COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411
Date : 20100408
Dossier : 32912
Entre :
Michael Erin Briscoe
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
‑ et ‑
Procureur général de l’Ontario
Intervenant
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement :
(par. 1 à 26)
La juge Charron (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein et Cromwell)
Restriction à la publication : Sous réserve des autres dispositions du présent article, il est interdit de publier le nom d’un adolescent ou tout autre renseignement de nature à révéler qu’il a fait l’objet de mesures prises sous le régime de la présente loi. Voir la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1, art. 110(1).
Sous réserve des autres dispositions du présent article, il est interdit de publier le nom d’un enfant ou d’un adolescent ou tout autre renseignement de nature à révéler le fait qu’il a été victime d’une infraction commise par un adolescent ou a témoigné dans le cadre de la poursuite d’une telle infraction. Voir la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1, art. 111(1).
______________________________
R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411
Michael Erin Briscoe Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Procureur général de l’Ontario Intervenant
Répertorié : R. c. Briscoe
No du greffe : 32912.
2009 : 10 décembre; 2010 : 8 avril.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Paperny et Martin et le juge Belzil (ad hoc)), 2008 ABCA 327, 95 Alta. L.R. (4th) 211, 437 A.R. 301, 433 W.A.C. 301, [2009] 1 W.W.R. 447, 237 C.C.C. (3d) 41, [2008] A.J. No. 1060 (QL), 2008 CarswellAlta 1322, qui a annulé les acquittements prononcés par le juge Burrows, 2007 ABQB 196, 413 A.R. 53, [2007] A.J. No. 344 (QL), 2007 CarswellAlta 401, et qui a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Pourvoi rejeté.
Alexander D. Pringle, c.r., Anna Konye et Daniel Chivers, pour l’appelant.
James C. Robb, c.r., et Tamara Friesen, pour l’intimée.
Jennifer M. Woollcombe, pour l’intervenant.
Version française du jugement de la Cour rendu par
La juge Charron —
1. Introduction
[1] Trois adolescents et deux adultes ont été accusés d’avoir participé à l’enlèvement, au viol et au meurtre brutal de Nina Courtepatte, âgée de 13 ans. Les deux adultes du groupe, l’appelant Michael Erin Briscoe et Joseph Wesley Laboucan ont été conjointement accusés d’enlèvement, d’agression sexuelle grave et de meurtre au premier degré. À l’issue de leur procès devant un juge siégeant sans jury, M. Laboucan a été déclaré coupable et M. Briscoe a été acquitté relativement à tous les chefs d’accusation (2007 ABQB 196, 413 A.R. 53). M. Laboucan a interjeté appel avec succès de ses condamnations devant la Cour d’appel de l’Alberta et a obtenu une ordonnance relative à la tenue d’un nouveau procès (2009 ABCA 7, 1 Alta. L.R. (5th) 264). Cependant, à la suite du pourvoi formé devant notre Cour, l’ordonnance a été annulée et les déclarations de culpabilité ont été rétablies (2010 CSC 12, [2010] 1 R.C.S. 397). Le présent pourvoi ne concerne que M. Briscoe. Lors de l’appel interjeté par le ministère public, la Cour d’appel de l’Alberta a annulé le verdict d’acquittement et a ordonné la tenue d’un nouveau procès (2008 ABCA 327, 95 Alta. L.R. (4th) 211). M. Briscoe se pourvoit à présent devant notre Cour.
[2] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l’ordonnance relative à la tenue d’un nouveau procès relativement à tous les chefs d’accusation.
2. Contexte
[3] Le résumé des faits qui suit reflète les conclusions du juge du procès.
[4] Le 3 avril 2005, peu après minuit, Nina Courtepatte, une adolescente de 13 ans et son amie Mlle K.B. ont été entraînées dans une voiture avec M. Briscoe, alors âgé de 34 ans, M. Laboucan, âgé de 19 ans et trois adolescents, qui leur avaient faussement promis de les emmener à une fête. Ce que Mlles Courtepatte et K.B. ignoraient, c’est que M. Laboucan avait affirmé plus tôt ce jour‑là qu’il aimerait trouver quelqu’un à tuer. Il semble que l’idée avait été généralement bien reçue et, après avoir fait le tour du West Edmonton Mall pour trouver une victime potentielle, M. Laboucan et quelques membres du groupe ont choisi Mlle Courtepatte.
[5] M. Briscoe a conduit le groupe jusqu’à un terrain de golf isolé. Ils sont tous sortis de la voiture. M. Briscoe a ouvert le coffre et, à la demande de M. Laboucan, lui a remis des pinces. Une des adolescentes, S.B., a caché une clé à molette dans sa manche. Quelqu’un a aussi pris une masse ou un maillet. Tout le monde, sauf M. Briscoe, s’est mis à marcher dans un sentier du terrain de golf. Pour tromper Mlle Courtepatte et son amie Mlle K.B. qui ne se doutaient de rien, M. Laboucan et d’autres ont fait semblant de chercher la fête.
[6] À un moment donné, Mlle S.B. a frappé Mlle Courtepatte par derrière avec la clé à molette. Cette dernière a poussé un cri et a couru vers M. Laboucan. Il a chuchoté quelque chose qui l’a terrifiée et elle s’est éloignée, l’implorant de ne pas mettre sa menace à exécution. À peu près à ce moment‑là, M. Briscoe a rejoint le groupe. Pendant quelques instants, il a empoigné Mlle Courtepatte et lui a dit avec colère de se taire. M. Laboucan l’a ensuite violée. Un des adolescents, M. M.W., a fait de même. Ils l’ont ensuite frappée plusieurs fois à la tête avec la masse ou le maillet et M. Laboucan l’a étranglée par derrière avec une clé à molette. M. Laboucan a aussi ordonné à un autre jeune, Mlle D.T., de donner un coup de couteau de jet dans la gorge de la victime, ce qu’elle a fait. M. Briscoe assistait passivement au viol et au meurtre. Mlle K.B. a été témoin d’une partie de ces horribles événements, mais elle n’a pas subi de lésions corporelles. Le corps sauvagement battu de Mlle Courtepatte a été abandonné sur le terrain de golf où il a été découvert le lendemain.
[7] Le sort réservé à Mlle Courtepatte n’était pas la principale question au procès. En effet, la véritable question n’était pas de savoir si elle avait été victime d’enlèvement, d’agression sexuelle grave ou d’homicide coupable. De même, il était clair que l’homicide entrait dans la catégorie du meurtre au premier degré, soit parce qu’il était prémédité et de propos délibéré, soit parce qu’il a été commis pendant la perpétration d’un crime comportant domination visé au par. 231(5) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. La question était celle de savoir si chacun des accusés était impliqué et, dans l’affirmative, si une responsabilité criminelle découlait de cette implication.
[8] Selon la théorie du ministère public, M. Laboucan était [traduction] « le cerveau derrière ces infractions » qui avait élaboré le plan, choisi la victime et communiqué le plan aux autres. Les gestes posés par M. Briscoe, au courant du plan de M. Laboucan, ont fait de lui un participant aux infractions. Sa participation a consisté à conduire le groupe à l’aller et au retour, à choisir un endroit retiré, à fournir et à transporter des armes et à jouer [traduction] « un rôle actif » en tenant Mlle Courtepatte et en lui disant de se taire, puis en menaçant Mlle K.B. Selon le ministère public, M. Briscoe était véritablement au courant du plan ou l’a volontairement ignoré. Toujours selon le ministère public, même abstraction faite de l’aide apportée par M. Briscoe, le fait qu’il était présent et qu’il connaissait le plan le rend complice. Il est possible que sa présence ait encouragé les agresseurs, découragé les personnes voulant porter secours et donné à Mlle Courtepatte [traduction] « une raison de plus pour se sentir impuissante, perdue et insignifiante » (d.c., vol. XIII, p. 169‑173).
[9] Le juge du procès a essentiellement accepté la théorie du ministère public. Il a conclu que M. Laboucan était l’auteur principal des infractions et que M. Briscoe l’avait aidé dans la perpétration des crimes en posant quatre gestes : il [traduction] « a conduit le groupe au lieu » où les crimes ont été commis; il « a choisi un endroit qui facilitait » la perpétration des crimes; il « a ouvert le coffre arrière de la voiture à la demande de M. Laboucan » puis « il lui a donné un des outils qui avait été amené dans une aire gazonnée, bien que l’outil n’ait apparemment pas été utilisé pour tuer Mlle Courtepatte »; et il « a dit avec colère à Mlle Courtepatte de se taire quand elle criait après avoir reçu le coup de Mlle S.B. et avant d’être agressée sexuellement et tuée par M. Laboucan » (par. 277). Par conséquent, l’actus reus de la participation aux infractions a été prouvé.
[10] Le juge du procès s’est ensuite penché sur la question de savoir si M. Briscoe avait la mens rea requise pour commettre l’une ou l’autre des infractions. Avait‑il l’intention d’aider M. Laboucan à perpétrer les crimes? Pour cela, il aurait fallu qu’il sache que M. Laboucan avait l’intention de commettre chacun des crimes. La question fondamentale est donc devenue celle de savoir s’il avait cette connaissance. Le juge du procès a conclu que M. Briscoe n’avait pas la connaissance requise. Bien que M. Briscoe n’ait pas témoigné au procès, le ministère public a produit des déclarations qu’il avait faites à la police à la suite de son arrestation. Le juge du procès était d’avis que les déclarations étaient volontaires et s’est fortement appuyé sur leur contenu pour arriver à la conclusion que M. Briscoe n’avait pas la connaissance requise. Voici des extraits pertinents de ces déclarations :
a) M. Briscoe a reconnu avoir entendu des membres du groupe parler de tuer des gens et il s’est rendu compte qu’un membre du groupe portait des couteaux : d.c., vol. XV, p. 102 et 106. Il s’est demandé [traduction] « quand ça allait se faire » et il craignait d’être tué : d.c., vol. XV, p. 102.
b) Au centre commercial, M. Briscoe savait que M. Laboucan cherchait une fille avec qui il pourrait avoir des relations sexuelles. Il a dit : [traduction] « J’étais bien content de lui trouver une fille pour pas qu’il prenne la mienne, tu comprends? » : d.c., vol. XV, p. 128. Il a ajouté : [traduction] « Je baise pas d’enfants; c’est pas mon genre » : d.c., vol. XV, p. 126.
c) Avant d’arriver au terrain de golf, il s’est dit qu’ils [traduction] « voulaient donner la chienne à » Mlle Courtepatte : d.c., vol. XV, p. 108.
d) Plus tard, quand il a garé la voiture à l’extérieur du terrain de golf, il savait que quelque chose allait se produire, mais il ne voulait pas savoir de quoi il s’agissait : [traduction] « Je sais pas ce que vous voulez faire, faites‑le, c’est tout. Mais pas devant moi. Je veux rien voir. Je sais pas ce que vous allez foutre » : d.c., vol. XV, p. 106. M. Laboucan lui a demandé une paire de pinces. M. Briscoe l’a vu prendre [traduction] « [u]n genre de tuyau ou quelque chose » dans le coffre arrière de sa voiture : d.c., vol. XV, p. 108‑109 et 162. Il s’inquiétait pour sa sécurité et pour celle de sa petite amie : d.c., vol. XV, p. 99 et 106.
e) Il est resté derrière pendant un moment, puis il a rejoint le groupe dans l’aire gazonnée du terrain de golf où il a vu les deux autres hommes violer et battre à mort Mlle Courtepatte : d.c., vol. XV, p. 107-108, 115, 117, 119, 122 et 147. Il ne voulait pas savoir ce qui se passait : [traduction] « C’est ce que j’ai vu. Et, j’étais comme, merde, je veux pas le savoir » : d.c., vol. XV, p. 123.
f) M. Briscoe a affirmé ne pas avoir agressé Mlle Courtepatte physiquement, mais il a admis l’avoir tenue à un moment donné et lui avoir dit de se taire : d.c., vol. XV, p. 134, 146‑147, 164 et 171-172.
g) Lorsqu’on lui a demandé qui était au courant de ce qui se passait pendant le trajet, M. Briscoe a demandé [traduction] « Comme pour le vrai? » et il a dit : « Je savais pas exactement ce qui se passait » : d.c., vol. XV, p. 191‑192.
[11] En résumé, le juge du procès a tiré les conclusions suivantes quant à la mens rea. Relativement à l’accusation d’enlèvement, même s’il a conclu que M. Briscoe savait que M. Laboucan avait au moins l’intention de faire vraiment peur à Mlle Courtepatte, le juge du procès a décidé que la preuve n’étayait pas la conclusion portant que M. Briscoe savait que [traduction] « Mlles Courtepatte et KB avaient été entraînées par la ruse dans sa voiture » (par. 283‑284). Relativement à l’accusation d’agression sexuelle grave, même si la [traduction] « déclaration [de M. Briscoe] laisse entendre qu’il savait que M. Laboucan prévoyait avoir des relations sexuelles avec Mlle Courtepatte », rien « n’indiquait qu’il comprenait que M. Laboucan avait l’intention d’agresser Mlle Courtepatte sexuellement » (par. 285). Enfin, quant à l’accusation de meurtre au premier degré, le juge du procès a conclu que [traduction] « la preuve ne permet pas d’établir qu’il savait que M. Laboucan avait en fait l’intention de tuer Mlle Courtepatte. De plus, la preuve ne permet certainement pas d’établir qu’il avait lui‑même l’intention requise pour le meurtre » (par. 286). Le juge du procès a conclu que, dans ces circonstances, la preuve n’était pas suffisante pour prouver hors de tout doute raisonnable [traduction] « que M. Briscoe a posé ces gestes en sachant qu’il aidait M. Laboucan » à commettre des crimes « et encore moins, qu’il en avait l’intention » (par. 287). Le juge du procès ne s’est pas demandé si M. Briscoe avait délibérément fermé les yeux, malgré les observations du ministère public. Il a acquitté M. Briscoe relativement à tous les chefs d’accusation.
[12] Le ministère public a interjeté appel des verdicts d’acquittement de M. Briscoe devant la Cour d’appel de l’Alberta. Dans un jugement unanime, le juge Martin a conclu que le juge du procès a commis une erreur de droit en omettant de se demander si M. Briscoe avait [traduction] « volontairement ignoré le tort que ses acolytes avaient l’intention de causer à la victime » et que, « [n]’eût été cette erreur, les verdicts auraient bien pu être différents » à l’égard des trois chefs d’accusation (par. 41). La Cour d’appel a annulé les verdicts d’acquittement et ordonné la tenue d’un nouveau procès relativement à tous les chefs d’accusation. M. Briscoe se pourvoit à présent devant notre Cour.
3. Analyse
[13] Le droit criminel canadien ne fait pas de distinction entre l’auteur principal d’une infraction et les participants à l’infraction pour déterminer la responsabilité criminelle. Selon le par. 21(1) du Code criminel, les personnes qui commettent une infraction et celles qui les aident et les encouragent à la commettre sont également responsables :
21. (1) Participent à une infraction :
a) quiconque la commet réellement;
b) quiconque accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre;
c) quiconque encourage quelqu’un à la commettre.
La personne qui fournit l’arme peut donc être déclarée coupable de la même infraction que la personne qui a appuyé sur la gâchette. L’actus reus et la mens rea relatifs à l’aide ou à l’encouragement sont toutefois différents de ceux de l’infraction principale.
[14] L’actus reus de l’aide ou de l’encouragement consiste à accomplir (ou, dans certaines circonstances, à omettre d’accomplir) une chose qui aide ou encourage
l’auteur de l’infraction à commettre cette dernière. Bien qu’on ait l’habitude de considérer l’aide et l’encouragement ensemble, ce sont deux concepts distincts, et la responsabilité peut découler de l’un comme de l’autre. De façon générale, « [a]ider, au sens de l’al. 21(1)b), signifie assister la personne qui agit ou lui donner un coup de main. [. . .] Encourager, au sens de l’al. 21(1)c), signifie notamment inciter et instiguer à commettre un crime, ou en favoriser ou provoquer la perpétration » : R. c. Greyeyes, [1997] 2 R.C.S. 825, par. 26. L’actus reus n’est pas en cause dans le présent pourvoi. Comme je l’ai déjà souligné, le ministère public a fait valoir au procès que M. Briscoe avait aidé et encouragé à commettre les infractions. La conclusion du juge du procès selon laquelle M. Briscoe a posé les quatre actes d’assistance décrits précédemment n’est pas contestée.
[15] Évidemment, accomplir ou omettre d’accomplir une chose qui a pour effet d’aider une autre personne à commettre un crime ne suffit pas à engager la responsabilité criminelle. Comme l’a souligné la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. F. W. Woolworth Co. (1974), 3 O.R. (2d) 629, [traduction] « une personne ne se rend pas coupable en louant ou en prêtant une voiture pour des activités commerciales ou récréatives légitimes simplement parce que la personne à qui elle a prêté ou loué la voiture décide au cours de l’utilisation de transporter des articles volés, ou en louant une maison à des fins résidentielles à un locataire qui l’utilise à son insu pour entreposer des drogues » (p. 640). La personne qui aide ou qui encourage doit aussi avoir l’état d’esprit requis ou la mens rea requise. Plus précisément, aux termes de l’al. 21(1)b), la personne doit avoir prêté assistance en vue d’aider l’auteur principal à commettre le crime.
[16] L’exigence de la mens rea qui ressort de l’expression « en vue de » à l’al. 21(1)b) comporte deux éléments : l’intention et la connaissance. En ce qui concerne l’élément d’intention, il a été établi dans R. c. Hibbert, [1995] 2 R.C.S. 973, que l’expression « en vue de » de l’al. 21(1)b) devrait être considérée comme étant essentiellement synonyme d’« intention ». Le ministère public doit établir que l’accusé avait l’intention d’aider l’auteur principal à commettre l’infraction. La Cour a insisté sur le fait que les mots « en vue de » ne devraient pas être interprétés comme incorporant la notion de « désir » dans l’exigence de faute pour que la responsabilité du participant soit engagée. Il n’est donc pas nécessaire que l’accusé désire que l’infraction soit perpétrée avec succès (Hibbert, par. 35). La Cour a conclu, au par. 32, que les conséquences malencontreuses qui découleraient d’une interprétation de l’al. 21(1)b) voulant que l’expression « en vue de » s’entende d’un « désir » étaient clairement illustrées par la situation hypothétique suivante décrite par Mewett et Manning :
[traduction] Un homme se fait dire par un ami qu’il va dévaliser une banque, qu’il aimerait utiliser sa voiture pour s’enfuir et qu’il lui versera 100 $ en échange de ce service. Lorsqu’il est [. . .] accusé, en vertu de l’art. 21, d’avoir accompli quelque chose en vue d’aider son ami à commettre l’infraction, cet homme peut‑il dire « Mon but était non pas d’aider à commettre le vol, mais de gagner 100 $ »? Il soutiendrait que, même s’il savait qu’il aidait à commettre le vol, son désir était d’obtenir les 100 $ et il lui était parfaitement égal que le vol réussisse ou non.
(A. W. Mewett et M. Manning, Criminal Law (2e éd. 1985), p. 112)
Ce raisonnement s’applique sans égard à l’infraction principale en cause. Même à l’égard du meurtre, il n’y a aucune « [autre exigence voulant] que celui qui aide ou encourage à commettre une infraction approuve ou désire subjectivement la mort de la victime » (Hibbert, par. 37 (soulignement omis)).
[17] En ce qui concerne l’élément de connaissance, l’intention d’aider à commettre une infraction suppose que la personne doit savoir que l’auteur a l’intention de commettre le crime, bien qu’elle n’ait pas à savoir précisément la façon dont il sera commis. Il relève tout simplement du bon sens qu’il faut avoir une connaissance suffisante pour avoir l’intention requise. Dans R. c. Maciel, 2007 ONCA 196, 219 C.C.C. (3d) 516, le juge Doherty donne cette explication fort utile de l’exigence de connaissance, laquelle est tout à fait pertinente en l’espèce (par. 88‑89) :
[traduction] . . . il faut établir que la personne accusée d’avoir aidé à commettre un meurtre savait que l’auteur du crime avait l’intention requise pour commettre un meurtre tel qu’il est décrit à l’al. 229a) : R. c. Kirkness (1990), 60 C.C.C. (3d) 97 (C.S.C.) p. 127.
Cette analyse s’applique lorsqu’il est allégué que l’accusé a aidé l’auteur dans la perpétration d’un meurtre au premier degré qui était prémédité et de propos délibéré. L’accusé n’est coupable d’avoir fourni une aide que s’il a fait quelque chose qui a pour effet d’aider l’auteur à commettre le meurtre prémédité et s’il l’a fait en vue d’aider l’auteur dans la perpétration d’un tel meurtre. Avant que l’on puisse conclure que le complice avait l’intention requise, le ministère public doit prouver qu’il savait que le meurtre était prémédité et de propos délibéré. La question de savoir si cette personne a acquis cette connaissance en participant à la préméditation, ou autrement, n’est pas pertinente pour juger de sa culpabilité en application du par. 21(1).
[18] Il est important de souligner que le juge Doherty, en faisant référence à l’arrêt R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74, de la Cour, a raison de dire que la personne qui a aidé à commettre le meurtre devait « sav[oir] que l’auteur du crime avait l’intention requise pour commettre un meurtre ». Bien que certains passages de l’arrêt Kirkness puissent être interprétés comme exigeant que le complice partage l’intention du meurtrier de tuer la victime, l’arrêt doit maintenant être interprété à la lumière de l’analyse susmentionnée tirée de l’arrêt Hibbert. La personne qui aide ou qui encourage doit connaître l’intention de l’auteur de tuer la victime, sans toutefois nécessairement la partager. Il ne faut pas interpréter de l’arrêt Kirkness qu’il existe une exigence que celui ou celle qui aide ou qui encourage l’auteur principal d’un meurtre ait la même mens rea que le véritable tueur. Il suffit que, connaissant l’intention de l’auteur de commettre le crime, cette personne agisse avec l’intention d’aider l’auteur à le commettre. Ce n’est qu’en ce sens qu’il est possible de dire que celui ou celle qui aide ou qui encourage doit avoir l’intention que l’infraction principale soit commise.
[19] Maintenant que j’ai énoncé les principes juridiques pertinents pour évaluer la mens rea d’une personne accusée d’avoir aidé à la perpétration d’un meurtre ou de l’avoir encouragé, je vais examiner l’argument principal de M. Briscoe dans le présent pourvoi, à savoir que la doctrine de l’ignorance volontaire ne devrait pas s’appliquer lorsqu’il s’agit de déterminer quelle est la connaissance requise, soit de l’auteur principal du crime soit de la personne qui a aidé ou encouragé à le commettre, dans le cas d’un meurtre.
[20] Essentiellement, M. Briscoe soutient que l’ignorance volontaire n’est qu’une forme accrue d’insouciance, laquelle est incompatible avec l’exigence très élevée de la mens rea applicable au meurtre tel qu’il est décrit à l’al. 229a) du Code criminel. Selon lui, permettre que l’existence d’une faute de l’auteur principal ou du participant soit établie, pour conclure à la culpabilité pour meurtre, par une preuve d’ignorance volontaire irait à l’encontre du principe qu’il doit y avoir à tout le moins une « prév[ision] subjectiv[e de] la mort » selon l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés : R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633, p. 645. À mon avis, la Cour d’appel a rejeté ces arguments à juste titre. Comme je vais l’expliquer plus loin, l’ignorance volontaire, si elle est bien définie, se distingue de l’insouciance et n’implique pas l’abandon de l’analyse subjective de l’état d’esprit de l’accusé devant être effectuée pour établir la connaissance d’un complice qui aide ou encourage l’auteur du crime.
[21] L’ignorance volontaire ne définit pas la mens rea requise d’infractions particulières. Au contraire, elle peut remplacer la connaissance réelle chaque fois que la connaissance est un élément de la mens rea. La doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance à l’accusé qui a des doutes au point de vouloir se renseigner davantage, mais qui choisit délibérément de ne pas le faire. Voir Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570, et R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55. Comme l’a dit succinctement le juge Sopinka dans Jorgensen (par. 103), « [p]our conclure à l’ignorance volontaire, il faut répondre par l’affirmative à la question suivante : L’accusé a‑t‑il fermé les yeux parce qu’il savait ou soupçonnait fortement que s’il regardait, il saurait? »
[22] Les tribunaux et les auteurs ont, je tiens à le rappeler, toujours insisté sur le fait que l’ignorance volontaire se distingue de l’insouciance. Comme l’a expliqué la Cour dans Sansregret (p. 584) :
. . . alors que l’insouciance comporte la connaissance d’un danger ou d’un risque et la persistance dans une conduite qui engendre le risque que le résultat prohibé se produise, l’ignorance volontaire se produit lorsqu’une personne qui a ressenti le besoin de se renseigner refuse de le faire parce qu’elle ne veut pas connaître la vérité. Elle préfère rester dans l’ignorance. La culpabilité dans le cas d’insouciance se justifie par la prise de conscience du risque et par le fait d’agir malgré celui‑ci, alors que dans le cas de l’ignorance volontaire elle se justifie par la faute que commet l’accusé en omettant délibérément de se renseigner lorsqu’il sait qu’il y a des motifs de le faire. [Je souligne.]
[23] Il est important de distinguer les concepts d’insouciance et d’ignorance volontaire. Glanville Williams explique comme suit la principale restriction à la doctrine :
[traduction] La règle selon laquelle l’ignorance volontaire équivaut à la connaissance est essentielle et se rencontre partout dans le droit criminel. En même temps, c’est une règle instable parce que les juges sont susceptibles d’en oublier la portée très limitée. Une cour peut valablement conclure à l’ignorance volontaire seulement lorsqu’on peut presque dire que le défendeur connaissait réellement le fait. Il le soupçonnait; il se rendait compte de sa probabilité; mais il s’est abstenu d’en obtenir confirmation définitive parce qu’il voulait, le cas échéant, être capable de nier qu’il savait. Cela, et cela seulement, constitue de l’ignorance volontaire. Il faut en effet qu’il y ait conclusion que le défendeur a voulu tromper l’administration de la justice. Toute définition plus générale aurait pour effet d’empêcher la distinction entre la doctrine de l’ignorance volontaire et la doctrine civile de la négligence de se renseigner. [Je souligne.]
(Criminal Law : The General Part (2e éd. 1961), p. 159 (cité dans Sansregret, p. 586).)
[24] Le professeur Don Stuart fait utilement remarquer que l’expression [traduction] « ignorance délibérée » semble plus descriptive que l’expression « aveuglement volontaire », étant donné qu’elle suggère l’idée d’[traduction] « un processus réel de suppression des soupçons ». Considéré, comme il se doit, dans cette optique, [traduction] « le concept d’ignorance volontaire a une portée restreinte et ne s’écarte pas de l’analyse subjective du fonctionnement de l’esprit de l’accusé » (Canadian Criminal Law : A Treatise (5e éd. 2007), p. 241). Si le défaut de se renseigner peut être une preuve d’insouciance ou de négligence criminelle, par exemple lorsque le défaut de se renseigner constitue un écart marqué par rapport à la conduite d’une personne raisonnable, l’ignorance volontaire n’est pas un simple défaut de se renseigner, mais, pour reprendre les termes du professeur Stuart, une « ignorance délibérée ».
[25] En l’espèce, je suis d’accord avec le juge Martin pour dire que le juge du procès a commis une erreur de droit en omettant de considérer l’ignorance volontaire. Comme le juge Martin l’a souligné, même les déclarations que M. Briscoe a faites à la police laissent entendre qu’il [traduction] « soupçonnait fortement et avec raison qu’une personne serait tuée au terrain de golf » (par. 30) et qu’il a pu ignorer volontairement l’enlèvement et la possibilité de l’agression sexuelle. Ses déclarations montrent aussi qu’il a délibérément choisi de ne pas se renseigner sur ce que les membres du groupe avaient l’intention de faire parce qu’il ne voulait pas le savoir. Comme il l’a dit [traduction] « Je sais pas ce que vous voulez faire, faites‑le, c’est tout. Mais pas devant moi. Je veux rien voir. Je sais pas ce que vous allez foutre. » Le juge du procès s’est largement appuyé sur les déclarations de l’accusé dans ses motifs, mais il n’a pas traité de la doctrine de l’ignorance volontaire. Bien sûr, la question de savoir si M. Briscoe avait la mens rea requise pour les trois infractions était une question que devait se poser le juge des faits, et M. Briscoe a droit au bénéfice de tout doute raisonnable à cet égard. Toutefois, d’un point de vue juridique, j’estime en tout respect que, compte tenu de la preuve, une analyse de l’ignorance volontaire s’imposait. Dans ces circonstances, la Cour d’appel a conclu à bon droit que l’omission du juge du procès de considérer la connaissance de M. Briscoe sous cet angle constitue une erreur de droit qui commande la tenue d’un nouveau procès relativement à tous les chefs d’accusation.
[26] À mon avis, le ministère public s’est acquitté du lourd fardeau qui lui incombait en interjetant appel d’un verdict d’acquittement, à savoir qu’il a démontré « qu’il serait raisonnable de penser, compte tenu des faits concrets de l’affaire, que l[es] erreur[s] [. . .] du premier juge ont eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement » quant aux trois chefs d’accusation : R. c. Graveline, 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609, par. 14 (le juge Fish). Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l’ordonnance relative à la tenue d’un nouveau procès.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l’appelant : Pringle, Peterson, MacDonald & Bottos, Edmonton.
Procureur de l’intimée : Procureur général de l’Alberta, Edmonton.
Procureur de l’intervenant : Procureur général de l’Ontario, Toronto.