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23/03/2006 | CANADA | N°2006_CSC_9

Canada | R. c. Pittiman, 2006 CSC 9 (23 mars 2006)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Pittiman, [2006] 1 R.C.S. 381, 2006 CSC 9

Date : 20060323

Dossier : 31070

Entre :

Roopnarine Pittiman

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

Traduction française officielle

Coram : Les juges Bastarache, Binnie, Deschamps, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 16)

La juge Charron (avec l’accord des juges Bastarache, Binnie, Deschamps et Abella)

______________________________

R. c. Pittiman, [2006] 1 R.C.S. 381, 2006 CSC 9r>
Roopnarine Pittiman Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié : R. c. Pittiman

Référence neutre : 2006 CSC 9.

No du greffe : 31070.

2006 ...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Pittiman, [2006] 1 R.C.S. 381, 2006 CSC 9

Date : 20060323

Dossier : 31070

Entre :

Roopnarine Pittiman

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

Traduction française officielle

Coram : Les juges Bastarache, Binnie, Deschamps, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 16)

La juge Charron (avec l’accord des juges Bastarache, Binnie, Deschamps et Abella)

______________________________

R. c. Pittiman, [2006] 1 R.C.S. 381, 2006 CSC 9

Roopnarine Pittiman Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié : R. c. Pittiman

Référence neutre : 2006 CSC 9.

No du greffe : 31070.

2006 : 10 février; 2006 : 23 mars.

Présents : Les juges Bastarache, Binnie, Deschamps, Abella et Charron.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Weiler, Borins et Armstrong) (2005), 198 C.C.C. (3d) 308, 199 O.A.C. 113, [2005] O.J. No. 2672 (QL), qui a confirmé la déclaration de culpabilité de l’accusé. Pourvoi rejeté.

James Lockyer, pour l’appelant.

Leslie Paine, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

La juge Charron —

1. Introduction

1 L’appelant Roopnarine Pittiman et deux coaccusés ont été inculpés conjointement d’agression sexuelle d’une plaignante de 14 ans. À l’issue d’un procès devant un juge et un jury, l’appelant a été déclaré coupable de l’infraction alors que les coaccusés ont été acquittés. Il a interjeté appel contre sa déclaration de culpabilité en faisant valoir notamment que les verdicts étaient incompatibles et que, par conséquent, le verdict du jury le déclarant coupable était déraisonnable. Les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Ontario ont statué qu’en raison de la plus grande valeur probante de la preuve qui pesait contre l’appelant le jury pouvait logiquement conclure qu’il y avait lieu de le déclarer coupable et de déclarer les coaccusés non coupables. Son appel a donc été rejeté et sa déclaration de culpabilité, confirmée ((2005), 198 C.C.C. (3d) 308). Le juge Borins, dissident, aurait annulé la déclaration de culpabilité et inscrit un acquittement pour le motif que le verdict de culpabilité était si incompatible avec l’acquittement des coaccusés par le jury qu’aucun jury raisonnable, ayant compris la preuve, n’aurait pu à juste titre le prononcer. Le pourvoi de l’appelant devant notre Cour est formé de plein droit en application de l’al. 691(1)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, et il porte uniquement sur la question de savoir si le verdict de culpabilité d’agression sexuelle que le jury a prononcé à son égard était déraisonnable. Je souscris à la conclusion des juges majoritaires de la Cour d’appel et je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi.

2. Les faits

2 Le 27 mai 2000, la plaignante a visité sa tante. Un peu avant 19 h, elle s’est rendue à un dépanneur avoisinant pour y acheter des friandises. Chemin faisant, elle a rencontré l’appelant, son frère Ryan Pittiman ainsi que leurs amis Beswick Goffe et Maheshwar Inderjeet. Les quatre hommes l’ont invitée au sous‑sol de la demeure des Pittiman. Elle s’y est rendue de son plein gré. Au sous‑sol, elle s’est assise sur un sofa, entre l’appelant et Ryan. Goffe se trouvait derrière elle, et Inderjeet regardait la télévision assis sur un autre sofa. Goffe a commencé à lui [traduction] « faire des gribouillis » dans le dos. La plaignante a dit que cela ne l’avait pas dérangée. Ryan lui a demandé de l’accompagner aux toilettes pour qu’ils se rendent un [traduction] « service mutuel », ce qu’elle savait être des rapports sexuels oraux. Elle a refusé et a affirmé devoir quitter, mais ils ont insisté pour qu’elle reste encore [traduction] « cinq minutes », la repoussant par les épaules chaque fois qu’elle tentait de se lever. Elle a été incapable de se rappeler qui la poussait. L’appelant a demandé à la plaignante si elle était chatouilleuse et il a commencé à la chatouiller. Il a ensuite commencé à lui toucher les jambes et les cuisses avant de tenter de défaire sa ceinture. Elle a continué de lui repousser la main. L’appelant est finalement parvenu à défaire la ceinture de la plaignante et il a mis ses mains dans son pantalon et a inséré ses doigts dans son vagin. L’appelant est le seul accusé que l’appelante a désigné expressément comme l’ayant agressée sexuellement dans le salon, bien que, dans son témoignage, elle ait parfois dit qu’[traduction] « ils » la touchaient.

3 Par la suite, l’appelant et Ryan ont conduit la plaignante à une chambre à coucher, l’ont jetée sur le lit et lui ont enlevé ses vêtements. L’appelant l’a pénétrée de force alors que Ryan lui tenait les poignets. Ryan a tenté de lui insérer le pénis dans la bouche, mais elle a détourné la tête en la pressant contre l’oreiller. Après avoir posé ces gestes, l’appelant a quitté la pièce. Ryan a alors fait subir à la plaignante quelque chose qu’elle a complètement effacé de sa mémoire depuis. Est ensuite apparu Goffe, qui l’a soulevée et l’a pénétrée de force en lui causant une vive douleur. Dans son témoignage, la plaignante n’a pas indiqué clairement quelle avait été la participation d’Inderjeet aux faits survenus le soir en question. Quand tout fût terminé, ils lui ont rendu ses vêtements et elle s’est rhabillée. Elle a quitté les lieux et s’est rendue à pied chez sa tante.

4 De retour chez sa tante à 22 h, la plaignante lui a dit que quatre hommes l’avaient violée. La famille a appelé la police. La plaignante a été transportée à l’hôpital. On a découvert, à l’intérieur de son soutien‑gorge, de la salive de l’appelant mélangée à la sienne. Les quatre hommes ont été arrêtés et inculpés. Dans ses trois premières déclarations à la police, Inderjeet a nié s’être trouvé sur les lieux du crime. Plus tard, il a fait une déclaration dans laquelle il a reconnu avoir été présent et a confirmé la version des faits de la plaignante. Après qu’Inderjeet eut reconnu avoir été présent sur les lieux, l’appelant l’a accusé de l’avoir [traduction] « mouchardé ». Cette confrontation a eu lieu en présence de deux amis d’Inderjeet qui ont fait des déclarations et témoigné au procès. L’accusation portée contre Inderjeet a été retirée après qu’il eut témoigné contre les trois autres accusés à l’enquête préliminaire. Inderjeet a également servi de témoin à charge au procès. Les trois accusés n’ont pas témoigné.

5 Pendant le contre‑interrogatoire de la plaignante, on a souligné que, bien qu’elle ait relaté en détail la conduite de l’appelant dans sa première déclaration aux policiers, celle‑ci n’avait pas mentionné la tentative de Ryan de la forcer à lui faire une fellation. Il n’en a été question, pour la première fois, qu’au cours de l’enquête préliminaire. De plus, même si elle se souvenait que l’appelant avait quitté la pièce après avoir terminé l’agression, la plaignante a été incapable de dire avec certitude ce que Ryan avait fait ensuite et elle a témoigné qu’elle avait un [traduction] « trou de mémoire » quand elle tentait de se rappeler ce qui s’était passé. Elle a dit se souvenir clairement de l’agression qu’elle avait subie de la part de Goffe parce que c’était ce qui lui avait causé le plus de douleur. Cependant, comme pour la tentative de Ryan de la forcer à lui faire une fellation, elle n’avait pas mentionné, dans sa première déclaration aux policiers, que Goffe l’avait pénétrée.

3. Analyse

6 Une cour d’appel est habilitée à rejeter un verdict de culpabilité pour cause d’incompatibilité en vertu du sous‑al. 686(1)a)(i) du Code criminel, qui prévoit que la cour « peut admettre l’appel, si elle est d’avis [. . .] que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve ». Notre Cour a le même pouvoir en vertu du par. 695(1). Ainsi, pour qu’une cour d’appel puisse modifier un verdict pour cause d’incompatibilité, elle doit préalablement conclure qu’il est déraisonnable. Il incombe à l’appelant de démontrer qu’aucun jury raisonnable dont les membres auraient étudié la preuve n’aurait pu arriver à cette conclusion : R. c. McLaughlin (1974), 15 C.C.C. (2d) 562 (C.A. Ont.).

7 Il est difficile de s’acquitter de l’obligation d’établir qu’un verdict est déraisonnable pour cause d’incompatibilité avec d’autres verdicts étant donné que, à titre de seul juge des faits, le jury dispose d’une très grande latitude pour apprécier la preuve. Le jury peut accepter ou rejeter tous les témoignages ou une partie de ceux‑ci. En fait, il n’est pas nécessaire que les membres du jury aient tous la même perception de la preuve, pourvu que le verdict qu’ils prononcent en fin de compte soit unanime. De même, le jury n’est pas lié par les thèses du ministère public ou de la défense. La question est de savoir si les verdicts peuvent s’appuyer sur une théorie de la preuve compatible avec les directives juridiques données par le juge du procès. Le juge Martin a décrit avec justesse la nature de l’examen dans l’arrêt R. c. McShannock (1980), 55 C.C.C. (2d) 53 (C.A. Ont.), p. 56 :

[traduction] Si, après un examen réaliste de la preuve, les verdicts ne peuvent pas être conciliés pour quelque motif rationnel ou logique, l’illogisme du verdict tend à indiquer que le jury doit avoir mal compris la preuve ou qu’il doit être parvenu à un quelconque compromis injustifiable. Du seul fait que le verdict est déraisonnable, nous sommes d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler le verdict et d’ordonner l’inscription d’un verdict d’acquittement.

8 La recherche d’un motif rationnel ou logique justifiant les verdicts ne signifie pas qu’il faut nécessairement annuler pour cause de déraisonnabilité le verdict contesté, si un récit des faits n’est pas facilement décelable dans les conclusions du jury. Il n’appartient pas au jury de reconstituer les faits. Il doit plutôt décider si le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable chaque élément de l’infraction. Il se peut donc que, dans le cas d’un accusé inculpé de plusieurs infractions, différents verdicts soient conciliables parce que les infractions n’ont pas été commises en même temps ou parce qu’elles diffèrent sur le plan qualitatif ou dépendent de la crédibilité de divers plaignants ou témoins. La force probante de la preuve peut varier d’un chef d’accusation à l’autre, de sorte qu’il peut subsister dans l’esprit du jury un doute raisonnable quant à un chef, mais non quant à l’autre chef. Par contre, lorsque la preuve relative à un chef est si inextricablement liée à celle concernant un autre chef qu’il est logiquement impossible de les dissocier l’une de l’autre, des verdicts incompatibles peuvent être jugés déraisonnables : voir, p. ex., l’arrêt R. c. Tillekaratna (1998), 124 C.C.C. (3d) 549 (C.A. Ont.).

9 Pour se prononcer sur le caractère raisonnable d’un verdict dans le cas où plusieurs accusés sont inculpés de la même infraction, il faut examiner à peu près les mêmes facteurs. Par exemple, le jury peut décider que le témoignage de la plaignante est crédible à l’égard d’un accusé, tout en rejetant la plainte portée contre un autre accusé. La force probante globale de la preuve peut varier d’un accusé à l’autre, de sorte qu’il peut subsister dans l’esprit du jury un doute raisonnable quant à la culpabilité d’un accusé, mais non quant à celle de l’autre accusé. De plus, des considérations différentes entrent nécessairement en jeu lorsqu’il y a plusieurs accusés. Par exemple, dans le cas d’un seul accusé inculpé de plusieurs infractions, il n’est guère utile de se demander si la preuve est la même. Par définition, la preuve est différente pour chaque infraction. À l’inverse, la question de savoir si la preuve est la même s’avère cruciale dans le cas où des verdicts incompatibles ont été prononcés à l’égard de plusieurs accusés inculpés de la même infraction.

10 En pratique, un appelant aura beaucoup plus de difficulté à satisfaire au critère dans le cas de plusieurs accusés inculpés de la même infraction, non pas parce que le critère est différent, mais parce que la possibilité que des verdicts divergents soient prononcés est alors souvent plus grande. Toutefois, affirmer, comme l’ont fait la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. Wile (1990), 58 C.C.C. (3d) 85, et la juge Weiler au par. 17 de ses motifs majoritaires en l’espèce, qu’il n’est pas possible de qualifier de déraisonnables des verdicts incompatibles prononcés à l’égard de coaccusés, sauf si la preuve qui pèse contre eux est [traduction] « identique », revient à exagérer la difficulté pratique de remplir cette obligation et est donc inexact. Le critère demeure le même dans chaque cas : les verdicts sont‑ils à ce point inconciliables qu’aucun jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, n’aurait pu les prononcer au vu de la preuve?

11 Je souscris néanmoins à l’appréciation que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont faite de la preuve en l’espèce. Il existe un motif rationnel de concilier les différents verdicts. La preuve à charge qui pesait contre l’appelant était, à bien des égards, plus convaincante que celle qui pesait contre ses coaccusés. Comme l’a souligné la juge Weiler (par. 22 et 30), deux éléments de preuve mettaient directement en cause l’appelant et non les autres — la présence de l’ADN de l’appelant à l’intérieur du soutien‑gorge de la plaignante et la déclaration postérieure à l’infraction qu’il avait faite à Inderjeet, dans laquelle il accusait ce dernier de l’avoir [traduction] « mouchardé » à la police. Qui plus est, le témoignage de la plaignante concernant la participation des coaccusés était vague et incertain à maints égards et ne concordait pas avec la première déclaration qu’elle avait faite aux policiers. Par contre, la plaignante a clairement précisé que l’appelant avait joué un rôle dominant dans cette affaire, et son témoignage concernant la participation de ce dernier était beaucoup plus détaillé et cohérent. Bien qu’au procès l’avocat du ministère public ait considéré que c’était la méthode du [traduction] « tout ou rien » qui devait s’appliquer en l’espèce, le jury n’avait pas à souscrire à sa thèse. — ce propos, la juge du procès a donné des directives correctes en demandant au jury d’examiner la preuve et de prononcer un verdict distinct pour chaque accusé.

12 J’estime, en toute déférence, que le juge Borins, dissident, a commis une erreur en appréciant le caractère raisonnable du verdict. Premièrement, il a mal compris la preuve à d’importants égards. Il avait l’impression que [traduction] « tous les [accusés] [s’étaient] livrés à des attouchements sexuels et à des caresses » sur la plaignante dans le salon et que le témoignage de cette dernière « visait tous les [accusés] et les mettaient tous en cause dans les deux épisodes » (par. 81). Ces observations ne concordent pas avec la preuve. La plaignante n’a jamais laissé entendre que Goffe avait participé à quelque agression sexuelle que ce soit dans le salon, et elle ne l’a fait qu’indirectement en ce qui concerne Ryan en parlant vaguement de [traduction] « ils » dans sa description d’une partie des faits. En réalité, le jury a demandé à examiner le témoignage de la plaignante concernant le comportement que Ryan avait adopté à son égard sur le sofa et, après avoir exposé la preuve pertinente, la juge du procès a dit au jury qu’il lui appartiendrait de décider ce qu’il conviendrait d’inférer des « ils » que la plaignante avait utilisés dans son témoignage concernant les faits survenus dans le salon. De même, le juge Borins a paru avoir l’impression que l’on alléguait que chaque accusé avait eu des relations sexuelles avec la plaignante dans la chambre à coucher. Bien que ce soit vrai dans le cas de l’appelant et de Goffe, la situation est différente en ce qui concerne Ryan. La plaignante a plutôt allégué que Ryan avait tenté sans succès de la forcer à lui faire une fellation. (Le jury n’a reçu aucune directive selon laquelle cette tentative pouvait constituer une agression sexuelle.) De plus, le juge Borins n’a trouvé, dans le contre‑interrogatoire de la plaignante, aucune explication du rejet par le jury de son témoignage impliquant les deux coaccusés, et il n’a pas mentionné que la plaignante avait fait des déclarations contradictoires à leur sujet.

13 Deuxièmement, j’estime que le juge Borins a commis une erreur en affirmant que, [traduction] « dans un verdict incompatible, l’attention doit porter sur le verdict aberrant, qui, en l’espèce, est l’acquittement des coaccusés » (par. 99). Tout en reconnaissant que des éléments de preuve additionnels pesaient contre l’appelant, il a estimé que ceux‑ci n’expliquaient pas l’acquittement des coaccusés et ne réglaient pas le [traduction] « problème d’équité » (par. 99). Il a décrit ce problème comme étant l’iniquité résultant du fait que le jury a conclu à la culpabilité de l’appelant [traduction] « en se fondant sur la même preuve que celle qu’il a nécessairement prise en considération pour acquitter les coaccusés » (par. 99). Bien qu’une cour d’appel compare inévitablement le fondement des acquittements et des déclarations de culpabilité lorsqu’elle évalue des verdicts incompatibles, la question déterminante est de savoir non pas si les acquittements sont raisonnables, mais si la déclaration de culpabilité est déraisonnable : R. c. Bergeron (1998), 132 C.C.C. (3d) 45 (C.A. Qué.), le juge Fish, maintenant juge de notre Cour. Lorsque, comme en l’espèce, la preuve qui pèse contre l’appelant est plus convaincante, il n’y a rien d’inéquitable dans le fait qu’il y ait eu preuve hors de tout doute raisonnable dans son cas, mais non dans celui des coaccusés.

14 J’ajouterais qu’en mettant l’accent sur l’acquittement des coaccusés et sur ce qu’il a appelé le « problème d’équité », le juge Borins a commis une autre erreur en concluant qu’il fallait également acquitter l’appelant sans se demander s’il convenait de le faire dans les circonstances. Le paragraphe 686(2) du Code criminel prévoit que, lorsqu’une cour d’appel admet l’appel d’une déclaration de culpabilité, elle peut ordonner l’inscription d’un verdict d’acquittement ou la tenue d’un nouveau procès. Lorsqu’une déclaration de culpabilité est annulée pour le motif que le verdict ne s’appuie pas sur la preuve, la cour d’appel inscrit habituellement un verdict d’acquittement en l’absence d’erreur de droit quant à l’admissibilité de la preuve. Comme le juge Doherty l’a fait remarquer dans l’arrêt R. c. Harvey (2001), 160 C.C.C. (3d) 52 (C.A. Ont.), par. 30, [traduction] « [i]l convient d’ordonner un acquittement parce qu’il serait injuste d’ordonner un nouveau procès et de donner au ministère public une deuxième possibilité de présenter une preuve qui permettrait à un juge des faits raisonnable de prononcer un verdict de culpabilité. » Cependant, lorsque le verdict est jugé déraisonnable pour cause d’incompatibilité des verdicts, mais que la preuve pesant contre l’appelant étaye la déclaration de culpabilité, il convient habituellement d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.

15 En l’espèce, les différents verdicts ne sont pas incompatibles entre eux. Ils sont conciliables en raison de la force probante de la preuve qui pesait respectivement contre chacun des accusés. Par conséquent, le verdict de culpabilité d’agression sexuelle que le jury a prononcé à l’égard de l’appelant n’est pas déraisonnable.

4. Dispositif

16 Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l’appelant : Lockyer Campbell Posner, Toronto.

Procureur de l’intimée : Procureur général de l’Ontario, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2006 CSC 9 ?
Date de la décision : 23/03/2006
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Appels - Verdict déraisonnable - Plusieurs accusés inculpés de la même infraction - Jury déclarant coupable un accusé mais acquittant deux coaccusés - Le verdict du jury déclarant l’accusé coupable est‑il déraisonnable? - Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 686(1)a)(i).

L’accusé et deux coaccusés ont été inculpés conjointement d’agression sexuelle d’une plaignante de 14 ans. À l’issue d’un procès devant un juge et un jury, l’accusé a été déclaré coupable de l’infraction alors que les coaccusés ont été acquittés. L’accusé a interjeté appel contre sa déclaration de culpabilité en faisant valoir notamment que les verdicts étaient incompatibles et que, par conséquent, le verdict du jury le déclarant coupable était déraisonnable. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont statué qu’en raison de la plus grande valeur probante de la preuve qui pesait contre l’accusé le jury pouvait logiquement conclure qu’il y avait lieu de le déclarer coupable et de déclarer les coaccusés non coupables. La déclaration de culpabilité de l’accusé a donc été confirmée.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

Pour qu’une cour d’appel puisse modifier un verdict pour cause d’incompatibilité avec d’autres verdicts, elle doit préalablement conclure que le verdict contesté est déraisonnable. Il est difficile pour un accusé de s’acquitter de l’obligation d’établir qu’un verdict est déraisonnable pour cause d’incompatibilité. Dans chaque cas, il faut se demander si les verdicts sont à ce point inconciliables qu’aucun jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, n’aurait pu les prononcer au vu de la preuve. En l’espèce, il existe un motif rationnel de concilier les différents verdicts. La preuve à charge qui pesait contre l’accusé était plus convaincante que celle qui pesait contre ses coaccusés : certes le témoignage de la plaignante concernant la participation des coaccusés était vague et incertain à maints égards et ne concordait pas avec la première déclaration qu’elle avait faite aux policiers, mais elle a clairement précisé que l’accusé avait joué un rôle dominant dans cette affaire, et son témoignage concernant la participation de ce dernier était beaucoup plus détaillé et cohérent. Deux éléments de preuve mettaient aussi directement en cause l’accusé et non les autres. Lorsque, comme en l’espèce, la preuve qui pèse contre un accusé est plus convaincante, il n’y a rien d’inéquitable dans le fait qu’il y ait eu preuve hors de tout doute raisonnable dans son cas, mais non dans celui de ses coaccusés. [6‑7] [10‑11] [13]


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Pittiman

Références :

Jurisprudence
Arrêt approuvé : R. c. McShannock (1980), 55 C.C.C. (2d) 53
arrêt critiqué : R. c. Wile (1990), 58 C.C.C. (3d) 85
arrêts mentionnés : R. c. McLaughlin (1974), 15 C.C.C. (2d) 562
R. c. Tillekaratna (1998), 124 C.C.C. (3d) 549
R. c. Bergeron (1998), 132 C.C.C. (3d) 45
R. c. Harvey (2001), 160 C.C.C. (3d) 52.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 686(1)a)(i), (2), 691(1)a), 695(1).

Proposition de citation de la décision: R. c. Pittiman, 2006 CSC 9 (23 mars 2006)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2006-03-23;2006.csc.9 ?
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