accusé ne devrait pas avoir à préparer une seconde défense en l’absence d’une erreur pertinente justifiant l’annulation de l’acquittement. Lors du nouveau procès, la Couronne tentera de persuader le juge que M. Cowan est l’auteur principal du vol qualifié. Monsieur Cowan ne sera‑t‑il donc pas tenu de se défendre deux fois contre les mêmes allégations au regard de la même théorie de responsabilité pour les mêmes faits? Il le sera, et ce sera injuste.
[83]                        En considérant les questions qui s’ajoutent à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, je ne puis souscrire aux conclusions des juges majoritaires concernant l’exercice par les cours d’appel de leurs pouvoirs en vertu du par. 686(8) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46.
[84]                        Je suis toutefois d’accord avec les juges majoritaires concernant les trois conditions qui doivent être réunies pour qu’une cour d’appel puisse rendre une ordonnance en vertu du par. 686(8) : premièrement, la cour doit avoir exercé l’un des pouvoirs qui déclenchent l’application du par. 686(8), conférés par les par. 686(2), (4), (6) ou (7); deuxièmement, l’ordonnance rendue doit être accessoire au pouvoir qui déclenche l’application du par. 686(8), c’est‑à‑dire qu’elle n’est pas « directement incompatible avec [le] jugement sous‑jacent [de la cour] »; et troisièmement, l’ordonnance doit en être une « que la justice exige » (R. c. R.V., 2021 CSC 10, par. 74). Toutefois, je ne souscris pas à l’application que font les juges majoritaires du test en l’espèce, comme je vais l’expliquer.
[85]                        Les cours d’appel exercent leurs pouvoirs au titre du par. 686(8) avec souplesse, conformément à son vaste objectif de réparation. Il appartient à la Cour d’appel d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui y est conféré; il appartient à notre Cour d’examiner l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. À moins que la Cour d’appel ait commis une erreur de principe ou que l’ordonnance soit manifestement erronée, la Cour ne peut simplement substituer son propre avis à la décision rendue par la Cour d’appel.
[86]                        À mon avis, l’existence d’une erreur de principe n’a pas été établie et l’ordonnance de la Cour d’appel n’est pas manifestement erronée. D’abord, rien ne laisse croire que l’ordonnance est directement incompatible avec le jugement sous‑jacent de la Cour d’appel. Contrairement à ce qu’affirment les juges majoritaires, il n’existe aucune règle portant qu’une accusation dans son ensemble doit être jugée de nouveau si la tenue d’un nouveau procès est ordonnée à l’égard d’un chef d’accusation portant sur une infraction qui peut être commise de différentes façons. La question de savoir si un nouveau procès complet doit avoir lieu ou non dépend plutôt de la mesure dans laquelle les chefs d’accusation, et les modes de perpétration des infractions faisant l’objet d’un seul chef d’accusation, sont « interreliés ». Cela est expliqué aux par. 42 à 44 de l’arrêt R.V., cité par les juges majoritaires :
                        Dans les cas où la Couronne interjette un appel incident, l’acquittement doit être écarté si elle réussit à prouver que celui‑ci était fondé sur une erreur de droit « [dont] il serait raisonnable de penser [. . .] qu’[elle] [a] eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement » (Graveline, par. 14). Il faut ensuite se demander ce qui doit découler de la mise de côté de cet acquittement.
                        Le Code criminel répond en majeure partie à cette question. L’alinéa 686(4)(b) du Code prévoit que, lorsqu’une cour d’appel admet l’appel d’un acquittement prononcé par un jury, elle ordonne un nouveau procès. En général, toutes les accusations qui sont interreliées devraient être renvoyées pour faire l’objet d’une nouvelle instruction (Pittiman, par. 14). Selon le critère que j’ai énoncé, il se peut fort bien qu’une cour d’appel ait de la difficulté à limiter l’erreur à l’acquittement, et une déclaration de culpabilité ne peut pas être maintenue si elle découle d’une erreur de droit. À moins que la cour d’appel ne puisse conclure avec une certitude élevée que l’erreur de droit n’a pas vicié la déclaration de culpabilité, la tenue d’un nouveau procès à l’égard de toutes les accusations sera nécessaire si l’acquittement est écarté quant à une accusation liée à une déclaration de culpabilité.
                        Dans les cas où une cour d’appel peut limiter l’erreur de droit à l’acquittement, seule l’accusation dont l’accusé a été acquitté devrait faire l’objet d’un nouveau procès et la déclaration de culpabilité devrait être maintenue. Comme l’erreur n’a pas entaché la déclaration de culpabilité, ce verdict devrait être maintenu à moins, bien entendu, que la déclaration de culpabilité ne soit jugée déraisonnable pour un motif autre que l’incompatibilité.
[87]                        Il s’agit d’être capable d’isoler l’erreur de droit, et non pas la façon dont les infractions sont structurées dans le Code criminel. Même si une infraction peut être commise de plusieurs façons différentes, s’il est clair, comme en l’espèce, qu’il ne peut être prouvé qu’elle a été commise de l’une de ces façons, aucune raison ne justifie qu’une cour d’appel ne soit pas en mesure de limiter les questions lors du nouveau procès.
[88]                        L’arrêt R. c. MacKay, 2005 CSC 79, [2005] 3 R.C.S. 725, sur lequel les juges majoritaires se sont aussi appuyés, illustre mon point. Dans cette affaire, le jury a acquitté l’accusé relativement à une accusation de voies de fait graves, infraction prévue à l’al. 265(1)a) du Code criminel, mais le juge du procès a refusé de donner des directives au jury sur la définition des voies de fait prévue à l’al. 265(1)b). La Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en omettant de donner des directives au jury sur la définition de voies de fait prévue à l’al. 265(1)b) et ordonné la tenue d’un nouveau procès pour voies de fait graves sur le fondement de l’al. 265(1)b) seulement. Notre Cour a infirmé la décision et ordonné un nouveau procès complet.
[89]                        Une interprétation adéquate de l’arrêt MacKay n’étaye pas la position des juges majoritaires portant qu’un nouveau procès complet doit être ordonné chaque fois qu’une infraction peut être commise de deux façons différentes et qu’une cour d’appel conclut que le juge du procès a fait une erreur concernant une façon de commettre l’infraction, mais pas l’autre. Les juges majoritaires affirment que le raisonnement du premier jury dans l’arrêt MacKay était « clair » en ce qu’ils ont conclu que l’accusé n’avait pas l’intention de commettre des voies de fait comme il est prévu à l’al. 265(1)a), pourtant notre Cour l’a renvoyé en vue d’un nouveau procès complet au titre de l’al. 265(1)a) et de l’al. 265(1)b). Toutefois, la question n’est pas de savoir si la décision du premier juge des faits est « claire » en ce qui a trait à une façon de commettre l’infraction, mais plutôt de savoir si la question est interreliée à l’erreur commise à l’égard de la deuxième façon de commettre l’infraction au point où un futur juge des faits devrait nécessairement réexaminer les deux façons de commettre l’infraction afin de tirer une conclusion valable en droit. Tel était le cas dans l’affaire MacKay.
[90]                        Les façons de commettre des voies de fait prévues aux al. 265(1)a) et 265(1)b) sont semblables — l’al. 265(1)a) concerne l’application intentionnelle de la force, tandis que l’al. 265(1)b) porte sur les tentatives ou les menaces d’emploi de la force. Leur application dans un cas particulier pourrait se chevaucher. Dans l’arrêt MacKay, le juge du procès a refusé de donner des directives au jury concernant l’al. 265(1)b) parce qu’il avait conclu que la force avait été réellement appliquée, ce qui empêchait l’application de cet alinéa. Cependant, la Cour d’appel a conclu que même si le jury avait pu conclure que la force pouvait avoir été employée involontairement, il aurait pu aussi conclure que la force était révélatrice de menaces antérieures ou de tentatives d’employer la force qui équivalaient également à des voies de fait. Sans avoir reçu de directives sur l’al. 265(1)b), le premier jury ne disposait pas du contexte nécessaire pour examiner les faits par rapport aux normes juridiques et aux exigences des deux dispositions particulières. Autrement dit, il n’était pas possible d’isoler des faits l’application éventuelle des deux normes juridiques — les questions factuelles et juridiques étaient interreliées. Lorsque, comme en l’espèce, deux façons de commettre une infraction ont des éléments complètement différents et reposent sur des fondements factuels totalement différents, il n’est pas nécessaire lors du nouveau procès de réexaminer la façon dont les normes juridiques relatives à la perpétration de l’infraction à titre d’auteur principal pourraient s’appliquer. De plus, dans le cas qui nous occupe, les motifs du juge du procès expliquent pourquoi il a rejeté la thèse portant que M. Cowan avait commis l’infraction à titre d’auteur principal. Ces motifs ne comportent aucune erreur. Par conséquent, aucun fondement rationnel ne justifie que ces questions soient remises en cause.
[91]                        L’ordonnance de la Cour d’appel n’était pas non plus contraire à ce que « la justice exige ». En plus de tenir compte de l’équité pour l’accusé, la cour a dûment restreint les questions visées afin d’éviter le gaspillage des ressources des tribunaux causé par une remise en cause des questions alors qu’il n’y avait aucune erreur. Dans l’arrêt R.V., aux par. 78‑79, la Cour a incité la Couronne à éviter d’intenter des procès sur des chefs d’accusation qui se chevauchent, car cette façon de procéder est inefficace. L’ordonnance de la Cour d’appel en l’espèce vise de la même façon à favoriser l’utilisation optimale des ressources de la cour et à encourager la Couronne à présenter la meilleure cause possible lors du premier procès. En ce sens, les « intérêts de la justice » englobent non seulement l’équité envers l’accusé, mais aussi l’intérêt public à éviter les instances faisant double emploi dans un système judiciaire occupé. Il n’est pas non plus utile à l’intégrité du système de justice criminelle que la Couronne cherche à annuler des acquittements afin d’essayer de changer de thèse ou de stratégie, ou à présenter la même affaire à d’autres décideurs dans l’espoir d’obtenir un résultat différent.
[92]                        La décision des juges majoritaires affaiblit la capacité des cours d’appel de rendre des ordonnances accessoires limitant les questions lors du nouveau procès en application du par. 686(8) d’une façon qui non seulement encourage la remise en cause, mais risque aussi de miner la confiance du public envers le système de justice en raison de la probabilité accrue que les résultats soient incohérents.
[93]                        Bref, j’estime que la Cour d’appel n’a pas commis d’erreur en limitant les questions lors du nouveau procès. Ce résultat favorisait l’équité envers M. Cowan, l’utilisation efficace des ressources de la cour et l’intégrité du processus de justice criminelle. Il n’y a aucune raison de renvoyer l’affaire pour qu’un procès soit tenu concernant la question de savoir si M. Cowan a commis l’infraction en tant qu’auteur principal.
 
                    Pourvoi de Jason William Cowan rejeté, pourvoi de Sa Majesté la Reine accueilli, les juges Brown et Rowe sont dissidents.
                    Procureurs de l’appelant/intimé Jason William Cowan : Gerrand Rath Johnson, Regina.
                    Procureur de l’intimée/appelante Sa Majesté la Reine : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.

[1]  Monsieur Cowan a également été accusé d’avoir eu l’intention de commettre un vol qualifié la figure couverte d’un masque, infraction visée au par. 351(2) du Code criminel. Il a été acquitté de cette accusation au procès et la Couronne n’a pas porté le verdict d’acquittement en appel. La Cour d’appel a ordonné la tenue d’un nouveau procès relativement à la seule accusation de vol à main armée, mais elle a restreint la portée de ce nouveau procès à la question de la responsabilité de M. Cowan à titre de participant. Les parties n’ont soulevé aucune question et n’ont présenté aucune observation relativement à l’accusation de port d’un masque dans l’intention de commettre un acte criminel. Par conséquent, aucune question qui y est liée ou qui en découle ne nous a été soumise.
[2]  Je reporte à une autre occasion l’examen de la question de savoir si un accusé peut être tenu responsable d’avoir encouragé la perpétration d’une infraction au titre de l’al. 21(1)c) lorsque l’on conclut qu’il a encouragé un participant à l’infraction, autre que l’auteur principal. Cette question n’a aucune incidence sur l’issue du présent pourvoi car, même si l’al. 21(1)c) ne s’applique qu’à ceux qui ont encouragé l’auteur principal, le juge du procès a commis une erreur en omettant de reconnaître qu’il aurait pu déclarer M. Cowan coupable s’il était convaincu, hors de tout doute raisonnable, que celui-ci avait encouragé au moins un des individus ayant participé à la perpétration de l’infraction, soit à titre d’auteur principal (encouragé ou conseillé) ou à titre de participant (conseillé). Par conséquent, je ne peux souscrire aux commentaires de la Cour d’appel, aux par. 28‑30 de ses motifs, qui laissent entendre qu’une responsabilité criminelle peut être engagée pour avoir encouragé la perpétration d’une infraction lorsque l’accusé a encouragé un participant qui n’est pas l’auteur principal (p. ex., une personne qui a encouragé).
[3]  Étant donné l’absence d’observations à ce sujet, je suis d’accord avec mon collègue le juge Moldaver pour « report[er] à une autre occasion l’examen de la question de savoir si un accusé peut être tenu responsable d’avoir encouragé la perpétration d’une infraction au titre de l’al. 21(1)c) [du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46] lorsque l’on conclut qu’il a encouragé un participant à l’infraction, autre que l’auteur principal » (par. 37, note 2).


Synthèse
Référence neutre : 2021CSC45 ?
Date de la décision : 05/11/2021

Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : Cowan
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 5 novembre 2021, R. c. Cowan, 2021 CSC 45


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2021-11-05;2021csc45 ?

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